M. David Assouline. Ah !
Mme Françoise Férat, rapporteur. Soit nous allions dans le mur, soit il fallait changer de méthode. Nous avons donc décidé de reprendre le dialogue de zéro avec le Gouvernement, dans le but d’analyser de nouveau chacune des dispositions, de lever les éventuelles ambiguïtés et de trouver une rédaction consensuelle. Je regrette que ce dialogue ait été lancé si tardivement, mais je tiens à remercier l’implication de votre cabinet, madame la ministre. Tous les points de blocage sont loin d’être levés, mais les résultats obtenus sont encourageants.
Je commencerai par les points positifs.
Ainsi, la maîtrise d’ouvrage scientifique de l’État sur les opérations de fouilles est transformée en maîtrise scientifique, ce qui élimine les risques juridiques qu’aurait entraînés une maîtrise d’ouvrage partagée entre les aménageurs et l’État, tout en confiant à ce dernier le soin de s’assurer de la qualité des opérations de fouilles, objectif que nous partageons tous.
Un compromis se dessine également en ce qui concerne le délai accordé aux collectivités territoriales pour décider de se saisir ou non d’un diagnostic sur le contenu de la convention que les collectivités territoriales doivent signer avec l’État pour obtenir l’habilitation de leur service archéologique ou sur la manière d’interpréter la régulation économique et financière du service public de l’archéologie par l’État.
Sur d’autres sujets, nos positions sont en train de se rapprocher, même si nous ne pourrons peut-être pas nous mettre d’accord en séance publique. Il s’agit par exemple de l’obligation faite à l’aménageur de payer l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, pour la reprise d’un marché à la suite de la défaillance d’un opérateur. Le Gouvernement a complété son dispositif en soumettant le prix proposé par l’INRAP pour ses services à l’avis de l’État. C’est un premier pas. Nous souhaiterions néanmoins avoir votre engagement, madame la ministre, que ces prestations ne feront plus l’objet d’une subvention pour charge de service public.
Il reste cinq désaccords importants à ce stade de la discussion : la limitation géographique de l’habilitation accordée aux services archéologiques des collectivités territoriales, le monopole de l’INRAP sur les opérations de fouilles sous-marines, la multiplication des contrôles auxquels sont soumis les opérateurs privés, la procédure d’examen des offres retenue par l’Assemblée nationale, la suppression de l’éligibilité des dépenses de recherche dans le cadre d’un contrat de fouilles.
J’ose espérer que ces divergences, parfois sérieuses, ne nous empêcheront pas de trouver une entente à l’occasion de la commission mixte paritaire, si la volonté d’aboutir à un accord l’emporte sur l’affirmation de nos différences. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. « La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. La culture n’est pas un luxe dont, en période de disette, il faudrait se débarrasser. La culture, c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation.
« C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme. »
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est en ces termes que notre ancien collègue, mon ami Jack Ralite, s’est adressé au Président de la République dans une lettre ouverte en février 2014 et l’a interpellé sur la politique conduite dans le domaine de la culture.
Ces mots soulignent à quel point ce texte est attendu. Il doit représenter le signal fort de l’engagement de ce gouvernement en faveur de la culture et des arts.
Certes, ce texte marque des avancées.
Nous saluons tout d’abord la réaffirmation du rôle de l’État et des collectivités dans le domaine de la protection de la création.
De même, l’intégration dans le texte de la liberté de diffusion complète utilement l’article 1er du projet de loi.
Enfin, certaines dispositions permettent une plus grande protection des artistes et un meilleur partage de la valeur créée, notamment dans le cadre des défis de la révolution numérique.
La partie sur l’excellence architecturale est un autre point positif du texte.
Le groupe CRC partage l’ambition de reconnaître le rôle majeur des architectes dans la constitution d’un patrimoine immobilier et de zones d’habitation qui soient des lieux de vie et non des dortoirs.
Par ailleurs, le groupe CRC salue les dispositions, hélas trop rares, allant dans le sens d’une meilleure protection du patrimoine. Je pense à la réforme du régime de propriété des biens découverts ou à la mise en sécurité auprès de l’État de biens culturels appartenant à des États étrangers en situation de guerre ou de catastrophe naturelle.
Toutefois, de nombreux points de désaccord subsistent, en premier lieu dans le titre Ier.
Si nous souscrivons à l’ambition de reconnaître et de valoriser la pratique amateur, l’article 11 A pose question. En effet, tel qu’il est actuellement rédigé, cet article organise la mise en concurrence des amateurs et des professionnels et fait courir le risque de voir se développer le travail dissimulé.
Le groupe CRC s’oppose également à la fragmentation effectuée dans le texte en matière d’enseignement supérieur et de recherche, car elle isole de fait des structures d’excellence, détériore les conditions de vie de la majorité des étudiants des arts et de la culture, et affaiblit les filières universitaires, dont la qualité est pourtant reconnue.
Comme je l’ai déjà dit, la partie du texte consacrée à l’architecture est la plus aboutie, des avancées ayant été obtenues. Toutefois, nous regrettons la disparition, dans le texte voté en commission, des délais incitatifs lorsqu’un architecte a été sollicité.
De la même manière, le renvoi à la fin de la procédure d’une phase de dialogue entre les candidats et le jury dans le cadre des concours d’architecture nous semble préjudiciable.
Nos critiques se concentrent sur le volet relatif au patrimoine. J’évoquerai tout d’abord l’archéologie préventive.
Alors que l’ouverture sauvage à la concurrence en 2003 a durablement fragilisé le secteur, le projet de loi ne remet en cause qu’à la marge ce choix politique.
Or l’autorisation de la sous-traitance, couplée à la mise en concurrence des services territoriaux entre eux, ne peut conduire qu’à un nouvel affaiblissement du service public de l’archéologie préventive, d’autant que ce dernier ne pourrait même plus se prévaloir du monopole sur les fouilles sous-marines, contrairement à ce qu’avait prévu l’Assemblée nationale.
Ainsi, la volonté affichée de réaffirmer le rôle de l’État en la matière nous semble bien trop diluée.
Nous défendrons donc de nouveau la réintroduction de l’article 20 bis afin de clarifier l’usage du crédit impôt recherche par les entreprises privées et d’exclure du dispositif les opérations de fouilles assimilables à des processus de production.
Sur la protection du patrimoine bâti, le groupe CRC s’oppose à la réforme des abords, car elle fait des abords à la carte la règle et du périmètre des 500 mètres l’exception. Cette mesure participe d’une logique urbanistique censée libérer toujours plus de sols constructibles, au mépris d’une logique patrimoniale. À nos yeux, le patrimoine ne doit pas être une variable d’ajustement en période de crise du logement.
Nous regrettons que la réforme des régimes de protection marque un nouveau désengagement de l’État, laissant toujours plus de marges de manœuvre aux maires et aux présidents d’intercommunalités, pourtant juges et parties, dans la définition des zones de protection.
Enfin, nous déplorons que cette réforme porte en creux le procès des 120 architectes des bâtiments de France.
Le groupe CRC va donc poursuivre, lors de cette deuxième lecture, son travail d’enrichissement. Il a déposé une quarantaine d’amendements portant notamment sur l’emploi des artistes et la sécurisation de leurs conditions de travail et d’existence.
Je veux ici réaffirmer notre soutien aux intermittents du spectacle en lutte pour leurs droits. Un accord de branche a été trouvé sur leur régime d’assurance chômage. Il contient des avancées significatives. Reste à savoir ce que fera le MEDEF, qui, dans sa lettre de cadrage, exigeait de ce régime une réduction des dépenses de 185 millions d’euros. C’est une nouvelle attaque, alors même que les intermittents ne représentent que 4 % des allocataires !
Je rappelle donc au Gouvernement l’engagement qu’il a pris l’année dernière de préserver le principe de la solidarité interprofessionnelle en inscrivant dans la loi les annexes 8 et 9.
Une grande ambition pour les arts et la culture exige un budget de l’État à la hauteur. Or nous sommes arrivés à l’os !
Réorganisation en treize grandes régions, baisse des dotations aux collectivités pour financer l’effort d’austérité, arbitrages politiques : le désengagement des collectivités dans le financement de la politique publique de la culture est une réalité. L’assèchement culturel et la précarisation accrue des artistes font leur œuvre !
Le groupe CRC réitère donc l’appel à l’audace lancé par Pierre Laurent en première lecture. Mes chers collègues, madame la ministre, il n’est pas trop tard… (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - M. Jean-Louis Carrère et Mme Corinne Bouchoux applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de réaffirmer l’importance de ce qui a émergé depuis la première lecture : ce texte, indépendamment du peu d’attention que les médias ou nous-mêmes, dans cet hémicycle, lui avons portée, est tout à fait essentiel.
Nous constatons tous les jours le rôle primordial de la création et de la culture dans la consolidation de notre pacte républicain. Elles donnent sens à presque tout ce que nous faisons et nous rassemblent. Et, aujourd'hui, ce qui rassemble est plus important qu’auparavant, tant la violence des rapports sociaux, la violence tout court, qu’elle soit physique ou verbale, et l’intolérance, y compris à l’égard d’œuvres artistiques, envahissent la sphère publique, et pas uniquement en France !
Ce projet de loi est donc tout à fait important et n’est pas juste destiné à donner un supplément d’âme à d’autres travaux que l’on jugerait plus sérieux par ailleurs.
En deuxième lecture, nous avons le choix entre laisser chacun réaffirmer ses positions, auquel cas l’Assemblée nationale décidera à notre place en troisième lecture,…
M. Jean-Louis Carrère. C’est le risque !
M. David Assouline. … et rapprocher nos points de vue afin de permettre à la commission mixte paritaire d’aboutir, auquel cas, cela a déjà été souligné, notamment par les rapporteurs, les apports du Sénat seront conservés dans la version définitive du texte.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. David Assouline. Le choix repose donc entre nos mains, il se fera au cours de notre discussion. Pour sa part, le groupe socialiste et républicain souhaite, sans aucune arrière-pensée, parvenir à des rapprochements afin que la CMP puisse aboutir.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. David Assouline. Nous n’y sommes certes pas obligés, mais si, comme je l’ai dit, la culture rassemble, nous nous devons d’être le plus possible rassemblés sur un texte ayant trait à la culture et à la création. Cela signifie non pas que nous devions être d’accord sur tout, mais que nous devons être capables d’envoyer un message commun sur l’essentiel. La culture, je le répète, n’est pas un supplément d’âme. Elle est l’âme de notre Nation et de notre pacte républicain.
Des rapprochements sont possibles, Mme la ministre, les rapporteurs l’ont dit. Mes collègues du groupe socialiste et républicain, Sylvie Robert et Marie-Pierre Monier, détailleront les dispositions restant en discussion dans des domaines précis.
Cependant, la principale divergence avec M. Leleux continue à reposer sur le fait qu’il considère que trop de régulation ou de réglementation, trop d’affirmation du rôle de l’État ou du service public – le désaccord est même d’ordre sémantique – ne font qu’alourdir, compliquer les choses et que cela empêche l’innovation ou la créativité.
Nous avons un point de vue totalement inverse. Défendre la culture, contrairement à d’autres domaines de l’économie et de la vie sociale, c’est prôner l’exception culturelle, c'est-à-dire la régulation, voire parfois des règles un peu tatillonnes. Parce que la culture n’est pas une marchandise, notre rôle en tant que législateurs est de la protéger, parfois de façon très précise, afin que le geste créatif et sa diffusion puissent être préservés.
Il en va de même s’agissant du patrimoine et de l’archéologie préventive. Sur ces sujets également, nous pouvons aboutir à un rapprochement à condition de réaffirmer fortement le rôle de l’État, en particulier en termes de qualité et de maîtrise scientifique du processus, ce qui n’empêchera pas d’avancer avec les collectivités territoriales, et même avec des agents privés.
Pour conclure, réaffirmer le rôle de l’État dans le domaine culturel n’est pas un acte jacobin ou la marque d’un amour de la règle pour la règle. C’est préserver l’exception culturelle à l’échelon français, européen, international, comme la France l’a toujours fait avec force dans le monde.
Je tiens enfin à remercier Mme la ministre, car les accords de branche qui viennent d’être signés, ainsi que le climat de nos discussions ici, doivent beaucoup à son style et portent sa marque de fabrique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous mesurons, avec l’évolution du texte, le rôle fécond de la navette. Nous l’apprécions d’autant plus que la culture porte des enjeux fondamentaux en ces temps de doute, de mutation et de tension.
Les premières auditions au Sénat nous avaient troublés tant elles reflétaient des rivalités corporatistes : géomètres contre architectes, archéologues de l’INRAP contre archéologues des collectivités, compositeurs contre interprètes, musiciens contre éditeurs phonographiques, tandis que certains, comme d’habitude, passaient à la trappe, comme les paysagistes et les plasticiens.
Les grands absents de ces tables rondes étaient le sens, les gens, les territoires, les questions fondamentales sur le ferment démocratique qu’est la culture. Heureusement, la suite du débat nous a élevés, si l’on fait exception de quelques blocages régressifs…
C’est du bien commun que nous débattons lorsque nous sommes attentifs à la création, à la diffusion, à toutes les formes d’expression, des plus reconnues aux milliers d’initiatives artistiques et culturelles qui fleurissent sur les territoires. Ce bien commun en perpétuelle fabrication fait lien, citoyenneté et, se référant aux droits culturels, s’enrichit de la reconnaissance de l’égale dignité de chacun.
Il doit y avoir de la place pour tous : la sécurisation de la participation des amateurs, des bénévoles, dans un cadre ne mettant pas à mal les artistes professionnels, est une avancée attendue.
C’est du bien commun que nous débattons en choisissant comment va agir le ministère, comment vont intervenir les collectivités, comment seront soutenues les initiatives, quelles seront les obligations, qu’il s’agisse de mémoire à révéler, avec les fouilles, à conserver, avec le patrimoine ou le dépôt légal, de vécu à transmettre et à faire vivre, avec le cinéma, le spectacle vivant, ou de créations à soutenir dans toutes les disciplines.
Demain, c’est du bien commun que nous serons comptables dans le projet de loi de finances afin que nos propos sur le soutien aux pratiques des habitants soient en accord avec les arbitrages financiers. Permettez-moi de faire ici, à titre d’exemple, une piqûre de rappel sur la pauvreté du soutien aux musiques actuelles.
Bercy aussi sera comptable. Et, puisqu’une majorité s’accorde à faire perdurer le crédit impôt recherche pour les entreprises de fouilles archéologiques, nous exigeons un contrôle rigoureux de la réalité des recherches associées aux sites explorés. Nous ne partageons pas le point de vue de Mme la rapporteur, qui met en balance l’appui de l’État à l’INRAP avec le CIR. Le CIR n’est ni une bouée de sauvetage ni une variable d’ajustement pour boucler le budget d’un chantier ou faire baisser un devis.
Mme Françoise Férat, rapporteur. L’INRAP non plus !
Mme Marie-Christine Blandin. Les écologistes ne résument pas la culture aux industries culturelles, comme c’est souvent le cas à Bruxelles, et se réjouissent que, en France, la culture ne soit pas vue sous l’unique prisme de l’économie. Ils sont attentifs au secteur non lucratif, à l’économie sociale et solidaire, à ce que le lien, l’épanouissement de chacun, la richesse du tissu dans chaque territoire passent avant la comptabilité des entrées ou l’éphémère visibilité internationale, qui ne saurait être le but premier.
La garantie de la liberté d’expression culturelle, désormais proclamée à l’article 1er – « la création artistique est libre » –, n’est pas un luxe en ces temps de populisme, alors que certains élus n’ont plus honte de modifier une programmation, de supprimer une subvention, ou d’anéantir une structure au prétexte qu’une esthétique n’est pas la leur ou qu’une perturbation intellectuelle les bouscule dans leurs certitudes.
Mais la liberté d’expression culturelle, c’est aussi l’acceptation du mouvement, de la fluidité, des fragiles ébauches hors critères, des disciplines de traverses hors guichets et hors labels. C’est pourquoi les écologistes ont pris l’initiative de déposer un amendement tendant à ouvrir la possibilité de conventionnement pour favoriser ces naissances d’intérêt public.
Nous savons aussi l’importance des régulations économiques, des couvertures sociales spécifiques comme celles de l’intermittence, des mécanismes vertueux comme ceux du Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, du partage de la valeur, qui reste le grand chantier à peine ébauché du numérique. À ce sujet, nous continuerons de plaider pour que cesse le scandale de la spoliation des photographes. Au pays des droits d’auteur, la photographie n’a jamais eu la chance de la musique, de la littérature ou du cinéma, sans doute parce qu’aucune industrie de distribution n’a greffé sa source de bénéfices sur cette activité, et parce que, au contraire, les éditeurs de presse, dont la majorité des ventes reposent sur l’image, ne se voient jamais contraints de respecter le code de la propriété intellectuelle.
Je terminerai par l’impression contrastée que nous laisse le sort fait à ce texte au Sénat.
Nous avons apprécié, madame la ministre, votre sens de l’écoute, ainsi que le climat de dialogue qui s’est instauré avec la commission, mais nous restons consternés devant quelques amendements revanchards anti-éoliens, certains confondant la navette avec une troisième mi-temps où se rejouerait le match de la transition énergétique. (Sourires.)
Il faut cesser de défaire en mai 2016 ce qui fut voté de façon consensuelle en juillet 2015 ! Choisir entre une lointaine covisibilité et les énergies renouvelables, c’est nier que l’avenir de l’humanité se fera dans le respect non dissociable de sa culture, qui rend le monde vivable, comme de la nature, qui rend le monde viable. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans sa postface aux Conquérants, André Malraux écrit, à propos de la « création réelle d’une culture démocratique », qu’« il s’agit d’ouvrir le domaine de la culture à tous ceux qui veulent l’atteindre. »
Notre politique culturelle doit encore et toujours mettre fin à l’inégalité d’accès à la culture qui demeure aujourd’hui. Elle doit nécessairement promouvoir la création et la production, mais également se réengager pour soutenir les structures intermédiaires, l’éducation populaire, l’enseignement supérieur artistique, le milieu associatif culturel et les amateurs. Ce sont ces acteurs de la culture qui construisent les ponts entre la culture « savante » et les autres cultures dans nos territoires.
Donner un cadre législatif à la politique de labellisation menée par le ministère de la culture et de la communication permet de soutenir des réseaux, comme les centres culturels de rencontre, qui, depuis quarante ans, mettent en œuvre dans les territoires ruraux une politique transversale de développement à partir de la culture. Ces initiatives locales, qui fédèrent l’engagement d’artistes, de centres d’arts visuels, d’associations, de structures itinérantes, doivent être reconnues à l’échelon national afin que les partenariats se développent et redonnent vie aux territoires ruraux, de la même manière que les pratiques amateurs sont une chance inouïe pour dynamiser nos territoires. Ainsi, l’article 11 A du projet de loi, tel qu’il est actuellement rédigé, constitue une avancée majeure en termes de sécurisation de la pratique amateur.
L’implication du système audiovisuel public pour familiariser une part importante de la population aux arts et à la culture doit être plus grande. Alors que la collectivité publique finance largement les chaînes de télévision et de radiodiffusion publiques et permet l’utilisation des fréquences hertziennes, on assiste à un recul inquiétant de la diversité musicale, notamment aux heures de grande écoute, et des émissions traitant du monde de la culture. Face à la domination des critères d’audience, le débat engagé va nous permettre, je l’espère, de trouver un équilibre salutaire pour promouvoir la diversité musicale et la chanson francophone à la radio.
Enfin, les techniques de l’information et de la communication d’aujourd’hui permettent aux individus d’avoir accès légalement à un réservoir toujours plus riche de contenus culturels, qu’il faut accompagner. Il est intéressant à ce titre d’encourager le développement des services radiophoniques diffusés sur internet en leur appliquant le régime de la licence légale afin d’étendre les catalogues auxquels ont accès ces webradios.
Sur les questions relatives à l’archéologie, des oppositions demeurent néanmoins. Comme en première lecture, la commission est revenue sur l’ensemble des mesures visant à confier la maîtrise d’ouvrage scientifique sur les opérations archéologiques à l’État. Selon notre rapporteur, il s’agit de lutter contre une « reconcentration » qui ne dit pas son nom entre les mains de l’INRAP. Nous pensons, à l’inverse, que l’opérateur historique a un rôle de premier plan à jouer, notamment parce qu’on ne fait pas de la recherche archéologique comme on fait le commerce de n’importe quelle marchandise. Je le répète, l’archéologie n’est pas un simple bien commercial : c’est un bien commun à notre histoire et à notre patrimoine.
Dans ce domaine, nous sommes donc soucieux de préserver la qualité scientifique des fouilles, ce qui passe notamment par un contrôle rigoureux des opérateurs privés soumis à l’agrément. Il faut en effet veiller au respect de certaines exigences et faire en sorte que le renouvellement de l’agrément de ces opérateurs en dépende afin que ceux-ci puissent pleinement, mais dans le respect de certaines règles, participer aux opérations d’archéologie préventive.
Nous proposerons donc un amendement visant à renforcer les conditions d’obtention et de renouvellement de l’agrément pour les opérateurs privés, suivant ainsi l’une des recommandations du livre blanc de l’archéologie préventive.
Par ailleurs, afin de ne pas fausser la concurrence entre les différents acteurs du secteur, nous déposerons également un amendement visant à exclure du dispositif du crédit impôt recherche les contrats de fouilles archéologiques qui ne répondent pas à la logique du dispositif.
Nous sommes satisfaits des rapprochements opérés entre l’Assemblée nationale et le Sénat, en particulier sur la disposition clé du projet de loi portant sur la réforme des espaces protégés. Les craintes des collectivités territoriales concernant la gestion de ces espaces ont été entendues par Mme la ministre, ce dont notre groupe ne peut que se réjouir.
Il est par ailleurs positif que le rôle accru de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture ait été confirmé.
Quelques interrogations subsistent toutefois, en particulier sur le nom. Si nos deux chambres semblent s’accorder sur l’appellation « sites patrimoniaux remarquables », cette dénomination n’en suscite pas moins des réticences, en particulier de la part des grands sites inscrits dans le code de l’environnement. J’ai ainsi été alertée par le grand site Sainte-Victoire, près d’Aix-en-Provence, lequel redoute une confusion avec les sites classés. Je ne doute pas que nous aurons un débat sur ce sujet en séance.
Sur l’architecture, je souscris à la rédaction adoptée par notre commission concernant le projet architectural, paysager et environnemental à l’article 26 quater. En revanche, je suis favorable au maintien du seuil dérogatoire tel que l’a évoqué Mme la ministre à l’Assemblée nationale.
Vous l’aurez compris, nombre des mesures de ce projet de loi recueillent notre assentiment. Nous resterons toutefois attentifs à quelques dispositions qui font encore débat.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas sans une certaine déception que nous accueillons ce texte en deuxième lecture.
En effet, si l’Assemblée nationale a conservé des avancées que nous avions proposées en première lecture, force est de constater que nous restons en désaccord sur des questions essentielles. Je pense en particulier à la réforme de l’archéologie préventive. Je commencerai d’ailleurs mon intervention sur ce sujet qui préoccupe particulièrement les élus locaux que nous représentons.
En première lecture, vous nous aviez rassurés, madame la ministre, quant à la volonté du Gouvernement de rapprocher les points de vue sur l’archéologie préventive, mais l’Assemblée nationale a rétabli la plupart des dispositions que nous avions rejetées.
Le contrôle de l’État reste démesuré, et le texte multiplie les mesures écartant toute intervention extérieure à l’INRAP, aussi bien publique que privée.
Concernant les collectivités, nous ne comprenons pas pourquoi le Gouvernement, avec une obstination presque vexatoire, veut imposer de nouvelles contraintes à des services qui fonctionnent correctement et sont déjà soumis au contrôle de l’État.
Vous limitez le délai dont les collectivités disposent pour prendre la décision de confier les diagnostics à leurs propres services. Vous conditionnez l’octroi de l’habilitation à la signature d’une convention avec l’État. Vous soumettez les services territoriaux à un contrôle financier et limitez leur champ territorial.
Nous regrettons également l’hostilité affichée à l’encontre des opérateurs privés, exclus du bénéfice du crédit impôt recherche.
Toutes ces dispositions semblent tournées vers un seul objectif : rétablir un monopole au bénéfice de l’INRAP, monopole d’ailleurs clairement énoncé pour les fouilles sous-marines. Or, je rappelle les difficultés de gestion de l’organisme, relevées par la Cour des comptes, et qui ont nécessité par le passé l’intervention d’autres acteurs. Nous vous alertons sur le danger qu’il y aurait à privilégier cet opérateur public par rapport à d’autres, en espérant, madame la ministre, que vous serez, cette fois, sensible aux arguments de notre rapporteur, Mme Férat.
Alors que nous sommes parvenus à des rédactions communes avec l’Assemblée nationale, il serait dommage de conserver un point de désaccord aussi important dans le projet de loi.
Le Gouvernement a notamment su infléchir sa position sur la protection du patrimoine, qui, dans la rédaction initiale, dépendait d’un plan local d’urbanisme trop mouvant. Une réécriture de l’article 24 a été faite par le Sénat, réécriture qui ne bouleverse pas les anciens régimes de protection, au grand soulagement des protecteurs du patrimoine.
Sur le volet création, notre rapporteur, M. Leleux, a pu se réjouir de l’adoption par les députés de certaines de nos propositions, telles que l’aménagement du droit de suite qui augmentera les marges de manœuvre des fondations, ou encore de la création d’une commission « culture » au sein des conférences territoriales de l’action publique.
Des désaccords subsistent cependant ici aussi, et nous allons examiner des amendements du Gouvernement allant d’ores et déjà à l’encontre du texte de la commission.
Tel est le cas, dès le début du projet de loi, avec la référence à la mission de service public de la politique en faveur de la création artistique, dont nous souhaitons la suppression, car elle conduirait à ignorer l’action des acteurs privés.
Je citerai également, au nombre des dispositions proposées par la commission auxquelles nous tenons particulièrement la distinction entre artistes-interprètes et musiciens pour la perception de certaines rémunérations, l’autorisation des cessions de créances, la juste rémunération de l’exploitation des œuvres d’art visuelles, ou le chef de filat de la région sur la question des enseignements artistiques.
Par ailleurs, il est difficilement compréhensible que le Gouvernement souhaite voir supprimées des dispositions que le Sénat a introduites à des fins de transparence. Nous vous écouterons attentivement, madame la ministre, pour comprendre pourquoi vous vous opposez aux garanties d’indépendance que nous avons données à la commission de la copie privée.
Je regrette également que plusieurs dispositions aient été introduites par la majorité gouvernementale sans la prudence nécessaire, c’est-à-dire sans aucune étude d’impact et sans même de concertation.
Ainsi, la légalisation de la copie numérique dans le nuage, qui s’avère fort compliquée, a été décidée par le Gouvernement. Nous y voyons certes un gage de modernité, mais encore faut-il qu’elle ne remette pas en cause les équilibres économiques existants. La rédaction de notre commission rendant nécessaire l’accord des diffuseurs est une solution d’attente qui permet l’ouverture de négociations.
Il n’y a pas eu non plus d’étude sur la problématique des droits d’auteur et du développement des webradios. Il me semble ici aussi infiniment plus sage de suivre la rédaction de compromis du Sénat, qui définit un champ d’application précis, que de suivre le Gouvernement dans une application aveugle du dispositif de licence légale.
D’ailleurs, est-il opportun de légiférer aussi rapidement sur de tels sujets, alors que ce projet de loi est censé être le fruit d’une longue réflexion et a déjà connu de nombreux reports pour améliorer sa rédaction ? Pourquoi ajouter des sujets sans aucune préparation ?
Enfin, en tant que fervent défenseur de la francophonie, j’évoquerai un dernier point de désaccord. Il s’agit de la modulation des quotas de diffusion de la chanson française, présentée fort tardivement à l’Assemblée nationale par le Gouvernement, qui vient d’ailleurs de nous soumettre, ces derniers jours, une nouvelle rédaction.
La modulation envisagée revient à diminuer de 5 % les quotas de chaque catégorie de radio, ce qui est assez étonnant puisque l’article d’origine a été introduit par les députés précisément pour faire respecter les quotas de manière plus rigoureuse.
L’article 11 ter se trouve finalement écartelé entre deux conceptions différentes des obligations de diffusion. Comme l’a rappelé notre commission, les quotas représentent une contrainte qui est la juste contrepartie de l’utilisation gratuite des fréquences hertziennes. De longues années de résistance à la puissance du marché anglo-saxon témoignent de leur utilité. Remettre en cause ces règles reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore.
Tout se passe finalement comme si le Gouvernement voulait saisir l’occasion de cette dernière fenêtre législative pour faire passer certains messages, dans une certaine précipitation.
Nous nous écartons donc un peu plus de l’esprit qui devrait gouverner cette loi pour aboutir finalement à un ensemble de réponses à des demandes sectorielles.
Notre groupe espère que les nombreux rectificatifs apportés par le Sénat seront préservés, et c’est uniquement dans cette perspective que nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)