M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de m’exprimer, je formulerai une remarque, notamment à l’adresse de la présidence, sur l’organisation des débats à l’initiative des groupes. Leurs énoncés, par la concision imposée, peuvent parfois être sibyllins et nuire à la qualité même de la discussion.
Ce n’est pas le cas aujourd'hui : Éric Bocquet ayant écrit un livre sur le sujet qui nous réunit, nous avons tous lu son ouvrage afin de comprendre l’orientation qu’il souhaitait donner à cet échange. Je crois néanmoins que tout le monde gagnerait à ce que l’inscription d’un débat à l’ordre du jour puisse s’accompagner d’un bref exposé des motifs, permettant à l’auteur de préciser son intention et de fournir un point d’appui tangible à la réflexion des groupes et des orateurs.
Je compte sur vous, monsieur le président, pour transmettre cette requête à qui de droit.
M. le président. Ce sera fait, mon cher collègue.
M. André Gattolin. L’évasion fiscale est à l’évidence l’une des principales causes d’instabilité dans le monde.
Bien que le volume d’une activité clandestine soit, par définition, difficile à évaluer, on estime généralement que son coût annuel avoisine 100 milliards d’euros pour la France et 1 000 milliards d’euros pour l’Union européenne.
Non seulement l’évasion fiscale tend à accroître les inégalités, en soustrayant de la péréquation collective une part considérable de la richesse, mais elle fragilise aussi les fondements mêmes de la démocratie, en dépossédant les décideurs politiques d’une bonne part de leur marge d’action.
La prise de conscience de ce fléau est relativement récente.
À titre de comparaison, alors que la première conférence climatique mondiale eut lieu dès 1979, sous l’égide du programme des Nations unies pour l’environnement, il faudra attendre 1996 pour que le G7 aborde la question des pratiques fiscales dommageables, 1998 pour que l’OCDE pose une définition du paradis fiscal et l’an 2000, seulement, pour qu’elle en dresse une première liste.
Si le problème est désormais largement reconnu, y remédier relève d’un combat difficile, qui bouscule des intérêts par construction puissants. La mondialisation, qui a été voulue libérale, a permis la libre circulation des capitaux sans prendre la peine de l’inscrire dans un cadre de régulation économique et politique. Aussi, à défaut d’outils de gouvernance permettant de piloter l’intérêt collectif, les États se livrent à une concurrence fiscale dans le but de récupérer au moins une partie de cette richesse qui leur échappe indûment, entretenant ainsi un cercle vicieux.
Mettre sur pied une conférence internationale dédiée à la lutte contre l’évasion fiscale, sur le modèle des conférences des parties – les COP – climatiques, permettrait de poser les premiers jalons d’une régulation internationale.
Pour dépasser le seul cadre de l’OCDE et inscrire un tel dispositif dans celui de l’Organisation des Nations unies, il faudrait sans doute créer un nouveau programme des Nations unies, à l’instar de ce qui a été élaboré pour le développement ou l’environnement.
Ces procédures, il faut bien le dire, sont lourdes. Rappelons qu’entre l’adoption de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, au sommet de Rio en 1992, qui a instauré le principe d’une COP, et l’adoption du récent accord de Paris, il s’est écoulé pas moins de vingt-trois ans !
Cela étant, il n’est jamais trop tard.
Une telle initiative, y compris par le seul processus de sa mise en œuvre, pourrait bien sûr contribuer à intensifier la lutte contre l’évasion fiscale et à donner du souffle aux espaces de dialogue déjà existants que sont l’OCDE et l’Union européenne.
Il faudrait simplement éviter le piège qui pourrait consister, pour certains États, à en tirer un prétexte à l’immobilisme, dans l’attente d’un hypothétique consensus.
En effet, les réticences politiques sont encore fortes, et pas seulement dans d’obscurs territoires en marge du concert des nations.
Au cœur de l’Union européenne, l’Irlande, qu’Éric Bocquet évoquait tout à l’heure, mène actuellement une grande campagne publicitaire sur les réseaux sociaux – notamment un réseau social très connu que je désignerai par l’acronyme FB : F comme « fraude » et B comme « book » !–, vantant auprès du monde des affaires, à travers un site intitulé « www.taxinireland.com », ses régimes d’imposition supposés quasi nuls.
Quand j’ai reçu ce message, j’ai tout d’abord cru à un canular. Or quelques recherches suffisent pour tomber sur des sites tout à fait officiels, renvoyant directement aux différentes ambassades européennes d’Irlande pour obtenir des renseignements. Il s’agit là d’une véritable provocation, à quelques semaines de l’affaire Apple, dans laquelle ce pays vient de faire appel de son obligation de recouvrer l’impôt sur les sociétés.
Le projet de la Commission européenne relatif à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, dit ACCIS, que Pierre Moscovici tente actuellement de relancer, avait été une première fois bloqué au Conseil, en 2011, par l’Irlande toujours, mais aussi par le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas. Aujourd’hui, les États semblent plus réticents encore que les entreprises à cette harmonisation : c’est un comble !
Le rapport de force alimenté par divers scandales a néanmoins donné quelques résultats au cours des dernières années : la Suisse remise globalement son secret bancaire, le Luxembourg recule sur les rescrits fiscaux, l’Irlande est mise en demeure de récupérer ses libéralités.
S’il nous faut rester intransigeants à l’égard de ces pratiques de corsaires, nous devons aussi entendre la crainte, légitime, des États, qui redoutent sans cela de perdre leur rang économique dans la compétition internationale.
Ce pourrait, précisément, être aussi le rôle de cette conférence que de tenter de tracer un chemin vers moins de concurrence et davantage de coopération entre les États. Ce n’est qu’au prix de la solidarité économique que nous pourrons endiguer l’agressivité fiscale, grevant les économies nationales jusqu’au sein même de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat touche à sa fin, mais il me semble que nous partageons tous ici une même conviction : il n’est pas de justice, pas d’égalité, pas de souveraineté, sans une juste participation de chacun à l’impôt.
L’évasion fiscale est un phénomène par essence international : elle repose sur l’existence de comptes offshore et sur des montages hybrides ; elle joue sur les différences de législation entre les États, sur le secret bancaire des uns et la complaisance des autres. Il est donc évident qu’il ne saurait y avoir de réponse efficace au seul échelon national, voire européen.
La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui la prise de conscience est très large. Nous avons, au cours des dernières années, adopté de nombreuses mesures législatives, dont l’efficacité est déjà visible. De fait toutefois, c’est bien à l’échelle internationale que se joue maintenant l’essentiel.
C’est au sommet du G20 de Londres, en 2009, en pleine crise financière, que la politique des « listes noires » de paradis fiscaux a été lancée. Si les premières listes se sont rapidement vidées, le principe lui-même a prouvé son efficacité : en France, la liste des États et territoires non coopératifs permet l’application de mesures fiscales très sévères et, à l’échelle de l’Union européenne, la publication d’une première liste noire est imminente.
À cet égard, rappelons-nous que la commission des finances du Sénat a pleinement joué son rôle lorsque la convention fiscale proposée pour Panama a été rejetée par le Sénat. Adoptée par la suite à l’Assemblée nationale, cette convention est devenue effective et l’affaire nous a permis de nous rendre compte de l’importance des moyens de pression dont nous disposions.
Le sommet du G20 de Saint-Pétersbourg, en 2013, a marqué le lancement du passage à l’échange automatique d’informations fiscales dans le sillage de la loi FATCA, adoptée par les États-Unis, qui deviendra le standard mondial à partir de 2017 ou 2018, selon les pays. Les listes des pays qui entreront dans le dispositif seront assurément édifiantes. C’est aussi lors de ce sommet que l’OCDE s’est vue confier la tâche d’élaborer un plan de lutte contre l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices, le fameux projet BEPS.
De fait, l’OCDE a dernièrement acquis un rôle de tout premier plan dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Le G20 prend les décisions, l’OCDE en est la cheville ouvrière – je veux d’ailleurs saluer, à l’instar de certains des orateurs précédents, le travail et le professionnalisme de Pascal Saint-Amans, mais aussi le soutien permanent que lui apporte Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE.
L’Union européenne prend le relais. Elle s’attache actuellement à mettre en œuvre le projet BEPS au travers d’une série de directives. De là proviennent les mesures anti-abus contre les dispositifs hybrides, la définition de l’établissement stable ou encore le reporting pays par pays qui nous a tant occupés ces derniers temps.
De fait, l’OCDE est devenue une sorte de « conférence internationale » permanente en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Il faut le souligner, tous les pays sont invités à participer aux travaux de l’OCDE sur le sujet, bien au-delà des 35 pays membres, et les pays en développement, premières victimes de l’évasion fiscale, sont très actifs dans ce cadre.
D’ailleurs, l’OCDE a quelque peu éclipsé la visibilité de l’ONU en tant que forum de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Un signe qui ne trompe pas : alors qu’il existe un modèle de convention fiscale élaboré par l’ONU, c’est bien celui de l’OCDE qui sert de référence mondiale.
Au titre des instances internationales, on pourrait encore citer le Groupe d’action financière, le GAFI, instance dédiée à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui a bien compris les liens pouvant exister avec la grande fraude fiscale. C’est par exemple du GAFI que proviennent les règles en matière d’identification des « bénéficiaires effectifs » des trusts.
Dans ce concert des nations qui se constitue, le rôle des parlements nationaux est essentiel. La fraude et l’évasion fiscales sont des remises en cause du consentement à l’impôt. Elles fragilisent le pacte social et portent en germe tant de conséquences destructrices que les élus du peuple ne peuvent être tenus à l’écart ou se désintéresser de ces questions.
La pression démocratique est un moyen de faire avancer le combat et de le relayer dans les opinions.
Permettez-moi de dire, à cette tribune, que nous devrions veiller à ne pas faire sauter le « verrou de Bercy » avant que le parquet national financier ne dispose d’un dispositif plus opérationnel. Cela ne semble pas être le cas. Mme Houlette elle-même nous disait combien elle aurait du mal à suivre aussi rapidement.
L’OCDE a compris le rôle des parlements nationaux et veille à ne pas être qu’un cénacle de hauts fonctionnaires et d’ambassadeurs : elle a mis en place un réseau parlementaire actif où j’ai eu le plaisir de m’exprimer à plusieurs reprises, en ma qualité de présidente de la commission des finances du Sénat.
L’Union interparlementaire, où je siège régulièrement, est interpellée pour prendre le relais, faire comprendre aux autres parlements du monde que cela relève de leur responsabilité et qu’ils doivent eux aussi l’assumer.
Au sein de l’Europe, la conférence dite de l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, le TSCG, conçue comme l’instrument de contrôle démocratique de la mise en œuvre des règles de gouvernance budgétaire et financière en Europe, s’est aussi saisie du sujet.
À Bratislava, voilà dix jours, où je me suis rendue en compagnie du rapporteur général, de Michel Bouvard et de François Marc, les parlementaires représentant les vingt-cinq pays présents ont débattu de la « liste noire » de l’Union européenne et de sa complémentarité avec celle des États membres, ainsi que nous l’avait d’ailleurs indiqué Pierre Moscovici lors de son audition par la commission, voilà quelques semaines.
Je suis convaincue que ces discussions à l’échelon international, entre États et entre parlementaires, sont d’une grande utilité. Ce ne sont pas de vaines paroles : lorsqu’une idée est promue dans de telles instances, il devient plus difficile pour les États de résister au changement.
Le secret bancaire en Suisse ou au Luxembourg serait-il tombé si le G20 et l’OCDE n’avaient pas agi de concert ? En sens inverse, les États ont la possibilité d’aller y défendre « leurs » idées, de faire avancer leurs propositions. Par exemple, le nouveau modèle de convention fiscale de l’OCDE contient des « clauses anti-abus » très ambitieuses, qui sont directement inspirées de la pratique française. Nous y prêtons une grande attention lorsque nous les examinons en commission des finances.
Peut-être un jour aurons-nous une « COP » en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. C’est un défi pour l’humanité au même titre que la préservation de notre planète.
Je remercie Éric Bocquet et le groupe CRC d’avoir demandé l’organisation de ce débat, qui nous permet de faire le point sur les leviers d’action et les stratégies à mettre en œuvre pour faire progresser la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, s’il fallait mesurer les dommages causés par la fraude et l’évasion fiscales internationales, on pourrait très bien le concevoir par comparaison entre le poids de cette fraude et la richesse nationale des pays qui nous entourent et de ceux, plus lointains, qui servent le plus souvent de territoires d’expansion de l’optimisation fiscale.
Pour en rester aux données les plus récentes, la fraude fiscale repérée et poursuivie en France, d’un montant de 15 à 18 milliards d’euros, est largement supérieure à la richesse produite dans des pays comme le Gabon, le Sénégal, le Mali ou encore Madagascar, pays africains qui entretiennent avec notre pays des liens historiques, économiques et politiques. Cette fraude représente ainsi le double de la richesse produite par le Niger, où nous nous approvisionnons en uranium destiné à nos centrales nucléaires.
Si nous devions comparer la fraude réelle, estimée à environ 80 milliards d’euros, avec le produit intérieur brut de certains pays dans le monde, nous serions en présence de montants proches de la richesse nationale de pays comme l’Ukraine, la Slovaquie, ou encore le Grand-Duché du Luxembourg, la seule différence entre les uns et les autres résidant dans la forte disparité de leur démographie.
Ce débat sur la fraude fiscale nous pousse naturellement à nous poser des questions à dimension internationale, certaines destinations étant par nature plus accueillantes pour le tourisme fiscal que d’autres.
Dans une société comme la nôtre, la fraude fiscale est une rupture caractérisée du pacte républicain, un obstacle majeur à la mise en œuvre de toute réforme digne de ce nom en matière fiscale. Dans notre pays, personne n’est favorable à la fraude fiscale, mais que d’efforts pour dénaturer l’impôt et en dispenser telle ou telle catégorie de contribuables, au nom de quelques impératifs économiques supérieurs !
Cela étant, comme le « terrain de jeux » de la fraude fiscale est par nature international, ce qui procède de la violation des principes de la citoyenneté en France devient un cataclysme dans les économies plus réduites, plus vulnérables ou plus faibles, dites « en voie de développement ». Combien de pays du Sud ont vu leur développement relatif totalement lié, pour ne pas dire ligoté, à des stratégies de déflation fiscale compétitive, en général inspirées de l’extérieur, sous les auspices de certaines instances internationales ?
Tout se passe comme si l’émergence d’une économie « moderne », surmontant les handicaps de l’autosuffisance alimentaire, s’intégrant dans les circuits de la mondialisation, nécessitait la pratique d’une fiscalité allégée, susceptible d’attirer capitaux et grands groupes étrangers !
Nous avons vu lors de la COP 21 ce que cela pouvait occasionner dans les domaines écologique et climatique, notamment ce que coûtent certaines productions industrielles à la qualité de vie des habitants de nombre des « bases arrière » de production des biens de consommation situées ailleurs sur la planète. Cela s’accompagne aussi d’une course au moins-disant fiscal, parfois encouragée au plus haut niveau des États, qui risque fort de remettre en question la simple durabilité des formes du développement.
Il suffit pour s’en convaincre de regarder le contenu des législations comparées des conventions fiscales que la France ratifie. La prégnance des questions fiscales est d’autant plus évidente, dans cette mondialisation en crise de croissance permanente, que la plupart des grands groupes spécialistes de l’optimisation fiscale sont eux-mêmes, par comparaison, bien plus puissants et riches que nombre des pays souverains de la planète.
L’actif net du groupe BNP Paribas, largement présent dans nombre des paradis fiscaux, n’est-il pas, à lui seul, l’équivalent du produit intérieur brut de la France ?
Un groupe comme Monsanto, qui fit fortune entre autres avec le fameux agent orange utilisé pendant la guerre du Vietnam, propriété partagée entre les quatre plus grands fonds américains de gestion d’actifs, pèse 15 milliards de dollars de chiffre d’affaires et présente une capitalisation proche de 70 milliards de dollars, l’équivalent du PIB de la soixante-dixième économie mondiale…
Il est donc grand temps de dépolluer les relations économiques internationales de la fraude fiscale et de ses effets les plus ravageurs sur les économies locales, comme d’ailleurs sur les mouvements de populations infra et intercontinentaux.
Si nous voulons offrir une perspective de développement au monde qui nous entoure, nous devons lutter contre la fraude fiscale chez nous. Il y va de la justice sociale et de l’équilibre des comptes publics. Nous devons aussi lutter contre la fraude fiscale. Il y va aussi de l’avenir du monde, des espoirs des peuples du Sud. Nécessité se fait jour de préserver d’autant le climat que nous répondrons aux défis de l’exode rural, du chômage de masse, de l’économie urbaine informelle et de l’émigration comme passage obligé.
Dans l’Histoire et dans le passé plus récent, à maintes reprises, la France a assumé un rôle décisif dans les changements impulsés dans le monde. Nous avons porté les idées de liberté et d’émancipation des peuples, répandu l’idéal républicain, encouragé la coopération internationale, œuvré pour la paix dans le monde, secouru bien souvent les opprimés et les persécutés.
Nous nous devons, madame la secrétaire d'État, de prolonger cette mission.
Il est temps, mes chers collègues, il est grand temps que la France, comme souvent, montre l’exemple et que notre pays lance au plus tôt les initiatives nécessaires à l’organisation d’une grande conférence internationale contre la fraude fiscale, les désordres qu’elle provoque, les injustices qu’elle porte et les conflits qu’elle engendre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le groupe communiste républicain et citoyen, en particulier Éric Bocquet, d’avoir organisé ce débat, lequel me donne l’occasion de rappeler l’action déterminée du Gouvernement dans la lutte contre la fraude depuis 2012, en particulier en matière de fraude fiscale internationale.
La contribution aux charges publiques est au cœur du pacte républicain. Son principe figure expressément dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Dans une période où il a été demandé un effort particulier pour redresser les comptes du pays, nous nous devons d’être pleinement mobilisés quand certains cherchent à échapper à leur contribution pour la reporter sur les autres.
Lutter contre la fraude et l’optimisation fiscale excessives, c’est une action qui doit être menée à l’échelon tant national, européen que mondial, notamment dans le cadre de l’OCDE et du G20.
À l’échelon international, vous savez que l’OCDE a établi un plan de quinze actions portant sur tous les volets de la fiscalité internationale, dont les rapports définitifs ont été adoptés par le G20 à Antalya, les 15 et 16 novembre dernier.
Le Gouvernement a fait voter dans le cadre de la loi de finances pour 2016 le dispositif de reporting pays par pays, correspondant à l’action 13 du BEPS. Ce travail a été pleinement concrétisé par la signature par plus de trente pays, le 27 janvier dernier, à Paris d’un accord multilatéral permettant de donner sa pleine portée au dispositif en rendant possible l’échange automatique entre les administrations fiscales.
Nous souhaitons que ce reporting pays par pays soit public et c’est le sens des négociations actuellement en cours à l’échelle européenne. Cette publicité est d’ailleurs prévue dans le projet de loi Sapin II, qui sera bientôt définitivement adoptée. Demain, l’administration fiscale n’aura plus besoin de formuler des demandes à ses administrations partenaires pour accéder à l’information : elle l’aura reçue automatiquement.
Il en ira d’ailleurs de même pour les particuliers, en application de l’accord signé le 29 octobre 2014 à Berlin sur l’échange automatique d’informations financières à des fins fiscales. Soixante et un pays en sont aujourd’hui adhérents, dont la Suisse. Trente-trois pays supplémentaires se sont engagés à échanger automatiquement des informations financières, en prévoyant de premières transmissions en 2017. On trouve parmi eux des centres financiers tels que Hong Kong et Singapour. Cet accord aura sans doute un effet dissuasif sur les contribuables qui y détiendraient des comptes non déclarés. S’ils le souhaitent, le STDR est en place et fonctionne pleinement.
Cette action se poursuit également dans l’Union européenne, qui est marquée par un degré d’intégration et donc des libertés de circulation plus fortes encore. Le 8 décembre dernier, la directive sur l’échange automatique des rulings a été adoptée par le Conseil. Elle entrera en vigueur au 1er janvier 2017 et empêchera désormais certains États d’accorder des remises fiscales dérogatoires.
De plus, à la suite du troisième paquet fiscal présenté par la Commission européenne le 28 janvier 2016, les directives « DAC4 » transposant en droit européen l’échange automatique des déclarations pays par pays et anti-optimisation ont été adoptées par le conseil ECOFIN au premier semestre. Sont en outre établies des mesures communes minimales pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le marché intérieur.
Ces deux textes parachèvent l’implication de l’Union européenne dans la mise en œuvre du projet international de lutte contre l’optimisation fiscale, le BEPS. Toutefois, l’Europe et la France souhaitent aller plus loin : la Commission européenne a présenté mardi dernier un nouveau paquet contre l’évasion fiscale et en faveur d’un environnement favorable aux entreprises.
La directive sur l’assiette commune de l’impôt sur les sociétés est de nature à constituer une avancée majeure pour le marché intérieur, en nous permettant à la fois de lutter contre l’optimisation fiscale et de donner plein effet aux libertés de circulation, qui sont au cœur de la construction européenne.
Grâce à ces outils, il n’est plus exact de dire, comme on peut parfois le lire, que les grandes multinationales du numérique parviennent à échapper à l’impôt. En France, nous ne faisons pas d’arrangements : c’est la loi fiscale, toute la loi, rien que la loi qui s’applique ! Nous y parvenons, car de nouveaux outils ont permis à l’administration fiscale de suivre les flux financiers internationaux.
Ainsi, depuis 2013, les entreprises ont l’obligation, sous peine de sanction, d’adresser à l’administration fiscale une déclaration de prix de transfert lui permettant de comparer les prix pratiqués avec ceux du marché. Cette obligation a été renforcée par la loi Sapin II, puisqu’elle concernera désormais les entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros, contre 400 millions d’euros auparavant.
Il s’agit d’éviter le déplacement de l’assiette imposable dans les pays à faible fiscalité. En 2015, grâce à ces outils, 2,8 milliards d’euros d’assiette ont pu être rétablis au bénéfice de la France.
Nous avons également développé notre réseau de conventions bilatérales d’assistance administrative, en signant de nouveaux accords avec des pays partenaires et en mobilisant pleinement les textes existants. Les demandes effectuées en application de ces accords permettent de connaître les situations fiscales des contribuables résidant dans d’autres États et de contrôler la consistance des activités professionnelles qu’ils déclarent y effectuer.
Alors qu’en 2011 nous ne recevions que 3 409 réponses par an, nous en avons reçu 6 567 en 2015. Au total, la fraude fiscale internationale a conduit à rétablir 5 milliards d’euros d’assiette au profit de la France en 2015. C’est un progrès notable. Nous pouvons maintenant voir au-delà de nos frontières.
Les effets de cette action sont au rendez-vous : l’année 2015 a été exemplaire en ce domaine et je souhaite rappeler les résultats particulièrement remarquables de la lutte contre la fraude fiscale, qui sont le reflet d’un engagement fort et intense, d’un engagement qui n’a pas débuté l’année dernière, mais qui est finalement l’aboutissement de tout le travail accompli depuis quatre ans.
En 2015, nous sommes parvenus à un montant de redressements jamais atteint : 21,2 milliards d’euros contre 19,3 milliards d’euros en 2014. Cette amélioration significative s’étend également aux encaissements, qui sont en hausse de 17 %, passant de 10,4 milliards d’euros à 12,2 milliards d’euros.
Or cette augmentation globale n’a pas pour fondement une hausse des contrôles en nombre. Au contraire, le nombre d’opérations est en baisse de 3,1 %, lesquelles sont passées de 51 740 en 2014 à 50 168. Cela signifie que les contrôles sont mieux ciblés, donc plus efficaces.
Parmi ces redressements, les contrôles des montages à l’international réalisés par la Direction des vérifications nationales et internationales, la DVNI, représentent 5,8 milliards d’euros ; les cinq redressements les plus importants correspondent à des montages abusifs pour 3,3 milliards d’euros.
Il faut donc arrêter de penser qu’il y aurait une impunité pour les grands groupes, même si le secret fiscal m’interdit bien sûr de révéler le nom des entreprises concernées.
Je souhaite évoquer la lutte plus spécifique contre la fraude à la TVA, qui a également permis d’améliorer nos résultats. En effet, les redressements en ce domaine ont progressé de 100 millions d’euros de 2014 à 2015.
Certains outils, mis en place récemment, y ont ainsi concouru, en particulier le droit de communication non nominatif, créé par la loi de finances rectificative pour 2014 et mis en œuvre concrètement depuis août 2015. Cette possibilité pour l’administration fiscale de se faire communiquer des informations auprès des tiers sans être tenue de désigner nommément les personnes concernées a permis de détecter des activités professionnelles non déclarées, en particulier sur internet.
Afin d’aller plus loin, nous prévoyons de créer une procédure d’instruction sur place des demandes de remboursement de crédit de TVA. Cette procédure permettra de limiter les risques de fraude et d’assurer une décision rapide de l’administration fiscale qui ne pénalise pas inutilement la trésorerie des entreprises.
Enfin, je rappelle les résultats du service de traitement des déclarations rectificatives, qui concerne les personnes et non les entreprises, mais qui s’inscrit pleinement dans cet objectif de lutte contre la fraude à l’international. Mis en place au mois de juin 2013, il a contribué de manière significative aux recettes de l’État : au 31 août 2016, 6,3 milliards d’euros de droits et pénalités ont été encaissés.
Ces recettes supplémentaires nous permettent d’ailleurs de continuer de baisser la fiscalité sur les classes moyennes, avec une nouvelle étape en 2017 de 1 milliard d’euros qui a été adoptée mardi par l’Assemblée nationale lors du vote de la partie recettes du projet de loi de finances pour 2017. Depuis 2014, les baisses d’impôt sur le revenu représentent 6 milliards d’euros pour 12 millions de ménages modestes ou moyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)