M. Philippe Mouiller. Les associations intermédiaires sont des structures clefs pour une réinsertion économique et sociale adaptée, dans la mesure où elles proposent à des personnes éloignées de l’emploi un accompagnement socioprofessionnel fondé sur une expérience professionnelle.
Malheureusement, la rédaction actuelle de l’alinéa 3 de l’article L. 5132–9 du code du travail limite la durée totale des mises à disposition d’un salarié à 480 heures maximum sur une période de deux ans dans le secteur marchand.
Alors que cette contrainte horaire n’existe pas dans les collectivités territoriales, l’expérience montre qu’il faut, en moyenne, 1 600 heures de mise à disposition dans une collectivité et un accompagnement continu pour transformer une mise à disposition en contrat à durée indéterminée.
Lorsque l’on connaît bien le fonctionnement des structures d’insertion, on se rend compte qu’étant donné le public concerné, souvent très éloigné de l’emploi, 480 heures ne sont pas suffisantes pour permettre une bonne intégration des personnes en insertion.
À l’argument de la concurrence déloyale, je rétorque qu’il s’agit, au contraire, d’un investissement important apporté par les entreprises qui s’impliquent dans l’accueil des personnes en insertion. C’est souvent coûteux et nécessite un engagement fort, à l’image de l’accueil de personnes en formation ou en apprentissage. Il s’agit finalement d’un véritable engagement citoyen des entreprises, qui devrait être plutôt soutenu que limité.
Élu du département des Deux-Sèvres, proche d’un territoire expérimental en matière de chômage de longue durée, je peux témoigner du temps qu’il est nécessaire de consacrer aux publics concernés pour permettre leur insertion dans le domaine marchand et pas seulement, pour une fois, dans les collectivités et les structures publiques.
Fort de ce constat, je propose un amendement qui vise à remplacer l’alinéa 3 de l’article L. 5132–9 du code du travail pour l’adapter à la réalité du terrain et ainsi favoriser au mieux l’insertion durable d’un public éloigné de l’emploi dans le secteur marchand.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Forissier, rapporteur. Les mises à disposition effectuées par les associations intermédiaires ont été encadrées dans le code du travail pour ne pas créer de distorsion de concurrence avec les autres acteurs économiques du territoire, en particulier les entreprises de travail temporaire d’insertion, les ETTI.
Si la loi élargit leur périmètre d’intervention, elles pourraient remettre en question l’implantation et le maintien des ETTI sur notre territoire. Or il me semble primordial de maintenir la richesse et la diversité de l’offre de services que représentent ces structures d’insertion pour nos territoires.
La commission est néanmoins consciente du rôle important que jouent ces associations dans l’insertion de personnes très éloignées de l’emploi. C’est pourquoi elle souhaite recueillir l’avis du Gouvernement.
M. Philippe Mouiller. Ah ! Très bien !
M. Didier Mandelli. C’est cela qui nous intéresse !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Dans le prolongement des propos tenus par M. le rapporteur, j’évoquerai le risque de concurrence avec les ETTI, car ce sont ces entreprises, et non les autres acteurs économiques, qui nous font remonter l’information.
J’en profite également pour rappeler que le seuil d’heures à ne pas dépasser ne s’applique pas en cas de mise à disposition auprès d’organismes à but non lucratif ou auprès de particuliers.
Cela étant, monsieur le sénateur, vous avez raison de soutenir les associations intermédiaires, car elles offrent vraiment l’opportunité de mettre ces personnes à disposition d’employeurs diversifiés. C’est évidemment important.
Cependant, j’ai demandé à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, de réaliser une analyse précise du modèle économique des associations intermédiaires. Elle pourra également évaluer s’il est nécessaire de modifier le plafond d’heures de mises à disposition dans le secteur marchand. Vous allez peut-être m’opposer que je demande souvent des rapports à l’IGAS. Sachez simplement que, lorsque je reçois plus de deux ou trois courriers de parlementaires sur un problème donné, qu’il concerne les missions locales ou les associations intermédiaires, j’ai pour habitude de commander un rapport.
C’est pourquoi, à ce stade, le Gouvernement est défavorable à l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. J’entends votre proposition, madame la ministre. Mais je voudrais vraiment insister sur le décalage entre la théorie et la réalité de terrain, une situation que je vis au quotidien en tant que président d’un certain nombre de structures.
Quand on vous annonce, au moment où un parcours d’intégration ayant nécessité un travail de fond de plusieurs mois débouche sur un emploi potentiel, que le quota est atteint et qu’il faut en rester là, c’est réellement frustrant ! S’agissant d’insertion, seuls les résultats en termes de sorties des dispositifs comptent, le reste n’étant que discours ou intervention.
Je vais retirer cet amendement, mes chers collègues, mais il faut examiner ce volet, et il faut le faire en partant des territoires, car ceux-ci ne peuvent être modélisés et présentent des différences dans leurs capacités à intégrer les personnes en recherche d’emploi, notamment de longue durée.
Je serai donc ouvert à participer à la réflexion avec l’IGAS (Mme la ministre opine.), qui permettra certainement, à travers l’expérimentation sur le chômage de longue durée, de disposer d’un relais réel sur le terrain. Je retire l’amendement, mais je vois par votre acquiescement, madame la ministre, que vous avez la volonté de nous associer à cette réflexion. (Mme la ministre opine de nouveau.)
Mme la présidente. L'amendement n° 96 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 177, présenté par M. Bouvard, est ainsi libellé :
Après l’article 23 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 5424-1 du code du travail est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Les agents titulaires ou non titulaires des collectivités territoriales n’ont pas le droit à l’allocation d’assurance mentionnée au I du présent article en cas de démission d’un poste occupé au sein d’une collectivité territoriale pour occuper un nouvel emploi. »
La parole est à M. Michel Bouvard.
M. Michel Bouvard. Il s’agit, au travers de cet amendement, de supprimer ce que je considère être une anomalie, à savoir la mise à contribution des collectivités territoriales dans le cadre de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, l’ARE.
À l’heure actuelle, lorsque des agents de collectivités territoriales démissionnent et partent, pour des raisons légitimes, exercer une activité dans le secteur privé, si cette activité est interrompue et si le droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi leur est ouvert, les services de Pôle emploi se retournent vers les collectivités territoriales pour demander la prise en charge de cette allocation.
Cette situation, même si elle a un coût, ne pose pas de problème majeur aux très grandes collectivités. Mais pour les toutes petites collectivités, employant un agent ou deux, le fait de devoir financer et l’agent qui est parti – parfois depuis plusieurs années – et celui qu’il a fallu engager pour le remplacer crée une surcharge budgétaire évidemment insupportable.
Cet amendement tend donc à corriger cette anomalie, les partenaires sociaux ou le ministère ayant bien évidemment la charge de trouver une solution pour assurer le financement, dans un cadre mutualisé, de l’allocation d’aide au retour à l’emploi qui ne serait plus supportée par les collectivités territoriales.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Forissier, rapporteur. Cet amendement d’appel vise à attirer l’attention du Gouvernement sur les difficultés rencontrées par les petites collectivités, lorsque celles-ci se trouvent à devoir prendre en charge l’indemnisation de chômage d’anciens agents ayant volontairement quitté leur poste pour occuper un nouvel emploi.
Nous sommes nombreux à être confrontés à de telles situations dans nos départements. De ce fait, et parce qu’il est impossible d’adopter cet amendement en l’état, il sera intéressant d’entendre l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. L’avis est défavorable, mais votre amendement, monsieur Bouvard, m’a donné l’occasion de saisir Annick Girardin, ministre de la fonction publique, sur le sujet.
Votre proposition contrevient au principe de la neutralisation d’une démission, selon lequel une personne ayant démissionné peut bénéficier de l’allocation chômage dès lors qu’elle a retravaillé au moins 91 jours après sa démission.
Elle crée également une inégalité de traitement entre les demandeurs d’emploi, selon que leur ancien employeur est affilié au régime d’assurance chômage ou qu’il assure lui-même ses agents contre le risque du chômage, comme c’est le cas de certains employeurs publics.
Cela explique l’avis défavorable mais, à nouveau, Annick Girardin a été informée des difficultés, que vous évoquez dans votre intervention, rencontrées par les petites collectivités.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. Je n’ai aucune raison de douter de votre bonne volonté, madame la ministre. Mais cela fait plusieurs mois que, selon mes informations, Mme Annick Girardin a été saisie de la question. À un moment, il faut trouver des solutions !
Cet amendement est donc plus qu’un amendement d’appel et tend vraiment à faire évoluer la situation.
Son adoption ne priverait personne, ni ne créerait de rupture d’égalité. Nous considérons simplement que le financement de l’ARE ne doit pas peser sur les collectivités territoriales dès lors que l’agent concerné a volontairement choisi de quitter ses fonctions.
Pour vous montrer l’absurdité dans laquelle nous nous trouvons, je peux citer le cas d’une commune de 108 habitants située dans le massif de la Lauzière.
Cette commune emploie un agent communal. Voilà quelques années, le titulaire du poste a démissionné. Aujourd'hui salarié d’un grand groupe français du secteur du bâtiment et des travaux publics, il exerce son activité professionnelle en Arabie Saoudite.
Pourquoi la commune est-elle amenée à financer une allocation chômage pour cette personne ? L’été est tellement chaud en Arabie Saoudite que le travail, notamment pour des raisons physiques, doit être interrompu. Durant cette période d’interruption obligatoire, l’ancien agent a le droit de recevoir de l’ARE. Pôle emploi se retourne alors vers la commune.
Voilà comment, mes chers collègues, le climat en Arabie Saoudite influe sur la feuille d’imposition locale des 108 habitants de la commune de Bonvillaret !
Cet exemple n’en est qu’un parmi d’autres, les discussions soulevées par cette proposition ayant montré que nous étions plusieurs concernés par de tels cas de figure.
L’adoption de cet amendement permettrait donc d’envoyer un signal fort, la navette nous offrant l’occasion, par la suite, de trouver une solution pour régler la question.
M. Michel Raison. Et comme le climat se réchauffe, bientôt tout le monde sera concerné ! (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 177.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 24
(Non modifié)
I. – L’article L. 3243-2 du code du travail est ainsi modifié :
1° La deuxième phrase du premier alinéa est supprimée ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf opposition du salarié, l’employeur peut procéder à la remise du bulletin de paie sous forme électronique, dans des conditions de nature à garantir l’intégrité, la disponibilité pendant une durée fixée par décret et la confidentialité des données ainsi que leur accessibilité dans le cadre du service associé au compte mentionné au 2° du II de l’article L. 5151-6. Un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés détermine les modalités de cette accessibilité afin de préserver la confidentialité des données. »
II. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2017.
Mme la présidente. L'amendement n° 703, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
Sauf opposition
par les mots :
À la demande
La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. À travers cet amendement, nous entendons faire valoir l’idée selon laquelle l’émission numérique de la fiche de paie doit être opérée à la demande expresse du salarié, et non plus à celle de l’employeur.
L’article 24 tend effectivement à préconiser, sans toutefois en faire une obligation – ce qui est heureux, surtout pour les petites entreprises –, la fin du papier pour l’édition des bulletins de paie, au profit d’une édition numérique.
À notre sens, c’est une fois de plus le point de vue de l’employeur, en tout cas des plus grandes entreprises, qui domine, au nom de la compétitivité. Or, selon le rapport, l’économie s’établirait entre 10 et 42 centimes par feuille de paie.
L’évolution est envisageable… Mais à ce jour, eu égard à la fracture numérique – une réalité encore, touchant les plus faibles de nos concitoyens – et aux incertitudes sur les délais de conservation des données par l’entreprise, dont la fixation est renvoyée à un décret, nous préférons la sécurité, donc la volonté clairement exprimée par le salarié, à une hypothétique recherche de compétitivité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Forissier, rapporteur. L’avis est défavorable. Le salarié pouvant refuser la transmission d’un bulletin de paie par voie électronique, il est préférable de s’en tenir à la formulation actuelle, qui permet une généralisation du bulletin dématérialisé plus rapide.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Cette proposition fait suite au rapport de Jean-Christophe Sciberras, étant précisé que nous avons accumulé beaucoup de retard, en la matière, par rapport à d’autres pays européens.
Je ne nie pas la question de la fracture numérique, mais comme l’a expliqué M. le rapporteur, un droit d’opposition a été prévu.
En outre, et surtout, deux garanties fortes ont été mises en place. La première, essentielle, concerne l’intégrité des données ; elle sera opérée dans des conditions examinées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL. La seconde porte sur la consultation des bulletins, qui pourra notamment se faire via le compte personnel d’activité, le CPA, dont nous avons beaucoup discuté hier. C’est un point qui m’apparaît important, en particulier pour des salariés précaires susceptibles d’enchaîner des contrats nombreux et passés avec des employeurs divers.
Pour ces raisons, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 196 rectifié, présenté par MM. Patient, S. Larcher, Karam et Antiste, n'est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 24.
(L'article 24 est adopté.)
Chapitre III
Adaptation du droit du travail à l’ère du numérique
Article 25
I. – L’article L. 2242-8 du code du travail est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° Il est ajouté un 7° ainsi rédigé :
« 7° L’exercice du droit à la déconnexion des salariés dans l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé. Les règles de communication aux salariés des modalités d’exercice de ce droit définies à l’issue de la négociation, ou à défaut par l’employeur, sont fixées par décret. »
I bis. – (Supprimé)
II. – Le I du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2017.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. Le droit à la déconnexion constitue un enjeu fondamental pour de nombreux salariés.
« Le développement des technologies de communication rend floue la frontière entre le temps de travail et le temps personnel », ont observé les rapporteurs dans leur rapport. Ils ont indiqué un peu plus loin : « le droit à la déconnexion constitue un aspect du droit au repos quotidien, et […] un salarié ne saurait être tenu de travailler en dehors de son temps de travail ». Le rapport cite également l’avis du Conseil d’État, invitant le législateur à encadrer et définir ce nouveau droit.
Pourtant, mes chers collègues, vous avez supprimé l’intégration des outils permettant l’effectivité du droit à la déconnexion dans le champ de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail. De même, vous êtes revenus sur l’obligation d’élaboration d’une charte, après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, charte censée prévoir, entre autres mesures, la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation à l’usage des outils numériques.
Pourtant, l’explosion des phénomènes d’épuisement professionnel, ou de burn-out, est directement liée à l’augmentation du temps de travail et à l’impossibilité de se déconnecter, en particulier dans la population des cadres.
Comme le soulignent de nombreux syndicats, l’usage des technologies de communication implique trop souvent une disponibilité permanente et sans limite des salariés. Or un des fondements du droit du travail est la limitation dans le temps du lien de subordination entre le salarié et l’employeur.
L’Association pour l’emploi des cadres, l’APEC, a réalisé une enquête sur le sujet : les technologies de l’information et de la communication, ou TIC, tendent à augmenter la charge de travail et à dégrader la qualité de vie pour, respectivement, 72 % et 60 % des cadres. En outre, elles n’apparaissent pas comme des facteurs de motivation et de reconnaissance aux yeux de 95 % d’entre eux.
La généralisation de l’usage des TIC, pour raisons professionnelles, en dehors des horaires et des lieux de travail constitue une forme de forfait jours déguisé et engendre un dépassement de la durée légale du travail, ni reconnu ni rémunéré.
C’est pourquoi il est nécessaire de reconnaître le droit à la déconnexion, de l’inscrire dans la loi et de prévoir une négociation obligatoire sur l’utilisation des outils numériques.
Ce sera le sens des amendements que nous proposerons sur cet article.
Mme la présidente. L'amendement n° 243 rectifié, présenté par MM. Cadic, Canevet, Bockel, Delahaye, Guerriau et Pozzo di Borgo, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Notre volonté, à travers ce projet de loi, est aussi de réduire l’épaisseur du code de travail, ce petit code rouge comptant 3 168 pages. Or je crains que nos travaux n’aboutissent qu’à l’alourdir un peu plus ! Nous devons donc être attentifs sur ce point.
Nous traitons ici de l’article L. 2242-8 du code du travail, lequel précise les sujets devant faire l’objet de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.
J’observe, à la lecture de cet article, que cette négociation annuelle porte, en premier lieu, sur les questions relatives à « l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés ». Je n’imagine pas que les points concernant l’informatique et les moyens de communication modernes ne soient pas examinés dans ce cadre.
Par conséquent, le code, dans sa rédaction actuelle, donc sans nécessité de l’alourdir, nous permet de traiter la problématique, d’où cet amendement tendant à supprimer l’article 25 du projet de loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur de la commission des affaires sociales. Je prends le relais de mon collègue rapporteur, en donnant l’avis de la commission sur cet amendement présenté – le hasard fait bien les choses – par des membres de mon groupe.
Le dispositif, à mes yeux, a été considérablement simplifié en commission, même si le sujet mérite d’être abordé dans le cadre de la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail.
Je demanderai donc aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. L’avis est également défavorable. J’aurai l’occasion, dans quelques instants, de préciser la position du Gouvernement au travers de la présentation de l’amendement n° 966.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Pourquoi sommes-nous opposés à la suppression de l’article 25 ? Vous invoquez la simplification du code du travail, monsieur Canevet, mais cet article 25 revêt une importance particulière, et vous ne vous y êtes pas trompé puisque vous avez repris dans votre argumentaire l’élément dont, précisément, vous ne voulez pas que l’on parle : la préservation, à travers le droit à la déconnexion, de la vie familiale, de la vie tout court !
Pour le groupe socialiste et républicain, cet article est donc essentiel.
Madame la ministre, vous avez reçu – le jour même de votre intronisation, me semble-t-il – le rapport de M. Bruno Mettling, qui fait le point sur toutes les conséquences de la révolution numérique sur le travail. Des publications sortent également sur le sujet.
Il apparaît que, si l’on n’y prend pas garde, les salariés et, plus généralement, tous ceux qui travaillent avec le numérique vont bientôt se trouver connectés jour et nuit. Une telle situation fait voler en éclats le droit du travail dans sa forme actuelle, notamment tout ce qui concerne la durée du travail, y compris le forfait jours.
Certaines grandes entreprises, ayant choisi de respecter le droit au repos, de peur des sanctions judiciaires, ont instauré des dispositifs de blocage. Mais on peut être poussé, y compris sous la pression d’autres salariés connectés en permanence, à communiquer des adresses personnelles, avec, à nouveau, de lourds impacts sur sa vie privée.
La loi a aussi pour fonction de protéger les individus qui seraient en permanence connectés, avec les conséquences que l’on sait sur la santé au travail.
Le maintien de cet article 25 est nécessaire afin de pouvoir évoquer l’ensemble du sujet.
La commission, comme M. Gabouty vient de l’expliquer, a considérablement modifié le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, en supprimant la partie traitant de l’effectivité de ce droit, qui a été affirmé, à la déconnexion. Nous voulons pouvoir en discuter, afin de confronter nos avis sur la question.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Cet amendement de suppression était un appel à la raison, mes chers collègues, car cet article 25, tendant à prévoir un droit à la déconnexion, nous paraît aussi inutile que contre-productif !
En effet, il ne prévoit rien qui n’existe déjà : si un salarié est contraint d’utiliser les moyens numériques en dehors d’un cadre conventionnel ou légal, le droit français lui permet déjà de saisir la justice. Pourquoi en ajouter une couche ?
Mme Nicole Bricq. Évitons d’engorger les tribunaux !
M. Olivier Cadic. Ce n’est pas parce que l’on écrit une règle dix fois que celle-ci s’appliquera mieux !
Nous sommes déjà intervenus sur la question au début des débats sur ce projet de loi. Quand on duplique, dans le code du travail, des mesures déjà existantes dans le code pénal, c’est même une troisième couche que l’on rajoute. J’appelle cela du harcèlement !
Qu’un employeur poursuive ses salariés pendant le week-end, continuant de leur écrire, et qu’une personne se trouve en difficultés de ce fait, et toutes les protections peuvent déjà être mises en jeu.
Le sujet, on le sent, est un peu difficile car, en réalité, on se donne bonne conscience en écrivant plusieurs fois la même chose dans les codes, mais ce qui compte, c’est le résultat !
Michel Canevet et moi-même avons décidé de retirer cet amendement. Nous le retirons donc.
Mme la présidente. L'amendement n° 243 rectifié est retiré.
Je suis saisie de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 33 rectifié bis, présenté par Mme Lienemann, M. Cabanel, Mme Ghali et M. Gorce, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Rédiger ainsi ces alinéas :
1° Le 6° est complété par les mots : « , notamment au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise » ;
2° Il est ajouté un 7° ainsi rédigé :
« 7° Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. À défaut d’accord, l’employeur définit ces modalités et les communique par tout moyen aux salariés. Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, ces modalités font l’objet d’une charte élaborée après avis du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, qui prévoit notamment la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques. »
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Cet amendement tend à rétablir, au fond, sur un sujet tout à fait essentiel, la rédaction souhaitée par le Gouvernement et retenue par l’Assemblée nationale. Il paraît effectivement très regrettable que le Sénat puisse modifier et affaiblir un dispositif qui, selon nous, constitue l’une des avancées significatives de ce texte, même s’il ne fait que poser une première pierre.
La réalité de la vie dans nos entreprises – nous en avons sans doute parlé tout au long de ces débats –, ce sont aussi des conditions de travail de plus en plus difficiles, une évocation de plus en plus fréquente, par les salariés, indépendamment, d’ailleurs, de leur position hiérarchique, d’une situation de tension et de stress, un management demeurant extrêmement hiérarchique, qui exerce également des pressions très fortes sur les salariés. Dans un tel contexte, on peut voir émerger une tendance à des difficultés psychologiques et mentales croissantes.
Nous devons donc prendre en compte cette évolution, qui, malheureusement, est l’expression d’une économie et d’une culture d’entreprise n’ayant pas véritablement franchi le pas vers des démarches plus concertées, tournées vers la négociation et attentives à la qualité du travail.
C’est tout le débat que nous pourrions avoir, aussi, sur les baisses de cotisations sociales. Nous dépensons beaucoup d’argent pour favoriser ces baisses de cotisations sociales, prêtant beaucoup moins d’attention à tout ce qui pourrait favoriser la productivité et la compétitivité : la formation et la qualification des salariés, la recherche de la qualité, le contexte et le climat dans lesquels travaillent les salariés.
C’est pourquoi nous avons souhaité réintroduire ce droit à la déconnexion.
Selon les études dont nous disposons, un cadre peut être soumis, au bas mot, à 150 sollicitations communicationnelles par jour, soit une interruption toutes les quatre minutes. Cela peut se traduire par des situations difficiles rencontrées durant la nuit et le week-end, et nous disposons de nombreux témoignages, des salariés, mais aussi des entreprises, à cet égard.
Voyez, mes chers collègues, la sonnerie de téléphone que nous entendons montre que même mon président de groupe est soumis à une forte pression… J’espère que ce n’est ni l’Élysée ni Matignon qui l’interrogent sur la manifestation de demain, parce que, là, franchement, ce serait du harcèlement !
Donc, face à cette situation extrêmement difficile, il paraît indispensable de donner une réalité au droit à la déconnexion et je défendrai tout à l’heure un amendement tendant à mettre en place un référent numérique dans l’entreprise.