M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, en remplacement de M. Alain Anziani, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me revient de vous présenter le sens de l’avis de la commission des lois sur le seul article 2 bis relatif au préjudice écologique, à la place de notre collègue Alain Anziani, en déplacement. Il m’est d’autant plus facile de le faire que la qualité du travail conjoint de notre collègue et du rapporteur, Jérôme Bignon, a été saluée par la commission des lois qui a suivi l’intégralité de leurs propositions.
Sans conteste, l’ajout de ce dispositif au projet de loi constituera l’un des apports importants du Sénat. Nous ne pouvons que nous féliciter du concours heureux de volontés qui ont permis cette avancée. Cela illustre, une nouvelle fois, le succès que rencontre le Sénat lorsqu’il s’empare, sans esprit partisan, de sujets d’une vive actualité.
Le premier mérite en revient à notre collègue Bruno Retailleau, qui a déposé, le 23 mai 2012, une proposition de loi sur le sujet. Celle-ci fut rapportée au nom de la commission des lois par notre collègue Alain Anziani et adoptée, dans la rédaction qu’il avait proposée, à l’unanimité par notre assemblée. Ni le Gouvernement ni les députés n’ayant souhaité s’emparer de ce sujet à leur tour, il nous aura fallu attendre l’heureuse initiative de notre collègue rapporteur Jérôme Bignon et de la commission du développement durable pour redonner vie à cette proposition de loi, à l’article 2 bis du présent texte.
Les députés ont, cette fois, accepté ce que nous leur proposions, en modifiant toutefois largement le dispositif.
Nos deux commissions ayant constitué un groupe de travail commun pour parfaire le dispositif proposé, nos deux rapporteurs, Jérôme Bignon et Alain Anziani, dont je loue, une nouvelle fois, la qualité de la collaboration, ont déposé une douzaine d’amendements, tous adoptés par nos deux commissions, et à l’unanimité par la commission des lois.
Quel est l’esprit de la réforme proposée ? Nos deux commissions ont tout d’abord veillé à la simplicité du dispositif. La simplicité, en matière de responsabilité, est en effet gage d’efficacité.
La rédaction des députés présentait un inconvénient. En prévoyant que « toute personne qui cause un dommage à l’environnement est tenue de le réparer », elle organisait un régime de responsabilité personnelle spécifique et supprimait toute référence à la responsabilité pour le fait des choses dont on a la garde ou pour le fait des personnes dont on répond. Ainsi, nous aurions pu poursuivre en responsabilité l’ouvrier qui a ouvert les vannes causant la pollution, mais pas la compagnie qui l’emploie !
Nous avons préféré retenir le principe que « toute personne responsable d’un dommage anormal causé à l’environnement est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte ». Ainsi, nous pouvons nous appuyer sur tous les types de responsabilités, pour faute et sans faute, personnelle ou du fait d’autrui, que prévoient déjà les articles 1382 à 1385 du code civil, certes anciens, mais très bien rédigés. Pourquoi réinventer ce qui existe déjà ?
Le même souci de simplicité et d’efficacité nous a conduits à retenir une rédaction adaptée, dans sa précision et sa concision, au code civil. Plutôt que de parler « d’atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement », nous avons retenu la notion de « dommage anormal », qui fait directement écho aux troubles anormaux de voisinage.
De la même manière, nous avons supprimé les dispositifs prévoyant, systématiquement, que le juge civil devra surseoir à statuer lorsqu’une « procédure administrative » est engagée tendant à la réparation du même préjudice. Outre l’imprécision de cette rédaction – qu’est-ce qu’une procédure administrative ? –, il faut éviter d’encourager la guérilla procédurale, qui servirait seulement à différer, le plus longtemps possible, la condamnation de l’auteur du dommage.
Il est plus simple de s’en remettre à l’appréciation du juge, qui peut discrétionnairement, ou à la demande des parties, prononcer ce sursis à statuer, en vertu de l’article 378 du code de procédure civile. Pour la même raison, nous avons supprimé l’obligation faite au juge de tenir compte des mesures de réparation déjà ordonnées : cela va de soi et se pratique tous les jours dans nos tribunaux. Je suis conscient que cette précision superfétatoire est destinée à rassurer ceux qui craindraient le contraire, mais faut-il transformer la loi en panneau clignotant signalant un danger qui n’existe pas ?
Nos deux commissions ont par ailleurs veillé à garantir l’efficacité de la réparation du préjudice écologique. Nous avons tout d’abord précisé ce qu’il convient d’entendre par réparation en nature : il s’agit soit de supprimer le dommage, soit de le réduire, soit de le compenser. Cette rédaction s’inspire des propositions du groupe de travail présidé par François Terré sur la réforme du droit de la responsabilité.
Nous avons ensuite restreint le périmètre des personnes ayant qualité à agir : il faut éviter que l’action échoue, faute d’avoir été engagée par quelqu’un en mesure de la porter. Outre l’État, les collectivités territoriales et l’Agence française pour la biodiversité, seules les associations agréées ou celles ayant plus de cinq ans d’existence pourraient agir. Enfin, nous avons fait de l’Agence française pour la biodiversité la structure compétente en dernier ressort pour assurer la réparation du dommage ou sa compensation.
Je souhaite signaler deux dispositifs innovants créés sur l’initiative de nos deux commissions. Le premier consiste à prévenir, plutôt que guérir, en permettant aux requérants d’agir pour faire cesser le trouble illicite causé par l’auteur du dommage, afin d’éviter que le préjudice n’empire. Le second vise à permettre à ceux qui ont qualité pour agir d’être substitués aux droits du premier requérant défaillant : ainsi d’autres pourront prendre la suite de ceux qui n’auront pu conduire l’action en réparation jusqu’au bout.
Enfin, nous nous sommes attachés à la bonne application dans le temps du nouveau dispositif. Nous avons considéré qu’il convenait de traiter le préjudice écologique comme le préjudice corporel – ce n’est pas une révolution juridique ! –, en fixant le délai de prescription à dix ans, mais seulement à compter du moment où l’on connaît le dommage, sans le butoir à cinquante ans à partir du fait générateur du dommage.
Par ailleurs, nous avons confirmé que les nouvelles règles s’appliqueraient aussi aux dommages nés de faits générateurs antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, sauf si une action judiciaire a déjà été engagée. Il s’agit, bien sûr, des dommages réparables sur le plan civil et certainement pas d’une éventuelle action pénale !
Mes chers collègues, notre responsabilité est grande, parce que le Sénat est à l’origine de l’intégration de cet article sur le préjudice écologique dans le texte. Ne décevons pas les attentes que nous avons fait naître. La rédaction que nous vous proposons aujourd’hui vise à donner à ce dispositif la force qu’il requiert, en l’assortissant des garanties que le bon sens commande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer une nouvelle fois le travail exceptionnel mené par Jérôme Bignon, ainsi que son engagement et son implication sur ce texte qui lui doit beaucoup.
Je voudrais aussi me féliciter de l’excellente collaboration de notre commission avec la commission des lois pour élaborer le dispositif qui vous est proposé sur la réparation du préjudice écologique.
Nous avions, en effet, introduit en première lecture dans ce projet de loi les dispositions de la proposition de loi adoptée il y a trois ans sur l’initiative de Bruno Retailleau. Nous étions convenus de la nécessité d’améliorer ce texte entre les deux lectures. Nous avons souhaité que ce travail soit effectué en collaboration étroite avec la commission des lois. C’est un bon exemple de travail en commun, et je remercie le président de la commission, Philippe Bas, et le rapporteur pour avis, Alain Anziani, que François Pillet représente aujourd’hui.
Je voudrais souligner les très substantiels apports du Sénat au texte que nous examinons aujourd’hui, madame la secrétaire d’État. En effet, entre le texte initial déposé par le Gouvernement il y a maintenant un peu plus de deux ans et le texte qui résulte de nos délibérations de première lecture et des deux examens successifs par la commission que je préside, on peut incontestablement relever une différence. Celle-ci tient à l’approche du Sénat, que l’on peut caractériser d’un triple point de vue.
Première différence d’approche, le Sénat, comme toujours lorsqu’il imprime sa marque sur les projets de loi, a vraiment pris en compte la réalité économique.
Cela signifie que, tout en étant convaincus de la nécessité de préserver notre exceptionnelle biodiversité, nous n’en avons pas moins écouté celles et ceux qui sont à son contact quotidiennement, que ce soient les agriculteurs, les chasseurs, les gestionnaires d’espaces naturels ou encore nos compatriotes ultramarins, tant la richesse de la biodiversité dans nos territoires d’outre-mer est grande.
Le texte que nous avons élaboré a donc un aspect pragmatique, ancré dans la réalité économique, qui manquait au texte de l’Assemblée nationale. Cela s’est traduit directement en première lecture dans l’équilibre trouvé pour la gouvernance de la biodiversité. Je pense au conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité et à celui de l’ONCFS, à propos desquels l’Assemblée nationale nous a en très grande partie suivis.
Dans un autre ordre d’idées, la suppression par la commission de la taxe sur l’huile de palme, que l’on soit pour ou contre cette mesure, s’est exclusivement appuyée sur un impératif économique, celui du respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui interdisent de mettre en place ce type de taxation discriminatoire.
Deuxième différence d’approche avec l’Assemblée nationale : le souci permanent de la simplification. Chaque fois que cela était possible, nous avons eu à cœur de simplifier, d’alléger ou de supprimer des dispositifs excessivement complexes ou procéduriers.
Je pense par exemple à la compensation écologique. Celle-ci répond à une finalité dont nous ne remettons à aucun moment en question le caractère indispensable. Toutefois, son succès et sa bonne mise en œuvre dépendent à l’évidence de la souplesse des outils et des procédures pour les acteurs de terrain.
Est-il utile d’instituer une procédure d’agrément, inévitablement lourde et coûteuse, pour ceux qui savent faire cette compensation et qui, de toute façon, sont soumis à des contrôles ?
Je prendrai un autre exemple, que l’on a déjà évoqué, à savoir le préjudice écologique. Notre choix n’est pas d’instituer une construction juridique ultra-élaborée intellectuellement, pour nous faire plaisir. Nous avons cherché à insérer cette nouvelle responsabilité dans le droit existant et dans les procédures que connaissent les juges, à savoir celles du droit de la responsabilité dans le code civil. C’est à cette condition que la notion de préjudice écologique sera acceptée et efficace. Le Sénat a, là encore, le souci de ceux qui auront à mettre en œuvre les règles et procédures que nous votons.
Enfin, troisième différence d’approche, la confiance aux acteurs de terrain. Par exemple, quand notre commission décide de nouveau, en deuxième lecture, de supprimer les zones de protection de la biodiversité, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire ! Nous sommes allés en Alsace, sur le terrain du grand hamster, à la rencontre de tous ceux qui sont concernés par cette question. Nous avons vu que, grâce au dialogue et à la concertation, on peut trouver des solutions adaptées et pragmatiques, sans avoir à les imposer brutalement de Paris. Nous croyons en la nécessité de systématiser une telle approche, en faisant confiance aux acteurs.
Vous l’avez compris, madame la secrétaire d’État, nous souhaitons que le bon sens du Sénat, qui n’a jamais remis en cause l’ambition du projet de loi, soit présent dans le texte jusqu’à son vote final. Nous comptons d’ailleurs sur vous pour porter cette exigence auprès de nos collègues députés.
En effet, nous espérons, je le dis dès à présent, que la commission mixte paritaire sera en mesure d’adopter un texte. De notre côté, il n’y a nulle volonté électoraliste et politicienne.
M. Charles Revet. Il n’y en a pas !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Sur tous les sujets, y compris sur celui, très difficile, des néonicotinoïdes, sur lequel les médias se sont focalisés – nous en avons pour preuve les nombreux mails qui nous sont envoyés et les tweets qui sont émis –, nous pensons qu’une solution est possible, si nous réussissons à sortir des postures idéologiques.
C’est en tout cas le vœu que je forme. Si nous adoptons un texte permettant d’aboutir à un texte commun en commission mixte paritaire, nous aurons fait œuvre utile pour la préservation du patrimoine naturel inestimable de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, protéger la nature sans entraver le progrès, préserver l’existant tout en préparant l’avenir, concilier biodiversité et activités humaines, assurer la compatibilité de ces dernières entre elles pour garantir un accès équitable de tous au patrimoine commun, tel est le périlleux exercice auquel nous nous soumettons à nouveau au sein de cet hémicycle.
Les deux assemblées ont pleinement joué leur rôle et apporté des améliorations notables à chaque lecture de ce projet de loi, pour lequel la procédure accélérée n’a pas été engagée. Au cours de cette dernière lecture par le Sénat, nous continuerons d’agir ainsi.
La création de l’Agence française pour la biodiversité, sa composition en cinq collèges représentant tous les acteurs socioéconomiques et la très grande majorité de ses missions ont été actées.
L’instauration de nouveaux instruments dans notre droit que sont les obligations réelles environnementales ou les mesures de compensation permettra de préserver la biodiversité sans remettre en cause les activités humaines. Des sujets d’une grande complexité à la fois technique et juridique ont été au cœur de nos débats.
Il en a été ainsi de la mise en place du dispositif d’accès aux ressources génétiques et du partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. La « biopiraterie » doit être combattue, et nous avons tous à l’esprit des exemples tels que la stévia, édulcorant naturel, dont les effets gustatifs et thérapeutiques ont été découverts par des Indiens guarani d’Amérique du Sud. Elle fait désormais l’objet de demandes de brevets déposés par les grandes firmes.
Nous maintiendrons notre position en proposant, une nouvelle fois, de limiter les contributions financières dues par les entreprises utilisant les ressources génétiques à des fins commerciales à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes, au lieu des 5 % proposés par l’Assemblée nationale. À notre sens, c’est une réponse plus équilibrée si l’on ne veut pas entraver la recherche, qui bénéficie, elle aussi, à tous.
Je me félicite en outre de la réintroduction en commission des dispositions relatives à l’entrée en vigueur du dispositif, car ce n’est pas en ignorant le problème que celui-ci disparaît.
Par voie d’amendement, le Sénat a intégré dans le débat des questions essentielles, qui ont toute leur place au sein du présent projet de loi. J’en évoquerai deux : la brevetabilité du vivant et la reconnaissance du préjudice écologique.
S’agissant du préjudice écologique, le dispositif a été utilement complété par l’Assemblée nationale, puis en commission, grâce au travail de nos collègues Alain Anziani et Jérôme Bignon. Après une longue gestation, juridictions, juristes et législateurs auront permis la reconnaissance par le droit du préjudice écologique pur, devant être réparé en priorité en nature. Ce qui nous fera encore défaut pour l’application de ce texte, c’est la nécessaire expertise de tribunaux et de juges spécialisés dans un droit qui demeure complexe.
Sur la brevetabilité du vivant, nous ne contestons pas, par principe, les évolutions intervenant en matière de biotechnologie. Nous aurons, dans les prochaines années, à relever un défi alimentaire, en augmentant la production agricole tout en produisant durablement.
Il reste du chemin à parcourir pour simplifier et adapter le droit national et le droit européen aux nouvelles techniques, alors que la frontière entre ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas est ténue et que des dérives peuvent toujours avoir lieu.
Enfin, je tiens à évoquer les dispositions concernant les produits phytopharmaceutiques de la famille des néonicotinoïdes. Si nos points de vue convergent s’agissant de la nécessité de trouver des moyens de substitution lorsque l’évaluation scientifique établit que certains usages et substances comportent des risques avérés sur la santé et/ou l’environnement, ils divergent pour ce qui concerne les solutions.
Faut-il interdire toutes ces substances ? Ne peut-on pas encadrer leur usage efficacement ? Peut-on véritablement le contrôler ? Mes chers collègues, gardons à l’esprit que les néonicotinoïdes sont venus remplacer les organophosphorés et les carbamates à fort impact neurotoxique chez les mammifères. Le pragmatisme s’impose : le progrès scientifique est aussi une réalité, qu’il ne faut pas refuser. (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)
Il reste à étudier des solutions de substitution et les risques qu’elles impliquent. Toutefois, n’oublions pas que la mortalité des pollinisateurs est multifactorielle : autres pesticides, changements climatiques, pollutions en tout genre, agents pathogènes tels que la varroase, ou encore espèces exotiques envahissantes.
Mes chers collègues, notre intime conviction, c’est qu’il convient d’utiliser modérément et raisonnablement le principe de précaution. La recherche est par nature incertaine et il n’y a pas de savants fous. Il y a surtout des personnes passionnées par la science et le progrès, qui n’ont pas attendu l’insertion de ce principe dans la Constitution pour l’appliquer. Nous devons avoir confiance en eux. N’ayons pas peur de la science !
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Jean-Claude Requier. Cessons d’opposer science et biodiversité. L’homme a besoin des deux, et les radicaux, comme le groupe du RDSE, ont toujours eu pour priorité l’avenir de l’homme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. C’est le plus important !
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis désolée de le dire, nous sommes entrés de plain-pied dans la campagne électorale, et ce texte est l’un des premiers à en souffrir.
La « reconquête de la biodiversité » a cédé la place à la reconquête politique. J’en veux pour preuve les reculs, retours en arrière et offensives menées sur tous les sujets, qui visent purement et simplement à illustrer le slogan devenu célèbre : « L’environnement, ça commence à bien faire. » (M. Ronan Dantec applaudit.)
Pourtant, en première lecture, c'est-à-dire dans un passé pas si lointain, un travail sérieux et approfondi avait été mené, avec la volonté de trouver des compromis satisfaisants, d’imprimer la marque du Sénat et de s’inscrire dans une trajectoire de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Cela attestait, semblait-il, d’une prise de conscience, sur toutes les travées, des atteintes à la biodiversité, de l’effondrement des espèces – je me souviens que tous les orateurs en ont parlé dans la discussion générale –, de la prolifération anarchique des déchets en milieu marin ou encore des risques pour la santé liés à l’utilisation massive de produits chimiques nuisibles aux êtres vivants.
La deuxième lecture, destinée habituellement à préciser ou améliorer un texte et à trouver un accord avec l’Assemblée nationale, se veut ici une réécriture. En témoigne notamment la volonté de changer le titre du projet de loi par voie d’amendement.
Les lobbys s’en sont donné à cœur joie, nous le sentons bien au travers de l’ensemble des amendements déposés dans le cadre de cette deuxième lecture.
Pourtant, nous sommes plus que jamais persuadés que l’état de notre environnement, les questions de climat, de préservation des ressources et de protection de la biodiversité sont déterminants pour l’avenir de l’humanité et de l’économie.
Bien sûr, des avancées ont été obtenues, qu’il ne convient pas de nier. Ainsi 58 articles ont-ils déjà été votés conformes, M. le rapporteur l’a dit. Des questions importantes, comme le travail de définition, la création d’outils de protection adaptés à la biodiversité terrestre, aquatique et marine, les obligations et sanctions renforcées en cas d’atteinte à la biodiversité comme la reconnaissance du préjudice écologique et la transposition du protocole de Nagoya, ont trouvé une traduction législative utile.
Les avancées en matière de protection, comme la brevetabilité du vivant et la lutte contre les pollutions de la mer, sont à mettre au crédit de ce texte. Même si, concernant le brevetage du vivant, sujet qui me tient particulièrement à cœur, l’adoption d’un amendement de notre collègue Cyril Pellevat a affaibli le principe posé en première lecture par notre Haute Assemblée, selon lequel personne ne peut s’approprier la nature. Ce sujet me paraissant important, j’y reviendrai à l’article 4 bis.
De même, nous pouvons regretter la timidité du Parlement français concernant le chalutage en eaux profondes, un sujet que notre groupe avait introduit en commission en première lecture.
J’ajoute aussi à cette liste une prise de conscience grandissante, grâce aux débats, des parlementaires et de nos concitoyens, qui se mobilisent de plus en plus sur des questions de santé, l’usage des pesticides, l’utilisation souvent abusive et monopolistique des OGM. Toutes ces problématiques se rejoignent et relèvent au fond d’une seule question : pouvons-nous continuer à empoisonner la planète en pensant que cela n’aura pas d’incidence, à terme, sur le vivant et l’activité économique ? La réponse est clairement non !
C’est la raison pour laquelle nous ne devons pas baisser les bras. Ce texte peut encore évoluer positivement, et nous nous y emploierons.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Très bien !
Mme Évelyne Didier. Nous porterons des propositions et des questions, notamment sur l’action de groupe dans le domaine environnemental, les limites du secret industriel et commercial, le frelon asiatique, le principe ERC – éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel –, l’agrément des opérateurs et les néonicotinoïdes, pour n’en citer que quelques-unes.
Je voudrais maintenant aborder la question de l’Agence française pour la biodiversité, qui est au cœur de ce texte.
Si les communistes ont toujours regretté la perte de compétences des ministères, qui vise à réduire le rôle de l’État en transférant lesdites compétences à des agences, nous pensons qu’il est nécessaire de favoriser la lisibilité et la cohérence des actions menées. C’est la raison pour laquelle nous continuerons à proposer que l’Agence française pour la biodiversité soit le lieu de la concertation de toutes les parties concernées par la biodiversité. L’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, n’en est pas la moindre. De ce fait, il doit tout faire pour collaborer avec les autres acteurs.
M. Michel Raison. On le dépouille !
Mme Évelyne Didier. Allons, mon cher collègue, personne ne dépouille personne ! On est allé chercher un gros canon pour détruire une mouche.
Je dois dire à ce sujet que la charge menée par les partisans de cet office, sur tous les bancs, est disproportionnée et, in fine, contraire à l’intérêt général. C’est une défense partisane et catégorielle, alors qu’il existe, j’en suis convaincue, des voies pour une coopération fructueuse de toutes les parties, qu’il convient d’appeler de nos vœux.
Pour en revenir à l’AFB, les moyens qui lui seront donnés et la reconnaissance des métiers et des personnes conditionnent la réussite de ce projet. En première lecture, j’avais fait le vœu que les personnels soient davantage reconnus et associés et les métiers, valorisés. J’aimerais d’ailleurs, madame la secrétaire d’État, que vous puissiez faire le point sur ce sujet au cours de nos débats.
Nous aborderons bien sûr les questions fiscales. La fiscalité carbone a surtout fait la preuve de son inutilité et de son échec. Les redevances nouvelles envisagées dans ce texte, si elles taxent à nouveau les citoyens de manière disproportionnée, à l’instar des redevances des agences de l’eau, seront injustes socialement. Faisons donc attention !
Enfin, nous devrons, sur la question du vivant, abandonner le vocabulaire et les outils de l’économie de marché : rentabilité, productivité, banque d’actifs, n’ont rien à faire, nous en sommes convaincus, dans la protection des conditions de la survie des espèces, particulièrement de l’espèce humaine.
Plus que jamais, nous devons le dire, ce qui compte, c’est d’abord l’humain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Jean-Jacques Filleul applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après la loi relative à la transition énergétique et la COP 21, ce projet de loi pour la reconquête de la biodiversité est un nouveau pas en faveur de l’avenir de notre planète. L’érosion de la biodiversité, ainsi que l’accélération de la disparition d’espèces végétales et animales, est bien liée aux activités humaines : il y a donc urgence à agir.
Ce projet de loi vise des objectifs ambitieux. Pour les atteindre, il prévoit la création de l’Agence française pour la biodiversité et du Comité national de la biodiversité. Plus généralement, il vise à trouver un équilibre entre une reconquête dynamique et la mise en valeur des usages.
Notre excellent rapporteur a repris, dans le cadre de cette deuxième lecture, l’ensemble des problématiques soulevées par le texte, sur lesquels nous reviendrons au cours de nos débats.
Avec ce projet de loi, il s’agit de mieux prendre en compte l’impact de l’activité humaine sur la biodiversité, et plus largement sur l’environnement. Le texte arrive à point pour apporter des réponses, qui ne sont pas forcément toutes parfaites. C’est à l’honneur de notre pays de poser les problématiques qui permettront, nous l’espérons, de préserver une faune, une flore, des eaux et des forêts de qualité, afin de contribuer à l’épanouissement des générations futures.
L’examen de ce projet de loi me permet de mesurer le chemin parcouru. Non seulement notre engagement à le défendre et à l’améliorer a été constant, mais surtout nous faisons œuvre utile, en consolidant la conscience, que je situe bien au-delà du sentiment, que la planète n’est pas renouvelable.
Ce texte, par tous les domaines qu’il touche, soutient et renforce les expériences et actions engagées depuis de nombreuses années, très souvent localement.
Faire reconnaître la biodiversité est un combat, que j’ai pu mener lors de mon premier mandat de maire de Montlouis-sur-Loire. La biodiversité ligérienne méritait d’être mieux identifiée. Tout d’abord, en 1984, nous avons pris un arrêté de protection de biotope, pour assurer la protection des sites des oiseaux migrateurs. Puis, nous avons créé, en 1986, la première Maison de Loire à Montlouis. Ce fut un événement majeur pour l’observation et l’identification des milieux ligériens, événement reconnu à l’époque par la ministre de l’environnement, Mme Huguette Bouchardeau, venue l’inaugurer.
Depuis lors, cette formidable collecte d’informations nourrit la recherche, en relation avec l’université et les associations. Ce combat a permis de faire découvrir et d’ouvrir à un large public, y compris aux enfants, les formidables richesses écologiques de la Loire, au cœur du Val de Montlouis.
Ce regard localisé renforce ce projet de loi et en montre la pertinence. Il est en phase avec de nombreuses expériences et permet d’ancrer la place de la biodiversité dans les grandes politiques publiques. Il n’est pas inutile de le rappeler, ces dernières s’accompagnent, dans notre pays, d’une multitude d’autres actions sur de nombreux sites du territoire, sur l’initiative des élus et des associations.
Plusieurs articles ont animé nos débats en première lecture. Ils reviennent aujourd’hui avec la même acuité : je pense notamment aux néonicotinoïdes. En effet, la problématique soulevée par ces produits toxiques employés comme insecticides est complexe. Les députés l’ont résolue radicalement en votant en deuxième lecture l’interdiction de tous les néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, sans tenir compte des avis de l’ANSES.
Dans le cadre de cette deuxième lecture, le groupe socialiste et républicain défend une position équilibrée, fondée sur des avis scientifiques tenant compte de l’existence de solutions de rechange. En effet, pourquoi faudrait-il attendre septembre 2018 pour interdire certaines substances si les études demandées à l’ANSES conduisent à agir plus rapidement ?
L’huile de palme est un autre sujet sur lequel nous avions suivi, en première lecture, l’amendement présenté par nos collègues écologistes. Cette question fait partie intégrante de ce dont traite le projet de loi, à savoir la lutte contre la destruction des espaces naturels ou encore contre la pollution liée à certaines cultures. Nous nous sommes engagés sans état d’âme au regard de ce que l’huile de palme représente en termes de danger pour la biodiversité, particulièrement dans les pays producteurs. Elle est synonyme de déforestation.
Les députés ont modifié l’article voté au Sénat et ont réduit la taxe à 30 euros, avec une augmentation graduelle jusqu’à 90 euros en 2018, ajoutant une exemption très importante pour les productions certifiées. La progressivité doit inciter les pays producteurs à produire de façon responsable.
Notre commission a supprimé cet article. Nous souhaitons que le Sénat le rétablisse sur les mêmes bases que celui qui a été voté à l’Assemblée nationale, laquelle nous a suivis concernant le principe d’une taxation.
Bien que l’amendement concerné ait été rejeté ce matin en commission, je veux revenir sur la reconnaissance de la permaculture, introduite en première lecture par des collègues du groupe socialiste et républicain. J’étais intervenu pour défendre ces dispositions, car il s’agit d’un mode de culture soutenable, économe en énergie et bien adapté à la biodiversité du lieu.
Des expériences sont actuellement menées sur plusieurs années. Elles sont suivies scientifiquement par l’INRA, le ministère de l’agriculture et bien d’autres organismes scientifiques. Sa reconnaissance dans la loi me paraît de nature à présenter de façon positive cette forme de culture de proximité, en particulier pour les grands centres urbains, comme d’autres pourraient tout aussi bien l’être.
Je conclus mon propos en évoquant le rapport du Conseil économique, social et environnemental Agir pour la biodiversité, publié en 2013. Ses auteurs montrent que la biodiversité continue de se dégrader. Ils écrivent : « En dépit des évolutions […] qui témoignent, dans leur principe, d’une volonté de prise en compte de la biodiversité, une appréciation circonstanciée sur leur portée s’avère difficile. »
Ainsi, madame la secrétaire d’État, ce projet de loi s’inscrit-il bien dans un processus de reconquête destiné à faire de la France un pays pionnier, dans la mesure où il est, je crois, le seul à légiférer aujourd'hui sur la biodiversité.
Le groupe socialiste et républicain est tout à fait favorable à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Requier et Mme Chantal Jouanno applaudissent également.)