Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen traitera, de nouveau, de la crise des migrants ; il examinera aussi l’avenir de la politique commerciale et débattra des relations avec la Russie, autant de sujets d’une importance stratégique qui donnent à ce débat préalable toute sa portée.
D’une ampleur inédite, la crise migratoire a révélé les grandes défaillances de l’Europe. Celle-ci a bâti un espace de libre circulation sans se préoccuper du contrôle effectif de ses frontières extérieures. Voilà le vice de construction initiale. L’Europe a été prise au dépourvu quand la crise a éclaté. Elle cherche désormais dans l’urgence à rattraper le temps perdu.
La création de la nouvelle agence européenne de protection des frontières, qui remplacera l’agence FRONTEX, est particulièrement attendue et pertinente. Cette agence, avec sa réserve de gardes-côtes et de gardes-frontières, est entrée officiellement en activité le 6 octobre en Bulgarie. Les enjeux sont nombreux. Ils portent en particulier sur la capacité d’action et d’intervention de cette nouvelle entité en cas de défaillance d’un État membre.
Monsieur le secrétaire d’État, comment vont fonctionner les procédures d’autorisation ? Quels seront les délais d’exécution ? Il y a urgence à agir efficacement et à démontrer ainsi aux Européens que l’Europe maîtrise désormais ses frontières extérieures.
Nous devons nous inquiéter du risque de division au sein de l’Union européenne. Le groupe dit « de Visegrad », exprime des crispations. Cette situation n’est pas satisfaisante. Le dialogue doit être la priorité. Il doit faire toute sa place à la subsidiarité, mais il doit aussi faire prévaloir la solidarité, quitte à ce que celle-ci s’exprime sous différentes formes.
Cette crise migratoire sert aussi de révélateur pour l’Europe. Certes, l’Europe est dépositaire et porteuse de valeurs universelles. C’est son honneur et sa fierté. Mais elle doit aussi apprendre à se comporter en puissance. Or elle est apparue en situation de faiblesse lors des négociations avec la Turquie, comme si elle n’avait pas de cartes en main, ce qui était pourtant faux.
Enfin, j’évoquerai l’Union pour la Méditerranée. Créée en 2008, elle exprime l’intuition de la France que les destins des rives sud et nord sont profondément liés. Ne pourrait-elle pas constituer un cadre pour une gestion stratégique de la durable crise migratoire et pour la recherche d’un partenariat ?
La politique commerciale est aussi un grand défi pour l’avenir de l’Europe. On doit déplorer l’insuffisante appropriation politique de ces enjeux. Il est donc indispensable que le Conseil européen en débatte.
La transparence des négociations est une priorité. Les parlements nationaux doivent pouvoir suivre ces dernières et s’exprimer sur le résultat final. Il y a un intérêt évident pour l’Europe à passer des accords commerciaux avec ses grands partenaires. Encore faut-il qu’elle défende ses intérêts. L’extraterritorialité des lois américaines est inacceptable. À cet égard, le Sénat s’est honoré en évaluant avec une grande précision cette question, dont s’est par ailleurs emparé Matthias Fekl, avec qui nous avons d’excellentes relations de travail. Nous disposons d’instruments de défense commerciale. Appliquons-les !
On ne peut non plus admettre que nos partenaires ferment leurs marchés publics tandis que les nôtres sont grand ouverts.
M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Nous devons protéger nos indications géographiques. Là encore, l’Europe doit se comporter en puissance. C’est ainsi qu’elle sera respectée pour ce qu’elle est : la plus grande puissance commerciale au monde ! Cette puissance commerciale doit être ouverte, certes, mais elle doit aussi rester ferme et obtenir des accords particulièrement équilibrés.
Par contraste avec le cours de la négociation avec les États-Unis, l’accord avec le Canada apparaît équilibré à bon nombre d’entre nous – nous en avons débattu avec Matthias Fekl la semaine passée –, mais il faudra tenir compte de l’incidence du Brexit sur cet accord.
Nous voulons aussi connaître les effets réels de ces accords commerciaux sur les secteurs économiques et sur nos territoires. Pour cela, des études d’impact détaillées sont nécessaires. On ne peut se contenter d’énoncer des progressions de taux de croissance ! Évaluer, c’est aussi prévoir et accompagner les changements nécessaires.
Enfin, le Conseil européen débattra également de la relation avec la Russie. Permettez-moi de vous faire part de ma préoccupation et de formuler un souhait.
Ma préoccupation résulte du constat d’un engrenage dangereux, qui imposerait le retour à un climat de guerre froide. Certes, la Russie a une responsabilité incontestable dans cette situation – ce point a été évoqué par un certain nombre d’entre nous –, mais gardons-nous d’instaurer des relations fondées sur des sanctions et des contre-sanctions qui, au total, n’ouvriraient aucune perspective.
Mon souhait est que l’Union européenne conduise un dialogue constructif avec ce grand pays. Ce n’est pas incompatible avec la fermeté, chaque fois qu’elle est nécessaire. Nous partageons avec la Russie des intérêts bien compris. Nous devons rétablir des relations confiantes et solides. C’est l’intérêt de la France et de l’Union européenne. C’est indispensable pour relever les défis communs dans le cadre d’un partenariat qui soit bénéfique aux deux parties.
Le Sénat a montré la voie. La proposition de résolution européenne de nos collègues Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour, adoptée à une très large majorité, est particulièrement équilibrée et prospective. J’aimerais que le Gouvernement continue de s’en inspirer. Le Sénat avait appelé à un allégement progressif et partiel des sanctions, en particulier des sanctions économiques. Il a lié cet allégement à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk. Nous invitons le Gouvernement à agir dans ce sens. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, de nombreuses questions ont été soulevées, mais le temps qui m’est imparti pour y répondre étant contraint, je ne pourrai pas entrer dans les détails. Je me concentrerai donc sur l’essentiel.
Jean-Claude Requier a fait remarquer que c’était la solidarité qui était en jeu derrière le mécanisme de relocalisation et le refus d’un certain nombre d’États membres d’y participer.
Des pays ont néanmoins pris leur part de responsabilité. Le nombre total de relocalisations s’élève désormais à 5 953 : 4 637 depuis la Grèce, 1 316 depuis l’Italie. La France a relocalisé 1 756 personnes à partir de la Grèce, soit 40 % du total, et 231 à partir de l’Italie, soit 25 %.
Le rythme des relocalisations s’est amplifié au cours des derniers mois, en grande partie grâce à la contribution de la France, mais 75 % des relocalisations depuis l’Italie ont été opérées en direction d’autres États de l’Union européenne.
Nous ne croyons pas à l’idée de la solidarité flexible. La solidarité est un principe fondateur de l’Union européenne. Certains pays disent qu’ils peuvent apporter une contribution sous d’autres formes, en aidant davantage FRONTEX, par exemple, ou le Bureau européen d’appui en matière d’asile. Tout cela est tout à fait nécessaire, mais chacun doit prendre sa part de l’accueil des réfugiés.
Chacun des États membres, à un moment ou à un autre, a invoqué la solidarité dans le fonctionnement de l’Union européenne. Lorsqu’il s’est agi d’aider au développement économique de pays ayant rejoint l’Union à travers les fonds structurels, à travers des mécanismes de solidarité financière, aucun des États membres n’a remis en cause cette solidarité. Donc, la Grèce, l’Italie ont aujourd'hui besoin, comme la Bulgarie pour ce qui est de la surveillance de ses frontières, sous des formes diverses, d’une solidarité face à la crise migratoire, et chacun doit en assumer sa part. Nous continuerons à défendre ce principe.
M. Yves Pozzo di Borgo m’a interrogé sur la conduite de négociations avec les Britanniques concernant le Brexit et la place respective de chacune des institutions européennes : la Commission, le Conseil et on pourrait ajouter le Parlement européen, qui a également désigné un responsable.
La procédure qui a été fixée par l’article 50 du traité sur l’Union européenne est assez claire : quand le Royaume-Uni aura notifié au Conseil européen sa décision de retrait, le Conseil fixera des orientations de négociation – là, il y va vraiment de la responsabilité des États membres ; il adoptera une décision d’ouverture des négociations sur la base d’une recommandation de la Commission. Chacune des deux institutions a nécessairement un rôle à jouer. Ensuite, une discussion s’établira. La Commission négociera au nom de l’Union, mais le Conseil sera représenté au sein de l’équipe de négociation. Le président de la Commission a proposé que Michel Barnier soit le chef de cette équipe.
En fait, au moins deux négociations se dérouleront : l’une sur la sortie – c’est l’article 50 précité –, l’autre sur les relations futures. Peut-être même y aura-t-il d’autres négociations sur les aspects commerciaux, sur la coopération judiciaire, policière, sur les politiques de recherche. Le chef de négociation peut être le même, mais à chaque fois, le Conseil, donc les États membres, sera représenté de manière à disposer d’un compte rendu régulier de ces négociations et à veiller à la bonne prise en compte de l’intérêt des États membres.
Plusieurs orateurs, notamment MM. André Gattolin et Christian Cambon, ont insisté sur la question des instruments de défense commerciale et des relations avec la Chine.
La France soutient le projet de modernisation des instruments de défense commerciale de l’Union européenne, notamment face à la crise de l’acier et à l’enjeu que représentent les surcapacités chinoises. Elle a adressé, avec six autres États membres, une lettre conjointe aux institutions européennes en février dernier, appelant à des mesures pour répondre à la crise de la sidérurgie européenne. En réponse, la Commission a publié une communication proposant des solutions pour la sidérurgie et a engagé une politique de défense commerciale plus déterminée face aux importations d’acier, notamment chinoises.
La France et l’Allemagne ont également fait une contribution commune, en mai dernier, sur ces questions de modernisation des instruments de défense commerciale. Ce sera effectivement l’un des grands points de la discussion de ce Conseil européen, sur lequel il importe maintenant d’aboutir.
Au-delà de la question de la Chine, le véritable enjeu est celui du mode de calcul des droits anti-dumping qui nécessite, aujourd'hui, une réforme. L’étude d’impact de la Commission européenne devrait être transmise en même temps que le projet de règlement communautaire visant à réformer la méthodologie de calcul des droits anti-dumping.
Nous analyserons donc très attentivement la proposition de la Commission. Le Conseil européen fixera des orientations et ses conclusions – nous y avons veillé – seront extrêmement claires : l’Union européenne doit être armée en matière d’outils de défense commerciale et d’instruments anti-dumping.
MM. Simon Sutour, Christian Cambon et Jean Bizet m’ont interrogé sur les relations avec la Russie, point qui sera également l’objet d’un des débats stratégiques du prochain Conseil européen.
D’abord, sur la Syrie, comme sur d’autres crises internationales, le dialogue avec la Russie est difficile, mais il est nécessaire, et il aura lieu ce soir à Berlin, plus précisément entre la France, l’Allemagne et la Russie. Il faut continuer à le mener dans la franchise, la transparence et la clarté.
L’urgence, c’est l’arrêt durable des bombardements à Alep et la recherche d’une solution politique à la crise syrienne. De ce point de vue, nous avons très fortement regretté l’attitude de blocage de la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies concernant une résolution qui devait permettre de fixer un cadre pour l’arrêt des bombardements et favoriser l’accès de la population à l’aide humanitaire. L’attitude de la Russie sera, je le crois, rappelée avec une grande fermeté par le Conseil européen.
S’agissant de l’Ukraine, MM. Pascal Allizard et Christian Cambon en particulier y ont insisté, les progrès dans la mise en œuvre des accords de Minsk sont malheureusement trop faibles. Sur les trois zones de désengagement décidées à la suite du déplacement de Jean-Marc Ayrault en Ukraine les 14 et 15 septembre dernier, deux ont été effectivement mises en œuvre. Des violations du cessez-le-feu ont toujours lieu.
C’est dans ce contexte difficile que la France et l’Allemagne poursuivent leur effort en vue de la mise en œuvre des accords de Minsk. Ce soir a lieu une réunion dans le cadre du format Normandie avec les présidents Poutine et Porochenko, la chancelière allemande et le Président de la République française. C’est la seule voie permettant une stabilisation durable de l’Ukraine.
Nous avons lié les sanctions sectorielles de l’Union européenne à la mise en œuvre des accords de Minsk. L’objectif du sommet au format Normandie de ce soir – c’est le premier depuis un an, même si de nombreuses conférences téléphoniques se sont déroulées dans l’intervalle – est, pour le Président de la République et la Chancelière, de donner une impulsion politique à la mise en œuvre des engagements pris par la Russie et l’Ukraine pour trouver une solution politique à ce conflit.
Quant au CETA, il a été mentionné par un grand nombre d’orateurs, sous des angles différents, qu’il s’agisse notamment de M. David Rachline ou de M. Michel Billout.
D’abord, j’y insiste, loin d’être le cheval de Troie du TTIP, le CETA est en réalité un modèle de ce que nous pouvons et devons obtenir dans les accords bilatéraux de libre-échange entre l’Union européenne et des partenaires commerciaux. Comme cela a effectivement été souligné par Christian Cambon et Michel Billout, la façon dont la négociation s’est déroulée montre qu’on peut toujours améliorer un projet d’accord commercial. Celui qui est aujourd'hui en discussion avec les États-Unis n’est pas satisfaisant. La France a donc clairement dit qu’il fallait repartir sur d’autres bases.
En revanche, avec le Canada, nous avons obtenu à la fois sur le fond de l’accord de commerce – la protection des indications géographiques, la réciprocité dans l’ouverture des marchés –, mais aussi sur le mécanisme de règlement des différends, lequel est sous contrôle des autorités publiques, le type de garantie que nous souhaitons.
Dans la déclaration interprétative – sur ce point, il me paraît nécessaire de poursuivre la discussion avec Michel Billout, car, de toute évidence, nous n’en faisons pas exactement la même lecture –, il est énoncé de façon très claire que rien dans cet accord de commerce ne peut remettre en cause les normes sociales ou environnementales de l’Union européenne ou du Canada, la capacité de l’Union européenne à continuer à produire des normes environnementales, donc, évidemment, le respect de l’accord de Paris et du cadre énergie-climat de l’Union européenne qui est conforme aux conclusions de la COP 21.
De la même façon, il est tout à fait clair que le mécanisme d’arbitrage et de règlement des différends ne peut en aucun cas permettre à une multinationale de faire condamner l’une des deux parties, l’Union européenne ou le Canada, parce que la législation évoluerait dans les domaines sociaux, environnementaux ou de la protection des services publics ou des biens communs.
Par conséquent, nous considérons que cette déclaration interprétative – même si c’était déjà le cas dans l’accord – apporte de façon parfaitement claire et explicite toutes les garanties : cet accord de commerce n’entame en rien la capacité régulatrice, législative de l’Union européenne, des parlements et des États membres, et du Canada pour ce qui le concerne.
Nous sommes prêts à continuer à discuter de cette déclaration, mais nous voulons surtout nous appuyer sur les acquis de l’accord concernant le CETA pour les autres négociations commerciales. En effet – Christian Cambon l’a justement rappelé –, l’Union européenne a toutes les raisons de vouloir élargir ses échanges commerciaux avec d’autres partenaires. Nous menons actuellement une négociation avec le Japon et avec plusieurs pays de l’ASEAN. Certains marchés sont tout à fait prometteurs pour l’Union européenne, mais nous voulons que, dans cette ouverture commerciale, rien n’entame la capacité de régulation publique.
Pour ce qui est de la consultation du Parlement, Mathias Fekl a mis en place un comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale qu’il a réuni huit fois depuis sa création en 2014 et auquel participent les parlementaires, mais aussi des représentants de la société civile.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a souhaité Christian Cambon, il faut que ce Conseil européen serve à renforcer les politiques de l’Union européenne dans les domaines stratégiques qui seront débattus. Comme l’a dit le président Jean Bizet, l’Europe doit s’affirmer comme une puissance pour ce qui concerne son environnement, sa politique commerciale, ses objectifs, pour faire face aux différentes crises auxquelles elle est confrontée et répondre aux inquiétudes des citoyens européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Débat interactif et spontané
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. La commission des affaires européennes ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Le 24 juin dernier, le Royaume-Uni a choisi de quitter l’Union européenne. Cette décision pose clairement la question de la frontière franco-britannique, qui devient de fait une frontière extérieure de l’Union.
Le Brexit impose une renégociation des accords du Touquet, car il est inimaginable qu’un État membre – la France – continue d’appliquer et de gérer une politique migratoire décidée par un État tiers. Le Royaume-Uni ayant choisi d’être en dehors de l’Union, sa frontière ne peut plus être à Calais, elle doit se situer à Douvres.
Ce n’est pas en démantelant la « jungle » ni même en multipliant les kilomètres de grillages et de barbelés sur la Côte d’Opale que vous réglerez le problème des migrants à Calais. Il faut aller plus loin et vous attaquer aux racines du problème.
Ayons pour cela le courage de dire la vérité : tant que les migrants penseront qu’ils peuvent trouver en Angleterre du travail sans avoir de papiers en règle, ils continueront d’affluer à Calais. C’est ce qui s’est passé après la fermeture du centre de Sangatte ; c’est ce qui se passera aussi après la fermeture de la jungle.
Seule une dénonciation des accords du Touquet pourrait contraindre le Royaume-Uni à réformer sa législation pour dissuader les migrants d’entrer sur son territoire.
Vous allez de nouveau nous opposer le risque d’un appel d’air, mais celui-ci a déjà eu lieu, du fait même de cette législation britannique trop permissive.
Vous allez soulever aussi le risque d’un mauvais signal envoyé aux filières de passeurs, mais c’est votre manque de fermeté qui nourrit leur trafic. Quand un migrant tente une traversée dans l’illégalité, il doit être reconduit immédiatement à la frontière, pas à proximité de Calais ou ailleurs en France !
Un certain Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, avait déclaré au mois de décembre 2013 vouloir renégocier « certains aspects des accords du Touquet ».
Alors, monsieur le secrétaire d'État, qu’attendez-vous pour rappeler à nos amis britanniques qu’ils doivent désormais assumer pleinement les conséquences de leur choix ? Puisqu’ils ont souhaité reprendre leur liberté, ils doivent accepter de reprendre leurs frontières. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Gruny, les accords du Touquet n’ont pas été signés par l’actuel gouvernement, mais nous considérons que le gouvernement qui les a signés a eu raison de le faire. En effet, dès lors qu’il existe un tunnel, donc des possibilités de franchissement de frontière entre la France et le Royaume-Uni, il faut un contrôle de cette frontière. Faute d’accord entre la France et le Royaume-Uni, des milliers de personnes qui souhaiteraient émigrer dans ce dernier pays, alors qu’elles n’y seront pas accueillies, s’engageraient illégalement dans ce tunnel pour, ensuite, être renvoyées de l’autre côté. Il y aurait forcément une multiplication des incidents.
Mais il est vrai que les accords du Touquet n’ont pas fonctionné d’une façon satisfaisante. C'est pourquoi Manuel Valls, en tant que ministre de l’intérieur puis comme Premier ministre – à cet égard, je ne comprends pas le ton polémique que vous avez utilisé vis-à-vis du Premier ministre s’agissant de l’action qu’il a menée comme ministre de l’intérieur –, et Bernard Cazeneuve ont renégocié avec la Grande-Bretagne, ce qu'a également fait le Président de la République, en particulier à l’occasion du dernier sommet franco-britannique d’Amiens, un renforcement de la coopération britannique, du financement des équipements de sécurité, de la présence policière britannique en France, afin de mieux sécuriser la frontière.
Aujourd'hui, nous démantelons le camp qui est sur la lande de Calais. Il faut donc à présent que le Royaume-Uni accepte d’accueillir des mineurs isolés et que les réfugiés puissent être accueillis en France au sein de différents centres d’orientation dans des conditions dignes qui permettent d’éviter de créer un appel d’air qui serait totalement irresponsable.
Il ne serait en effet guère responsable, de la part de quelque gouvernement que ce soit, de prétendre que l’on peut mieux sécuriser la frontière et lutter contre les filières de l’immigration illégale en dénonçant les accords du Touquet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le secrétaire d’État, la succession de crises qu’a connue l’Europe a considérablement fragilisé la confiance des citoyens de l’Union dans le projet européen. Parmi eux, la jeunesse, celle-là même pour qui les pères fondateurs ont pensé l’Europe, est gagnée par l’euroscepticisme, pour ne pas parler d’europhobie.
Or la question de la jeunesse est, pour nous, au cœur de la relance de l’Europe et c’est bien cette ambition pour la jeunesse qui sera le meilleur signal pour faire adhérer de nouveau les citoyens à l’Europe.
Pour ce faire, nous devons saisir l’occasion de la révision du cadre financier pluriannuel de l’Union européenne et mobiliser le maximum de moyens en direction de la jeunesse, cette jeunesse qui, il faut le reconnaître, a particulièrement souffert de la crise et qui a connu une escalade du chômage sans précédent entre 2007 et 2013.
Et c’est bien parce que la jeunesse a été au centre de nos préoccupations et de celles du gouvernement français que, dès 2012, nous nous sommes battus pour la mise en œuvre de la garantie pour la jeunesse.
Depuis 2013, cette garantie est une réalité ; elle a déjà profité à plus de 14 millions de jeunes, dont 9 millions ont pu bénéficier d’une offre d’emploi, de stage ou d’alternance à l’issue du dispositif. La Cour des comptes a d’ailleurs salué sa mise en œuvre efficace à l’échelon national, avec un taux de sortie vers l’emploi de près de 50 %.
D’une efficacité avérée, il nous faut pourtant nous battre aujourd’hui pour obtenir les financements nécessaires à la poursuite de ce programme. Là où 21 milliards d’euros par an seraient nécessaires, selon les estimations de l’Organisation internationale du travail, la Commission, elle, ne propose qu’un budget de 2 milliards d’euros pour la période de 2017 à 2020. Ce n’est pas assez !
Les chiffres demeurent, en effet, alarmants. En mars 2016, presque 5 millions de jeunes de moins de vingt-cinq ans étaient au chômage dans l’Union européenne, dont presque 3 millions dans la zone euro.
Plus que jamais, la France doit continuer de peser sur les négociations en cours pour maintenir, mais surtout pour amplifier les financements de ce programme.
Monsieur le secrétaire d'État, alors que se sont engagées les négociations autour de la révision du cadre financier pluriannuel de l’Union européenne, quels sont les moyens que vous entendez mettre en œuvre afin de défendre et de pérenniser les efforts dirigés vers la jeunesse ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Schillinger, oui, il faut des moyens financiers supplémentaires permettant que la garantie pour la jeunesse continue à être proposée, développée dans les États membres ou les régions des États membres où le chômage des jeunes est particulièrement élevé.
Nous avions obtenu – c’était une demande de la France – un budget de 6 milliards d'euros pour lancer cette initiative, mais ce budget ne couvrait que la période 2014-2015.
Le Président de la République a donc demandé que cette garantie pour la jeunesse puisse continuer à être financée. La Commission européenne a désormais prévu un budget de 2 milliards d'euros supplémentaires, afin que, dans d’autres États membres ou dans ceux où il a déjà été développé, d’autres jeunes puissent bénéficier de ce système d’aide au retour à l’emploi.
En France – la Commission a d'ailleurs salué le travail que nous avons mené –, ce dispositif, qui est un succès, a concerné des jeunes dans plus de soixante-dix départements. Il permet d’accompagner des jeunes vers un retour en formation, en apprentissage et, surtout, leur donne la possibilité d’être très rapidement immergés dans des entreprises et de bénéficier d’un contrat de travail.
De nombreux autres États membres ont aussi utilisé la garantie pour la jeunesse pour innover en matière d’accompagnement des jeunes sans emploi, sans formation, sans qualification. D’autres, peut-être, n’ont pas suffisamment fait preuve d’innovation.
Nous pensons toutefois que l’expérience est importante. C’est surtout un enjeu fondamental au regard des taux de chômage des jeunes. Tant que ces taux avoisineront le double de la moyenne nationale dans beaucoup d’États membres, cela signifiera que nous ne préparons pas correctement l’avenir. Nous continuerons donc à demander que le financement de la garantie pour la jeunesse reste une priorité et ce sera, effectivement, l’un des axes essentiels pour nous de la mise en œuvre de la feuille de route de Bratislava.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous interroger à propos d’une décision, que je trouve regrettable, prise par la société Eutelsat.
Afin que mes collègues me comprennent bien, je rappelle qu’Eutelsat est une organisation européenne de télécommunications par satellite. Créée en 1977, elle a pour objet le développement des communications par satellite sur le territoire européen.
À cette époque, il s’agissait d’une organisation intergouvernementale. Elle a été privatisée en 2001, mais son capital reste aujourd'hui à 59 % public et la Caisse des dépôts et consignations est actionnaire pour plus de 25 %.
J’ajoute que l’organisation intergouvernementale est demeurée, afin de veiller au bon accomplissement des missions de service public confiées à Eutelsat. Comme Eutelsat a son siège en France, c’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ou CSA, qui est chargé de la régulation des chaînes qu’il diffuse dont un grand nombre sont des chaînes extraeuropéennes.
En résumé, il s’agit d’une société privée, mais qui est largement sous contrôle public.
Or Eutelsat vient de prendre la décision, sous la pression du président turc Erdoğan, d’arrêter la diffusion d’une chaîne de télévision kurde, alors même qu’aucune enquête, aucun procès n’a été diligenté contre cette chaîne. Dans le même temps, le gouvernement turc a fermé une vingtaine de chaînes de télévision et de radio.
Monsieur le secrétaire d’État, considérez-vous que cette décision est compatible avec les valeurs défendues par l’Union européenne, telles que l’État de droit, la liberté d’expression et des médias, ou sommes-nous là devant une difficulté majeure ?