Mme la présidente. Le sous-amendement n° 257 rectifié, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, Joyandet et Laufoaulu, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Mandelli, Béchu, Chaize, G. Bailly, Revet, Gournac, Panunzi, Vasselle et Gilles, Mme Garriaud-Maylam, MM. Karoutchi et Pellevat, Mme Hummel, MM. Savary, Chasseing, Laménie, Gremillet, Mayet, Vaspart, Bouchet, Milon, Lemoyne et Delattre, Mme Micouleau et MM. Masclet, Doligé, Dallier, Pierre et Savin, est ainsi libellé :
Amendement n° 243, alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
lorsque la cour d’assises a décidé de porter la période de sûreté à trente ans et à cinquante ans lorsqu’elle a décidé qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132–23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Avec votre permission, madame la présidente, je défendrai en même temps le sous-amendement n° 258 rectifié.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion le sous-amendement n° 258 rectifié, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, Joyandet, Laufoaulu, Mandelli, Chaize, G. Bailly, Revet, Panunzi, Vasselle, Gilles et Karoutchi, Mme Garriaud-Maylam, M. Pellevat, Mme Hummel, MM. Laménie, Gremillet, Bouchet, Milon, Lemoyne et Delattre, Mme Micouleau et MM. Doligé, Dallier, Pierre et Savin, et ainsi libellé :
Amendement n° 243, alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
lorsque la cour d’assises a décidé de porter la période de sûreté à trente ans et à quarante ans lorsqu’elle a décidé qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132–23 du code pénal ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Grand. Je n’ignore pas les réticences auxquelles se heurtent les propositions que je m’apprête à défendre, avec le soutien de nombre de nos collègues ; ces réticences sont légitimes, et nous les respectons.
Je ne mésestime pas non plus, monsieur le rapporteur, les avancées que contient la nouvelle rédaction proposée par la commission pour l’article 720–4 du code de procédure pénale. Reste que ceux qui ont commis les crimes au Bataclan, s’ils sont arrêtés, pourront recouvrer la liberté au bout de trente ans ; vous prévoyez certes des conditions, mais la possibilité existera. Telle est la réalité ! (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Je puis comprendre que l’on soit heurté par la fixation d’un quantum de peine élevé – quarante ou cinquante ans – avant que toute révision soit possible. De fait, certains condamnés seraient pour ainsi dire assurés de finir leurs jours en prison. Mais, les mineurs mis à part, peut-on fixer un quantum de peine en fonction de l’âge du condamné et de son espérance de vie ? Le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie vient de condamner à quarante ans de prison un ancien chef politique des Serbes de Bosnie, âgé de soixante-dix ans…
Peut-on admettre qu’un terroriste condamné à perpétuité puisse, au bout de trente ans, demander un réexamen de sa peine avec une chance non négligeable d’être libéré, même sous conditions ?
Ma proposition de porter de trente à cinquante ans ou, au moins, à quarante ans la durée minimale d’incarcération avant tout réexamen de la peine n’est pas contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, puisque, dans plusieurs arrêts successifs, celle-ci a rappelé que les questions relatives au caractère juste et proportionné de la peine donnent matière à un débat rationnel et à des désaccords courtois. S’agissant de criminels qui ont tué cent cinquante personnes, ce que je propose me paraît assez proportionné !
Mme Cécile Cukierman. Vous le proposez parce que vous n’osez pas assumer que vous êtes pour le rétablissement de la peine de mort !
M. Jean-Pierre Grand. Cette juridiction reconnaît aux États membres une marge d’appréciation – voilà, monsieur le rapporteur, un langage qui devrait vous plaire –…
M. Michel Mercier, rapporteur. Le vôtre me convient bien !
M. Jean-Pierre Grand. … pour déterminer la durée adéquate des peines d’emprisonnement et leur accorde une liberté pour choisir le moment où il convient de procéder au réexamen de la peine. Aussi bien, mes chers collègues, si vous décidez que la peine sera réexaminée au bout de quarante, ou de cinquante ans, vous n’êtes pas en contradiction avec la Cour européenne des droits de l’homme !
M. Roger Karoutchi. Et voilà !
Mme Cécile Cukierman. Pourquoi vous arrêter à cinquante ? Proposez encore plus !
M. Jean-Pierre Grand. Ce qu’exigent cette juridiction et nos engagements internationaux, c’est que la situation du condamné puisse être réexaminée à un moment donné ; mais cela, ni moi ni personne ne le conteste. Je ne conteste pas davantage, monsieur le rapporteur, les conditions que vous proposez de fixer. Seulement, je demande que la durée au bout de laquelle le réexamen sera possible soit allongée de dix ou vingt ans. Je sais que cela heurte vos convictions,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Aucunement !
M. Jean-Pierre Grand. … mais, ce qui heurterait les miennes, c’est que nos concitoyens et les milliers de familles martyres apprennent demain matin, en lisant la presse, qu’un jeune de vingt ans qui a massacré des centaines de personnes – un véritable crime contre l’humanité – pourra, après tout, recouvrer la liberté au bout de trente ans. Je ne suis pas certain que, en prenant une telle décision, le Parlement de la République répondrait à l’appel des Français ! (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Au prochain attentat, que proposerez-vous ?
M. Jean-Pierre Grand. Par ailleurs, je rappelle que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales impose aussi aux États de prendre des mesures visant à protéger les populations des crimes violents.
Mes chers collègues, ces précisions me paraissent propres à vous convaincre qu’incarcérer un terroriste pendant quarante ou cinquante ans n’est nullement contraire aux engagements internationaux de la France. Il ne peut être question que celui-ci soit soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, comme le stipule l’article 3 de la convention. Mais l’inhumanité, c’est le terrorisme, pas le Parlement français !
Ce que le peuple souhaite et que les familles des victimes exigent, c’est une peine de réclusion criminelle à perpétuité effective, ne permettant pas la récidive.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, Joyandet et Laufoaulu, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Mandelli, Béchu, Chaize, G. Bailly, Revet, Gournac, Panunzi, Vasselle et Gilles, Mme Garriaud-Maylam, MM. Karoutchi et Pellevat, Mme Hummel, MM. Savary, Chasseing, Laménie, Gremillet, Mayet, Vaspart, Bouchet, Milon, Lemoyne et Delattre, Mme Micouleau et MM. Masclet, Doligé, Dallier, Pierre et Savin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le troisième alinéa de l’article 720-4 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette durée est portée à cinquante ans pour les décisions prises en application de l’article 421-7 du code pénal. »
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement est défendu, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Grand, Charon, D. Laurent, J.P. Fournier, Joyandet, Laufoaulu, Mandelli, Chaize, G. Bailly, Revet, Panunzi, Vasselle, Gilles et Karoutchi, Mme Garriaud-Maylam, M. Pellevat, Mme Hummel, MM. Laménie, Gremillet, Bouchet, Milon, Lemoyne et Delattre, Mme Micouleau et MM. Doligé, Dallier, Pierre et Savin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le troisième alinéa de l’article 720-4 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette durée est portée à quarante ans pour les décisions prises en application de l’article 421-7 du code pénal. »
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement est également défendu, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par MM. Karoutchi, Cambon et Trillard, Mmes Duchêne et Troendlé, MM. Legendre et Bizet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Reichardt et Bouchet, Mme Debré, MM. Savin, G. Bailly, Fouché, Delattre, Joyandet et Milon, Mme Imbert, MM. Duvernois, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, MM. Laménie, A. Marc et Houpert, Mmes Lopez et Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, M. P. Dominati, Mme Gruny, MM. de Raincourt, Masclet, Savary, Mandelli, Gremillet, Pierre, Doligé, Dallier, Retailleau, Mayet, Chasseing, Dassault, Lefèvre, Revet, Pointereau et Kennel, Mme Mélot et MM. Houel et Husson, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – L’article 720-4 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Dans le cas d’atteintes volontaires à la vie constituant un acte de terrorisme au sens de l’article 421-1 du code pénal, aucune mesure ne peut être accordée au condamné. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Tout cela est bel et bon, mais, en fin de compte, il faut savoir ce que l’on veut, et ce que l’on dit.
Monsieur le garde des sceaux, le Président de la République, le Premier ministre et tout le Gouvernement passent leur temps à dire : c’est la guerre ! Ils ne disent pas que la situation est exceptionnelle ; ils disent : c’est la guerre ! Ils ont d’ailleurs raison. Au demeurant, le Parlement, en particulier le Sénat, a accordé au Gouvernement tous les moyens et toutes les peines supplémentaires qu’il a demandés.
Donc, nous sommes en guerre, de surcroît contre une poignée seulement de terroristes qui ne respectent ni la France, ni la société ni la vie humaine, qui ne respectent rien, et qui n’ont pas d’autre objectif que de tuer le plus grand nombre de personnes dans les conditions les plus atroces et les plus indignes possibles. Nous ne parlons pas de quelqu’un qui s’est énervé et qui a tué une personne dans la rue. Nous parlons de gens qui veulent, méthodiquement, massacrer, je dis bien « massacrer », et non pas seulement tuer.
Dans ces conditions, moi, je n’ai pas d’états d’âme : pour ces gens-là, la détention perpétuelle, sans possibilité d’aménagement, me paraît une évidence.
Il s’agit, bien entendu, de protéger la société française. Mais il y a aussi les symboles : après nous avoir répété que l’inscription dans la Constitution de la déchéance de la nationalité serait un symbole fort contre les terroristes, comment le Gouvernement pourrait-il soutenir qu’on ne peut pas leur appliquer la détention perpétuelle réelle ? Comment les Français, qui se demandent tous les jours s’il va y avoir un attentat dans le métro ou une fusillade sur les grands boulevards, pourraient-ils le comprendre ?
Je voterai les amendements de Jean-Pierre Grand, que je considère comme des amendements de repli, mais les Français, qui nous regardent, n’attendent pas de nous que nous discutions sur la durée au bout de laquelle une libération sera possible. Ils nous disent : Seigneur, prenez des mesures, de vraies mesures !
J’entends bien ce qui a été dit sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : s’il faut faire plaisir aux tenants de cette convention, eh bien que ceux qui sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité fassent un recours en grâce ! Après tout, le Président de la République a la capacité d’accorder cette grâce. Considérons que cela équivaut à une possibilité de recours.
En tous les cas, ce n’est pas au Parlement français de décider que des individus qui n’ont rien d’autre en tête que de commettre des massacres sont dignes d’un aménagement de peine ! Là encore, j’ai entendu ceux qui disent qu’il faut toujours prévoir la possibilité d’une réinsertion ou d’aménagements de peine. Mais, pensez-vous vraiment, mes chers collègues, que les Français sont favorables à des aménagements de peine et à des mesures de réinsertion pour de tels individus ? De quelle réinsertion parle-t-on ? Croyez-vous que les victimes du Bataclan veulent des aménagements de peine ?
Il faut bien protéger la société française ! Monsieur le garde des sceaux, si nous sommes en guerre, alors faites la guerre ! (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas la guerre !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les sous-amendements nos 257 rectifié et 258 rectifié ainsi que sur les amendements nos 1 rectifié, 6 rectifié et 18 rectifié ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Je reconnais que mon rôle est un peu plus difficile que celui qui vient d’être brillamment tenu par les deux orateurs précédents. Néanmoins, je vais tenir ce rôle, parce qu’il s’agit du Parlement de la France, du Parlement de la République et de la loi de la République !
Il faut savoir comment la République veut se défendre. Selon moi, elle veut se défendre grâce à une loi forte, efficace, mais qui reste juste !
Peut-être est-ce parce que l’on m’a confié des responsabilités sous une autre majorité, responsabilités que j’ai essayé d’exercer du mieux possible,…
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Michel Mercier, rapporteur. … mais j’ai confiance dans la magistrature française. Je fais confiance aux magistrats français, car je les ai vus à l’œuvre. Je crois qu’il n’y a pas de magistrats plus sévères en Europe que les magistrats français. Il faut en avoir pleinement conscience, mes chers collègues !
Les peines prononcées par les magistrats sont celles que le Parlement a voulu qu’ils prononcent.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Michel Mercier, rapporteur. Mais j’ai souvent entendu autre chose. Il s’agit de républicains loyaux.
Je fais confiance à nos magistrats pour étudier la situation d’une personne condamnée à perpétuité. L’individu condamné à la réclusion à perpétuité reste bien condamné. En revanche, à un moment donné, il est normal de regarder comment il a évolué et s’il y a eu chez lui une prise de conscience. C’est cela aussi la personnalisation des peines, mes chers collègues. Je vous rappelle d’ailleurs qu’il s’agit là de l’un des principes fondamentaux garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Si l’on veut combattre le terrorisme, il faut le combattre avec les armes de la République et de la démocratie, et jamais avec les armes des terroristes…
M. Cédric Perrin. Il y a des limites ! La comparaison…
M. Michel Mercier, rapporteur. Je n’ai interrompu personne ! Je vous remercie de me laisser terminer mon propos et vous en sais gré. Mes chers collègues, je respecte toujours l’ensemble des orateurs. Vous ne m’entendrez jamais interrompre quiconque, mais je n’admettrai pas en retour que quiconque m’interrompe ! Il faut que cela soit clair entre nous. Après tout, je défends une thèse qui mérite aussi d’être respectée !
Je disais donc que, à un moment donné, il doit y avoir un réexamen du condamné. L’idée selon laquelle la condamnation à une peine de réclusion à perpétuité ne pourrait jamais faire l’objet du moindre réexamen est contraire à toutes nos règles de droit interne et aux règles du droit international, et nous le savons tous.
Je comprends parfaitement que l’on soit tenté de faire abstraction de ces règles. La plupart du temps, les terroristes préfèrent d’ailleurs mourir tout de suite. C’est leur choix, j’ai même envie de dire que c’est leur affaire… Mais, pour les autres condamnés, nous devons examiner, à un moment donné, où ils en sont de l’application de leur peine, comment ils la vivent et si l’on doit maintenir la peine ou non.
Pour autant, il n’y a aucune obligation pour le tribunal de l’application des peines de libérer un condamné. Mes chers collègues, il faut dire les choses telles qu’elles sont : ce n’est pas parce que l’on va étudier la situation d’un condamné qu’on va le libérer. Il s’agit de deux choses tout à fait différentes !
Je prendrai un exemple pour vous montrer la sévérité de nos magistrats : j’ai personnellement assisté à la réunion d’un tribunal de la banlieue parisienne où se trouve un grand établissement pénitentiaire et au cours de laquelle 1 700 condamnés pouvaient faire l’objet d’un élargissement de fin de peine. Or les magistrats présents n’ont retenu en définitive que deux condamnés sur 1 700 ! C’est vous dire l’extrême sévérité avec laquelle les magistrats envisagent ces procédures !
Je sais parfaitement ce que pense l’opinion publique : elle pense que l’on devrait être encore plus direct.
MM. Charles Revet et Cédric Perrin. Effectivement !
M. Michel Mercier, rapporteur. Mais je sais aussi que nous avons fait un autre choix (M. Cédric Perrin s’exclame.) et que nous l’avons inscrit dans la Constitution, qui est notre règle à tous !
Très honnêtement, les conditions fixées par la commission des lois pour l’examen de la situation d’une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité sont extrêmement dures : il faut qu’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation donne un avis favorable à la demande de relèvement de la période de sûreté pour que le tribunal de l’application des peines puisse examiner cette demande et puisse éventuellement, par la suite, si les cinq autres conditions sont remplies, décider de l’accorder. On n’a jamais introduit des dispositions aussi sévères dans un texte de loi !
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, la commission des lois a essayé d’aller le plus loin possible, jusqu’aux limites de ce que la Constitution et nos obligations conventionnelles nous autorisent à faire. Je pense que le Sénat doit respecter ces obligations constitutionnelles et conventionnelles. On peut avoir envie de s’en abstraire face à l’horreur des attentats ! Moi aussi, je serais tenté de m’en abstraire. Ce serait toutefois prendre le risque d’aboutir à un moins bon résultat que celui que je vous propose d’atteindre aujourd’hui. Il faut aussi réfléchir à cela, mes chers collègues.
Que veut-on au juste ? Nous avons le choix entre une loi pénale forte qui comporte des mesures répressives, telles que la France n’en a jamais connu, et tout autre chose, c’est-à-dire une mesure qui nous permettra de soulager notre peine – ce que je comprends parfaitement –, mais qui ne deviendra jamais du droit positif. Préfère-t-on créer des règles de droit positif qui pourront s’appliquer dès demain ou créer des dispositions juridiques qui répondront certes à une demande de l’opinion publique – c’est tout à fait exact ! – mais ne s’appliqueront jamais ?
Il appartient maintenant à chacune et chacun d’entre nous de choisir en son âme et conscience. Les choix sont toujours difficiles et respectables. Personnellement, je respecte les choix de chacun. J’essaie simplement de vous expliquer, mes chers collègues, que la commission des lois est allée jusqu’au bout de ce qu’il est possible de faire pour obtenir un résultat concret. Il appartient désormais au Sénat de se prononcer ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. Michel Savin. Très bien !
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, si j’ai bien compris, la commission est défavorable aux sous-amendements nos 257 rectifié et 258 rectifié ainsi qu’aux amendements nos 1 rectifié, 6 rectifié et 18 rectifié ?
M. Michel Mercier. Oui, la commission y est défavorable, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur Karoutchi, personne n’a d’états d’âme, personne ! Je m’honore d’appartenir à un gouvernement qui, confronté à des défis auxquels aucun gouvernement n’avait jamais été confronté, est à la hauteur de la tâche. Qui dira l’inverse ?
Au moment des attentats de janvier et de novembre 2015, le Président de la République a incarné la détermination de la Nation face à ce défi. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Qui peut dire l’inverse ? Personne ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Louis Carrère. Pourquoi grognez-vous ?
M. Joseph Castelli. Il a raison !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur Karoutchi, personne n’a d’états d’âme, parce que nous nous battons au nom de valeurs, terme qui revient souvent dans nos débats. Nos valeurs sont la force du droit, le glaive de la raison et la capacité à ne pas se laisser emporter par l’émotion. Vous ne légiférez pas pour un instant mais pour une génération (M. Roger Karoutchi est dubitatif.), car chacun regarde devant soi, évidemment !
J’ai été parlementaire pendant quelques années de 2007 jusqu’à il y a deux mois. Je ne suis pas allé à l’Assemblée nationale pourvu de mes seuls a priori. Comme vous, j’ai été confronté à certaines situations. Il y a un mois, la question de l’élargissement de la période de sûreté a été posée à l’Assemblée nationale. Je suis sûr que j’aurai spontanément répondu non à cette question il y a un ou deux ans, parce que la perpétuité existe déjà aujourd’hui dans les établissements carcéraux, monsieur le sénateur.
Ainsi, Georges Ibrahim Abdallah a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour terrorisme au mois de février 1987. Depuis cette date, il a demandé sa libération conditionnelle à neuf reprises. Or, chaque fois – et à bon droit, de mon point de vue –, elle lui a été interdite. Depuis février 1987, il est en prison, ce qui prouve bien que la perpétuité réelle existe déjà.
Monsieur le sénateur, la question posée par votre collègue député Guillaume Larrivé était de savoir si l’on devait étendre la période de sûreté – chacun sait maintenant qu’il s’agit d’une période pendant laquelle aucun aménagement de peine ne peut être accordé – de vingt-deux ans à trente ans. Le Gouvernement a donné un avis favorable à cette période de trente ans.
Pourquoi retenir une période de sûreté de trente ans et non de quarante, cinquante ou soixante ans ? Il s’agit de préserver le principe de cohérence dans notre droit. En effet, il existe déjà deux cas dans lesquels la période de sûreté de trente ans s’applique : il y a, d’une part, les actes de barbarie et les viols sur mineurs et, d’autre part, l’assassinat de toute personne dépositaire de l’autorité publique, comme un policier. Nous n’avons pas voulu créer une distorsion par rapport au droit existant. En effet, il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur. Il existe en revanche des parallélismes de forme en droit, monsieur le sénateur. Nous avons accepté d’allonger la période de sûreté à trente ans, mais nous refuserons de l’étendre à quarante, cinquante ou soixante ans !
La seconde raison pour laquelle nous n’accepterons pas ces amendements tient au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Vous avez cité la Cour européenne des droits de l’homme, mais il faut aussi lire ses arrêts. Il faut notamment examiner les commentaires qu’elle publie sur les décisions qu’elle rend.
Qu’entend la Cour par relèvement de la période de sûreté ? En fait, tout condamné doit pouvoir demander, et non obtenir automatiquement, une mesure d’aménagement de peine. La CEDH estime qu’au bout de cinquante ans, un condamné est à un moment de sa vie où il n’a plus la capacité physique de demander un aménagement de peine et qu’en conséquence, une peine de cinquante ans n’est pas une peine compressible. Dans un tel cas, vous vous exposez donc à un risque de non-conformité à la CEDH. C’est pourquoi le Gouvernement sera défavorable à l’ensemble de ces amendements.
Sur cette question, ne faisons aucun faux procès. Personne n’a d’états d’âme et personne ne souhaite manquer de sévérité. Quelle que soit la responsabilité que nous exerçons, nous sommes tous confrontés à un défi,…
Mme Cécile Cukierman. Absolument !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. … celui de rester droit et de faire face au nom des valeurs !
J’en viens maintenant aux propositions faites par la commission des lois. Monsieur le rapporteur, en réalité, vous proposez deux évolutions par rapport au droit actuel.
La première consiste à créer une commission qui aurait à se prononcer avant le tribunal de l’application des peines. Vous soumettez donc l’intervention du tribunal à cette condition. En résumé, vous dessaisissez le tribunal au profit d’une commission au nom du respect – bien placé – que vous manifestiez tout à l’heure pour les magistrats. Pour ma part, je fais confiance aux magistrats de notre pays et je ne vois pas pourquoi nous dessaisirions un tribunal au profit d’une commission.
La seconde évolution que vous proposez concerne la présence des victimes. Je crains que demander leur avis aux victimes trente ans après les faits ne rende l’exercice matériellement compliqué en pratique. Je veux surtout insister sur un point : ne confondons pas la période de sûreté avec la libération. Ce n’est pas parce que le condamné est à la fin de la période de la sûreté qu’il bénéficie d’une libération anticipée. À ce sujet, je vous rappelle l’exemple de M. Abdallah.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à toute évolution par rapport au texte tel qu’il a été transmis au Sénat. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le garde des sceaux, vous venez de me donner raison. En effet, vous venez de totalement détruire l’argumentation de M. Mercier, votre ancien collègue garde des sceaux !
Mes chers collègues, je me tourne désormais vers vous. Vous avez compris ce que vient de nous dire M. le garde des sceaux : les garanties que M. le rapporteur vous propose d’adopter pour vous empêcher de voter en faveur de l’allongement de la période de sûreté à quarante ans ne peuvent pas prospérer. À ce sujet, monsieur le garde des sceaux, vous avez essayé de tourner mon propos en dérision : je n’ai jamais proposé de porter cette période à soixante ans mais à quarante ou cinquante ans. (C’est pareil ! sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Cécile Cukierman. Et pourquoi pas soixante ans ?
M. Jean-Pierre Grand. Mes chers collègues, vous devez voter en faveur d’une augmentation du quantum de la peine à quarante ans – je suis prêt à accepter une période de quarante ans, monsieur le rapporteur ! –, car il a été publiquement annoncé ici, au Sénat, à dix-sept heures quarante-cinq, que les mesures que M. le rapporteur vous demande de voter ne peuvent prospérer. Vous avez raison à ce sujet, monsieur le garde des sceaux !
Nous savons très bien que la peine sera prononcée par une cour d’assises – spéciale ou non – dans un an, deux ans ou trois ans, selon la difficulté du dossier. Les magistrats auront alors en face d’eux les terroristes, les assassins. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur le garde des sceaux, quand vous nous dites que le quantum de trente ans est celui qui convient, parce qu’il s’agit du quantum habituel. Quand on tue 140 personnes, quand on fait partie d’une organisation terroriste internationale, quand on porte atteinte aux droits de l’homme, la peine que l’on encourt doit être infiniment supérieure !
Monsieur le rapporteur, je vous le dis à l’instant même : il faut oublier votre argumentation et les garanties que vous souhaitez apporter de bonne foi au dispositif. M. le garde des sceaux vient en effet de nous expliquer qu’il s’agissait d’un chèque sans provision. Je vous propose que chacun fasse un pas vers l’autre…