M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.

M. Serge Dassault. C’est pourquoi ils se mettent à vendre de la drogue, dans les rues et dans les cages d’escaliers, un peu partout en France.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour réduire ces menaces qui se développent à Viry-Châtillon et dans bien d’autres communes ? Surtout, pourquoi avoir attendu un événement si dramatique pour, enfin, réagir contre ce fléau de la drogue et de la violence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Dassault, vous conviendrez avec moi que le trafic de drogue et les violences qui l’accompagnent ne sont pas apparus au cours de ces dernières années en France. Notre pays n’est d’ailleurs pas le seul à souffrir de cette situation dramatique. Nos forces de police, depuis des années, quel que soit le gouvernement aux affaires, luttent contre ce phénomène de bandes.

Nous avons renforcé les moyens de manière générale et décidé, après l’événement survenu dans votre département, de les accroître encore davantage dans les zones de sécurité renforcée.

Nous voulons faire en sorte que les policiers du quotidien aient des moyens d’action renforcés – moyens largement supprimés, tant en hommes qu’en capacité d’investissement, par la droite. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. François Grosdidier. À cause de Mme Taubira, il n'y a plus de politique pénale !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Nous débattrons bientôt des orientations budgétaires. La majorité sénatoriale aura alors à cœur de ne pas répéter les erreurs qu’elle a commises lors des précédentes législatures. Cela vous donnera plus de force pour interpeller le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

emploi des jeunes

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour le groupe Les Républicains.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. En 2012, le Président de la République nous annonçait que son quinquennat serait centré sur la jeunesse. Quatre ans plus tard, qu’en est-il ?

Notre jeunesse, en plein désarroi, cherche de plus en plus à s’expatrier faute de trouver, en France, des raisons d’espérer. Nos jeunes ne croient plus pouvoir mener, dans notre pays, de carrière à la hauteur de leurs ambitions.

Mme Nicole Bricq. C’est faux !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Plus de 200 000 Français partent chaque année, soit l’équivalent de la population de Bordeaux !

M. Jean-Louis Carrère. C’est donc la faute de Juppé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Et 80 % d’entre eux ont entre 15 et 29 ans.

Certes, il y a une génération Erasmus, enthousiaste à l’idée de découvrir le monde. Mais beaucoup de ces jeunes ne veulent plus revenir, ayant perdu confiance dans notre capacité à leur offrir des chances de carrière. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Il est de notre devoir de leur redonner le goût de la France, notamment au travers de nos ambassades et de nos conseillers consulaires, pour que cette expatriation souvent subie devienne un vecteur de rayonnement économique et culturel.

À l’inverse, on trouve une jeunesse faussement intégrée, par le biais de dispositifs d’emplois aidés dont la plupart ne débouchent sur rien. La Cour des comptes souligne que les efforts publics en faveur de l’emploi des jeunes ont un coût supérieur à 10,5 milliards d’euros, pour des résultats très décevants.

L’accès des jeunes à l’emploi se détériore sur les plans tant quantitatif que qualitatif. Seuls 37 % des jeunes de 15 à 24 ans ont une activité, contre 67,5 % au Royaume-Uni. Voilà un constat accablant !

M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quand allez-vous prendre conscience que vos politiques économiques et financières, que votre conception de la formation uniformisée et votre rejet du mérite et de la valeur travail, non seulement étranglent le pays, mais démoralisent une jeunesse qui voit dans un départ à l’étranger la seule solution possible ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, je m’inscris en faux contre le paysage catastrophique que vous venez de dessiner pour évoquer la jeunesse de notre pays.

Je veux vous rappeler la couleur de la page que nous avons trouvée en 2012…

Mme Colette Mélot. Encore cet argument !

M. Patrick Kanner, ministre. … s'agissant des politiques menées en faveur de la jeunesse : elle était quasi blanche, avec à peine 12 000 services civiques et moins de 10 000 RSA en faveur des jeunes actifs.

Madame la sénatrice, faites preuve d’un peu d’humilité ! Pour ma part, je suis très fier du bilan qui est celui du Gouvernement. Je tiens à vous rappeler les actions que nous avons conduites. Elles impliquent l’ensemble de mes collègues ici présents, ainsi que ceux qui nous écoutent sûrement.

Je suis fier que tous les jeunes de moins de 30 ans puissent, dès cette année, bénéficier d’un cautionnement pour accéder au logement ; je suis fier que les bourses aient été augmentées et qu’un échelon ait été créé pour les classes moyennes, sans oublier la hausse de 40 % des crédits du programme Erasmus ; je suis fier d’avoir étendu la prime d’activité, qui fonctionne sur vos territoires, à 500 000 jeunes, en supprimant le RSA jeunes ; je suis fier que le nombre de « décrocheurs » ait enregistré, grâce au rétablissement des moyens accordés à l’éducation nationale, une baisse de 30 000 personnes ; je suis fier d’avoir amélioré la couverture santé des jeunes ; je suis fier de porter le service civique à 350 000 jeunes d’ici à une demi-génération ; je suis fier d’avoir créé la grande école du numérique pour 10 000 jeunes en grande difficulté.

Madame la sénatrice, même si je peux entendre les critiques de la Cour des comptes, je suis fier que 300 000 jeunes, dont 80 % n’avaient pas le baccalauréat, aient bénéficié d’un emploi d’avenir. C’est aussi cela, notre bilan ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Carle. Des emplois d’avenir financés par qui ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Vous vous voilez la face !

M. Patrick Kanner, ministre. Madame Garriaud-Maylam, je ne me voile pas la face ; je connais les difficultés. Je sais aussi que, dans cet hémicycle, je défends des valeurs, notamment par le biais du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.

Or la seule proposition que vous avez votée en faveur de la jeunesse vise à la création d’un emploi d’appoint pour les jeunes, un sous-salariat de quinze heures par semaine, payé au SMIC, qu’il sera impossible de prolonger au-delà de 26 ans. Tel est votre bilan.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. N’importe quoi !

M. Patrick Kanner, ministre. Nous n’avons pas les mêmes valeurs s’agissant de la jeunesse française.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ça, c’est sûr !

M. Patrick Kanner, ministre. Je serai là, avec d’autres, pour éviter que vous n’appliquiez des mesures aussi rétrogrades pour le pays et notre jeunesse. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est l’arroseur arrosé !

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 18 octobre prochain et seront retransmises sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dépôt d'un rapport

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif à l’ajustement du partage des ressources entre les régions et les départements rendu nécessaire par les transferts de compétences entre collectivités territoriales opérés par la loi n° 2015–991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances, à la commission des lois et à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

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Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale
Discussion générale (suite)

Réforme de la prescription en matière pénale

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant réforme de la prescription en matière pénale (proposition n° 461 [2015-2016], texte n° 9, rapport n° 8).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, dans son discours préliminaire au projet de code civil, Portalis donnait des lois la définition suivante : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».

Cette définition est à mon sens un très bel idéal législatif, une boussole qui doit nous guider dans la fabrique et dans la finalité de la loi. Cette boussole doit d’autant plus être prise en considération que le sujet est important. C’est le cas de celui qui nous réunit aujourd’hui et que vous avez souhaité étudier sereinement, en prenant le temps nécessaire.

La prescription est, depuis plusieurs siècles, la clef de voûte de notre système judiciaire. Elle n’est d’ailleurs pas seulement un principe ; nous parlons d’elle comme d’une « institution ». Toutefois, nous le savons bien, les règles légales et jurisprudentielles de la prescription sont devenues inadaptées aux attentes de la société et aux besoins des juges en matière de répression des infractions. Leurs incohérences et leur instabilité sont devenues préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique.

Il était donc nécessaire de réfléchir à la manière de faire évoluer les règles de la prescription, d’entendre les juges et de considérer les besoins de la société et ce qu’elle est en droit d’attendre en matière de justice.

C’est ce qu’avait fait en son temps l’excellent rapport d’information de Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, intitulé « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent », déposé sur le bureau de votre assemblée le 20 juin 2007.

Prudent et exhaustif, le rapport soulignait l’effet sur les justiciables des règles de prescriptions actuelles, qui peuvent susciter en eux un sentiment d’imprévisibilité et, parfois, d’arbitraire.

Ses conclusions concernant la prescription en matière civile ont été traduites dans la loi du 17 juin 2008.

S’agissant de la matière pénale, vos collègues députés Alain Tourret et Georges Fenech ont poursuivi la réflexion engagée, dans le cadre d’une nouvelle mission d’information parlementaire, laquelle a permis d’élaborer la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise. L’un est député de la majorité ; l’autre siège dans l’opposition. Ils ont su faire fi de leurs positions politiques, conscients que cette question transcendait les clivages partisans.

Les préconisations en matière pénale n’ont pas toutes été reprises. Néanmoins, dans le principe, tout ce qui était préconisé dans le rapport du Sénat concernant la consécration et la codification de la jurisprudence dans la loi, l’allongement des délais de prescription et la clarification du régime de prescription figure bien dans ce texte.

Saisi par le président de l’Assemblée nationale, le Conseil d’État a intégralement validé cette proposition de loi sur le fond, ce qui souligne sa grande qualité. Il a aussi émis plusieurs suggestions pour l’améliorer.

Ces dernières ont été suivies et, le 2 mars 2016, la commission des lois de l’Assemblée nationale adoptait l’ensemble des amendements déposés par le rapporteur en ce sens.

Le Gouvernement avait également souhaité que la règle de l’imprescriptibilité ne soit pas étendue aux crimes de guerre, mais qu’elle soit réservée aux crimes contre l’humanité. Cela fait d’ailleurs écho à une position exprimée non seulement dans le rapport du Sénat de 2007, mais aussi, plus récemment, par Robert Badinter.

L’imprescriptibilité doit demeurer une règle exceptionnelle.

Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 10 mars dernier. La commission des lois du Sénat a amendé le texte, afin non seulement d’en améliorer la rédaction sur certains points, mais également d’en renforcer la sécurité juridique. C’est le sens de l’introduction d’un délai butoir de prescription, afin que les règles de report du point de départ de la prescription ne conduisent pas à une imprescriptibilité de fait.

Ce texte vous est aujourd'hui soumis, mesdames, messieurs les sénateurs. Le Gouvernement souhaite que votre assemblée vienne renforcer le point d’équilibre trouvé.

Cette proposition de loi constitue en effet une réelle avancée en matière de procédure pénale. Elle inscrit dans la loi les règles dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription des délits occultes. Cela renforce la sécurité juridique et améliore la lisibilité du droit, sous réserve que le cas des délits dissimulés soit également traité de manière appropriée.

Chacun doit en effet pouvoir connaître plus facilement les règles applicables en consultant la loi, sans être un expert et sans devoir analyser la jurisprudence.

En outre, ce texte tend à rassembler dans un même code des dispositions qui étaient éparpillées, contribuant ainsi à améliorer la lisibilité de la loi.

Enfin, cette proposition de loi a pour objet de clarifier et d’améliorer l’efficacité des règles de prescription s’agissant de la durée, des modalités de calcul des délais, ainsi que des règles de suspension ou d’interruption.

Grâce à ce texte, un grand pas pourrait être franchi pour éclairer notre réflexion commune sur la prescription. Ce sujet avait été abordé à de très nombreuses reprises, au cours de ces dernières années, dans différents travaux législatifs, mais c’est la première fois qu’une vision globale et une cohérence d’ensemble sont apportées.

Il m’appartient donc de vous dire que le Gouvernement est très attaché à ce texte et qu’il le soutient. En 1772, la romancière Marie-Jeanne Riccoboni écrivait qu’« une longue attente est un long supplice ». Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps ne doit pas, et ne peut pas, devenir l’ennemi de la justice. Œuvrons donc ensemble pour que cette loi soit un acte de sagesse, de justice et de raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est saisi pour la deuxième fois de ce texte. Nous avons en effet adopté, le 2 juin dernier, à ma demande, une motion de renvoi en commission.

Je me fondais alors sur la nécessité d’approfondir les questions soulevées par l’Assemblée nationale au mois de mars dernier, s’agissant tout particulièrement de la prescription des crimes commis sur les mineurs et des évolutions proposées, notamment en termes de prescription, par rapport à d’autres pays européens et en essayant d’évaluer l’impact budgétaire de cette réforme.

Le temps qui nous a été imparti de juin à octobre nous a bien évidemment permis d’avancer.

Tout d’abord, la commission a accepté le doublement des délais du droit commun de la prescription, qui passeraient respectivement de dix ans à vingt ans pour les crimes et de trois ans à six ans pour les délits. Faut-il rappeler que de telles dispositions avaient été proposées en 2007 dans le rapport de Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung sur le régime des prescriptions civiles et pénales, intitulé « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent » ? Nos collègues concluaient en ces termes leur rapport : « les délais de prescription de l’action publique apparaissent aujourd’hui excessivement courts », notamment au regard de ceux qui sont retenus par nos voisins au sein de l’Union européenne.

Ensuite, la commission a refusé le dispositif proposé d’imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l’humanité, rappelant la spécificité des crimes contre l’humanité, les seuls à pouvoir être imprescriptibles dans notre droit positif. Il ne pouvait y avoir, sur un sujet aussi important, une quelconque possibilité d’interprétation ou un changement de principe.

Je le rappelle, le texte d’origine prévoyait une telle imprescriptibilité, une rédaction ayant été trouvée par l’Assemblée nationale. Toutefois, le Sénat a préféré en revenir à un principe clair : les crimes de guerre sont prescriptibles après trente ans. Bien entendu, s’ils sont connexes à des crimes contre l’humanité, ils peuvent faire l’objet de poursuites dans le cadre de cette qualification pénale, la jurisprudence s’appliquant naturellement.

Par ailleurs, la commission des lois a surtout veillé à éviter tout risque d’imprescriptibilité de fait. La prescription a des fondements extrêmement forts : la reconnaissance de la faillibilité de la justice, le droit à un procès équitable et le droit à être jugé dans un délai raisonnable.

Dans un arrêt en date du 22 octobre 1996, la Cour européenne des droits de l’homme rappelait ainsi les finalités des délais de prescription : « garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actes, mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ».

Par ailleurs, si la commission a accepté de donner un fondement légal aux innovations jurisprudentielles, elle les a encadrées. La proposition de loi fixe le point de départ du délai de prescription des infractions occultes par nature ou dissimulées, non pas au jour de leur commission, mais au jour où le délit est apparu dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. C’est la consécration de la jurisprudence sur ce point depuis 1935.

La commission des lois a accepté cette règle, même si la question des infractions dissimulées ne va pas de soi. Mais elle a assorti ce report d’un délai butoir, pour éviter des poursuites tardives qui ne respectent pas le droit de chacun d’être jugé dans un délai raisonnable.

Elle s’est également efforcée de mieux définir la liste des actes interruptifs de la prescription, refusant qu’une plainte simple de la victime soit considérée comme un acte interruptif, ce qui aurait sans doute conduit à de nombreux abus.

Elle a également précisé le champ des obstacles de droit ou de fait insurmontables, qui ont un effet suspensif sur la prescription.

Enfin, j’en viens à l’importante question des crimes commis sur les mineurs, dont nous allons sans doute débattre. Un certain nombre de nos collègues estiment que ces crimes doivent revêtir un caractère imprescriptible. D’autres considèrent que la prescription, aujourd'hui de vingt ans à compter de la majorité, doit être prolongée à trente ans. À titre personnel, mon raisonnement sur le sujet a évolué.

Nous avons auditionné des associations de victimes, La Parole Libérée et Stop aux violences sexuelles, ainsi que Mme Violaine Guérin, spécialiste de l’amnésie traumatique. Nous avons également entendu des magistrats et le docteur Caroline Rey-Salmon, chef de service de l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu.

Après avoir tenté de trouver une réponse, qui n’est d’ailleurs pas simple, car il n’y a pas de vérité absolue, la commission s’est déclarée hostile à l’imprescriptibilité, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, liées à la nécessité d’une prescription.

En revanche, sur le fait de savoir s’il faut l’augmenter à trente années ou la maintenir, tel que le prévoit le texte, à vingt années, j’ai proposé à la commission de maintenir le délai de prescription à vingt ans, rejoignant ainsi la proposition de l’Assemblée nationale, laquelle s’inscrit d'ailleurs dans ce qui est une constante du droit depuis maintenant plusieurs années.

Nous en avons discuté entre nous et je ne pense pas qu’il soit nécessaire de prolonger ce débat en cet instant à la tribune, d’autant que nous y reviendrons, je l’imagine, lors de l’examen des articles. Je veux seulement dire ce qui a emporté ma conviction et m’a conduit à proposer d’en rester, pour les crimes, à une durée de vingt ans. Ce qui m’a convaincu, c’est que les magistrats et surtout les médecins considèrent qu’il n’y a pas, très honnêtement – et je pèse mes mots –, sur le plan judiciaire et sur le plan de la procédure, d’avantage particulier à prolonger la prescription dans la mesure où plus le temps passe, plus il est difficile, voire quasiment impossible, de rapporter la preuve des faits commis. Je le dis évidemment avec respect pour les victimes et pour les situations existantes, les mesures de relaxe, de non-lieu, voire d’acquittement sont en réalité assez nombreuses faute de preuves et faute de pouvoir établir ces dernières.

Telles sont les conditions dans lesquelles ce texte a été voté par la commission des lois ce mercredi et vient devant vous cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après un renvoi en commission, cette proposition de loi est débattue de nouveau en séance cet après-midi. Loin d’être un « petit texte », si je puis m’exprimer ainsi, elle marque une réforme d’une importance capitale pour notre droit pénal.

Cette proposition de loi repose essentiellement sur son article 1er, qui modifie de manière substantielle les dispositions relatives à la prescription de l’action publique – les articles 7 à 9 du code de procédure pénale –, en doublant les délais applicables en matière criminelle et délictuelle, portés de dix à vingt ans pour les premiers et de trois à six ans pour les seconds.

Pour nous, faire cela, c’est faire l’impasse sur le droit à l’oubli, le « pardon social », fondé à la fois sur la nécessité de laisser le temps faire son œuvre et de favoriser l’apaisement social, sans oublier le dépérissement des preuves, que les progrès scientifiques n’annihilent pas.

Certes, cela a été rappelé par le rapporteur et nous y reviendrons sûrement lors du débat sur les amendements, de nombreuses associations de victimes auraient voulu allonger encore le délai de prescription pour certains crimes, voire pour certains délits. Or d’un point de vue plus « psychologique », le temps produit des effets positifs, car la personne a pu travailler sur ses craintes et le souvenir est moins vif. Poursuivre devant le tribunal des faits anciens remontant à plus de trois années pour les délits, à plus de dix ans pour les crimes, reviendrait à réactiver le trouble par des poursuites parfois tardives qui peuvent ne pas donner toutes les réponses qu’attendent les victimes.

Les faits délictuels ou criminels qui s’inscrivent dans une relation d’emprise ou que les victimes tardent à dénoncer relèvent déjà quasi systématiquement de règles de prescription spécifiques et dérogatoires ; c’est le cas notamment pour les mineurs victimes d’infractions sexuelles.

Malgré cela, ils sont souvent évoqués dans le débat public pour nier toute la logique de la prescription : il faudrait attendre autant de temps que nécessaire à la personne victime pour porter plainte. Cependant, prendre ce débat extrêmement important sous l’angle émotionnel – qu’il faut respecter – n’est pas la solution à nos yeux.

Je l’ai dit, de nombreuses associations demandent un allongement de la prescription, notamment pour les violences ou les crimes sexuels. Le souci des victimes est évidemment à entendre et à respecter face aux conséquences psychologiques de certaines atteintes au plus profond de leur être.

Cependant, nous partageons l’analyse portée par le Syndicat de la magistrature : « la solution ne se trouve pas dans un illusoire allongement de la prescription mais dans la prévention ; inciter, faciliter le dépôt de plainte dans les affaires de violences physiques et/ou sexuelles ;… ».

J’ouvre ici une parenthèse pour dire que, nous le savons, il est encore parfois difficile d’être entendu et de faire prendre sa plainte dans un certain nombre de commissariats.

J’en reviens à la citation du Syndicat de la magistrature : « … sensibiliser l’ensemble des intervenants et donner la priorité à ces enquêtes, en termes de moyens notamment, contrer certains discours de banalisation, financer des dispositifs permettant de faciliter la parole et de se libérer d’une emprise ». J’ajouterai à ces priorités déclinées par les magistrats l’importance de respecter la victime sans la faire passer au statut, sinon de coupable, en tout cas de responsable de ce qu’elle a subi.

Pour nous, le premier droit des victimes est de pouvoir être entendues, être reconnues et d’accéder à un procès afin de pouvoir entamer le processus, parfois long, de reconstruction personnelle.

Nous sommes pour le droit à être jugé dans un délai raisonnable, pour que ce droit soit effectif. Cela impose également des délais de prescription mesurés. Car la peine ne traduit pas uniquement l’évaluation de la gravité des faits, la réprobation de la société, elle sert à punir, mais aussi à insérer ou réinsérer, elle doit donc être individualisée.

Pour répondre à cet enjeu d’un procès dans un délai raisonnable, se pose la question des moyens à laquelle il semblerait que l’on tente toujours de remédier en s’improvisant réformateurs d’un droit pénal dont l’équilibre fragile est alors compromis.

Or, pour éviter la prescription des peines, ce qu’il faut instaurer, c’est non pas l’allongement des délais, mais l’allocation de davantage de moyens aux services de greffe chargés de la mise en forme des décisions, à ceux de l’exécution des peines, aux huissiers qui signifient les jugements, aux services de police interpellateurs et aux services de l’application des peines, allocation accompagnée d’une réflexion sur le sens même de la peine et de la pénalisation de certains actes.

Deux avancées peuvent néanmoins être observées sur ce texte : d’abord, et nous y souscrivons, la précision de la définition et de la portée des motifs d’interruption du délai de prescription et la fixation des conditions de sa suspension, qui sont de nature à assurer davantage de sécurité juridique ; ensuite, le refus de notre commission – que le rapporteur a rappelé – d’inscrire l’imprescriptibilité des crimes de guerre et la décision de ne laisser qu’aux seuls crimes contre l’humanité l’exceptionnalité d’une imprescriptibilité totale.

Pour le reste, le projet de société de fuite en avant sécuritaire qui nous est proposé n’est pas acceptable à nos yeux.

Une telle proposition de loi va à l’encontre de la justice pénale humaniste et progressiste que les sénateurs communistes républicains et citoyens défendent. Ainsi, vous l’aurez compris, nous ne voterons pas ce texte en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)