Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la troisième fois en deux semaines, le Sénat discute des normes agricoles.
La dynamique de simplification est louable ; le Gouvernement en a d’ailleurs fait un engagement sur l’ensemble du quinquennat. Cette dynamique a également reçu des apports continuels du Parlement, du Sénat en particulier, en ce qui concerne les collectivités territoriales, les territoires ruraux et l’agriculture. Effectivement, la France, comme l’ensemble des pays occidentaux, croule sous les normes. Songeons aux petites entreprises, aux petits ateliers, aux petits commerces ou encore aux petits restaurants : on est très loin du compte, il y a un véritable travail à mener !
La présente proposition de résolution rappelle, s’il en était besoin, que le secteur agricole est dans une situation dramatique. Celle-ci est d’ailleurs due, de prime abord, non pas aux normes qu’on lui impose, certes parfois à l’excès, mais bien à la disparition de la régulation que les États imposaient aux marchés.
Nous voulons, nous, écologistes, saluer le plaidoyer de cette proposition de résolution pour des études d’impact de l’ensemble des normes, et non pas seulement des nouvelles.
Nous saluons également la volonté d’étendre le champ de l’expérimentation avant la généralisation d’une norme.
Cependant, comment pourrions-nous cautionner cette attaque en règle du principe de précaution ? Il n’est qu’à citer l’exposé des motifs, qui, dans une proposition de résolution, revêt une importance particulière pour éclairer le souhait du législateur : « La montée en puissance du principe de précaution a conduit à restreindre, voire à interdire certaines pratiques agricoles et notamment l’utilisation de certaines substances utilisées dans le traitement des cultures, » – dit-on pudiquement ! – « conduisant parfois à de réelles impasses techniques qui entraînent des abandons de production. » C’est faux !
Est également attaqué le verdissement de la PAC – comme si c’était un problème ! –, alors même que c’est une porte de salut pour de nombreux agriculteurs, qui vont enfin pouvoir être rémunérés pour les services environnementaux et écosystémiques qu’ils fournissent à la collectivité. En revanche, il est vrai que les dossiers administratifs sont d’une lourdeur insupportable pour les agriculteurs, en particulier pour les petits exploitants.
M. Rémy Pointereau. Pour tout le monde !
M. Joël Labbé. En particulier pour les petits exploitants ! Ils ont moins de moyens !
L’agriculture biologique et les agricultures alternatives de qualité génèrent très peu de normes puisqu’elles respectent les équilibres écosystémiques, la biodiversité, la qualité de l’eau, de l’air, des sols et la santé. La seule contrainte, qui est une contrainte choisie et acceptée, c’est le respect du cahier des charges.
J’aborderai enfin un dernier point, à mon sens le plus gênant, dont je suis convaincu qu’il emportera la conviction des grands juristes présents dans cet hémicycle. En effet, la proposition de résolution « invite le Gouvernement à faire adopter un plan de simplification des normes agricoles par le Conseil supérieur d’orientation de l’économie agricole et alimentaire, qui serait rendu opposable à l’ensemble des ministères et dont il serait rendu compte de l’exécution devant le Parlement ». Une telle disposition – un plan issu d’une instance consultative qui serait rendu opposable aux ministères – s’apparenterait à un dessaisissement sans précédent des pouvoirs exécutif et législatif au profit d’une instance non élue. C’est évidemment inacceptable.
Il n’en reste pas moins qu’il y a grand besoin de simplifier l’ensemble du système normatif, qui est d’une lourdeur administrative très contraignante, en particulier pour les petits agriculteurs.
Le groupe écologiste votera contre cette proposition de résolution.
M. Jean Bizet. Encore !
M. Joël Labbé. Absolument !
Je conclurai en citant une nouvelle fois un extrait de l’ouvrage de la journaliste d’investigation Isabelle Saporta…
M. Jean Bizet. Ah !
M. Joël Labbé. … intitulé Foutez-nous la paix !
M. Jean Bizet. À qui ?
M. Joël Labbé. « Ils sont éleveurs d’agneaux de pré-salé ou de poules de Marans, fabricants de beaufort ou de roquefort, vignerons. Vous mangez leurs viandes, leurs fromages. Vous dégustez leurs vins. Leurs produits sont servis sur les plus grandes tables du monde. Et pourtant ils sont harcelés par un délire de normes. Quant à l’agrobusiness,…
M. Jean Bizet. Il ne manquait plus que lui !
M. Joël Labbé. … il attend tranquillement son heure. Son arme pour mettre à mort ces défenseurs des terroirs ? Les asphyxier sous d’innombrables normes formatées par et pour les multinationales. Ceux qui résistent ne demandent qu’une seule chose : qu’on cesse d’assassiner en toute impunité la France de la bonne chère. » (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, indiscutablement, la norme, le règlement affectent la compétitivité de l’économie française. L’enjeu est fort pour l’agriculture. C’est la raison pour laquelle, avec Henri Cabanel, nous nous sommes impliqués dans le travail que Daniel Dubois et Gérard Bailly ont mené pendant près d’un an. À la suite du rapport qu’ils ont rédigé et qui comprend une contribution spécifique de notre part, nous avons cosigné cette proposition de résolution. Nous estimons en effet que l’enjeu est important, qui plus est dans le contexte actuel difficile de l’agriculture française. En outre, nous partageons pour l’essentiel les recommandations formulées.
Certains points méritent cependant d’être nuancés, précisés, d’autres d’être complétés ou corrigés. C’est particulièrement vrai pour l’exposé des motifs de ce texte. Il n’est pas juste de laisser entendre que peu ou pas grand-chose a été fait par le Gouvernement en matière de simplification.
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. Franck Montaugé. Le relèvement des seuils du régime d’autorisation ou d’enregistrement de la procédure ICPE a été acté, la réduction du délai de recours des tiers également ; la déclaration unique est expérimentée ; la mise en place de l’azote total a permis de sortir certains bassins des zones d’excédent structurel.
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. Franck Montaugé. Les négociations avec l’Union européenne ont permis d’adapter l’application de la directive Eau.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Oui !
M. Franck Montaugé. Les aides à la création de réserves d’eau ont été rétablies en 2013, par Philippe Martin, alors ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. En 2015, le Gouvernement a précisé les conditions de soutien de ces projets par les agences de l’eau.
M. Franck Montaugé. Une feuille de route de la simplification a été mise en place par le ministère de l’agriculture, qui traduit la mise en œuvre d’une politique d’ensemble en matière de simplification.
Le Comité de rénovation des normes en agriculture, le CORENA, créé par le Gouvernement au mois de mars 2016, en est la traduction.
M. Marc Daunis. Oui !
M. Franck Montaugé. Notre collègue Odette Herviaux, missionnée par le Premier ministre, vient de lui remettre un rapport d’excellente facture qui avance des propositions précises et extrêmement positives en matière de simplification, d’approches nouvelles de l’élaboration de la norme ou de mise en œuvre pratique.
Le CORENA est paritaire : la profession agricole et les principaux ministères y sont représentés. Il s’agit donc d’un comité spécialisé. Intégrer la problématique de la simplification des normes agricoles dans les attributions du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, le CSO, conduirait probablement à marginaliser cette problématique. En outre, rien n’empêche le CSO de s’appuyer sur les travaux du CORENA.
M. Marc Daunis. C’est vrai !
M. Franck Montaugé. Nous avons aussi une divergence d’interprétation sur la question de la surtransposition des normes de l’Union européenne, lesquelles, on le sait, constituent 80 % à 90 % des normes applicables à l’agriculture. Le ministre nous dira ce qu’il en est exactement, mais ces pratiques ont été arrêtées en 2012.
Mme Odette Herviaux. Absolument !
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Franck Montaugé. Je constate aussi que, quand nous demandons aux professionnels des exemples manifestes de surtransposition, ils nous répondent plutôt sur les procédures d’interprétation et d’application régionales et départementales.
Mme Odette Herviaux. Exactement !
M. Franck Montaugé. Ce qui pose davantage question que l’hypothétique surtransposition nationale, c’est la production des normes européennes et la manière dont les instances européennes entendent se saisir de la question de la simplification des normes en agriculture. Tous les pays membres ne conçoivent pas la notion de simplification de la même manière. La Commission européenne elle-même parle de réduction du nombre de textes à appliquer. Certains pays y voient la perspective d’une déréglementation tous azimuts leur laissant la liberté de produire n’importe quoi, n’importe comment.
Quoi qu’il en soit, Henri Cabanel et moi-même considérons que la simplification des normes agricoles européennes doit être placée en priorité haute dans l’agenda de la PAC, qu’elle doit figurer dans la PAC post-2020 comme un objectif explicite au même titre que la définition et la mise en œuvre d’outils de gestion des risques agricoles et tout particulièrement des risques de marché.
Nous estimons par ailleurs que la norme et le règlement européens peuvent et doivent être développés – ce qui est absent de ce texte – dans le cadre d’une stratégie d’influence internationale ayant pour but de soutenir l’activité économique française. Les discussions sur le CETA et le TTIP illustrent parfaitement ce propos. Les IGP, AOP, AOC et autres signes de qualité illustrent ce que la norme peut offrir de mieux au producteur. Reste que ces démarches doivent être intégrées dans une stratégie nationale, voire européenne.
Si la norme peut être vécue par nos agriculteurs comme une contrainte, elle a ou peut aussi avoir des effets positifs, il faut le dire. Dans un monde judiciarisé, où l’exigence de qualité et de sécurité alimentaire va grandissant, elle protège et peut aussi constituer un facteur de différenciation, un avantage comparatif,…
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. Franck Montaugé. … pour peu que cette approche soit intégrée dans une stratégie de filière adaptée à la conquête des marchés et aux exigences du consommateur.
La simplification des normes comme facteur de compétitivité, oui, certainement ! La norme comme moyen de protection, de conquête et de développement, donc de compétitivité, oui, aussi ! Ne sommes-nous pas en retard dans ce domaine ? Je le pense. En d’autres termes, il s’agit de savoir comment utiliser les règlements et normes pour conquérir et protéger nos marchés, comment faire de la simplification des règlements concernant l’agriculture et les industries agroalimentaires une priorité, voire un des objectifs premiers de l’agenda de la réforme de la PAC, et de déterminer la stratégie pour y parvenir.
À cet égard, je crains que les principes ultralibéraux qui dictent les politiques européennes ne limitent la portée de l’indispensable révision du processus d’élaboration des normes européennes en agriculture.
Ces points importants ne sont pas abordés dans la proposition de résolution, ce que l’on peut regretter. Je note également que les thèmes du compte pénibilité et de la complémentaire santé obligatoire sont abordés dans l’exposé des motifs sans être repris dans le texte soumis à notre vote. Pour nous, la question est plus celle de l’application, de la mise en œuvre pratique – et si possible simple – de ces dispositifs que celle de leur justification sociale, laquelle, je le précise, n’est pas discutée dans l’exposé des motifs.
Au final, nous considérons que ce texte, compte tenu des remarques que je viens de formuler, constitue une démarche de plus vers une prise en compte au plus haut niveau – en particulier à l’échelon européen – de l’enjeu de compétitivité, de qualité et de développement auquel sont confrontées, dans leurs diversités, nos agricultures. Le Gouvernement a démontré sa volonté de progresser dans ce sens. Sauf à demeurer dans l’incantation, il convient maintenant de construire à l’échelon européen une démarche collective politiquement efficace.
Les rencontres à Bruxelles de la Commission européenne et de la COPA-COGECA m’ont fait comprendre que le chemin pourrait être long et difficile. Dans ces conditions, faisons cause commune à l’échelle française d’abord, au-delà de nos divergences, pour soutenir les agriculteurs qui nous le demandent. Pour cette raison, Henri Cabanel et moi-même, en tant que cosignataires, voterons ce texte. Le groupe socialiste et républicain s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Alain Bertrand et Henri Tandonnet applaudissent également.)
M. Marc Daunis. Excellente intervention !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 1992, les réformes successives de la PAC ont visé, l’une après l’autre, à promouvoir une politique agricole « plus juste, plus verte et plus simple ». Qu’en est-il aujourd’hui dans nos campagnes ? Force est de constater que nos agriculteurs partagent très largement un sentiment de colère et d’exaspération : une « dérive normative » entrave bel et bien le développement de nos exploitations au point que certains baissent les bras et cessent leur activité prématurément. Cette proposition de résolution s’en fait l’écho auprès de la représentation nationale. Elle constitue une initiative ô combien bienvenue.
Mon propos vise à apporter au débat un éclairage européen sur un point : les travaux du groupe de travail sur les marchés agricoles, ou task force. Pour mémoire, cette task force a été mise en place au mois de janvier 2016 par le commissaire européen Phil Hogan, rassemblant douze experts représentant tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Sa tâche a consisté à formuler des propositions concrètes améliorant la position des agriculteurs.
Dans le rapport publié le 14 novembre dernier, un grand nombre de sujets différents sont abordés : la transparence des marchés, la gestion des risques, les relations contractuelles, les marchés à terme, l’accès au financement. Au demeurant, l’étendue des questions traitées souligne l’ampleur des difficultés auxquelles sont malheureusement confrontés nos agriculteurs.
Examiné sous l’angle de la réduction des normes agricoles, le rapport de la task force présente des propositions ambitieuses simplifiant les règles de la concurrence applicables à la PAC. On notera, en particulier, la demande d’une dérogation générale pour le secteur agricole en matière d’entente, sur le modèle du système américain, le Capper-Volstead Act.
La task force souligne également fort justement l’absence de prise en compte des spécificités agricoles par les différentes autorités nationales de la concurrence. Ce point a été mis en évidence par les travaux de la commission des affaires européennes du Sénat, dès 2013. J’ai rédigé un rapport sur ce point, qui m’a valu les critiques du président de l’Autorité de la concurrence de l’époque.
En outre, le rapport fait valoir que les règles actuelles n’apportent pas une sécurité juridique suffisante aux agriculteurs, du fait de leur ambiguïté. Forte de ce constat, la task force considère que ces règles mériteraient d’être clarifiées, estimant que les organisations professionnelles devraient davantage être reconnues comme des véhicules essentiels pour lutter contre la fragmentation des producteurs.
Ce rapport, qui a fait l’objet d’un accueil très largement positif, marque ainsi une évolution importante, dont nous pouvons nous féliciter. En effet, en proposant d’adapter le droit de la concurrence aux spécificités agricoles, tout en le simplifiant, est fait le choix de revenir à la lettre et à l’esprit des traités européens de 1957. Ce point est fondamental, je l’ai récemment souligné auprès du commissaire Phil Hogan.
En définitive, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de résolution soulignent fort justement qu’une très large partie du problème de la prolifération normative se situe à l’échelon national, c'est-à-dire en France. Au-delà du ministère de l’agriculture, qui pratique une concertation approfondie avec nos agriculteurs et leurs représentants depuis toujours, c’est l’ensemble de notre appareil administratif qui doit s’imposer une « révolution copernicienne ». En effet, dans une conjoncture aussi difficile, la compétitivité de nos exploitations doit désormais primer dans l’esprit de chacun.
Pour toutes ces raisons, je soutiens la proposition de résolution, dont je félicite les cosignataires et salue le travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ferme France est performante. Malheureusement, elle doit affronter « la maladie de la norme », à laquelle les territoires ruraux sont tout particulièrement sensibles. Cette proposition de résolution aborde donc une thématique qui cristallise le monde rural dans son ensemble, les normes.
Dès la mise en place du groupe de travail sur les normes en matière agricole, nous avons relayé nos objectifs auprès de la profession agricole de nos territoires. Les différentes réponses obtenues ont mis en évidence la pertinence de la question normative, qui suscite au mieux de l’incompréhension, au pire un véritable rejet.
Notre monde économique est réglementé, normé, assurant la reconnaissance de la qualité de nos produits agricoles, protégeant nos territoires et notre modèle agricole. Cet « encadrement » a contribué à la réussite de notre agriculture depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, avec la montée en puissance des exigences environnementales et sanitaires, depuis les années soixante-dix, l’inflation normative est devenue exponentielle.
On accuse l’Europe d’être à l’origine de cette inflation, à dessein certes, mais les pouvoirs publics peuvent être tentés de surtransposer certaines dispositions. La profession agricole demande que les normes s’appuient sur le niveau imposé par les normes européennes, mais pas au-delà. En respectant cette règle, nous pourrions enregistrer une réduction des contraintes et une simplification des procédures.
Ainsi, dans le secteur de l’élevage, les seuils retenus pour la nomenclature des installations classées sont plus bas que les seuils européens. L’impact financier est réel, et l’on comprend aisément les conséquences des normes sur les restructurations des petites exploitations. Imagine-t-on le temps consacré aux charges administratives ? Selon les filières, cela peut représenter jusqu’à un tiers du temps de travail !
Chaque norme ou réglementation s’accompagne d’une étude d’impact, d’autorisations administratives, de procédures longues et coûteuses, de la crainte de contrôles et de sanctions parfois disproportionnées. Pas moins de dix corps de contrôle sont susceptibles d’intervenir, parfois de manière redondante, avec des calendriers de contrôle inadaptés aux contraintes pratiques des agriculteurs. La question de l’amélioration de l’approche des contrôles est primordiale. Plus d’accompagnement, de pédagogie, de coordination entre les différents organismes : tout doit être mis en œuvre pour éviter la sanction.
La gestion de l’eau constitue un autre secteur sensible aux normes et règlements et est source de contentieux. Je ne prendrai que cet exemple patent : l’entretien des cours d’eau. L’« empilage » réglementaire conduit à des démarches d’autorisation incompatibles, même pour de simples opérations d’entretien. Que faisaient nos anciens ?
Des agriculteurs et des élus ont été condamnés pour non-respect de règles administratives disproportionnées.
Nous sommes tous favorables à la préservation paysagère, naturelle et patrimoniale. Gardons tout de même un peu de bon sens !
Je pourrais citer d’autres exemples liés à des investissements importants obérés par des contraintes administratives et réglementaires.
On constate une vulnérabilité face à l’inflation normative ou réglementaire, imprévisible, déstabilisante, d’autant qu’aux normes spécifiques il convient d’ajouter les normes dites transversales, comme le compte pénibilité totalement inadapté au monde agricole.
Je partage pleinement les considérants de cette proposition de résolution. Les agriculteurs attendent une nouvelle approche dans l’élaboration des normes et des réglementations. Il convient de développer une coconstruction entre l’administration et la profession agricole pour une réglementation pragmatique applicable, économiquement soutenable, en veillant à s’assurer de l’absence de surtransposition et de l’utilisation des marges de manœuvre laissées par la législation européenne.
De même, il est indispensable d’analyser systématiquement les coûts et bénéfices de la réglementation envisagée, de procéder à des études d’impact économique, d’approfondir les outils alternatifs pour atteindre les objectifs, enfin, de prévoir des expérimentations.
Peu importent les termes employés – simplification, réduction, allégement, adaptation –, il faut avant tout une volonté politique très forte. Nous avons déjà fait des propositions dans la proposition de loi sénatoriale en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Poursuivons en ce sens.
Monsieur le ministre, si nous arrivons à régler cette question, nous libérerons le monde agricole d’un poids énorme, tant du point de vue de la charge de travail, que psychologiquement, et favoriserons la compétitivité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les agriculteurs sont avant tout des chefs d’entreprise. À ce titre, comme le reste des acteurs économiques français, ils souffrent de l’excès de réglementation. Ils n’en peuvent plus de l’empilement des textes européens ou franco-français chaque jour plus nombreux, contraignants, tatillons, coûteux, qui les placent, souvent à leur insu, dans l’illégalité.
Je pense à cette agricultrice qui, pour préparer ses terrines, est empêchée d’utiliser le thym de son jardin, car il faut que ce thym ait un numéro de lot estampillé à Rungis.
Je pense aussi à cet éleveur de volailles à qui l’on refuse d’agréer son abattoir pour des motifs invraisemblables : « absence de support mural pour l’accrochage de la pelle servant pour le ramassage des plumes » ou « présence de trop nombreuses bottes inutilisées dans le vestiaire ».
Je pense encore à cet agriculteur contraint de laisser déborder ses fossés, par peur d’une amende, ne sachant quelle règle appliquer, celle qui l’oblige à curer ses fossés ou bien celle qui lui interdit formellement de curer les cours d’eau.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Gérard Longuet. C’est très bien vu !
Mme Pascale Gruny. Cette overdose normative est mal vécue dans les exploitations agricoles, qui restent avant tout des petites entreprises ne disposant pas en interne de moyens suffisants pour maîtriser parfaitement l’ensemble de la réglementation applicable. Et pour cause ! Quand on choisit le métier d’agriculteur, c’est d’abord pour travailler la terre, pas pour passer quinze heures par semaine à étudier le droit !
M. Rémy Pointereau. Tout à fait !
Mme Pascale Gruny. Il est donc plus que temps d’entendre la détresse du monde agricole et d’y répondre en proposant un véritable choc de simplification.
Comme le suggère la proposition de résolution que nous examinons, il faut d’abord agir à l’échelon européen. Si la Commission européenne affiche régulièrement sa volonté de simplification, dans les faits, le bilan est plutôt décevant, comme en témoignent les difficultés de mise en œuvre de la PAC actuelle. La France devra donc peser de tout son poids dans la définition de la future PAC, afin d’en simplifier les modalités. Elle devra pour cela se montrer plus offensive et cesser de s’illustrer par les absences répétées de son ministre de l’agriculture à Bruxelles.
Je souhaite aussi que l’on remette sur la table le projet de taxe carbone aux frontières de l’Europe. À quoi sert-il d’imposer à nos agriculteurs des normes toujours plus drastiques si l’on continue dans le même temps d’ouvrir nos frontières à des produits venant de pays qui n’en imposent aucune ?
Il faut ensuite agir à l’échelon national. Le coût de la complexité des normes en France est colossal : 60 milliards d’euros selon l’OCDE ! On ne peut plus se contenter de simples moratoires ou de petits allégements ponctuels. Il faut un changement de méthode radical !
La simplification doit d’abord être érigée en priorité nationale. Encore faut-il que le Gouvernement en accepte la réalité. Monsieur le ministre, je vous ai interpellé à ce sujet, ici même, au mois de mars dernier. Vous vous étiez alors offusqué que l’on ne vous donne pas d’exemples concrets de normes à simplifier. Je vous ai adressé un courrier en ce sens au mois de juin. J’attends toujours votre réponse…
M. Charles Revet. Incroyable !
Mme Pascale Gruny. Le plan de simplification proposé par la proposition de résolution me paraît indispensable pour supprimer l’ensemble des normes inappropriées et réécrire plus lisiblement celles qui resteront en vigueur.
Nous avons aussi besoin d’une nouvelle approche dans l’adoption des normes, en stoppant l’inflation normative, en généralisant les études d’impact et les expérimentations et en assouplissant le principe de précaution.
Il ne pourra y avoir de grande invention agricole demain si nous continuons à nous enfermer dans la défiance et la suspicion. Commençons par exiger que chaque norme qui interdit un produit ou une pratique agricole prévoie un délai suffisant pour trouver une solution de substitution.
Enfin, il faut en finir avec les surtranspositions des textes européens. On attend de la France qu’elle cesse d’être la championne de l’excès de zèle et devienne plutôt la championne de la compétitivité agricole.
En conclusion, mes chers collègues, c’est un chantier ambitieux qui nous attend. Il en vaut la peine, s’il permet en fin de compte à nos agriculteurs de se consacrer pleinement et à plein temps à leur vrai métier. Parce que nous voulons réaffirmer notre profond attachement à l’agriculture française et notre croyance dans son avenir, nous soutiendrons sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
MM. Rémy Pointereau et Charles Revet. Très bien !