compte rendu intégral

Présidence de M. Hervé Marseille

vice-président

Secrétaires :

M. Philippe Adnot,

M. Christian Cambon.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 24 mars 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancienne collègue Jacqueline Alduy, qui fut sénateur des Pyrénées-Orientales de 1982 à 1983.

3

Demande d’avis sur un projet de nomination

M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 2102-9 du code des transports, M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente sur le projet de nomination de M. Jean-Pierre Farandou aux fonctions de président délégué du directoire de la SNCF.

Cette demande d’avis a été transmise à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Acte est donné de cette communication.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 24 mars 2016.

5

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour l’économie bleue.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

6

Renvoi pour avis unique

M. le président. J’informe le Sénat que la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (n° 446, 2015-2016), dont la commission de la culture, de l’éducation et de la communication est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

7

 
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Discussion générale (suite)

Lutte contre le crime organisé et le terrorisme

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Demande de priorité

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (projet n° 445, texte de la commission n° 492 rectifié, rapport n° 491, tomes I et II, avis nos 476 et 474).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, si l’on en croit la légende, lorsqu’un événement survenait ou lorsqu’une nouvelle lui parvenait, Alexandre le Grand avait l’habitude de réciter l’alphabet en entier avant de prendre une décision. Aller d’alpha à oméga était pour lui un moyen de calmer ses émotions et de préparer une décision raisonnée.

Au-delà de l’anecdote, cette légende nous rappelle combien il est nécessaire d’inscrire nos réflexions et nos décisions dans la raison plutôt que de les marier à l’émotion. La raison des citoyens, c’est ce que l’historien d’Oxford Sudhir Hazareesingh appelle « la raison publique ». Elle doit être notre meilleure arme et notre bouclier le plus protecteur. C’est en tout cas dans cette perspective que j’ai l’honneur de vous présenter le projet de loi visant, notamment, à améliorer la procédure pénale et la lutte contre le terrorisme.

Chacun en conviendra, cette discussion intervient dans un contexte particulier.

Si les attentats de Bruxelles ont connu une résonance particulière dans notre pays, c’est d’abord parce qu’ils nous ont rappelé des images qui venaient à peine de s’estomper. C’est aussi sans doute parce qu’ils ont été commis par une même nébuleuse belgo-française. Ils démontrent peut-être également un mode opératoire dont beaucoup craignaient l’existence, celui qui avait été observé en 2008 à Bombay : la capacité de coordonner des attaques. Et ils se sont produits après d’autres actes barbares commis, notamment, en Afrique, où des citoyens français furent aussi tués !

Personne ne doute donc plus de cette dramatique réalité : le terrorisme est notre horizon quotidien, au point qu’il n’est sans doute pas excessif d’estimer que c'est désormais l’une des principales sources de menaces pour la sécurité nationale. Voilà pourquoi il faut continuer à affiner et à maintenir performant notre dispositif de lutte antiterroriste.

Je souhaite commencer mon intervention sur le présent projet de loi en revenant plus complètement sur une interrogation qui me semble légitime et à laquelle je ne suis pas certain d’avoir répondu de manière exhaustive. M. le sénateur Pierre-Yves Collombat m’a demandé en commission si une telle accumulation de lois ne mettait pas le modèle français de lutte contre le terrorisme en péril. Il me semble donc utile de replacer ce texte dans la cohérence des dispositifs adoptés au cours des différentes législatures depuis une vingtaine, voire une trentaine d’années. En effet, notre pays a longtemps fait figure de précurseur dans la structuration d’un dispositif antiterroriste.

Sans remonter trop loin, c’est à partir de 1981, avec le renforcement de la menace, que le droit entreprend de s’adapter aux nécessités de la lutte contre le terrorisme. C’était l’objet de la loi du 21 juillet 1982, qui a créé les assises spéciales, à la suite de menaces sur les jurés lancées par les complices du terroriste Carlos. Toutefois, la création de cette juridiction particulière ne s’est pas accompagnée de la création d’une incrimination terroriste propre. Sans doute des espoirs de pouvoir réduire le problème par d’autres moyens existaient-ils à l’époque.

La deuxième étape, c'est-à-dire la création d’une incrimination terroriste, a pris cinq ans de maturation. C’est avec les deux lois de septembre 1986, largement inspirées par les juges Boulouque et Marsaud, qu’un pas décisif a été franchi. Je le rappelle, ces textes ont été adoptés à la suite, déjà, d’une série d’attentats, en l’occurrence l’attentat de la galerie des Champs-Élysées et celui de la rue de Rennes, où il y avait eu sept morts. Ces textes, notamment celui du 9 septembre 1986, sont devenus la clé de voûte de notre doctrine, qui est fondée sur les principes suivants : définition de l’acte de terrorisme ; traitement judiciaire des activités terroristes ; centralisation parisienne des poursuites, des enquêtes et des jugements ; spécialisation des policiers et des magistrats, qu’ils appartiennent au parquet ou à l’instruction.

Dix ans plus tard, le 22 juillet 1996, ce sera la création de l’infraction, dont chacun loue aujourd'hui la pertinence, d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Tous ces textes s’organisent autour d’une unique volonté propre à notre État de droit : prévenir l’action en organisant la répression. Il me semble que plus personne ne remet aujourd’hui en cause cette logique.

C’est cette même logique que l’on retrouve dans les textes les plus récents. Je pense à la loi du 21 décembre 2012, qui a introduit la compétence universelle en matière de lutte contre le terrorisme, ou à la loi du 13 novembre 2014, qui a renforcé de très nombreuses dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, eu égard aux polices judiciaire et administrative.

Le présent projet de loi s’inscrit dans la même veine. Il constitue une réponse supplémentaire, une réponse complémentaire. À l’origine, c’est l’œuvre de trois ministères avançant d’un même mouvement : l’intérieur – je vous prie d’ailleurs d’excuser l’absence momentanée de Bernard Cazeneuve, retenu à l’Assemblée nationale pour les questions d’actualité au Gouvernement –, les finances, avec mon collègue Michel Sapin, et la justice.

Il y a une volonté commune autour de trois ambitions : renforcer les moyens des magistrats dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ; renforcer les garanties au cours de la procédure pénale, particulièrement durant l’enquête et l’instruction, pour rendre notre procédure totalement conforme aux exigences constitutionnelles et européennes ; procéder à des simplifications à tous les stades de la procédure pour faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats.

En matière de lutte contre le terrorisme, ce projet de loi nous permet de poursuivre l’échange entamé le 2 février dernier dans cet hémicycle, lors de l’examen de la proposition de loi dont Philippe Bas était le premier signataire et Michel Mercier le rapporteur, échange que nous avons continué en commission la semaine dernière. Nos discussions ont, me semble-t-il, déjà bien balisé notre progression. Je crois que nous sommes déjà d’accord sur de nombreux points, comme les perquisitions de nuit, le suivi socio-judiciaire en cas de condamnation pour terrorisme ou la captation de données informatiques.

Le texte n’a fait que croître et embellir au fur et à mesure des discussions parlementaires : la version initiale du Gouvernement comptait 34 articles, contre 102 actuellement. Et, sur ces 102 articles, il n’y en a plus que six – je parle sous le contrôle de M. le rapporteur – sur lesquels nous avons à ce stade des divergences que je qualifierais de divergences de principe, en plus de quelques désaccords sur les modalités ici ou là ! Permettez-moi de considérer que c’est tout à fait satisfaisant. On évoque souvent le verre à moitié vide ou à moitié plein. En l’occurrence, il est plein aux trois quarts !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Statistiquement…

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Grâce aux approches positives de la commission, dont je salue le président, Philippe Bas, et aux ouvertures dont le Gouvernement a fait preuve, nous pourrons, je n’en doute pas, continuer à construire cette convergence. À cette fin, le Gouvernement se gardera d’écouter deux voix qui sont, à mes yeux, autant de mauvaises conseillères : l’émotion et l’instrumentalisation. L’une comme l’autre nous font tomber d’un côté ou de l’autre, alors que tout doit être une question d’équilibre. Ce n’est pas un hasard si le symbole de la justice est une balance.

Cet équilibre, ce n’est pas seulement l’objectif, c’est aussi le moyen ; c’est même une méthode. Jacqueline de Romilly expliquait que, dans la Grèce antique, à Athènes, la démocratie était avant tout un ton, une méthode, une attitude, une manière d’être.

De surcroît, je suis convaincu que vous partagez les deux directions qui résument l’action du ministère de la justice dans ce texte. Je serai donc bref, car j’ai déjà eu l’occasion de développer largement ces points devant votre commission des lois.

L’action du ministère de la justice s’inscrit dans deux directions.

D’une part, nous voulons renforcer les garanties durant la procédure pénale, en assurant notamment la place du contradictoire. Le contradictoire, c’est justement ce qui a permis d’inventer l’équilibre, la justice. C’est ce qui nous a permis de dépasser la violence et de prendre le temps ! Dans ce cadre, nous avons souhaité renforcer le contradictoire et la présence de l’avocat dans la procédure et créer des mesures renforçant la possibilité d’exercer des recours.

D’autre part, nous visons à simplifier les procédures. Parce que les problèmes se complexifient, il faut simplifier les tâches !

Les enquêteurs et les magistrats, notamment ceux du parquet et de l’instruction, sont accaparés par trop de contraintes procédurales. Or la plupart d’entre elles ne constituent aucunement une garantie pour les citoyens, une protection pour les libertés. Le Gouvernement vous propose donc de les alléger. Nous avons déjà beaucoup progressé à cet égard. Nous pouvons encore, je n’en doute pas, faire des pas décisifs.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est de grande ampleur. Il avance sur bien des fronts et il s’inscrit dans une vision globale du sujet. C’est d’ailleurs pourquoi deux commissions du Sénat se sont saisies pour avis : la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la responsabilité de Philippe Paul, que je salue avec une affection particulière eu égard au département dont il est élu, et la commission des finances, dont Albéric de Montgolfier est le rapporteur pour avis. Je veux saluer la qualité de leur contribution, tout comme celle, encore plus importante, mais tout aussi passionnante, du rapporteur, Michel Mercier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’insiste sur la disponibilité du Gouvernement pour continuer, dans une recherche permanente de dialogue avec le Sénat, à progresser ensemble, au nom des valeurs qui réunissent la communauté nationale et qui font battre le cœur de notre État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Demande de priorité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Discussion générale (début)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément à l’article 44, alinéa 6, du règlement, le Gouvernement, en accord avec la commission des lois, demande l’examen par priorité dès après la discussion générale de l’amendement n° 188 rectifié portant article additionnel avant l’article 7, des articles 7 et 9, des articles 17 à 21, des amendements portant articles additionnels avant l’article 17, après l’article 17 et après l’article 19, des amendements nos 63 rectifié bis et 69 rectifié tendant à insérer un article additionnel après l’article 32 AB, ainsi que des articles 32 à 32 ter, afin de permettre la présence de M. le ministre de l’intérieur et de garantir la cohérence de nos travaux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cette demande de priorité ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Avis favorable.

M. le président. La priorité est ordonnée.

Discussion générale (suite)

Demande de priorité
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le terrorisme, ce sont des actes qui tuent, qui blessent et qui détruisent. Or le terrorisme commence par la préparation, le financement de ces agissements criminels.

La loi pénale dispose depuis 2001 que le fait de financer en toute connaissance de cause une entreprise terroriste est un acte de terrorisme, indépendamment de la survenance éventuelle d’un tel acte. Les faits nous l’ont cruellement rappelé, encore très récemment : un acte de terrorisme, c’est un acte qui a été préparé, organisé et financé. La responsabilité du Gouvernement, avec l’aide et, je le pense, le soutien du Parlement, est donc de prendre les mesures adéquates pour assécher le financement des activités des terroristes qui cherchent à déstabiliser nos pays et, en France, à fracturer notre pacte républicain.

Ce financement peut emprunter de nombreuses routes. Un terroriste peut percevoir des fonds issus d’un trafic illicite – d’armes ou de stupéfiants, par exemple – ou d’une organisation terroriste comme Daech. Il peut aussi se procurer lui-même des fonds par des moyens légaux – je pense, par exemple, au crédit à la consommation.

Par ailleurs, l’argent traverse bien évidemment les frontières nationales plus rapidement encore que les hommes. Il nous faut donc agir à l’échelon non seulement national, mais aussi européen et mondial. Tel est le sens de notre action. En cohérence avec cette évidence, le Gouvernement promeut également à l’échelon européen les mesures qu’il vous propose d’adopter.

Depuis plusieurs mois, nous avons renforcé nos moyens consacrés à la lutte contre le financement du terrorisme. Les effectifs de TRACFIN sont passés de 94 agents en 2013 à 118 en 2015, et ils seront de 138 en 2016. Nous avons également travaillé à faciliter la circulation de l’information entre les différents services, qui ont chacun une connaissance fine d’un aspect du financement du terrorisme, qu’ils dépendent de mon ministère ou, par exemple, du ministère de l’intérieur.

Reste que l’augmentation des ressources humaines engagées dans la lutte contre le financement du terrorisme n’est pas suffisante. Elle doit s’accompagner d’une adaptation de notre arsenal juridique. Après les attentats de janvier 2015, nous avons décidé de mettre en œuvre un plan de lutte contre le financement du terrorisme comportant plusieurs mesures destinées à faire reculer les moyens de paiement non traçables. Parmi les plus emblématiques, je veux mentionner l’abaissement de 3 000 euros à 1 000 euros du plafond de paiement en espèces pour les résidents ou le signalement systématique à TRACFIN des dépôts et retraits d’espèces supérieurs à 10 000 euros.

Les articles 12 à 16 quinquies du projet de loi qui vous est présenté s’inscrivent dans le droit fil de ces mesures.

Nous devons pouvoir sanctionner pénalement le trafic de biens culturels provenant de territoires sous l’emprise d’un groupement terroriste. Ainsi que l’actualité immédiate nous le rappelle, le trafic de ces « antiquités de sang » constitue une source de financement de Daech et porte atteinte gravement au patrimoine culturel mondial.

Nous devons avoir la possibilité de plafonner la valeur monétaire pouvant être chargée sur une carte prépayée.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. Aujourd’hui, il n’existe pas de montant maximal. Il est donc possible de dissimuler sur un tel support, dans sa poche de veste ou de pantalon, des sommes d’argent très importantes.

Nous devons aussi renforcer le cadre juridique dans lequel se déploie l’action du service TRACFIN. Ce service aura le pouvoir de désigner, pour une durée limitée, aux établissements bancaires les opérations ou les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement de terrorisme. Ces établissements pourront alors mettre en œuvre les mesures de vigilance adaptées à la situation qui leur a été signalée.

Par ailleurs, le droit de communication du service TRACFIN sera étendu aux entités chargées de gérer les systèmes de cartes de paiement ou de retrait, comme le groupement d’intérêt économique Carte bleue ou les sociétés Visa et Mastercard.

Nous devons en outre faciliter la constatation et la recherche par les agents des douanes des infractions en lien avec le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux. Il est nécessaire d’étendre la compétence de la douane judiciaire aux infractions relatives au financement du terrorisme. Elle pourra ainsi apporter son expertise et son savoir-faire, que tous lui reconnaissent, à la police judiciaire dans le cadre d’unité d’enquête constituée par la justice.

Il faut encore alléger la charge de la preuve de l’origine illicite des fonds en matière de délit douanier de blanchiment, dans le respect des jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce caractère illicite sera présumé lorsque certaines circonstances, notamment de dissimulation, seront réunies ; à l’intéressé de démontrer l’origine licite des fonds.

Par ailleurs, il faut renforcer la législation douanière sur le transfert de fonds transfrontaliers par des personnes physiques.

D’une part, la loi doit prévoir que l’obligation de déclaration d’un transfert de sommes, d’un montant égal ou supérieur à 10 000 euros, de la France vers un État membre de l’Union européenne ou en provenance d’un tel État, est réputée n’être pas satisfaite lorsque les informations communiquées sont incomplètes ou incorrectes. La loi sera ainsi alignée sur le droit européen, qui prévoit la même règle en cas de transfert de sommes d’un État membre de l’Union européenne vers un État tiers ou en provenance d’un tel État.

D’autre part, l’amende pouvant être prononcée en cas de manquement à cette obligation déclarative doit être élevée, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, pour passer de 25 % à 50 % de la somme non déclarée.

Enfin, il vous est demandé d’habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance la quatrième directive « anti-blanchiment et financement du terrorisme » de l’Union européenne du 20 mai 2015 ainsi que de renforcer le dispositif de gel des avoirs des terroristes.

Cette série de mesures sera complétée par un décret en Conseil d’État, actuellement en préparation par mes services. Celui-ci prévoira, entre autres dispositions, une prise d’identité dès le premier euro pour les cartes prépayées anonymes, c’est-à-dire chargeables ou rechargeables en espèces, et permettra au service TRACFIN d’avoir accès directement au fichier des personnes recherchées afin qu’il puisse enrichir davantage ses analyses et orienter mieux encore ses investigations.

Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs, les sénateurs, les principales dispositions sur lesquelles la France est mobilisée et qui me semblent devoir être adoptées, au niveau national, pour lutter plus efficacement contre le financement du terrorisme. En votant ces dispositions, vous ne mettrez pas seulement notre droit national au niveau de la menace ; vous enverrez également un signal fort à tous nos partenaires européens et internationaux sur la détermination de la France en matière de lutte contre le terrorisme.

La lutte contre le financement du terrorisme ne peut être efficace que dans un cadre européen et international coordonné, car, chacun le sait, les terroristes n’ont pas de frontières et les flux financiers non plus. C’est pour cela que je me suis mobilisé, dès après les attentats de janvier 2015, pour porter les mêmes préoccupations au niveau européen : lutter contre l’anonymat des moyens de paiement, quels qu’ils soient, de la monnaie virtuelle aux cartes prépayées, réduire l’utilisation des espèces lorsque cela n’est pas justifié, renforcer partout les pouvoirs des cellules de renseignement financier afin qu’elles puissent coopérer de manière efficace et, enfin, revoir complètement notre système européen de gel d’avoirs, qui doit fonctionner de manière beaucoup plus rapide et sur tout le territoire de l’Union européenne.

Dès mars 2015, j’ai porté ces demandes avec Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, et nous avons redoublé nos efforts après les attentats de novembre. La Commission européenne a enfin, en février dernier, mis sur la table un plan d’action qui reprend toutes nos demandes. Soyez assurés que je veille personnellement à ce qu’il se traduise très vite par des propositions législatives et que je ferai tout pour que le conseil des ministres et le Parlement européen les adoptent tout aussi rapidement.

Cet effort, nous le menons aussi au niveau international. Là encore, j’ai mobilisé dès janvier 2015 les forums internationaux compétents. Je peux vous dire que, si, en février 2015, à Istanbul, beaucoup de mes collègues ministres des finances du G20 semblaient découvrir qu’ils avaient une responsabilité et des pouvoirs pour lutter contre le terrorisme, c’est désormais une préoccupation largement partagée par tous, au premier chef par la présidence chinoise. J’en veux pour preuve la résolution adoptée le 17 décembre dernier par le Conseil de sécurité des Nations unies sur la lutte contre le financement d’Al-Qaïda et de Daech : pour la première fois, ce sont les ministres des finances qui étaient réunis pour adopter cette résolution.

Cette coordination étroite entre tous les ministres, toutes les forces publiques et privées qui peuvent faire quelque chose pour lutter contre le terrorisme, c’est le fil rouge de notre action, à l’ONU comme en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

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