Sommaire
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
Secrétaires :
MM. François Fortassin, Bruno Gilles.
2. Demande d’avis sur un projet de nomination
3. Conventions internationales. – Adoption en procédure d'examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission
M. Didier Guillaume ; M. le président.
5. Convention fiscale avec la Colombie. – Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
6. Croix-Rouge française. – Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Juliette Méadel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’aide aux victimes
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Articles 4 et 5 (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 3 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
7. Dépôt d’un avis de l’Assemblée de la Polynésie française
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
8. Questions d'actualité au Gouvernement
M. André Gattolin ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics ; M. André Gattolin.
M. Jean-Pierre Bosino ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; M. Jean-Pierre Bosino.
démantèlement du camp de calais et accueil des réfugiés
Mme Stéphanie Riocreux ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
information des maires sur les personnes fichées « s » habitant dans leur commune
M. Hervé Maurey ; M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales ; M. Hervé Maurey.
situation d’alstom (II)
M. Cédric Perrin ; Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargée du numérique et de l'innovation.
M. Jean-Claude Requier ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
M. Bernard Lalande ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics.
avenir de l’usine alstom de belfort
M. Jean-François Longeot ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
nomination du directeur de l'agence française pour la biodiversité
M. Jean-Noël Cardoux ; Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage ; M. Jean-Noël Cardoux.
rétablissement des comptes de la sécurité sociale
M. Jean-Louis Tourenne ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Corinne Imbert. Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Mme Corinne Imbert.
M. Michel Savin. M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. M. Michel Savin ;
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré
9. Candidature à un organisme extraparlementaire
10. Liberté, indépendance et pluralisme des médias. – Rejet en nouvelle lecture d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, rapporteur
Clôture de la discussion générale.
Motion n° 1 de la commission. . – Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur ; M. David Assouline ; Mme Audrey Azoulay, ministre. – Adoption, par scrutin public, de la motion entraînant le rejet du projet de loi.
11. Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
12. Clôture de la session extraordinaire
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Bruno Gilles.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 461-1 du code de commerce, M. le Premier ministre, par lettre en date du 28 septembre 2016, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière de concurrence sur le projet de nomination de Mme Isabelle de Silva aux fonctions de présidente de l’Autorité de la concurrence.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.
Acte est donné de cette communication.
3
Conventions internationales
Adoption définitive en procédure d'examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs
Article 1er
Est autorisée la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale, faite à Pékin le 10 septembre 2010, signée par la France le 15 avril 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Article 2
Est autorisée la ratification du protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, fait à Pékin le 10 septembre 2010, signé par la France le 15 avril 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale et du protocole complémentaire à la convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs (projet n° 751, texte de la commission n° 857, rapport n° 856).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume-uni de grande-bretagne et d'irlande du nord concernant les centres d'excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord concernant les centres d'excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles, signé à Paris le 24 septembre 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni, de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant les centres d’excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles (projet n° 752, texte de la commission n° 855, rapport n° 854).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
4
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour un rappel au règlement.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste et républicain, je tiens à vous dire que, hier, le Sénat ne s’est pas honoré : en se cachant derrière l’argutie juridique de l’article 45 de la Constitution dans le cadre des travaux de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Égalité et citoyenneté, il a même, au sujet du droit à l’avortement, suivi les instincts les plus vils et les plus conservateurs. Je l’affirme devant Mme Michèle André, qui a, par le passé, assumé les fonctions de secrétaire d’État chargée des droits des femmes !
Bien sûr, l’article 45 a toute sa légitimité. Toutefois, ce 28 septembre n’était pas un jour anodin : c’était celui de la grande campagne du planning familial en faveur du droit à l’avortement pour toutes les femmes. Il s’agit bien de l’égalité des femmes ! (M. Robert Hue acquiesce.) Considérer, sous la pression des lobbies, que ce sujet ne relève pas du projet de loi Égalité et citoyenneté constitue, à nos yeux, un véritable recul.
Au cours de la même journée d’hier, notre institution a assisté à deux événements exceptionnels.
Le matin, à la bibliothèque de la Haute Assemblée, Robert Badinter remettait à M. le président du Sénat un exemplaire de son discours en faveur de l’abolition de la peine de mort. Ce document a ainsi rejoint les archives de notre assemblée. Sur toutes les travées, nous applaudissons désormais des deux mains cette immense avancée qu’a été l’abolition de la peine de mort. Or, l’après-midi même, la commission spéciale opérait l’immense recul que je viens de rappeler !
Cette décision n’est pas tolérable. Nous continuerons à nous battre pour le droit des femmes à disposer de leur corps, à disposer d’elles-mêmes, pour le droit à l’avortement. Il faut avoir conscience des évolutions à l’œuvre sur internet, notamment sur les réseaux sociaux. Au XXIe siècle, on ne peut refuser d’admettre que, dans notre pays, divers sites internet nient le droit à l’avortement et contestent ainsi le droit des femmes à disposer de leur corps.
Mme Michèle André. Absolument !
M. Didier Guillaume. Aussi me devais-je, au nom du groupe socialiste et républicain tout entier, de formuler cette mise au point. Ce rappel au règlement est très fort. Nous avons été choqués par l’emploi de cette argutie juridique, qui, loin d’honorer le Sénat, le fait revenir quarante ans en arrière ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – MM. André Gattolin et Michel Billout applaudissent également.)
M. le président. Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement.
5
Convention fiscale avec la Colombie
Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (projet n° 750, texte de la commission n° 837, rapport n° 836).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous est soumis ce matin le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale entre la France et la Colombie signée à Bogota le 25 juin 2015.
Après plusieurs années de négociations, ouvertes à la demande de la Colombie à partir de 2009, l’accord auquel nous sommes parvenus avec nos partenaires colombiens a été adopté par l’Assemblée nationale le 30 juin dernier. Cette convention est importante, car elle répond au besoin de sécurité juridique tant de nos compatriotes que de nos entreprises présents en Colombie.
Tout d’abord, j’appelle votre attention sur les dispositions de ce texte qui permettront à nos deux États de bénéficier d’un cadre adapté pour éviter les doubles impositions et prévenir l’évasion et la fraude fiscales.
Sous réserve d’aménagements dus aux législations internes, les dispositions de la convention fiscale entre la France et la Colombie sont globalement conformes au modèle de convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, dont la dernière version a été publiée en 2014.
La Colombie est, avec le soutien de la France, en voie d’accession à l’OCDE. Il convient de préciser que, au sein de cette instance, le Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations à des fins fiscales a évalué favorablement, cette année, le cadre juridique du pays et sa pratique au regard des standards internationaux.
Le texte qui est aujourd’hui soumis à votre approbation vise à clarifier les règles de répartition des droits d’imposer entre les deux parties. Son article 10 pose le principe de l’imposition des dividendes dans l’État de résidence de leur bénéficiaire. Il prévoit également la possibilité que l’État de la source puisse les imposer aux taux maxima de 5 % ou 15 %. Quant aux intérêts, l’article 11 limite leur imposition à la source à un taux de 10 %.
En outre, cette convention fixe les modalités d’élimination de la double imposition en combinant la méthode de l’exonération et celle de l’imputation, sur l’impôt français, d’un crédit d’impôt, en vertu de l’article 22.
Par ailleurs, comme vous pourrez le constater à l’article 24, au cas où le contribuable se trouverait en situation de double imposition, la convention prévoit une procédure amiable et un dispositif d’arbitrage.
De plus, la convention fiscale avec la Colombie comporte un arsenal de mesures visant à empêcher qu’elle ne permette des montages d’évasion fiscale et des situations de double exonération. Comme vous le savez, la France est en pointe dans les travaux de l’OCDE tendant à prévenir l’érosion de la base fiscale et le transfert de bénéfices,…
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. En effet !
M. André Vallini, secrétaire d'État. … ce qui transparaît dans ce texte. Plusieurs clauses anti-abus y ont été introduites sur l’initiative de la France aux articles 10, 11, 12, 20 et 26.
Ensuite, je tiens à insister sur l’importance de cette convention pour notre relation bilatérale avec la Colombie.
Troisième puissance économique d’Amérique du Sud, la Colombie connaît une phase de croissance soutenue depuis plusieurs années et se révèle toujours plus attractive pour les investisseurs internationaux. Elle constitue une porte d’entrée privilégiée en Amérique du Sud, d’autant qu’elle est bien insérée dans le commerce mondial, que ce soit à travers l’Alliance du Pacifique ou via son accord de libre-échange avec l’Union européenne.
Représentant le dix-septième excédent commercial français en 2014, la Colombie constitue un marché stratégique pour la France, qui y exporte principalement du matériel de transport, des produits pharmaceutiques et des produits chimiques ou cosmétiques.
En termes d’investissements directs à l’étranger, ou IDE, la Colombie est déjà un partenaire de premier ordre : au total, 150 filiales françaises y sont implantées à ce jour. Casino, Renault, Schneider Electric, ou encore Veolia jouent un rôle important dans l’économie colombienne. Je précise à ce titre que la Colombie avoisine les 50 millions d’habitants !
La signature, le 26 septembre dernier, de l’accord de paix historique entre le gouvernement colombien et les forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC, lors de laquelle j’ai eu l’honneur de représenter la France, contribuera encore à améliorer l’environnement sécuritaire du pays. Celui-ci deviendra plus attractif encore pour nos entreprises et pour nos ressortissants.
Cet événement est historique. Il peut sembler un peu lointain vu d’Europe, mais son importance est essentielle, après cinquante-deux ans d’une guerre civile atroce. Il doit aussi être l’occasion, pour la France, de resserrer ses liens avec la Colombie et de lui témoigner son soutien dans la mise en œuvre du processus de paix. L’accord conclu doit être ratifié par référendum dimanche prochain. Les dernières enquêtes d’opinion donnent le oui gagnant avec 60 % des voix. Toutefois, les sondages ne sont pas toujours très fiables en Colombie.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Si ce n’était qu’en Colombie…
M. André Vallini, secrétaire d'État. Dans ce contexte, la convention fiscale signée au mois de juin 2015 permettra de renforcer les échanges commerciaux et financiers, ainsi que les IDE entre nos deux pays. Elle fait suite à l’accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements franco-colombiens signé en 2014.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les principales observations qu’appelle la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui présenté à votre approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances. Après la paix, la prospérité : l’accord signé lundi dernier entre le gouvernement colombien et les forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC, après plus d’un demi-siècle de conflit, devrait lever le dernier obstacle majeur à la normalisation de la situation de la troisième puissance économique d’Amérique latine. Bien entendu, nous souhaitons que le référendum de dimanche prochain aille dans ce sens ! Je relève à cet égard que, si les sondages ne sont pas toujours fiables en Colombie, ils peuvent également être sujets à caution dans d’autres pays…
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Les sondages ne sont pas une science exacte… (Nouveaux sourires.)
M. Éric Doligé, rapporteur. Quoi qu’il en soit, depuis plusieurs années, le gouvernement colombien mène une politique d’ouverture aux échanges et aux investissements internationaux, laquelle s’est traduite par une série d’accords avec ses partenaires. La convention fiscale du 25 juin 2015 entre la France et la Colombie, que nous examinons aujourd’hui, s’inscrit précisément dans ce cadre. Elle vient compléter l’accord conclu entre les deux pays sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements, texte que le Sénat a approuvé le 12 juillet dernier.
Disons-le d’emblée : cet accord est tout aussi important pour la France que pour la Colombie, car aujourd’hui ces deux pays ne sont liés par aucune convention fiscale. Les particuliers comme les entreprises sont donc soumis à un risque de double imposition, avec une retenue à la source de 33 % sur les revenus « remontés » vers la France. Jusqu’à présent, pour l’éviter, les entreprises n’ont souvent pas d’autre choix que de réaliser leurs investissements via des filiales en Espagne. En effet, notre voisin espagnol est lié à la Colombie par une convention fiscale depuis 2005. Toutefois, ce passage par un pays tiers se fait au prix de lourdes complications.
Cet accord permettra donc d’encourager, entre nos deux États, des échanges et des investissements qui offrent d’ores et déjà des perspectives prometteuses : la Colombie est notre deuxième partenaire commercial en Amérique du Sud, et nos entreprises y sont très présentes dans le domaine de la grande distribution ou dans le secteur des infrastructures. M. le secrétaire d’État a cité le groupe Casino. Je précise que cette entreprise représente, en Colombie, 100 000 emplois directs et 200 000 emplois indirects. Elle y est ainsi, sauf erreur de ma part, le premier employeur.
Dans le détail, la convention fiscale franco-colombienne est largement conforme au dernier modèle de l’OCDE. Sur certains points, elle se révèle même plus ambitieuse que celui-ci.
Ainsi, les revenus passifs bénéficient d’un traitement favorable : 5 % ou 10 % d’imposition pour les dividendes, 10 % pour les intérêts et 10 % pour les redevances. Le choix des seuils et le vaste champ des exonérations aboutissent, globalement, à un régime plus favorable que le modèle de l’OCDE ou le passage par l’Espagne. En tout état de cause, ce dispositif est préférable à la retenue à la source de 33 %.
Toutefois, nos deux États ont veillé à préserver leur souveraineté fiscale sur certaines de leurs activités, notamment sur les activités extractives. Ces dernières sont d’une grande importance pour la Colombie, dont le sous-sol est riche en minerais et en hydrocarbures. En 2013, elles représentaient environ 70 % des exportations colombiennes.
Ainsi, les activités extractives sont présumées constituer un « établissement stable » dès lors qu’elles dépassent deux mois, contre six mois en vertu du droit commun.
Du côté de la France, une série de dispositions permet la bonne application de régimes dérogatoires, notamment en matière d’investissements immobiliers.
Enfin, la convention fiscale entre la France et la Colombie est un texte exemplaire en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Il faut dire que nos deux pays ont une même vision de ce combat : très active au sein de l’OCDE, la France peut souvent compter sur le soutien de la Colombie, laquelle est confrontée depuis longtemps à une évasion fiscale de grande ampleur.
Cette communauté de vues a permis d’introduire dans cette convention deux clauses anti-abus générales et plusieurs clauses sectorielles, visant, d’une part, les montages artificiels et, de l’autre, les montages dissimulant le « bénéficiaire effectif ».
Pour ce qui concerne la coopération fiscale, le dispositif prévu est très complet. Il servira de base à l’échange automatique d’informations que la France et la Colombie se sont engagées à mettre en œuvre dès 2017. Rappelons à cet égard que la Colombie est jugée pleinement conforme par le Forum mondial de l’OCDE sur la transparence fiscale.
Mes chers collègues, en conclusion, cette convention fiscale entre la France et la Colombie est non seulement nécessaire, mais elle est de surcroît équilibrée et ambitieuse : c’est pourquoi je vous propose d’adopter ce projet de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Il est des signatures qui ont sans doute plus d’importance que d’autres… Bien sûr, on peut bel et bien se satisfaire de la passation d’une convention fiscale entre la République française et la République de Colombie et de la discussion de ce projet de loi de ratification. Mais il va sans dire que ce débat se révèle plutôt anecdotique au regard de l’accord signé cette semaine à Cartagena del Atlántico entre le gouvernement colombien et les représentants des forces armées révolutionnaires de Colombie qui, sous les auspices de Cuba, de la France et d’autres pays, met un terme à cinq décennies de guerre civile.
Puisse cet accord de Cartagena clore le sombre chapitre du narco-État des années quatre-vingt, avec ses politiciens corrompus, ses militaires persuadés de leur immunité judiciaire, ses assassinats de syndicalistes paysans et de militants ouvriers, sans oublier ses enlèvements de journalistes – certains d’entre eux ont été froidement abattus sans que les coupables soient jamais retrouvés.
Puissance économique émergente, productrice de quelques-uns des cafés les plus délicats de la planète, la Colombie, avec un territoire grand comme deux fois la France et peuplé d’environ 50 millions d’habitants, est désormais la troisième puissance économique du subcontinent, après le Brésil et l’Argentine. Elle figure à présent dans le top 20 des pays producteurs de pétrole : sans doute cet aspect de la question n’est-il pas en l’occurrence tout à fait secondaire…
Dans le même temps, le pays est confronté à des enjeux majeurs d’éducation, étant donné la jeunesse de sa population. Il doit également se consacrer à la valorisation des régions rurales, au développement de ses activités industrielles et économiques, ou encore à la lutte contre le sous-emploi et l’emploi informel. Nous devons l’aider à relever tous ces défis.
On observe dès lors que la convention fiscale dont il nous est aujourd’hui donné de débattre ne constitue que l’un des aspects de la situation. Bien sûr, elle correspond en bien des points aux règles fixées par l’OCDE en matière de coopération fiscale. Mais elle ne va manifestement pas assez loin dans le sens d’une plus grande transparence du travail à accomplir, en commun, par nos deux administrations fiscales.
Il est évident que ce texte se préoccupe fondamentalement des revenus de capitaux et du patrimoine, dans le droit fil de la loi n° 1739 de 2014, qui a modifié une bonne partie des règles fiscales en vigueur en Colombie en faveur des investissements privés nationaux comme étrangers.
Il est pourtant acquis, pour ce qui nous concerne, que la durabilité du développement de ce nouveau grand État d’Amérique du Sud ne pourra répondre aux défis qui l’attendent que dans le cadre d’une large socialisation des solutions apportées aux besoins immenses d’une population exprimant de fortes attentes. Or la lutte contre la fraude fiscale compte au nombre des enjeux soulevés dans ce cadre, pour notre partie comme pour la partie colombienne.
Dans l’attente, au regard des exigences du moment et des orientations mêmes de la coopération fiscale internationale menée ces derniers temps, nous ne pouvons que nous abstenir sur ce texte.
M. Michel Billout. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui vient à point. Est-ce un hasard du calendrier ?
Mme Nathalie Goulet. Évidemment ! (Sourires.)
M. Richard Yung. Lundi dernier, après cinquante-deux ans d’un terrible conflit armé, un accord de paix historique a été signé entre le gouvernement de Colombie et la guérilla des FARC. Nous espérons tous que, lors du référendum de dimanche prochain, une très large majorité du peuple colombien se prononcera pour la ratification de cet accord. Cette étape essentielle vers la paix permettra d’agir sur cette face obscure de la Colombie que M. Foucaud a indiquée : le trafic de drogue, la violence et la corruption.
Toutefois, le débat d’aujourd’hui porte essentiellement sur l’économie. À cet égard, il faut observer que cette paix va créer un climat favorable aux investissements, en particulier aux investissements étrangers. Il faut s’en réjouir, car la Colombie offre de nombreuses opportunités d’investissement.
La France est déjà présente en Colombie, qu’il s’agisse du secteur pétrolier, de la grande distribution – M. le rapporteur a rappelé que, à travers le groupe Casino, elle était le premier employeur du pays –, des hôtels, du bâtiment et des travaux publics, avec Vinci, ou encore des assurances, avec Axa. Au total, les entreprises françaises comptent 150 filiales en Colombie.
De son côté, la Colombie va diversifier son économie et améliorer ses infrastructures. Ce faisant, elle va ouvrir de nouvelles possibilités d’investissement.
Forte d’un marché significatif – elle compte près de 50 millions d’habitants –, elle dispose d’un PIB de 250 milliards de dollars : on mesure ainsi l’importance de ce pays, qui constitue la troisième puissance économique d’Amérique du Sud.
Malgré l’absence de convention fiscale, nos intérêts économiques en Colombie, je le répète, sont déjà importants. Les échanges commerciaux bilatéraux ont triplé entre 2004 et 2013. Depuis 2006, notre pays enregistre en Colombie un excédent commercial élevé – nous en avons bien besoin ! –, qui s’établit à 620 millions d’euros par an. Au demeurant, la France est l’un des premiers investisseurs étrangers en Colombie.
Au mois de janvier 2015, François Hollande a signé avec son homologue colombien, M. Santos, une convention bilatérale destinée à développer les relations économiques et à créer un comité stratégique franco-colombien.
L’accord qui est aujourd’hui soumis à notre examen est une preuve supplémentaire des liens étroits noués, en la matière, par nos deux pays. Il offrira un cadre juridique propice au développement des investissements français en Colombie. Il constitue donc un précieux complément de l’accord franco-colombien sur la protection des investissements.
L’entrée en vigueur de ce nouvel accord fera gagner du temps et de l’argent aux investisseurs français. Ces derniers ne subiront plus le prélèvement à la source de 33 %, que le fisc colombien applique aux dividendes, intérêts et redevances. De plus, ils ne courront plus le risque d’une double imposition. Enfin, comme M. Doligé l’a relevé, ils n’auront plus à transiter par l’Espagne pour réaliser leurs investissements en Colombie. Cette procédure peu claire, pour ne pas dire kafkaïenne, va prendre fin, et nous nous en réjouissons.
Parallèlement, la présente convention couvre largement le sujet de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. À ce titre, elle comporte des dispositions très complètes, qui permettront d’éviter le détournement des avantages offerts par son intermédiaire.
Le dispositif relatif à l’échange de renseignements est encore plus exigeant que le Base Erosion and Profit Shifting, le fameux BEPS élaboré par l’OCDE. Il ouvre la voie à l’échange automatique d’informations : c’est précisément la solution que nous recherchons, étant donné qu’elle évite de perdre du temps par suite de discussions inutiles ou d’éventuels mouvements de mauvaise volonté.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Richard Yung. Tant que ce dispositif ne sera pas entré en vigueur, il conviendra sans doute de veiller à ce que les autorités fiscales colombiennes fassent preuve de rapidité et d’exactitude dans la transmission des données, problème que nous connaissons avec d’autres pays moins lointains que la Colombie. Je n’en dirai pas davantage ; les membres de la commission des finances en ont débattu ce matin même, en auditionnant M. Moscovici…
En outre, je souligne le fait que les renseignements échangés pourront être utilisés à des fins autres que fiscales, en particulier pour renforcer la lutte contre le narcotrafic.
Au surplus, en tant que sénateur des Français établis hors de France, je note avec satisfaction que cette convention fiscale simplifiera la vie de nos concitoyens établis en Colombie. Leur nombre, qui avoisine aujourd’hui les 5 500, est en constante augmentation. À l’avenir, les intéressés pourront résoudre beaucoup plus facilement les questions fiscales qui leur sont posées.
Enfin, les pensions du secteur privé seront désormais imposées au lieu d’habitation. Quant aux subsides reçus de l’étranger par les étudiants, les apprentis, les stagiaires et les volontaires internationaux en entreprise, les VIE, ils bénéficieront d’une exonération dans l’État où ceux-ci séjournent. Ces dispositions sont elles aussi très positives.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous considérons que cette convention est un très bon texte. Bien entendu, nous la soutiendrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ainsi que cela a été rappelé, nous examinons cette première convention fiscale de l’histoire des relations entre la France et la Colombie à quelques jours seulement d’un scrutin historique qui pourrait mettre un terme à cinquante-deux ans d’une guerre civile atroce dans ce pays.
Si, comme c’est attendu et comme nous l’espérons, le camp de la paix l’emporte dimanche prochain, le pays sera rapidement confronté à des choix cruciaux concernant son avenir et son développement.
L’exceptionnelle richesse de son sous-sol, que plusieurs intervenants ont évoquée, suscite bien des convoitises, qu’une nouvelle stabilité politique pourrait encore attiser.
Après des décennies de chaos dont la société colombienne sort profondément inégalitaire et gangrenée par la corruption et la criminalité, le gouvernement colombien pourrait être tenté de chercher un profit immédiat dans une exploitation minière débridée.
On sait peu que la Colombie est aujourd’hui le deuxième pays au monde en matière de richesse de la biodiversité et le troisième pays au monde dans le palmarès des assassinats de militants écologistes et de défenseurs de l’environnement.
Il ne faudrait pas que la convention dont il est question favorise, demain, le saccage par des sociétés extractives françaises de l’environnement de peuples autochtones à peine libérés de la guérilla. Ce n’est, certes, pas pleinement rassurant, mais l’on peut considérer, à cet égard, que l’absence d’une telle convention n’apporterait pas davantage de garanties. Il est déjà possible pour nos multinationales d’œuvrer en Colombie par le truchement de filiales espagnoles.
La présente convention apporte donc à des relations commerciales déjà possibles un cadre juridique plus sûr.
En matière de prospection et d’extraction minières, la convention instaure une définition particulièrement large de l’établissement stable qui conserve au pays qui en est le siège – en l’occurrence, la Colombie – la faculté d’imposer ses activités.
Là encore, si ce dispositif n’apporte pas la garantie d’un développement à venir harmonieux pour la Colombie, il est évidemment positif que l’État propriétaire des ressources bénéficie de l’imposition de l’exploitant.
Pour le reste, ce texte comprend un bon arsenal contre les abus en matière de fraude et d’évasion fiscales. Quant au mécanisme de coopération entre administrations fiscales, il est conforme aux derniers standards de l’OCDE.
Le Forum mondial de l’OCDE a en outre jugé que la Colombie, laquelle est moins un paradis fiscal qu’une victime de l’évasion, satisfaisait ses critères.
Pour toutes ces raisons, avec ses craintes et ses espoirs pour le futur de la Colombie, le groupe écologiste votera en faveur de cette convention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder le fond de cet accord, je tiens à saluer le tournant historique qui a lieu en Colombie. L’accord de paix conclu le 23 juin dernier à La Havane entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et le chef des FARC est effectivement le premier accord en ce sens depuis le début de la guerre civile, voilà plus d’un demi-siècle.
C’est une page longue et douloureuse qui se tourne enfin dans la patrie de l’écrivain et prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez. Les ennemis d’hier ont rendu les armes et semblent prêts à écrire un nouveau chapitre de l’histoire de la Colombie, animés par la volonté de construire un avenir meilleur.
Les défis auxquels la Colombie est confrontée sont immenses.
Le premier d’entre eux est la lutte contre les inégalités sociales et foncières, qui restent parmi les plus élevées au monde.
Le second défi, après avoir mis fin à la guerre, est, comme aurait dit Clemenceau, de « gagner la paix ». Comme à Cuba, il sera intéressant de suivre l’évolution politique de la Colombie dans les prochaines années.
Enfin, dans ce pays grand comme deux fois la France, mais quatre fois moins riche, le développement économique et la lutte contre le narcotrafic restent des priorités.
Pour cela, la Colombie peut compter sur d’abondantes richesses naturelles et sur une certaine résilience face à la baisse des cours du pétrole, à la différence de son voisin vénézuélien.
La convention en vue d’éviter les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales qu’il nous est proposé d’approuver aujourd’hui va de pair avec l’accord sur la protection des investissements ratifié cet été. Très attendue par les contribuables des deux pays et par les entreprises françaises, elle permettra de disposer d’un cadre juridique clair et stable, le premier du genre entre la France et la Colombie.
Elle évite les risques de double imposition en définissant la résidence fiscale et en répartissant précisément les droits d’imposer entre les deux pays.
Elle prévoit également un régime favorable à l’investissement des entreprises françaises en Colombie, en conformité avec les règles de l’OCDE, tout en préservant les prérogatives de l’État colombien pour l’imposition des activités extractives.
En outre, la France et la Colombie sont toutes deux engagées dans la lutte contre la fraude fiscale. Cela se traduit par l’adoption de nombreuses clauses anti-abus et par la mise en place de l’échange automatique de données à l’horizon 2017-2018.
Cet accord s’inscrit dans la logique des politiques ambitieuses menées depuis plusieurs années pour lutter contre la fraude fiscale. Espérons qu’il sera bientôt suivi d’accords similaires conclus avec d’autres pays avec lesquels la France n’a pas encore signé de convention fiscale.
Sans surprise, mes collègues du groupe du RDSE et moi-même voterons en faveur de la ratification de cette convention, et souhaitons qu’elle entre en vigueur le plus tôt possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Les membres du groupe UDI-UC s’abstiendront sur cette convention.
Nous avons pris note de toutes les avancées que celle-ci contient, y compris le fait que, sur un plan formel, elle représente le texte le plus abouti issu des modèles de l’OCDE.
Pourtant, il y a un « mais » : dans cette convention, rien ne concerne le blanchiment d’argent lié au trafic de stupéfiants. Or la Colombie n’est pas un pays comme les autres. L’autoroute du dixième parallèle relie l’Amérique du Sud et l’Afrique de l’Ouest, et le trafic de drogue alimente le terrorisme.
Le trafic de cocaïne représente ainsi 1,5 milliard d’euros par an et Al-Qaïda au Maghreb islamique, ou AQMI, est responsable de 30 % du trafic de drogue à destination de l’Europe. En travaillant sur les réseaux terroristes, nous avons trouvé des financements provenant d’Amérique du Sud au bénéfice d’AQMI au Sinaï. Il ne s’agit donc pas d’un détail.
J’ai relevé, comme les intervenants qui m’ont précédée, tous les points positifs de cette convention, ainsi que la nécessité de soutenir l’évolution de la Colombie, de défendre nos investisseurs et d’éviter la tricherie consistant à passer par l’Espagne.
Néanmoins, je le répète, mon groupe s’abstiendra en attendant un mémorandum complétant ce dispositif. Le problème du blanchiment est aujourd’hui extrêmement important. Il est lié aux questions de sécurité et de terrorisme.
Cette position n’emporte pas, bien évidemment, une opposition, qui serait déraisonnable, à cette convention, laquelle constitue une avancée qu’il faut soutenir. Le groupe UDI-UC souhaite toutefois montrer son hésitation concernant les dispositions relatives au blanchiment.
Nous nous sommes exprimés dans le cadre de la commission des affaires étrangères, et nous nous en tenons à l’abstention.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Le présent projet de loi vise à approuver un accord bilatéral conclu entre la France et la Colombie le 25 juin 2015.
Son examen par notre parlement intervient à un moment particulier pour les relations entre nos deux pays, puisque la Colombie est en train de tourner une page de son histoire. Le hasard du calendrier veut en effet que, voilà trois jours, après cinquante-deux ans de combats, plus de 260 000 morts, 45 000 disparus et 6,9 millions de déplacés, un accord de paix historique a été signé entre la guérilla des FARC et le gouvernement colombien. L’Union européenne a aussitôt décidé de retirer les FARC de sa liste des organisations terroristes.
Si la paix n’est pas encore achevée, la guérilla de l’Armée de libération nationale, l’ELN, étant toujours active avec ses 1 500 combattants, un pas immense vers la stabilisation du pays a toutefois été réalisé, les FARC, dix fois plus nombreux que l’ELN, constituant jusqu’alors le plus gros facteur de déstabilisation.
Ce fait ouvre la voie à une intensification de l’implantation de nos entreprises et de nos concitoyens en Colombie, qui est le pays d’Amérique latine dans lequel nous exportons déjà le plus, après le Brésil. Plus largement, c’est le troisième pays au monde dans lequel nos exportations ont le plus augmenté depuis 2005.
De nombreuses entreprises françaises y sont déjà installées. La grande distribution, Renault, Accor, par exemple, y est très bien implantée.
Il est fort à parier qu’il va constituer un nouvel eldorado offrant de grandes opportunités économiques pour de jeunes entrepreneurs français désireux de tenter l’aventure.
Dans ce contexte très favorable, l’approbation de la convention en cause est essentielle, car elle va permettre d’éviter les doubles impositions pour nos sociétés et pour nos compatriotes souhaitant s’installer et investir en Colombie. Côté français, sont concernés l’impôt sur le revenu, l’ISF, la CRDS, la CSG et l’impôt sur les sociétés.
Cette approbation facilitera également les investissements colombiens en France.
Le présent projet de loi vient en effet compléter celui que le Sénat a déjà adopté au mois de mai dernier approuvant un accord de 2014 entre la France et la Colombie sur la protection des investissements. Ces deux textes font d’ailleurs l’objet d’un examen commun à l’Assemblée nationale.
La convention fiscale que nous examinons aujourd’hui est d’autant plus importante qu’elle est le résultat de longues négociations entamées en 2009 et qu’elle constitue une première en termes d’accord fiscal entre la France et la Colombie.
Par ailleurs, elle a également pour objet de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. C’est un sujet très important, sur lequel le Sénat a beaucoup travaillé. En 2012, j’ai eu ainsi l’honneur de présider …
Mme Nathalie Goulet. Excellemment !
M. Philippe Dominati. … la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, dont le rapporteur était notre collègue Éric Bocquet.
Mme Nathalie Goulet. C’était une magnifique commission d’enquête !
M. Philippe Dominati. La présente convention fiscale a été signée quelques mois après la conclusion de l’accord multilatéral signé le 29 octobre 2014 à Berlin, engageant aujourd’hui quatre-vingt-quatre États, dont la France et la Colombie. Cet accord prévoit, à partir de 2017, un échange multilatéral automatique d’informations bancaires, afin de lutter contre la fraude fiscale. La France et la Colombie feront partie de la première vague à le mettre en œuvre, dès le mois de septembre 2017.
D’ici là, cette convention de coopération administrative bilatérale d’échange d’informations constitue une première étape très utile, d’autant plus qu’elle est plus exigeante que ce que requiert le standard actuel de l’OCDE. La France et la Colombie seront en effet soumises à une obligation de garantir la disponibilité de l’information et la capacité de leurs administrations à y accéder et à la transmettre.
Cette convention constitue donc un premier pas dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales en Colombie, pas qui deviendra décisif quand l’échange sera non plus seulement à la demande, mais automatique.
L’absence d’automaticité des échanges, du fait de la réticence de nombreux États, a effectivement entravé une réelle efficacité pour déceler les comptes bancaires de Français dans des pays étrangers où ils ne sont pas résidents. Mais la loi américaine de 2010, dite « FATCA », a progressivement changé la donne en poussant plusieurs pays européens, puis les pays du G20, à se mobiliser en faveur de l’échange automatique et à élaborer une norme commune de déclaration, sous l’égide de l’OCDE.
L’accord multilatéral du 29 octobre 2014 va permettre la mise en œuvre de cette nouvelle norme mondiale à partir de 2017. Cela représentera une grande avancée, au regard du montant très important de la fraude fiscale pour notre pays que notre commission d’enquête avait chiffrée en 2012 à un minimum de 35 milliards d’euros par an.
Pour toutes ces raisons, conformément à la position de la commission des finances et de notre rapporteur, Éric Doligé, dont je tiens à saluer la qualité du rapport, je voterai, ainsi que l’ensemble du groupe Les Républicains, en faveur de ce projet de loi, qui permettra à la fois de développer nos échanges économiques et commerciaux avec la troisième puissance de l’Amérique latine et d’engager une première étape dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales en Colombie et en France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi.
projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune
Article unique
Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole), signée à Bogota le 25 juin 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur. Je souhaite répondre aux propos tenus par Nathalie Goulet quand elle a exposé la position, tout à fait compréhensible, d’abstention de son groupe, liée au fait que la convention fiscale ne serait pas assez engagée en matière de lutte contre le blanchiment.
Je me permets de vous rappeler, ma chère collègue, que le blanchiment, en l’occurrence concernant les produits que vous avez signalés, relève non pas des conventions fiscales, lesquelles traitent d’autres sujets, mais du GAFI, le groupe d’action financière internationale. Ce sont deux choses bien différentes.
En revanche, à l’article 10 de la convention fiscale est précisée la notion de « bénéficiaire effectif » qui permet indirectement de lutter contre le blanchiment en démasquant les prête-noms et les sociétés-écrans.
Comme toutes les conventions fiscales, ce texte n’a pas pour objet de lutter contre le blanchiment, un sujet qui se traite dans un autre cadre, mais elle contient des éléments susceptibles de clarifier des mouvements financiers et probablement de débusquer un certain nombre d’actions de blanchiment.
Je souhaitais apporter cette précision de manière qu’il n’y ait pas de confusion entre conventions fiscales et GAFI.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de vos explications, lesquelles n’avaient pas été fournies lors de la réunion de la commission des affaires étrangères. C’est la raison pour laquelle mon groupe s’était abstenu, et il ne m’appartient pas de revenir sur cette position. Pourtant, vos observations auraient sans doute influencé notre vote.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur. Vos collègues du groupe UDI-UC en commission des finances avaient bien compris cette notion particulière et s’étaient prononcés favorablement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
6
Croix-Rouge française
Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’exercice par la Croix-Rouge française de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux (proposition n° 693, texte de la commission n° 842, rapport n° 841).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Juliette Méadel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’aide aux victimes. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, qui est actuellement en déplacement dans les Antilles et en Guyane.
L’examen de cette proposition de loi relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux me donne l’occasion de remercier une nouvelle fois, devant la représentation nationale, les 57 000 bénévoles et 18 000 salariés de la Croix-Rouge française, ainsi que l’ensemble des forces de secours, de leur engagement exemplaire aux côtés des victimes, comme j’ai pu le constater dès les premières heures après l’attentat survenu à Nice le 14 juillet dernier. Je l’ai rappelé, avant-hier encore, à son président, Jean Jacques Eledjam, lors de notre entretien au secrétariat d’État chargé de l’aide aux victimes.
Je tiens également à saluer l’action de la Croix-Rouge en faveur de la formation des Françaises et des Français aux gestes qui sauvent sur l’ensemble du territoire. Dans le contexte actuel de menace terroriste importante, faire de chaque citoyen un acteur de sa propre sécurité et de celle des autres est un témoignage précieux de fraternité et de solidarité.
À l’instar des modules de sensibilisation proposés depuis cette rentrée dans les établissements scolaires, je souhaite, et je travaille en ce sens avec l’ensemble du Gouvernement, que des initiatives semblables puissent être prises dans les entreprises et les administrations.
Si les missions de secourisme de la Croix-Rouge française sont bien connues du grand public, celle du rétablissement des liens familiaux est plus confidentielle, plus subtile, mais pourtant essentielle.
Cette tâche délicate, qui consiste, je le rappelle, à réunifier les membres d’une famille séparés par un conflit, une catastrophe naturelle ou une crise humanitaire, est assurée par la Croix-Rouge depuis 1949.
Au mois d’avril dernier, la directrice générale de celle-ci, Annie Burlot-Bourdil, a attiré l’attention du Gouvernement sur les difficultés auxquelles la Croix-Rouge est régulièrement confrontée en raison de l’état du droit, l’empêchant d’accéder à certaines informations détenues par l’administration sur des personnes recherchées par leurs proches. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de soutenir la proposition de loi de la députée Françoise Dumas que nous examinons aujourd’hui.
En réalité, cette proposition de loi n’est rien moins que la concrétisation d’un engagement pris, voilà deux ans, par le Président de la République lui-même.
Le texte répond ainsi pleinement aux attentes légitimes de la Croix-Rouge française tout en garantissant le strict respect de la vie privée et du droit à l’oubli des personnes recherchées.
Je rappelle que, l’année dernière, 562 demandes de recherche ont été traitées par la Croix-Rouge française et 23 familles ont pu être réunies grâce au travail de longue haleine de l’ensemble des salariés et bénévoles du Comité international de la Croix-Rouge.
Bien que les deux tiers de ces demandes concernent des personnes séparées pendant la Seconde Guerre mondiale, les nombreux conflits et catastrophes humanitaires qui affectent aujourd’hui le monde, et la France en particulier, notamment ces drames terribles qui se produisent aux frontières extérieures de l’Europe, confèrent à la mission de rétablissement des liens familiaux une importance considérable. Je pense bien sûr à la crise migratoire sans précédent – la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale – qui frappe la zone euro-méditerranéenne et qui nous concerne tous directement.
Nous-mêmes, nous accueillons sur notre sol des populations, des femmes, des hommes, souvent accompagnés de leurs enfants, qui ont bravé tous les dangers pour fuir la guerre, la dictature, la barbarie, les persécutions qui ravagent leur pays natal.
Dans les Balkans ou en Méditerranée, ils empruntent alors le long et terrible chemin de l’exode vers ce qu’ils espèrent être une vie meilleure, vers la paix et vers la sécurité. L’année dernière, dans ce contexte, plus d’un million de personnes sont arrivées sur le territoire de l’Union européenne. Et, au cours de la même période, environ 3 700 migrants ont trouvé la mort en tentant de traverser la Méditerranée. Bien des familles ont été meurtries, brisées, déchirées sur les routes de l’exil. Certaines d’entre elles sont en deuil, d’autres espèrent encore.
Face à ces drames, notre responsabilité absolue – celle que le droit international nous confère, mais aussi notre responsabilité éthique, morale et politique – est de tout faire, dès lors qu’il y a encore de l’espoir, pour donner une chance à ces familles qui ont tout perdu, ou presque, de se retrouver de nouveau, de se réunir pour traverser ces épreuves.
Cela suppose de donner à la Croix-Rouge française, dont chacun connaît le sérieux, le professionnalisme et la crédibilité, les moyens nécessaires à l’accomplissement de cette mission. C’est ce que nous sommes en train de faire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte soumis à votre examen introduit trois dérogations dans le droit existant pour permettre à la Croix-Rouge française, dans sa mission de rétablissement des liens familiaux, d’obtenir, pour déterminer le sort de la personne recherchée, toutes les informations indispensables de la part des administrations d’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics administratifs, des organismes de sécurité sociale et des organismes qui assurent la gestion des prestations sociales.
Il appartient dès lors à ces organisations, sous le contrôle de la Commission d’accès aux documents administratifs, d’apprécier le caractère indispensable des informations demandées, ce qui introduit une certaine souplesse dans le dispositif pour éviter les demandes superflues ou celles qui excèdent les limites de la mission de rétablissement des liens familiaux.
La Croix-Rouge française pourra également obtenir communication des copies intégrales et extraits d’actes de l’état civil, et vérifier l’inscription d’une personne sur les listes électorales.
En outre, l’article 4 de la proposition de loi rappelle les principes déjà appliqués par la Croix-Rouge française dans le traitement du rétablissement des liens familiaux, à savoir le consentement écrit préalable de toute personne retrouvée avant communication de ses coordonnées aux membres de la famille qui la recherchent.
Je veux, pour terminer, remercier le Sénat, plus particulièrement la rapporteur, Marie Mercier, des améliorations apportées au texte en commission. Lorsque la cause est noble, les forces républicaines savent se rassembler pour faire aboutir les projets d’intérêt général. C’est ce qui explique que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 15 juin dernier, et c’est la raison pour laquelle sans doute en sera-t-il de même au Sénat. Je l’espère en tout cas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la secrétaire d’État, vous avez dressé un tableau particulièrement complet des actions de la Croix-Rouge.
Chacun dans cette enceinte connaît le rôle de la Croix-Rouge française. Présente dans 190 pays à travers le monde, celle-ci exerce des missions bien connues de secours, de solidarité, de santé, ou encore de formation de secouristes.
La Croix-Rouge est une association, même si elle rassemble de très nombreux bénévoles et salariés et que son budget dépasse 1 milliard d’euros. Elle a donc besoin d’un cadre légal spécifique pour mener à bien cette mission, qui nous occupe aujourd’hui, de rétablissement des liens familiaux rompus de façon brutale à l’occasion d’un conflit armé, d’un drame humanitaire ou d’une catastrophe naturelle, afin de réunir ces familles brisées.
Afin que la Croix-Rouge puisse se procurer différents documents administratifs ou obtenir l’accès aux listes électorales, il faut définir ce cadre, tout en respectant une certaine confidentialité. C’est pourquoi seuls les salariés de la Croix-Rouge auront accès aux documents concernés. Les bénévoles n’apporteront qu’une aide à la saisie des informations.
La Croix-Rouge française est fidèle à des principes de neutralité et d’humanité. J’espère donc que le Sénat votera cette proposition de loi, qui l’aidera à mener à bien cette mission.
Ma collègue de l’Assemblée nationale Françoise Dumas et moi-même avons travaillé ce texte, qui a fait l’objet de légers ajustements lors de son examen par la commission des lois. La possibilité de consulter les listes électorales consulaires a ainsi été ajoutée, et les modalités de son application outre-mer ont été définies.
Je forme le vœu que la présente proposition de loi ainsi modifiée soit adoptée avec l’unanimité qui convient à son sujet. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce jour pour examiner la proposition de loi relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux.
Ce texte, adopté à l’unanimité par Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, vise à donner à une institution reconnue les outils nécessaires à la réalisation d’une de ses missions.
La Croix-Rouge française est une association remarquable à plusieurs égards.
Branche française du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, elle a été fondée en 1864 et reconnue d’utilité publique en 1945. Elle est aujourd’hui la première association française. Elle mobilise des effectifs considérables : plus de 50 000 bénévoles et 18 000 salariés. Son maillage territorial est impressionnant, avec 800 groupes locaux, 600 établissements et près d’une centaine de délégations départementales.
Ces moyens lui permettent de mener une action exceptionnelle sur notre territoire, mais aussi à l’étranger, puisqu’elle agit également dans plus de 35 pays.
S’il fallait encore convaincre de l’importance de cette organisation, je citerais simplement quelques chiffres. La Croix-Rouge française, c’est 1 500 000 personnes accueillies et accompagnées ; c’est 55 millions de repas distribués ; c’est un million de personnes formées ou initiées aux premiers secours ; c’est 2 444 000 personnes aidées à l’international.
L’action menée par la Croix-Rouge française pour prévenir et apaiser les souffrances humaines sans aucune discrimination s’articule autour de cinq pôles : l’urgence et le secourisme, l’action sociale, la santé, la formation et la solidarité internationale.
Ainsi, la Croix-Rouge française s’engage notamment à apporter son aide lors des calamités publiques, à diffuser les principes fondamentaux du mouvement et du droit international humanitaire et à exercer une mission de rétablissement des liens familiaux. C’est cette dernière mission, qui n’est peut-être pas la plus connue, mais qui est essentielle, qui nous occupe aujourd’hui.
Elle consiste à maintenir ou à rétablir les liens entre les membres d’une famille et à faire la lumière sur le sort des personnes portées disparues lorsqu’un conflit, une catastrophe naturelle ou d’origine humaine ou toute autre situation ayant une incidence sur le plan humanitaire vient rompre les liens familiaux.
Consacrée par les conventions de Genève de 1949 et par leurs protocoles additionnels, cette mission s’organise autour de quatre activités : rechercher les membres de la famille ; appuyer la démarche de réunification familiale lorsque la Croix-Rouge a retrouvé les proches ; transmettre des nouvelles familiales lorsque tous les autres moyens de communication sont bloqués ou inaccessibles ; enfin, assurer la délivrance de certains documents par le Comité international de la Croix-Rouge, pour faire valoir des droits.
Cette mission essentielle menée par la Croix-Rouge française – madame la secrétaire d'État, vous avez rappelé que quelque 500 dossiers avaient été traités à ce titre l’année dernière – rencontre cependant aujourd’hui deux difficultés essentielles.
La première tient au fait que, depuis deux ans, un nombre croissant de personnes ont dû quitter leur pays pour des raisons humanitaires et ont été séparées de leur famille. Ce fut tout particulièrement le cas en Syrie, en Ukraine, en République démocratique du Congo ou encore en Guinée.
La seconde difficulté est que, jusqu’en 2013, l’État, via les préfectures, participait à cette mission de rétablissement des liens familiaux dans le cadre des recherches dans l’intérêt des familles. Créé à la fin de la Première Guerre mondiale, ce dispositif mettait les outils de la puissance publique au service de particuliers recherchant un membre de leur famille disparu. Malheureusement tombé en désuétude, ce dispositif a fini par être abrogé. La Croix-Rouge est donc aujourd’hui le seul organisme qui mène cette mission de rétablissement des liens familiaux.
Or elle ne dispose d’aucun accès facilité aux données de l’administration et se voit parfois opposer par cette dernière une fin de non-recevoir à ses demandes. Il fallait remédier rapidement à cette situation. C’est l’ambition de cette proposition de loi, qui vise à donner à la Croix-Rouge un accès privilégié à certaines informations détenues par les administrations.
Il faut le rappeler, cette proposition de loi concrétise un engagement de François Hollande. Le Président de la République avait en effet précisé lors du 150e anniversaire de la Croix-Rouge, il y a deux ans, qu’il était soucieux de formaliser par la loi le mandat de la Croix-Rouge française en matière de rétablissement des liens familiaux et de diffusion du droit international humanitaire.
Cet engagement présidentiel s’est vu concrétiser par une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen. Leur initiative doit être saluée, et ce d’autant plus que leur proposition de loi a su faire consensus, au point d’obtenir, le 15 juin dernier, un vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Je ne doute pas que tel sera également le cas aujourd'hui au Sénat.
Le texte transmis au Sénat introduit trois dérogations au droit actuel, afin que la Croix-Rouge puisse accéder à certaines données de l’administration dans le cadre de sa mission.
La première dérogation permettra à la Croix-Rouge d’obtenir auprès des administrations de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs, des organismes de sécurité sociale et des organismes qui assurent la gestion des prestations sociales, sur demande écrite et motivée, communication des informations relatives à la personne recherchée figurant dans un document administratif ou dans un traitement de données à caractère personnel, dans la mesure où ces informations sont indispensables à la détermination du sort de la personne recherchée sur le territoire national.
Cette dérogation se fera sous le contrôle de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, et il appartiendra aux organismes de décider si les informations demandées sont indispensables à la mission de rétablissement des liens familiaux.
La deuxième dérogation permettra à la Croix-Rouge française de demander directement aux officiers de l’état civil les copies intégrales et extraits des actes dont ils sont dépositaires.
Enfin, la troisième dérogation offrira à la Croix-Rouge française la possibilité de saisir le représentant de l’État dans le département ou le ministre des affaires étrangères, afin de vérifier si une personne est inscrite ou non sur les listes électorales.
Au-delà de ces dérogations techniques, la proposition de loi rappelle le principe d’action de la Croix-Rouge française en matière de rétablissement des liens familiaux, qui impose l’accord écrit, sauf en cas de décès, de la personne intéressée, avant de communiquer les informations recueillies à des tiers.
Pour être parfaitement complet, il doit également être précisé que la commission des lois du Sénat a judicieusement enrichi le texte qui lui avait été transmis, en le rendant applicable aux collectivités d’outre-mer et en ouvrant la possibilité d’accéder aux listes consulaires.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Grâce à Mme Mercier !
M. Philippe Kaltenbach. J’allais y venir, monsieur le président. Je tiens effectivement à féliciter notre excellente rapporteur, qui a fait un travail remarquable.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. En tout point !
M. Philippe Kaltenbach. Pour conclure, la mission humanitaire exercée par la Croix-Rouge française et l’actuelle crise migratoire, dont l’ampleur a été rappelée par Mme la secrétaire d'État, justifient pleinement les dérogations accordées à la Croix-Rouge française. Celles-ci se justifient, en outre, par le sérieux et la qualité du travail de l’organisation. Le choix de confier à la Croix-Rouge française un accès facilité à certaines données de l’administration n’est donc en rien hasardeux. C’est d’ailleurs ce qui explique que l’Allemagne et le Royaume-Uni ont adopté des législations allant dans le même sens.
La présente proposition de loi renvoie directement à une exigence morale : aider des personnes en difficulté à rétablir leurs liens familiaux. Cette exigence humaniste caractérise notre pays et notre République. Cet humanisme, il faut le faire vivre plus que jamais dans un contexte international troublé, et alors que nous sommes confrontés à un nombre croissant de réfugiés.
Avec cette proposition de loi, nous aidons la Croix-Rouge française dans sa mission, nous envoyons le message que nous sommes au côté des familles déchirées par des événements tragiques, nous respectons nos engagements internationaux, à savoir les quatre conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977, nous nous inscrivons dans la longue tradition humaniste de la France et nous respectons l’engagement pris par le Président de la République lors du 150e anniversaire de la Croix-Rouge.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe socialiste et républicain voteront ce texte des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi des députés Bruno Le Roux et Françoise Dumas, relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux.
L’objectif de cette proposition de loi est simple : il s’agit d’aider des familles installées en France ou à l’étranger à retrouver, par l’intermédiaire du mouvement international de la Croix-Rouge, des proches dont elles ont été séparées dans des situations violentes ou traumatiques : sont ici visées les situations de guerre, de conflit armé, d’attentat, de catastrophe naturelle ou humanitaire.
En revanche, les recherches de personnes disparues dans des conditions suspectes, les recherches généalogiques ou celles qui résultent d’une procédure d’adoption, pour lesquelles les services de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge ne sauraient être compétents, sont exclues.
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale prévoyait, tout d’abord, de déroger à l’une des dispositions du code des relations entre le public et l’administration, pour permettre à la Croix-Rouge française d’obtenir communication de certains documents administratifs ou traitements de données ; ensuite, d’autoriser la Croix-Rouge française à demander directement aux officiers d’état civil les copies intégrales et extraits d’actes d’état civil d’une personne recherchée ; enfin, d’autoriser la Croix-Rouge française à saisir le représentant de l’État afin de vérifier l’inscription ou non d’une personne sur les listes électorales.
Les conditions dans lesquelles les informations recueillies par la Croix-Rouge française dans le cadre de sa mission de rétablissement des liens familiaux peuvent être transmises ou non à des tiers étaient précisées à l’article 4 de la proposition de loi.
Notre commission des lois, sur l’initiative de sa rapporteur, Mme Mercier, a amendé le texte, afin d’actualiser les mesures de coordination et d’assurer son application dans les collectivités ultramarines.
Cette proposition de loi est sans aucun doute utile et nécessaire. Le large consensus dont elle fait l’objet en est la preuve, et le groupe écologiste lui apportera tout son soutien. Toutefois, derrière ces aspects techniques, se trouve la réalité tragique de la séparation des familles provoquée par les conflits armés, les catastrophes naturelles et les migrations.
« Vous pouvez vous mettre à l’abri pour échapper aux obus, mais comment ne pas souffrir quand vous n’avez aucune idée de ce qui est arrivé à votre fils ? » Ces mots de Mirvat, soixante-cinq ans, réfugiée au Liban, disent tout l’enjeu du rétablissement des liens familiaux. Ces mots nous rappellent que ceux que l’on ne qualifie plus que de « migrants » sont avant tout des êtres humains, des pères, des grands-mères, des enfants qui doivent fuir pour survivre.
Les témoignages que le Comité international de la Croix-Rouge et le Croissant Rouge recueillent sont édifiants. Malgré les conditions terribles dans lesquelles ils tentent de rejoindre l’Europe, la première urgence pour les réfugiés, lorsqu’ils sont à l’abri, est bien souvent d’avoir des nouvelles de leurs proches restés sur place.
Comme le souligne le Comité international de la Croix-Rouge, les familles des personnes portées disparues souffrent beaucoup de l’incertitude qui plane sur le sort de leurs proches, particulièrement lorsque ceux-ci ont disparu pendant un conflit armé ou dans un contexte de graves violences.
Ceux qui ne parviennent pas à rétablir le contact avec leurs proches disparus ou à savoir ce qu’il est advenu d’eux vivent dans un état d’incertitude émotionnelle, ignorant si leur parent, leur frère, leur sœur ou leur enfant est vivant ou mort. Même s’ils supposent qu’un membre de leur famille est décédé, le doute les empêche souvent de faire le deuil ou de reprendre leur propre vie tant qu’ils ne savent pas ce qui s’est passé.
C’est cette considération, que l’on retrouve aussi bien dans le droit international humanitaire que dans le droit international des droits de l’homme, qui préside au droit de connaître le sort de ses proches disparus.
En tant que législateur, nous avons le devoir d’adopter les dispositions utiles à la mise en œuvre de ce droit. Cette proposition de loi y contribuera sans aucun doute. En tant que femmes et hommes politiques, nous devrions toujours avoir en mémoire les malheurs engendrés par les conflits qui obligent à l’exil. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, il nous est demandé aujourd’hui de faciliter l’exercice de l’une des missions de la Croix-Rouge, à savoir le rétablissement des liens familiaux.
Ce n’est certes pas l’activité la plus connue de la première association française, mais qui, aujourd’hui, pourrait nier son importance ?
Nous abordons cette discussion alors que les conflits se multiplient dans le monde, au moment où la crise migratoire, au centre de nombreuses émotions et de fortes inquiétudes, ne peut se réduire à un sujet politique, car elle pose également un problème de conscience.
Prévue par les protocoles additionnels aux conventions de Genève du 12 août 1949, cette mission vise « à retrouver la trace, rétablir le contact entre les membres d’une famille, à appuyer les demandes de réunification familiale et à faire la lumière sur le sort des personnes portées disparues ».
Bien évidemment, il ne s’agit pas de recherches spécialisées, qui sont toujours assurées par les services de l’État, d’enquêtes relevant de la généalogie ou encore d’investigations sur des parents biologiques à la suite d’une adoption.
Concrètement, les quatre articles de cette courte proposition de loi concernent les trop nombreuses personnes qui, sur notre planète, sont séparées par des crises humanitaires, des conflits armés ou des catastrophes naturelles. Autant d’événements dramatiques à l’origine de ruptures du lien sacré de la famille, de ruptures brutales qui entraînent des situations d’isolement, d’abandon et d’exclusion.
Ces recherches nécessitent courage, attention et capacité d’écoute, autant de qualités et de compétences que la Croix-Rouge prodigue au quotidien, en apportant des soins et des secours aux victimes, en soulageant les souffrances de femmes, d’hommes et d’enfants frappés par un sort funeste.
En plus de cent cinquante ans, l’association fondée par Henri Dunant, déclarée d’intérêt public par décret impérial en 1866 et reconnue d’utilité publique il y a soixante-seize ans, s’est taillé une place particulière dans le cœur des Français.
Quoi de plus logique ? La Croix-Rouge, c’est bien sûr une vision du secours et de l’action, mais c’est aussi une force et une méthode qui ont su donner ses lettres de noblesse à l’idée humanitaire, désormais relayée par le travail de 189 sociétés nationales, regroupant cent millions de bénévoles, et récompensées par quatre prix Nobel.
Chez nous, cette force et cette méthode de la Croix-Rouge, ce sont plus de 900 délégations locales, 18 000 salariés et quelque 53 000 bénévoles. Ce réseau, ces compétences, cet engagement symbolisent un idéal de solidarité et de générosité, et c’est l’une des fiertés de notre République.
Comment ne pas saluer son président, Jean-Jacques Eledjam, qui contribue, avec ses équipes, à maintenir la grandeur de cette association, qui n’a rien d’une vieille dame et qui n’est pas, elle aussi, à l’abri des tensions et des remous ?
C’est dans un contexte troublé, en ces moments très difficiles que traverse notre pays, que nous abordons l’étude de cette proposition. Celle-ci concrétise un engagement du chef de l’État, pris il y a deux ans déjà, devant la 70e assemblée générale de la Croix-Rouge.
Au cours de ces deux années, le débat sur les frontières a rebondi sous la pression de la crise migratoire, nourrie par le tragique conflit syrien et la misère sur le continent africain. Cette situation préoccupante nous pousse à réfléchir aux valeurs qui nous rassemblent. Plus que jamais, nous mesurons combien les frontières, protectrices, sont aussi source de séparations et de déchirements. Ne l’oublions jamais et veillons à ne jamais le revivre.
Comment ne pas souligner que, depuis vingt-quatre mois, les services de la Croix-Rouge ont enregistré une augmentation de 50 % des demandes de rétablissement des liens familiaux, passant de 200 demandes lors des quatre premiers mois de 2015 à quelque 299 pour le premier trimestre 2016 ?
Grâce à ce texte, le travail de rétablissement des liens familiaux sera facilité, dans le strict respect des conditions dans lesquelles un tiers peut être informé du sort d’une personne recherchée. Ce choix, l’Allemagne l’a fait en 2001. Elle a été imitée par la Belgique il y a dix ans et par le Royaume-Uni en 2007.
Face à l’état d’urgence humanitaire auquel nous sommes confrontés, il était temps que nous nous mettions au diapason de ces pays, à contre-courant du mouvement de décomposition sournois – disons-le – de l’idéal européen que nous observons.
Je souligne également que ce travail de rétablissement des liens familiaux, strictement encadré, pallie l’abandon par l’État, depuis 2013, de la procédure de recherche dans l’intérêt des familles. C’est à cette date que ce que l’on appelait communément le service des « RIF », « Recherches dans l’intérêt des familles », dont l’origine remontait à la Première Guerre mondiale, a été dissous.
Certains avaient imaginé qu’il était envisageable de sous-traiter ces recherches à la sagacité d’internet, au motif que ce réseau offre d’intéressantes possibilités. Certes ! Il n’est certainement pas utile de chercher la polémique, car il faut également rappeler que ce service était surtout sollicité pour la recherche de pensions alimentaires…
Permettez-moi, avant de conclure, de faire part des interrogations de notre groupe sur l’absence de clarification dans cette proposition de loi quant au rapport entre le travail de la Croix-Rouge et celui qui relève des recherches concernant les demandeurs d’asile, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, pouvant être saisi à ce titre. Ne faudrait-il pas établir clairement les champs d’intervention de chacun, ce qui permettrait de prévenir toute tentation de désengagement des pouvoirs publics ?
Reconnaissons-le, grâce à ce texte, la tâche de la Croix-Rouge sera grandement facilitée. L’organisation bénéficiera d’un appui législatif favorisant des réponses que j’espère plus rapides à des demandes formulées dans l’inquiétude. Des familles dispersées garderont ainsi espoir et dignité. Le groupe du RDSE ne peut que s’en féliciter. Il votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Esther Benbassa et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la Croix-Rouge française est aujourd’hui la première association française, et cette proposition de loi tend à faciliter l’une de ses missions, à savoir le rétablissement des liens familiaux.
Cette proposition de loi vise à accorder à la Croix-Rouge française, par le biais de dérogations légales ciblées, un accès privilégié aux documents administratifs et aux traitements de données réalisés par l’administration. Elle prévoit des dérogations spécifiques en faveur de la Croix-Rouge, pour lui permettre d’accéder plus facilement à des données nominatives.
La Croix-Rouge est un acteur majeur, notamment lors de catastrophes naturelles et de situations d’urgence. Elle est également une interlocutrice privilégiée de l’État dans la mise en œuvre des politiques publiques dans le domaine de la santé et de l’action sociale.
La Croix-Rouge exerce en effet trois missions statutaires : elle apporte son aide dans toutes les calamités publiques et dans le domaine de la sécurité civile, elle diffuse le droit international humanitaire et elle participe au rétablissement des liens familiaux.
Chaque année, des milliers de familles sont victimes de conflits armés, de catastrophes naturelles, de crises humanitaires entraînant inévitablement des déplacements de population et des séparations.
C’est dans ce cadre que la Croix-Rouge se mobilise depuis 1949 pour rétablir et maintenir les liens entre les membres d’une même famille. Ce service français est un maillon de l’immense chaîne que forment les 189 Croix-Rouge à travers le monde. Entre elles, et pour toujours plus d’efficacité, les dossiers s’échangent et s’enrichissent.
Cette mission de rétablissement des liens familiaux, ou RLF, se décline autour de trois activités : la recherche des membres d’une même famille et l’appui à la démarche de réunification familiale ; la transmission de nouvelles familiales ; la délivrance de certains documents du Comité international de la Croix-Rouge pour faire valoir un droit.
Les différentes bases de données, confidentielles, sont croisées afin de reconstituer les itinéraires. L’ensemble de ses services est bien évidemment gratuit !
Pour montrer l’efficacité de l’action de la Croix-Rouge, voici quelques chiffres clefs pour l’année 2015 : les sept antennes RLF en France ont traité et instruit plus de 500 dossiers, et près de 66 % des demandes adressées au service de rétablissement des liens familiaux connaissent ou ont connu une issue positive pour cette année.
Comme le note la Croix-Rouge, « le respect de l’unité familiale fait partie intégrante du respect de la dignité humaine. Notre bien-être personnel dépend en grande partie de notre capacité à maintenir des liens avec nos proches. En rétablissant les liens familiaux, nous apportons soutien et réconfort. »
Depuis sa création, ce sont près de 50 000 dossiers qui ont été instruits. Aujourd’hui encore, près de 15 % des dossiers traités par la Croix-Rouge concernent la Seconde Guerre mondiale.
Parmi les autres demandeurs, on trouve de nombreux mineurs ou migrants venant de pays africains en guerre. Confiés par leurs parents à des passeurs censés les aider à rejoindre des proches en Europe, ils ont été abandonnés et livrés à eux-mêmes. Ils perdent alors tout lien.
Pourtant, ce lien qui unit est vital. Comme une colonne vertébrale, il permet à toute personne de tenir, d’avoir une identité, une histoire. Balzac écrivait : « La famille sera toujours la base des sociétés. » Le rétablissement des liens familiaux est d’ailleurs un droit international, édicté par la convention de Genève de 1949 sur les conflits armés et non armés. Ce service pourra donc compter sur une nouvelle aide de poids, grâce à cette proposition de loi qui vise à permettre à la Croix-Rouge d’accéder plus facilement à des données nominatives, mais toujours dans le respect de la vie privée !
Par cette proposition de loi, le service de rétablissement des liens familiaux pourra être autorisé à collecter lui-même ces informations.
J’en termine en saluant l’excellent travail de notre collègue Marie Mercier au sein de la commission des lois et en vous annonçant, sans surprise, que le groupe UDI-UC est tout à fait favorable à l’adoption de ce texte, qui donne de nouveaux moyens à la Croix-Rouge afin de renforcer son action en lui permettant un accès plus rapide aux données nécessaires au service de rétablissement des liens familiaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, après la Seconde Guerre mondiale, la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 a reconnu le droit à chacune et à chacun de connaître le sort des membres de sa famille qui ont disparu, ainsi que de correspondre et de communiquer avec ceux dont elle est séparée.
Depuis 1949, il incombe ainsi à chaque État partie de mener des actions visant à prévenir la séparation, à rétablir et à maintenir des liens entre les membres d’une famille et à faire la lumière sur le sort des personnes portées disparues.
Jusqu’en 2013, les préfectures participaient à cette mission au travers de ce que l’on appelait alors « les recherches dans l’intérêt des familles ». Depuis 2013, la Croix-Rouge française est devenue la seule instance de recours des particuliers, pour les aider dans leurs démarches, dès lors que les circonstances de la disparition sont celles d’un conflit, d’une catastrophe naturelle ou d’une crise humanitaire.
Les conflits armés et les migrations des populations ont considérablement augmenté le nombre de demandes auprès de la Croix-Rouge française pour rétablir des liens familiaux. Ainsi, comme cela a déjà été indiqué, cette association a enregistré 200 nouvelles demandes entre janvier et avril 2015 et 299 autres demandes, pendant la même période, en 2016.
Or, du point de vue du droit, la Croix-Rouge n’a actuellement aucun accès spécifique aux informations détenues par l’administration. Il lui est donc régulièrement opposé la non-communicabilité de documents administratifs, qui pourraient pourtant être très utiles en vue de faire aboutir les recherches des personnes disparues.
La proposition de loi qui nous est soumise accorde des dérogations ciblées en faveur de la Croix-Rouge française, afin de lui permettre d’accéder plus facilement à des données nominatives dans le seul cadre de sa mission d’intérêt général de rétablissement des liens familiaux.
Il est vital – nous le reconnaissons tous ici, me semble-t-il – qu’une famille ou une personne rétablisse le contact avec ses proches, et nous partageons bien évidemment la volonté de faciliter la mission réalisée par la Croix-Rouge.
Néanmoins, nous connaissons les raisons d’une telle situation. Elles sont de plusieurs ordres, dont la démultiplication des conflits armés dans le monde, en Syrie, en Irak, en Ukraine et dans des contrées du continent africain.
En outre, la fermeture des frontières, loin de dissuader des migrants de continuer leur périple, les pousse au contraire à risquer leur vie et à être trop souvent séparés de leurs proches, parmi lesquels des enfants.
La Croix-Rouge le déplorait elle-même : « Les contrôles aux frontières effectués au hasard et la criminalisation des déplacements irréguliers tendent à exposer les plus vulnérables, notamment les femmes et les enfants, à des risques importants, tels que la séparation familiale, source de trop grandes souffrances. »
C’est un vrai sujet, qui fait aujourd'hui l’objet de nombreux débats, et personne ne peut s’en abstraire. Une proposition de loi aussi légitime que celle que nous examinons ce matin ne pourra à elle seule éviter les discussions sur les véritables raisons qui amènent des personnes, par milliers, à se déraciner.
Enfin, on peut s’interroger sur le choix effectué en 2013 par le ministère de l’intérieur de ne plus assurer la mission de recherche dans l’intérêt des familles, qu’exerçaient les préfectures depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Alors que le nombre de réfugiés provenant de conflits armés progresse et que nous serons confrontés aux réfugiés climatiques, il faut inévitablement s’attendre dans les années à venir à une augmentation du nombre de demandes de rétablissement des liens familiaux.
Dès lors, pourquoi le Gouvernement ne reprend-il pas directement la mission d’intérêt général de rétablissement des liens familiaux ?
La Croix-Rouge est reconnue aux niveaux national et international. Nous soutenons et saluons son action, tout en ayant conscience des risques de dérives qui existent de la part d’une organisation non étatique.
La proposition de confier à la Croix-Rouge la mission de rétablissement des liens familiaux reçoit notre assentiment. Aussi, le groupe CRC votera en faveur de cette proposition de loi. (M. Philippe Kaltenbach applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’exercice, par la croix-rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux
Article 1er
(Non modifié)
Par dérogation à l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, la Croix-Rouge française peut, dans le cadre de sa mission d’intérêt général de rétablissement des liens familiaux prévue par les protocoles additionnels aux conventions de Genève du 12 août 1949, obtenir auprès des administrations de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics administratifs, des organismes de sécurité sociale et des organismes qui assurent la gestion des prestations sociales, sur demande écrite et motivée, communication des informations relatives à la personne recherchée, figurant dans un document administratif ou dans un traitement de données à caractère personnel, dans la mesure où ces informations sont indispensables à la détermination du sort de la personne recherchée sur le territoire national.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
La Croix-Rouge française peut, dans le cadre de sa mission d’intérêt général mentionnée à l’article 1er de la présente loi, demander directement aux officiers de l’état civil dépositaires des actes de l’état civil les copies intégrales et extraits de ces actes. – (Adopté.)
Article 3
Par dérogation aux articles L. 28 et L. 330-4 du code électoral, la Croix-Rouge française est habilitée, dans le cadre de sa mission d’intérêt général mentionnée à l’article 1er de la présente loi, à saisir le représentant de l’État dans le département ou le ministre des affaires étrangères afin de vérifier si une personne est inscrite ou non sur les listes électorales et, le cas échéant, de prendre communication des données relatives à cette personne. – (Adopté.)
Article 3 bis
(Supprimé)
Article 4
(Non modifié)
Tant que la personne recherchée n’a pas été retrouvée, la Croix-Rouge française ne transmet à des tiers aucune information la concernant. Si la personne a été retrouvée par la Croix-Rouge française, aucune information la concernant ne peut être transmise à des tiers sans son consentement écrit. Si la personne est décédée, la Croix-Rouge française informe les tiers qui lui en font la demande du décès et, le cas échéant, du lieu de sépulture de la personne. – (Adopté.)
Article 5 (nouveau)
Les articles 1er à 4 de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Dans les conditions fixées à l’article 1er de la présente loi, la Croix-Rouge française peut exercer son droit de communication auprès des administrations de la Nouvelle-Calédonie, des circonscriptions territoriales des îles Wallis et Futuna et des Terres australes et antarctiques françaises.
Pour l’application de l’article 3 de la présente loi dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, la référence au département est remplacée par la référence à la collectivité. – (Adopté.)
Article 6 (nouveau)
I. – Le code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié :
1° Le A de l’article L. 342-2 est complété par un 23° ainsi rédigé :
« 23° Les articles 1er et 3 de la loi n° … du … relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux. » ;
2° À la seconde colonne de la dernière ligne du tableau des articles L. 552-8, L. 562-8 et L. 574-1, les mots : « loi n° … du … pour une République numérique » sont remplacés par les mots : « loi n° … du … relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux ».
II. – La présente loi est ainsi modifiée :
1° L’article 3 est ainsi modifié :
a) Les mots : « aux articles L. 28 et L. 330-4 » sont remplacés par les mots : « à l’article L. 16 » ;
b) Les mots : « le représentant de l’État dans le département ou le ministre des affaires étrangères » sont remplacés par les mots : « l’Institut national de la statistique et des études économiques » ;
2° Le dernier alinéa de l’article 5 est supprimé.
III. – Le II du présent article entre en vigueur le même jour que l’article 2 de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I.- Alinéas 5 à 9
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
II. – À l’article 3 de la présente loi, la référence : « L. 28 » est remplacée par la référence : « L. 37 ».
II. – Alinéa 10
Remplacer la référence :
2
par la référence :
7
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement a été suggéré par le Gouvernement.
La commission des lois souhaitait que la Croix-Rouge puisse consulter les listes électorales par le biais du répertoire électoral unique réalisé par l’INSEE. Toutefois, cette mesure est de nature à complexifier les choses.
Aussi, nous proposons d’en revenir à l’existant, c'est-à-dire à une consultation via les préfectures ou les mairies.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Juliette Méadel, secrétaire d'État. D’une part, l’amendement de la commission tend à anticiper l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales, dont la mise en place doit intervenir au plus tard le 31 décembre 2019. Il vise à assurer une coordination, puisque les dispositions de l’article L. 28 du code électoral relatif au droit de communication des informations contenues dans les listes électorales sont transférées à l’article L. 37.
D’autre part, la commission des lois a proposé de confier à l’INSEE, qui sera chargé de la gestion du répertoire électoral unique et permanent, le soin d’assurer la communication des informations à la Croix-Rouge.
Si l’objectif de simplification pour les missions de la Croix-Rouge est légitime et partagé, une telle option pose toutefois deux difficultés.
La première est d’ordre technique et opérationnel. Le répertoire électoral unique est un système de gestion informatique lourd et complexe, pour lequel les fonctionnalités à des fins de communication n’ont pas été prévues.
La seconde difficulté tient au rôle assigné à l’INSEE par la loi précitée. En dépit de la création de ce répertoire, l’INSEE n’a pas été chargé de procéder à la communication des listes électorales à des tiers. Cette compétence demeure attribuée au maire ou au préfet, qui apprécie notamment la légitimité et la motivation de toutes les demandes de communication des listes électorales, qu’elles émanent des électeurs, des candidats ou des partis politiques. Il ne serait ni cohérent ni justifié de déroger à cette règle de compétence pour les demandes de la Croix-Rouge et de modifier les attributions de l’INSEE.
Le Gouvernement se félicite des échanges constructifs qu’il a eus avec Mme la rapporteur et qui ont permis d’aboutir à cet amendement. En conséquence, il émet un avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
7
Dépôt d’un avis de l’Assemblée de la Polynésie française
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de Mme la première vice-présidente de l’Assemblée de la Polynésie française, par lettre en date du 1er septembre 2016, un avis sur le projet de loi de finances pour 2017.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
8
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres. M. le Premier ministre a d’ailleurs très bien parlé ce matin, à Reims, de la tonalité de la séance des questions d’actualité au Gouvernement ici, au Sénat.
Pour des raisons d’ordre pratique que chacun peut comprendre et conformément à la décision de la conférence des présidents, les auteurs de question pourront utiliser leur droit de réplique s’il leur reste plus de cinq secondes.
affaire société générale
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. André Gattolin. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics.
Monsieur le secrétaire d’État, voulez-vous gagner des millions ? (Rires.) Si tel est le cas, c’est une question à 2 200 millions d’euros !
Vendredi dernier, la cour d’appel de Versailles a condamné M. Kerviel, ancien trader de la Société générale, à des dommages et intérêts de 1 million d’euros, soit un montant considérablement réduit par rapport aux 4,9 milliards d’euros du premier jugement rendu le 5 octobre 2010.
Si la banque déclare se féliciter de cette décision, sa responsabilité a été explicitement reconnue. C’est cette reconnaissance du partage de la faute entre la banque et son trader qui explique la considérable réduction des dommages et intérêts réclamés au second.
Cet arrêt met un terme à un conflit qui n’a que trop duré, mais il ouvre un autre dossier non moins important : celui de l’avantage fiscal d’un montant de 2,2 milliards d’euros consenti à la Société générale par l’État. Ainsi, le crédit d’impôt accordé à la banque en 2008 s’avère désormais dénué de fondement.
Ma question est la suivante : à la suite de cette décision, dans le contexte budgétaire que nous connaissons, vos services entendent-ils engager une procédure afin de recouvrer cet avoir ? Si oui, entendent-ils porter l’affaire devant les tribunaux ou préféreront-ils, pour des raisons de diligence que nous connaissons, trouver une transaction avec la banque ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. L’affaire est grave, vous l’avez dit, monsieur le sénateur.
Le rôle d’un gouvernement, particulièrement des ministres chargés des questions fiscales, est de faire appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi, quel que soit le contribuable, qu’il soit puissant ou misérable. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Quel est l’état du droit ?
La Société générale a enregistré une perte en 2008, qui est quantifiée et reconnue par l’ensemble des juridictions ayant eu à traiter cette affaire. Elle a donc inscrit dans ses comptes, au même titre qu’une charge, la perte subie, ce qui est jusque-là tout à fait normal.
M. Jean-François Husson. Jusque-là !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. L’administration a appliqué le droit. Aucun jugement, avant le dernier arrêt auquel vous venez de faire référence, n’avait mis en cause la responsabilité de la Société générale.
Aujourd'hui, le dernier arrêt reconnaît sur le plan civil – sur le plan pénal, la responsabilité pleine et entière de M. Kerviel a été reconnue, y compris devant la Cour de cassation – que la Société générale ne peut être considérée comme exempte de toute responsabilité.
En la matière, quel est le droit et quels sont les délais ?
Notre administration, au vu de la jurisprudence, notamment celle de 2016, et des attendus de l’arrêt rendu a considéré qu’il était nécessaire de réexaminer la situation.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je vous le dis très clairement, concernant cette affaire, comme d’autres, il n’y aura pas de transaction. Un redressement pourrait être prononcé ; il sera probablement contesté.
M. le président. Il faut conclure !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. En tout état de cause, dans les délais les plus rapides, Michel Sapin et moi-même avons demandé à l’administration fiscale d’appliquer le droit. Il n’y a pas de prescription en la matière ; certains, je le sais, s’en sont inquiétés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour la réplique.
M. André Gattolin. Au nom du groupe écologiste et d’un grand nombre de parlementaires ici, je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de votre réponse précise et engagée (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.) Je salue également votre détermination. Il y va du respect non seulement de la parole de l’État, mais aussi du droit européen.
À l’époque, le crédit d’impôt n’avait pas été notifié auprès de la Commission européenne, qui pourrait le considérer comme une aide d’État déguisée. (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.) Nous pourrions alors encourir des poursuites européennes – on pourrait en parler d’un point de vue juridique.
En tout cas, je prends acte de votre réponse, qui fait œuvre de salubrité publique à un moment où les Français se posent des questions sur le fonctionnement et le rôle que jouent réellement les banques dans l’économie française. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Marc Daunis applaudit également.)
situation d'alstom (I)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour le groupe CRC.
M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le Premier ministre, chaque mois sont annoncées des fermetures d’entreprises et des suppressions d’emplois. Les seules justifications de ces désastres sociaux et humains sont, la plupart du temps, l’abandon de toute politique industrielle, l’accroissement des profits des actionnaires et les décisions de dirigeants sans scrupules.
Alstom, Areva, Petroplus, Vallourec, Florange… La liste n’est pas exhaustive. Et toujours les mêmes cellules de crise, les mêmes promesses et les mêmes réponses ponctuelles !
Encore une fois, c’est l’État actionnaire qui ne joue pas son rôle et qui veut nous faire croire qu’il ne connaissait pas la décision d’Alstom. Un État actionnaire qui a accepté le dépeçage d’Alstom par General Electric, portant un coup à la cohérence de l’entreprise, comme il avait décidé de rachats douteux, qui, aujourd’hui, mettent Areva en difficulté. Un État qui, au mépris de toute politique industrielle, ferroviaire, d’aménagement du territoire, de transition énergétique, renonçant à une politique de long terme, doit négocier dans l’urgence avec la SNCF et la RATP un nouveau carnet de commandes.
Pourtant, nous savons qu’Alstom est bénéficiaire, que l’entreprise a distribué plus de 3 milliards d’euros de dividendes et a largement bénéficié de l’argent public.
Qu’allez-vous faire concrètement pour empêcher la casse d’Alstom ? Quel avenir proposez-vous aux familles, aux salariés et sous-traitants victimes d’une inaction de l’État, qui ne profite qu’aux intérêts financiers ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous retrouve avec plaisir à l’occasion de cette session extraordinaire.
Plusieurs questions concernent Alstom ; Axelle Lemaire répondra ultérieurement à deux autres questions, au nom du ministère de l'économie et des finances.
Monsieur le sénateur, je vais vous répondre avec plaisir et de façon précise.
Il est une réalité que personne ne peut ignorer – nous l’évoquons ici, comme ce fut également le cas à l'Assemblée nationale –, mais, heureusement, certains secteurs industriels vont bien. Il existe aussi et surtout, vous ne l’avez pas souligné, mais vous auriez pu le faire, un État actionnaire qui joue son rôle. Comme j’aurai l’occasion d’inaugurer demain le salon de l’automobile, je pense à Renault ou à PSA – les élus de la région de Montbéliard, qui n’est pas loin de Belfort, peuvent dire combien le rôle de l’État a été important. Je pense par ailleurs à STX ou encore à Michelin – l’État, même s’il n’est pas actionnaire de cette entreprise, a pleinement joué son rôle, notamment en matière d’innovation et de recherche.
Mais revenons-en à Alstom.
Pour avoir joué un rôle important avec le Président de la République et le ministre de l’économie de l’époque, Arnaud Montebourg, je ne partage pas l’analyse que vous faites à propos de General Electric.
Tout le monde connaît la situation. La direction a annoncé, le 7 septembre dernier, le transfert de la production de locomotives et de motrices de TGV du site de Belfort vers celui de Reichshoffen, mettant en cause la pérennité de 400 emplois. Le maire, les élus, les représentants des salariés, bien sûr, les salariés et les familles ont exprimé leur profonde inquiétude.
Nous avons déjà eu l’occasion de le dire, notamment avec Christophe Sirugue – le Président de la République s’est aussi exprimé sur le sujet –, il était inacceptable de prendre une telle décision sans discussion préalable avec les représentants des salariés, les élus locaux et, bien sûr, l’État. Le Gouvernement a donc exigé et obtenu d’Alstom la suspension de cette décision, afin d’examiner toutes les solutions possibles, qui passent par la pérennisation du site.
Chacun le sait – le constat est partagé –, dans un monde ouvert, avec une situation de surproduction dans ce secteur, notre industrie ferroviaire risque, au cours des prochaines années, de connaître des difficultés, d’une part, à l’export, parce que les obligations de production locale sont plus importantes et favorisent les acteurs économiques locaux et, d’autre part, sur le marché intérieur, parce que la prochaine vague de renouvellement du matériel roulant n’interviendra qu’à la fin de cette décennie, à partir des années 2020.
Pour s’adapter à ce contexte difficile, il convient de s’organiser collectivement. Cela signifie qu’il est indispensable de maintenir les compétences et le savoir-faire de notre industrie ferroviaire – sur ce point, nous nous retrouvons –, afin de pouvoir bénéficier de la reprise des commandes, quand elle interviendra.
Il revient avant tout aux dirigeants d’Alstom de proposer une stratégie industrielle ambitieuse – c’est ce qui compte ! Certes, il peut y avoir des choix que j’appellerai « défensifs », mais, dans le secteur industriel, il faut être à l’offensive, notamment dans ce secteur où notre savoir-faire est incontestable. Il faut donc proposer des stratégies industrielles ambitieuses qui tiennent compte de ce contexte. L’État a en effet également son rôle à jouer, celui de faire émerger ce que j’appelle des « solutions collectives », en créant surtout une logique de filière, et celui de s’assurer de l’avenir de cette industrie à long terme, en soutenant les investissements d’avenir – c’est ce que nous faisons.
L’intérêt de la filière ferroviaire française, en particulier des grands clients – je pense à la SNCF et à la RATP –, c’est de maintenir une industrie forte sur notre territoire. Une partie de la réponse doit donc provenir du secteur lui-même ; celui-ci doit gérer la charge industrielle dans le temps, et il lui appartient d’assurer une demande suffisante pour maintenir un écosystème industriel performant et compétitif.
Sur tous ces points, des discussions sont en cours, et nous présenterons des solutions dans les prochains jours. L’activité ferroviaire à Belfort sera maintenue, comme nous nous y sommes engagés. Il faut maintenant que les choses avancent ; c’est une question de jours. Bien entendu, nous ne manquerons pas de tenir pleinement informés la représentation nationale et les élus concernés.
C’est une grande partie de l’avenir ferroviaire de notre pays qui est en jeu ! Chacun doit en être conscient et se montrer à la hauteur des responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)
M. Didier Guillaume. Voilà une réponse très claire !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Bosino. Je vous remercie pour votre réponse, monsieur le Premier ministre, mais vous me permettrez de trouver votre propos bien général. Les salariés d’Alstom, qui ne manquent pas de nous écouter, avec leurs organisations syndicales, jugeront.
La réalité, c’est que, ces cinq dernières années, 900 entreprises industrielles ont fermé et 170 000 emplois industriels ont disparu. Alors, oui, il faut à la France une véritable politique industrielle, ce qui est autre chose que d’augmenter le CICE à 7 %, comme vous le prévoyez ! Nous avons besoin d’une véritable politique d’investissements publics et privés pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens et faire tourner l’industrie française ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
démantèlement du camp de calais et accueil des réfugiés
M. le président. La parole est à Mme Stéphanie Riocreux, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Stéphanie Riocreux. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République s’est rendu à Calais lundi dernier. Conformément à l’engagement qu’il avait pris au début de l’été, il y est venu avec une solution à la situation dramatique qu’y connaissent les réfugiés, les habitants et les acteurs économiques, mais aussi les personnels des services de l’État et les membres des associations, que je tiens à saluer, comme, je pense, chacun d’entre nous, car ils œuvrent dans des conditions humainement très éprouvantes face à une urgence unique sur notre territoire.
Pour autant, ne commettons pas l’erreur consistant à amalgamer toutes les informations dramatiques : à Calais, il n’y a pas des millions d’immigrés économiques ou de djihadistes fanatiques venus détruire notre pays ! Au contraire, il y a à Calais 7 000 personnes, dont près d’un millier de mineurs isolés, qui fuient justement des zones de conflits où elles sont exposées directement au fanatisme.
Je me souviens d’un slogan de campagne : « La France forte ». Pour moi, la France forte n’est pas celle qui tremble, oublie ses engagements et se cache des réalités, mais celle, fraternelle et responsable, qui sait faire face, réfléchir et se mobiliser ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Bravo !
Mme Stéphanie Riocreux. Ceux qui, au mépris des solutions qu’appelle la France humaniste et responsable, exploitent politiquement le problème que représente la concentration des migrants sur un espace réduit ne représentent pas tout leur bord politique.
Le Président de la République a promis la seule solution possible : le démantèlement rapide des campements. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il ne s’agit pas de déplacer le problème, comme on le fit avec Sangatte, en des temps du reste moins difficiles. Il y a un rapport de cinq communes pour un migrant pour être solidaire avec Calais. Je ne doute pas des bonnes volontés des élus et des habitants des collectivités territoriales pour accueillir.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Stéphanie Riocreux. Le Président de la République a pu le constater, notamment lors de sa venue en Indre-et-Loire, au cours de laquelle il a rencontré de jeunes demandeurs d’asile, pour la plupart étudiants dans leur pays d’origine. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
J’en viens à ma question. (Ah ! sur les mêmes travées.) Chacun se demande comment le Gouvernement entend procéder, selon quelles modalités, avec quelle participation de l’État et quelles perspectives à long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Comme vous l’avez rappelé, madame Riocreux, le Président de la République s’est déplacé à Calais lundi dernier. Il a non seulement confirmé ce que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, avait déjà annoncé, mais aussi rappelé, fort justement, à quel point le règlement de ce dossier complexe requiert de la maîtrise, de la responsabilité et du sang-froid.
Le campement de Calais sera définitivement démantelé d’ici à la fin de l’année. Il est hors de question de laisser perdurer ce qu’on appelle la jungle, qui place près de 9 000 réfugiés, hommes, femmes et enfants, dans une situation de précarité extrême et de grande détresse, les exposant aussi à la violence. C’est une nécessité d’un point de vue sanitaire et humain. C’est également notre responsabilité vis-à-vis des habitants de Calais et de la région, mais aussi des entreprises et des commerçants, que le Président de la République a rencontrés et dont les élus de la ville et de la région se font régulièrement l’écho ; eux aussi subissent une situation inacceptable.
Le Gouvernement mobilisera toutes ses forces pour parvenir à ce résultat en bon ordre, en bonne intelligence, avec détermination et sans précipitation.
Rien ne serait pire que de disperser les réfugiés de Calais en laissant le hasard décider de leur sort. Ce sont alors, vous le savez, les réseaux de passeurs qui auraient la main. Je le dis clairement : ce ne peut pas être le choix de l’État, du Gouvernement et de tous ceux qui suivent avec intelligence ce dossier.
L’alternative que nous mettrons en œuvre est claire. Les migrants qui ne relèvent pas de l’asile seront placés en centre de rétention en vue d’être reconduits à la frontière. Je rappelle que, par ailleurs, 40 000 personnes se sont vu refuser l’entrée sur notre territoire depuis que nous avons rétabli le contrôle des frontières. Quant aux réfugiés qui relèvent de l’asile – ils représentent 80 % des personnes présentes à Calais, telle est la réalité –, ils seront répartis dans les 160 centres d’accueil et d’orientation ouverts en France, afin que leur demande soit traitée.
M. Ladislas Poniatowski. Ils retourneront tous à Calais !
Mme Stéphanie Riocreux. C’est faux !
M. Manuel Valls, Premier ministre. J’ai visité ce matin à Épernay, en compagnie du maire, un centre d’accueil et d’orientation qui a déjà accueilli et accueille des réfugiés de Calais. Nombre d’entre eux ont déjà bénéficié de l’asile et, munis d’un titre de séjour, entrent dans un processus d’intégration et, bien sûr, d’apprentissage du français. J’ai notamment rencontré une famille érythréenne, qui a bénéficié de ces dispositifs.
Il y a là la démonstration que, avec une politique différente de celle de l’Allemagne – j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer –, nous mettons en œuvre le droit d’asile, droit universel qui est à l’honneur de notre pays et qu’il faut appliquer. Que ceux qui ne sont pas d’accord pour mettre en œuvre ce droit universel le disent ! En ce qui me concerne, j’affirme que le droit d’asile sera appliqué, parce que c’est l’honneur de la France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai ressenti une très grande émotion en voyant ces familles bénéficiaires du droit d’asile qui seront intégrées dans notre pays, comme d’autres depuis des décennies.
M. Didier Guillaume. C’est la France fraternelle !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il faut prêter une attention particulière aux mineurs isolés, qui sont aujourd’hui entre 900 et 1 000. Il y a dans cet hémicycle des présidents de conseil départemental, qui connaissent bien ce problème source de tensions. Sur ce sujet comme sur d’autres, il appartient aussi au Royaume-Uni d’assumer pleinement ses responsabilités ; le ministre de l’intérieur l’a dit à son homologue britannique.
Enfin, je sais pouvoir compter sur le sens des responsabilités et l’esprit de solidarité de nombreux maires de toutes les familles politiques et de tous les territoires, comme depuis le début de cette crise migratoire. Bien entendu, nous tiendrons compte des efforts déjà réalisés, afin que ceux qui font preuve de solidarité et qui s’engagent ne soient pas concernés par les arrivées supplémentaires.
Nous devons être attentifs à la concertation et à l’information pour que les réfugiés puissent être accueillis dans des centres tels que celui que j’ai visité ce matin : des centres à taille humaine, qui permettent aux travailleurs sociaux, aux associations et à tous les opérateurs, parmi lesquels Adoma, d’accomplir leur travail dans les meilleures conditions possibles. C’est ainsi que nous serons à la hauteur de la tradition de la France !
Le nombre annuel des demandes d’asile est passé en cinq ans de 60 000 à 90 000, peut-être 100 000 d’ici à la fin de cette année. Malgré la crise des réfugiés, l’augmentation est donc de 30 %, soit un pic d’une ampleur que nous avons déjà connue. En Allemagne, les demandeurs d’asile sont 1,5 million !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense que nous sommes capables de faire face à ce défi avec fermeté et humanité, avec intelligence et sans céder au populisme. Soyons fiers d’être français et républicains en accomplissant ce travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
information des maires sur les personnes fichées « s » habitant dans leur commune
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour le groupe UDI-UC.
M. Hervé Maurey. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Les auteurs des attentats commis en France depuis janvier 2015 avaient tous deux points communs : ils étaient radicalisés et affiliés à l’idéologie islamiste ; ils étaient inscrits au fichier des personnes recherchées, dans la sous-catégorie « S ».
Dans ces conditions, de nombreux maires, préoccupés par la sécurité de leurs concitoyens, demandent à avoir connaissance de l’identité des personnes habitant dans leur commune qui figurent sur ce fichier. C’est notamment le cas, dans mon département, du maire d’Évreux, Guy Lefrand, qui a fait cette demande au début du mois de septembre, mais s’est vu opposer un refus. Cette communication n’est en effet pas possible aujourd’hui, puisque, en application d’un décret du 8 mai 2010, l’accès à ce type d’informations est réservé aux services de renseignement et à certains agents dûment habilités, dont les maires ne font, hélas, pas partie.
La sécurité publique étant l’une des missions premières des maires, il paraît légitime que ceux-ci puissent savoir si des individus inscrits dans ce fichier résident dans leur commune. Aussi, monsieur le Premier ministre, entendez-vous autoriser les maires à disposer de l’identité des personnes habitant leur commune qui sont inscrites dans le fichier « S » ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur Maurey, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, en déplacement aux Antilles, m’a chargé de bien vouloir l’excuser auprès du Sénat et répondre à votre question.
Mme Sophie Primas. La question s’adressait au Premier ministre !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je comprends parfaitement le souhait des élus d’être destinataires d’informations contribuant à la prévention de la radicalisation. Ce souhait est bien normal.
Une rencontre sur le sujet a été organisée par le ministre de l’intérieur en septembre avec les présidents de l’AMF, de l’ARF et de l’ADF. Par ailleurs, le Gouvernement a signé des conventions avec plusieurs associations d’élus pour que les dispositifs préfectoraux de prévention de la radicalisation bénéficient de l’irremplaçable expérience des maires, sur laquelle, monsieur le sénateur, vous avez raison d’insister.
Bernard Cazeneuve a également proposé la mise en place d’un groupe de travail avec les représentants des associations. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Une instruction envoyée aux préfets le 14 septembre leur demande de rencontrer tous les présidents d’exécutif local et une circulaire a été diffusée (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) qui demande expressément de renforcer le niveau d’association des collectivités territoriales et de leurs responsables à la lutte contre la radicalisation.
Cependant, monsieur le sénateur, vous n’ignorez pas que le partage de l’information avec les élus doit se faire dans le strict respect du cadre juridique existant, qui protège les libertés individuelles. Les magistrats qui disposent d’informations sur des individus fichés peuvent en faire part aux élus lorsqu’elles sont de nature à prévenir des troubles à l’ordre public. La transmission d’informations est donc clairement encadrée par la loi, comme vous l’avez vous-même signalé.
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Les fiches « S » sont des outils opérationnels ayant vocation à demeurer confidentiels. Compte tenu de leur nature et de la nécessité de préserver leur confidentialité, la transmission de listes de personnes faisant l’objet d’une telle fiche est à ce jour juridiquement impossible. (Applaudissements sur quelques travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.
M. Hervé Maurey. Je regrette d’abord que le Premier ministre n’ait pas jugé la question suffisamment importante pour y répondre lui-même. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je regrette surtout la non-réponse de M. le ministre, qui s’est contenté de me rappeler la réglementation, que je connais et que j’ai moi-même expliquée. La commission et la circulaire dont il a parlé ne sont absolument pas de nature à répondre à ma question, ni surtout aux attentes légitimes des maires en matière de sécurité.
Au moment où l’on demande toujours plus aux maires, notamment dans ce domaine, je crois qu’il faut leur donner les moyens de remplir leur mission, ce à quoi le Gouvernement se refuse ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
situation d’alstom (II)
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains.
M. Cédric Perrin. Monsieur le Premier ministre, Henri Poupart-Lafarge, PDG du groupe Alstom, a affirmé mardi à l’Assemblée nationale qu’il ne voyait pas d’« issue structurelle » pour le site de Belfort. À quelques jours de la présentation de votre plan de sauvetage, ces propos m’inquiètent quelque peu. Signifient-ils que vous vous contenterez de quelques commandes nationales ? Ne soyons pas dupes : c’est une solution à court terme, indispensable pour charger le site durant les trois années de baisse de charge, mais insuffisante.
C’est d’adaptations structurelles que le site de Belfort a besoin. Alstom doit diversifier son activité et se positionner sur des marchés à faible dimension. Le groupe doit charger prioritairement ses sites français pour la production des commandes internationales. Il doit faire preuve de patriotisme industriel.
Rappelons qu’Alstom a perçu plusieurs dizaines de millions d’euros de CICE et que, dans le nom de ce dispositif, il y a aussi le mot « emploi » ! Si le CICE donne des droits, il confère aussi quelques devoirs.
Alstom n’est pas le seul coupable. L’État, monsieur le Premier ministre, a aussi sa responsabilité. Il doit siffler la fin de la récréation entre la SNCF et Alstom et cesser de laisser la première mener la politique ferroviaire de la France. Vous le savez, la SNCF ferme la porte au ferroviaire, et Belfort pourrait n’être que la première manifestation d’une situation qui risque de s’aggraver.
Sommes-nous condamnés à être le pays le plus bête du monde ? Le seul dont certaines entreprises, comme la SNCF, lancent des appels d’offres favorisant les entreprises étrangères ?
Monsieur le Premier ministre, si vous souhaitez aider les salariés, il faut établir avec Alstom et la SNCF, entre autres acteurs, une véritable stratégie industrielle à long terme.
M. Marc Daunis. Il faut conclure !
M. Dominique Bailly. Quelle est la question ?
M. Cédric Perrin. Sauver le site de Belfort, c’est sauver plus de 1 200 emplois, mais c’est aussi, comme vous l’avez souligné il y a quelques instants, sauver la capacité française à produire des TGV dans l’avenir. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Votre question !
M. Cédric Perrin. Après l’annonce brutale de la fermeture du site d’Alstom à Belfort, le Président de la République, vous-même, monsieur le Premier ministre, et vos ministres avez toujours été très stricts. Vous avez employé l’impératif, jamais le conditionnel. C’est pourquoi vous avez aujourd’hui une obligation de résultat ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du numérique et de l’innovation.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargée du numérique et de l'innovation. Monsieur Perrin, le Gouvernement croit à l’avenir industriel de la France. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Dans « avenir industriel », il y a le mot « avenir ». C’est, en réalité, une transition que nous devons accompagner. Belfort est la cité du lion, et le lion sait rugir !
Alstom est implanté à Belfort depuis la fin du XIXe siècle. C’est de ce site que sont sorties les locomotives et les motrices de TGV. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Les 480 employés du site font partie des 9 000 salariés présents sur les douze sites du groupe.
Les journalistes cyniques qui s’interrogent sur le thème « pourquoi tout ce foin ? » n’ont pas entendu la réponse du Président de la République et du Premier ministre, s’agissant de 480 femmes et hommes qui ont voué leur vie professionnelle à cette entreprise et d’un site qui, en effet, revêt une importance symbolique, parce qu’est en jeu la capacité de notre industrie à faire face, par l’innovation, à la transition numérique de la filière ferroviaire française. Nous devons entrer dans l’économie du XXIe siècle ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons devant nous deux enjeux.
Le premier n’a rien à voir avec l’actionnariat, de sorte que nationaliser cette entreprise ne résoudrait pas le problème.
M. Michel Raison. Vous répondez à côté de la question !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Il s’agit de faire face à la baisse des commandes, qui est conjoncturelle. Nous sortons d’une période où les commandes étaient élevées, compte tenu des besoins de renouvellement des équipements. Elles seront de nouveau élevées à partir de 2018 et 2020, lorsque sera construit le TGV du futur, le TGV 4.0. Il faut donc faire face à cette période de transition en assumant ses responsabilités.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Christophe Sirugue le fait, avec le Conseil national de l’industrie, en vue de définir une feuille de route stratégique. C’est l’avenir du pays que nous préparons en réorganisant la filière industrielle ferroviaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
crise agricole
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et concerne la situation d’urgence absolue dans laquelle se trouvent beaucoup de nos agriculteurs.
Monsieur le ministre, vous connaissez la situation : des crises en cascade affectent notre agriculture, en raison de problèmes liés aux marchés, d’événements climatiques et sanitaires et même de décisions géopolitiques. Crise du lait, de l’élevage, des céréales, des fruits et légumes… Rares sont les filières épargnées, si bien que l’on a pu lire et entendre que l’agriculture française serait « en faillite ».
Force est de constater que, dans une grande majorité des exploitations, les chiffres d’affaires ne couvrent plus les charges. Pour compenser, les agriculteurs réduisent leurs charges, retardent leurs investissements et se rémunèrent peu ou pas du tout. Dans le même temps, les dettes augmentent : l’endettement moyen est passé de 50 000 euros en 1980 à plus de 170 000 euros en 2012. Résultat : en quinze ans, la moitié des exploitations ont disparu. Dernier indicateur tragique : le nombre de suicides dans le secteur est en forte hausse.
Pendant ce temps, les industriels ont encore augmenté leurs marges au détriment des agriculteurs. Songez que, dans la grande distribution, sur 100 euros dépensés en alimentaire, 18 euros seulement reviennent à l’agriculteur !
Monsieur le ministre, comment enrayer cette spirale infernale ?
La crise du lait demeure depuis des années ; elle s’est aggravée après l’embargo russe d’août 2014 et plus encore après la fin des quotas laitiers en avril 2015. Les cours du lait ne cessent de chuter. Des aides ont été promises par la Commission européenne au prorata des litres non produits. Où en est-on à cet égard ?
Du côté des éleveurs, la FNB estime que près d’un tiers des exploitants de bovins, soit 25 000 éleveurs, pourraient disparaître dès cet automne !
En raison d’une récolte mondiale de céréales à des niveaux historiquement élevés et de conditions climatiques défavorables pour la plus grande part des céréaliers français, les moissons sont catastrophiques et les rendements très bas.
Encore faut-il ajouter à ce tableau la chute de la production de fruits et légumes après un printemps frais et pluvieux.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez certes pas agir sur le climat, mais comment le Gouvernement peut-il aider davantage encore, dans l’urgence, notre agriculture ? Ne faut-il pas repenser notre modèle agricole, qui a si longtemps fait notre fierté, mais ne semble plus adapté pour faire face aux crises actuelles ? Quand nos agriculteurs pourront-ils dire eux aussi : « Ça va mieux » ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Requier, vous avez fait le tour des difficultés que rencontre notre agriculture en essayant de réfléchir à une solution globale.
Je voudrais d’abord rappeler dans quelles crises nous nous trouvons.
Il y a les crises liées à l’élevage. Des dizaines de débats se sont tenus au Sénat sur la crise porcine, qui était l’an dernier au cœur des préoccupations ; aujourd’hui, le marché du porc s’est redressé et le prix du kilo est supérieur à 1,53 euro. Il faut donc aussi, quelquefois, regarder l’avenir avec espoir…
Nous traversons une crise laitière, qui est une crise de surproduction consécutive à l’accroissement de la production au-delà de la demande aux niveaux européen et mondial. Devant les conséquences de cette situation sur les prix, nous avons mobilisé à l’échelle européenne une majorité d’États, ainsi que la Commission européenne, pour que soit mis en œuvre, pour la première fois, un article que nous avions négocié au moment de la PAC et qui permet d’engager une maîtrise volontaire de la production.
Les producteurs français ont répondu présent, à hauteur de 13 000 exploitations et 180 000 tonnes de lait économisées. L’objectif de la Commission européenne sera atteint, et l’Europe va enfin réduire sa production pour rééquilibrer le marché. Depuis la fin des quotas laitiers, décidée en 2008 et devenue effective en 2015, jamais à l’échelle européenne une mesure de maîtrise de la production n’avait été mise en place. C’est sur l’initiative de la France que celle-ci a été prise ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Il y a ensuite la crise céréalière, qui résulte en partie des inondations du printemps, qui ont provoqué des baisses de rendement inédites depuis une trentaine d’années. Nous devons y faire face tout de suite. M. le Premier ministre et moi-même présenterons mardi prochain un plan en ce sens, comme nous l’avions fait l’an dernier pour l’élevage.
M. Alain Vasselle. On ne peut pas attendre ! Il y a urgence !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il y a toujours urgence, monsieur le sénateur. C’est bien pourquoi nous travaillons tous les jours.
M. le président. Il faut conclure !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Si nous voulons une agriculture compétitive – nous avons consenti près de 600 millions d’euros de baisses de charges –, il nous faut une stratégie de moyen terme qui combine la performance économique et la performance environnementale et qui favorise la baisse des charges opérationnelles, ainsi que le partage des investissements. C’est ainsi que nous serons à la fois environnementalement durables et économiquement compétitifs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
comptes publics
M. le président. La parole est à M. Bernard Lalande, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Bernard Lalande. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics.
Le budget pour 2017, dernier du quinquennat, donne lieu à des salves convenues à la veille d’échéances électorales. Il a fait l’objet d’une pluie de critiques avant même sa présentation officielle ! Bien évidemment, ce sont les mesures les plus emblématiques, comme l’officialisation du passage au prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu au 1er janvier 2018 et la prévision de déficit public à 2,7 % du PIB, qui suscitent l’essentiel des commentaires.
Ceux qui se livrent à ce type de débats oublient, ou font semblant d’oublier, l’importance d’un mode de prélèvement de l’impôt contemporain pour celui qui perd son emploi, part à la retraite ou souhaite créer son entreprise. Par ailleurs, la France rejoindra ainsi la quasi-totalité des pays du continent européen, laissant la Suisse bien seule.
D’autre part, il n’est pas interdit d’être de bonne foi et de considérer que, depuis trois ans, le Gouvernement a obtenu des résultats budgétaires meilleurs que prévu, malgré les mises en garde pessimistes de beaucoup. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est dire toute la prudence vérifiée qui entoure l’élaboration du budget dans une économie mondiale bien chahutée.
Enfin, on oublie bien vite que le déficit public était de 5,1 % du PIB en 2011…
Pour ma part, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais plutôt que vous nous indiquiez les mesures particulières en faveur de l’emploi contenues dans le budget pour 2017 et que vous nous expliquiez quels seront les bénéficiaires des allégements d’impôts. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le sénateur, j’insisterai sur deux caractéristiques du budget pour 2017.
D’abord, ce budget finance des priorités. Il finance, pour 3 milliards d’euros supplémentaires, la priorité que nous accordons à l’éducation, avec le souci de préparer l’avenir.
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il finance, pour 2 milliards d’euros supplémentaires, les actions liées à la sécurité. Au demeurant, pour la première fois depuis longtemps, les lois de programmation militaire sont respectées, et même parfois révisées à la hausse !
Ce budget alloue également 2 milliards d’euros supplémentaires au soutien à l’emploi, via notamment la prime à l’embauche et le plan « 500 000 formations » annoncé par le Président de la République et mis en œuvre par Clotilde Valter et Myriam El Khomri.
Ensuite, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, ce budget marque la poursuite de la réduction de nos déficits, n’en déplaise à la majorité sénatoriale et aux Cassandre.
M. Philippe Dallier. Et la Cour des comptes, qu’en faites-vous ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. En 2015, nous avions prévu une croissance de 1 % et on nous disait optimistes : au bout du compte, les Français ont fait 1,3 % de croissance… Nous avions fixé un objectif de déficit de 4,3 % du PIB et on disait que nous n’y arriverions pas : le déficit réel a été de 3,5 % !
Si le passé éclaire l’avenir, les objectifs que nous avons fixés pour 2016, des objectifs que personne ne remet en cause, pas même le Haut Conseil des finances publiques, seront tenus, et l’objectif que nous avons défini pour 2017, celui, intangible, de ramener le déficit sous les 3 %, à 2,7 %, le sera également, comme l’ont été les objectifs pour 2014 et 2015 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le Premier ministre, je tiens ici, dans cet hémicycle, à exprimer ma colère et mon indignation à la suite de la décision d’Alstom Transport de fermer le site de Belfort, dans l’attente certaine d’une nouvelle annonce pour les autres sites.
Même si aujourd’hui quelques aménagements sont envisagés, cette situation est d’autant plus incompréhensible que mon collègue Claude Kern vous avait alerté le 31 mars dernier, vous faisant part de ses inquiétudes.
Je vous ai moi-même signalé, le 13 février 2015, c’est-à-dire il y a tout de même quelque temps, que le comité stratégique de la filière ferroviaire avait, dans sa séance du 13 novembre 2014, dressé un constat alarmiste au regard du plan de charge. Des collègues du groupe Les Républicains vous ont également alerté ainsi que le Président de la République de cette situation.
Cette situation allait inévitablement engendrer un énorme problème d’emplois. Malheureusement, nous y sommes aujourd’hui.
À ma question du 13 février 2015, votre secrétaire d’État, Mme Axelle Lemaire, répondait : « En France comme à l’étranger, le train français regarde vers l’avenir. Il a de beaux jours devant lui, parce qu’il se modernise. » Vous avez une conception bien à vous des beaux jours et de la modernité !
Monsieur le Premier ministre, ma question est la suivante : face à la colère des salariés d’Alstom venus manifester mardi dernier au siège de Saint-Ouen, allez-vous réellement vous engager pour sauver durablement l’activité du groupe et éviter une situation similaire à la fermeture des hauts fourneaux de Florange en Lorraine ou vous réfugier derrière des commandes artificielles et clientélistes ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-François Longeot. Ne serait-il pas judicieux de développer en France une culture de localisation de l’emploi en lien avec la commande publique ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Longeot, Axelle Lemaire et moi-même avons eu l’occasion il y a un instant de répondre à deux de vos collègues sur ce sujet.
Je ne veux pas polémiquer sur ce dossier complexe. Vous nous le rappelez à d’autres occasions : nous sommes dans une économie ouverte où la concurrence bat son plein, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres.
Alstom, comme d’autres entreprises, conquiert des marchés à l’export – je pense notamment à l’Inde ou aux États-Unis – et souvent grâce à l’action du Gouvernement, quel qu’il soit d’ailleurs, et du Président de la République. En effet, des représentants d’Alstom comme ceux d’autres grandes entreprises font partie de nos délégations officielles à l’étranger. Dès qu’elle le peut, « l’équipe France » cherche à remporter des marchés.
Reconnaissons-le – j’aurais pu le rappeler dans ma réponse à votre collègue communiste –, il y a aussi quelques succès, autres encore que ceux que j’ai évoqués, comme celui d’Airbus ou du Rafale. C’est là que l’État joue pleinement son rôle.
Mais revenons-en à Alstom.
Mme Fabienne Keller. Oui !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Comme je l’ai dit tout à l’heure, Alstom rencontre un problème qui ne date pas d’aujourd’hui – vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le sénateur – de surcapacité et une difficulté sur la période dont j’ai donné les dates il y a un instant.
Nous travaillons actuellement sur ce dossier et Emmanuel Macron a déjà eu l’occasion de répondre ici sur le sujet. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis toujours attentif à ce qu’on rappelle l’action des différents ministres ou d’anciens membres du Gouvernement, d’autant plus que vous avez souvent eu l’occasion d’interroger le Gouvernement sur ces questions.
Aujourd’hui, nous sommes en effet surpris et gênés de l’annonce faite par Alstom, et même en colère. La méthode n’était pas acceptable et nous avons eu…
Mme Fabienne Keller. Mais vous le saviez !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la sénatrice, ne remettez pas en cause ma parole dans cette affaire-là ou alors on entre dans un autre débat ! Moi, je souhaite évoquer ici les différents dossiers concernant Alstom. Quand je viens à Strasbourg, vous avez un autre comportement. Ne soyez pas différente à Strasbourg et ici pour des raisons de basse politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Fabienne Keller. Je suis la même !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous faisons tout pour sauver cette entreprise !
Nous tenons compte de ce que vous venez de dire et qui me paraît extrêmement juste, monsieur le sénateur : nous agissons évidemment sur la commande publique, tout en ayant le souci de respecter les règles dans ce domaine, et incitons également Alstom à réaliser les investissements nécessaires. En effet, comme l’a dit l’un de vos collègues, l’entreprise Alstom a bénéficié de soutiens des pouvoirs publics. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
nomination du directeur de l'agence française pour la biodiversité
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Noël Cardoux. Ma question s'adresse à Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement. (Elle n’est pas là ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Elle n’est jamais là !
M. Jean-Noël Cardoux. Le Parlement a adopté la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont la pierre angulaire devait être la création de l’Agence française pour la biodiversité.
Durant l’été, les services de votre ministère ont communiqué à ce sujet, mais le contour, les objectifs et le financement de cette agence demeurent flous. Des dirigeants de la chasse – ONCFS et FNC – n’ont pas voulu l’intégrer en attendant d’y voir plus clair.
Vous avez souhaité qu’un dialogue constructif s’établisse avec l’Office, afin d’aboutir à la signature de conventions concernant, en particulier, la police de l’environnement. Or viennent d’être nommés à la tête de cette agence l’ancien président et l’ancien directeur de l’ex-Rassemblement des opposants à la chasse (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.), association militante qui représente moins de 2 000 personnes et dont la dénomination se suffit à elle-même.
Pensez-vous que ces nominations soient opportunes pour établir un dialogue constructif avec les acteurs cynégétiques de terrain et qu’elles permettront de rassurer le monde rural, dont la chasse et la pêche sont des composantes essentielles ?
Pourriez-vous nous préciser quels seront les objectifs et la feuille de route que vous assignerez à l’Agence française pour la biodiversité dans les mois à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Ségolène Royal (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui m’a chargée de vous répondre à sa place.
L’Agence française pour la biodiversité a été créée par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, promulguée durant l’été, le 8 août dernier précisément, pour lutter contre la perte de biodiversité et répondre aux enjeux d’adaptation aux effets du changement climatique.
L’Agence sera un opérateur de référence au service d’un nouveau modèle de développement. Elle exercera des missions de préservation, de gestion et de restauration de la biodiversité, favorisera le développement des connaissances, la gestion équilibrée et durable des eaux et la lutte contre la biopiraterie.
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas la question !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. L’Agence française pour la biodiversité est issue de la réunion de quatre organismes engagés dans les politiques de biodiversité, à savoir l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l’Agence des aires marines protégées, l’Établissement des parcs nationaux de France et l’Atelier technique des espaces naturels.
M. Ladislas Poniatowski. Vous ne répondez pas à la question !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Ce n’est peut-être pas une réponse à la question posée, monsieur le sénateur, mais si cette question vous était adressée, je ne suis pas sûre que vous pourriez y répondre ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Sans attendre l’adoption de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le Gouvernement a voulu que les travaux de préparation de la loi soient mis en œuvre. Il a notamment souhaité que l’Agence soit en mesure de fonctionner au 1er janvier 2017. C’est pourquoi Ségolène Royal et Barbara Pompili ont réuni le 7 septembre dernier le conseil d’administration transitoire…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. … qui a été créé par la loi pour débattre avec les administrateurs des questions de gouvernance et des priorités de l’Agence.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous ne répondez pas du tout à la question !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Le conseil d’administration définitif est composé de cinq collèges.
M. le président. Concluez !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Je conclurai en rappelant que, à la demande des représentants des chasseurs, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage n’est pas intégré dans l’Agence et qu’il faut maintenant que l’Agence s’engage dans des actions concrètes et très rapides. Elle sera prête, je le répète, au 1er janvier 2017 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour la réplique.
M. Jean-Noël Cardoux. Je vous remercie, madame la secrétaire d'État, d’avoir répété ce que je venais dire ! Mes collègues auront apprécié…
J’observe que ce que vous nous dites est à l’opposé de ce que le Président de la République avait déclaré au sujet du monde de la chasse il y a quelque temps.
Mme Sophie Primas. Eh oui !
M. Jean-Noël Cardoux. L’objectivité scientifique doit l’emporter sur l’activité militante. Ce n’est pas le choix qui a été fait et je le déplore, comme je tiens à déplorer le manque de concertation. Pour preuve, la volonté du ministre d’établir une réserve naturelle nationale dans l’estuaire de la Loire contre l’avis de la quasi-totalité des acteurs de terrain, y compris des députés de la majorité actuelle. Nous sommes bien loin du dialogue tant souhaité entre les utilisateurs de la nature ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
rétablissement des comptes de la sécurité sociale
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Louis Tourenne. Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Madame la ministre, 17,5 milliards d’euros, tel était le déficit du régime général de la sécurité sociale en 2011.
M. Alain Vasselle. Allo ! Allo !
M. Jean-Louis Tourenne. Ce déficit venait s’ajouter aux autres déficits enregistrés tout au long des dix années précédentes et creusait une dette si importante que nous en étions arrivés à douter de la pérennité de notre système de protection sociale.
Bien que la population augmente régulièrement dans notre pays, singulièrement la population des personnes âgées, que la conjoncture n’y est pas des plus favorables, que le nombre des personnes bénéficiant d’un remboursement intégral au titre de l'ALD ait doublé au cours des vingt dernières années, le déficit a été réduit à 3,4 milliards d’euros en 2016. C’est la première année que nous parvenons à rembourser une partie de notre dette plutôt qu’à la creuser !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. La Cour des comptes est plus mesurée !
M. Francis Delattre. Eh oui, ce n’est pas du tout ce qu’elle dit !
M. Jean-Louis Tourenne. De la même façon, le reste à payer par les familles au titre des dépenses de santé est passé de 9,3 % à 8,4 % durant la même période : c’est 1,7 milliard d’euros qui a été redonné en pouvoir d’achat à ces familles !
Mme Isabelle Debré. Mais non !
M. Jean-Louis Tourenne. Cela s’est-il fait au détriment de la qualité des soins et de l’accès de nos concitoyens à la santé ? Non, au contraire !
M. le président. Votre question !
M. Jean-Louis Tourenne. Il n’y a pas eu de déremboursements supplémentaires, pas de baisse des taux. Il n’y a pas eu non plus de nouvelles franchises médicales.
M. le président. Posez votre question, s’il vous plaît !
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la ministre, les objectifs fixés pour l’année 2016 seront-ils atteints ? Quelles sont les perspectives pour l’année 2017 et quand atteindrons-nous l’équilibre que nous n’avons plus connu depuis le gouvernement Jospin ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur Tourenne, trois chiffres, trois nombres : en 2011, 17,5 milliards d’euros de déficit du régime général de la sécurité sociale ; en 2016, moins de 3,5 milliards d’euros de déficit ; en 2017, les prévisions s’établissent à 400 millions d’euros de déficit pour un budget de 500 milliards d’euros au total, c’est-à-dire que nous serons alors à l’équilibre ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est un résultat dont chacune et chacun devrait se réjouir dans cet hémicycle, quelle que soit son appartenance politique !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est grâce à nos réformes !
Mme Marisol Touraine, ministre. En effet, l’enjeu est de garantir une sécurité sociale à tous nos concitoyens, c’est-à-dire une retraite, des soins et une politique familiale de qualité.
Nous avons atteint cet objectif grâce à des réformes de fond et d’organisation, comme l’allongement de la durée de cotisation pour les retraites – c’était difficile mais nécessaire –, la modulation des allocations familiales, la mise en place de la médecine ambulatoire pour en finir avec le « tout-hôpital », ou encore les groupements hospitaliers de territoire.
Cette politique porte ses fruits, non seulement parce que nous n’avons pas touché à un seul des droits de nos concitoyens, mais surtout parce que nous avons augmenté ces droits !
Alors, j’entends bien que, du côté de la majorité sénatoriale, de l’opposition au Gouvernement, on chipote, on ratiocine, on ergote même parfois. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais la vérité, c’est que vous ne vous remettez pas du fait que nous atteignons l’équilibre sans remettre en cause les droits de nos concitoyens (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), alors que vous-mêmes aviez creusé les déficits en multipliant les franchises médicales, les déremboursements et les forfaits !
Mme Sophie Primas. Ce sont des mensonges !
Mme Marisol Touraine, ministre. Voilà notre conception de la politique : ce sont des droits supplémentaires pour tous et l’équilibre des comptes de la sécurité sociale pour l’avenir de nos enfants et de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
chiffres du chômage
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Ça va mieux ! Oui, sauf pour les chômeurs, les entrepreneurs, les investisseurs, l’économie nationale, les plus fragiles, la ruralité. Somme toute, ça va mieux, sauf pour les Français ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Comme le dirait lui-même le Président de la République : « Pas de bol » !
Le Gouvernement commente avec une certaine forme de déni et finalement d’indécence les résultats calamiteux du chômage publiés à la fin de chaque mois et plus encore ceux du mois d’août. Pourtant, à cette période, les résultats sont habituellement stimulés par les contrats saisonniers.
Le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A a augmenté de 50 200, soit une hausse de 1,4 %. C’est historique depuis la crise de 2008 ! Nous enregistrons un triste record malgré la malice et les tours de passe-passe statistiques, sans compter le renfort des escadrons d’emplois aidés créés depuis 2012.
Vous espériez une inversion de la courbe, mais force est de constater que la croissance ne concerne que le chômage ! Quel que soit le critère observé, on ne constate aucune baisse. Pis encore, le nombre de chômeurs des catégories D et E, c’est-à-dire les chômeurs en stage, en formation, en maladie et en contrat aidé, s’est envolé et le nombre de personnes passées des catégories A, B ou C à la catégorie D a littéralement explosé pour atteindre le chiffre de 90 800 en 2016, soit plus du double en l’espace d’une année !
Derrière ces chiffres, on trouve des hommes et des femmes qui souffrent et vivent de réelles difficultés, parfois des familles qui se déchirent. Les Français souffrent, la France coule, et il vous reste sept mois, monsieur le Premier ministre !
Ma question est donc simple : que comptez-vous faire pour éviter la noyade ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame Imbert, je sais tout comme vous que, derrière ces statistiques froides, il y a évidemment des hommes et des femmes qui se battent, que les familles sont durement touchées, que l’on observe parfois une perte d’estime de soi et de confiance en soi chez ces personnes et que les enfants eux-mêmes sont affectés. Nous en sommes tous conscients.
On ne peut m’accuser d’aucune dérobade. Je crois pouvoir dire dans cet hémicycle que j’ai toujours assumé notre bilan. Oui, les chiffres du mois d’août sont en effet mauvais ! Ils révèlent une hausse de 50 200 demandeurs d’emploi de catégorie A. Cependant, il faut également rester lucide : ces chiffres ne remettent pas en cause la trajectoire.
Permettez-moi de rappeler ici, comme je le fais à chaque fois, que les chiffres soient bons ou mauvais, qu’il faut étudier les statistiques sur une période d’au moins trois mois. C’est d’ailleurs ainsi que travaillent l’ensemble des services statistiques. Que dit l’INSEE ? Si l’on prend les chiffres du BIT, auxquels vous nous renvoyez à chaque fois que l’on réalise des comparaisons internationales, le chômage a baissé en une année de 10,5 % à 9,9 % en France. Voilà la réalité !
Mme Sophie Primas. Dites-le aux Français, ça leur fera plaisir !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Par ailleurs, nous avons lancé le plan d’urgence pour l’emploi en janvier dernier, afin de mettre toutes les chances possibles de notre côté dans le combat contre le fléau du chômage, pour mettre toutes les chances du côté des demandeurs d’emploi, notamment les moins qualifiés.
Alors, non, on ne peut pas parler de trucage des statistiques quand on lance un plan de formation avec l’appui des présidents de région ! Concrètement, le plan « 500 000 formations », c’est, par exemple, la démarche que nous avons lancée pour développer l’emploi local à Saint-Nazaire avec le président Retailleau (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), pour limiter le recours au travail détaché et développer la qualification des demandeurs d’emploi. Il s’agit là d’une exigence morale, sociale et économique !
M. le président. Il faut conclure !
Mme Myriam El Khomri, ministre. L’aide « embauche PME », quant à elle, a été sollicitée par 720 000 PME.
M. le président. Concluez !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous restons déterminés à accélérer notre action, car nous savons qu’il est nécessaire de créer beaucoup plus d’emplois dans notre pays. C’est ce que nous avons commencé à faire : depuis un an, 185 000 nouveaux emplois ont été créés. Voilà un autre exemple concret de notre politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, j’observe tout d’abord que vous ne parliez hier que de 140 000 emplois créés. Le nombre d’emplois créés a donc augmenté de 45 000 en vingt-quatre heures…
Ensuite, je vous rappelle que, par définition, les chômeurs en formation ne sont pas des personnes en situation d’emploi et n’ont pas de contrat de travail.
Cessez de reporter la faute sur autrui, assumez et agissez ! Pendant quatre ans, c’était la faute du gouvernement précédent. Hier encore, vous disiez que « le problème, ce ne sont pas les chômeurs, mais le chômage ».
Soyons sérieux ! Nous attendons du Gouvernement qu’il se préoccupe prioritairement du travail et de l’emploi. Encore faudrait-il pour cela faire preuve de courage et d’humilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Savin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture.
Je souhaite évoquer le désarroi, voire le sentiment d’abandon que ressentent les éleveurs, les bergers et les élus locaux de nos massifs face aux attaques répétées du loup, lesquelles sont de plus en plus nombreuses.
On dénombrait près de 10 000 victimes du loup en 2015. Combien cette année ?
Le nombre de loups en liberté augmente de 20 % chaque année. Nous ne pouvons donc plus dire que c’est une espèce en voie de disparition. De plus, 40 % des attaques se déroulent dorénavant en pleine journée, certaines à proximité des habitations. Ces attaques récurrentes ont lieu en dépit des mesures de protection dont les environnementalistes eux-mêmes reconnaissent les limites. Comme seule réponse, l’État a versé 21 millions d’euros d’indemnisation en 2015.
Dans le même temps, des habitants et des randonneurs ont été victimes d’agressions très graves de chiens dressés pour protéger les troupeaux, ce qui pénalise fortement une autre économie, l’activité touristique.
Cette situation démontre trois choses.
Premièrement, le loup gagne la bataille géographique en avançant sur les terres.
Deuxièmement, le loup gagne la bataille économique, car la détresse des éleveurs est telle qu’ils sont nombreux à vouloir arrêter leur activité.
Troisièmement, le loup est en train de gagner la bataille politique face à l’absence de propositions des pouvoirs publics.
Monsieur le ministre, comptez-vous, avec d’autres pays européens, renégocier la convention de Berne, afin de faire évoluer le classement du loup d’espèce strictement protégée à simplement protégée ?
En attendant, seriez-vous prêt à faire réaliser par un organisme neutre un décompte le plus précis possible du nombre de loups présents sur le territoire national, comme le demandent les associations d’éleveurs et de bergers et les élus locaux, et à autoriser les associations de chasseurs, qui connaissent bien le terrain et qui sont des gens responsables et formés, à assurer la gestion et la régulation en continu des loups ou des meutes qui attaquent les troupeaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture.
M. Bruno Sido. Un jeune loup ! (Rires.)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Un jeune loup ? Oh, non ! (Sourires.)
Monsieur le sénateur, votre question laisse sous-entendre que l’État, c’est-à-dire le ministre de l’agriculture que je suis, n’aurait rien fait au sujet du loup.
M. Michel Savin. Je n’ai pas dit ça !
M. Charles Revet. Mais non !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous avez même dit – certainement parce que nous nous trouvons dans cet hémicycle – que le loup aurait gagné la bataille politique. Il faudrait m’expliquer comment un loup peut gagner une bataille politique. À moins, et ça peut arriver, que des loups se soient cachés sur ces travées… (Sourires.)
Plus sérieusement, en arrivant au ministère, c’est moi qui ai mis en place un plan national de lutte contre les attaques de loups et de prélèvement sur les loups, plan ensuite relayé par Ségolène Royal. Un tel plan n’avait jamais été mis en place !
M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce plan comportait des dispositions telles que les tirs de dissuasion, mais aussi la mise en place de tirs de prélèvement, avec l’aide de chasseurs locaux, ciblés sur les loups qui attaquent, ce qui est plus efficace que la traque quinze jours après d’un loup qui ne serait pas nécessairement responsable de cette attaque.
Oui, monsieur le sénateur, nous avons versé des aides ! Mais qu’aurait-il fallu faire ? Ne plus verser d’indemnisations ? Je vous rappelle que, en 2012, à mon arrivée, le ministère de l’agriculture versait 8 millions d’euros au titre des indemnisations. Désormais, cette somme atteint 22 millions d’euros, la population des loups ayant augmenté.
Vous évoquez également la convention de Berne. Mais qui l’a signée – c’était il y a déjà un moment ? En tout cas, ce n’est ni le gouvernement actuel, ni le précédent, ni même celui d’avant. Alors, certes, il faudrait renégocier cette convention, mais encore faut-il trouver une majorité pour le faire !
Vous l’avez oublié, parce qu’il faut bien connaître le dossier, mais il faudrait également renégocier la directive Habitat avant même de parler de la convention de Berne.
M. Marc Daunis. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. J’ajoute que l’on ne pourra pas non plus s’exonérer de la prise en compte du loup dans la biodiversité. Si vous imaginez que le loup va disparaître, parce qu’on aura créé quelques articles ou renégocié la convention de Berne, vous faites erreur.
Aujourd’hui, nous avons engagé un travail important en matière de dissuasion, des actions pour accélérer les opérations de tir et sur le nombre de loups qui peuvent être prélevés, à savoir trente-six loups, ce qui constitue la limite de prélèvement que la convention nous autorise.
En outre, j’ai parlé de la renégociation de la directive Habitat avec le ministre finlandais pas plus tard qu’hier midi. La Finlande connaît également des problèmes avec le loup, à la suite d’attaques contre des troupeaux de rennes. L’Espagne et l’Italie commencent également à bouger. Nous cherchons donc une solution pour renégocier la directive, mais, je le répète, il nous faut des partenaires pour cela.
Monsieur le sénateur, nous poursuivrons le travail engagé sur ce sujet. J’ai moi-même formulé de nouvelles propositions, en particulier sur la question des patous. Aujourd’hui, nous avons un problème avec ces attaques de chiens, mais ce n’est pas moi qui les ai mis en place, ces gros patous qui mordent les petits enfants et les gens qui se promènent en montagne. C’est un vrai problème qui se pose, dans la mesure où l’élevage des patous n’est pas organisé aujourd’hui. Par conséquent, nous éduquerons aussi les patous !
M. le président. Il faut conclure !
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Il n’y a pas de flou avec le loup !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il n’y a pas de loup. Il y a au contraire une volonté de traiter cette question ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Monsieur le ministre, les agriculteurs, les bergers et les élus locaux qui ont entendu votre réponse ironique et moqueuse apprécieront le ton que vous avez employé… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) C’est un scandale d’avoir répondu de cette façon !
Mme Fabienne Keller. Absolument !
M. Michel Savin. Des personnes se trouvent pourtant en détresse et une économie est mise en péril aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 4 octobre 2016, à seize heures quarante-cinq, et qu’elles seront retransmises sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)
PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Candidature à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a proposé la candidature de Mme Annick Billon.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
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Liberté, indépendance et pluralisme des médias
Rejet en nouvelle lecture d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (texte n° 802, rapport n° 844, résultat des travaux de la commission n° 845).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, madame la présidente et rapporteur de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons donc pour débattre en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.
Les sujets qui viennent rechercher la protection de la loi sont des sujets de fond : le renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, l’élargissement à tous les journalistes du droit d’opposition, les chartes d’éthique professionnelle dans les médias, l’indépendance de l’information et, enfin, le renforcement du rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, dans le respect des procédures. Pourtant, votre commission estime que c’est un texte de circonstance !
Garantir la qualité de l’information et l’indépendance des journalistes face aux intérêts économiques est pourtant un objectif majeur dans le monde d’aujourd’hui, où la profusion des modes de diffusion rend l’information omniprésente, mais sans que toutes les garanties d’éthique et d’indépendance nécessaires soient systématisées.
Dès lors, les mesures prévues dans le texte sont, me semble-t-il, de nature à renforcer la confiance du public envers les médias et, à ce titre, à contribuer au meilleur fonctionnement de notre démocratie.
À cet égard, j’ai appris que l’examen par le Sénat du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté a donné lieu à des amendements de la commission des lois qui remettraient en cause les principes fondateurs de la loi de 1881. Il est en particulier proposé de rendre possible la poursuite des infractions au droit de la presse devant les seules juridictions civiles, en dommages et intérêts. Je tiens à alerter votre assemblée sur le risque de voir, grâce à cela, de grands groupes économiques faire pression sur les médias.
La présente proposition de loi revient devant vous en nouvelle lecture après l’échec de la commission mixte paritaire, le 14 juin dernier.
L’Assemblée nationale a repris ses travaux dès le mois de juillet dernier et, sur les 31 articles que comporte le texte, 21 restent en discussion pour cette nouvelle lecture. Parmi ces derniers, 9 n’ont fait l’objet d’aucune modification lors de l’examen en nouvelle lecture de la proposition de loi par l’Assemblée nationale, ce qui souligne la prise en compte des apports du Sénat que j’ai moi-même, pour la plupart, salués.
C’est ainsi qu’ont été conservés les apports sénatoriaux relatifs, par exemple, à l’obligation de la transmission de la charte aux journalistes ou à la définition du champ d’application du droit d’opposition, lequel intègre, conformément à une proposition de la présidente de votre commission, la notion de « programmes qui concourent à l’information ».
D’autres apports du Sénat ont permis des clarifications utiles : l’unification du régime de protection des lanceurs d’alertes, la sécurisation juridique des décisions de la commission du réseau du Conseil supérieur des messageries de presse ou encore des compétences de la Commission des droits d’auteur des journalistes.
Enfin, des dispositions nouvelles introduites par le Sénat ont été votées par l’Assemblée nationale. Je pense notamment à l’encadrement de l’application par les distributeurs de la numérotation logique des chaînes de télévision.
De la même manière, l’Assemblée nationale a conservé l’esprit de l’article 7 bis adopté par le Sénat, qui étend aux chaînes parlementaires le dispositif des comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, n’y apportant qu’une modification rédactionnelle.
Dans ces conditions, compte tenu de ce travail fécond, je ne crois pas que l’on puisse faire le constat d’un impossible dialogue.
En revanche, des divergences d’appréciations sont restées fortes. Sur la question de la protection du secret des sources des journalistes, que votre commission a souhaité déléguer au fond à la commission des lois, le désaccord est profond.
Il est vrai que les positions exprimées sur cette question ici même, lors de l’examen de ce texte en avril dernier, tranchaient singulièrement avec l’unanimité obtenue à l’Assemblée nationale sur la base de l’amendement que j’avais proposé au nom du Gouvernement.
J’ai eu l’occasion de le dire lors des précédents débats : la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes est insuffisamment protectrice. C’est le point de vue de nombreuses organisations de journalistes, mais aussi d’éditeurs de presse qui demandaient qu’elle soit améliorée.
C’est pourquoi, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a travaillé à une amélioration de ces dispositions. La chancellerie, le ministère de l’intérieur et mon administration, notamment, ont recherché un juste point d’équilibre au terme de nombreux échanges avec les parlementaires et avec la profession. Ces échanges ont abouti, d’ailleurs, au dépôt d’un projet de loi en juin 2013.
La rédaction que j’ai proposée est conforme aux recommandations formulées par le Conseil d’État lors de sa consultation sur ce projet de loi, et parfaitement compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Les divergences profondes qui ont vu le jour à l’occasion de l’examen de cet article par votre assemblée portent sur des points essentiels.
Pour le nombre limité de cas dans lesquels le secret des sources peut être levé à l’occasion d’une enquête judiciaire, le texte veille à définir précisément une liste d’infractions parmi les plus graves de notre code pénal. Dans cette logique, le Gouvernement a proposé à l’Assemblée nationale de retenir comme mesure de la gravité une peine homogène de sept ans de prison. Votre proposition visait au contraire à réintroduire la notion, aux contours pourtant imprécis, « d’impératifs prépondérants d’intérêt public ».
Sur la question essentielle du champ de la protection du secret des sources, vous avez souhaité réduire strictement ce champ aux seuls journalistes, là où le texte adopté par l’Assemblée nationale élargissait au contraire la protection des sources aux collaborateurs de la rédaction et au directeur de la publication, afin d’englober la chaîne de production de l’information. Dans la pratique, cette garantie est essentielle.
Votre proposition a également supprimé la protection des journalistes contre les poursuites judiciaires pour recel de violation du secret de l’instruction ou des atteintes à la protection de la vie privée, alors que cette protection supplémentaire est, elle aussi, essentielle dans le texte soutenu par le Gouvernement.
Enfin, sur le quatrième point majeur du texte, à savoir l’intervention préalable d’un magistrat pour autoriser une mesure d’enquête portant sur les sources d’un journaliste, vous avez placé l’intervention du juge des libertés sur le même plan que celle du juge d’instruction. Nous estimons au contraire que l’intervention préalable d’un magistrat indépendant de l’instruction en cours est un gage essentiel d’indépendance dans la procédure.
Madame la présidente de la commission, vous avez souhaité soumettre à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication une motion de procédure tendant à opposer la question préalable, qui a été adoptée lors de vos travaux du 21 septembre dernier. Votre assemblée souhaitera probablement adopter de cette motion de procédure. Pour ma part, je regretterai cette décision, car elle nous prive de la possibilité de rechercher encore des convergences.
S’agissant de l’urgence, vous savez que les travaux sur ces sujets ont été entamés depuis plusieurs années et qu’un projet de loi du Gouvernement a même été déposé en juin 2013 sur le sujet de la protection du secret des sources des journalistes, qui est précisément celui qui nous oppose.
S’agissant de la procédure accélérée, l’examen en lecture définitive devant l’Assemblée nationale n’interviendra que le jeudi 6 octobre prochain, soit huit mois après le dépôt de cette proposition de loi.
Je regrette que nous ne puissions avoir à nouveau des échanges constructifs et sincères, tels que ceux que nous avons eus sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, car la liberté d’informer me semble mériter tout autant l’attention du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en février 2016, deux propositions de loi étaient successivement déposées sur le bureau des assemblées : l’une à l’Assemblée nationale par Bruno Le Roux et Patrick Bloche, l’autre au Sénat par David Assouline et Didier Guillaume.
Généralisation du droit d’opposition du journaliste sur la base de son intime conviction professionnelle, des comités d’éthique et des chartes de déontologie : les dispositions proposées n’étaient pas particulièrement attendues, en tout cas, pas de la manière qui nous a été proposée, c’est-à-dire dans une forme d’urgence. Tous nos interlocuteurs, y compris les journalistes, n’ont cessé de le rappeler.
Or ces mesures ont été élaborées dans une urgence qui n’a permis ni étude d’impact, ni concertation, ni vérification de leur caractère opérationnel au regard de la réalité du fonctionnement des entreprises de médias et de l’organisation des rédactions.
Pour autant, ne contestant pas les principes que réaffirmaient ces textes, le Sénat – tout à fait sincèrement – ne s’était pas opposé à leur adoption. Nous avions toutefois eu à cœur de préserver le bon fonctionnement des entreprises éditrices en évitant toute immixtion injustifiée du législateur comme du régulateur. En revanche, la création d’un régime spécifique de protection du secret des sources est apparue poser des difficultés juridiques insurmontables.
Dès lors, et malgré les compromis acceptés par le Sénat, le désaccord entre les deux chambres a rapidement été constaté en commission mixte paritaire le 14 juin et nous sommes désormais appelés à nous prononcer, en nouvelle lecture, sur la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.
L’Assemblée nationale a elle-même procédé à une nouvelle lecture du texte le 18 juillet. Pour l’essentiel, sur les points de désaccord les plus saillants, les députés ont rétabli leur version ou adopté une rédaction alternative, qui s’éloigne des positions que nous avions défendues. Je ferai ici état des dissensions majeures que la proposition de loi suscite, dans la rédaction examinée ce jour.
À l’article 1er, qui avait fait l’objet de vifs débats tant sur la notion d’« intime conviction professionnelle » que sur les modalités d’élaboration des chartes, l’« intime conviction professionnelle » est devenue la « conviction professionnelle », sans que la portée de cette évolution sémantique soit clairement établie ni, surtout, que la menace contentieuse se soit éloignée.
À l’article 1er ter relatif à la protection des sources des journalistes, a été rétabli, contre l’avis du Gouvernement, un régime procédural qui entame, de manière excessive, le pouvoir d’instruction des magistrats. Les restrictions apportées à tout acte d’enquête portant atteinte au secret des sources ne permettent pas d’assurer la nécessaire conciliation entre la liberté d’expression, la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et la protection des personnes.
L’Assemblée nationale a également rétabli l’irresponsabilité pénale des journalistes en cas de délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée ou de recel de la violation du secret professionnel ou du secret de l’enquête, en méconnaissance des principes constitutionnels du droit au respect de la vie privée, de l’inviolabilité du domicile et du secret des correspondances, protégés par l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Alors que le Sénat avait prévu, à l’article 3, que les conventions préciseraient les mesures permettant de mettre en œuvre les comités de déontologie, les députés ont rétabli un dispositif que nous avions considéré comme étant de nature à établir un contrôle ex ante du CSA sur l’information et les rédactions des chaînes.
À l’article 5, l’Assemblée nationale a confirmé que le simple constat par le CSA du non-respect sur plusieurs exercices des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme interdirait le recours à la procédure de reconduction simplifiée des autorisations d’émettre, alors que nous préférions que ces manquements aient été sanctionnés. Cette rédaction est de nature à créer une incertitude pour les investisseurs et un préjudice si les manquements évoqués ne devaient pas in fine être considérés comme de nature à justifier une sanction.
L’Assemblée nationale a par ailleurs, à l’article 7, rétabli la possibilité que les comités de déontologie soient saisis par « toute personne ». Outre l’atteinte grave portée à la liberté de l’éditeur de programmes, un tel dispositif conduira inévitablement à la multiplication des saisines.
Le refus quasi systématique des apports du Sénat n’est guère compensé, dans le texte qui nous est présenté, par les quelques avancées concédées par les députés ni même par les dispositions obtenues par le Gouvernement à l’Assemblée nationale pour limiter les conséquences délétères de plusieurs mécanismes sur le fonctionnement des entreprises de médias.
En conclusion, alors que le Sénat avait contribué à réduire la nocivité de dispositifs dont les conséquences pratiques n’avaient pas été suffisamment – voire pas du tout – analysées, le texte transmis par l’Assemblée nationale empêche l’élaboration de tout compromis constructif, ce que, bien entendu, nous regrettons.
Nombre de dispositions demeurent inacceptables tant elles font montre d’une défiance disproportionnée vis-à-vis des directions des entreprises de médias s’agissant des questions de déontologie, mais également en ce qu’elles instaurent un mécanisme de contrôle étendu et tatillon et, surtout, renforcent les prérogatives d’un régulateur dont le rôle et l’étendue des pouvoirs ne font plus consensus.
En conséquence, notre commission a adopté, comme cela a été souligné, une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Je vous propose bien entendu, mes chers collègues, de confirmer aujourd’hui cette position.
Pour autant, je tiens à redire que la réflexion du Sénat sur des sujets aussi fondamentaux pour notre démocratie que celui de la préservation de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme des médias se poursuivra au-delà du rejet de ce texte.
Il nous faut réfléchir à ces questions de manière sérieuse, approfondie et concertée. C’est pourquoi nous continuerons nos travaux sur la problématique de la concentration croissante des entreprises du secteur, mais également sur ce qui paraît être la première des urgences pour sauver le pluralisme des médias et assurer la survie de ces entreprises, notamment des entreprises de presse : les difficultés économiques, l’adaptation au monde numérique – qui reste un véritable défi –, et, bien entendu, le réel sujet de préoccupation que constitue la précarisation du métier de journaliste.
Voilà en quoi consistent les véritables urgences, mes chers collègues, et l’adoption de mesures non évaluées et qui ne résoudront rien ne fera que contribuer à imposer toujours plus de contraintes aux entreprises ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, permettez-moi, avant d’aller plus loin, de saluer également les internautes, notamment les étudiants en journalisme de Cergy-Pontoise, qui suivent nos travaux.
Lorsque Marie-Christine Blandin m’a demandé d’intervenir aujourd’hui à sa place – on ne la remplace pas –, je vous avoue que je m’en faisais une joie, compte tenu du sujet abordé et de la qualité de nos débats d’avril dernier.
Entre-temps, nous nous sommes rendues coupables d’avoir participé, avec tout le groupe écologiste, à un séminaire pédagogique à Calais et d’avoir manqué une réunion de la commission que nous n’avions pas anticipée, pensant que la classe reprendrait seulement lundi. À notre retour, nous découvrons qu’il n’y a plus lieu de débattre, qu’il n’y a plus de sujet !
Je vais tout de même essayer, durant les cinq minutes qui me restent, d’être pédagogue, pour nos futurs journalistes qui vont disséquer ces travaux, mais aussi pour nous tous, puisque nous travaillons toujours dans la bonne humeur et la concorde !
Nous voici donc réunis pour démontrer que, aujourd’hui en tout cas – et c’est rare –, nos paroles n’auront aucune suite, que notre présence et notre travail de ce jour n’apporteront aucune amélioration, ni pour la qualité de l’information ni pour l’activité professionnelle des journalistes. Nous pouvions peut-être rêver collectivement meilleure mise en scène pour la revalorisation de l’image du Sénat, auquel nous tenons beaucoup, et du travail parlementaire !
Certes, il y a eu, cela a été éloquemment rappelé, des divergences entre les deux chambres et un échec en commission mixte paritaire. Mais quel dommage de présenter une telle motion, qui neutralise notre travail alors même qu’il est question d’information et de débat démocratique !
L’image du Sénat, qui est aussi la nôtre et dont nous sommes tous, sur toutes les travées, collectivement responsables, ne sortira pas non plus améliorée de la lecture détaillée des différents motifs de la motion. Un point, en particulier, nous a intrigués ; nous y reviendrons plus tard.
Ce texte aurait pu être important, notamment pour éviter le mélange des genres dans le monde de la presse.
Vous le savez tous, en France, il existe des relations que l’on pourrait qualifier d’« incestuelles » entre bien des éditeurs de presse et la commande publique, sans parler de la précarisation croissante de la profession de journaliste, les conséquences des deux phénomènes s’entrecroisant.
Le texte de l’Assemblée nationale n’était pas parfait, mais il n’était pas dépourvu de certaines qualités. Il prévoyait ainsi le renforcement de la protection du secret des sources, auquel Mme la ministre a fait référence, une protection – encore insuffisante à nos yeux – des lanceurs d’alerte et un système de suspension des aides à la presse en cas de violation du principe de transparence.
Ces mesures nous semblaient de bon sens. Nous nous émouvons ici souvent des pratiques « poutiniennes » dans d’autres pays… Cela vaudrait-il ailleurs, mais pas chez nous ?
Pour autant, le texte ne permet pas de trouver une solution sur la question des « chartes maison » et, au sein du groupe écologiste, nous nous demandons, peut-être à tort, pourquoi nous ne revenons pas à la charte de Munich, qui, au moins, est partagée par un certain nombre de pays européens.
Sauf erreur de ma part, aujourd’hui, sept milliardaires sont en lien, en France, avec 95 % de la production journalistique. La frontière entre information et intérêt des actionnaires pose chaque jour de nouvelles questions. En démocratie, l’indépendance des rédactions doit être sanctuarisée, ainsi que l’indépendance des journalistes.
Le 6 avril 2016, nous avions rappelé, de manière tout à fait paisible, que, malheureusement, la confiance de nos concitoyens faiblit à l’égard des médias. Nous savons tous aussi que, malheureusement, elle faiblit également vis-à-vis de nous, femmes et hommes politiques.
Peut-être eût-il été possible, même en prévoyant un délai raccourci, d’aller au fond du sujet, plutôt que de se contenter d’un « circulez, il n’y a rien à voir ». Mais, je le précise à l’attention des étudiants en journalisme, nous avons des élections dans six mois et cela peut expliquer qu’un débat serein en avril 2016 ne puisse avoir lieu aujourd’hui de manière tout aussi apaisée.
Dernier point, et je vous sais vigilante sur cette question, madame la ministre, je souhaiterais, en tant que modeste responsable du groupe d’études sur la photographie et les autres arts visuels, attirer votre attention sur le sort des photographes.
Vous le savez, cette profession doit être défendue, car elle connaît des problèmes de statut et de précarité. Or tous les médias, aujourd’hui, vivent au moins autant des textes écrits par les journalistes que des photographies qu’ils publient.
Je vous avoue que la spoliation, toujours en cours, de la juste rémunération des photographes nous semble constituer un sujet en soi. Rien que ce sujet aurait, selon nous, mérité que nous passions un peu plus de temps sur ce texte aujourd’hui. Nous nous faisions une joie de l’examiner avec vous, madame la ministre, dans la bonne humeur, comme toujours au Sénat, et dans le cadre d’un débat serein, constructif et positif. Je regrette que ce ne soit pas possible.
J’ajoute, à l’attention des étudiants en journalisme, que nous reviendrons les voir pour leur expliquer qu’il n’en va pas toujours ainsi au Sénat. Cette situation est même exceptionnelle, car nous sommes plutôt habitués à des débats de fond constructifs. Aujourd’hui était un jour particulier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes donc réunis aujourd’hui pour examiner, une fois n’est pas coutume, le texte issu de l’Assemblée nationale et nous positionner sur la motion tendant à opposer la question préalable déposée par Mme la rapporteur.
Disons-le d’emblée, cette proposition de loi, en raison de l’actualité des sujets qu’elle aborde et du temps qu’il a fallu pour qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour, méritait mieux que la probabilité d’un rejet en bloc lors de sa nouvelle lecture. Ne l’oublions pas, des études récentes nous rappellent qu’un quart seulement des Français jugent les journalistes indépendants du pouvoir et de l’argent. N’oublions pas non plus le dernier classement de Reporters sans frontières montrant que la France a dégringolé, en matière de liberté de la presse, de la trente-huitième à la quarante-cinquième place sur une liste de 180 pays.
Alors, oui, à l’aune de ces résultats pour le moins préoccupants, une loi sur la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias paraît plus que jamais nécessaire. Oui, ce texte comporte des avancées notables, sinon essentielles, qui devraient justifier à elles seules que notre assemblée puisse débattre de l’ensemble du texte. Tel ne sera manifestement pas le cas, et nous sommes plusieurs, au sein du groupe du RDSE, à le regretter.
J’en viens à ces mesures importantes rétablies par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture et qui rencontrent sur ces travées une opposition assez inattendue.
L’une des dispositions majeures concerne le droit d’opposition que l’article 1er tend à ouvrir à l’ensemble des journalistes. Était-il cohérent de le réduire, ainsi que l’a décidé notre commission en première lecture, aux seuls actes contraires à la charte déontologique de l’entreprise quand, dans le même temps, le rôle des représentants des journalistes dans l’adoption de cette charte était dénié ? C’est loin d’être certain ; c’est pourquoi la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale me semble préférable. Rappelons d’ailleurs que, dans le texte que nous examinons aujourd’hui, la notion de « conviction professionnelle » est venue remplacer celle, effectivement trop incertaine, « d’intime conviction professionnelle ». Cette « conviction professionnelle », dont peuvent déjà user les journalistes de l’audiovisuel public – alors, pourquoi pas les autres ? – fonde le droit d’opposition du journaliste dans le respect de la charte déontologique de l’entreprise éditrice, charte rédigée conjointement par la direction et les représentants des journalistes.
Une autre avancée essentielle est la protection du secret des sources des journalistes. Elle est renforcée par l’article 1er ter, adopté, je le rappelle, à l’unanimité par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale en première lecture. Cette clarification ne devrait-elle pas rencontrer davantage de consensus, en tant qu’elle est un fondement de la liberté et de l’indépendance de la presse ? Mes chers collègues, la loi du 4 janvier 2010 a en effet officiellement inscrit le principe du secret des sources des journalistes dans la grande loi fondatrice sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, mais elle recèle, de l’avis de tous les professionnels, des restrictions et des ambiguïtés fâcheuses.
Rappelons-nous, à l’été 2010, peu après l’adoption de cette loi, l’histoire des factures électroniques détaillées d’un journaliste du journal Le Monde interceptées par la direction centrale du renseignement intérieur afin d’identifier sa source. Existait-il un « impératif prépondérant d’intérêt public » pour missionner ainsi les services du renseignement intérieur ? Comment, dès lors, s’opposer à un texte qui tend à définir de façon plus claire et plus limitative les conditions permettant de porter atteinte au secret des sources ? L’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, plus protectrice que notre droit positif actuel, indique pourtant : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. » Ce n’est pas un hasard si tous les syndicats de journalistes ont publiquement manifesté leur opposition à la loi dite Dati et si le renforcement de la protection des sources faisait partie des promesses du Président de la République.
Où en est, aujourd’hui, l’indépendance de la presse dans notre pays, et comment concilier les conflits d’intérêts qui peuvent surgir dès lors qu’un groupe de médias appartient à une entreprise dont les intérêts n'ont rien à voir avec la bonne information du public ? Cette loi vient justement apporter des réponses aux éventuelles – mais réelles – pressions que les directions pourraient vouloir exercer sur leurs journalistes dans l’exercice de leur métier.
Il n’est pas de liberté sans liberté de la presse, et je veux reprendre ici les mots bien connus de Victor Hugo, prononcés sur d’autres bancs en 1848 : « Le principe de la liberté de la presse n’est pas moins essentiel, n’est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. […] Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre […] Messieurs, vous avez le plus beau de tous les titres pour être les amis de la liberté de la presse, c’est que vous êtes les élus du suffrage universel. »
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le sujet était trop sérieux pour que l’on sursoie au débat. Avec la majorité de mes collègues du RDSE, je voterai donc contre cette motion, regrettant de ne pouvoir poursuivre la discussion sur une question aussi importante. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je regrette vivement que la rédaction proposée par le Sénat n’ait pas été retenue par l’Assemblée nationale.
En acceptant le débat en première lecture, nous souhaitions rendre moins contraignant le contrôle exercé sur les sociétés de presse et de communication. Parallèlement, dans un souci de consensus, nous avions maintenu plusieurs dispositions visant à assurer la protection de la liberté d’expression.
Malheureusement, il a été impossible de parvenir à un accord lors de la réunion de la commission mixte paritaire à laquelle j’ai participé. En effet, le Gouvernement souhaite manifestement faire de cette proposition de loi un outil de communication sur son attachement à des valeurs autoproclamées « de gauche » – la liberté d’expression, le pluralisme – à moins d’un an de l’élection présidentielle. Ces principes, dont nous souhaitons tous la défense, courent-ils un tel danger qu’une nouvelle loi doive être adoptée en urgence ? Comme pour la plupart des textes de circonstance que nous sommes amenés à étudier en cette fin de législature, l’idéologie a pris le pas sur la réalité.
À juste titre, notre rapporteur a dénoncé la précipitation entourant l’examen de la proposition de loi, l’absence de réflexion, de concertation, d’étude d’impact. Quand cesserons-nous de légiférer de cette façon ? (M. David Assouline s’esclaffe.)
En définitive, nous ne pouvons que constater le paradoxe d’un texte censé garantir des libertés qui vient, au contraire, imposer de nouvelles contraintes au fonctionnement des rédactions de presse et des médias, signe d’une défiance généralisée à l’égard des professionnels concernés.
Mme la rapporteur vient d’évoquer les points de clivage les plus importants entre nos deux assemblées.
Tout d’abord, notre groupe est particulièrement opposé à la rédaction de l’article 1er, qui risque d’entraver le fonctionnement normal des rédactions de presse en étant source de contentieux. L’Assemblée nationale a finalement supprimé le terme « intime » qualifiant la « conscience professionnelle » susceptible d’être invoquée par le journaliste, mais cette modification est purement cosmétique et ne change rien sur le fond.
L’extension des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel est une autre pierre d’achoppement : ses missions comprendront dorénavant un contrôle exercé a priori sur la déontologie et l’indépendance des médias. Le CSA dispose ainsi d’un nouveau droit de regard qui ressemble fort à de l’ingérence.
De même, la généralisation des saisines des « comités d’éthique », lourdement rebaptisés « comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes » risque de conduire à la multiplication de contestations en tout genre.
Plus inquiétantes encore sont les dispositions adoptées en matière de protection du secret des sources. Le texte vient rompre l’équilibre entre la liberté d’information, que nous appelons tous de nos vœux, et les intérêts majeurs de notre société, comme le secret de l’instruction ou la protection du citoyen contre des déclarations calomnieuses. Notre collègue rapporteur pour avis de la commission des lois, Hugues Portelli, qui a rappelé la valeur constitutionnelle de ces principes, n’a pas été entendu.
Au final, les seules dispositions véritablement utiles de la proposition de loi sont des mesures qui ne figuraient pas dans le texte initial. Je pense notamment au rétablissement du financement de la presse d’annonces légales par la publicité pour les cessions de fonds de commerce, aux incitations fiscales à investir dans les entreprises de presse, ou bien encore, à l’article 10 ter, à la question récurrente de la numérotation des chaînes, adopté sur l’initiative de Mme la rapporteur, Catherine Morin-Desailly – je la félicite pour sa détermination –, qui prévoit une solution équilibrée répondant à la multiplication des offres audiovisuelles.
Hormis ces quelques points qui rencontrent notre adhésion, cette proposition de loi tend à apporter un message négatif aux entreprises.
Les professionnels du secteur sont dans l’attente d’autres mesures, qui les aideraient à faire face à la crise économique qu’ils traversent depuis le développement du numérique et qui, elles, justifieraient l’urgence !
Certes, sur la question de la presse, vous venez de faire un geste, madame le ministre, en publiant un décret qui étend à tous les périodiques l’aide réservée aux titres à faibles ressources publicitaires. Cependant, cette décision ne règle aucunement les problèmes structurels du financement de la presse, financement dont je rappelle le saupoudrage et l’absence de cohésion d’ensemble. Or les médias ne sont complètement libres et ne peuvent jouer leur rôle de contre-pouvoir que lorsqu’ils disposent de moyens financiers suffisants.
Après une loi sur la création muette sur ces questions, la présente proposition de loi marque simplement le décalage existant entre les besoins réels de nos entreprises et la vision du Gouvernement.
Notre groupe votera donc la motion tendant à opposer la question préalable qui va nous être présentée, afin d’éviter un nouveau débat qui ne pourrait être que stérile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, est-il besoin de rappeler le contexte – non pas politique, politicien ou électoral, mais social – dans lequel nous avons discuté de cette proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ?
Pour mémoire, faut-il rappeler le niveau extraordinaire de concentration d’une presse française aux mains d’une douzaine d’industriels milliardaires qui sont bien plus préoccupés de renforcer leurs capacités d’influence dans les affaires ou dans la commande publique qu’intéressés par le droit au savoir de nos concitoyens ?
Faut-il rappeler les immenses difficultés, notamment financières, de la presse écrite d’information générale et politique quand elle ne bénéficie pas de l’intérêt de ces industriels ?
Faut-il rappeler les difficultés dans la prise en compte de la révolution numérique ? À ce sujet, faut-il rappeler la remise en cause de l’universalité de la diffusion quand, à l’instar des exploits de M. Drahi, la neutralité du net est remise en cause ?
Faut-il enfin rappeler les conditions de travail des journalistes et des équipes rédactionnelles et les pressions qui, trop souvent, les empêchent d’assurer une information libre, pluraliste et honnête ?
C’est dire la nécessité et l’urgence d’un texte majeur en la matière.
Madame la ministre, chers collègues, ce texte aborde la question de la concentration des médias, mais il le fait de manière trop superficielle. C’est pourtant déjà à cet enjeu démocratique que le Conseil national de la Résistance avait tenté de répondre dans ses ordonnances, qui inspireront cette belle formulation selon laquelle la presse est comme une « maison de verre », une presse qui n’est pas « un instrument de profit commercial », mais « un instrument de culture », ayant pour mission « de donner des informations exactes, de défendre des idées, de servir la cause du progrès humain. »
Il ne s’agissait pas, madame Mélot, d’invoquer des valeurs « autoproclamées » de gauche,…
Mme Colette Mélot. Si !
M. Patrick Abate. … il était simplement question de valeurs, au sens propre du terme.
J’en reviens au présent texte. Celui-ci confie au CSA une mission qu’il ne peut remplir que partiellement, vu son champ d’action, alors même que des structures journalistiques auraient pu venir en appui. Tel était le sens de certains de nos amendements.
Par ailleurs, concernant les comités de déontologie, la rédaction de l’article 7 a certes progressé, mais elle reste encore bien insuffisante. En outre, comme nous l’avons déjà exprimé, il ne faudrait pas que cette évolution tende à faire peser sur les seules épaules des journalistes la responsabilité de l’indépendance de la presse.
En la matière, nous persistons à le dire, la démarche consistant à souscrire à des chartes de déontologie « maison » peut apparaître au mieux comme superflue, au pire comme contre-productive en termes de protection des journalistes. Je voudrais rappeler que l’ensemble des organisations syndicales du pays sont signataires de la charte de Munich, texte fondateur européen et pilier des droits et des devoirs des journalistes, transposé au niveau international, qui doit rester le texte de référence.
Je dirai encore un mot concernant les lanceurs d’alerte. Nous avions, ici même, déjà fait valoir notre détermination en la matière à l’occasion de la discussion du projet de loi pour une République numérique et nous l’avons rappelée lors de l’examen de cette proposition de loi. Il est indiscutable que des progrès ont été réalisés, mais insuffisamment à notre avis, notamment concernant les fonctionnaires et le secret des affaires. On nous a expliqué, madame la ministre, que le projet de loi Sapin II viendrait utilement compléter le dispositif – oui, mais toujours insuffisamment.
Les lanceurs d’alerte bénéficient d’une protection certes améliorée, mais le lanceur d’alerte devrait être considéré au même titre que celui qui porte assistance à personne en danger, bien qu’il s’agisse en l’espèce de porter assistance à « société en danger ». Il s’agit bien d’inverser la logique avec laquelle on aborde ces problèmes.
De la même façon, et en dépit de la vision très restrictive de la majorité sénatoriale, ce texte contient des mesures allant dans le bon sens sur le secret des sources, même s’il nous semble que la rédaction pourrait encore être améliorée, notamment en matière de qualification des faits justificatifs de la levée du secret des sources. Cependant, on ne peut que se réjouir que le délit de recel soit abrogé.
Nous aurions aimé discuter avec vous, madame la ministre, d’une rédaction de compromis entre l’état du droit, tel qu’il est issu de la loi Dati, et la proposition retenue par le texte, mais cela sera certainement impossible. J’y reviendrai.
Parmi les mesures allant dans le bon sens, je citerai les articles 11 et 11 bis sur la suspension des aides publiques pour des publications ne respectant pas la liberté et l’indépendance de la presse, ainsi que ceux qui portent sur la transparence à l’égard des lecteurs en ce qui concerne la composition du capital.
Enfin, on ne peut que se féliciter des mesures sur la reconnaissance des associations de défense de la liberté d’information, ainsi que de la mesure sur la numérotation logique des chaînes, ou encore de celles qui concernent le dispositif dit Charb auquel, vous le savez, nous sommes très attachés.
Nous regrettons forcément de ne pas pouvoir débattre – dans l’éventualité de l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable – de ce texte pourtant nécessaire, attendu, auquel nous aurions pu ne pas nous opposer, voire que nous aurions pu approuver sous réserve de certains enrichissements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’ai beaucoup entendu dire ici et là, depuis que nous débattons de ce texte, y compris lors des auditions que nous avons menées au Sénat, que cette proposition de loi était non seulement inutile, mais aussi néfaste en jetant la suspicion sur le monde médiatique.
Mme Mélot vient de confirmer qu’elle est le relais dans cet hémicycle de cette position. C’est vraiment méconnaître les enjeux et les interrogations auxquels nous sommes confrontés pour tenter d’apporter des réponses lors de la discussion de cette proposition de loi. C’est avec émotion que je redis notre satisfaction qu’elle devienne bientôt la loi de la République.
Le monde politique et la presse traversent actuellement une crise de confiance. Nous avons beaucoup à faire pour la surmonter, restaurer la crédibilité des médias et pour répondre à l’irrationalité qui s’étend dans un nouveau contexte où la rumeur a autant de poids qu’une information vérifiée, où les campagnes de propagande pour promouvoir telle ou telle contrevérité pèsent autant que d’autres informations. Si cette orientation se confirmait, cela constituerait une véritable régression.
Nous devons donc agir pour asseoir de nouveau cette crédibilité et, surtout, garantir à nos concitoyens une information libre, indépendante et pluraliste. Ils doivent pouvoir choisir, car la vérité n’est jamais monolithique et ne provient jamais d’un seul vecteur.
Penser que tout cela est secondaire et que le débat risquerait de faire naître le discrédit, c’est passer à côté de l’état d’esprit des Français, qui éprouvent déjà une suspicion maximale. Il faut au contraire lever toute suspicion.
Si nous avons jugé qu’il fallait légiférer assez vite, c’est parce que, ces derniers temps, ont éclaté des affaires, des controverses, liées à ce qui était considéré par des journalistes, et de façon plus large par une partie de l’opinion publique, comme des ingérences ou des pressions d’actionnaires détenant des médias.
La représentation nationale peut décider de rejeter ces arguments en estimant qu’ils relèvent de la suspicion, ou au contraire réfléchir aux moyens d’action concrets contre ce phénomène. C’est en ce sens que j’ai déposé une proposition de loi sur le bureau du Sénat et que Patrick Bloche a fait de même à l’Assemblée nationale. Nous avons fait inscrire ces deux textes à l’ordre du jour de nos travaux, avant d’entamer la discussion à partir du texte de nos collègues députés pour avancer sur ce sujet.
Si aucun d’entre nous n’a déposé de motion tendant à opposer la question préalable lors de la première lecture, c’est parce que nous avons tous estimé que le débat était nécessaire. Sinon, le dépôt d’une telle motion dès le départ, comme le font certains de nos collègues aujourd’hui, aurait permis de gagner du temps.
Je le dis sans ambages à l’intention du groupe CRC, la concentration des médias, presse comprise – la presse quotidienne régionale est la plus lue en France – a atteint un niveau inégalé. Cette concentration constitue parfois, en termes de compétitivité, un atout par rapport à de grands groupes internationaux, mais elle joue dans notre pays plutôt en faveur d’industriels, de financiers, de sociétés dont les activités et les intérêts principaux sont très différents de ceux du monde de la presse, des médias et de l’information. Ces personnes qui détiennent l’essentiel des mass media peuvent être tentées d’empêcher la diffusion d’informations susceptibles de nuire à leurs intérêts. Or l’information libre, c’est celle qui ne s’arrête jamais, qui ne peut se laisser enfermer par des pressions politiques, économiques ou financières, même si elle dérange des intérêts particuliers.
On ne peut pas prétendre que ce texte est hors contexte, qu’il est inutile ou élaboré en vue de nuire. En réalité, dans la situation actuelle, il était nécessaire. On ne résoudra pas aujourd’hui – sur ce point, nous sommes d’accord – les questions relatives à la concentration, puisque nous n’avons pas déposé de nouveaux textes en la matière, contrairement à ce que j’avais fait en 2009. Ce sujet mérite une longue réflexion nourrie de nombreuses auditions et un débat très pointu qui permette de dégager des consensus, y compris avec le monde de l’économie, tout en conservant un regard sur l’ensemble des enjeux mondiaux et européens.
Au demeurant, si nous ne pouvons pas changer rapidement une situation dominée par les concentrations, nous devrons nous y atteler, car nous avons légiféré et encadré ces pratiques bien avant le gigantesque bouleversement médiatique et la révolution numérique qui, depuis, ont créé une autre situation. Nous avons pris des mesures s’agissant, entre autres, des seuils de capital, de couverture, mais personne ne conteste aujourd’hui l’utilité de nouvelles normes dans un paysage totalement transformé.
Il faudra légiférer de nouveau sur les seuils, mais cela ne pourra pas se faire n’importe comment, parce qu’il s’agira d’encadrer sans affaiblir la puissance de groupes engagés par ailleurs dans la compétition internationale. Je ne préciserai donc pas ces seuils aujourd’hui par amendement, au doigt mouillé !
Puisque l’on ne peut pas agir ainsi et qu’il existe déjà des ingérences, des suspicions de pressions s’exerçant sur la liberté des journalistes, nous devions alors, dans le cadre existant, protéger la liberté des journalistes, la liberté de l’information. Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui était nécessaire. C’est pourquoi il serait très regrettable de nous empêcher de poursuivre la discussion de ce texte en nouvelle lecture afin de continuer à l’améliorer et de trouver des précisions et des convergences.
En réalité, seulement 11 articles font encore l’objet de vraies divergences, et beaucoup d’apports du Sénat ont été intégrés dans le texte par l’Assemblée nationale, ce dont je me réjouis. Je citerai la numérotation logique des chaînes de télévision, ce que nous avons fait pour les chaînes parlementaires, les lanceurs d’alerte, le dispositif Charb, etc. Nous avons apporté des améliorations et nous avons trouvé des accords sur des points très importants.
Cependant, vous le savez, nous avons très vite achoppé sur une divergence de taille, sur laquelle les points de vue ne pouvaient pas se rapprocher. Le désaccord provenait en effet, non pas de la commission de la culture, mais de la commission des lois et de son rapporteur pour avis, désireux que l’on en revienne à la loi Dati, qui avait pourtant choqué et fait la une de l’actualité à l’époque, car elle remettait en cause le secret des sources des journalistes et avait même permis des condamnations judiciaires pour ingérence. Vous pensez bien que la liberté des journalistes, sans protection de leurs sources, ne peut pas exister.
Nous allons plus loin dans cette proposition de loi en étendant aux collaborateurs des journalistes la protection pour qu’elle soit réelle et totale. C’est une avancée, qui était attendue par tous ceux que nous avons auditionnés, dans le monde du journalisme, de l’investigation. En principe, vous êtes toujours satisfaits d’une bonne émission d’enquête – il y en aura une ce soir – qui, au lieu de nous dire ce que l’on sait déjà, « gratte » un peu plus ; les autres, vous les regardez à peine ! Pour que ces émissions continuent d’exister, il faut absolument protéger le secret des sources.
Ce texte est d’actualité, car nous voyons apparaître dans le débat public, à la faveur de l’élection présidentielle, les propositions que les candidats susceptibles d’être élus et de diriger notre pays demain mettent sur la table.
J’ai entendu Nicolas Sarkozy dire qu’il fallait supprimer « la dérision et l’investigation racoleuse » dans les médias – qui veut le racolage, qui veut la dérision ? –, faisant concrètement écho au passage à l’acte du patron d’un grand groupe d’information et de médias cherchant à supprimer tout ce qui pouvait être un peu impertinent, qu’il s’agisse d’un magazine d’investigation ou de la tonalité critique à l’égard du monde des puissants, de la finance ou même de la politique. Est-ce à cela que l’on veut nous préparer ? Je ne parle même pas des propositions visant à supprimer le CSA, à affaiblir le service public, ce pôle d’indépendance et de liberté garanti par la loi que nous avons votée.
Nous avons raison de légiférer pour apporter des solutions face à une situation qui peut s’aggraver demain, si un certain nombre de propositions émanant notamment de la droite venaient à s’imposer. (Mme Colette Mélot s’exclame.) Je vous l’assure, ce texte renforcera l’indépendance des journalistes. Il nous a permis d’avancer de façon significative. Si, demain, certains veulent s’amuser à le remettre en cause, ils nous trouveront face à eux dans l’hémicycle pour assurer sa défense.
Pour conclure, je ne répéterai pas toutes les avancées obtenues. Je citerai juste la protection des journalistes et du secret de leurs sources, qui était très attendue. Enfin, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait progressé sur des interrogations que j’avais moi-même exprimées ici.
Selon moi, on ne peut juger de façon objective et rationnelle de l’« intime conviction ». On sait, en revanche, ce qu’est la « conviction professionnelle » : celle-ci résulte du travail de recoupement et de vérification des informations que conduisent les journalistes.
Il faut promouvoir une déontologie journalistique qui s’appuie sur les chartes existant dans chaque entreprise. C’est une façon d’adosser le droit d’opposition tout à fait concrète en termes de valeur et de conscience professionnelles. J’avais défendu cette idée et je suis content que le texte ait progressé en ce sens.
Je suis également satisfait que Patrick Bloche ait souligné, à l’Assemblée nationale, que le contrôle du CSA se faisait non pas a priori, mais a posteriori et que l’on n’étendait donc pas ses pouvoirs de manière incroyable. J’entends que des critiques commencent à peser sur le CSA. Peut-être voudra-t-on, demain, le supprimer… Je peux vous dire qu’il faudra alors trouver un moyen de régulation pour garantir l’indépendance des médias !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. Je compléterai mon propos lorsque je m’exprimerai contre la motion préalable.
En tout état de cause, les membres du groupe socialiste sont très heureux que cette loi puisse voir le jour très prochainement…
Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue !
M. David Assouline. … et je vous remercie, madame la ministre, d’avoir accompagné cette initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée est, à mon sens, un déni de réalité. Comme l’a bien exprimé notre rapporteur, Catherine Morin-Desailly, il n’est pas utile de poursuivre un examen normal de ce texte.
Nous avons recherché un équilibre entre les objectifs éthiques et la nécessité que ceux-ci n’aboutissent pas à un blocage des médias, surtout à l’heure où l’économie du secteur est devenue particulièrement concurrentielle.
Si nous avons profité des débats pour enrichir le texte, la commission mixte paritaire a échoué. Elle a achoppé sur la création d’un régime spécifique de protection du secret des sources journalistiques, c’est-à-dire sur un aspect du texte qui, pour être important en soi, ne figurait pas dans le texte initial.
Or, après l’échec de la commission mixte paritaire, comme cela a été largement développé tout à l’heure par mes collègues et par Mme le rapporteur, l’Assemblée nationale a quasiment opposé une fin de non-recevoir à nos propositions en nouvelle lecture. (Mme la rapporteur approuve.)
Certes, elle a adopté conformes un certain nombre de dispositions, telles que l’obligation de transmission de la charte aux journalistes ou les dispositions relatives aux lanceurs d’alerte et à la numérotation des chaînes. Mais, faute de conciliation possible, elle est revenue à son texte sur la protection des sources, ce qui est compréhensible, mais également sur de nombreux autres points, aussi importants que la définition de la « conviction professionnelle », les modalités de saisine des comités de déontologie, les pouvoirs du CSA et même sur la transparence de l’actionnariat des entreprises de presse.
Dans ces conditions, il paraît inutile de poursuivre plus longtemps ce qui semble devenu un dialogue de sourds, raison pour laquelle nous soutiendrons, madame le rapporteur, la motion tendant à opposer la question préalable que vous avez déposée.
À titre personnel, vous me permettrez cependant d’exposer quelques raisons supplémentaires de voter cette motion.
D’une part, la proposition de loi suscite la double opposition des journalistes et des éditeurs de presse – excusez du peu !
D’autre part, les textes qui nous sont soumis – je pense aussi à la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine – ont désormais comme caractéristique, voire comme manie – je le dis sans vouloir être discourtois –, de proclamer le principe de liberté dans leur titre et dans leur texte, généralement à l’article 1er, et de multiplier aux articles suivants des dispositions toujours plus contraignantes. En d’autres termes, nous ne cessons, dans ce pays, de parler de liberté et d’agir en sens inverse.
Selon moi, la principale critique que mérite le texte proposé est qu’il nie les réalités et oublie l’essentiel. Au-delà de la volonté très claire de cliver idéologiquement, quelle est son utilité ? Nous ne disposons pas d’une étude d’impact, puisqu’il n’y en a pas eu, qui nous démontrerait que la presse française deviendrait plus forte et plus indépendante après l’adoption de ce texte. Pourtant, telle est bien la question, mes chers collègues, et, pour ma part, je suis convaincu du contraire.
Madame la ministre, je veux vous alerter sur les erreurs commises concernant les enjeux de la presse en 2016 à travers trois exemples qui matérialisent ce qu’est, selon moi, la réalité.
Premier exemple : la situation de l’Agence France-Presse, l’AFP. Son déficit s’est élevé à 4,5 millions d’euros en 2015 et devrait atteindre 8,3 millions d’euros en 2016. Sa dette consolidée se monte, quant à elle, à 71,6 millions d’euros. Nous avions attiré l’attention de votre prédécesseur sur cette situation et lui avions proposé des solutions lors de l’examen de la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.
Deuxième exemple : la fiscalité. Ce matin, la commission des finances et la commission des affaires européennes du Sénat recevaient notre commissaire européen, M. Moscovici, qui nous a fait part de sa satisfaction de voir aboutir une mesure dite « de neutralité du support », laquelle permettrait demain à la presse numérique de bénéficier des taux de TVA réduits. Je peux comprendre l’argument, mais j’aimerais connaître l’incidence de cette mesure sur la presse écrite, en particulier sur la presse d’information départementale, dont je vois mal quelle pourrait être demain la destinée, si la presse numérique est favorisée dans les mêmes conditions fiscales.
Troisième exemple : la diffusion de la presse écrite. Comme vous, j’ai consulté, en juillet dernier, soit peu de temps avant la publication de votre décret du 26 août réformant les aides à la presse – voilà un vrai sujet, à mon sens plus important –, le rapport publié par le Conseil supérieur des messageries de presse. Nous savons tous que la diffusion de la presse écrite est en baisse, mais je pensais que les chiffres en la matière étaient en voie d’atteindre un plateau. Ce n’est pas du tout le cas ! Non seulement la diminution se poursuit, mais elle s’accélère, puisque, en 2015, le volume des ventes au numéro a diminué de 6,5 % par rapport à 2014, ce qui est considérable. Je pourrais également évoquer la baisse des créations de nouveaux médias, qui est supérieure à 15 %. Enfin, nous avons connu un millier de fermetures de diffuseurs en 2015.
Mes chers collègues, nous sommes tous attachés à la liberté de la presse. J’entends qu’il existe un risque de prise de contrôle par des groupes internationaux, susceptible de mettre en cause l’indépendance des médias, pour reprendre la formule que vous avez utilisée au début de votre intervention, madame la ministre. J’entends, chers collègues Patrick Abate et David Assouline, qu’il existe un risque de concentration. Cependant, tous les éléments que vous avez évoqués ne sont pas liés à l’état de notre législation ! Les risques que vous dénoncez sont liés à la faiblesse structurelle de l’économie des médias en France. Tel est le vrai sujet sur lequel le Gouvernement devrait travailler !
Je crains que le texte présenté ce jour n’ait pas l’effet positif attendu, ce qui me conduira, comme je l’indiquais tout à l’heure, à soutenir la proposition de notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Morin-Desailly, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (n° 802, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la rapporteur, pour la motion.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi que j’en ai fait état assez longuement lors de la discussion générale, le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable à la présente proposition de loi et son adoption par notre commission au cours de sa réunion du 21 septembre dernier sont justifiés par plusieurs arguments. En ayant déjà développé un certain nombre, je serai assez succincte.
Tout d’abord, on notera que ce texte a été souhaité, rédigé et défendu par le président-rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale dans l’urgence. Le Sénat, qui, comme cela a été rappelé par de nombreux orateurs, s’est intéressé de longue date à la situation des médias et au métier de journaliste, ne peut légiférer sereinement dans un temps aussi contraint, d’autant qu’il s’agit d’un texte de circonstance destiné à sanctionner une entreprise de médias audiovisuels en particulier, avec pour conséquence de jeter l’opprobre sur l’ensemble du secteur.
D’ailleurs, cette proposition de loi suscite, en ces circonstances, une grande incompréhension de la part des entreprises de presse ou d’audiovisuel. C’est en tout cas ce que nous en disent leurs interlocuteurs, mais peut-être ne rencontrons-nous pas les mêmes personnes… Dans le contexte actuel de grandes difficultés économiques et de difficultés structurelles qu’a rappelé mon collègue Philippe Bonnecarrère, ce qu’attendent les entreprises, ce n’est pas que l’on régule plus, mais mieux !
Par ailleurs, la proposition de loi étend à la presse écrite des dispositions de la loi de 1986, qui sont relatives à l’audiovisuel, sans considération des spécificités de chaque secteur. Encore une fois, je déplore l’absence totale de concertation avec les entreprises très nombreuses et très diversifiées du secteur, prises par surprise. Ces dernières ont identifié des difficultés très concrètes d’application de certains dispositifs.
Ensuite, l’engagement de la procédure accélérée au printemps dernier a accentué très clairement la difficulté de trouver un compromis entre les deux chambres et avec les parties concernées. Je veux rappeler que notre commission a dû travailler en moins d’un mois. (M. David Assouline le conteste.) Rien à voir avec le travail en profondeur que nous avons pu réaliser, et je m’en réjouis, sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, permettant que celui-ci aboutisse !
La brièveté – à peine dix minutes – de la réunion de la commission mixte paritaire qui s’est tenue le 14 juin dernier en a attesté. Le blocage était de toute façon acté, à partir du moment où nos collègues députés se focalisaient sur l’article 1er ter et ne souhaitaient pas du tout discuter des autres articles, ce que j’avais pourtant explicitement demandé à mon homologue rapporteur de l’Assemblée nationale.
Ce compromis n’est pas davantage possible aujourd’hui, dans la mesure où les apports du Sénat, y compris ceux qui nous tenaient particulièrement à cœur, ont été balayés. Je pense à une amélioration, que nous avions proposée sur l’initiative de David Assouline, de la dénomination même du « comité de déontologie ». Celui-ci est redevenu « comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes ». Les mots ont un sens ! Or, en l’occurrence, la signification n’est pas la même.
Je ne veux faire aucun procès d’intention et je respecte la volonté de l’auteur-rapporteur de l’Assemblée nationale concernant ce texte, mais il faut que les choses soient dites. On ne peut pas nous faire grief de ne pas vouloir contribuer à un travail constructif.
Enfin, de nombreuses dispositions, rétablies à l’identique par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, sont le signe d’une défiance que nous ne partageons pas à l’égard des directions des entreprises de médias sur les questions de déontologie. Elles instaurent un mécanisme de contrôle abusivement élargi d’un régulateur dont le rôle et l’étendue des pouvoirs ne font plus consensus. Je rappelle que le texte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, ouvre la voie à la mise en place d’un mécanisme de contrôle ex ante de l’information et des rédactions par le CSA, qui constitue une atteinte à la liberté de communication. D’ailleurs, le CSA, que nous avons auditionné à de nombreuses reprises, a lui-même évoqué la difficulté de la mise en œuvre de toutes ces mesures, qui exige du temps et des personnels. Il a également souligné la difficulté d’appliquer cette loi en moins de six mois.
Par ailleurs, la remise en cause de l’équilibre de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes apparaît excessive et manifestement contraire aux exigences constitutionnelles de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, de protection de la sécurité des personnes ainsi qu’au droit au respect de la vie privée, comme nous l’a exposé notre collègue rapporteur pour avis Hugues Portelli.
Mes chers collègues, pour l’ensemble des raisons évoquées, je vous invite à adopter à votre tour cette motion, renvoyant ainsi l’Assemblée nationale à ses responsabilités quant aux dispositifs qu’elle a souhaité unilatéralement mettre en place.
Je le répète, on ne peut nous faire grief de ne pas vouloir poursuivre le travail de façon constructive. Il faut regarder les choses en face : en tout état de cause, l’Assemblée nationale aura le dernier mot sur le texte, que nous le retravaillions ou non ici au cours des prochaines heures. Dans la mesure où, en commission mixte paritaire, il n’a pas été possible d’engager la moindre discussion sur les articles autres que l’article 1er ter, le travail de réécriture que nous pourrions engager n’aboutira pas.
Il faut dire les choses telles qu’elles sont. Que chacun assume pleinement et en conscience son point de vue sur ce sujet qui, je le répète, reste une préoccupation partagée !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, contre la motion.
M. David Assouline. Madame la rapporteur, à en croire votre conclusion, quand nous pensons que la nouvelle lecture d’un texte devant le Sénat, après échec de la commission mixte paritaire, ne permettra pas d’aboutir à une version susceptible de recueillir l’accord des deux chambres, la question préalable devrait être la règle, notre Haute Assemblée ne devant plus en débattre pour ne pas perdre de temps. À vous écouter, il faudrait presque consigner cette règle dans notre règlement…
En tant que sénateurs, nous sommes soumis à l’impérative nécessité de faire la preuve de la crédibilité de notre institution et d’affirmer, quand bien même nous serions les seuls à le faire, que le Sénat est une chambre très importante et utile et que nous voulons la défendre. Nous ne pouvons donc accepter le type d’explications auxquelles vous avez eu recours.
Madame la rapporteur, il y a toujours lieu de débattre, d’autant que Mme la ministre a prouvé, à l’occasion de l’examen d’une loi récente – la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine –, qu’elle savait écouter et qu’elle pouvait accepter jusqu’au dernier moment de procéder à des rapprochements et d’intégrer l’opinion du Sénat, qu’elle porte dans son cœur.
Il aurait été nécessaire que nous approfondissions certaines questions, quand bien même nous n’aurions pas voté la même version du texte que l’Assemblée nationale. C’est aussi notre rôle d’éclairer le débat public par l’échange d’arguments !
Cela aurait peut-être permis de mettre en évidence que la discussion achoppait sur une question. Alors que les membres de la commission de la culture ont souvent une appréhension commune de ce qu’est la liberté d’information, M. Portelli, au nom de la commission des lois, est venu nous imposer un diktat, évoquant des dispositions « très graves », « anticonstitutionnelles », « remettant en cause la sécurité de l’État » et voulant nous convaincre, à l’aide de ces grands mots, qu’il n’était pas possible d’aller dans le même sens que l’Assemblée nationale, comme s’il s’agissait d’une injonction.
Au reste, je comprends pourquoi refaire ce débat aujourd’hui aurait pu provoquer une certaine gêne : d’abord parce que M. Portelli n’est pas présent dans l’hémicycle – je ne l’ai d’ailleurs pas beaucoup vu dans les débats… –, mais surtout parce que cela aurait révélé que, sur les travées de droite et du centre-droit de cet hémicycle, la version inscrite dans la loi par Rachida Dati ne suscite pas l’unanimité. Je le pense sincèrement et je me souviens même que cette version avait, à droite, occasionné un certain trouble… En somme, c’est pour dissimuler ce trouble que l’on ne débat pas aujourd’hui. Pourtant, sur les autres dispositions, on pouvait encore avancer.
Madame la rapporteur, vos deux arguments principaux en faveur de la question préalable ne tiennent pas.
Selon vous, nous aurions été contraints de discuter trop rapidement. Si, dorénavant, la règle est de voter une question préalable chaque fois que la procédure accélérée est engagée, nous allons sérieusement limiter nos possibilités d’action.
Les deux propositions de loi, celle de Patrick Bloche et la mienne, ont respectivement été déposées le 2 et le 19 février 2016. La première lecture a débuté le 8 mars à l’Assemblée nationale. En forçant le trait, on peut dire que la navette parlementaire a duré six mois. Six mois, ce n’est pas suffisant, madame la rapporteur ? Il faut demander au citoyen ce qu’il en pense ! Six mois, ce n’est pas si mal ! Nous devons apprendre à légiférer plus vite, car nous vivons une accélération dans tous les autres domaines. Travailler pendant six mois, ce n’est pas passer en force.
L’examen de ce texte aurait sans doute mérité davantage de temps, mais cet argument n’est pas suffisant pour étayer cette motion. Vous n’aviez d’ailleurs pas déposé de question préalable en première lecture, alors même que vous vous plaigniez déjà de ce délai d’examen trop court.
Vous évoquez ensuite l’absence de prise en compte par la commission mixte paritaire des apports du Sénat. Ce n’est pas bien d’utiliser un tel argument ! Vous êtes la présidente d’une commission et, à ce titre, vous avez obtenu des résultats. Comment pouvez-vous, pour défendre cette question préalable, dire que le travail et l’abnégation de votre commission n’ont servi à rien ?
Madame la rapporteur, je vais défendre votre bilan. Vous avez obtenu, grâce à votre travail, des avancées tout à fait significatives. Sur 31 articles, 14 restaient en discussion – 11 en réalité, puisque 3 articles, s’ils n’ont pas été repris intégralement par l’Assemblée nationale, sont très proches de la rédaction issue des travaux du Sénat.
Permettez-moi de citer quelques-uns des apports du Sénat : prise en compte, par le CSA, lors du renouvellement d’une autorisation, du respect du principe d’honnêteté, d’indépendance et du pluralisme de l’information et des programmes ; protection des lanceurs d’alerte dans leurs rapports avec les journalistes ; interdiction à une chaîne existante détenue à plus de 20 % par des capitaux étrangers d’obtenir une fréquence sur la télévision numérique terrestre ; obligation d’une durée minimale avant revente d’une détention d’une autorisation délivrée par le CSA pour l’édition d’un service de télévision ; reprise par les distributeurs de la numérotation logique du CSA ; possibilité alternative de numérotation thématique ; élargissement du champ des publications pouvant bénéficier d’une incitation fiscale à investir dans les entreprises de presse ; incitation fiscale en faveur des sociétés d’amis ou de lecteurs qui investissent dans des titres d’information politique et générale pour contribuer à leur indépendance et à leur pérennité…
Vous pouvez juger que ces apports ne sont rien. Selon moi, ils justifient la poursuite de la discussion jusqu’à son terme. Nous n’avons pas été maltraités ni assujettis par l’Assemblée nationale. Je ne souscris donc pas davantage à ce deuxième argument.
Oui, l’Assemblée nationale a rétabli à l’identique certaines des dispositions qu’elle avait adoptées. Il me semble normal qu’il en aille ainsi. Je viens de démontrer que nos apports n’avaient pas été « ratiboisés » pour autant.
Les arguments avancés par Mme la rapporteur pour défendre cette motion me semblent inventés, surfaits, voire de circonstance. La vraie raison, c’est que ce débat dérange. Certaines personnes, dans le débat public, commencent déjà à faire entendre leur voix. Je pense, par exemple, à un ancien Président de la République qui souhaite être le candidat de la droite en 2017. (M. Jacques Gautier s’exclame.)
Certains considèrent en effet que les journalistes en font trop, qu’il faut se pencher sur leur déontologie ; d’autres, dont je suis, pensent que les journalistes doivent être libres d’enquêter et de fournir une information fiable.
Le danger, aujourd’hui, ne vient pas des directions des organes de presse, mais de leurs actionnaires, de leurs propriétaires, qui n’ont rien à voir avec ce métier, mais qui craignent de voir certaines de leurs activités faire l’objet d’investigations de journalistes travaillant dans leurs entreprises. Ils peuvent alors être tentés d’exercer des pressions et, même si ce n’est pas systématique, nous devons légiférer pour faire en sorte que ce ne soit pas possible.
Nous aurons ces débats dans les mois à venir, n’en doutez pas, même s’ils dérangent certains qui sont toujours du côté du manche. Nous, nous sommes du côté de la liberté, du pluralisme et de l’indépendance des médias !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Audrey Azoulay, ministre. Je crois important de bien entendre ce que dit David Assouline quand il parle de crise de confiance, de rumeurs, de propagande, de défiance généralisée envers nos institutions.
Or les médias font partie de ces institutions, ce qui n’est pas anodin dans le contexte actuel. Il me semblait donc important que l’Assemblée nationale et le Sénat puissent travailler sur ces questions.
Vous avez évoqué la concentration dans les médias de manière générale. Cette proposition de loi apporte une réponse transverse en protégeant l’indépendance de ces derniers face aux intérêts ou aux éventuelles pressions de leurs actionnaires.
Je ne peux laisser dire que ce texte présente des mesures nocives, sans étude d’impact. Au contraire, il propose des mesures pragmatiques qui visent notamment à étendre le champ de dispositifs existants.
De nombreux journaux disposent déjà de chartes. De même, les comités d’indépendance sont inspirés des mesures mises en place par le CSA pour les chaînes d’information de la télévision numérique terrestre. Le droit d’opposition des journalistes – principe clé – figure depuis 1982 dans l’avenant à la convention collective des journalistes de l’audiovisuel public et a été inscrit dans la loi en 2009. Ce texte ne fait qu’étendre ce principe.
Je ne peux non plus laisser dire qu’il s’agit d’un texte de circonstance. La meilleure réponse a été apportée par Mireille Jouve : Victor Hugo avait fort justement établi le lien entre démocratie, suffrage universel et liberté de la presse.
Ce texte est cohérent avec la politique que nous avons menée tout au long de cette législature : nous avons d’abord rétabli l’indépendance de l’audiovisuel public en réformant le mode de nomination de ses dirigeants, en novembre 2013 ; nous avons ensuite donné des garanties supplémentaires à l’indépendance du CSA ; nous avons conforté les moyens de l’audiovisuel public en lui attribuant des recettes qui ne sont pas budgétaires, et donc ne dépendent plus du bon vouloir du Gouvernement ; de même, nous avons protégé les lanceurs d’alerte – c’est cette proposition de loi qui a ouvert la voie au régime de protection étendue prévue dans la loi Sapin II.
Nous continuons ce travail avec ce texte, qui vise à mieux garantir l’indépendance et le pluralisme des médias, à mieux protéger le secret des sources des journalistes. Il s’agit d’une garantie supplémentaire dont nous serons tous fiers, in fine, et que les députés ont soutenue sur tous les bancs à l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 445 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 151 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias est rejetée.
11
Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame Mme Annick Billon membre suppléant du conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres.
12
Clôture de la session extraordinaire
Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour pour la seconde session extraordinaire.
Le président du Sénat prendra acte de la clôture de cette session lorsque nous aurons reçu le décret de M. le Président de la République portant clôture de la session extraordinaire du Parlement.
Cette information sera publiée au Journal officiel et sur le site internet de notre assemblée.
13
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 4 octobre 2016 :
À quatorze heures trente :
Ouverture de la session ordinaire 2016-2017.
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’égalité et à la citoyenneté (n° 773, 2015-2016) ;
Rapport de Mmes Dominique Estrosi Sassone et Françoise Gatel, fait au nom de la commission spéciale (n° 827, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 828, 2015-2016).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’égalité et à la citoyenneté (n° 773, 2015-2016) ;
Rapport de Mmes Dominique Estrosi Sassone et Françoise Gatel, fait au nom de la commission spéciale (n° 827, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 828, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinquante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD