M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’irai à l’essentiel, car beaucoup de choses ont déjà été dites par M. le rapporteur, par M. le secrétaire d’État et par notre collègue Éric Bocquet sur notre volonté à tous de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. La commission des finances a encore ce matin effectué des auditions à ce sujet.
Nous avons tous en tête les récentes révélations des « Panama papers » et celles liées aux scandales SwissLeaks et LuxLeaks. On pourrait malheureusement citer d’autres affaires… Derrière cette litanie se dessine un constat commun : nos systèmes fiscaux sont vulnérables à certaines pratiques financières mises en œuvre par des groupes internationaux, et pas seulement par des personnes isolées. Ces pratiques frauduleuses sont considérables et induisent d’importants déséquilibres économiques, la fraude fiscale représentant sans doute un manque à gagner de près de 80 milliards d’euros.
Au-delà de l’aspect strictement financier, comme cela a été fort bien rappelé, la fraude et l’évasion fiscales mettent en cause une certaine idée de la justice et de la solidarité.
On sait que la première réponse qui est apportée est évidemment la coopération internationale, la coopération fiscale, la coopération entre administrations. Sous l’impulsion de l’OCDE notamment, le programme BEPS a été adopté. L’Union européenne, quant à elle, a pris des engagements et publié un premier paquet de mesures contre l’évasion fiscale. M. le secrétaire d’État nous a d’ailleurs indiqué que la future directive serait transposée dans le projet de loi dit « Sapin II ».
Le Sénat a bien souvent pris des initiatives, de manière positive. À cet égard, la commission d’enquête animée par nos collègues Bocquet et Dominati, à laquelle a activement participé Nathalie Goulet au nom du groupe UDI-UC, a été un élément déterminant.
Ce débat est utile. Toutefois, si nous sommes d’accord sur l’objectif du texte proposé par le groupe CRC, nous divergeons sur la méthode pour l’atteindre.
Schématiquement, il existe deux familles juridiques de moyens pour lutter contre la fraude : les techniques d’échanges d’informations entre États, où l’administration joue un rôle déterminant, et les techniques dites de « reporting » et d’affichage public, où c’est finalement au citoyen d’être vigilant et de sanctionner les pratiques frauduleuses, notamment celles des grands groupes, en boycottant leurs produits.
Dès le G20 de Londres, les principaux pays occidentaux ont fait le choix de promouvoir les techniques de l’échange d’informations entre administrations fiscales, de la coopération internationale et de la sanction administrative ou judiciaire coordonnée. Cette méthode a donné des résultats, mais il faudra sans doute aller plus loin. Les échanges automatiques de données fiscales entre États se multiplient et de nombreux pays, qui étaient auparavant connus pour leurs pratiques douteuses et leur secret bancaire, ont fini par capituler et se sont engagés à échanger automatiquement leurs données. Le produit de la lutte contre la fraude fiscale a ainsi fortement progressé en France depuis 2009. M. le secrétaire d’État a rappelé utilement que l’administration fiscale française était vigilante sur ce point. Nous ne sommes cependant pas au bout du chemin.
Un certain nombre de conventions, conçues sur le modèle standard de l’OCDE, ont également été conclues. Elles favorisent l’échange d’informations. Ainsi, la collaboration internationale oblige les gouvernements à trancher et à révéler leurs préférences. Peu d’États assumant publiquement leur souhait de jouer les passagers clandestins de l’évasion fiscale, le nombre de ceux qui refusent d’échanger les informations a tendance à être désormais un peu plus limité.
Je comprends l’impatience de l’opinion publique et de certains de nos collègues face à ce qui peut apparaître comme de la lenteur, il faut bien l’avouer, dans les prises de décisions des instances internationales et européennes, ce sentiment étant parfois renforcé par le délai de transposition de ces dispositifs dans les législations nationales. De ce point de vue, l’engagement pris par M. le secrétaire d’État d’essayer de transposer rapidement dans le projet de loi Sapin II la directive européenne est un point positif.
Le reporting pays par pays est en revanche une technique plus délicate d’emploi me semble-t-il. Cette méthode présente plusieurs inconvénients, qui ont été rappelés par un certain nombre de collègues. J’y reviens rapidement.
Le premier est son caractère antiéconomique. M. le secrétaire d’État a abordé la question constitutionnelle, ainsi que M. le rapporteur, avec des arguments fouillés. Je n’y reviens pas, mais c’est en effet un élément très important. Quant au seuil proposé par nos collègues du groupe CRC, cela a été dit, il paraît effectivement assez bas.
Autre inconvénient : la technique du reporting ne semble pas avoir fait la preuve de son efficacité. La voie qui a déjà été engagée, celle de la coopération internationale, des échanges d’informations et de la coopération fiscale, paraît plus fructueuse.
Il ne faut pas oublier un certain nombre de situations monopolistiques auxquelles il faudrait s’attaquer. Nos concitoyens ne cesseront sans doute pas facilement d’utiliser des iPhones, de passer des commandes sur Amazon ou de consulter Google du seul fait qu’ils connaîtront la situation fiscale de ces entreprises.
Nous réaffirmons notre objectif de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, mais nous ne partageons pas les moyens proposés dans cette proposition de loi. En conséquence, le groupe UDI-UC ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale. En tant que membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, je suis particulièrement heureuse de pouvoir m’exprimer sur ce texte.
Les conséquences de la crise financière et économique qui secoue notre économie de marché depuis 2008 ont conduit de nombreux États, dont ceux de l’Union européenne, à se saisir de la problématique de l’optimisation fiscale. C’est l’objet de la proposition de loi de notre collègue Éric Bocquet. Il faut dire que certains grands groupes, particulièrement bien organisés, ont fait de ce sujet un axe de développement majeur sur lequel repose leur bonne santé financière.
Entre optimisation fiscale et fraude fiscale, vous le savez, mes chers collègues, la frontière est ténue. Le rôle du législateur est donc d’éviter, autant que faire se peut, une trop grande perméabilité entre les deux. En effet, pour les artisans, pour les petites, voire les très petites entreprises françaises, l’optimisation fiscale n’est pas un sujet. Pour ces professionnels, il n’y a pas ou peu de juristes ou de services financiers en mesure de contourner habilement la législation en vigueur. Il est déjà tellement difficile pour les chefs d’entreprise d’être certains que leurs déclarations sont conformes aux règles, lesquelles sont modifiées dans chaque projet de loi de finances, que l’optimisation fiscale reste réservée aux seuls grands groupes.
Au fil des mois, des trimestres, des bilans, le poids des charges, qu’elles soient patronales ou salariales, est tel que, pour ces entrepreneurs, la seule question qui vaille est : « Combien de temps vais-je tenir ? » Il faut dire que les petites entreprises ne peuvent pas exercer de chantage à l’emploi, chaque structure ne comptant qu’un, deux ou trois salariés. Cela étant dit, mis bout à bout, ce tissu économique reste structurant pour nos territoires et son maintien est essentiel, notamment en zone rurale.
Dans le monde de l’artisanat, il n’existe pas de phénomène d’érosion de la base d’imposition ni de transfert des bénéfices vers d’autres États. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous féliciter de l’augmentation des informations disponibles sur les bénéfices et les activités des multinationales, car cela devrait permettre un meilleur contrôle de l’administration fiscale et, par conséquent, une meilleure répartition de l’effort de contribution publique. Pour autant, serons-nous en mesure de corriger efficacement les pertes de recettes fiscales, dont le montant pour l’Union européenne oscille chaque année entre 50 milliards et 70 milliards d’euros ? L’accélération de la mondialisation, l’essor du secteur tertiaire, notamment du numérique, nous conduisent à nous interroger sur le principe de l’égalité devant l’impôt et sur sa territorialité.
À vouloir être exemplaire et laver plus blanc que blanc, ne risque-t-on pas d’être contre-productif ? L’évasion et la concurrence fiscales se jouant à l’échelle mondiale, la France ne doit pas vouloir être trop vertueuse, faute de quoi elle sera pénalisée. C’est alors dans d’autre pays que les multinationales choisiront d’implanter leurs activités.
La Commission européenne a récemment proposé une directive visant à lutter contre l’évasion fiscale, laquelle prévoit des mesures juridiquement contraignantes pour briser les mécanismes d’évasion fiscale. Elle a également élaboré une stratégie extérieure visant à renforcer la coopération avec les partenaires internationaux. C’est pourquoi l’établissement en France d’un seuil de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ferait considérablement augmenter le nombre d’entreprises concernées et pourrait, dans certains cas, exposer inutilement les entreprises à la concurrence et faire peser une menace sur l’emploi. Je tiens d’ailleurs à féliciter notre collègue Philippe Dominati, rapporteur, pour l’excellent travail de fond qu’il a réalisé sur un sujet qu’il connaît bien.
Enfin, comme vous le savez, il existe actuellement une incertitude juridique sur la constitutionnalité du dispositif national de publicité des déclarations.
Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lutter contre l’évasion fiscale est une nécessité, plus que jamais en période de crise économique. La fraude fiscale coûterait chaque année, vous le savez, entre 60 milliards et 80 milliards d’euros à la France, soit près du quart de nos recettes fiscales brutes et six fois le déficit de la sécurité sociale.
L’évasion fiscale pèse aussi sur la capacité de la communauté internationale à résoudre collectivement les grands problèmes globaux, tels que le sous-développement ou le réchauffement climatique. En 2010, les pays en développement ont vu s’envoler vers les paradis fiscaux plus de 850 milliards de dollars, soit dix fois les montants d’aide internationale reçue cette même année.
Les stratégies d’optimisation et de transfert vont aussi de pair avec les fléaux du blanchiment de l’argent criminel et de la corruption. C’est ce que souligne notamment le GOPAC, l’Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption, dont je promeus le développement en France. Outre l’enjeu éthique, c’est aussi le principe de saine concurrence qui est mis à mal. Et je ne parle pas du coût politique de scandales comme celui des « Panama papers » !
Il y a beaucoup d’hypocrisie autour de l’évasion fiscale. D’un côté, et c’est bien facile, mes chers collègues, on assimile les expatriés à des exilés fiscaux ; de l’autre, on ne prête pas attention aux montants colossaux détournés de la fiscalité française par certains grands groupes. Le Gouvernement ne montre pas toujours l’exemple, comme lors du renouvellement du contrat entre le ministère de la défense et Microsoft Europe. Ayant son siège social à Dublin, l’entreprise ne paie que très peu d’impôts en France, malgré un récent redressement fiscal.
Il y a beaucoup d’hypocrisie aussi dans la riposte aux « Panama papers ». Placer un État sur une liste noire a des retombées diplomatiques graves, mais une efficacité fiscale quasi nulle, surtout tant que d’autres territoires, y compris au cœur de l’Europe ou des États-Unis, restent en dehors de la liste. Le seul impact est médiatique, symbolique. Plutôt que de stigmatiser certains pays, mieux vaudrait mettre en place des mesures pour dissuader nos ressortissants et nos entreprises de s’engager dans de telles aventures fiscales. Dans la mesure où certains montages ne sont pas illégaux et bénéficient d’une zone grise, la meilleure arme reste la transparence.
C’est ce que propose la présente proposition de loi. C’est la raison pour laquelle, malgré les réticences de la commission des finances et de plusieurs groupes politiques, je suis, à titre personnel, plutôt favorable à ce texte. (Marques de satisfaction et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Il est reproché à cette proposition de loi d’aller plus loin que ce que préconise la Commission européenne. Mais se retrancher derrière de futures évolutions européennes me semble peu responsable. Faire de l’Europe le bouc émissaire de notre propre inertie est aussi le meilleur moyen de détourner les citoyens de la construction communautaire, d’autant que, en l’occurrence, les mesures préconisées ne créent pas de dumping : elles n’ont trait qu’à la transparence, pas à des évolutions directes de la législation fiscale. Si une transparence accrue devait conduire des entreprises à payer plus d’impôts, c’est bien parce qu’elles auraient profité de l’opacité pour contourner la loi.
L’autre argument est celui du dévoilement d’informations susceptibles d’être utilisées par des concurrents. Là non plus, je ne suis pas totalement convaincue, même si la compétitivité de nos entreprises à l’international est une de mes très grandes préoccupations.
S’agissant des grandes entreprises, qui sont les seules à être concernées par le texte, les concurrents ont déjà facilement accès aux informations que la proposition de loi propose de dévoiler. Les informations seraient agrégées par pays, et non par filiale, ce qui limiterait les risques d’exploitation par les concurrents. Notons d’ailleurs que les plus petites entreprises fournissent déjà la plupart de ces informations à travers le registre du commerce, consultable par tous. Généraliser la transparence serait donc sain pour la concurrence.
La dernière divergence majeure porte sur le degré de dévoilement des informations : ces dernières ne doivent-elles être accessibles qu’à la seule administration fiscale ou doivent-elles l’être de manière plus large, notamment aux journalistes, aux associations et aux ONG travaillant sur ces questions ? Ne nous voilons pas la face, si les dernières affaires ont pu être mises au jour, c’est bien grâce à la persévérance de la société civile. S’agissant de pratiques non éthiques, mais profitant d’un certain flou juridique, et donc d’une relative légalité, l’administration n’a souvent pas les moyens d’agir. Seule la transparence publique peut faire bouger les lignes.
Certaines dispositions du texte mériteraient d’être retravaillées, comme l’ampleur exacte des informations à divulguer ou le seuil à partir duquel il est pertinent d’imposer l’exercice de transparence aux entreprises. Pour ces raisons, je m’abstiendrai sur ce texte, même si, je le répète, je suis globalement favorable à l’esprit de cette proposition de loi.
M. Thierry Foucaud. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’espère en tout cas que le débat d’aujourd’hui, dont l’issue semble connue d’avance si l’on en juge par les prises de position de mes collègues, nous aidera à préparer des avancées constructives dans le cadre du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, sur lequel nous aurons bientôt à nous prononcer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi avant toute chose de saluer le travail et le rapport de qualité de Philippe Dominati.
La proposition de loi s’inscrit dans une actualité récente marquée par des révélations mettant en lumière le scandale des « Panama papers », qui n’ont fait qu’augmenter le sentiment dans l’opinion publique que l’évasion fiscale était organisée à grande échelle par certaines entreprises. Ce texte intervient aussi dans un contexte où les réflexions autour de la lutte contre les phénomènes d’évasion et d’optimisation fiscales sont nombreuses.
La proposition de loi rouvre un débat qui a déjà eu lieu au mois de décembre dernier lors de l’examen des textes budgétaires. Elle prévoit de lutter contre l’optimisation fiscale de certaines entreprises, en allant plus loin que ce que préconisent l’OCDE et la Commission européenne, ce qui risque de remettre en cause la compétitivité de certaines entreprises françaises.
M. Jean-François Husson. Voilà !
Mme Nicole Duranton. Mes chers collègues, un certain nombre d’entre vous l’ont rappelé, un changement majeur est intervenu depuis le dépôt de cette proposition de loi. Le 12 avril dernier, la Commission européenne a en effet rendu publique une proposition visant à introduire des déclarations publiques d’activités, et ce pays par pays. Celle-ci se fonde sur une étude d’impact réalisée au second semestre de 2015. Le seuil retenu est un chiffre d’affaires annuel supérieur ou égal à 750 millions d’euros. Celui qui est proposé aujourd'hui – un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros – ne me semble donc pas raisonnable, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, ce seuil englobe un trop grand nombre d’entreprises, lesquelles se verraient, une fois de plus, imposer des contraintes supplémentaires, dans un climat économique complexe pour les plus modestes d’entre elles. Si le seuil fixé par l’OCDE – un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros – concerne 200 groupes en France, celui de cette proposition de loi – le rapporteur l’a très bien décrit – viserait plus de 5 000 entreprises et environ 5,2 millions de salariés. Cela engloberait des entreprises de taille intermédiaire, bien souvent dépourvues des moyens humains suffisants pour produire de telles déclarations.
Ensuite, dans le domaine de la transparence financière, la France est en avance, notamment avec la création d’un parquet national financier et la mise en place du reporting pays par pays pour les banques. Néanmoins, compte tenu des risques en termes de compétitivité pour nos entreprises, la réflexion autour de l’introduction de déclarations d’activités ne peut se faire qu’à l’échelle européenne, d’autant que le rapport coût-avantage d’une telle mesure n’atteint son point d’équilibre que lorsque les entreprises d’un certain nombre de pays y sont soumises.
Enfin, il existe des incertitudes juridiques quant à l’introduction d’un dispositif de déclarations publiques par une norme nationale. Il n’est qu’à se référer à la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2015. En matière de lutte contre les stratégies fiscales des grandes entreprises, l’efficacité d’un dispositif uniquement national demeure très incertaine.
Laissons sa chance à la proposition européenne et cessons de toujours vouloir forcer les choses par des mesures nationales, surtout en matière d’économie et de finances. Nos entreprises en souffrent déjà beaucoup.
Ainsi, le seuil de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires pourrait se révéler contre-productif au regard de celui qui est appliqué à l’échelle européenne. Pourquoi nos entreprises devraient-elles être toujours plus contraintes ? Pourquoi les entreprises françaises devraient-elles être toujours plus transparentes que les autres entreprises européennes ? On ne peut pas faire de la transparence ou de la morale dans un seul et unique pays. Cette question doit être travaillée à l’échelon international.
M. Jean-François Husson. Tout à fait !
Mme Nicole Duranton. Cessons d’isoler la France !
Par conséquent, je ne suis pas favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je remercie l’ensemble des orateurs de la responsabilité dont ils ont fait montre dans leurs propos, responsabilité qui n’empêche nullement la passion… Sur ce sujet, nous avons un devoir de précision, d’information et, surtout, de pédagogie à l’égard de nos concitoyens. En effet, la situation n’est pas toujours aussi binaire que certains l’affirment ou que certains de nos concitoyens l’entendent.
Les différences d’appréciation sur les seuils ou l’opportunité d’adopter le texte qui vous est aujourd'hui soumis ne doivent pas masquer l’effort collectif pour avancer dans la lutte contre la fraude fiscale qui a été accompli par notre pays, souvent par le Parlement. N’oublions pas que l’Assemblée nationale comme le Sénat ont souvent été à l’initiative de textes et d’amendements en ce sens.
Il faut donc réconcilier nos concitoyens avec la démarche politique globale, car, en cette matière – ce débat le démontre –, l’objectif est le même. Je n’ai en effet pas entendu de divergences fondamentales, malgré des sensibilités politiques différentes. Leur faire prendre conscience que leurs gouvernants, quelles que soient les périodes, visent à rétablir de l’équité et de la justice fiscales est une nécessité. Il est vrai que, dans le passé, certains événements concernant des pays, des entreprises, des personnes, des affaires ont provoqué doute et suspicion. Reste que des progrès considérables ont été réalisés dans ce domaine, notamment en France.
La France a conclu avec certains pays des conventions fiscales qui fonctionnent à merveille ; certes, avec certains autres, le résultat est moins probant. J’ai bien entendu les déclarations de la magistrate qui dirige le Parquet national financier : oui, il reste des progrès à faire, mais il existe des échanges avec de nombreux pays – et pas des moindres – permettant des contrôles et des redressements ! D’ailleurs, certaines affaires en cours surprendraient même bon nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Pointons les avancées qui ont été réalisées, qu’il s’agisse de l’outil fourni à l’administration fiscale pour prendre connaissance des informations pays par pays ou des rulings, qui ont souvent été au cœur des discussions. Aujourd’hui – c’est là un point majeur –, l’administration fiscale peut connaître les rulings de la plupart des pays qui sont cités dans ces affaires. Certains voudraient aller plus loin, notamment sur la question du seuil, en fixant celui-ci à 40 millions d’euros de chiffres d’affaires. Le jour où il ne nous restera que cette question à régler,…
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Ça ira !
M. Thierry Foucaud. Réglons-la tout de suite alors !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. La nature des informations peut, à la marge, faire elle aussi l’objet d’un certain nombre d’ajustements, reconnaissons-le. Je pense à la question de la globalisation, pour les pays extérieurs à l’Union européenne, comme André Gattolin l’a souligné. C’est un point qu’il faudra discuter.
Aujourd'hui, au regard de la décision rendue le 29 décembre dernier par le Conseil constitutionnel, la question de la constitutionnalité du dispositif est fondamentale. Vous le savez, le Conseil constitutionnel a considéré que la publication de ces informations fiscales remettrait en cause la liberté d’entreprendre. Il ne m’appartient évidemment pas de remettre en cause cette décision. Reste qu’elle nous impose d’attendre la rédaction d’une disposition européenne permettant de surmonter cet obstacle constitutionnel. Nous pourrons ainsi nous appuyer sur l’autre obligation constitutionnelle qu’est la transposition des directives européennes pour dépasser cette difficulté. Nous n’en sommes pas tout à fait à ce stade, mais nous n’en sommes pas loin.
Certains d’entre vous ont fait remarquer que nous y étions parvenus pour le reporting bancaire. Je me souviens parfaitement de cet épisode, j’étais alors rapporteur général de l’Assemblée nationale. Si nous avons pu le faire, c’est parce que l’élaboration de la directive européenne était bien avancée – elle a d’ailleurs été adoptée quelques semaines ou quelques mois après – : elle était déjà tout à fait connue et faisait l’objet d’un travail approfondi au sein de l’Union européenne. Le gouvernement de l’époque avait alors pu émettre un avis favorable sur l’amendement parlementaire lors de l’examen de la loi bancaire.
De nombreux chiffres circulent sur la fraude fiscale, son niveau, son montant. Le Sénat a rédigé un rapport sur le sujet, tout comme l'Assemblée nationale d’ailleurs. De nombreux autres travaux sont menés, y compris à l’échelle européenne. Restons prudents : par définition, la fraude, c’est quelque chose qui est dissimulé.
Certains l’ont évoqué, la fraude est parfois très proche de l’optimisation fiscale agressive, voire de l’optimisation fiscale tout court. Pour parler de fraude fiscale, il faut bien identifier les curseurs et, sur ce sujet, les jurisprudences sont extrêmement nombreuses. Ce que certains considéreraient comme de la fraude n’est parfois que l’utilisation rusée, agressive, maligne – peu importe le terme – d’une législation qui laisse malheureusement des failles que les cabinets fiscalistes exploitent très habilement et très rapidement, s’adaptant au fur et à mesure aux changements de législation que nous pouvons nous-mêmes conduire.
Sur tous ces sujets – délimitation entre ce qui relève de la fraude fiscale et ce qui ressortit à l’optimisation fiscale, obstacle constitutionnel, etc. –, il me semble urgent que soit élaborée une directive européenne, que nous transposerons immédiatement – le Gouvernement s’y engage. Pour autant, je le répète – et j’ai mandat pour le faire –, lors de l’examen du projet de loi Sapin II, peut-être des avancées auront-elles eu lieu à l’échelon européen et aurons-nous alors trouvé une formule dont la rédaction intelligente concilie la question de la date d’entrée en vigueur d’une disposition nationale et l’adoption d’une directive européenne. À ce moment-là, les questions de seuil et de contenus pourront faire l’objet d’un débat.
De grâce, n’accréditons pas l’idée que ne pas parvenir à un accord aujourd'hui serait un signe de faiblesse, de complaisance ou de protection. Ce débat a été intéressant, utile, et j’imagine que nous aurons l’occasion d’y revenir prochainement. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale
Article 1er
Après le I de l’article L. 232-23 du code de commerce, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Les sociétés cotées et celles qui, à la date de clôture du bilan, dépassent les limites chiffrées d’au moins deux des trois critères suivants :
« a) Total du bilan : 20 000 000 € ;
« b) Chiffre d’affaires net : 40 000 000 € ;
« c) Nombre moyen de salariés au cours de l’exercice : 250 ;
« publient des informations sur leurs implantations, incluses dans le périmètre de consolidation dans chaque État ou territoire, au plus tard six mois après la clôture de l’exercice.
« Les informations suivantes sont publiées pour chaque État ou territoire :
« 1° Dénominations, nature de leurs activités et localisation géographique ;
« 2° Chiffre d’affaires ;
« 3° Nombre de leurs salariés sur une base équivalent temps plein ;
« 4° Valeur de leurs actifs et coût annuel de la conservation desdits actifs ;
« 5° Ventes et achats ;
« 6° Résultat d’exploitation avant impôt ;
« 7° Impôts payés sur le résultat ;
« 8° Subventions publiques reçues.
« Pour les informations mentionnées aux 1° à 8° du présent I bis, les données sont agrégées à l’échelle de ces États ou territoires. »