Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à de rares exceptions près, chacun ici souhaite la fin de l’examen de ce texte.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. François Zocchetto. Ce souhait ne se justifie pas par la volonté d’une promulgation rapide. En réalité, nous espérons tous la fin de l’examen de ce texte, car elle marquera – pour un temps seulement, sans doute… – la fin de longs mois de tensions sociales et politiques dont, dans le contexte que chacun connaît, nous n’avions vraiment pas besoin.
Votre projet de loi, madame la ministre, n’avait que très peu de chances d’aboutir tel que vous l’aviez imaginé, et ce pour plusieurs raisons.
La principale était un manque de préparation. Le Gouvernement n’avait pas pris la mesure de la défiance des partenaires sociaux à son encontre, après une succession de réformes mal engagées et d’échecs politiques, défiance d’ailleurs largement partagée par nos concitoyens.
En ne consultant pas suffisamment en amont, en ne négociant pas suffisamment tôt, en ne respectant pas complètement l’article 1er du code du travail, vous avez donné à notre pays l’occasion d’exprimer l’un de ses travers bien connus.
Ce manque de préparation s’est également manifesté sur un plan plus politique. Dès la présentation du texte, vous n’aviez pas de majorité pour le défendre à l’Assemblée nationale. Cet épisode a démontré une fois de plus que la majorité formée par François Hollande au début de son quinquennat n’avait qu’un sens relatif et que l’unité de la gauche était fugitive.
La gauche que vous avez invoquée tout à l’heure n’a pas non plus pris la peine de clarifier sa vision de l’entreprise. C’est ce qui est ressorti très clairement des tensions observées entre frondeurs et socialistes. Nous en avons été témoins au Sénat : entre les idées de Mme Bricq et de Mme Lienemann, il y a un monde, chacun en conviendra.
En sus d’un manque de préparation, ce texte a pâti d’un manque de pédagogie. D’aucuns, dans notre pays, se refusent à tout changement. Par peur, intérêt ou conformisme, ils ont d’emblée contesté votre projet de loi, lequel, conformément à sa philosophie originelle en tout cas, impliquait, en matière de droit du travail, des évolutions que nous attendions.
Ces personnes systématiquement hostiles au changement savent utiliser l’opinion publique pour défendre leurs positions ; elles savent mobiliser, jouer sur les peurs et les frustrations ; elles ne font preuve d’aucune retenue lorsqu’il s’agit de contester la moindre réforme. Vous n’avez pas su, madame la ministre, les contredire et expliquer à nos concitoyens vos objectifs, votre conception du monde du travail, notamment de la négociation collective et de la médecine du travail.
Une meilleure préparation, un effort de présentation et de meilleures explications auraient permis à ce texte de passer plus sereinement l’étape de l’examen parlementaire. Vous aurez beau nous rappeler le nombre d’amendements retenus en commission et dans la version considérée comme adoptée, la réalité est que le débat n’a pas eu lieu à l’Assemblée nationale. Il ne s’agissait que d’un dialogue de sourds.
Quant au Sénat, il vous a démontré qu’un vrai débat démocratique était possible. Il a eu lieu pendant dix jours dans notre hémicycle. Vous avez pu défendre votre texte, et la majorité sénatoriale unie a pu s’exprimer et défendre ses positions. Ce ne sont pas nos collègues du groupe CRC, qui ont déposé et présenté plusieurs centaines d’amendements, qui diront le contraire.
Nos rapporteurs, dont je salue l’implication et que je félicite pour la qualité du travail accompli, ont su proposer une version aboutie de votre texte, enrichie non seulement par les propositions des groupes non seulement de la majorité, mais aussi de l’opposition sénatoriales. Le texte voté par le Sénat n’était pas plus « dur » ou plus « libéral », comme on a pu le lire çà et là. La caricature est facile sur ces sujets lorsque l’on reste dans des postures, et elle permet en fait de faire l’économie d’une véritable analyse !
En se fondant sur la philosophie de votre projet initial et sur le rapport Combrexelle, le texte du Sénat a su lier souplesse, simplicité et efficacité, pour reprendre les termes utilisés par notre collègue Jean-Marc Gabouty lors de la première lecture.
Nous avons ainsi adapté la définition du licenciement économique, pour que l’effort ne repose pas uniquement sur les salariés ; nous avons souhaité encourager l’intéressement, développer l’apprentissage, moderniser la médecine du travail, mais aussi, et surtout, donner une plus grande marge de manœuvre aux accords d’entreprise.
Dans certaines matières, l’entreprise sera le cadre à privilégier ; dans d’autres, la branche sera la référence, tandis que, dans d’autres matières encore, c’est la loi qui devra prouver toute son efficacité. Sachons adapter notre monde du travail et n’ayons pas peur du dialogue social, même direct !
Malheureusement, mais l’on s’y attendait, l’action du Sénat a été entièrement déconstruite par l’Assemblée nationale. La version que vous nous soumettez aujourd’hui est peu ou prou identique à celle qui nous avait été transmise en première lecture. Au groupe UDI-UC, nous considérons, madame la ministre, qu’il est aujourd’hui essentiel, à la lumière de cette expérience, de revoir notre façon de gouverner et de légiférer.
La défiance de nos concitoyens à l’encontre des responsables politiques nous oblige à revoir nos méthodes. Il faut sortir du temps médiatique, et prendre de nouveau le temps, sur des questions aussi essentielles, de travailler efficacement et méthodiquement. Il convient d’expliquer au préalable ce que l’on va faire. A fortiori, il ne faut surtout pas faire, comme vous l’avez malheureusement fait, ce que l’on n’a pas annoncé ou l’inverse de ce que l’on a annoncé.
Il s’agit là de la principale leçon des discussions de ce texte, qui est un échec sur bien des aspects. L’objectif initial de votre projet, qui était de permettre aux 5 millions de Français au chômage de retrouver le chemin de l’emploi, s’est rapidement effacé au profit de querelles idéologiques et de calculs politiques.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme Myriam El Khomri, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, rassurez-vous, après quatre-vingts heures de débat, je ne reprendrai pas l’ensemble de mes arguments en faveur de ce texte.
Néanmoins, j’apporterai aujourd'hui quelques éléments de réponse, notamment à la question posée par MM. Bruno Retailleau et Jean Desessard.
Pourquoi une réforme la dernière année du quinquennat ? Parce que le Président de la République est élu pour cinq ans ! Il mène donc des réformes de 2012 à 2017, d’autant que notre pays en a besoin.
Nous avons fait de nombreuses réformes. Je pense notamment à la loi relative à la sécurisation de l’emploi de 2013, à la négociation réussie concernant les plans de sauvegarde de l’emploi, les PSE, sujet particulièrement sensible, à la loi relative au dialogue social et à l’emploi, et à la réforme de la formation professionnelle.
En effet, dans le champ du travail et de l’emploi, nous avons ainsi fait adopter une loi chaque année. Attachés à notre modèle social, nous devons également être lucides sur la situation de notre pays. Aimer son pays, c’est aussi prendre ses responsabilités, face aux défis immenses qui l’attendent. Nous avons donc fait le choix de nous adapter, pour que notre modèle social ne disparaisse pas.
Au sein de l’Union européenne, nous sommes le deuxième pays où il y a le plus d’utilisateurs de CDD de moins d’un mois. Nous savons bien qu’il y a un problème et qu’il est nécessaire de faciliter l’emploi durable. C’est une question essentielle.
Ma vision de l’entreprise, que j’assume, n’est pas manichéenne. Malgré les débats et les tensions, je pense en effet que notre pays doit se tourner davantage vers la culture de la négociation et du compromis. Nous avons anticipé une telle évolution, le Premier ministre ayant demandé voilà plus d’un an, au printemps 2015, un rapport à Jean-Denis Combrexelle relatif à la négociation collective, et notamment à la négociation d’entreprise. M. le président de la commission l’a suffisamment dit au cours des débats, de nombreux rapports sont demandés au ministère du travail. Si nous n’avions pas tenu compte des enseignements de celui-ci, que ne nous aurait-on pas reproché ? Sans doute nous aurait-on accusés de commander des rapports pour évacuer le sujet !
Il faut assumer les choses, et notamment le fait que, dans notre pays, les contournements du droit du travail sont nombreux. Nous le voyons bien, le travail détaché, le travail indépendant et l’intérim se répandent. L’enjeu est là.
Pourquoi donner plus de place à la négociation ? Pour être capables de mieux nous adapter dans un monde qui bouge très vite, tout en préservant notre modèle social. Je considère en effet que c’est par le dialogue social au plus près de l’entreprise, avec les garde-fous que nous avons posés, notamment le principe majoritaire, qui est pour moi essentiel dans ce projet de loi, que nous arriverons à faire avancer le progrès social et le progrès économique dans un même mouvement.
Ce texte permet aussi des avancées essentielles. Cela fait trente ans que nous le disons, la formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons donc établi un droit universel à la formation, abondé les comptes des salariés les moins qualifiés, développé la formation des demandeurs d’emploi, ainsi que la garantie jeunes.
Pour ma part, je n’opposerai jamais l’apprentissage à la garantie jeunes ! Je défends bien sûr l’apprentissage : sept apprentis sur dix trouvent un emploi ! Cela fait vingt ans que le sujet était tabou : on ne voulait pas ouvrir à l’apprentissage les titres professionnels délivrés par le ministère du travail. Je l’ai fait en six mois. En tant que président de région, vous le savez, monsieur Retailleau, puisque vous avez reçu mon courrier. Ce dispositif essentiel, adapté à la situation de certains jeunes, a donc été développé.
La garantie jeunes est un dispositif d’accompagnement, un contrat gagnant-gagnant entre le jeune et la mission locale, qui permet de le placer en situation professionnelle. C’est tout sauf une allocation !
Vous avez raison, monsieur Zocchetto, des erreurs de pédagogie ont été commises. Je les ai assumées, je l’ai dit en première lecture, et je continue à les assumer pleinement. Certes, le conflit politique et la tenue des élections dans un an expliquent en partie la situation. Toutefois, ne l’oublions pas, les organisations syndicales ont des visions différentes. Ce n’est pas pour rien qu’elles ont refusé la négociation sur le rapport de Jean-Denis Combrexelle. Ces difficultés, ces analyses différentes au sein du front syndical ne sont pas nouvelles, ne nous racontons pas d’histoires.
Souvenez-vous du débat sur les retraites complémentaires à l’automne dernier ! Vous le savez bien, une organisation syndicale boycotte depuis de nombreuses années les conférences sociales et refuse de signer les accords nationaux interprofessionnels. Ne réinventons pas un décor idéal, où chacun s’entendrait et serait capable de trouver des solutions avec les autres !
Le sujet abordé a donc été à l’origine de visions différentes. Je n’oppose pas le culte de la loi au contrat. Je crois que, dans notre pays, nous avons besoin non seulement de la loi et du code du travail, mais aussi de branches professionnelles beaucoup plus fortes. Si nous devons restructurer les branches, c’est bien parce que la négociation n’y est pas suffisamment dynamique. La négociation au sein des entreprises est également essentielle.
Le débat a souffert de propos caricaturaux. La semaine dernière, un jeune affirmait que, après l’adoption de la loi Travail, les apprentis travailleraient 60 heures par semaines ! En butte à de telles caricatures, comment voulez-vous gagner la bataille de l’opinion ? Bien sûr, le Gouvernement a commis des erreurs. Toutefois, je considère que nous avons trouvé un compromis à chaque étape, notamment avec les organisations syndicales qui soutiennent ce texte.
D’ailleurs, monsieur Watrin, vous oubliez souvent de parler du soutien de certaines organisations syndicales au texte, qui est tout autre chose qu’un retour au XIXe siècle. C’est au contraire un acte de confiance envers le dialogue social et il institue de nouveaux droits qui nous permettront de nous adapter.
On aurait évidemment espéré que les choses se passent différemment. Néanmoins, j’en suis persuadée, quand le compte personnel d’activité sera ouvert à nombre de nos concitoyens, quand les artisans et les commerçants auront droit à la formation professionnelle, ce qui sera le cas dès janvier 2018, quand les jeunes les plus précaires trouveront un emploi grâce à la garantie jeunes, quand le sort des saisonniers s’améliorera grâce aux nouveaux contrats, alors, la période de cinq mois que nous venons de vivre, et qui va peut-être se poursuivre, sera bien derrière nous !
Le sens de l’État et de l’intérêt général, c’est de continuer à avancer lorsque l’on croit en son pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Lemoyne, Gabouty et Forissier, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (n° 771, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le président de la commission, pour la motion.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen par le Sénat d’un projet de loi dont le contenu tout comme l’intitulé ont fortement évolué depuis que ses premiers éléments ont été rendus publics en début d’année.
Lors de sa réunion du 13 juillet dernier, notre commission a approuvé, sur proposition de ses rapporteurs, à qui je souhaite ici rendre hommage, le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable.
Pourtant, dans un contexte social tendu, le Sénat a procédé, cela a été dit, à l’examen approfondi de ce texte en première lecture, après que nos collègues députés en ont été privés par le Gouvernement du fait du recours à la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Je vous le rappelle, la commission des affaires sociales a consacré, le 1er juin dernier, près de treize heures à l’examen du projet de loi et à l’élaboration de son texte. Sur 411 amendements déposés, 201 avaient été adoptés, dont 155 émanaient des rapporteurs.
Ceux-ci avaient réalisé au préalable un travail de concertation exhaustif, dans des délais très courts : plus d’une soixantaine d’organismes, d’experts et de représentants des partenaires sociaux avaient été entendus en moins d’un mois. Notre commission avait également reçu successivement les organisations syndicales et patronales représentatives.
Ensuite, le Sénat a consacré plus de quatre-vingts heures, soit deux semaines complètes, à l’examen du texte en séance publique. Sur les 909 amendements examinés, dont 368 pour le seul groupe CRC, 157 ont été adoptés, dont quinze de ce même groupe.
Ces statistiques démontrent que le Sénat était animé par une volonté sincère de se montrer à la hauteur des enjeux. Le texte issu de notre assemblée traduit de ce fait fidèlement les orientations politiques de sa majorité et de sa commission.
Quels étaient les principaux apports du Sénat ? Outre les points mis en exergue par nos rapporteurs, il faut souligner que nous avons cherché à renouer avec l’ambition initiale du texte telle qu’elle ressortait de l’avant-projet transmis au Conseil d’État, ambition alors saluée par tous ceux qui cherchent à donner un nouveau souffle à l’économie française. De plus, nous étions mus par la volonté de lever les obstacles, identifiés de longue date, qui pénalisent nos entreprises et qui constituent autant de freins à l’emploi.
Surtout, nous voulions enrichir le texte des réflexions conduites par le Sénat depuis plusieurs années sur des sujets aussi variés que le mandatement, les accords de compétitivité ou la formation professionnelle. Force est aujourd’hui de constater que l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas pris au sérieux nos propositions.
Une thématique illustre tout particulièrement la désinvolture avec laquelle les députés et le Gouvernement ont examiné le texte du Sénat : l’apprentissage. (Protestations sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Chiron. Cinq mois de débats, vous appelez cela de la désinvolture ?
M. Alain Milon, président de la commission. Sur proposition de notre rapporteur Michel Forissier, dont la connaissance du sujet, compte tenu de sa longue expérience professionnelle en la matière, ne peut être mise en doute, notre commission avait complété le texte par douze articles visant à répondre aux défis auxquels fait aujourd’hui face l’apprentissage.
Ces dispositions étaient issues de la proposition de loi visant à développer l’apprentissage comme voie de réussite, rédigée au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises par notre collègue Élisabeth Lamure, au terme d’un long processus d’échanges avec tous les acteurs concernés : ministères du travail et de l’éducation nationale, chambres consulaires, partenaires sociaux, régions.
Cette démarche reposait sur un diagnostic très largement partagé : en France, l’apprentissage doit faire face à de nombreux obstacles institutionnels, culturels et financiers, qui l’empêchent d’occuper la place qui devrait être la sienne dans notre société. Notre commission avait d’ailleurs pu constater, en avril 2015, lors d’un déplacement sur ce thème en Allemagne et en Autriche, que des réformes de bon sens et consensuelles permettraient de surmonter les difficultés.
Pourtant, toutes les mesures que nous avons adoptées ont été balayées d’un revers de main par les députés, sans même que ceux-ci daignent en retravailler certaines ou faire des propositions alternatives. J’aimerais, à titre d’exemple, en citer trois.
Tout d’abord, la création d’un pacte national pour l’apprentissage, sur le modèle allemand de l’alliance pour la formation initiale et continue, nous semblait indispensable. Ce pacte aurait organisé la nécessaire coordination de tous les acteurs concernés, sur la base du volontariat, sans remettre en cause les prérogatives de chacun, en particulier des régions. Si un État comme l’Allemagne parvient à concilier son organisation fédérale avec un pilotage national de l’apprentissage, pourquoi notre pays n’y parviendrait-il pas ?
Ensuite, l’information des élèves sur les métiers, aujourd’hui pour le moins lacunaire, devait selon nous être améliorée. C’est pourquoi nous avons proposé que les jeunes élaborant un projet d’orientation vers l’apprentissage puissent bénéficier, dès l’obtention du brevet et sous statut scolaire, du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, le DIMA.
Enfin, compte tenu du taux élevé de rupture prématurée des contrats d’apprentissage, qui dépasse les 30 % dans certaines filières, nous nous étions inspirés de l’exemple alsacien pour rendre obligatoire la médiation consulaire préalablement à toute rupture d’un contrat d’apprentissage.
Il est profondément regrettable que de telles propositions aient été écartées sans discussion.
Au-delà même de la question de l’apprentissage, la plupart des apports du Sénat ne figurent plus dans le texte qui nous a été transmis, qu’il s’agisse de la simplification et de la sécurisation du cadre juridique applicable aux entreprises, du renforcement de leur compétitivité, de la prise en compte des spécificités des TPE et des PME ou de la réaffirmation des missions de la médecine du travail.
Dès lors, madame la ministre, vous comprendrez aisément qu’il ne nous paraisse pas opportun de soumettre ce projet de loi à une nouvelle lecture : la position de notre assemblée a pu être largement développée en première lecture, et nous ne sommes pas en mesure de faire évoluer davantage un texte sur lequel le Gouvernement devra sans doute engager demain pour la troisième fois sa responsabilité afin de le faire adopter par l’Assemblée nationale en lecture définitive.
Nous voici parvenus au moment de dire « non » au Gouvernement. Madame le ministre, nous ne sommes d’accord avec votre projet de loi ni sur le fond, qui n’existe pratiquement plus, ni sur la forme. Voici une loi dont la particularité aura été d’être applicable sans avoir été votée ni par l’Assemblée nationale, victime d’un 49.3 autoritaire, ni par le Sénat, victime de votre volonté de ne rien retenir de ses excellentes idées – sur l’apprentissage, par exemple, nous vous avions montré une voie pragmatique qui aurait pu enfin mener à une possible réussite –, dont même les plus polémiques auraient pu donner lieu à des applications positives.
Mes chers collègues, le moment que nous vivons est paradoxal : après avoir tant critiqué, pendant cinq ans, le Président Sarkozy et son Premier ministre François Fillon pour leur autoritarisme, alors que ces derniers n’ont jamais utilisé le 49.3, jamais produit le moindre heurt dans la rue, jamais mis en danger la renommée internationale de notre pays,…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Alain Milon, président de la commission. … la majorité gouvernementale actuelle s’apprête à mettre en place une loi refusée par le pays tout entier, par le patronat, les salariés, les travailleurs. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) Après avoir attisé les rancœurs entre le privé et le public, le Gouvernement nous montre combien il tient peu compte des demandes du pays !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Alain Milon, président de la commission. Ça va mieux, paraît-il ! Mais ce n’est pas la réussite d’un événement sportif, même identique à celle de 1998, qui améliorera le moral du peuple français. Certains membres du Gouvernement nous parlent souvent de la VIe République ; si celle-ci est à l’image de ce que nous avons connu ces derniers mois, autant garder la Ve ! Si la Ve République est, selon vous, un « coup d’État permanent », madame la ministre, c’est bien votre gouvernement, et en particulier son Premier ministre, qui le dirige et le met en place.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Alain Milon, président de la commission. Pour conclure, madame la ministre, malgré l’estime que, vous le savez – et j’adhère sans réserve aux propos de M. Retailleau à votre sujet –, je vous porte, j’invite le Sénat à voter la motion que nous soumet la commission des affaires sociales. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. Madame la ministre, oserai-je vous demander quel est l’avis du Gouvernement ? (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Le groupe CRC ne votera pas la question préalable déposée par la droite sénatoriale, car il ne partage aucune de ses deux motivations.
La première est évidente et explicite : c’est l’esprit de surenchère qui vous a animés, chers collègues de la majorité sénatoriale, tout au long du débat en première lecture. Non contents de pousser les feux de ce projet de loi, dont, aux côtés du MEDEF, vous avez soutenu le principe dès le premier jour, vous avez sans cesse cherché à en rajouter dans le sens du démantèlement des garanties collectives et du code du travail.
Vous ne vouliez pas combattre l’article 2 : vous vouliez pousser sa logique jusqu’au bout, comme l’a rappelé M. Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Tout à fait !
M. Pierre Laurent. C’est évidemment cette logique que nous combattons depuis le départ. Nous ne pouvons donc pas voter la question préalable au nom de cette motivation.
Le dépôt de cette question préalable constitue par ailleurs une petite habileté politique qui, en vérité, vous évite le vote final sur le projet de loi : vous ne voulez pas voter contre ; vous préférez donc utiliser l’arme de la question préalable. En quelque sorte, vous voulez cette loi, mais ne souhaitez pas laisser vos empreintes sur la scène du crime ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Autrement dit, la question préalable est une manière de donner un blanc-seing au texte gouvernemental tel qu’il est issu de l’Assemblée nationale. Le résultat, évidemment, est un déni de démocratie supplémentaire,…
M. Francis Delattre. On connaît votre attachement à la démocratie !
M. Pierre Laurent. … puisque ce texte n’aura jamais été discuté en séance publique à l’Assemblée nationale, avec le recours au 49.3, et ne l’aura été qu’une seule fois au Sénat. Il s’agit donc d’un texte majeur qui n’aura connu en tout et pour tout qu’une seule discussion en séance dans les deux hémicycles !
Madame la ministre, à propos du 49.3, vous nous dites que vous n’avez pas obtenu de compromis avec la droite, et voilà pourquoi le débat ne peut se poursuivre aujourd'hui au Sénat, mais vous n’expliquez toujours pas pourquoi vous n’en avez pas obtenu avec votre majorité parlementaire, ni en première lecture ni en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Le problème est bien là, et il témoigne de l’état assez piteux de notre démocratie : nous allons adopter un texte majeur sans que celui-ci ait jamais réuni, à quelque étape de son examen que ce soit, de majorité parlementaire.
Madame la ministre, vous savez que les organisations syndicales qui combattent ce texte ont annoncé qu’elles poursuivraient la mobilisation. Nous resterons à leurs côtés et continuerons, dès la rentrée, de porter leur voix dans l’hémicycle. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)