compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

M. Bruno Gilles.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité.

Conformément à l’article 9 du règlement, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été invitée à présenter des candidatures.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

3

Dépôt de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport portant sur les conditions de revalorisation du montant de la pension de retraite du régime des cultes et le rapport sur la couverture du risque de change.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Le premier a été transmis à la commission des affaires sociales, le second à la commission des finances.

4

Décision du conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 4 novembre 2016, une décision relative à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’absence de nullité en cas d’audition d’une personne gardée à vue après avoir prêté serment (n° 2016-594 QPC).

Acte est donné de cette communication.

5

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle
Discussion générale (suite)

Liaison ferroviaire Paris-aéroport Charles-de-Gaulle

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle (projet n° 861[2015-2016], texte de la commission n° 78, rapport n° 77).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion du présent projet de loi est une étape importante dans la réalisation du projet Charles-de-Gaulle Express, ou CDG Express, indispensable pour améliorer le lien entre le centre de Paris et le principal aéroport de l’agglomération parisienne, au bénéfice du dynamisme de celle-ci. La mise en service du CDG Express, à la fin de 2023, permettra de relier directement, en vingt minutes, l’aéroport Charles-de-Gaulle et la gare de l’Est.

Le projet est sous-tendu par deux enjeux principaux : l’attractivité économique et touristique de l’Île-de-France et le développement durable. Chacun comprend aujourd’hui toute l’importance de renforcer l’attractivité économique et touristique de notre pays et de sa capitale, à l’heure où le Gouvernement déploie tous ses efforts pour maintenir Paris au rang de première destination touristique au monde.

Le projet CDG Express est également un atout pour la candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et de l’Exposition universelle de 2025. Ainsi, l’échéance d’une mise en service à la fin de 2023 répond non pas à un calendrier prévisionnel, mais à un impératif inhérent au projet lui-même.

Quant au développement durable, je dois ici rappeler que la croissance actuelle du nombre de passagers aériens de l’aéroport Charles-de-Gaulle n’autorise pas le statu quo : les accès à l’aéroport – autoroutes Al et A3 ou RER B – sont déjà largement congestionnés, et la cohabitation entre les voyageurs du quotidien et les voyageurs aériens dans le RER B ne permet pas aujourd’hui de proposer le meilleur service aux habitants des territoires concernés.

Créer la liaison Charles-de-Gaulle Express, c’est offrir un service qui favorisera l’usage des transports en commun plutôt que celui de la route pour l’accès à l’aéroport, en portant leur part de 44 % aujourd’hui à plus de 60 % à l’horizon de la mise en service.

Cette évolution s’appuie sur une véritable complémentarité avec les projets du Nouveau Grand Paris.

Le projet Charles-de-Gaulle Express est pensé pour les voyageurs aériens voulant rejoindre Paris sans arrêt, en disposant d’emplacements pour les bagages et d’informations multilingues.

Les autres lignes – notamment le RER B et la nouvelle ligne 17 du Grand Paris Express – doivent, quant à elles, profiter pleinement aux voyageurs du quotidien et à la desserte fine des territoires de ce quart nord-est de l’Île-de France dont la dynamique économique et démographique est très importante.

Je le redis, la ligne Charles-de-Gaulle Express ne saurait être réalisée au détriment des transports du quotidien, et notamment des 900 000 voyageurs quotidiens du RER B. Les engagements figurant dans le projet – près de 130 millions d’euros sont prévus pour la réalisation de travaux sur les infrastructures existantes empruntées par le RER B, la ligne K du Transilien et les TER Picardie – témoignent de leur prise en compte. Ce montant s’ajoute aux 500 millions d’euros déjà investis pour le RER B en 2013, avec des effets très visibles au quotidien, et au milliard d’euros prévu dans le nouveau schéma directeur du RER B, en cours de mise en œuvre.

Dans tous les cas, le travail se poursuit avec le syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, et les opérateurs exploitant ces lignes pour définir plus en détail les conditions d’exploitation permettant d’assurer le maintien de la qualité de service du RER B et des autres lignes, avec notamment une meilleure gestion des situations perturbées. La concertation avec les acteurs du territoire méritera également d’être poursuivie, afin de les rassurer sur ce point.

De la même manière, l’insertion architecturale et urbaine du projet fait l’objet d’une attention particulière, afin de préserver et d’améliorer le cadre de vie des riverains. Les élus et populations concernés sont et seront étroitement associés à la définition des aménagements, portant notamment sur la protection contre le bruit ou l’articulation du projet avec les aménagements urbains prévus par la Ville de Paris.

Le projet a déjà bénéficié d’une déclaration d’utilité publique en 2008. Compte tenu des évolutions du montage, du coût et du financement du projet intervenues, une enquête publique modificative a eu lieu entre le 8 juin et le 12 juillet derniers.

La commission d’enquête a remis tout récemment un avis favorable au projet, assorti de deux réserves.

En premier lieu, elle demande l’établissement d’une grille de circulation, confirmant l’absence d’impact sur le fonctionnement des lignes existantes – RER B et lignes K et H du Transilien. J’ai déjà signalé l’engagement pris pour aboutir à ce résultat avec le STIF et les opérateurs.

En second lieu, elle demande l’établissement d’un plan de financement, avec une répartition chiffrée selon les modalités prévues.

Le nouveau montage économique, prenant acte de l’échec de la concession privée en 2011, repose sur la séparation des missions de construction de l’infrastructure et d’exploitation du service de transport ferroviaire. Le texte qui vous est soumis vise à établir les fondements législatifs qui rendront possible ce projet dans le cadre de ce nouveau montage, validé par la Commission européenne.

D’une part, c’est à une société de projet, filiale à créer entre SNCF Réseau et Aéroports de Paris, que sera confiée la mission de conception, de construction, de financement et d’entretien de l’infrastructure. L’article 1er tend donc à ratifier l’ordonnance publiée le 18 février 2016, qui permet principalement à l’État de signer en gré à gré un contrat de concession de travaux avec la société de projet à créer, associant SNCF Réseau et ADP, et, le cas échéant, un tiers investisseur.

D’autre part, la mission d’exploitation du service de transport ferroviaire sera attribuée par l’État à un opérateur ferroviaire.

L’article 2 permet donc à l’État de désigner l’exploitant par voie d’appel d’offres selon les mêmes modalités que celles qui ont été retenues pour le réseau de transports du Grand Paris Express.

Concernant la société de projet, la mobilisation et l’engagement, en tirant tous les enseignements du passé, des deux opérateurs concernés, ADP et SNCF Réseau, sont apparus incontournables pour la réussite de ce projet : pour ADP, le gestionnaire de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, la réalisation de ce dernier est une condition fondamentale de son développement ; SNCF Réseau, le gestionnaire des infrastructures ferroviaires, doit être impliqué, compte tenu de la nature du projet.

En ce qui concerne SNCF Réseau, la loi portant réforme ferroviaire, promue par le Gouvernement et promulguée à l’été 2014, a veillé à sécuriser sa trajectoire financière, en instaurant une « règle d’or » qui lui interdit de financer des investissements de développement tant que son endettement n’aura pas été maîtrisé.

Cette règle est nécessaire, quand on sait à quel point le lancement simultané de quatre projets de ligne à grande vitesse a contribué, ces dernières années, à accroître cet endettement de près de 5 milliards d’euros. Le décret correspondant est actuellement soumis à l’avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, à la demande du Conseil d’État.

Mais soyons clairs : le champ d’application de la « règle d’or » ne doit pas faire l’objet d’une approche trop restrictive. Je rappelle les spécificités du projet Charles-de-Gaulle Express : son calendrier est connu et ne peut souffrir de retards, au vu des enjeux ; il comprend une part importante d’investissements de renouvellement et d’amélioration de la performance du réseau existant, tant sur les voies où circulera le Charles-de-Gaulle Express que sur d’autres voies, les deux tiers de l’investissement, soit près de 1 milliard d’euros, devant être réalisés dans les emprises ferroviaires existantes, notamment pour améliorer la robustesse du réseau existant ; par ailleurs, la participation de SNCF Réseau, de l’ordre de 200 millions d’euros, prend la forme d’un apport de fonds propres à une société de projet, avec un montant et des risques très réduits par rapport à ce qu’ils auraient été si l’établissement public industriel et commercial SNCF Réseau avait dû assumer lui-même l’investissement ; enfin, je confirme – il n’est pas question de revenir sur ce principe – que le projet ne bénéficiera d’aucune subvention publique.

M. Philippe Dallier. Cela aurait été possible.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. La mobilisation de SNCF Réseau, dans ce modèle, est donc incontournable, mais il n’est pas question, pour un projet d’une telle importance, avec les délais que l’on connaît, de prendre des risques juridiques aussi importants. C’est la raison pour laquelle l’intégration dans ce texte d’une dérogation explicite à la règle d’or est indispensable à la réalisation même du projet. Tel est le sens de l’amendement déposé par le Gouvernement, que je soutiendrai tout à l’heure.

On me dit que la crédibilité du Parlement ne lui permet pas de voter une telle disposition : j’ai, de mon côté, le sentiment que, au contraire, le Parlement est seul à pouvoir décider, en responsabilité, de l’application concrète qu’il entend donner à cette règle et de la pertinence de prévoir une dérogation pour un cas très spécifique, dans l’intérêt de la nation.

Avec un tel montage, le financement du projet repose essentiellement sur la billetterie, qui permettra de payer les coûts d’exploitation du service et les péages ferroviaires au gestionnaire d’infrastructure.

Les résultats de la modélisation indiquent néanmoins que les ressources financières tirées de la billetterie ne seront pas suffisantes. Parmi les solutions envisagées pour boucler le financement, la création d’une taxe dédiée prélevée sur les voyageurs aériens est à l’étude. Cette taxe aurait vocation à ne s’appliquer qu’aux seuls passagers de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, hors correspondances.

Je puis vous informer dès aujourd’hui d’une première décision du Gouvernement : la taxe sur les billets d’avion ne sera perçue qu’à compter de la mise en service de la ligne Charles-de-Gaulle Express, au début de l’année 2024. Le Gouvernement fera connaître dans les prochains jours le mode de financement alternatif qui viendra se substituer à la taxe initialement prévue pour la période comprise entre 2017 et 2023. Ces dispositions seront inscrites dans le projet de loi de finances rectificative.

De nombreuses étapes importantes du projet Charles-de-Gaulle Express ont pu être franchies au cours des derniers mois, grâce à la mobilisation de tous les acteurs. L’adoption du présent projet de loi sera un moment essentiel pour la mise en œuvre de cette liaison, dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Si nous manquons cette occasion, l’amélioration de la liaison entre l’agglomération parisienne et son plus grand aéroport international ne pourra être envisagée avant de nombreuses années, peut-être des décennies.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère vous avoir convaincus de voter ce projet de loi, pour assurer la réussite d’un projet dont chacun peut mesurer l’importance en termes d’attractivité économique et touristique et de développement durable. (Mme Nicole Bonnefoy applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Louis Nègre, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi a été examiné par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable le 26 octobre dernier. Trois éléments principaux sont ressortis de nos débats ; ils ne vont pas tout à fait dans votre sens, monsieur le secrétaire d’État !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Cela ne m’a pas échappé !

M. Louis Nègre, rapporteur. Le premier est que ce texte marque un élan nouveau dans l’histoire chaotique du CDG Express. Lancé au début des années 2000, ce projet a connu pendant près d’une décennie le sort réservé aux grands chantiers d’infrastructures dans notre pays : il s’est enlisé…

À force d’atermoiements, nous nous trouvons aujourd’hui contraints d’agir dans l’urgence. La question n’est plus de savoir s’il faut construire ou non le CDG Express : il n’y a pas d’autre option crédible pour faire face à la croissance de l’aéroport, répondre aux besoins spécifiques des passagers aériens et s’inscrire dans une démarche de développement durable.

M. Louis Nègre, rapporteur. À l’heure actuelle, l’absence de ligne dédiée reliant notre capitale au plus grand aéroport de France, le second d’Europe, constitue une anomalie française. Ce déclassement par rapport aux standards internationaux nuit au prestige de la France et à son image, ainsi qu’à la qualité du service rendu aux voyageurs. De plus, l’asphyxie croissante des autoroutes A1 et A3 et la saturation du RER B hypothèquent directement l’avenir de Paris-Charles-de-Gaulle face à ses concurrents.

Un sondage mené par le ministère des affaires étrangères auprès de ses ambassades a montré que la qualité de l’accès à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle est le premier facteur nuisant à notre réputation à l’international. L’enjeu économique est important pour la région parisienne, sachant qu’un million de passagers supplémentaires représentent 400 millions d’euros de valeur ajoutée et 4 500 emplois, dont 1 400 emplois directs.

Au-delà des seuls flux touristiques, l’attractivité de Paris se mesure également à sa capacité à attirer des événements ou des activités liés à son rôle de métropole mondiale, à commencer par l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et de l’Exposition universelle de 2025.

Plus largement, la qualité des connexions est déterminante pour notre clientèle d’affaires et risque de peser dans les éventuels choix de relocalisation post-Brexit de certaines entreprises, pour lesquels nous sommes en concurrence avec des villes comme Milan, Francfort ou Dublin.

Enfin, cette liaison contribuera également au respect de nos engagements en faveur du climat. Elle permettra le retrait de la route de 71 millions de véhicules-kilomètres dès 2025 et contribuera par là même à la réduction de la pollution de l’air en Île-de-France.

Pour toutes ces raisons, la commission est favorable à la réalisation de ce projet d’intérêt général, dont les bénéfices s’apprécieront dans le temps long.

Le deuxième élément concerne la mise en œuvre du projet. Le nouveau montage juridique, qui sépare les missions de construction, d’une part, et d’exploitation, d’autre part, ne pose pas de problème dans son principe, d’autant qu’il a reçu l’aval des autorités européennes. L’attribution de gré à gré par l’État de la construction de l’infrastructure à une société de projet est compensée par la mise en concurrence de l’exploitation du service de transport ferroviaire.

La dérogation au monopole attribué en droit interne à SNCF Mobilités pour l’exploitation des lignes du réseau ferré national constitue, en quelque sorte, une anticipation bienvenue du quatrième « paquet » ferroviaire ! Elle permettra à Transdev, à la RATP ou à des opérateurs étrangers de faire acte de candidature et suscitera ainsi une saine émulation, pour le plus grand bien des passagers.

Le seul risque porte sur l’avantage concurrentiel dont pourrait bénéficier SNCF Mobilités, en tant que gestionnaire des gares. Une clarification sur ce point sera nécessaire avant l’engagement de toute procédure de mise en concurrence, pour éviter qu’un éventuel contentieux ne retarde la mise en service de la ligne ou ne pénalise la SNCF.

Au total, la commission a surtout cherché à faciliter la mise en œuvre juridique de ce montage en sécurisant une éventuelle participation de la Caisse des dépôts et consignations au capital de la société de projet. Elle a également adopté un amendement visant à allonger le délai pour le recours à la procédure spéciale d’extrême urgence pour procéder à des expropriations, afin de favoriser la recherche d’accords amiables.

En ce qui concerne la mise en œuvre opérationnelle du projet, la commission a exprimé quelques inquiétudes au regard de son impact pour les usagers du RER B. En effet, le CDG Express empruntera vingt-quatre kilomètres de voies existantes servant notamment de ligne de secours lorsque le fonctionnement du RER B rencontre un problème sur son sillon principal. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières a d’ailleurs émis des réserves sur la faisabilité de l’intégration au trafic de quatre trains par heure circulant à 160 kilomètres à l’heure sur ces voies déjà sollicitées. J’ai bien noté que vous aviez pris acte de cette difficulté, monsieur le secrétaire d’État.

Au-delà de la disponibilité des sillons, l’autre question essentielle est celle des perturbations, notamment lorsqu’une situation dégradée conduira le RER B à emprunter les voies du CDG Express. Ce risque a été perçu : une enveloppe de 125 millions d’euros a été ajoutée au projet pour financer les investissements nécessaires à la bonne gestion de ces situations, qui concernent cependant à peine 2 % des trains du RER B, soit environ 10 trains par jour sur 550.

Il n’en reste pas moins que l’insatisfaction des usagers du RER B persiste. Malgré les efforts déployés au cours des dernières années – unification de la ligne, rénovation du matériel roulant, remise en état de l’infrastructure –, leur « ressenti » au quotidien ne s’est guère amélioré. Il faudra donc bien veiller, monsieur le secrétaire d’État, à prendre en compte les besoins des voyageurs du quotidien. Au sein de la commission Mobilité 21, nous en étions tous convaincus.

Le troisième élément a trait au plan de financement, qui reste problématique. Le coût de l’infrastructure est estimé à 1,4 milliard d’euros hors taxes aux conditions économiques de 2014 et celui des équipements nécessaires, dont le matériel roulant, est évalué à environ 285 millions d’euros. Nous regrettons que la répartition des 400 à 500 millions d’euros de fonds propres entre ADP, SCNF Réseau et, éventuellement, la Caisse des dépôts et consignations ne soit pas encore claire à ce stade.

Surtout, la commission a supprimé la dérogation à la « règle d’or » sur l’endettement de SNCF Réseau. Une telle dérogation, introduite avant même que cette règle d’or ne soit effective, est inacceptable dans son principe même. Il y va de la crédibilité du Parlement, monsieur le secrétaire d’État : nous ne pouvons pas voter une règle aussi importante – tout le monde en est bien conscient – pour la maîtrise des finances du système ferroviaire et ne pas l’appliquer à la première difficulté !

Le Sénat et son rapporteur ne sont pas des girouettes. La loi votée doit s’appliquer,…

M. Philippe Dominati. Très bien !

M. Louis Nègre, rapporteur. … sauf à déconsidérer l’action des parlementaires et à mettre en cause leur sérieux. Au vu de l’explosion de l’endettement du système ferroviaire, la règle d’or est, selon moi, une mesure impérieuse de salubrité publique. Ne pas l’appliquer à la première occasion, quelle que soit la bonne raison invoquée, signe une vision de la gestion des deniers publics qui n’est pas la mienne.

Cette position est d’ailleurs partagée par le régulateur indépendant, l’ARAFER, qui insiste sur le fait que « l’esprit de la loi portant réforme ferroviaire commande de couvrir la participation de SNCF Réseau au capital de la société de projet par des financements publics », sauf, je le répète, à dévoyer cette règle d’or dont nous avons tous soutenu l’adoption en 2014.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement doit assumer ses responsabilités et ne pas déroger à la règle qu’il a lui-même introduite. Certes, le droit actuel interdit à l’État de subventionner directement ce projet, mais nous faisons pleinement confiance à Bercy et à son ingéniosité financière reconnue…

M. Vincent Capo-Canellas. Faire confiance à Bercy…

M. Louis Nègre, rapporteur. … pour proposer d’autres solutions plus respectueuses des engagements du Parlement.

L’autre problème tient à la création envisagée d’une taxe de 1 euro par passager au départ et à l’arrivée de l’aéroport, hors correspondances. Cette contribution d’équilibre doit permettre de lever près de 1 milliard d’euros de dette sur les marchés, dans la mesure où les seules recettes du Charles-de-Gaulle Express, avec un prix du billet fixé à 24 euros, ne permettraient pas de couvrir l’intégralité des coûts.

Actuellement, les compagnies aériennes font face à une concurrence extrêmement forte. Leurs marges de manœuvre sont très faibles. Au regard du prix d’un billet d’avion, on s’imagine souvent qu’une taxe de un ou deux euros par passager serait relativement indolore. En réalité, pour certaines compagnies, la marge moyenne s’établit aujourd’hui à cinq euros par siège. Elles ne pourraient pas répercuter cette taxe dans le contexte actuel.

En conséquence, nous suggérons un autre schéma.

D’une part, nous proposons d’affecter au CDG Express le surplus de recettes produit par la taxe de solidarité.

M. Roger Karoutchi. Mais cela ne fait que trois sous…

M. Louis Nègre, rapporteur. Depuis 2015, cette taxe est écrêtée et le surplus, d’un montant d’environ 10 millions d’euros, est actuellement reversé au budget général.

D’autre part, nous proposons de solliciter en complément les finances d’Aéroports de Paris. Le groupe affiche d’excellents chiffres et redistribue 60 % de son résultat net sous forme de dividendes, soit environ 260 millions d’euros en 2015. La moitié de ces dividendes revient d’ailleurs à l’État, actionnaire majoritaire d’ADP. Ce partenaire, directement intéressé à la réussite du projet, dispose de la solidité financière nécessaire pour abonder ce qui nous apparaît être un investissement relais de croissance pour le groupe. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit d’une condition fondamentale de son développement.

Pour conclure, sous ces quelques réserves, nous souhaitons clairement que le projet aboutisse.

Avec 65 millions de voyageurs accueillis en 2015, l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle est notre première frontière internationale : il est la porte d’entrée et la première image de notre pays. Nous devons faciliter le développement de notre industrie touristique et honorer notre tradition d’accueil en offrant à nos visiteurs un service de transport digne des plus grandes capitales, mais en respectant quelques principes qui fondent, en particulier, la crédibilité du Parlement : j’y tiens ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui vise à la ratification de l’ordonnance permettant la création d’une ligne de train dédiée pour relier directement, sans aucun arrêt intermédiaire, l’aéroport Charles-de-Gaulle au centre de Paris d’ici à 2023.

L’objectif est que les touristes et les acteurs économiques puissent utiliser ce train à haut niveau de service pour rejoindre la capitale en vingt minutes. En sens inverse, les usagers de l’aéroport pourraient s’y rendre depuis Paris sans se préoccuper d’éventuels retards. Le RER B, deuxième ligne la plus empruntée d’Europe avec ses quelque 900 000 passagers par jour, ne correspondrait pas aux standards de qualité attendus.

Les membres du groupe écologiste ont quatre remarques à formuler sur ce projet.

Tout d’abord, concernant le RER B, malgré un plan, annoncé il y a quelques années, qui promettait monts et merveilles, avec cinq ans de travaux et 650 millions d’euros de budget, la situation est toujours aussi insupportable pour les usagers. L’état des rames est déplorable. Les pannes et les retards sont presque systématiques, tout particulièrement aux heures de pointe. Un blog très connu des utilisateurs du RER B fait même depuis des années le décompte des problèmes survenus sur cette ligne : par exemple, en octobre 2016, on a dénombré 81 % de jours « à problèmes », dont 65 % liés à l’état du réseau. Et de tels chiffres ne sont pas des exceptions.

L’arbitrage proposé au travers du présent projet de loi est le suivant : un très lourd investissement, d’un montant de 1,7 milliard d’euros, serait consenti pour le projet CDG Express, prévu pour environ 20 000 voyageurs quotidiens, ce qui obligerait de facto à renoncer à financer une amélioration significative du RER B, qui, lui, transporte 900 000 usagers chaque jour. Or toutes les études montrent que des travaux structurels très importants doivent être menés pour que cette ligne fonctionne de nouveau convenablement !

Un tel choix est tout à fait incompréhensible pour les usagers du RER B, qui subissent ces difficultés depuis des années. De plus, le bénéfice attendu en termes de baisse de fréquentation du RER B est minime : seulement 6 % du trafic environ serait reporté sur le CDG Express. Le coût prévu de l’aller simple sur cette future ligne – 24 euros – est élevé, et il ne serait pas possible d’utiliser le pass navigo : seraient de fait exclus les usagers franciliens, les salariés de l’aéroport et beaucoup de voyageurs.