M. Didier Guillaume. Allez voir à l’hôpital !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. En tout état de cause, ce relâchement des efforts en dépenses intervient dans un contexte où la France affiche un ratio des dépenses publiques par rapport au PIB supérieur de 8,2 points à la moyenne de la zone euro. En outre, sur la durée, la progression des dépenses publiques a été plus dynamique en France que chez nos partenaires européens, puisqu’elle a été d’environ 2 % par an entre 2011 et 2015, contre une moyenne de 1 % dans les autres pays de la zone euro.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette progression des dépenses publiques, deux fois supérieure à la moyenne des autres pays de la zone euro pour la période 2011-2015, explique le déficit de la France que l’on constate aujourd’hui.
Au total, mes chers collègues, le déficit de l’État est tout simplement attendu, en 2017, à 69 milliards d’euros. C’est sans doute une amélioration, mais une amélioration artificielle de 3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2016. En effet, cette estimation ne neutralise pas une recette de 4 milliards d’euros, liée à un simple jeu d’écritures : on a décidé de verser la trésorerie dont l’État disposait sur la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur, la COFACE, sur le nouveau compte de commerce « Soutien au commerce extérieur ». Autrement dit, ce n’est pas une nouvelle recette : c’est un simple mouvement de crédits, qui aurait normalement dû être traité comme un changement de périmètre.
En tout état de cause, comme je l’ai rappelé en introduction, la commission des finances estime que le déficit de l’État sera bien plus dégradé que la présentation du projet de loi de finances ne le laisse penser.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2017 n’est pas acceptable, non seulement au regard des choix qu’il traduit pour l’année prochaine, mais aussi, et c’est sans doute un élément fondamental, compte tenu des très nombreuses charges qu’il fait peser sur le budget de l’État pour les années à venir. Non seulement ce budget témoigne d’un clair dérapage des dépenses de l’État, mais, au surplus, le Gouvernement prend de nombreux engagements qui contraindront les dépenses et les recettes de l’État en 2018 et au-delà.
Par exemple, le passage de 6 % à 7 % du taux du CICE, auquel nous aurions préféré une baisse des charges, n’aura aucun impact budgétaire en 2017. En revanche, il diminuera le produit de l’impôt sur les sociétés de 1,6 milliard d’euros en 2018 et de 3,1 milliards d’euros à l’horizon de 2021.
De même, la baisse du taux d’impôt sur les sociétés à 28 % grèvera le budget de l’État de 1,45 milliard d’euros en 2018 et de 7 milliards d’euros en 2021, sans aucun impact en 2017.
De façon similaire, la prorogation du crédit d’impôt pour la transition énergétique, le fameux CITE, et son cumul avec le dispositif d’éco-prêt à taux zéro, ou éco-PTZ, auront un coût budgétaire quasi nul en 2017 – 1 million d’euros –, mais qui s’élèvera à 1,7 milliard d’euros dès 2018. Il s’agit donc bien d’une démarche pluriannuelle.
Cette liste n’est pas exhaustive. Il faut également mentionner l’extension du crédit d’impôt sur le revenu pour les particuliers employeurs qui concernera en premier lieu les retraités. Cette mesure, qui n’aura aucune incidence budgétaire en 2017, devrait coûter 1,1 milliard d’euros à compter de 2018, voire davantage si l’on se réfère à l’estimation réalisée par la direction générale du Trésor en 2014. Vous répondiez pourtant à M. François Marc, qui avait déposé un amendement sur ce sujet, si ma mémoire est bonne, que tout cela était trop coûteux…
Il en est de même du crédit d’impôt au profit des associations et établissements sociaux, introduit par voie d’amendement, qui devrait entraîner une perte de recettes de 600 millions d’euros. L’an passé, lors de l’examen des amendements en séance publique, vous nous disiez pourtant, monsieur le secrétaire d’État, que nous n’en avions pas les moyens.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. N’êtes-vous pas en train de lire la note de M. Carrez ? Ce sont les mêmes chiffres, dans le même ordre…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Que Gilles Carrez et moi ayons les mêmes chiffres me semble plutôt rassurant, monsieur le secrétaire d’État.
Manifestement, la perspective des échéances électorales change la donne aujourd’hui. Ce qui était trop coûteux hier devient bizarrement possible à la veille d’échéances électorales.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Vous devriez aussi lire Le Monde ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Au total, le Gouvernement propose des mesures en recettes dont le coût croîtra de manière exceptionnelle pour atteindre 12 milliards d’euros à l’horizon de 2021.
On pourrait imaginer que ces baisses d’impôt à effet budgétaire différé s’accompagnent, en contrepartie, d’une réduction de la dépense publique. Il n’en est rien, comme je l’ai montré sur la question de la masse salariale. Pis, le Gouvernement ajoute des dépenses nouvelles pour les exercices à venir.
Ainsi, la budgétisation du troisième programme d’investissements d’avenir a de quoi surprendre : aucun crédit de paiement n’est prévu en 2017, alors que l’on parle de milliards d’euros. Seules des autorisations d’engagement sont inscrites au budget de l’État, ce qui permet au Gouvernement d’afficher un effort de 10 milliards d’euros en faveur d’investissements de long terme sans dégrader le solde budgétaire d’un centime.
En outre, on ne cesse d’annoncer des dépenses nouvelles, généralement pluriannuelles. Ainsi, l’annonce, par le Président de la République le 27 octobre dernier d’une augmentation de 1 milliard d’euros des moyens liés aux opérations de rénovation urbaine ne pèsera qu’à hauteur de 15 millions d’euros en crédits de paiement en 2017. Le reste devra être décaissé à partir de 2018.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Si vous suivez bien la note, vous devriez maintenant parler des prisons !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. De même, dans le cadre du très beau plan de lutte contre la surpopulation carcérale (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.), quelque 1,16 milliard d’euros ont été engagés, mais sans aucun décaissement des crédits de paiement en 2017. Encore une charge reportée sur 2018…
Je pourrais multiplier les exemples. Au total, ce sont 12 milliards d’euros de dépenses qui pèseront sur les exercices postérieurs à 2017.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Lisez aussi Le Monde, monsieur le rapporteur général. Tous les chiffres sont en page 6 ! (Mêmes mouvements.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Encore une fois, monsieur le secrétaire d’État, je trouve très rassurant que Gilles Carrez, Le Monde et moi-même ayons les mêmes chiffres !
Les dépenses vont aller croissant à l’avenir, alors que les impôts, eux, devraient se réduire étrangement dans un mouvement de ciseaux qui, bien évidemment, dégradera encore nos finances publiques.
Mes chers collègues, le présent projet de loi de finances comprend près de 25 milliards d’euros de charges qui pèseront sur les années postérieures à 2017, dont plus de 8 milliards d’euros dès 2018. Il s’agit d’une forme de détournement du principe de l’annualité budgétaire, selon lequel « le budget décrit, pour une année, l’ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l’État ».
Le Gouvernement avait renoncé, à juste titre, me semble-t-il, à nous présenter un projet de loi de programmation des finances publiques cet automne. On peut toutefois se demander si ce cadre pluriannuel n’aurait pas été nécessaire tant ce projet de loi de finances préempte l’avenir en multipliant les crédits d’impôt – j’en ai cité un certain nombre, mais l’Assemblée nationale en a augmenté bien d’autres ; je pense notamment à la prorogation du CITE qui, à elle seule, coûte 1,6 milliard d’euros.
J’en viens, pour finir, aux finances des collectivités territoriales. Sur ce sujet, le projet de loi de finances pour 2017 s’inscrit dans la continuité des précédents et peut se résumer en un mot : « rustines ». Les finances locales sont un bateau qui prend l’eau de toutes parts et dont vous essayez de colmater les brèches.
La baisse brutale de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, dénoncée par le Sénat, a placé certaines communes dans des situations intenables, alors que, chaque année, vous demandez aux collectivités territoriales de financer une hausse de la péréquation verticale et modifiez les critères de répartition.
Aujourd’hui, la baisse des dotations, comme l’avait souligné le rapport d’information sur l’évolution des finances locales à l’horizon 2017, entraîne une baisse inédite de l’investissement. Vous en avez d’ailleurs pleinement conscience, raison pour laquelle vous mettez en place, dans l’urgence, un fonds de soutien pour éteindre l’incendie que vous avez vous-même allumé.
La DGF est devenue encore plus illisible. Vous vous débattez avec les « DGF négatives » que vous avez créées et avec des systèmes d’écrêtement qui ne fonctionnent plus. L’année dernière, le Gouvernement avait proposé une réforme qui, faute de concertation, n’a pu aller à son terme. Le présent projet de loi de finances prend acte de son abandon.
Même le mécanisme des « variables d’ajustement » ne fonctionne plus. On aboutit aujourd’hui à une situation absurde : vous financez la hausse de la péréquation par des ponctions sur les territoires les plus fragiles.
Le Président de la République s’était engagé à apporter une solution pérenne au financement par les départements des allocations individuelles de solidarité. Or la réalité est tout autre : le projet de loi de finances rectificative, que nous examinerons dans quelques jours, se borne à mettre en place des fonds « exceptionnels ».
Je pourrais encore continuer, mais le temps qui m’est imparti touche à son terme. En 2017, l’État impose aux collectivités locales 900 millions d’euros de dépenses supplémentaires pour la seule fonction publique territoriale.
En conclusion, l’examen très attentif du projet de loi de finances montre qu’un très grand nombre de ses articles, au-delà de quelques mesures techniques, ne peuvent recueillir notre assentiment.
Les dispositions proposées en matière de fiscalité des ménages ou des entreprises ne sont pas à la hauteur des enjeux, après un quinquennat marqué par des hausses de prélèvements au détriment des actifs, des familles, des collectivités locales et des investisseurs, désorientés par les changements de régimes fiscaux qui nuisent à la compétitivité de notre pays.
Ce budget pour 2017 est un budget de campagne, fondé sur un retour hypothétique du déficit public à 3 % du PIB en 2017. Sa sincérité est donc plus que contestable.
M. Daniel Raoul. Il faut conclure !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Les deux années passées, nous avions adopté un projet de loi de finances très sensiblement modifié, avec nombre d’amendements, mais nos propositions n’avaient pas été retenues.
M. François Marc. On ne pouvait pas faire pire !
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Vous ne laissiez même pas de quoi payer les fonctionnaires !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette année, le projet de loi de finances présente en outre des défaillances structurelles auxquelles le cadre fixé par l’article 40 de la Constitution et la loi organique relative aux lois de finances ne nous permet pas de remédier.
Au-delà de ces aspects, le Sénat ne peut non plus débattre d’un projet de loi de finances contraire au principe d’annualité budgétaire…
M. Didier Guillaume. Le Sénat peut en parler, mais pas en débattre !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … et qui obère les marges de manœuvre de la prochaine majorité gouvernementale.
Telles sont les raisons, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour lesquelles la commission des finances vous propose d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable à l’ensemble de ce projet de loi de finances et de rejeter ainsi le texte dans sa totalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, ainsi donc le Sénat s’apprête à rejeter en bloc le projet de loi de finances pour 2017 en lui opposant la question préalable, à l’issue d’une discussion générale dilatée dont les modalités d’organisation inhabituelles ne suffiront pas à occulter le fait que la majorité du Sénat renonce à sa fonction de législateur.
La motion tendant à opposer la question préalable est prévue par notre règlement. Elle est un outil comme un autre à la disposition des assemblées. Comme vous l’avez souligné, le Sénat à majorité de gauche a recouru à cette procédure à l’occasion de l’examen d’une loi de finances rectificative, en 2012.
Toutefois, pour une assemblée parlementaire élue au suffrage universel, renoncer à examiner la loi de finances de l’année, s’interdire d’autoriser la perception des impôts et d’allouer les crédits aux différentes politiques publiques, voilà un renoncement singulier !
Je connais bien sûr les limites que les institutions de la Ve République fixent aux pouvoirs du Parlement en matière budgétaire. En l’espèce, je ne vois pas en quoi elles auraient pu entraver la majorité sénatoriale pour laquelle les impôts sont trop élevés et l’État dépense trop.
Rien dans la Constitution ni dans les lois organiques n’empêche le Parlement de voter des économies ou de baisser les impôts. Rien ne vous aurait empêché de présenter des amendements pour réduire les crédits là où vous l’auriez jugé utile – et nous aurions été curieux de savoir où… –; rien ne vous aurait empêché de baisser certains impôts, voire d’en supprimer.
Le cadre juridique actuel n’empêche pas le Sénat de peser sur le contenu des lois de finances. L’année dernière, la copie du Sénat était très différente de celle de l’Assemblée nationale et la commission mixte paritaire avait échoué.
Cela n’avait pourtant pas empêché l’Assemblée nationale d’adopter 28 articles dans la rédaction du Sénat, de confirmer la suppression de 6 articles votée par le Sénat, de reprendre 10 articles introduits par le Sénat et de conserver, dans 26 articles, des modifications apportées par le Sénat. Il y a donc eu un apport de la Haute Assemblée, total ou partiel, sur 70 articles. La navette est utile et vous décidez pourtant de ne rien proposer cette année.
Les contraintes qui s’imposent à la majorité sénatoriale ne sont pas principalement juridiques. Pour ma part, sans verser dans la politique-fiction, je suis résolument opposée à tout ce qui peut conduire à une pratique des institutions dans laquelle le Parlement occupe une place secondaire, dans laquelle les parlementaires sont priés de remiser leur droit d’amendement. Je ne pourrai jamais me résoudre – nous l’avons évoqué ensemble, monsieur le président – à ce que le Sénat soit placé sur un strapontin institutionnel.
Aujourd’hui, pourtant, la Haute Assemblée s’apprête à amputer un pan significatif de la vie démocratique de notre pays. Chaque année, plus de 200 sénateurs participent au débat sur la loi de finances de l’année, un temps fort pour toutes les forces vives de nos territoires : 82 rapporteurs pour avis ont travaillé, sans parler des rapporteurs spéciaux et de notre rapporteur général qui, cette année encore, se sont mobilisés pour que la commission des finances examine le texte dans ses moindres détails. Qu’ils en soient remerciés, cette année peut-être plus que les autres, puisqu’ils auront déployé leur énergie en vain, pour rien.
Je voudrais aussi que chacun mesure ce que la majorité sénatoriale s’apprête à rejeter en bloc.
Nous n’examinerons pas les moyens du plan d’urgence pour l’emploi ni les mesures en faveur de la jeunesse et de l’emploi des jeunes avec, par exemple, la généralisation de la Garantie jeune, les crédits supplémentaires pour le service militaire adapté des jeunes ultramarins ou encore la montée en puissance du service civique.
Nous n’examinerons pas la réduction d’impôt sur le revenu de 20 % en faveur des classes moyennes, qui bénéficiera à 7 millions de foyers fiscaux, non plus que l’amélioration de l’avantage fiscal accordé aux retraités modestes pour les aider à recourir à des aides à domicile, ni les nouvelles mesures de revalorisation de la situation des anciens combattants et des supplétifs.
Nous n’examinerons pas l’effort financier en faveur des agriculteurs, dont les 480 millions d’euros prévus pour le nouvel allégement de cotisations sociales, non plus que les 216 millions d’euros prévus pour le financement des contrats de ruralité qui viennent s’ajouter à l’augmentation de la dotation d’équipement des territoires ruraux – la DETR –, qui va désormais représenter environ un milliard d’euros. Pourtant, si j’ai bien compris, tout le monde se réjouit de ces mesures !
Nous n’examinerons pas les modalités du retour de l’État dans le financement des projets portés par l’ANRU ni la première tranche du milliard d’euros annoncé en faveur du nouveau programme de rénovation urbaine.
De même, nous n’examinerons pas les financements en faveur de l’aide au développement qui atteignent pourtant un montant record cette année, ni les mesures de soutien à la transition énergétique.
Nous n’examinerons pas les 11 802 créations de postes dans l’éducation nationale qui permettront de tenir l’engagement de créer 55 000 postes en cinq ans.
Nous n’examinerons pas non plus les mesures permettant de mieux rémunérer les enseignants, dont le triplement de l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves.
Les 100 millions d’euros destinés à permettre aux universités de faire face à la pression démographique ne seront pas examinés, pas plus que la nouvelle aide aux étudiants boursiers qui finissent leurs études sans emploi, ainsi que la généralisation des aides financières aux boursiers.
Nous n’examinerons pas l’augmentation de 8 % des crédits de l’Agence nationale de la recherche.
Nous n’examinerons pas le budget de la culture, alors qu’il franchit à la hausse le seuil de 1 % du budget de l’État.
Nous n’examinerons pas l’augmentation du taux du CICE qui va alléger les charges des entreprises de 3 milliards d’euros à terme.
Nous n’examinerons pas non plus la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés qui passera à 28 % en 2020 et qui cible prioritairement, sans attendre, les petites entreprises, pas plus que le crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires, tant attendu par le secteur associatif.
Nous n’examinerons pas les moyens supplémentaires accordés aux forces de police et de gendarmerie par le plan pour la sécurité publique et les conséquences financières du protocole de revalorisation de leur rémunération, ni un budget qui accorde à nos armées 600 millions d’euros de plus que ce que prévoyait la loi de programmation militaire dans sa version révisée, qui crée une indemnité pour récompenser les militaires de leur forte mobilisation et exonère d’impôt sur le revenu les primes versées dans le cadre de l’opération Sentinelle.
Le Sénat va aussi renoncer à peser sur un grand nombre de mesures, au premier rang desquelles le prélèvement à la source, au sujet duquel notre commission et son rapporteur général s’étaient pourtant fortement mobilisés.
Je pense aussi, dans le contexte du Brexit et de la promotion de place de Paris, à la taxe sur les transactions financières intrajournalières et aux modalités de distribution d’actions gratuites.
Je pense aussi, bien évidemment, aux finances locales. Nous devrons expliquer à nos électeurs que nous n’avons pas eu notre mot à dire sur l’intégration des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle dans les variables d’ajustement, sur les modalités de répartition du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales en 2017, sur l’affectation aux régions d’une fraction du produit de la TVA, sur la réforme de la dotation de solidarité urbaine ou encore sur l’organisation financière et fiscale de la métropole du Grand Paris.
Selon la majorité du Sénat, les défaillances structurelles de ce projet de loi de finances seraient telles qu’il faudrait renoncer à se prononcer sur chacune de ces composantes.
Ce budget manquerait de sincérité… De quoi parlons-nous ? Le projet de loi de finances repose sur une hypothèse de croissance de 1,5 % en 2016 et en 2017, ramenée à 1,4 % en 2016 par le projet de loi de finances rectificative.
Les prévisions du consensus des économistes se situent à 1,3 % en 2016 et à 1,2 % en 2017. Quelques dixièmes de points de pourcentage n’ont jamais suffi à rendre un projet insincère.
Permettez-moi, pour ramener les choses à leurs justes proportions, d’évoquer le dernier document budgétaire produit par l’ancienne majorité, le programme de stabilité d’avril 2012, présenté juste avant l’élection présidentielle. Il tablait sur une croissance de 1,75 % en 2013, quand le taux réellement constaté s’est établi à 0,2 %.
M. François Marc. Voilà une différence autrement plus importante !
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est pour remédier à ce type de scénarios fantaisistes que nous avons collectivement créé le Haut Conseil des finances publiques.
La majorité sénatoriale critique aussi la trajectoire des finances publiques et met en doute la capacité de notre pays à ramener son déficit public sous le seuil de 3 % du PIB en 2017.
Pour se faire une idée, il aurait été utile que la majorité sénatoriale présente sa propre trajectoire. Aurait-elle retenu l’objectif de 3 % en 2017 ? Ou bien se serait-elle ralliée à une trajectoire désormais au centre du débat public et qui repose sur un déficit public de 4,7 % en 2017, pour un retour hypothétique aux 3 % en 2020 seulement ? À chacun sa cohérence ! Nous savons ce que nous avons subi et supporté, comme l’a souligné M. le secrétaire d’État, pour parvenir à ramener le déficit en dessous de 3 %.
En tout état de cause, rassurez-vous, l’objectif est à notre portée. Pour atteindre 3 % en 2017, il nous faut réduire le déficit de 0,3 point de PIB en un an, voire moins si le résultat de 2016 est meilleur que prévu. Or, depuis le début de la législature, nous avons fait mieux en moyenne chaque année.
Ce constat vaut pour l’État comme pour la sécurité sociale. L’objectif est de réduire le solde des régimes obligatoires de base de 2,8 milliards d’euros en 2017, après 3,2 milliards en 2016 et près de 3 milliards en 2015.
Pourquoi douter des objectifs avancés par le Gouvernement, alors qu’ils se situent dans le prolongement des réalisations passées ? Ce qu’il nous propose aujourd’hui, le Gouvernement l’a réalisé les années précédentes !
Il faudrait surtout, lorsque l’on évoque la trajectoire des finances publiques, saluer le choix de politique économique, constant depuis 2012, de veiller à l’équilibre entre redressement des finances publiques et soutien à l’activité économique.
J’observe tout d’abord que la France ne figure pas dans la liste des huit pays dont l’analyse du projet de budget pour 2017 a suscité des critiques sérieuses de la part de la Commission européenne et nous en sommes heureux.
J’observe surtout que la Commission européenne, le 16 novembre dernier, a incité les États de la zone euro à prendre collectivement leurs responsabilités pour soutenir par le levier budgétaire la politique monétaire mise en œuvre par la Banque centrale européenne.
Tant que l’ensemble des États ne joue pas le jeu collectif, la France s’honore de prendre sa part du soutien à l’activité en Europe. Elle le fait en s’interdisant de conduire une politique budgétaire récessive.
Elle le fait aussi par sa politique de soutien à l’investissement, par les programmes d’investissements d’avenir successifs, par son activisme dans la mobilisation des crédits du plan Juncker, par le plan de soutien à la construction – qui commence à porter ses fruits – ou encore par les mesures successives de soutien à l’investissement local.
Car il faut rendre hommage aux exécutifs locaux et à leur sens des responsabilités. Les dépenses de fonctionnement sont contenues, le levier fiscal est utilisé avec une grande modération et tous les analystes prévoient un redémarrage de l’investissement local, après deux années de baisse dues en grande partie au cycle électoral.
J’en viens à une autre critique adressée à ce budget : il engagerait des dépenses ou des pertes de recettes en repoussant leur financement sur les années suivantes, une fois l’échéance électorale passée.
Cet argument me déconcerte, car, pour ma part, j’aurais critiqué le Gouvernement s’il avait renoncé à se projeter dans l’avenir et à fixer un cap à son action.
Je poserai la question autrement : si les électeurs envoyaient à l’Assemblée nationale une majorité différente en juin prochain, la majorité sénatoriale proposerait-elle de supprimer les mesures dont elle critique aujourd’hui le coût ?
Proposeriez-vous de revenir sur la baisse de l’impôt sur les sociétés à l’horizon de 2020, sur la prorogation du CITE ou sur l’élargissement du crédit d’impôt en faveur des particuliers employeurs ? Proposeriez-vous de revenir sur les gains procurés aux entreprises par l’augmentation du taux du CICE et de supprimer le crédit d’impôt en faveur des associations ? Je ne le crois pas, car ce sont de bonnes mesures. Comme vous ne voulez pas le reconnaître, vous préférez rejeter en bloc le budget.
L’examen de ce budget en commission a été marqué par un paradoxe. La majorité du Sénat trouve qu’on ne fait pas assez d’économies, mais ne veut pas dire où elle les ferait.
De nombreux rapporteurs ou orateurs de la majorité ont mis en évidence des manques de moyens et ont appelé, pour ce motif, à rejeter des missions. Si bien qu’on ne sait pas si la majorité sénatoriale pense qu’il y a trop de crédits, pas assez de crédits, trop d’économies, pas assez d’économies... J’observe d’ailleurs que la commission des finances a proposé l’adoption de trente-six missions sur cinquante-deux.
Mon seul commentaire sera de constater que cette indécision contraste avec les résultats obtenus par le Gouvernement depuis 2012.
Les finances de l’État n’ont pas dérapé depuis cette période. Bien au contraire, en 2017, hors charge de la dette et pensions, les dépenses de l’État seront inférieures de 5 milliards d’euros à leur niveau de 2012. En 2017, le déficit de l’État sera inférieur de 17 milliards d’euros à son niveau de 2011 et de plus de 5 milliards d’euros à celui de 2012.
Tout en consolidant les finances publiques, le Gouvernement a gouverné. Il a fait des choix, financé ses priorités et préparé l’avenir : 60 000 postes ont été créés dans l’éducation et dans la recherche ; les moyens de la police et de la gendarmerie ont crû de 11 % sur le quinquennat ; l’accès des plus pauvres à la justice a été amélioré par la suppression du droit de timbre et par l’élargissement de l’accès à l’aide juridictionnelle ; en trois ans, 1 600 magistrats ont été recrutés – en 2017, comme en 2016, l’École nationale de la magistrature accueillera 280 élèves, contre 105 en 2009 et en 2010.
L’absence de marges de manœuvre budgétaire n’a pas non plus empêché de transformer notre système fiscal.
Nous avons amorcé le « verdissement » de notre fiscalité en l’accompagnant d’une plus grande progressivité des prélèvements obligatoires reposant sur les ménages et d’un allégement des charges supportées par les entreprises.
Le CICE et le pacte de responsabilité prévoient 40 milliards d’euros d’allégements des prélèvements acquittés par les entreprises. La TVA sociale, votée à la toute fin du précédent quinquennat, ne prévoyait que 13,2 milliards d’euros…
La prime pour l’emploi a été supprimée et remplacée l’année dernière par la prime d’activité. On prédisait un taux de recours très faible, comparable à celui de l’ancien RSA « activité ». Or il est de plus du double : 4 millions de personnes en avaient bénéficié au 30 juin 2016.
Les baisses cumulées d’impôt sur le revenu, ciblées sur environ 12 millions de ménages modestes ou appartenant aux classes moyennes, atteindront 6 milliards d’euros en 2017.
Mes chers collègues, il y a les paroles et il y a les actes. La majorité sénatoriale nous reproche souvent de la renvoyer au bilan du quinquennat précédent, trop lointain et relevant de circonstances différentes. Nous aurions pu renouveler l’exercice et confronter le bilan et les projets de l’action du Gouvernement à un autre projet, celui de la majorité sénatoriale. Au lieu de cela, mes chers collègues, ceux d’entre vous qui ont été désignés iront à l’Assemblée nationale rendre une copie blanche en commission mixte paritaire. Peut-être nos collègues députés nous offriront-ils un café ? (Sourires.)
Parce que je soutiens l’action du Gouvernement, parce que je ne me résous pas à ce que le Sénat renonce à tenir sa place dans les institutions, je m’opposerai résolument à la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)