Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme Annick Billon. Cela pourrait prendre la forme d’un élargissement de l’indignité à la succession du conjoint dans le cas de violences, y compris de violences n’ayant pas entraîné la mort.
Madame la ministre, mes chers collègues, le combat contre les violences conjugales est inachevé, c’est une évidence. Gageons que la prochaine fois que nous nous réunirons sur le sujet, ce sera pour constater une amélioration notable de la situation. D’ici là, encourageons et accompagnons les acteurs concernés afin qu’ils puissent poursuivre leurs efforts sur le terrain dans un cadre uniforme au niveau national. Je ne doute pas que le rapport de notre délégation y contribuera. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la présidente de la délégation, madame la ministre… Je pense qu’il faut remercier nos dix collègues de sexe masculin qui nous font l’amitié d’être parmi nous. (Sourires et applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. Alain Gournac. Ah ! Bravo !
Mme Corinne Bouchoux. C’est le Sénat à l’envers ! L’hémicycle du Sénat, une assemblée qui compte 25 % de femmes, est aujourd'hui composé à 80 % de sénatrices… Pourquoi faut-il, sur ce sujet qui concerne tout le monde – les auteurs sont à 95 % de sexe masculin et les victimes sont très souvent des femmes –, que ce soient toujours aux mêmes de s’exprimer ?
Puisque le Sénat n’examinera pas les crédits de votre ministère cette année, madame la ministre, et que nous ne siégerons pas le 8 mars en raison des élections, je voudrais profiter de ce débat pour vous remercier sincèrement, ainsi que la présidente Jouanno, pour le travail qui a été mené sur ce dossier. Je persiste à croire que si nous pouvions travailler sur tous les sujets de façon aussi constructive et posée qu’à la délégation aux droits des femmes, la France irait mieux et les débats seraient plus sereins, y compris dans cette assemblée.
Tout ayant été dit dans les trois interventions précédentes – je partage tout à fait les propos de mes collègues – et l’excellent rapport, que j’invite tout le monde à lire, ayant été synthétisé de manière très pertinente, j’insisterai simplement sur deux points.
Premièrement, il n’est pas toujours nécessaire de faire plus de lois. Appliquons les textes qui existent et consacrons-leur des moyens ! C’est, me semble-t-il, une remarque de bon sens.
Deuxièmement, le phénomène des violences conjugales est complexe et systémique. Il se situe sur un continuum de violences faites à un individu, le plus souvent à une femme. C’est pourquoi la lutte contre les violences conjugales commence avec la prime éducation, aussi bien à l’école qu’en famille.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Maryvonne Blondin. Absolument !
Mme Corinne Bouchoux. Sans doute suis-je une utopiste – sur certaines travées aujourd’hui clairsemées de cet hémicycle ces idées ne plairont peut-être pas –, mais si nous parvenions à éduquer les enfants dans nos familles avec moins de préjugés, si nous pouvions lutter contre tous les stéréotypes à l’école – je sais que cela est fait –, nous pourrions davantage nous situer dans la prévention que dans la répression et la réparation. Nous savons à quel point les préjugés sont importants dans les dynamiques de violence.
Cela a été dit, les plans de lutte contre les violences conjugales vont dans le bon sens, mais des choses restent à améliorer. À cet égard, un point nous semble particulièrement important : je veux parler de la formation. Je pense bien évidemment à la formation des acteurs du quotidien – les juges, les policiers, les gendarmes, les travailleurs sociaux, les bénévoles des associations, sans lesquelles nous ne pourrions rien faire –, mais aussi à celle de tous les citoyens. Je rappelle que l’article 51 de la loi d’août 2014 vise à délivrer une formation sur les violences à tous les professionnels qui travaillent sur ces questions. L’objectif est de développer la connaissance des dispositifs existants et la capacité à évaluer la vraisemblance du danger. Il est parfois compliqué de ne pas s’immiscer dans la vie privée ; en effet, comment dénoncer sans s’immiscer ? Enfin, il convient de veiller à ne pas mettre la victime en présence de l’auteur.
Sur ce dernier point, des idées contre-productives ont parfois circulé. Pour ma part, je voudrais faire une minute de réclame à mon département. Au tribunal de grande instance d’Angers, un dispositif, dont le coût est très raisonnable, permet, grâce à une double captation vidéo, d’effectuer une confrontation entre l’agresseur et la victime sans les mettre à dix centimètres l’un de l’autre. Certains pourraient penser que c’est un peu gadget. Or pas du tout ! Le garde des sceaux a pu constater sur place la semaine dernière que ce dispositif fonctionne très bien. Il serait important que d’autres départements recourent à cette procédure.
Je profite du temps de parole qu’il me reste pour dire que, si les violences faites aux femmes sont un phénomène très grave, dramatique – il existe une journée symbolique pour le rappeler –, il y a un sujet qui n’est pas sans lien avec cette question : ce sont les violences faites aux enfants. Je pense par exemple aux abus sexuels commis sur des enfants. Dans son numéro de décembre, le mensuel Psychologies Magazine lance un appel à rénover les politiques publiques en matière de prise en charge des enfants victimes d’abus sexuels. C’est une cause aussi importante que celle qui nous réunit aujourd'hui, et je sais que vous y serez très sensibles. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, qui est l’un des deux orateurs dans ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. Roland Courteau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on aurait pu croire qu’en ce début de XXIe siècle les violences à l’égard des femmes ne seraient qu’un lointain et mauvais souvenir, c'est-à-dire un mal d’un autre âge… On aurait pu croire qu’à l’aube du troisième millénaire la question des inégalités entre les femmes et les hommes appartiendrait à un lointain passé. La réalité nous rappelle de façon implacable qu’il n’en est rien et que des lois et des plans de lutte sont toujours et encore nécessaires aujourd’hui.
Certes, depuis une dizaine d’années, les choses bougent. Plusieurs lois ont été adoptées, plusieurs plans ont été lancés. Depuis, les tabous sont tombés. Depuis, le voile du silence pour les victimes s’est déchiré. Depuis, les victimes sont mieux protégées, les auteurs plus sanctionnés et la lutte contre les violences au sein des couples est une politique publique à part entière. Nous ne pouvons que nous en réjouir, madame la ministre.
Indubitablement, nous avons avancé, même si, force est de le constater, la délégation aux droits des femmes a relevé des lacunes persistantes dans la prise en charge des victimes, de leurs problèmes et de leurs souffrances. Dès lors, et au-delà des nombreux points positifs apportés par la loi du 4 avril 2006 – pardonnez-moi de rappeler qu’elle est issue d’une proposition de loi déposée sur mon initiative –, la loi du 9 juillet 2010, la loi du 4 août 2014 et les différents plans triennaux, la délégation a souhaité insister sur quelques pistes d’amélioration. Je n’en citerai que quelques-unes.
Je pense plus particulièrement à l’application de l’ordonnance de protection, dont les résultats sont très variables d’un département à l’autre. Nous souhaitons notamment que la convocation de l’auteur des violences se fasse systématiquement par voie d’huissier pour éviter des délais trop longs.
Concernant le téléphone grave danger, qui a déjà sauvé de nombreuses vies, nous souhaitons une augmentation de l’attribution des boîtiers sur tout le territoire. Madame la ministre, j’aurai l’occasion de revenir en décembre sur un autre dispositif électronique prévu par l’article 6 de la loi de 2010, plus précisément dénommé « anti-rapprochement ».
Nous nous sommes également interrogés sur le possible retrait systématique de l’autorité parentale par le juge en cas de meurtre d’un parent par l’autre et demandons au garde des sceaux de diligenter une mission d’information sur ce point.
Nous avons fait un certain nombre de recommandations sur la nécessité de mailler le territoire en solutions d’hébergement sécurisées, adaptées, afin de favoriser le travail de reconstruction physique et psychologique des victimes. Cela passera également par l’accès à des logements pérennes.
Nous devons par ailleurs poursuivre les efforts pour prendre en compte le traitement des violences psychologiques et organiser la formation des professionnels.
Comme le souligne le Haut Conseil à l’égalité, gardons-nous d’oublier les situations de vulnérabilité. Je pense en particulier aux jeunes femmes, aux femmes réfugiées, aux femmes handicapées et, bien sûr, aux enfants. Plus de 70 % des femmes handicapées seraient victimes de violences, le seul fait d’être une femme handicapée multipliant les risques de violences conjugales.
Nous insistons en outre sur une meilleure prise en compte de la situation des enfants victimes à part entière des violences conjugales, et pas seulement témoins. Il y a urgence, pour ces enfants comme pour leurs mères, à renforcer la prise en charge des conséquences psychotraumatiques des violences conjugales, qui peuvent les handicaper à vie. Or force est de constater que le dispositif français présente quelques faiblesses. C’est pourquoi la délégation propose la mise en place dans un premier temps d’un centre de psychotraumatologie par département.
Même remarque concernant le suivi des auteurs de violences, ceux-là mêmes qui pensent que la masculinité se définit par la domination et les droits sur les femmes – et c’est un homme qui vous le dit au nom des hommes ici présents – : des stages de responsabilisation s’avèrent nécessaires, mais la création de centres d’accueil, comme le Cheval bleu, à L’ensemble, ou le Home des Rosati, à Arras, l’est plus encore. Certes, un grand nombre de ces demandes représentent des coûts importants, mais ceux-ci doivent être rapportés au coût global de ces violences, que l’on estime à plus de 3,7 milliards d’euros.
Cela étant, si nous voulons à moyen terme contribuer à éradiquer ce fléau que constituent les violences à l’égard des femmes, une information consacrée à la transmission des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons, à la lutte contre les préjugés sexistes devra être dispensée à tous les stades de la scolarité. C’est une disposition que j’avais contribué à introduire dans la loi de juillet 2010 et qui m’a permis, en quelque dix ans, de rencontrer plus de 12 000 élèves de collèges et de lycées et de les sensibiliser sur ce sujet. En effet, l’égalité des filles et des garçons est la première dimension de l’égalité des chances que l’école doit garantir aux élèves.
Avec la délégation aux droits des femmes, nous avons mené un véritable travail sur l’appréhension et la déconstruction des stéréotypes sexistes, aussi bien dans le monde des jeux et jouets, avec Chantal Jouanno, que dans les manuels scolaires, qui ne sont pas tous forcément des vecteurs d’égalité entre les femmes et les hommes, tant s’en faut. C’est pourquoi vous comprendrez ma stupéfaction en entendant le pape nous indiquer que « les manuels scolaires propagent un sournois endoctrinement à la théorie du genre ». Chers collègues, on peut être pape et mal informé.
L’école publique doit enseigner qu’il ne faut pas hiérarchiser entre un sexe et un autre et qu’il faut lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes.
Puisque nous baignons, hélas, dans les stéréotypes sexistes, sans parfois même nous en rendre compte, nous n’en apprécions que davantage encore le plan d’actions et de mobilisation contre le sexisme que vous avez lancé récemment, madame la ministre. Nous attendons l’annonce par vos soins du cinquième plan interministériel, confiants que nous sommes de sa pertinence au regard des efforts réalisés par le Gouvernement ces dernières années. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Françoise Férat et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question des violences conjugales et des violences faites aux femmes touche toute la société. Cela a été dit, la France connaît 200 000 victimes par an, dont 14 % seulement portent plainte, et 140 000 enfants vivent dans un foyer où ont lieu des violences conjugales. En 2014, on dénombrait 143 décès du fait du conjoint ou ex-conjoint, hommes et femmes confondus. Les femmes étaient au nombre de 118. Il faut ajouter à cela 34 enfants mortellement victimes des violences d’un de leur parent.
Le rapport intitulé 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes couvre un large spectre de la question.
Ces problématiques touchent tous les territoires. Les territoires ruraux, comme le département des Hautes-Alpes, ne sont pas épargnés par ce terrible fléau.
Le dispositif législatif a permis une prise de conscience de la gravité de ce phénomène. Permettez-moi à ce sujet de souligner l’excellent travail conduit par la délégation sous la présidence de notre collègue Chantal Jouanno.
L’ordonnance de protection, créée par la loi du 9 juillet 2010, a élargi les prérogatives du juge aux affaires familiales pour renforcer la protection et la mise à l’abri des victimes de violences, et ce, indépendamment d’une procédure pénale ou de divorce pour contourner l’autocensure des victimes, qui, souvent, n’osent pas porter plainte. En zone rurale, c’est une difficulté non négligeable. En effet, tout le monde se connaît, et les jugements trop hâtifs ou la peur du qu’en-dira-t-on sont un frein supplémentaire pour venir dénoncer les violences commises au sein de la cellule familiale et du couple en particulier. Je tiens d’ailleurs à souligner l’excellent travail réalisé dans les territoires par les forces de l’ordre que sont la gendarmerie et la police et par un maillage de proximité entre l’État, le département et les communes avec des professionnels très bien formés et toujours à l’écoute.
L’application de l’ordonnance de protection s’avère toutefois inégale selon les tribunaux de grande instance. La réticence de beaucoup de magistrats viendrait du fait que l’ordonnance remet en cause d’une certaine manière la présomption d’innocence.
Je voudrais également citer le centre d’information sur les droits des femmes et des familles, qui met en place de nombreuses actions contre les violences conjugales et propose un accueil de jour pour les victimes de violences au sein du couple.
Comme le souligne un rapport d’évaluation et comme me l’ont confirmé les membres du réseau, le manque de structure d’hébergement reste une problématique non résolue à ce jour. En zone rurale, par exemple, il n’existe pas de solution temporaire comme les hôtels. Il est alors impossible de mettre à l’abri des femmes en danger. Pis, face à cette pénurie de logements, comment protéger efficacement les victimes ?
Selon une enquête de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale auprès des services intégrés d’accueil et d’orientation, les SIAO, et des associations qui accompagnent les victimes, il existe quelques difficultés à surmonter pour améliorer la prise en charge. Cette enquête identifie une insuffisance, voire une absence de structures spécialisées dans la prise en charge des victimes de violences conjugales, des difficultés liées à l’évaluation des situations individuelles, un déficit non seulement de convention entre les SIAO et les associations, mais aussi de pilotage global par les services de l’État. Il est donc urgent de garantir un accès à un hébergement d’urgence. À défaut, les différents dispositifs mis en œuvre s’avéreront inefficaces et ne permettront pas aux différents textes de produire les effets attendus.
Enfin, de l’avis général, le dispositif du « téléphone grave danger », ou TGD – un téléphone portable disposant d’un bouton d’urgence et d’une géolocalisation qui renvoie la victime à une plateforme disponible en permanence en cas de danger imminent –, semble être un succès dans la mesure où il a effectivement contribué à sauver des vies. Délivré par le procureur de la République pour six mois renouvelables, ce dispositif fonctionne non seulement parce qu’il est techniquement efficace, mais surtout parce qu’il se base sur un fort maillage territorial associant la police, un opérateur privé, le conseil départemental, les magistrats et les associations. C’est bien la preuve que la lutte contre les violences conjugales fonctionne lorsque toutes les parties sont associées et que l’ensemble des acteurs et des relais est coordonné.
Le problème, là encore, est que ce dispositif, si efficace soit-il, souffre d’inégalités de répartition à l’échelle du territoire national. Pour 2016, le Gouvernement s’était fixé pour objectif de déployer 500 TGD. L’obstacle, on l’aura compris, est principalement financier. Nous le regrettons, car même si le nombre de victimes reste stable, ce phénomène est encore loin d’être endigué.
Je conclurai en évoquant la question – déjà abordée dans le rapport – des observatoires départementaux des violences envers les femmes. Présents dans un faible nombre de territoires, ne faudrait-il pas les généraliser dans les départements ruraux ou comportant des zones isolées ? (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour de la tenue de ce débat. Je tiens tout d’abord à dire que j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur ce rapport, aux côtés de la présidente, Chantal Jouanno, et de mes collègues corapporteurs.
Il me semble que ce rapport peut être utile. J’en ai fait personnellement l’expérience en le présentant à un certain nombre de professionnels et d’élus de mon département du Val-de-Marne. Je pense, en particulier, au président du TGI, à la juge aux affaires familiales, à la bâtonnière, ainsi qu’à la vice-présidente du conseil départemental, chargée de l’observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes, et bien sûr aux associations de terrain. Comme nous, ils ont tous ressenti le besoin de disposer d’un bilan de notre arsenal législatif assez complet, qui comporte quatre plans interministériels de prévention et de lutte – demain verra le lancement d’un cinquième plan – et plusieurs lois traitant de cette problématique. Ensemble, nous avons besoin de comprendre pourquoi, malgré tous ces dispositifs, les violences conjugales continuent d’être un véritable fléau, avatar d’une société patriarcale.
Les chiffres ont été rappelés. Je regrette fortement que les médias en fassent essentiellement état dans la semaine du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) Las, dès le lendemain, les violences ne font plus partie de l’actualité et sont traitées comme de simples faits divers, souvent sous la rubrique des crimes passionnels.
M. Roland Courteau. C’est malheureusement vrai !
Mme Laurence Cohen. C'est la raison pour laquelle je souhaite que ce moment de restitution puisse aider le législateur que nous sommes à améliorer la politique de prévention, de sensibilisation, d’éducation et de sanction des coupables.
Je voudrais centrer mon propos sur quatre points qui me paraissent particulièrement importants à la suite de nos auditions et de nos déplacements.
Tout d’abord, je veux souligner le caractère innovant de l’ordonnance de protection qui peut être obtenue indépendamment du dépôt d’une plainte par la victime. Toutefois, cinq ans après sa mise en place, le bilan de ce dispositif nous semble assez mitigé. Bien évidemment, cela n’enlève rien au caractère particulièrement innovant de cette procédure. La question qui se pose est celle des conditions de sa mise en œuvre : d’une part, sa montée en puissance est assez limitée ; d’autre part, le dispositif soulève certaines difficultés, tant pour les magistrats que pour les victimes.
Dans l’esprit du législateur de l’époque, cette nouvelle mesure visait des objectifs très ambitieux : elle devait permettre de mettre à l’abri, dans les meilleurs délais, une femme en danger sans présager la culpabilité de l’auteur des violences, tout en organisant provisoirement les modalités de la séparation. Cependant, comme le souligne très justement Luc Frémiot, avocat général à la cour d’appel de Douai, l’application des ordonnances de protection varie d’un TGI à l’autre, ce qui risque « d’aboutir, à terme, à une disparité de traitement entre les justiciables ».
Ensuite, même si la loi de 2014 prévoit la délivrance de ces ordonnances dans les meilleurs délais, force est de constater que cela peut également varier d’un département à l’autre : en moyenne, il faut trente-six jours en Seine-Saint-Denis entre le dépôt de la demande au tribunal et la décision du magistrat ; en Val-de-Marne, il faudrait compter environ trois semaines. Ces délais sont longs et peuvent évidemment s’expliquer par un contexte de pénurie des effectifs et d’une justice en souffrance. À quand des moyens dignes d’une justice du XXIe siècle ?
En résumé, ce dispositif est essentiel, mais il faut encore en améliorer la mise en œuvre. Je vous renvoie, faute de temps, à la recommandation n° 1 que nous avons faite.
Le bilan dressé montre que le dispositif de téléprotection « grave danger » permet de sauver des vies. Il répond réellement à des situations d’urgence, ce que ne fait pas, comme nous venons de le voir, l’ordonnance de protection.
Au moment de l’élaboration de ce rapport d’information, on nous avait dit que l’objectif était d’atteindre 500 appareils en circulation sur l’ensemble du territoire national d’ici à la fin de 2016. Je souhaiterais savoir, madame la ministre, si cet objectif sera atteint. Je relaie ici l’une de nos recommandations, à savoir la généralisation de ce dispositif et l’augmentation du nombre de boîtiers existants.
La prise en compte globale du phénomène des violences passe par la prise en charge de l’auteur de ces mêmes violences. Cela apparaît indispensable pour notre groupe de travail, aussi bien en tant que mesure de soins que de prévention de la récidive. Malheureusement, les centres d’accueil pour hommes violents sont très rares en France, contrairement au Canada.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. Je voudrais insister sur un dernier point que je considère comme l’une des recommandations les plus fondamentales, à savoir le besoin de sensibilisation et de formation de tous les professionnels concernés : magistrats, avocats, ensemble des auxiliaires de justice, professionnels de santé, policiers, gendarmes, travailleurs sociaux, associations, personnels de l’éducation nationale – comme cela a été souligné, les enfants sont aussi très souvent les victimes collatérales des violences conjugales.
La délégation a notamment proposé, dans cet esprit de formation renforcée pour les professionnels, qu’un juge référent « violences » soit présent dans chaque cour d’appel. Ce besoin de formation est apparu particulièrement criant lors du procès de Jacqueline Sauvage, montrant, d’une part, que les dispositifs existants ne sont pas forcément adaptés au vécu de ces femmes et, d’autre part, que les relais extérieurs – alors que plusieurs signalements avaient été faits – n’ont pas su, pas pu, pas voulu accompagner jusqu’au bout cette femme et ses enfants avant qu’elle ne commette son acte.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Laurence Cohen. Cette logique a abouti au prononcé d’une peine plus que disproportionnée aux yeux de bon nombre d’entre nous. Il en est résulté cette forte mobilisation pour que le strict cadre légal ne soit pas appliqué et que Mme Sauvage puisse enfin retrouver la liberté.
Je vous invite à consulter les travaux de Muriel Salmona sur la dimension de la mémoire traumatique afin de mieux comprendre la complexité de ce qui se joue pour ces victimes.
Je termine en disant que nous avons également conclu à la nécessaire généralisation des observatoires des violences envers les femmes à l’ensemble des départements, ainsi qu’au renforcement des effectifs de la MIPROF, la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains.
Je lance un appel solennel en faveur des associations, obligées de mettre la clef sous la porte, car privées de subventions. Je pense particulièrement à l’association Regain, structure d’hébergement d’urgence, à laquelle le conseil départemental du Bas-Rhin vient de supprimer son aide financière.
Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux !
Mme Laurence Cohen. Les moyens doivent être à la hauteur, car, au-delà de l’intérêt, disons « social », d’endiguer les violences conjugales, leur coût s’élève à 2,5 milliards d’euros par an selon un rapport intitulé Où est l’argent pour les droits des femmes ? du Haut Conseil à l’égalité, de la Fondation des femmes et du Conseil économique, social et environnemental, notamment. J’en profite pour rappeler que ce même rapport souligne la faiblesse du budget consacré aux droits des femmes – le plus petit budget de tous les ministères –, qui ne représente que 0,006 % du budget général. Même en ajoutant les budgets transversaux concernés, on est bien loin du compte !
Je conclus de façon plus personnelle en rappelant que le groupe CRC a déposé au Sénat, en 2013, une proposition de loi très complète, rédigée en lien avec le collectif national pour les droits des femmes, afin de lutter contre toutes les violences faites aux femmes. Il convient en effet d’adopter une loi-cadre, à l’instar de l’Espagne.
J’espère, mes chers collègues, que nous allons contribuer, à travers ce rapport, à faire reculer le fléau des violences conjugales et que nous serons nombreuses et nombreux à nous rendre à la manifestation nationale du 25 novembre, à l’appel des associations féministes et des organisations syndicales et politiques progressistes. Nous devons être mobilisés au niveau institutionnel, mais aussi dans la rue ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC. – Mme Christiane Kammermann et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a fait des droits des femmes l’une de ses priorités. Parmi les actions transversales menées pour l’égalité femmes-hommes, la lutte contre les violences faites aux femmes constitue une véritable politique qui intègre en son sein celle contre les violences conjugales.
Je rappelle que la MIPROF a été mise en place en 2013.
En 2014, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a renforcé les dispositifs légaux et permis l’avènement de nouveaux moyens tels que la mise en œuvre d’une ordonnance de protection pour garantir la sécurité des victimes et leur maintien, autant que faire se peut, au domicile conjugal. Toutefois, le bilan de cette mesure est encore trop limité, malgré une certaine amélioration, si j’en crois l’étude récente du Haut Conseil à l’égalité. Il faut en effet clarifier et simplifier la cohérence juridique de ce dispositif et développer les offres d’hébergement sur tous les territoires, urbains et ruraux.
Il y a aussi la généralisation du dispositif de téléphone grave danger, si importante pour le maillage territorial, mais cela demande aux associations qui en ont la charge des investissements et des financements importants.
Je rappelle également le doublement des intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries et la formation des professionnels à l’accueil des victimes pour les accompagner réellement dans le dépôt de plainte. Comme vous l’avez souligné, madame Jouanno, les victimes ont souvent honte et seulement 14 % d’entre elles franchissent le pas.
Enfin, les collectivités territoriales s’engagent activement dans cette lutte par des conventions et protocoles départementaux spécifiques et permettent l’adaptation de ces dispositifs au plus près non seulement des territoires, mais aussi des femmes.
Rappelons également que la France a ratifié la convention d’Istanbul en juillet 2014. Il incombe aux États parties de lutter contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes en prenant des mesures pour les prévenir, pour protéger les victimes et poursuivre les auteurs. Ce traité international – le premier juridiquement contraignant – engage les États à agir de manière efficace. Le GREVIO, organe d’experts indépendants, est chargé de suivre la mise en œuvre effective du traité dans les États concernés. Comme je viens de l’apprendre, la France fera l’objet d’une procédure de suivi et d’une évaluation des mesures législatives prises en la matière à l’automne 2017.
En dépit de toutes ces mesures, les chiffres sont là. Force est de constater que ce phénomène ne connaît pas de baisse suffisamment significative, même si, chaque année, la date du 25 novembre permet de raviver un peu les consciences, de manière trop éphémère. Arte diffuse justement ce soir un documentaire sur les violences faites aux femmes.
Le Haut Conseil à l’égalité souligne, dans un rapport du mois de septembre dernier, que le budget spécifique consacré aux droits des femmes, en dépit du développement de politiques en faveur de l’égalité aux niveaux national et local, demeure restreint : 27 millions d’euros en 2016, soit 0,33 euro par habitant, contre 0,54 euro en Espagne, alors que le seul coût estimé des violences faites aux femmes dans notre pays est de 2,5 milliards d’euros par an ! Les associations, véritables piliers dans cette lutte contre les violences conjugales, manquent encore des moyens suffisants pour remplir leurs missions.
Ce bilan du quatrième plan, certes inachevé, est prometteur. Il s’agit là d’un enjeu central pour notre société du XXIe siècle dans un contexte international violent et nuisible aux droits des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Christiane Kammermann et M. Marc Laménie applaudissent également.)