13
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats a été publiée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire :
Titulaires : M. Jean-Claude Lenoir, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Gatel, MM. Philippe Dallier, Jacques-Bernard Magner, Yves Rome et Christian Favier ;
Suppléants : MM. Jean-Claude Carle, Daniel Dubois, Mmes Françoise Laborde, Sophie Primas, MM. Alain Richard, Jean-Pierre Sueur et Michel Vaspart.
Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt et une heures cinq, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
14
Orientation scolaire
Débat sur les conclusions d’une mission d’information de la commission de la culture
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission d’information de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur l’orientation scolaire, organisé à la demande de cette même commission. (rapport d’information n° 737, 2015–2016).
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 140 000 jeunes quittent chaque année le système de formation initiale sans qualification suffisante et le nombre de ceux qui sont en dehors de tout dispositif de formation atteint 620 000. Ce terrible constat, dressé en novembre 2014, doit nous interpeller tous. Face à ces générations sacrifiées et à des résultats qui ne cessent de s’aggraver depuis une trentaine d’années, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. Il y va de l’avenir de nos jeunes, d’abord, mais aussi de notre pays.
D’aucuns mettent en avant des causes économiques, sociales et culturelles du processus d’orientation, qui conduisent à l’échec scolaire. Soit, mais cela ne résout rien. C’est pourquoi j’ai souhaité que notre commission se penche de manière plus approfondie et plus précise, sans tabou, sur la question de l’orientation scolaire, qui me semble être une préoccupation partagée.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le collège : le collège unique n’est-il pas devenu le collège uniforme, le collège qui, du coup, oriente par l’échec ou par défaut ?
Par ailleurs, des dispositifs existent pour tenter de faire revenir les jeunes dans le système scolaire, à l’instar du droit au retour en formation, mais sont-ils véritablement à la hauteur de l’enjeu ? C’est une vraie question.
Tout le monde n’a pas la chance de choisir son métier, comme en témoigne l’écrivain Jean Teulé : orienté en fin de troisième en mécanique automobile, il a vu son destin basculer grâce à un professeur de dessin, qui lui a donné des cours du soir pour lui permettre d’intégrer une école d’art. Mais pour une belle histoire comme celle-ci, combien d’orientations ratées, de jeunes destinés prématurément et irrémédiablement à un métier qu’ils n’ont pas choisi, à l’acquisition d’une compétence qu’ils ne souhaitent ou ne peuvent pas maîtriser, et d’autres dont on n’a pas su détecter les talents et le potentiel propres pour leur offrir leur parcours de réussite ? Ce constat, hélas, est valable à tous les niveaux de notre système éducatif.
Dans ces conditions, mes chers collègues, les conclusions de la mission d’information sur l’orientation scolaire, dont j’ai souhaité qu’elles soient débattues en séance publique, revêtent une importance particulière. Je remercie le président de la mission d’information d’avoir veillé à la qualité des travaux. Je remercie également M. le rapporteur, qui vous présentera dans quelques instants le fruit de cette réflexion collective sur un enjeu d’importance, un enjeu d’avenir qui, je crois, nous concerne tous. Puisse le travail de la mission d’information inspirer le gouvernement actuel et les gouvernements à venir ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la mission d’information.
M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d’information sur l’orientation scolaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission d’information sur l’orientation scolaire, que j’ai eu l’honneur de présider et dont Guy-Dominique Kennel a été l’excellent rapporteur, a travaillé dans un climat tout aussi excellent et dans de bonnes conditions pendant plusieurs mois.
M. Jacques Grosperrin. C’est vrai !
M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d’information. Au cours de nombreuses auditions et de plusieurs tables rondes, nous avons rencontré les acteurs du monde de la formation et de l’orientation. Nos déplacements dans l’académie de Strasbourg, chez notre collègue Guy-Dominique Kennel, et dans celle de Clermont-Ferrand, dans mon département, nous ont permis d’entendre les points de vue les plus divers et de nourrir notre réflexion des expériences menées au plan local.
De ces travaux fructueux, je laisse à notre rapporteur le soin de synthétiser les conclusions. Pour ma part, je parlerai plus longuement tout à l’heure, au nom du groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la mission d’information sur l’orientation scolaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rendre compte d’une année de travail en six minutes n’est pas une tâche aisée, mais je vais m’y efforcer.
Le 29 juin dernier, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, présidée par notre collègue Catherine Morin-Desailly, a autorisé la publication du rapport de la mission d’information sur l’orientation scolaire, dont notre collègue Jacques-Bernard Magner a assuré la présidence et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur.
Je me réjouis que nous ayons aussi rapidement l’occasion de débattre en séance publique des conclusions de la mission d’information. Il est vrai que la question de l’orientation est cruciale pour l’avenir de nos enfants.
Nous débattrons aussi, la semaine prochaine, de l’entrée en master, qui est l’un des aspects de la vaste question de l’orientation. L’instauration d’une sélection juste à l’université par l’édiction de prérequis avait d’ailleurs été l’une de mes préconisations. J’avais également plaidé en faveur du développement de l’offre de formation continue des universités en direction des hommes et des femmes en activité, pour permettre à ceux-ci de poursuivre leur diplomation après quelques années d’expérience professionnelle. C’est d’ailleurs, madame la ministre, l’une des réponses que l’on peut apporter aux jeunes qui réclament aujourd’hui un droit à la poursuite d’études. Si ce droit existe, il ne peut pas s’agir uniquement d’un droit à la poursuite d’études immédiate, mais bien d’un droit à la poursuite d’études tout au long de la vie.
Ce soir, je souhaite interroger Mme la ministre et débattre avec les quelques courageux collègues présents dans notre hémicycle des autres propositions phares de notre rapport d’information, qui toutes visent à remédier au phénomène d’orientation par l’échec que, malheureusement, nous constatons encore trop souvent.
Le constat n’est pas nouveau, et plusieurs rapports avant le nôtre l’ont déjà mis en lumière. En voici les principaux éléments.
Loin d’être un continuum, l’orientation agit comme un couperet : le sort des élèves se joue en quelques mois, lors de classes « paliers » – troisième, seconde et, dans une certaine mesure, terminale –, sur le fondement principal, voire exclusif, des notes qu’ils ont obtenues.
Dans un système scolaire strictement hiérarchisé où la voie générale – et, en son sein, la filière S – matérialise la réussite scolaire, l’orientation se fait véritablement par l’échec : sont progressivement écartés ceux qui n’ont pas les résultats pour aller en seconde générale et technologique, puis ceux qui ne peuvent pas aller dans la voie générale.
L’élève est encore trop souvent passif dans ce processus et le travail d’orientation d’un élève de troisième demeure ponctuel et sans vraie cohérence d’ensemble ; bien souvent, il se limite à la distribution de la brochure de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, une séquence d’observation en milieu professionnel de cinq jours, un entretien avec le conseiller d’orientation-psychologue, le COP, et un autre avec le professeur principal.
La répartition des élèves entre les différentes formations selon les capacités d’accueil de celles-ci contredit souvent les décisions d’orientation en voie professionnelle, menant ainsi à des orientations subies très préjudiciables aux jeunes concernés.
La répartition des élèves entre les filières dépend aussi, malheureusement, de leur origine sociale, de leur lieu d’habitation et de leur sexe.
Enfin, la complexité du système scolaire, le foisonnement d’une information de qualité variable et l’opacité des procédures d’affectation font de l’orientation un sujet d’anxiété pour de nombreuses familles et pénalisent particulièrement les plus éloignées de la culture scolaire.
Face à ce constat, notre première proposition consiste à faire de l’insertion professionnelle un objectif central du système éducatif, au même titre que les objectifs de qualification académique.
Sur le plan de l’organisation des acteurs de l’orientation, nous proposons de simplifier un paysage complexe, notamment en transférant le réseau Information Jeunesse et les centres d’information et d’orientation, les CIO, aux régions ou, à tout le moins, en regroupant physiquement les différents acteurs de l’orientation sur des sites uniques.
En ce qui concerne les enseignants, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des élèves sur les questions d’orientation, nous proposons d’intégrer la formation au conseil en orientation dans leurs formations initiale et continue, de rendre obligatoire un stage en milieu professionnel pour tout enseignant – je dis bien « tout enseignant » – et de mieux valoriser la fonction de professeur principal.
S’agissant des différentes phases du processus d’orientation de l’élève, nous estimons que la mise en œuvre du parcours Avenir nécessite de prévoir un horaire spécifique, qui donne à ce dispositif une réelle effectivité, de repenser les modalités des séquences d’observation en milieu professionnel en classe de troisième et, surtout, d’introduire enfin un stage au lycée où, étrangement, rien n’est prévu, alors que les lycéens ont acquis une plus grande maturité et commencent à construire un projet professionnel.
Nous avons consacré tout un pan de nos travaux à l’enseignement professionnel et à l’apprentissage : il nous a semblé indispensable d’en valoriser les réussites, car il y a souvent un grand décalage entre le discours, qui glorifie l’égale dignité des voies, et la réalité d’un enseignement professionnel qui reste mal considéré. Les préconisations de notre mission d’information dans le domaine de l’enseignement professionnel étant nombreuses, je ne mentionnerai que ma proposition phare : faire du lycée polyvalent la norme et créer au niveau de chaque bassin de formation un réseau de lycées au sein duquel les changements de parcours seront simplifiés et facilités.
L’instauration, dès la classe de sixième, de rendez-vous réguliers entre l’élève, ses parents et l’équipe éducative nous a paru de nature à favoriser une orientation choisie, pensée et acceptée. D’une façon générale, mieux associer les parents d’élèves à l’éducation, à l’orientation et à la découverte des métiers nous semble une évidence.
Je ne reviendrai pas, madame la ministre, sur notre demande d’une transparence accrue des barèmes et des critères des procédures Affelnet et APB. Beaucoup d’encre a déjà coulé à ce sujet, et tout récemment. Mais permettez-moi de m’insurger une nouvelle fois contre la sélection par tirage au sort que nous imposons à nos futurs étudiants qui postulent dans des filières universitaires en tension : c’est une méthode indigne d’une grande méritocratie comme la France !
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre rapport d’information, particulièrement riche, comprend des recommandations – j’insiste sur ce mot – réalistes et de bon sens. Je remercie l’ensemble des membres de la mission d’information pour le très bon climat dans lequel nous avons travaillé et pour la participation de chacun à notre réflexion commune. Je forme le vœu, madame la ministre, que nos préconisations ne restent pas lettre morte et qu’elles contribuent prochainement à l’amélioration de l’avenir de nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail particulièrement sérieux et, je crois, sincèrement engagé de Guy-Dominique Kennel ; de toute évidence, notre collègue enrichit un débat qui est, de l’avis général, fondamental.
De puissants déterminismes et stéréotypes sont à l’œuvre dans l’orientation scolaire. D’ailleurs, celle-ci est souvent trop réduite à une procédure de tri social des élèves via les trois voies de formation du lycée. Monsieur le rapporteur, ce constat a été bien identifié par la mission d’information, et vous l’avez évoqué avec clairvoyance.
Cependant, malgré l’intérêt de certaines d’entre elles, l’essentiel de vos recommandations visent davantage, selon moi, à réguler les flux d’élèves qu’à s’attaquer à l’origine de l’échec : le poids des déterminismes qui placent nombre d’élèves en difficulté, bien souvent dès le primaire.
Depuis 2005, les politiques publiques, telles qu’orientées par la stratégie de Lisbonne, tendent à promouvoir une conception de l’éducation tournée principalement vers un objectif d’employabilité, s’appuyant sur les difficultés objectives de notre système. Ainsi, malgré les précautions oratoires que vous avez prises dans votre exposé, monsieur Kennel, votre rapport d’information fait de l’insertion professionnelle non pas l’un des objectifs du système éducatif, mais un objectif au cœur de ce système ; c’est en tout cas ce que nous ressentons.
De fait, vous proposez des outils destinés surtout à gérer et à calibrer les flux d’élèves, comme une sélection à l’entrée à l’université, selon des prérequis, pour les formations à effectifs limités ; nous en débattrons la semaine prochaine lorsque nous traiterons de la réforme des masters.
Vous avancez aussi l’idée d’une carte des formations plus « réactive » aux besoins locaux et en plus forte adéquation avec les entreprises. Très bien, mais je ne suis pas sûr que ce soit la préoccupation la plus importante à prendre en compte, d’autant que les entreprises sont bien souvent dans l’incapacité d’anticiper leurs besoins à une échéance en rapport avec le temps nécessaire pour former un jeune. Sans compter que, comme l’on sait, un tiers des emplois qui existeront dans dix ans ne sont même pas connus aujourd’hui. (Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, opine.)
Certes, l’insertion professionnelle est une question fondamentale posée au système éducatif ; mais ce n’est pas le seul défi que celui-ci doit relever. La complexification des savoirs, du travail et de l’organisation de celui-ci implique une élévation du niveau des connaissances, pour permettre à tous les élèves d’être en mesure de s’adapter. Ne pas le prendre en compte, c’est accepter que certains élèves, les moins en connivence avec l’institution scolaire, demeurent cantonnés à une orientation par l’échec, tandis que d’autres seraient destinés, a priori, à la poursuite d’études : ceux que certains nomment « les plus méritants ». Quid, alors, madame la ministre, du « tous capables » inscrit dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ?
C’est pourquoi mon groupe s’interroge et interroge sur le principe d’un allongement de la scolarité obligatoire à dix-huit ans,…
M. Jacques Grosperrin. Pourquoi pas vingt-cinq ans ?
M. Patrick Abate. … avec une orientation plus tardive, afin de penser et d’agir au sein de l’école pour offrir la remédiation nécessaire aux élèves qui en ont le plus besoin.
La mission d’information préconise de confier le pilotage de l’orientation scolaire à la région via la régionalisation des CIO, en contradiction avec la loi du 5 mars 2014, qui a réaffirmé le rôle de l’État en la matière. Que deviendrait, dès lors, le principe fondamental qui sous-tend le service public de l’éducation nationale : une réponse égalitaire dans le droit et l’accès à l’éducation sur tout le territoire ? De fait, on ne peut ignorer le risque d’un creusement des inégalités, alors que les collectivités territoriales voient leurs moyens réduits et que la répartition des richesses sur le territoire n’est – c’est le moins que l’on puisse dire – pas tout à fait égale.
Par ailleurs, le rapport d’information minore, à mon sens, l’importance des processus psychologiques et sociaux dans l’orientation. En effet, l’élaboration d’un projet d’avenir chez un adolescent ne se résume pas à une simple question d’information sur la réalité des métiers et sur les formations offertes. Ce projet doit aussi être en lien étroit avec le développement de la personnalité du jeune et la construction de son identité – je n’ai pas dit un gros mot. S’agissant d’élèves du secondaire, singulièrement de collégiens et de collégiennes, qui commencent leur construction d’adulte et de citoyen, la question devrait être posée davantage en termes de développement individuel, de reconnaissance, d’estimation de soi et d’émancipation.
Parce que cette approche implique que les élèves bénéficient de l’accompagnement d’une pluralité de professionnels, nous refusons la mise en berne du corps actuel des conseillers d’orientation-psychologues ; il faut certes qu’ils travaillent en collaboration avec les enseignants, mais ceux-ci ne sont pas formés pour assurer les missions de ceux-là. Du reste, je m’interroge vraiment sur l’utilité, en tout cas sur l’efficacité, d’un stage obligatoire en entreprise censé permettre aux enseignants de maîtriser les enjeux du monde du travail.
Pour ce qui nous concerne, nous soutenons la démarche engagée au niveau du ministère pour créer un corps unique de psychologues de la maternelle à l’enseignement supérieur. Nous considérons, madame la ministre, qu’elle devra s’accompagner de recrutements, pour que cesse la situation inacceptable de conseillers d’orientation-psychologues responsables de 1 400 à 1 600 élèves sur deux ou trois établissements.
Enfin, la réforme du bac professionnel en trois ans, dont les écueils sont pourtant reconnus, n’est pas réinterrogée dans le rapport d’information, ce qui est dommage. Il est proposé de favoriser la mixité des publics et des parcours : très bien, mais son efficacité sur la réussite des élèves n’est pas questionnée, non plus que ne sont prises en compte les difficultés pédagogiques et organisationnelles qu’elle entraîne.
Au total, monsieur Kennel, même si votre rapport d’information est intéressant, je ne partage pas l’essentiel de ses conclusions. Certaines des propositions qu’il comprend ont déjà été portées sous le précédent quinquennat et, à notre sens, il ne soulève pas suffisamment le problème des moyens, tant humains que financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Maryvonne Blondin et Dominique Gillot ainsi que M. Jacques-Bernard Magner applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission d’information du Sénat sur l’orientation scolaire, dont notre collègue Guy-Dominique Kennel est le rapporteur, a publié ses conclusions en juin dernier, au terme d’un travail approfondi.
Je ne voudrais pas être redondante en rappelant les raisons pour lesquelles cette mission d’information a été mise en place. Ces raisons, nous les connaissons : notre système d’orientation aboutit, pour un nombre encore trop élevé d’enfants, à une orientation par l’échec plutôt qu’à une orientation choisie ; de surcroît, l’orientation est difficilement réversible, les filières étant peu perméables, et, loin de permettre le dépassement des inégalités sociales, elle les entretient. Cette situation conduit à des effets pervers très concrets, en particulier l’autocensure des bons et moyens élèves d’origine modeste et l’évitement de la voie professionnelle par les milieux plus favorisés.
Du fait du mode de sélection et d’accès aux différentes filières, les élèves en difficulté sont orientés par défaut vers la filière professionnelle, alors qu’elle ne leur est pas forcément adaptée. Résultat : non seulement ces élèves se trouvent en situation d’échec, mais, de plus, la voie professionnelle subit une relégation dans l’inconscient collectif.
Plutôt que de revenir sur ce triste constat et sur ses implications, je préfère, parce que je refuse la fatalité, évoquer les moyens à notre disposition pour pallier les difficultés. Un grand nombre de ces moyens figurent d’ailleurs dans les recommandations du rapport de la mission d’information. Mais d’autres solutions relèvent aussi et surtout du bon sens et d’une nouvelle organisation, à moyens financiers et humains constants.
Le rapport d’information appelle à une ambition nouvelle pour l’orientation scolaire en insistant sur le secondaire. Pour ma part, j’irai plus loin : la clef de la réussite étant l’anticipation – j’y insiste –, c’est seulement en commençant un travail pédagogique autour de l’orientation en primaire que nous réussirons à changer les mentalités. C’est aussi le moyen de se projeter vers l’avenir dans une logique positive, sans préjugés et en dédramatisant le mot « orientation » qui, aujourd’hui encore, malheureusement, tombe comme un couperet.
Nous devons commencer ce travail dès l’école primaire, non pas pour former des salariés préfabriqués et uniquement destinés à se conformer aux attentes du monde de l’entreprise – ne tombons pas dans la caricature ! –, mais pour former au contraire les citoyens de demain, des citoyens qui ont conscience de leurs compétences, de leurs performances et de l’éventail des possibles qui s’ouvre à eux au travers de leur apprentissage puis tout au long de leur carrière professionnelle.
Pour cela, l’école doit s’ouvrir davantage à son environnement. Elle pourrait par exemple organiser des rencontres au cours desquelles la parole serait donnée non seulement aux parents pour présenter leur métier, mais aussi aux professionnels que les enfants côtoient dans leur quartier au quotidien.
Ces initiatives ne représentent aucun coût supplémentaire. Elles réclament plutôt un effort de coordination, d’organisation et de mobilisation. Elles peuvent et doivent être mises en place tout au long de la scolarité. C’est à ce prix que l’on pourra détruire les préjugés, notamment ceux envers l’enseignement professionnel, et créer de véritables vocations positives en direction des métiers de la filière.
C’est pourquoi la recommandation de faire s’asseoir côte à côte, dans un lycée polyvalent, les élèves de la filière générale et ceux qui sont en apprentissage est une idée concrète et qui va dans le bon sens pour mettre à bas les préjugés. Il faut bien commencer par quelque chose !
Même si j’ai bien conscience qu’elle est importante, la question du transfert des compétences des centres d'information et d'orientation, les CIO, aux régions – à condition que les finances suivent ! – me semble secondaire par rapport à celle de l’anticipation et de la mise en œuvre d’une nouvelle organisation, pour ne pas dire d’un nouveau contenu, de l’orientation de nature pluridisciplinaire.
Je soutiens l’idée selon laquelle il faudrait transformer l’orientation en discipline scolaire et l’intégrer au concept plus large de passeport d’orientation, qui commencerait dès le premier cycle et s’intégrerait ensuite à un passeport formation tout au long de la vie.
Rares sont les jeunes collégiens qui ont une vocation suffisamment ancrée pour s’orienter par choix dans une filière professionnelle. Cela a sans doute un peu changé, me direz-vous, pour les métiers de la restauration depuis que des émissions télévisées sont consacrées aux meilleurs chefs et aux pâtissiers. (Sourires.) Il n’est évidemment pas possible de lancer des séries télévisées pour chaque filière, mais il revient à l’éducation nationale de créer des clips variés pour les faire connaître. (Nouveaux sourires.)
Redevenons sérieux : demander aux élèves de s’orienter dès le collège est prématuré, sauf pour ceux qui ont une véritable vocation, ce qui est rare. Je dirai par facilité que je suis contre une orientation précoce et en faveur d’une entrée précoce de l’orientation dès l’école primaire. Si nous faisions ces choix dès maintenant, je suis certaine que nous aurions gagné une bataille, à moyens constants, dans la guerre contre les inégalités et surtout contre les préjugés qui existent à propos de certaines filières professionnelles.
Les recommandations visant à mieux associer les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, les ESPE, au monde de l’entreprise me semblent importantes pour accompagner cette mutation et accroître la connaissance mutuelle entre enseignants et entreprises.
Cette mixité doit encore être valorisée. Je crois notamment à l’efficacité des actions concrètes, comme les ateliers de découverte des métiers dans les établissements scolaires, en relation avec les familles, les communes et le tissu économique local, comme je l’évoquais il y a quelques instants.
En conclusion, les membres du groupe du RDSE et moi-même nous sentons très concernés par ces questions et veillerons à ce que les recommandations présentées dans ce rapport ne restent pas lettre morte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme la présidente de la commission de la culture et M. Claude Kern applaudissent également.)