Sommaire
Présidence de Mme Isabelle Debré
Secrétaires :
MM. Serge Larcher, Jean-Pierre Leleux.
2. Communication d'un avis sur un projet de nomination
4. Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
5. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
6. Mise au point au sujet d'un vote
7. Moyens consacrés au renseignement intérieur. – Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la commission des finances
M. Philippe Dominati, au nom du groupe Les Républicains
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
Suspension et reprise de la séance
9. Communication du Conseil constitutionnel
10. Compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 7 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 8 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 2, 2 bis et 2 ter – Adoption.
Amendement n° 2 rectifié de M. Joël Labbé. – Retrait.
Amendement n° 4 de M. Joël Labbé. – Retrait.
Amendement n° 3 de M. Joël Labbé. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 9 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 10 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 5 et 5 bis – Adoption.
Adoption de l’article.
Amendement n° 1 rectifié de M. Yvon Collin. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 5 rectifié ter de M. Daniel Chasseing. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 8 bis, 9, 9 bis, 10, 11, 11 bis, 12 et 13 – Adoption.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
11. Économie bleue. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Amendement n° 4 de Mme Évelyne Didier. – Rejet.
Amendement n° 134 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l'article 6 quater
Amendement n° 51 de Mme Odette Herviaux. – Retrait.
Amendement n° 69 de Mme Odette Herviaux. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Articles 7 et 7 bis – Adoption.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 122 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 159 rectifié du Gouvernement. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 123 du Gouvernement. – Adoption.
Rejet de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 8
Articles 9, 9 bis A (nouveau), 9 bis – Adoption.
Amendement n° 143 rectifié du Gouvernement. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Article additionnel après l’article 9 ter
Amendement n° 155 du Gouvernement. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 7 de Mme Évelyne Didier. – Rejet.
Amendement n° 133 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 8 de Mme Évelyne Didier. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 11 (suppression maintenue)
Amendement n° 110 rectifié de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Articles 12 bis A et 12 bis B – Adoption.
Amendement n° 99 rectifié de M. Jean-François Rapin. – Rejet.
Amendement n° 76 rectifié bis de M. Jean-François Rapin. – Retrait.
Amendement n° 102 rectifié de M. Jean-François Rapin. – Adoption.
Amendement n° 100 rectifié de M. Jean-François Rapin. – Adoption.
Amendement n° 101 rectifié de M. Jean-François Rapin. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l'article 12 bis C
Amendement n° 46 de M. Michel Vaspart. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article additionnel après l'article 12 bis D
Amendement n° 48 de M. Michel Vaspart. – Retrait.
Renvoi de la suite de la discussion.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Secrétaires :
M. Serge Larcher,
M. Jean-Pierre Leleux.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d'un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire a émis un vote favorable (22 voix pour, 2 voix contre, 4 bulletins blancs ou nuls) pour la nomination de M. Jean-Christophe Niel aux fonctions de directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
3
Demandes d'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de loi organique, d'une proposition de loi et des conclusions d'une commission mixte paritaire
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a tout d’abord demandé l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 31 mars, le matin, en semaine gouvernementale, des nouvelles lectures de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle.
Acte est donné de cette demande.
Ces deux textes feront l’objet d’une discussion générale commune, d’une durée d’une heure.
Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance sera fixé à l’ouverture de la discussion générale commune.
En outre, le Gouvernement a sollicité l’inscription à l’ordre du jour du mardi 5 avril, le soir, en semaine sénatoriale, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 23 mars 2016, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’obligation de distribution des services d’initiative publique locale (n° 2015-529 QPC) ; les modalités d’appréciation de la condition de nationalité française pour le bénéfice du droit à pension en cas de dommage physique du fait d’attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements de la guerre d’Algérie (n° 2015-530 QPC).
Acte est donné de ces communications.
5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
Mme la présidente. Monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, j’ai le grand plaisir de saluer la présence d’une délégation de députés de la Knesset conduite par M. Elie Elalouf, président du groupe d’amitié Israël-France et président de la commission des affaires sociales de cette assemblée. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent.)
La délégation est accueillie par notre collègue M. Philippe Dallier, président du groupe d’amitié France-Israël, et par nos collègues membres de ce groupe.
Sa venue traduit la volonté de renforcer le dialogue entre nos deux assemblées et de lui donner un nouvel élan. Gageons que cette journée de travail et d’échanges sera riche de promesses et d’engagements, et qu’elle permettra de donner toute son ampleur au lien si particulier qui existe entre nos deux pays.
Au nom du Sénat de la République française, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, applaudissent.)
6
Mise au point au sujet d'un vote
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, lors du scrutin n° 184, Mme Caroline Cayeux a été déclarée votant contre, alors qu’elle souhaitait voter pour. Aussi, je vous remercie de bien vouloir prendre en considération cette demande de rectification de vote.
Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
7
Moyens consacrés au renseignement intérieur
Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la commission des finances
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les conclusions du rapport d’information de la commission des finances sur les moyens consacrés au renseignement intérieur (rapport d’information n° 36).
La parole est M. Philippe Dominati, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Philippe Dominati, au nom du groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’ouverture de cette séance, nos pensées vont bien évidemment à nos amis belges, aux victimes et aux forces de l’ordre, auxquels nous ne pouvons qu’associer les victimes que nous avons eues à déplorer en 2015 sur le territoire national. Nous pensons aussi aux forces contribuant à la lutte contre le terrorisme, qui sont sous tension depuis quinze mois, placées sous votre autorité, monsieur le ministre.
L’inscription de ce débat à notre ordre du jour, à la demande de mon groupe et du président du Sénat, démontre que la lutte contre le terrorisme est devenue la priorité pour les Français. Cette préoccupation est évidemment partagée par tous les groupes dans cet hémicycle.
La mission d’information m’avait été confiée par la commission des finances dans un contexte particulièrement lourd et pesant : à la suite des attentats de janvier 2015, mes collègues voulaient connaître les moyens dont disposaient nos services de renseignement intérieur et leur efficacité. J’ai essayé de répondre à cette demande durant le premier semestre de l’année dernière, en auditionnant tous les responsables des services de sécurité et un certain nombre de syndicalistes.
Sur le premier point, aucun responsable ne s’est plaint d’un manque de moyens concernant la sécurité intérieure de notre pays.
En effet, la France est l’une des démocraties européennes comptant le plus d’agents affectés à la sécurité intérieure par rapport au nombre d’habitants : avec 6 200 agents, la moyenne est de 9,1 agents pour 100 000 habitants. Chez nos amis allemands, c'est presque trois fois moins et deux fois moins pour nos amis britanniques.
En revanche, notre renseignement intérieur a la particularité d’être éclaté entre plusieurs services et d’avoir des moyens dispersés. En ce qui concerne l’efficacité, nous avons constaté qu’il y avait des agents de liaison pratiquement à tous les niveaux. On nous a affirmé que le dispositif fonctionnait, mais il y a forcément une déperdition.
Dans le domaine qui nous intéresse, deux réformes majeures sont intervenues : l’une en 2008, l’autre en 2013. Mais, en réalité, on s’aperçoit que l’organisation d’aujourd’hui n’est probablement pas la plus satisfaisante.
Le rapport d’information que j’ai remis en octobre dernier contient dix recommandations.
La première vise à accélérer le mouvement, compte tenu du changement d’échelle de la menace terroriste. Or, monsieur le ministre, ce changement n’est pas vraiment apparu dans le budget tel qu’il avait été adopté par l’Assemblée nationale, puisque la hausse des crédits était initialement, je le rappelle, de 0,9 %, avant que ne survienne le séisme du 13 novembre.
Vous connaissez tous le malheureux bilan de ces attentats, qui ont porté à près de 150 morts et plus de 350 blessés le nombre des victimes du terrorisme sur le territoire national. S’est ensuivie une réaction de la part du chef de l’État que je qualifierais de « tardive », mais qui correspond à certaines orientations du rapport.
La première réponse apportée au séisme du 13 novembre est un amendement déposé en urgence lors de la discussion budgétaire pour pallier certaines insuffisances, en termes de moyens, de nos services de renseignement : vous avez présenté, monsieur le ministre, un avenant de 340 millions d’euros, qui avait été annoncé par le Président de la République au Congrès, afin de donner de nouveaux moyens pour mettre fin aux défaillances observées ici ou là, notamment dans le renseignement de proximité.
La deuxième réponse a été apportée à l’échelle européenne, avec un conseil des ministres exceptionnel le 20 novembre 2015 et des décisions portant sur l’espace Schengen, le PNR, ou Passenger Name Record, et le trafic d’armes.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé hier, au cours de la séance de questions d’actualité au Gouvernement – mais vous aurez l’occasion d’y revenir –, le chemin diplomatique laborieux pour mettre en place le PNR et les difficultés auxquelles vous avez été confronté. Je reviens sur ce point, car nous sommes impatients. Cette affaire dure tout de même depuis quelques mois ! Vous aurez, me semble-t-il, toutes les formations politiques à vos côtés pour essayer de faire aboutir le PNR sur le terrain diplomatique.
La deuxième recommandation du rapport est relative à « l’architecture » des services, dont j’ai évoqué l’éclatement. Sur ce point, un arbitrage du Président de la République est intervenu : ce dernier vous a délégué tous les pouvoirs en janvier dernier lors d’une réunion du Conseil national du renseignement pour que vous soyez le coordinateur du renseignement intérieur. Une question fondamentale se pose : l’éclatement des services n’a-t-il pas entraîné ici ou là des difficultés en termes de fonctionnement ou un manque de lisibilité de l’action de nos services ?
Je voudrais également mentionner le rôle nouveau du Parlement dans un domaine qui, il faut bien le reconnaître, ne relevait pas des usages parlementaires. À partir du moment où cela devient la principale préoccupation des Français, le Parlement s’est automatiquement saisi des lois en la matière – plusieurs lois sur le terrorisme ont été examinées et une réforme de la Constitution est même envisagée.
Il faut aussi évoquer le contrôle budgétaire du Parlement.
Sur ce plan, deux recommandations traduisent le malaise que nous avions ressenti face à l’architecture budgétaire. Nous serons, je le pense, plusieurs à aborder cette question.
Pour les services de renseignement extérieur, qui dépendent du ministère de la défense, nous identifions clairement, en tant que parlementaires, le budget nécessaire à cette action, contrairement au renseignement intérieur, dont le budget est disséminé en divers postes, notamment à l’échelle départementale dans les directions départementales de la sécurité publique. Cela pose donc problème en termes de lisibilité budgétaire.
Je le redis, nous avons formulé deux propositions. J’ai d’ailleurs noté que la délégation parlementaire au renseignement, présidée par Jean-Pierre Raffarin, a fait les mêmes observations. Sur ce sujet, il faut reconstruire le dialogue entre le Parlement et l’exécutif.
Quelles seraient aujourd’hui les lignes de force de notre mission, qui n’est pourtant pas si vieille, mais dont il semble déjà nécessaire d’ajuster les conclusions ?
On ne veut pas toucher à l’architecture ; je le comprends, car c’est une position régalienne du Président de la République. Le terme du mandat approchant, il est peut-être difficile d’envisager « à chaud » une nouvelle réforme du renseignement. Toutefois, selon nombre de nos interlocuteurs, il est certain que les deux réformes engagées ne sont pas abouties, et il faudra les peaufiner, la deuxième ayant permis de contrer les effets pervers de la première. Une évolution aura donc probablement lieu, mais il appartiendra au futur exécutif de l’envisager.
J’en viens au constat.
Monsieur le ministre, je suis allé sur le terrain deux fois à un an d’intervalle, en mars 2015 et en mars de cette année, voir l’état de nos forces de sécurité. La mise en place est pour le moins contrastée.
Dans un même département, par rapport à ce que j’avais constaté en mars 2015 – c’était pourtant après la première vague d’attentats –, j’ai trouvé, d’un côté, un préfet très impliqué, qui organise trois réunions hebdomadaires sur le sujet, mais, de l’autre, des services de gendarmerie qui ont certes reçu du matériel – des voitures –, mais dont les effectifs ne seront probablement renforcés qu’à la rentrée de septembre, alors qu’ils étaient déjà attendus l’an dernier. En ce qui concerne la police – je ne parle que de la sécurité publique –, il n’y a pratiquement pas de changement.
M. Jean-Louis Carrère. Vous avez supprimé des postes !
M. Philippe Dominati. S’agissant du renseignement territorial, un effort particulier a été fait : les effectifs sont passés de treize à une vingtaine. Mais alors que j’avais observé voilà un an qu’il n’y avait une seule ligne internet pour treize agents, il n’y en a toujours qu’une seule, mais désormais pour vingt agents ! Des locaux manquent également pour ces effectifs supplémentaires, tout comme des moyens de communication et des voitures pour les unités territoriales.
Concernant le service de renseignement majeur, le seul qui fasse partie de la communauté du renseignement, nous sommes satisfaits du renforcement des effectifs centraux sur le plan territorial, dans la mesure où ils viennent en soutien. Mais il n’y a pas d’autre renforcement particulier sur ce plan.
Voilà quelle est la situation sur le terrain. Elle suscite évidemment plusieurs interrogations légitimes chez les parlementaires, comme vous avez déjà eu l’occasion de le constater lors de différents débats, monsieur le ministre.
Le point qui m’a le plus choqué – je vous ai d’ailleurs interpellé sur cette question – concerne l’assistance aux témoins, l’appui à nos concitoyens qui concourent à la lutte contre le terrorisme et l’efficacité du numéro vert qui a été mis en place.
Par ailleurs, on peut se demander s’il est vraiment nécessaire d’avoir trois services spécialisés dans la lutte antiterroriste dans le domaine de la police judiciaire, à la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, à la Police nationale et à la préfecture de police de Paris ? De même – mais je suppose que vous en avez ressenti le besoin pour assurer l’efficacité du dispositif –, alors qu’il existe un organisme interministériel de lutte contre le terrorisme, vous en avez créé un second au cours de l’été au sein du ministère de l’intérieur. On a du mal à comprendre la façon dont se coordonnent ces deux organismes, mais j’ai déjà souligné l’éclatement des services spécialisés.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Dominati. Un certain nombre de dysfonctionnements sont également apparus dans notre système à la suite des attentats. Le Président de la République a d’ailleurs estimé qu’il était nécessaire de créer un poste ministériel d’aide aux victimes. Cela signifie qu’il y avait bien un problème dans l’assistance que nous apportions à ces victimes.
De la qualité de nos services de renseignement dépendra l’issue de notre guerre contre le terrorisme, et nous serons à vos côtés, monsieur le ministre, dans notre rôle de parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Boutant.
M. Michel Boutant. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez, tout d’abord, d’évoquer la mémoire de celles et ceux qui ont été frappés par les attentats aveugles survenus hier à Bruxelles, en citant le début de Spleen, ce poème très célèbre de Charles Baudelaire :
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits. »
Mes chers collègues, il n’est pas anodin de débattre, dans le contexte de menace terroriste aiguë que nous connaissons des moyens consacrés à nos services de renseignement intérieur. Comme le rappelle M. Dominati dans son rapport d’information, beaucoup a été fait depuis quelques années, particulièrement avec la création, en 2008, d’une nouvelle structure de renseignement intérieur, la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, et l’évolution de son statut en direction générale en 2013.
L’an dernier, mes collègues de la délégation parlementaire au renseignement et moi-même avions émis une série de recommandations au regard de l’organisation et des moyens de nos services consacrés au renseignement intérieur. L’accroissement de la menace terroriste est maintenant une réalité qui se trouve cruellement exposée par les attentats sanglants que nous avons connus sur le sol européen, et que nous connaissons toujours.
Les chiffres illustrent cette réalité : pour ce qui concerne la France, 609 personnes ont rejoint les rangs des djihadistes au Levant, alors que, il y a un an, on en dénombrait 410. Plus inquiétant encore est le nombre des retours, évalué à près de 300 personnes. Nos services de renseignement et la justice sont pleinement mobilisés pour faire face à ce défi inédit : plus de 1 000 personnes sont suivies par les services judiciaires et 338 individus ont été interpellés. Depuis le 1er janvier dernier, pas moins de 74 personnes liées au terrorisme ont été arrêtées.
Concernant les moyens juridiques, le Gouvernement a été particulièrement actif : loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
À la suite des attentats de janvier 2015, le Premier ministre a annoncé un renforcement considérable des moyens humains et financiers pour la lutte contre le terrorisme, avec 2 680 emplois supplémentaires pour les trois prochaines années, dont 1 100 pour les services de renseignement intérieur (M. Jean-Louis Carrère applaudit.) – 500 emplois pour la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, 500 pour le Service central du renseignement territorial, le SCRT, et 100 pour la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, la DRPP. En outre, 425 millions d’euros de crédits ont été débloqués.
Ces nouveaux moyens, en liaison avec les nouveaux dispositifs instaurés par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, devraient en particulier permettre à la DGSI de faire monter rapidement en puissance son matériel technique. Ainsi pourra-t-elle assurer, au travers des dispositifs de traitement automatisé de données, une surveillance renforcée sur un large spectre. Je précise qu’il ne s’agit pas de voir dans le « tout technologique » la panacée face à cette menace terroriste accrue et massifiée. Néanmoins, ces dispositifs spéciaux en matière de renseignement doivent faciliter le travail des enquêteurs et offrir des capacités de recoupement et de brassage d’informations à la mesure du nombre d’individus à suivre.
Il n’est pas inutile de rappeler, me semble-t-il, la saignée que la révision générale des politiques publiques a provoquée au moment même où la DGSI a été créée : quelque 12 469 postes ont été supprimés entre 2007 et 2012 au sein des forces de police et de gendarmerie. (M. Philippe Dominati s’exclame.)
M. Jean-Louis Carrère. Il est bon de le rappeler, mon cher collègue !
M. Michel Boutant. Les efforts du Gouvernement en matière de crédits budgétaires et de création d’emplois ne constituent donc qu’un rééquilibrage salutaire à la sécurité de nos concitoyens.
La révision de la loi de programmation militaire a également permis de corriger la trajectoire d’un point de vue budgétaire et humain. C’est la conséquence pleinement pertinente du nouveau rôle dévolu à nos forces armées tant pour la sécurité du sol national que pour l’identification et la neutralisation des djihadistes présents sous le drapeau terroriste de Daech.
Grâce à la mise en place de l’état d’urgence, les services de l’État ont procédé à plus de 3 200 perquisitions administratives, qui ont abouti à la saisie de 560 armes, au placement de 341 personnes en garde à vue et à l’ouverture de 571 procédures judiciaires – il s’agit des chiffres communiqués lors du conseil des ministres du 3 février dernier. En décembre 2015, plusieurs projets d’attentats ont ainsi pu être déjoués.
À ceux qui craignent un dérapage de l’État de droit dans le contexte extraordinaire de l’état d’urgence, rappelons que le Conseil d’État a suspendu une assignation à résidence, le 22 janvier dernier, et condamné l’État à verser une indemnité à la personne concernée. La justice poursuit donc avec sérieux et rigueur sa mission de contrôle et s’assure de la proportionnalité des moyens engagés par l’État au regard de la garantie des droits et libertés individuels.
Le mouvement ne s’arrête pas à ces dispositions législatives. Une importante adaptation des méthodes de travail des services spécialisés est également à l’œuvre. Concernant les efforts consentis, deux axes se dessinent : d’une part, le renforcement de la coordination et de la circulation fluide de l’information entre les services et, d’autre part, la mise en place d’une supervision du suivi et du traitement des missions.
La mise en place de bureaux de coordination et de liaison aux niveaux central et territorial – une demande de longue date de la délégation parlementaire au renseignement – a considérablement amélioré l’échange d’informations.
Par ailleurs, une remise à plat des zones d’intervention des services a permis de faire coïncider les zones de compétences de la DGSI et celles du Service central du renseignement territorial. À l’échelon départemental, une supervision opérationnelle est assurée sous l’autorité des préfets tandis qu’au niveau central un état-major dédié a été mis en place.
Avec le plan d’action pour la lutte contre le financement du terrorisme annoncé par le ministre du budget et des comptes publics le 18 mars 2015 et les éléments renforçant les pouvoirs de TRACFIN, le traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, dans le projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé, une dimension essentielle de la lutte contre le terrorisme est prise en compte. Évoquons très rapidement la coopération opérationnelle interservices, avec la cellule Hermès créée au sein de la Direction du renseignement militaire. C’est un autre très bon moyen de faire travailler de concert le monde du renseignement sur un objectif précis.
Par ailleurs, face à la menace terroriste, les services de renseignement intérieur ne sont pas les seuls acteurs en jeu. Le caractère massif de la radicalisation ne pourra être traité uniquement par le volet renforcé de la surveillance de notre territoire. La lutte contre la propagande et les embrigadements, l’expérimentation de techniques de déradicalisation, l’étude de ces phénomènes en liaison avec les champs sociaux et économiques, tous ces objectifs éminemment nécessaires ne pourront trouver une solution au travers d’une approche strictement sécuritaire.
De ce point de vue, monsieur le ministre de l’intérieur, le colloque interministériel qui s’est tenu sous votre égide le 12 novembre 2015 apporte la preuve de votre engagement total en matière de lutte antiterroriste. Au nom de mon groupe, je veux vous adresser nos plus sincères félicitations pour votre travail sérieux et méticuleux.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Michel Boutant. Au-delà de l’aspect sécuritaire, l’importance que vous attachez à la prévention, au suivi, à la resocialisation et à l’accompagnement des personnes en voie de radicalisation constitue la preuve de votre engagement dans la lutte contre le terrorisme dans tous ses aspects. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien, mon cher collègue !
Mme la présidente. La parole est à Mme Leïla Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à exprimer, au nom de l’ensemble du groupe écologiste, notre très grande émotion à la suite des événements dramatiques qui ont frappé la Belgique hier. Nous avons, en cet instant, une pensée toute particulière pour les victimes, leurs familles et leurs proches endeuillés.
C’est dans ce contexte particulièrement lourd et grave que nous avons aujourd’hui un débat sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. Je tiens à saluer le travail et le dévouement de ces hommes et de ces femmes qui agissent dans l’ombre au quotidien pour la sécurité de nos concitoyens. Ils sont, à n’en pas douter, l’un des piliers de notre réponse face à la menace terroriste.
Il était important que le Parlement se saisisse de cette question et puisse aussi contribuer à la réflexion engagée sur l’approche préventive que nous avons face au risque terroriste. En effet, pour que notre réponse soit la plus adaptée et la plus efficace possible, nous devons impérativement trouver le parfait équilibre entre prévention et répression, équilibre indispensable, vous le savez, au succès de toute politique sécuritaire.
Nous ne pouvons pas le nier, un certain nombre de questions surviennent alors que notre pays a été frappé par deux vagues d’attentats en un an, des actes commis par des individus connus de nos services. Comment les combattre ? En ce sens, nous souscrivons à l’analyse du rapport d’information réalisé par le sénateur Dominati, qui reprend les conclusions de nombreux observateurs, pour ce qui concerne notamment l’empilement des services,…
M. Jean-Louis Carrère. Mais qu’est-ce que vous en savez ?
Mme Leila Aïchi. … qui nuit, à n’en pas douter, à la fluidité et à la circulation de l’information, et, surtout, le manque d’effectifs du renseignement intérieur.
En effet, les services souffrent non pas d’un déficit normatif, mais d’un manque de moyens humains et matériels. Or c’est bien ce manque qui est mis en avant dans ce rapport d’information, avec, notamment, la première recommandation.
Ainsi – nous l’affirmions déjà au moment de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme –, les hommes constituent la meilleure réponse aux menaces auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. Il s’agit non pas d’accroître à outrance les pouvoirs exceptionnels dévolus à l’État, mais bien de densifier le maillage humain de notre renseignement. Or, selon votre rapport d’information, monsieur Dominati, le personnel du service central du renseignement territorial ne représentait « à la veille des attentats de janvier [2015] que 60 % des effectifs des renseignements généraux avant la réforme de 2008 ».
Cela suscite des questions, d’autant que les chiffres évoqués à propos de l’évolution de la menace terroriste ces dernières années sont inquiétants. La France semble particulièrement exposée, avec près de 1 700 combattants partis pour l’Irak et la Syrie entre 2014 et 2015. Pis encore, le Premier ministre a récemment estimé que ce sont désormais près de 3 000 personnes qui nécessitent une surveillance.
Face à cette menace d’une nouvelle forme, les annonces, en 2013 et 2015, de l’augmentation des effectifs des services concourant au renseignement intérieur vont dans le bon sens, et nous soutenons cette initiative ; nous resterons toutefois vigilants quant à l’évolution réelle des effectifs.
De manière générale, nous sommes beaucoup plus inquiets des évolutions du dispositif juridique qui entoure à présent l’action de ces services, dans la mesure où nous considérons qu’elles peuvent présenter un danger pour les libertés individuelles et qu’elles participent à l’inscription dans la durée d’un état d’exception, ce à quoi nous nous opposons formellement. Vous connaissez, monsieur le ministre, notre position sur ce sujet ; je n’y reviendrai pas davantage.
Plus d’hommes, cela signifie également une meilleure gestion et une meilleure analyse de l’information récoltée.
En effet, tous les professionnels s’accordent à dire que la priorité est non pas la quantité d’informations que vous pourrez intercepter, mais bien l’analyse que vous en ferez. Cela passe d’abord par une meilleure circulation de l’information. Or la France possède l’une des architectures les plus complexes d’Europe en matière de renseignement intérieur. Les conséquences sont nombreuses : un coût de fonctionnement certain, une déperdition des moyens, une moindre efficacité des services et une fragilité du dispositif de lutte contre le terrorisme dans son ensemble.
J’ai été surprise, à la lecture du rapport d’information, par la subsistance de conflits d’attribution aussi importants. Ainsi, une simplification du partage des compétences et un regroupement des services semblent en effet souhaitables. Parallèlement, nous devons renforcer la coopération européenne en la matière. Peut-être qu’un FBI européen serait opportun, comme l’ont très justement suggéré Alain Lamassoure et le président Larcher, même si cela implique une délégation de souveraineté de la part des États membres.
Par ailleurs, l’amélioration du traitement de l’information, source de qualité, passe par une mutualisation et un rapprochement avec le monde universitaire. En cela, nous souscrivons à la recommandation n° 8 du rapport d’information.
Le renseignement intérieur doit en effet pouvoir se nourrir pleinement de la société civile. Vous préconisez, monsieur Dominati, davantage d’échanges avec les universitaires dans le cadre de la formation des agents, ainsi que l’élargissement du recrutement de contractuels. Soit, mais nous devons aller encore plus loin, mes chers collègues. Nous devons favoriser le contact direct et durable avec les acteurs locaux, qui sont au plus près des réalités sur le terrain et sont à même d’apporter une réponse complète et adaptée.
Je l’ai dit au début de mon intervention, le volet préventif du renseignement est la clef de cette réponse. Il s’agit de la priorité absolue, les récents événements en sont malheureusement une nouvelle preuve.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai souligné la semaine dernière lors du débat portant sur les conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population, je rappellerai, en conclusion, combien il est important que le contrôle parlementaire soit également renforcé pour ce qui concerne les renseignements intérieurs. Dans la mesure où ces services opèrent sur le territoire national, les parlementaires doivent pouvoir en contrôler le fonctionnement et les orientations budgétaires, tout en respectant le secret lié à leur activité.
Si, selon nous, ce débat va dans le bon sens, notamment dans sa dimension préventive, ne faisons néanmoins pas l’économie d’engager une réflexion plus large, plus globale, sur les sources mêmes du terrorisme, et ce d’autant qu’elle suscite des interrogations prégnantes sur les relations internationales. Pouvoir les déceler est une chose, mais y remédier à long terme et chercher à les contrer au travers d’une réponse multidimensionnelle en sont une autre. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport d’information dont nous débattons aujourd’hui des conclusions porte sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. Sa date de publication – antérieure aux attentats islamiques du 13 novembre dernier – nous permet malheureusement de répondre de façon négative à la question de la capacité de nos services de renseignement à répondre à ce risque.
Les faits sont têtus. Non, les services concourant au renseignement intérieur n’ont pas été en capacité d’assurer leurs missions, contrairement à ce que l’on peut lire sur la première page de ce rapport.
En outre, les actes perpétrés hier sur le territoire du Royaume de Belgique démontrent que les services de renseignement sont encore dépassés par nos ennemis. Alors, oui, il faut renforcer les moyens dédiés à ce combat.
Ces odieux attentats coïncident avec le lancement d’une campagne de propagande du Gouvernement contre le racisme, ou plutôt contre une vision idéologique du racisme. Trois millions d’euros ont été consacrés à cette propagande culpabilisante, alors que le peuple de France est sans doute le moins raciste de tous les peuples du monde. Ces millions auraient sans doute été bien plus utiles à la lutte contre nos ennemis islamistes ; la liste des besoins en matériel pour nos forces de l’ordre, pour ne parler que de cela, est malheureusement bien longue.
N’étant malheureusement pas membre de la délégation parlementaire au renseignement, je n’ai qu’un regard extérieur sur l’organisation des services de renseignement. Cependant, comme vous le mentionnez dans la recommandation n° 2, monsieur Dominati, je pense qu’un regroupement des différentes unités serait gage d’efficacité opérationnelle, de même que le renforcement des effectifs dans le maillage territorial. Et dire qu’aujourd’hui un commandant de compagnie de gendarmerie n’a pas accès aux fiches S et qu’il n’est donc pas en capacité de savoir si des individus identifiés comme présentant un risque se trouvent sur sa zone !
Toutefois, ne nous voilons pas la face, l’efficacité de nos seuls services de renseignement ne suffira malheureusement pas à nous protéger du péril islamique. Il faut en effet revoir un certain nombre de nos politiques publiques pour endiguer ce fléau et gagner cette guerre, pour reprendre les termes du Premier ministre.
Cela passe par un changement de notre politique étrangère, en particulier à l’égard de pays prétendus amis – certains de leurs représentants ont reçu, me semble-t-il, la Légion d’honneur –, qui, au mieux, sont complaisants et, au pire, sont des soutiens des islamistes.
Cela passe aussi par un changement de notre politique migratoire : les noms et les nationalités des auteurs de ces attentats sont la démonstration du lien évident entre immigration et terrorisme islamique.
Cela passe également par un changement de notre politique régalienne, en particulier avec le retour aux frontières nationales et le contrôle systématique des personnes qui entrent sur notre sol.
Cela passe, enfin, par un changement de notre politique dite « de la ville ». Au nom de votre « vivre ensemble », vous avez toléré, pour des raisons électoralistes essentiellement, les communautarismes les plus odieux, qui ont fait le lit du terrorisme.
L’énergie que vous employez depuis des dizaines d’années pour faire taire ceux qui vous alertent sur des risques devenus aujourd’hui réalité serait plus utile pour lutter contre ceux qui, eux, prêchent une véritable haine, la haine de notre culture, de notre histoire…, la haine de la France !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, la barbarie a encore frappé l’Europe ; c’est une réalité que je ne souhaite pas vivre comme une habitude.
D’abord en janvier, puis en novembre, la France a été la cible d’actes d’une violence inimaginable, inacceptable dans notre monde moderne, et a été submergée par la peine et l’émotion.
Aujourd’hui, les Turcs, les Maliens et les Belges connaissent eux aussi la sidération, la douleur d’être agressés par des fanatiques, qui manipulent et dénaturent leur religion pour mieux servir la faiblesse de leur âme.
Chacun a exprimé avec justesse et dignité notre solidarité pleine et entière avec le peuple belge. Quoi de plus normal ? Quoi de plus juste ?
Le sujet qui nous réunit aujourd’hui est malheureusement d’actualité ; il est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Nous débattons du rapport d’information sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. Oui, nous sommes en guerre, et les terroristes entendent également mener une bataille médiatique en conduisant sur tous les terrains une guerre des nerfs.
Nous avons eu l’occasion de débattre du terrorisme et des moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour lutter contre ce nouveau fléau. Nous avons eu des discussions théoriques sur les causes de cette nouvelle guerre et sur les libertés publiques ; nous avons débattu de la déchéance de nationalité et de l’état d’urgence ; et, finalement, nous avons peut-être voulu oublier la réalité aveuglante et cruelle de ces actes terroristes.
Nous avons tous le souhait – et l’obligation – de poursuivre le renforcement de la lutte contre le terrorisme au travers de moyens tant humains que financiers.
Mes chers collègues, quel est l’objet de notre débat d’aujourd’hui ? Poser la question de l’efficacité de l’organisation administrative du renseignement français ? Condamner le manque de moyens consacrés au renseignement ? Il s’agit pourtant là des conséquences de la réforme de 2008 visant à restructurer le renseignement français et ambitionnant la création d’un FBI à la française, mais qui a sacrifié le renseignement territorial.
Nous sommes désormais convaincus de l’impérieuse nécessité de restaurer la confiance dans l’information de proximité : rien ne vaut le renseignement humain !
Oui, le maillage fin du territoire par les agents est indispensable à la qualité et à la précision de l’information, comme l’a cruellement rappelé la cavale de Salah Abdeslam durant ces quatre derniers mois.
Les progrès indéniables de la police scientifique, les avancées informatiques et les écoutes ne remplaceront jamais le travail de terrain. Mais chacun de nous connaît le coût de cette présence et les difficultés qu’elle peut entraîner.
J’en conviens, l’heure est trop grave pour céder à la polémique vaine, stérile, voire, parfois, irresponsable. L’heure n’est pas aux petites phrases, aux petits tweets déplacés visant à faire le buzz.
Oui, nous le savons tous, le contexte national et international impose des moyens humains et matériels supplémentaires pour les services du renseignement français.
Dès le 21 janvier dernier, le plan antiterroriste a permis, d’abord, le déploiement de près de 4 700 policiers pour la surveillance des 717 écoles juives en France et de 10 000 militaires pour assurer le contrôle des points sensibles du territoire et, ensuite, la création de 2 680 emplois, dont 1 100 ont été alloués aux seuls services de renseignement intérieur.
Le Président de la République, lors de son intervention devant le Congrès réuni le 16 novembre dernier, a annoncé les différentes décisions budgétaires engendrant un surcroît de dépenses et consacrant « la primauté du pacte de sécurité sur le pacte de stabilité ». C’est dans ce cadre que nous avons voté, à l’unanimité, monsieur Dominati, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2016, près de 815 millions d’euros de moyens supplémentaires consacrés à la mission « Sécurités », ainsi que vous l’avez rappelé.
Monsieur le ministre, outre du matériel de pointe, des logiciels et des armes, ce vote a permis la création, sur deux ans, de pas moins de 8 500 postes, dont 5 000 dans la police et la gendarmerie, décidée par le Gouvernement : 3 150 de ces postes seront créés dès 2016, avec 1 763 emplois alloués à la gendarmerie, 1 366 à la Police nationale et 21 postes de démineurs à la sécurité civile. Enfin, 252 emplois seront dédiés au contrôle des armes, à la lutte contre la fraude et la prévention de la radicalisation. À cela s’ajoutent les mesures annoncées hier par le ministre de l’intérieur.
Mes chers collègues, cette période est lourde d’émotions. La tension est palpable. Les Français sont inquiets, à juste titre.
Demeurons à la hauteur de la qualité des débats qui se sont tenus à l’occasion de la discussion du projet de loi de révision constitutionnelle.
À titre personnel, je suis sensible au poids des mots, et personne, je l’espère, ne me reprochera de rappeler ceux, pleins de sagesse et de gravité, qui ont été prononcés dans cet hémicycle la semaine dernière : « la France, dans un élan spontané d’unité nationale » ; « valeurs républicaines », « protection de la Nation », « détermination de la représentation nationale et, au-delà, […] du peuple français lui-même à vaincre ce mal absolu. »
Alors, mes chers collègues, ne cédons pas à la pression des terroristes. Ne décevons pas les attentes des Français. Soyons fermes, déterminés, mais restons vigilants quant à cet équilibre délicat, toujours à réinventer, entre besoin légitime de sécurité et préservation des libertés individuelles.
Attachons-nous à ce qui nous unit, à ce qui conforte les valeurs fondamentales qui font la France et que tant de pays nous envient. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées de l'UDI-UC. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Charon.
M. Pierre Charon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier encore, l’Europe a été touchée par la barbarie.
En tant que sénateur de Paris et membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je veux dire au peuple belge que les Français sont à ses côtés dans cette épreuve et aux familles des victimes des attentats du 13 novembre, en France, et du 22 mars, en Belgique, que nos pensées les accompagnent face à ces actes criminels.
L’interpellation de Salah Abdeslam à Bruxelles est un premier pas vers la justice. Aussi, le débat de cet après-midi est important.
Je salue mon collègue Philippe Dominati pour son rapport intitulé Les moyens consacrés au renseignement intérieur. L’intérêt du Sénat pour le renseignement n’est pas nouveau. En 1971, René Monory a été le premier à se saisir de ce sujet.
Ce rapport permet de s’interroger sur le fonctionnement des services qui doivent répondre à la multiplication des menaces, dont celle du terrorisme actuel, qui, depuis les années quatre-vingt-dix, n’a plus rien à voir avec le terrorisme d’État.
Revenons tout d’abord sur la nature de la menace. Ses évolutions sont multiples.
Concernant le terrorisme islamiste, les auteurs sont, certes, isolés, mais ils ne sont absolument pas indépendants. La planque de Salah Abdeslam est révélatrice d’un terrorisme individuel puisant ses inspirations et bénéficiant de formations à l’international, trouvant des appuis logistiques locaux et développant des relations structurées avec des mouvances concurrentes depuis la mort de Ben Laden.
L’avènement de l’État islamique en Irak et la guerre en Syrie constituent de puissants accélérateurs d’attractivité pour les jeunes concernés.
En outre, nous devons nous interroger sur l’implantation dans la durée et la concentration d’éléments terroristes à l’échelle d’un quartier, comme celui de Molenbeek. En France ou en Belgique, les terroristes disposent d’aides ponctuelles, mais efficaces, leur garantissant une clandestinité digne d’une grande organisation criminelle, bénéficiant de la solidarité et de l’omerta communautaires.
L’arrestation de vendredi est emblématique de l’étendue des missions des services, de leur complexité et de leur interconnexion. Comme je l’ai dit en commission des affaires étrangères, leur efficacité est intrinsèquement liée à la coopération avec leurs homologues européens.
Mon second point concerne la réforme de 2008, mise en place par le président Sarkozy.
Depuis 1944 et jusqu’en 2013, celle-ci a constitué la seule réforme du renseignement intérieur. Elle a été préservée par l’actuelle majorité. Elle a pris en compte, d’une part, la nature nouvelle du terrorisme, sa radicalité religieuse et sa porosité avec la délinquance et, d’autre part, la situation absurde dans laquelle pouvaient se retrouver nos services. L’objectif était de mettre un terme à une concurrence fonctionnelle et géographique pouvant nuire aux intérêts nationaux.
Alors qu’elle s’occupait de l’antiterrorisme, la Direction de la surveillance du territoire, la DST, souffrait d’un défaut de maillage territorial, et était concurrencée par la Direction centrale des renseignements généraux, la DCRG. Le résultat a été cette cacophonie insupportable.
Le terrorisme moderne ne pouvait plus être traité sous le seul angle du contre-espionnage. Dès lors, la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, devenue Direction générale de la sécurité intérieure, ou DGSI, a repris la compétence répressive de la DST et l’implantation territoriale des renseignements généraux.
Plus qu’une simple réorganisation des services, cette réforme participe d’une nouvelle méthodologie, distinguant « renseignement intérieur » et « information générale », comme l’a parfaitement expliqué le préfet Bernard Squarcini lors de son audition par la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.
Cette rationalisation, cette adaptation de l’organisation administrative et la recherche d’une meilleure coordination, amorcées en 2008, ont renforcé l’efficacité des services et amélioré la sécurité des Français.
Si de nouvelles réformes peuvent être envisagées, nos services ont cependant besoin de temps pour absorber les réformes structurelles.
Notre collègue Philippe Dominati propose de renforcer le renseignement territorial, qu’il considère comme un « parent pauvre ». Il faut donner à celui-ci une nouvelle dimension, notamment à la lumière des concentrations géographiques au niveau départemental, des connexions entre la petite délinquance, les trafics, le crime organisé et le terrorisme.
En revanche, comme je l’ai déjà dit, le rôle de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, la DRPP, doit être repensé.
Par ailleurs, il convient de mieux coordonner les moyens consacrés à la surveillance des flux financiers. TRACFIN ne relève pas du renseignement intérieur, mais son rôle est prépondérant dans la lutte contre le terrorisme et dans la défense des intérêts économiques, dont on parle encore trop peu.
L’organisation du crime mondialisé touche tous les secteurs et repose sur une ingénierie financière pensée par des experts en fonds d’investissement. Aussi, les échanges institutionnels entre Bercy et Beauvau doivent être intensifiés.
Lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire ou lors du vote des crédits des missions « Sécurités » et « Défense », nous avons souhaité augmenter les moyens humains et matériels. Toutefois, cela exige une véritable stratégie en matière de ressources humaines. La complexité des réseaux nécessite des compétences spécifiques et, face à la judiciarisation du métier – la loi relative au renseignement en est la preuve –, il faut se garder d’embaucher des généralistes ignorant les procédures.
Cependant, ces analyses sont vaines si le volet judiciaire reste défaillant et si nous sommes incapables d’instaurer une véritable chaîne pénale.
Avant de conclure, je veux aborder la coordination entre la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, et la DGSI. Cette coordination existe et elle est fructueuse. Nous l’avons entendu lors de l’audition conjointe de leurs deux directeurs généraux – je souligne le caractère inédit de cette audition –, sur l’initiative de M. Jean-Pierre Raffarin, qui préside notre commission.
Enfin, la priorité reste l’harmonisation au niveau européen : l’action de nos services doit inspirer l’ensemble de nos voisins, la coordination doit être démultipliée, les moyens augmentés et le PNR, le Passager Name Record, enfin adopté. Nous sommes tous d’accord sur ce point.
La politique de sécurité européenne n’est pas un concept vain ; elle doit devenir une réalité. Et cela passe aussi par la mise en place d’une politique en faveur du renseignement.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pierre Charon. Il est inacceptable que l’ennemi public européen ait pu nous échapper pendant quatre mois. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom des membres du groupe de l’UDI-UC, je veux dire que nous compatissons à la peine des familles endeuillées par les attentats survenus hier à Bruxelles.
Bien entendu, nous avons également une pensée émue pour les forces de police qui ont été mobilisées à la suite de cet événement et pour toutes celles qui le sont déjà depuis plusieurs mois, en Belgique, mais aussi en France, pour lutter contre le terrorisme. Monsieur le ministre, je sais que cette mobilisation particulière traduit ce qui est devenu aujourd'hui une priorité de l’action publique.
Les différents attentats qui ont frappé la France en janvier et novembre derniers et la Belgique hier montrent bien que nous devons avancer encore plus fortement dans la lutte contre le terrorisme.
À cet égard, le rapport d’information de Philippe Dominati tombe en quelque sorte à point nommé pour nous donner quelques éléments de nature à analyser de la situation, même s’il a été rédigé, je le rappelle, avant la seconde vague d’attentats en France. En tout état de cause, les membres de notre groupe y ont porté beaucoup d’attention. Nous pensons en effet qu’il convient de poursuivre le renforcement des moyens consacrés au renseignement intérieur.
Je veux rappeler que la question du renseignement a été éludée dans notre pays pendant plusieurs décennies, à la suite de la création de la DST en 1944. Il a pratiquement fallu attendre les années 2008 et 2013 pour que deux grands textes réorganisent le renseignement dans notre pays. Pour autant, nous estimons qu’il ne faut pas s’arrêter là : pour récents qu’ils soient, ces deux textes nécessitent encore quelques adaptations. Certaines sont intervenues lorsque nous avons adopté la loi relative au renseignement, qui a notamment permis de bien définir ce qu’était le renseignement aujourd'hui, c'est-à-dire la recherche et l’exploitation des informations relatives aux enjeux stratégiques de notre pays ainsi qu’aux menaces et aux risques pesant sur celui-ci.
La question du terrorisme est au cœur de ces préoccupations, parce que la sécurité de nos concitoyens doit être une priorité de l’action publique.
Comme notre collègue Philippe Dominati l’a évoqué et comme je l’ai moi-même dit tout à l'heure, des renforcements des personnels et des moyens d’action ont permis à nos services d’être efficaces. Ainsi, en termes de moyens déployés pour le renseignement, notre pays se situe à un bon niveau. Nous pouvons nous en satisfaire, mais, comme l’a souligné notre collègue, ce constat doit nous conduire à renforcer les moyens matériels en accompagnement des moyens humains supplémentaires que vous proposez, monsieur le ministre.
À cet égard, notre collègue a évoqué un certain nombre de situations qu’il faut absolument prendre en compte ; je n’y reviens pas.
Le rapport soulève une autre question : celle du recrutement et de la formation.
À l’instar de notre collègue, je suis de ceux qui pensent qu’il doit y avoir de la souplesse en la matière. En effet, nous avons véritablement besoin de pouvoir recruter des talents, tant la diversité des moyens à mettre en œuvre est importante. Il ne s’agit pas simplement d’emplois classiques de policiers, de gendarmes ou de chercheurs ; il faut aussi des personnels capables de lutter, par exemple, contre la cybercriminalité. On sait que cela ne sera possible que si l’on sort du cadre contraignant et extrêmement rigide de la fonction publique, qui ne nous permet pas de nous doter des moyens qui doivent être mis en œuvre rapidement. Il est donc important que l’on puisse s’affranchir d’un certain nombre de contraintes sur ce plan. Il est également bien évident que les formations doivent pouvoir évoluer.
Comme cela a été dit, la question de la coordination est absolument essentielle dans l’efficience de nos services de renseignement.
Le constat est clair : il y a aujourd'hui encore un grand nombre de services qui travaillent au renseignement intérieur dans notre pays : la Direction générale de la sécurité intérieure, la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste et le Service central du renseignement territorial. Il importe aux membres de notre groupe que la coordination entre ces différents services soit encore plus opérationnelle. À cet égard, nous pensons que la réduction de leur nombre – de quatre à deux – proposée dans le rapport d’information serait sans doute une très bonne chose.
J’y insiste, nous sommes absolument persuadés que la coordination entre les services concernés, que ceux-ci s’occupent des questions financières ou douanières ou qu’il s’agisse des services de renseignement de la défense, doit impérativement être encore renforcée, tant ceux-ci sont nombreux. Je sais qu’un coordinateur national a été nommé, mais une action encore plus soutenue en la matière serait absolument essentielle.
Je veux également évoquer la dimension européenne du sujet.
Analysant ce qui s’est passé hier à Bruxelles, un certain nombre de spécialistes ont bien montré que les services de renseignement belges étaient quelque peu dépassés par la situation. Bien évidemment, ce n’est pas leur compétence qui est en cause ; je ne doute pas que celle-ci soit réelle. Mais les difficultés qu’ils rencontrent tiennent au nombre d’individus devant faire l’objet d’un suivi.
En effet, le nombre de personnes rentrées en Belgique après avoir combattu en Syrie se situerait, selon les sources, entre 460 et 560 – en France, leur nombre serait d’environ 600. Quoi qu’il en soit, cela montre bien que la coopération entre les différents pays est absolument nécessaire.
Fidèles aux convictions qui les animent, les membres de notre groupe souhaitent plus d’intégrations européennes, y compris sur ces questions de souveraineté, parce que le terrorisme, on le voit bien, ne connaît pas de frontières.
Parmi les coopérations à développer figure le registre de données des dossiers passagers, le PNR, qui a été évoqué tout à l'heure. Tout en saluant votre détermination à faire aboutir ce projet, monsieur le ministre, il n’en reste pas moins vrai que la version retenue n’est pas satisfaisante, dans la mesure où les vingt-huit fichiers existant dans chacun des pays européens sont additionnés, sans certitude de coordination à l’échelle européenne.
Or cette coordination à l’échelle européenne ne doit pas simplement être facultative, c'est-à-dire dépendre de la volonté de chacun des gouvernements. Elle doit être effective. Cela plaide très clairement pour une plus grande intégration européenne sur les questions de défense et de sécurité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. François Fortassin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’arrestation, samedi dernier, à Bruxelles, de l’un des organisateurs des attentats terroristes du mois de novembre 2015, comme les attentats suicides intervenus hier à l’aéroport et dans le métro de cette même ville, éclairent d’un jour nouveau le présent débat sur les moyens consacrés au renseignement intérieur, organisé à la demande de nos collègues du groupe Les Républicains. Bien évidemment, nous avons, nous aussi, une pensée pour les victimes de ces attentats et leur famille.
Ainsi, nous sommes pleinement dans l’actualité, et cette coïncidence avec ces événements cruciaux dans la lutte antiterroriste va nous permettre de débattre concrètement de questions qui sont, par définition, opaques et complexes.
L’arrestation du criminel Salah Abdeslam marquera sans doute un tournant décisif dans la lutte contre le terrorisme islamiste.
On peut tout d’abord espérer, si l’enquête policière et le processus judiciaire suivent normalement leur cours – ce que l’on peut supposer –, que ce criminel se révélera, dans les semaines à venir, une précieuse source d’information.
Nos services de renseignement pourraient ainsi en apprendre davantage sur la chaîne de commandement des attentats de Paris et comprendre le mode de fonctionnement des groupes clandestins se réclamant du soi-disant « État islamique » sur le continent européen. Cela leur permettra sans doute d’adapter leurs pratiques pour les rendre plus efficaces.
Cette arrestation permettra peut-être également de comprendre les mécanismes dits de « radicalisation » à l’œuvre auprès de certains jeunes et de mettre en place une véritable politique de prévention du terrorisme qui aille au-delà du discours du 13 novembre. La réflexion sur la prévention n’a que trop souffert des discussions politiciennes sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité.
Cette arrestation rend surtout souhaitable le retour à une pleine application de l’État de droit. Je veux dire par là que la perspective de pouvoir juger, dans quelque temps, l’un des membres du commando terroriste qui ensanglanta Paris doit rendre au pouvoir judiciaire la place centrale que les différentes lois antiterroristes lui ont confisquée : le cours normal de la justice permettra assurément de comprendre comment ont fonctionné ces derniers mois les services de renseignement, mais aussi d’éclaircir de nombreux points pour les familles des victimes.
Monsieur le ministre, l’intérêt du débat de cet après-midi est donc de vous entendre sur des faits précis et sur les mesures immédiates prises ces jours-ci en Conseil de défense.
Mais l’intérêt est également d’exercer notre fonction de contrôle de l’action gouvernementale : il est donc légitime que puisse s’exercer, à travers le Parlement, ce contrôle démocratique de la politique publique du renseignement et de sa mise en œuvre par les services.
Je voudrais d’emblée rappeler qu’en matière de lutte antiterroriste notre groupe est animé par la seule volonté de trouver les moyens d’assurer le plus efficacement possible la protection de nos concitoyens contre les actes terroristes et de renforcer nos capacités de lutte contre ces menaces d’un type particulier.
Toutefois, dans le même temps, nous sommes très soucieux, comme d’autres, que la politique menée dans ce domaine permette d’atteindre un juste équilibre entre les exigences de la sécurité et le respect d’un certain nombre de libertés fondamentales, caractéristiques de nos valeurs républicaines.
Pour réfléchir à ces questions, nous disposons de deux rapports : d’une part, celui de notre collègue Philippe Dominati, plus précisément axé sur les moyens du renseignement intérieur et, d’autre part, le rapport annuel de la délégation parlementaire au renseignement, présidée par notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
Tous deux font au Gouvernement des recommandations souvent pertinentes, auxquelles ce dernier devrait prêter une oreille attentive. Je ne me prononcerai pas sur le détail des nombreuses propositions de réorganisation administrative exposées dans le rapport très fouillé de M. Dominati, qui concernent plus précisément les services de renseignement intérieur.
Le rapport de la délégation parlementaire, quant à lui, a un champ plus vaste : il dresse un constat sur le fonctionnement des services en général et en souligne quelques carences, auxquelles la délégation propose de remédier. Surtout, il pointe une sérieuse insuffisance en matière d’évaluation du renseignement.
C’est la raison pour laquelle je partage pleinement l’exigence formulée de mettre en place un solide appareil d’évaluation de la politique publique du renseignement, sans lequel le débat sur l’efficacité de nos services aura toujours un caractère polémique.
La création d’un corps d’inspection, qui permettrait non seulement un contrôle effectif des moyens « intrusifs » dont disposent les services, mais aussi l’utilisation des fonds spéciaux, me semble nécessaire. Il s’agirait d’un utile garde-fou contre l’utilisation très large des techniques de collecte du renseignement accordée aux services dits du « deuxième cercle ».
Je souscris également à la recommandation de bon sens d’une mutualisation accrue des moyens entre les services, ainsi qu’à la nécessité de nouer des partenariats avec les services étrangers, notamment au sein de l’Union européenne, pour être plus efficace contre cette menace terroriste qui se joue des frontières.
Enfin, je note avec satisfaction la mise en garde – à juste titre – du rapport contre une tendance à la sous-estimation du renseignement humain par rapport à l’expertise technologique. Nous avions déjà souligné ce danger lors de la discussion de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, en précisant, par exemple, que l’efficacité de la collecte massive de données personnelles était tout à fait aléatoire, alors que la performance et l’efficacité tiennent plus aux capacités d’analyse et à une bonne articulation entre le renseignement humain et le renseignement technique.
Dans cette utile réflexion sur l’activité de nos services, notre préoccupation principale et notre désaccord avec la politique suivie par le Gouvernement en la matière portent sur le cadre légal fixé à leur intervention.
Les lois sur le renseignement déjà adoptées, ainsi que le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, en cours de discussion au Parlement, sont en effet critiquables sur de nombreux points touchant aux libertés individuelles.
La semaine prochaine, lors de la discussion de ce dernier projet de loi, nous veillerons à mettre en place un meilleur équilibre entre les exigences de sécurité et le respect des libertés individuelles fondamentales.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques-unes des réflexions dont le groupe communiste, républicain et citoyen souhaitait vous faire part à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année dernière, notre assemblée décidait de constituer une commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, dont je fus le rapporteur.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. Quelques mois après la publication des travaux de cette commission d’enquête, vous êtes venu nous dire, monsieur le ministre de l’intérieur, que plus de la moitié des préconisations de son rapport était d'ores et déjà engagée par le Gouvernement, notamment par votre ministère.
Vous me permettrez, après Michel Boutant et Jean-Noël Guérini, de souligner l’action qui est la vôtre. Si les critiques sont faciles – elles sont d’ailleurs légitimes dans cette enceinte ! –, nous devons dire, à la vérité, que beaucoup a été fait.
Michel Boutant a évoqué les 2 680 emplois supplémentaires sur trois ans prévus pour le renseignement, dont 1 100 pour le renseignement intérieur, ce qui est considérable. Je tiens à souligner ces chiffres, qui montrent, selon moi, combien ce gouvernement a pris la mesure de la difficulté et de l’ampleur de la tâche.
Je voudrais ici non pas donner des conseils – ce serait vraiment prétentieux ! –, mais simplement mettre l’accent sur quelques points que vous connaissez parfaitement et sur lesquels il me semble important de continuer d’avancer.
Il s’agit tout d’abord de la bonne coordination entre la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure, et le SCRT, le Service central du renseignement territorial. En effet, on a pu le voir par le passé – je songe au débat que nous avions eu à propos de l’affaire Merah –, la cohérence de notre dispositif réclamait une totale solidarité, une totale efficacité entre l’instance centrale et le renseignement territorial, dont les effectifs avaient été parfois quelque peu dégarnis.
Je sais, monsieur le ministre, que vous travaillez dans cette direction et que vous avez pris les dispositions qui s’imposaient. C’était absolument nécessaire, et cela le reste encore.
Je voudrais ensuite mettre l’accent sur la grande importance de ce que j’appelle la « guerre du cryptage », que vous connaissez parfaitement.
Il est tout à fait évident que les personnages – les individus, devrais-je dire – aux commandes de Daech disposent de ressources humaines assez compétentes, voire très compétentes, en matière de cryptage. Si nous avions pu percer les communications préalables aux attentats du 13 novembre dernier ou à ceux qui viennent d’avoir lieu en Belgique – chacun souligne la nécessaire solidarité avec nos amis belges –, nous aurions pu les empêcher.
Il est évident, comme l’a relevé l’un de nos collègues, que nous avons besoin de personnels extrêmement expérimentés sur ces questions. À cet égard, la ressource de l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, est, vous le savez, monsieur le ministre, extrêmement précieuse. Je crois toutefois que nous devons continuer de déployer nos efforts dans cette direction.
S’agissant de la radicalisation ou de ce que l’on appelle ainsi, méfions-nous des remèdes trop simplistes : quelques vidéos ne sauraient suffire pour « déradicaliser » une jeune personne prise en main par ces barbares et leur idéologie délétère et meurtrière. Il faut faire un travail de fond. Il est essentiel de mettre en place des cellules de veille dans toutes les préfectures et de mener un travail de terrain pour parler à ces jeunes, les prendre en charge et conduire des actions en profondeur.
Enfin, comme plusieurs de nos collègues, je voudrais dire un mot sur le PNR, dont il est question dans le rapport de M. Dominati, que je remercie.
Il est vrai qu’on en parle tout le temps, mais c’est un sujet d’inquiétude. À quoi bon prendre des mesures pour assurer la sécurité des frontières européennes, avec des garde-côtes, des mesures auxquelles vous avez beaucoup contribué, monsieur le ministre, s’il faut attendre des mois et des mois que la procédure parlementaire aille à son terme ? La Haute Assemblée a l’habitude de protester contre la procédure accélérée, sauf quand elle est justifiée ! Et quand il s’agit de lutte contre le terrorisme, elle est justifiée.
Il est bien évidemment essentiel que ce PNR voie le jour – j’ai lu aujourd’hui un texte intéressant sur ce sujet –, mais encore faut-il s’entendre sur son périmètre. Nous voulons non pas dix-huit PNR, mais un seul instrument, efficace à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit d’une absolue nécessité.
Monsieur le ministre, j’ai simplement voulu mettre l’accent sur quelques points qui me paraissent essentiels. Nous devons être tous unis et rassemblés pour mener à bien cette lutte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en novembre dernier, notre pays a été une nouvelle fois touché par le fléau du terrorisme. Hier, c’est la Belgique qui a été frappée par des attentats meurtriers.
Dans un tel contexte, où la France doit faire face à une menace terroriste très concrète, les choix budgétaires et juridiques doivent être à même de répondre à ces enjeux.
Les crédits consacrés au renseignement par le ministère de l’intérieur ne sont pas clairement identifiés au sein de la mission « Sécurités ». La transformation de la DCRI en DGSI n’a donné lieu à aucun ajustement de l’architecture budgétaire du renseignement intérieur.
L’activité des services de renseignement est reconstituée au sein de l’action n° 1, Ordre public et protection de la souveraineté. En comparaison, les crédits consacrés au renseignement par le ministère de la défense sont identifiés avec un degré de précision bien supérieur.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si la création d’une action intitulée « Renseignement » dans le prochain projet de loi de finances est envisagée ?
Rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, sur les crédits de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2016, j’ai pu dresser un premier bilan de la lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes.
Je m’attacherai tout d’abord au bilan de l’activité du département de lutte contre la radicalisation.
Sur l’initiative du ministère de l’intérieur, un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes a été mis en place à compter du 23 avril 2014, coordonné par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT. Le ministère s’est ainsi doté d’un département de lutte contre la radicalisation, composé de vingt personnes, dont une conseillère technique psychologue et un représentant des services pénitentiaires.
Le dispositif s’articule autour du Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, le CNAPR, qui a une double vocation : d’une part, recueillir les renseignements relatifs aux personnes radicalisées ou en voie de l’être et, d’autre part, soutenir et assister les familles de ces dernières.
Le CNAPR recueille les signalements effectués par le biais du numéro vert, internet ou un service territorial, quand le signalement a été effectué au sein d’un commissariat ou d’une brigade de gendarmerie.
Entre le 29 avril 2014, date de sa mise en place, et le 27 août 2015, le CNAPR a enregistré 2 964 signalements : 1 827 appels au numéro vert – soit un peu plus de 61 % des signalements –, 361 formulaires internet – un peu plus de 12 % des signalements – et 776 courriels transmis par un service de renseignement territorial – un peu plus de 26 % des signalements.
Les renseignements collectés font l’objet d’une transmission en temps réel à la Direction générale de la sécurité intérieure, au Service central du renseignement territorial et aux préfectures des départements d’origine des signalements. Par ailleurs, quand le signalement concerne un détenu, les éléments sont transmis à la Direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la justice. Les éléments échangés font ensuite l’objet d’un suivi entre le CNAPR, les services et les préfectures.
J’en viens maintenant au bilan des mesures d’interdiction de sortie du territoire ou d’interdiction administrative du territoire.
La loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a instauré plusieurs mesures complétant l’action engagée avec le plan de lutte contre la radicalisation, dont les mesures d’interdiction de sortie du territoire, les mesures d’interdiction administrative du territoire et le blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à la commission d’actes de terrorisme.
Entre le 15 janvier et le 31 août 2015, l’UCLAT a contribué à l’adoption de 135 mesures administratives d’interdiction de sortie du territoire, dont 123 ont été notifiées et 10 ont déjà fait l’objet d’un premier renouvellement. Au 31 août 2015, 132 dossiers étaient en cours d’instruction.
La loi du 13 novembre 2014 précitée a également prévu une mesure d’interdiction administrative du territoire à l’encontre de ressortissants étrangers qui souhaiteraient accéder au territoire national, mais qui présenteraient une menace pour la sécurité publique.
Cette mesure de police administrative, prévue par les articles L. 214-1 à L. 214-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, distingue les ressortissants communautaires des étrangers en provenance de pays tiers. La menace représentée par les ressortissants communautaires doit ainsi être « réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société », alors que, s’agissant des ressortissants de pays tiers, cette mesure peut être prononcée en cas de « menace grave » pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France.
Entre le 15 janvier et le 31 août 2015, trente-six interdictions administratives du territoire ont été signées. Le 31 août 2015, vingt-cinq autres dossiers étaient en cours d’instruction.
Je voudrais, enfin, dire quelques mots des mesures de blocage des sites.
Entre le 1er janvier et le 2 octobre 2015, sur l’initiative des services de la Police nationale, vingt-quatre sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ont fait l’objet d’une mesure de blocage et quarante-deux sites ayant les mêmes finalités ont été déréférencés.
Le Service central de renseignement criminel, et plus particulièrement le Centre de lutte contre les criminalités numériques du pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale, a mis en place un dispositif de surveillance semi-automatisée des différents services de l’internet visant, notamment, à lutter contre la cybercriminalité liée au terrorisme.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Marc. Sur l’initiative de la Gendarmerie nationale, vingt-sept sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ont fait l’objet d’une mesure de blocage et vingt-huit sites ayant les mêmes finalités ont été déréférencés.
Monsieur le ministre, la lutte contre le terrorisme est loin d’être achevée. En matière de renseignement intérieur, quelles actions et quels moyens supplémentaires sur les plans juridique et budgétaire envisagez-vous de mettre en place ? Pouvez-vous nous préciser quelles sont vos priorités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée émue pour nos amis belges et les victimes des attentats commis en France en 2015.
En frappant Bruxelles hier, les terroristes ont élargi un plan d’attaque inauguré en France en 2015. Daech s’est attaquée à la capitale de l’Union européenne et au symbole de ses institutions. L’Europe explose, le monde explose. Les démocraties sont en guerre.
Je félicite mon collègue Philippe Dominati de son excellent rapport sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. La France a-t-elle un problème avec ses services de renseignement intérieur ?
Le renseignement n’est pas une science exacte. Pour autant, il faut bien que nous comprenions pourquoi l’année 2015 a été frappée en plein cœur par le terrorisme. Pourquoi une conspiration d’une telle ampleur n’a-t-elle pas été déjouée par les services de renseignement français ?
Passé le temps des hommages, les langues se sont déliées. Il existe un véritable dysfonctionnement entre les services. Tous les services de renseignement, qu’ils enquêtent à l’extérieur, pour ce qui concerne la DGSE, ou à l’intérieur, s’agissant de la DGSI, se sont plaints de ne pas disposer de personnels et de moyens financiers suffisants pour conduire leurs missions.
Pourtant, les réformes de 2008 et de 2013 ont permis, dans une certaine mesure, de rationaliser et d’adapter l’architecture du renseignement intérieur à l’évolution de la menace.
Des moyens humains et financiers supplémentaires ont été accordés après les attentats de janvier dernier.
La France était l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre cohérent et complet pour les activités de ses services de renseignement. Le retard est rattrapé. La loi du 13 novembre 2014 renforce les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement accroît, quant à elle, considérablement les moyens d’écoute et d’interception des communications accordées aux services. Pourtant, les services de renseignement considéreront toujours que les moyens ne seront jamais suffisants.
Les conclusions de la mission de contrôle de mon collègue Philippe Dominati sur les moyens consacrés au renseignement intérieur confirment un dysfonctionnement des services. Ces services sont dimensionnés, mais ils ne sont pas efficaces. Les causes peuvent se trouver dans l’empilement des services ainsi que dans le déséquilibre entre la croissance des dépenses de personnels et l’évolution des dépenses de fonctionnement et d’investissement, ce qui ne permet pas de garantir une capacité opérationnelle des services.
Ce rapport d’information préconise de donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial, qui reste le « parent pauvre » du renseignement intérieur.
Ce point me permet d’aborder le sujet du rôle des techniques et des technologies dans les renseignements intérieurs.
Le numérique, internet, les téléphones, les réseaux sociaux, tout cela n’existait pas ou presque pas dans les années quatre-vingt-dix. Pourtant, dans nos textes et nos discours, nous parlons encore d’« écoutes », comme si rien n’avait changé, alors que les nouvelles technologies permettent, à l’évidence, de mettre en place des dispositifs intrusifs. À l’opposé, les criminels et les terroristes disposent de moyens de communication, de technologies, finalement d’un mode de travail sans commune mesure avec ce que prévoit la législation pour les contrecarrer.
Mais attention à ne pas tomber dans le piège du « tout technologique » ! Attention à ne pas développer le renseignement technique aux dépens du renseignement humain : tout voir ou tout entendre pour tout savoir, mais tout n’est pas visible, ni audible par les nouvelles technologies. La technique, qui doit être la meilleure possible, doit, selon moi, venir en appui du renseignement humain. Dois-je rappeler que l’ancien cerveau d’Al-Qaïda déjouait parfaitement les surveillances technologiques ?
Développer les moyens technologiques est essentiel, mais renforçons les moyens humains : il faut donner aux fonctionnaires les moyens d’aller sur le terrain et de recruter des professionnels capables d’infiltrer les milieux pour avoir du renseignement humain. Il ne faut en aucun cas baisser la garde sur le renseignement de proximité : il est essentiel.
L’autre point soulevé par le rapport d’information est le nombre trop important de services de renseignements intérieurs : la Direction générale de la sécurité intérieure, le Service central du renseignement territorial, la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, chargée de la capitale et de la petite couronne, et la sous-direction de l’anticipation opérationnelle.
En Europe, la France est le pays qui possède une des architectures les plus complexes en matière de renseignement intérieur, avec un empilement des services qui provoque naturellement des doublons, des ratés, des déperditions.
Enfin, le dernier point que je souhaite aborder est le manque d’analyse.
Là encore, de nombreux experts ont imputé une bonne partie du « raté » sur les frères Kouachi à une véritable faille analytique. La DGSE compte dans ses rangs 23 % de contractuels, des professeurs, des linguistes, des économistes, des théologiens, alors que la DGSI n’en compte que 15 %.
Le renseignement est un acte de souveraineté par excellence. Je souhaite que cet excellent rapport d’information pousse le Gouvernement à agir et à ne pas se contenter d’être dans la posture pour rendre – enfin ! – efficace un service qui est d’ores et déjà doté de tous les moyens nécessaires pour faire face aux menaces.
Nous devons prendre de véritables mesures pour renforcer l’efficacité du renseignement intérieur et pour combattre l’islam politique qui ne respecte pas nos valeurs et nos principes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les tragiques attentats commis hier à Bruxelles, faisant suite à plusieurs attaques perpétrées au cours de ces derniers mois, nous l’ont une fois de plus démontré : nous sommes aujourd’hui confrontés à une menace terroriste d’une nature et d’une ampleur sans précédent. Récemment, la Côte d’Ivoire a elle aussi été prise pour cible, tandis que le Mali a dû faire face, il y a deux jours à peine, à une nouvelle attaque, fort heureusement déjouée. En Europe comme en Afrique et au Moyen-Orient, aucun pays n’est à l’abri.
Il est indispensable que la Nation soit rassemblée face à une telle menace. Pour vaincre nos ennemis, nous avons besoin d’unité et de la mobilisation de tous. Nous avons besoin aussi, sur ces sujets complexes, de la plus grande rigueur intellectuelle, point sur lequel il y aurait beaucoup à dire…
C’est la raison pour laquelle je veux remercier le Sénat, notamment les membres de sa commission des finances, d’avoir suscité ce débat consacré aux moyens que le Gouvernement accorde aux services de renseignement intérieur.
Je salue le travail réalisé par le rapporteur spécial Philippe Dominati, dont les recommandations en la matière ont mobilisé toute mon attention et à qui je tiens à apporter des réponses extrêmement précises.
Vous avez rendu votre rapport d’information, monsieur le sénateur, le 7 octobre dernier, c’est-à-dire avant les attentats du 13 novembre. Par définition, depuis lors, la situation a beaucoup évolué et, en conséquence, comme il était normal de le faire, le Gouvernement a pris plusieurs décisions importantes pour adapter et renforcer notre dispositif antiterroriste, étant rappelé qu’il en avait pris bien avant le mois de janvier 2015, ainsi que de nombreuses autres entre janvier et novembre 2015, dont votre rapport d’information ne fait pas état.
Mon propos permettra donc de compléter celui-ci par quelques précisions qui permettront au Sénat de disposer de l’ensemble des éléments sur les sujets dont il a à connaître.
Il permettra aussi au Sénat, je n’en doute pas, de constater les nécessaires efforts que le Gouvernement a consentis depuis 2012 pour donner enfin à nos services de renseignement intérieur les moyens de lutter efficacement contre une menace d’une portée tout à fait inédite.
S’agissant de ces services, dans le rapport d’information comme dans certaines des interventions, on nous explique comment corriger ce qui a été très fortement endommagé au cours des années précédentes.
M. Daniel Reiner. Il faut le dire !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il est vrai que, quand on a beaucoup endommagé, on peut plus légitimement que d’autres expliquer comment il faut corriger… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Aujourd’hui, le terrorisme djihadiste, quel que soit le visage qu’il emprunte – Daech, Al-Qaïda ou encore AQMI –, constitue de loin le principal défi auquel nos services de renseignement doivent répondre. Chacun doit bien comprendre que la France constitue l’une des cibles prioritaires des djihadistes.
S’il est avéré que les attentats du 13 novembre ont été planifiés depuis la Syrie et coordonnés en dehors de nos frontières, je le rappelle, d’autres attaques ont été le fait de personnes radicalisées sur notre sol – parfois dans un délai très court – et jusqu’alors connues des services de police pour de simples faits de délinquance.
Dans ce contexte, notre objectif prioritaire consiste à prévenir et à empêcher la commission de nouveaux attentats. Pour cela, chacun en conviendra – c’est d’ailleurs un point d’accord total entre le Gouvernement et le rapporteur ! –, nous avons besoin de services de renseignement efficaces et extrêmement mobilisés. Le rôle de ces services est absolument décisif. À cet égard, je tiens à rendre hommage à ces derniers pour l’opiniâtreté dont ils font preuve, afin de garantir la sécurité de notre territoire et la protection de nos concitoyens.
Je veux d’ailleurs profiter de cette intervention pour dire qu’il est, bien entendu, toujours légitime d’évaluer l’activité des services de renseignement et de pouvoir critiquer leurs manquements, mais qu’il peut être totalement démotivant pour des policiers qui donnent le meilleur d’eux-mêmes au quotidien dans ces services de renseignement pour assurer la protection des Français de voir la question de la lutte contre le terrorisme instrumentalisée à des fins partisanes…
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et d’entendre remis en cause le rôle joué par leurs services. Ces policiers ont besoin davantage de considération et de remerciements pour le travail qu’ils font que de critiques qui viennent alimenter de mauvaises polémiques à caractère politique !
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Puisque cela n’a pas été souligné – mais il est normal que nul ne l’ait dit à cette tribune puisque l’objectif est de critiquer plutôt que de remercier ! –, je me permets d’insister sur le fait que, depuis 2013, grâce au travail minutieux des services de renseignement, nous avons déjoué pas moins de onze projets d’attentats, j’y insiste, dont six depuis janvier 2015.
M. Daniel Reiner. Bien dit !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement accorde une extrême importance à l’activité de nos services de renseignement. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes employés dès 2012 – donc bien avant les attentats ! – à la fois à renforcer les moyens dont ils disposent, à améliorer leur organisation et à moderniser le cadre juridique de leur action. Il y avait là une urgence et une nécessité absolues pour tirer les leçons des tueries survenues à Toulouse et à Montauban entre le 11 et le 19 mars 2012, et éviter par là même que notre pays ne se retrouve dans une situation d’extrême vulnérabilité.
Je veux donc revenir très précisément sur les principales décisions que nous avons prises depuis le début du quinquennat et dont il n’a pas été question pendant le débat pour renforcer nos capacités de renseignement intérieur, qu’il s’agisse de la surveillance du haut du spectre, confiée à la DGSI, ou bien de la détection des signaux faibles de radicalisation, confiée au SCRT et aux autres acteurs du « deuxième cercle ».
Je commencerai par les renforts en effectifs et en matériels dont ont bénéficié les services afin d’organiser leur « changement d’échelle », ce qui correspond aux recommandations nos 1, 4 et 5 du rapport d’information de M. Dominati.
Puis, je reviendrai sur les réformes que nous avons conduites pour consolider leur architecture globale et leur cadre d’action afin de leur faire gagner en efficience – il s’agit là des recommandations nos 2, 3 et 6.
Enfin, j’aborderai les enjeux plus spécifiques liés aux ressources humaines. J’entends par là la diversification du recrutement et de la formation des agents, soit les recommandations nos 7 et 8.
Je tiens, monsieur Dominati, par respect pour le travail que vous avez accompli et parce que je crois que c’est l’intérêt de l’exercice, répondre très précisément à toutes les recommandations que vous nous faites.
Avant toute chose, je veux rappeler que notre politique de relance des recrutements ne concerne pas seulement les services de renseignement : lutter contre le terrorisme, c’est donner des moyens à l’ensemble des services qui concourent à cette lutte. Depuis 2012, c’est bien l’ensemble des forces de sécurité qui ont vu leurs effectifs nettement – nettement, j’y insiste – augmentés. En raison de l’ampleur de la menace, il était en effet indispensable qu’un tel mouvement affecte les forces de l’ordre dans leur intégralité.
Je veux donc rappeler quelques faits incontestables, faits qui peuvent être vérifiés par la commission des finances et que je vais accompagner de chiffres extrêmement précis, qui les illustrent et les confortent, car ces sujets méritent autre chose que des approximations.
D’une manière générale, le Gouvernement a consenti un effort national sans précédent sur le plan des recrutements au sein de la police et de la gendarmerie. Nous avons ainsi mis un terme aux coupes claires qui avaient considérablement réduit et affaibli les effectifs des forces de sécurité entre 2007 et 2012.
M. Daniel Reiner. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Concrètement, au cours du précédent quinquennat, la Police nationale a perdu très exactement 6 276 postes et la Gendarmerie nationale 6 243, soit un total de 12 519 postes supprimés, tous services et toutes unités confondus, ce qui correspond à une véritable hémorragie. Dois-je préciser que ces 12 519 postes nous ont sans conteste manqué depuis 2012, alors que nous affrontons une menace terroriste sans précédent ? Ces sujets n’ont pas du tout été évoqués dans le débat qui vient de se tenir, raison pour laquelle je me permets de faire ces rappels.
La destruction regrettable de tous ces emplois a constitué, je le dis parce que c’est une réalité, une très lourde erreur.
MM. Daniel Reiner et Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour combler un tel manque, nous avons donc pris la décision de remplacer tous les départs à la retraite, et nous avons recréé près de 500 emplois nouveaux par an dans les deux forces.
Par ailleurs, dès après les attentats de janvier 2015, nous avons continué d’organiser la montée en puissance de notre dispositif grâce à différents plans de recrutement concernant la lutte contre le terrorisme, la lutte contre l’immigration irrégulière ou encore le renfort de nos unités de forces mobiles et de sécurité publique.
Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, entre 2012 et 2017, les effectifs des services concourant à la sécurité des Français auront augmenté de 9 341 postes précisément, dont 5 744 dans la police et 3 199 dans la gendarmerie. Pour ne prendre que l’exemple de la police, en 2016 comme en 2017, plus de 4 600 gardiens de la paix sortiront de nos écoles, pour chacune de ces deux années. Ils étaient, monsieur Dominati, 488 en 2012…
Comme j’ai senti dans votre rapport d’information, ainsi que dans les propos d’un certain nombre de parlementaires de votre groupe, une très forte inquiétude sur les moyens, je ne doute pas que les éléments que je viens de vous donner vous permettront de sortir de cette séance beaucoup plus tranquille que nous n’y étiez entré. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Pierre Charon. Vous aviez dit : « Pas de polémique ! »
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Bien entendu, nos services de renseignement intérieur ont bénéficié prioritairement de ces ressources nouvelles. Sur ce point aussi, je vais être extrêmement précis parce que je n’ai pas entendu ces chiffres.
Trois vagues successives de renforts ont ainsi été décidées.
Dès 2013, un premier plan spécifique a été engagé pour renforcer les effectifs de la DGSI. Vous dites qu’il faut des analystes et des compétences. Mais pour ce faire, il faut qu’il y ait des effectifs. Ce plan prévoit la création d’ici à 2018 de 432 postes supplémentaires : les deux tiers de ces postes sont aujourd'hui pourvus.
Le plan de lutte antiterroriste de janvier 2015 a prescrit pour la période triennale 2015-2017 la création nette de 1 400 emplois, dont 1 100 viendront grossir les rangs du renseignement intérieur.
Je veux vous donner ici le détail des recrutements.
La DGSI crée 500 emplois pour renforcer sa présence de terrain et ses compétences centrales, notamment sur les qualifications rares d’analystes, de traducteurs et de linguistes.
Le SCRT recrutera 500 emplois pour densifier son maillage territorial – c’est l’une de vos préoccupations, à laquelle nous répondons –, y compris dans la profondeur des territoires. Ces renforts sont composés de 350 policiers et de 150 gendarmes dédiés à la fonction de recherche et d’analyse du renseignement. Cinquante gendarmes ont d’ores et déjà été affectés dans les vingt-cinq premières antennes du renseignement territorial mises en place dès le 1er juillet 2015. Cinquante autres antennes de ce type seront créées en 2016 et en 2017.
Comme je vais entamer une série de déplacements pour examiner à la fois les effectifs et les matériels, je me permettrai, monsieur Dominati, de vous inviter dans ma délégation, avec les députés qui suivent ces questions, de manière que nous puissions constater ensemble, sur le terrain, quels sont les progrès qui ont été accomplis.
La Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris recrutera, quant à elle, 100 emplois supplémentaires.
Quant au pacte de sécurité annoncé par le Président de la République devant le Congrès réuni à Versailles le 16 novembre dernier, il porte sur un total de 5 000 créations nettes d’emplois, en plus de celles que j’ai annoncées. Pour la DGSI, cela représente 225 effectifs supplémentaires, dont la création est répartie sur 2016, avec 112 postes, et 2017, avec 113 postes. En outre, 130 effectifs supplémentaires, policiers et gendarmes, viendront renforcer le SCRT.
Si l’on fait preuve d’objectivité dans le bilan de ces différents plans de renforcement, que constate-t-on aujourd’hui ?
Tout d’abord, concernant la DGSI, les postes supplémentaires prévus entre 2013 et 2015 ont tous été pourvus, soit très précisément 389 postes. Par ailleurs, d’ici à 2018, cette direction aura gagné au total 1 157 effectifs supplémentaires, parmi lesquels, notamment, des analystes techniques, des informaticiens et des linguistes, pour renforcer ses capacités d’analyse, de détection et de prévention des risques terroristes.
Ensuite, comme vous pouvez le constater, les services du « deuxième cercle », notamment le SCRT, ne constituent absolument pas, contrairement à ce que j’ai entendu, le « parent pauvre » du renseignement intérieur. Là aussi, je donnerai des chiffres précis.
En décembre 2013, c'est-à-dire au début du quinquennat, le SCRT comptait 1 847 agents, contre 2 160 actuellement. Nous prévoyons d’atteindre en 2017 un effectif de 2 490 agents, dont 2 326 dès cette année. La progression des recrutements au sein du SCRT est donc continue : en quatre ans, ce service aura, au total, gagné 640 effectifs supplémentaires, ce qui représente un effort particulièrement significatif. Comme je n’ai pas entendu citer ces chiffres, je me permets de les communiquer à la représentation nationale pour l’éclairer.
M. Jean-Pierre Sueur. Merci !
Mme Catherine Génisson. C’est intéressant, monsieur le ministre !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par ailleurs, sur le plan des capacités technologiques de surveillance et de recueil de renseignements, autre préoccupation légitimement exprimée par le rapporteur, nous avons également consenti un effort important dans le cadre du plan de renforcement des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement du ministère de l’intérieur.
Quels sont les faits ? Quels sont les chiffres ?
Au titre du plan antiterroriste de janvier 2015 – vous pourrez le vérifier auprès de la commission des finances –, ce sont 233 millions d’euros de crédits sur trois ans qui ont été ouverts, dont 90 millions d’euros pour la modernisation et le renforcement des infrastructures et applications informatiques.
En 2015, c'est-à-dire l’an dernier, ces sommes ont été dépensées. Ce plan a permis un investissement de 98 millions d’euros, auxquels 67 millions d’euros viendront s’ajouter en 2016. Ces investissements ont d’ores et déjà été alloués aux services concernés, pour que ces derniers puissent accomplir leurs missions de la façon la plus efficace possible.
Par ailleurs, le pacte de sécurité prévoit pour 2016 un volume d’investissement de 245,8 millions d’euros supplémentaires, dont 116,4 millions d’euros pour les services de police et 93,4 millions d’euros pour ceux de la gendarmerie. Ces moyens s’ajoutent au plan de janvier 2015. L’effort sera considérablement amplifié en 2017, avec 228 millions d’euros supplémentaires consacrés aux moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement pour les forces.
Au total, alors que, entre 2007 et 2012, ces moyens d’action ont diminué de 16 % pour la police et de 18 % pour la gendarmerie, ils auront augmenté entre 2012 et 2017 respectivement de 16 % pour la police et de 10 % pour la gendarmerie. Voilà les chiffres ! Ils sont incontestables !
D’un point de vue plus qualitatif, si l’exploitation des sources humaines demeure bien entendu indispensable, internet et les réseaux sociaux doivent aussi faire l’objet d’une extrême vigilance. Je pense notamment aux usages criminels qui peuvent être faits des réseaux officieux de type darknet ou encore, d’une manière générale, à la partie d’internet qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche classiques et où circule une masse importante d’informations émises par des organisations criminelles, y compris djihadistes.
Il est impératif que le renseignement intérieur accède à un niveau d’expertise et de parfaite maîtrise des canaux empruntés par nos ennemis. Ses ingénieurs et ses techniciens, mais aussi ses analystes, doivent être en mesure d’y détecter les prémices d’actions susceptibles d’être commises sur notre sol, afin que les sources humaines puissent être sensibilisées quand cela est nécessaire. Nous mettons donc en œuvre des moyens exceptionnels, à la hauteur des enjeux, pour garantir la capacité opérationnelle de nos services de renseignement.
Pour donner à nos services de renseignement intérieur une capacité pleine et entière d’action, il nous fallait aussi rationaliser leur organisation et moderniser le cadre juridique de leur action – ce sujet a également été évoqué par le rapport. Dès 2013, nous avons ainsi commencé à les réformer en profondeur, afin de clarifier l’architecture générale de notre dispositif reposant sur une articulation dynamique entre le « premier cercle » – la DGSI – et le « deuxième cercle » – le SCRT et la DRPP.
Nous avons d’abord transformé la direction centrale du renseignement intérieur en Direction générale de la sécurité intérieure, créée par le décret du 30 avril 2014 et directement placée sous l’autorité du ministre de l’intérieur. Gagnant en autonomie, la DGSI a également gagné en efficacité.
Surtout, dès 2012, le Gouvernement a recréé un véritable service de renseignement de proximité en milieu ouvert. Il y avait là une urgence absolue, car la réforme conduite en 2008, contrairement à ce que j’ai pu entendre cet après-midi, en supprimant les renseignements généraux sans pour autant leur substituer un nouveau modèle permettant la détection des signaux faibles, a nettement diminué nos capacités de renseignement et de détection des phénomènes de radicalisation.
M. Jacques Chiron. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. La réalité, contrairement à ce qu’a dit le sénateur Pierre Charon, c’est que la fusion de la DST et des RG pour constituer la DCRI a affaibli notre dispositif de renseignement intérieur en méconnaissant les spécificités de ces deux services complémentaires. En dehors de la DCRI ainsi constituée, dont la vocation était exclusivement consacrée au « haut du spectre », le reste du renseignement intérieur a été réduit à un simple service d’information générale, chargé pour l’essentiel des phénomènes économiques et sociaux, notamment la surveillance du hooliganisme. Ce service d’information générale n’avait aucune attribution en matière de terrorisme, pas même le bas du spectre ou la détection des signaux faibles. L’accès aux principaux fichiers de police lui était même interdit !
Par souci de cohérence, nous avons par ailleurs renforcé le positionnement du SCRT par rapport aux anciens renseignements généraux. Les attributions du renseignement territorial ont été clairement élargies pour lui permettre de retrouver pleinement ses compétences d’appui à la prévention du terrorisme, notamment par la détection en amont des signaux faibles de radicalisation. C’est la raison pour laquelle son maillage, en métropole comme outre-mer, a été considérablement renforcé pour densifier le réseau de ses capteurs. De même, nous avons décidé de développer des relais du renseignement territorial dans les compagnies ou les brigades de gendarmerie, ainsi que dans les commissariats de police, à chaque fois que cela se révèle nécessaire. Une telle proximité est absolument indispensable et stratégique.
Pour mieux prendre en compte le caractère diffus de la menace djihadiste ainsi que les phénomènes de porosité entre délinquance et terrorisme, priorité a par ailleurs été donnée à la coopération et au partage de l’information entre les différents services. Nous avons ainsi consolidé l’articulation entre le « premier cercle » et le « deuxième cercle ». À cet égard, l’UCLAT, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, joue bien sûr un rôle décisif. Des « cellules de coordination » ont été mises en place, qui rassemblent l’ensemble des services de renseignement dans une organisation plus réactive et plus fluide que jamais, comme nous l’indiquent les intéressés eux-mêmes.
Monsieur Dominati, vous vous interrogez – la question est légitime et intéressante – sur l’articulation entre l’UCLAT et l’EMOPT. Je souhaite vous apporter toutes les précisions utiles à ce sujet.
C’est pour renforcer notre effort de coopération et mieux assurer la circulation de l’information entre l’ensemble des services que, en juin 2015, après le drame de Saint-Quentin-Fallavier, j’ai créé un état-major opérationnel de prévention du terrorisme directement rattaché à mon cabinet. Son rôle est de coordonner, d’animer et de contrôler à l’échelon central le suivi des personnes radicalisées pour s’assurer que celui-ci est bien effectif. Ce travail, à savoir un suivi individuel, ne faisait pas partie des missions confiées à l’UCLAT. Auparavant, aucun outil ne permettait de s’assurer qu’un cas censé être suivi par le RT ou la DGSI l’était effectivement.
L’EMOPT réunit désormais des représentants de tous les services impliqués dans la lutte contre le terrorisme, dans une logique de décloisonnement et de transversalité. Son rôle est donc parfaitement complémentaire de celui de l’UCLAT, qui participe d’ailleurs à cet état-major. Je précise que le directeur de l’UCLAT, Loïc Garnier, et le directeur de l’EMOPT, Olivier de Mazières, travaillent en étroite relation et de façon tout à fait fructueuse.
Sachez que c’est à la suite d’échanges d’informations entre les services au sein de l’EMOPT que certaines personnes travaillant dans les aéroports ou les infrastructures de transport ont été jugées dangereuses et que leur agrément leur a été retiré. Comme vous pouvez le constater, l’utilité opérationnelle est très forte.
Si je devais dire les choses de façon synthétique : d’un côté, nous avons l’UCLAT, qui fait de l’analyse rétroprospective sur les phénomènes de radicalisation et gère la plateforme, et, de l’autre, nous avons l’EMOPT, qui suit individuellement chaque cas représentant un risque sur le plan national, afin de s’assurer qu’il n’y a pas de trou dans la raquette. Comme la question que vous avez posée est tout à fait centrale et stratégique, je tenais à vous apporter tous ces éléments de réponse en séance.
Notre dispositif global repose donc sur une architecture claire et cohérente. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas convaincu par la volonté qui est la vôtre de « regrouper les services concourant au renseignement de proximité afin de permettre […] le passage de quatre à deux services de renseignement intérieur ».
Je comprends que, à la DGSI et au SCRT, vous associiez la DRPP et le SDAO, la sous-direction de l’anticipation opérationnelle de la gendarmerie. Cependant, je vous le dis en toute sincérité : je ne crois pas à la pertinence d’une telle démarche. La raison en est simple : votre proposition, par une forme de rétropédalage, reviendrait à procéder de nouveau à des fusions non justifiées, dont on a pourtant constaté par le passé les déperditions qu’elles étaient susceptibles d’entraîner. Je ne souhaite pas, après avoir tiré le bilan de la fusion entre les RG et la DST, reproduire une opération identique, à savoir fusionner des services qui fonctionnent pour aboutir à la fin à une perte en ligne considérable au moment où j’ai besoin d’avoir non seulement des capacités d’analyse, mais aussi des capteurs au plus près du terrain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, nous avons élaboré, pour l’activité de nos services, un cadre légal, moderne et cohérent adapté aux nouvelles menaces, aux mutations technologiques les plus récentes et à l’évolution du droit national et international. Vous avez largement, à quelques exceptions près, approuvé ce texte, qui fixe, pour la première fois dans l’histoire de la République, des règles d’emploi claires des techniques de renseignement, afin de protéger les agents qui y ont recours tout en garantissant le respect des libertés individuelles. La loi renforce ainsi les indispensables dispositifs d’évaluation de l’action des services. Je signale d’ailleurs à votre attention que l’ensemble des décrets d’application a été publié dans des délais très rapides, entre le 28 septembre 2015 et le 29 janvier 2016, nous permettant de commencer à mettre en œuvre des innovations aussi décisives que le Fichier des antécédents judiciaires terroristes ou, dans une logique de décloisonnement et de partage de l’information, d’élargir l’accès administratif au traitement des antécédents judiciaires ou aux données de connexion pour les services qui en avaient besoin et ne pouvaient jusqu’à présent y accéder.
Enfin, la question du renforcement des effectifs ne peut être seulement posée en termes quantitatifs. À mes yeux – je sais que vous êtes tout à fait en accord avec le Gouvernement sur ce point, monsieur Dominati –, il est indispensable que nos services diversifient le recrutement et la formation de leurs agents, comme vous le recommandez dans votre rapport. C’est là une exigence d’autant plus importante que les menaces que nous affrontons, vous l’avez souligné à juste titre, sont en constante évolution.
Nous devons donc ouvrir davantage nos services aux apports de la recherche universitaire. Il s’agit d’un point très important de votre rapport, et je souscris totalement à cette approche. C’est même une nécessité relevant de l’urgence. Nous devons faire un travail d’ouverture en direction des sciences humaines et sociales si nous voulons renforcer nos capacités d’analyse et, par là même, d’anticipation. Je pense par exemple aux mutations qu’a connues le phénomène djihadiste au cours de ces dix dernières années et que des chercheurs tels que Gilles Kepel ont su parfaitement décrire. C’est la raison pour laquelle il me semble important de recruter davantage de personnels formés aux sciences sociales, maîtrisant les langues extraeuropéennes et les technologies les plus avancées. Une plus grande fluidité doit caractériser le passage d’un univers à l’autre. Nous nous y employons, et j’ai moi-même délivré des consignes allant en ce sens aux responsables du renseignement intérieur.
Nous faisons ainsi en sorte d’assouplir les conditions de recrutement des contractuels, tandis que nous nous efforçons d’élaborer une stratégie adaptée pour attirer au sein des services les profils spécialisés dont ils ont besoin. Dès lors qu’il leur est impossible d’y entrer par concours, dans la mesure où leur compétence serait par trop spécialisée pour être exercée par un corps existant de fonctionnaires, l’intégration de contractuels dans les services ne présente aucune véritable difficulté. Au cours de l’année 2015, nous avons ainsi procédé à de nombreux recrutements extérieurs. Le SCRT a notamment recruté plusieurs spécialistes de haut niveau – universitaires, linguistes, informaticiens et psychologues –, lesquels, par leurs analyses croisées, lui ont d’ores et déjà permis d’affiner sa compréhension du phénomène de la radicalisation violente sur les territoires.
De son côté, la DGSI n’hésite pas non plus à faire appel à des contractuels extérieurs pour intégrer les compétences ultraspécialisées dont elle a besoin. Depuis 2013, les trois plans successifs de recrutement en son sein ont tous permis d’intégrer des contractuels. Compte tenu des renforts programmés, leur taux au sein des services de la DGSI devrait être, à la fin de l’année 2018, de 14,5 %, contre 10,5 % à l’heure actuelle, dans la mesure où, je le répète, nous n’avons fixé aucun plafonnement pour ces types d’emploi.
Parallèlement, il est tout aussi indispensable que nous continuions de diversifier la formation initiale et continue de nos agents. À cet égard, l’Académie du renseignement joue bien sûr un rôle crucial par les enseignements qu’elle dispense à des stagiaires de toute génération, issus des différentes composantes de la communauté française du renseignement. J’ai moi-même participé, voilà près de deux semaines, à l’ouverture de la 12e session de formation initiale de l’Académie du renseignement, où j’ai pu insister sur l’importance de la mission que celle-ci remplit pour permettre à nos agents non seulement d’acquérir une véritable connaissance de notre politique publique du renseignement, mais aussi de maîtriser les enjeux liés à l’évolution des menaces. Ainsi, un séminaire ad hoc a été consacré, en septembre dernier, à la lutte contre la radicalisation violente, tandis que certaines formations sur ces questions s’ouvrent désormais aux personnels du SCRT, de la DRPP et de la DAP, la Direction de l’administration pénitentiaire.
D’autres institutions de formation des agents ou des futurs agents œuvrent dans le même sens. Je pense notamment à l’École nationale supérieure de la police, qui tient pleinement compte de l’importance du renseignement dans la formation initiale. De nombreux progrès ont été accomplis en la matière.
D’une manière générale, des liens étroits ont été noués avec l’université. Depuis 1992 est ainsi proposé aux élèves commissaires un master 2 sur la sécurité, en partenariat avec l’université Lyon-III. Des conventions ont également été passées avec plusieurs écoles doctorales, ainsi qu’avec le CNRS.
Vous avez également insisté sur la nécessité de développer la réflexion prospective de notre action. C’est un sujet stratégique. J’ai d’ailleurs confié deux missions sur la fonction de prospective au sein du ministère de l’intérieur : l’une au préfet Pierre de Bousquet de Florian, ancien directeur de la DST, et l’autre au préfet Marc Burg visant à renforcer la coordination des travaux stratégiques et à rapprocher les mondes de la sécurité et de la recherche. Je tiens beaucoup à cette dimension prospective de notre action. Elle est selon moi indispensable pour assurer sur le long terme la sécurité des Français.
Pour conclure, je veux de nouveau rendre hommage à tous ceux qui, dans un contexte extrêmement difficile, assurent la sécurité des Français, parfois en exposant leur vie, comme c’est le cas des policiers, des gendarmes et des militaires, qui sont en première ligne dans la lutte antiterroriste.
Je veux également rendre un hommage appuyé à nos services de renseignement. En effet, lorsqu’un attentat survient, dans l’émotion et la tristesse qui s’emparent de la Nation, la réaction première des observateurs et commentateurs politiques, plus soucieux de division que d’unité, est parfois de chercher les failles des services de renseignement – je sais que telle n’est pas votre approche, mesdames, messieurs les sénateurs – plutôt que de les remercier pour l’engagement sans faille qui est le leur.
Quels que soient les efforts que nous ferons, tous gouvernements confondus, pour conforter les moyens de nos services de renseignement, nous ne parviendrons jamais au risque zéro. Mais n’oublions pas que zéro précaution produira toujours 100 % de risques ! C’est la raison pour laquelle, au moment où ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et où ils sont confrontés à des défis majeurs pour lesquels ils s’engagent pleinement, je veux rendre l’hommage qu’ils méritent à ces femmes et ces hommes, qui, au sein des services de renseignement, s’engagent pour assurer la protection des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC et certaines travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information de la commission des finances sur les moyens consacrés au renseignement intérieur.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures cinquante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Renvoi pour avis unique
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme (n° 373, 2015-2016), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
9
Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 23 mars 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 877, alinéa 2, 885, alinéas 1 et 2, et 888 du code de procédure pénale (Cour d’assises de Mayotte) (2016-544 QPC).
Le texte de cet arrêt de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
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Compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, rejetée par l’Assemblée nationale, en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire (proposition n° 371, texte de la commission n° 473, rapport n° 472).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes de nouveau réunis pour parler d’agriculture.
Vous le savez, je le rappelle à chaque fois que nous débattons de ce sujet, notre agriculture, en particulier l’élevage, traverse l’une des crises les plus graves, par sa profondeur et par sa durée, de son histoire. Cette crise touche l’ensemble de l’agriculture européenne. J’ai réussi, me semble-t-il, à faire prendre conscience à la Commission européenne et à chacun des pays de l’Union européenne qu’il s’agit d’une crise de surproduction, liée à des facteurs spécifiques et conjoncturels : l’embargo russe et la très large surestimation de la demande – je pense en particulier, s’agissant du secteur du lait, au marché chinois.
Force est pourtant de constater que la production européenne continue de progresser de manière plus rapide que la demande. J’en veux pour preuve que, depuis le début de l’année 2016, soit en deux mois et demi, 52 000 tonnes de poudre de lait ont déjà été stockées, ce qui est d’ores et déjà supérieur aux quantités de poudre de lait stockées sur l’ensemble de l’année 2015, lesquelles s’élevaient à 40 000 tonnes ! Si l’on ne s’attaque pas à cette surproduction, la baisse des prix, avec l’effet que l’on connaît sur le revenu des agriculteurs, continuera. Vous serez tous d’accord ici, j’en suis sûr, pour dire qu’il nous faut endiguer ce phénomène.
C’est la raison pour laquelle la France a fait des propositions à la Commission européenne, qui les a reprises. Hier, nous avons réuni l’ensemble de la filière laitière française, afin de réfléchir à des procédures et à une méthode susceptibles de résoudre la crise à l’échelle de notre pays, l’objectif étant bien entendu de faire partager ces procédures et cette méthode à l’échelle européenne, sans quoi cette réflexion serait inutile. Avec mon homologue belge, à qui j’ai adressé hier, après les attentats, ma solidarité et mon soutien, nous avons ainsi saisi le président de la commission de l’agriculture au Parlement européen, afin que s’organisent rapidement des discussions sur le sujet. Ce qui vaut pour le lait vaut aussi pour la viande porcine et, de manière indirecte, pour la viande bovine.
À cette situation est venue s’ajouter la baisse des prix des céréales, avec une production mondiale record en 2015 et donc des stocks très importants. Sur le marché de Chicago, le prix à terme de la tonne de céréales est d’ores et déjà passé sous la barre des 140 euros – à l’été 2012, lorsque j’ai pris mes fonctions, ce prix était supérieur à 250 euros.
La volatilité des prix sur les marchés agricoles nécessitera à coup sûr des adaptations de notre législation en faveur d’approches plus contracycliques, susceptibles d’aider les agriculteurs à traverser les moments difficiles et, à l’inverse, de les laisser gérer les choses quand les prix sont plus attrayants.
Le débat que vous avez initié ici au Sénat, messieurs Lenoir et Gremillet, avec le dépôt de cette proposition de loi, porte avant tout, comme son titre l’indique, sur la compétitivité de l’agriculture. Or je rappelle qu’avec le pacte de responsabilité et le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, les baisses de charges pour l’agriculture dépasseront 1,8 milliard d’euros en 2016. Le Premier ministre a en outre annoncé une baisse supplémentaire de 7 points des cotisations sociales, qui est venue s’ajouter à la baisse de 3 points déjà décidée, ce qui équivaut à une baisse de 10 points, soit plus de 700 millions d’euros. Cette décision répond à une demande de la profession agricole pour favoriser la compétitivité de l’agriculture.
Avec ces mesures, nous avons ramené le niveau des cotisations sociales des agriculteurs à la moyenne européenne. L’effort accompli est sans précédent : plus de 1,8 milliard d’euros pour l’agriculture ! J’ajoute que l’effort concerne aussi la filière agroalimentaire, pour 1,8 milliard d’euros également. Au total, cela fera environ 4 milliards d’euros – ceux-ci seront dépassés en 2017. La baisse des charges pour l’agriculture et dans le secteur de l’agroalimentaire sera donc supérieure au montant total du budget du ministère de l’agriculture, qui sera d’environ 4 milliards d’euros pour 2017.
Le Gouvernement a donc bien engagé, au travers de ces baisses de cotisations sociales, la restauration d’une compétitivité de notre agriculture, dont la dégradation était l’un des facteurs de la perte de parts de marché à l’échelle européenne et à l’échelle mondiale. C’est bien ce que vous souhaitiez, mesdames, messieurs les sénateurs. Sachez d’ailleurs que le décret instaurant cette baisse de 7 points de charges sociales a été signé de ma main ce matin.
M. Alain Vasselle. Ah !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce débat tombe bien : il permet de solenniser cette décision ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
N’oubliez pas non plus que le Gouvernement se mobilise également pour traiter conjoncturellement la crise : le plan de soutien à l’élevage représente 700 millions d’euros sur trois ans, complétés, à l’issue du Conseil des ministres extraordinaire réuni en septembre dernier, par 63 millions d’euros de crédits européens.
Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est offerte pour faire le point sur les mesures engagées par le Gouvernement.
Le volet social représente au total, pour 2015, près de 190 millions d’euros, avec la possibilité d’opter en faveur de l’assiette des revenus de l’année n-1 pour le calcul des cotisations de l’année n – ce sujet sera abordé dans le débat –, la prise en charge partielle des cotisations des agriculteurs en difficulté par leur caisse de mutualité sociale agricole ou encore la baisse, pour l’ensemble des agriculteurs, de l’assiette minimale des cotisations, dont le niveau a été aligné sur celui des travailleurs indépendants – mesure très importante, qui profite en particulier aux plus petites exploitations.
Je mentionnerai aussi la création du fonds d’allégement des charges, qui permet la prise en charge partielle des intérêts d’emprunt pour les agriculteurs qui connaissent des difficultés de paiement – près de 30 000 dossiers ont déjà été traités, 110 millions d’euros versés.
Quant aux exonérations fiscales, relatives en particulier à la TFNB, la taxe sur le foncier non bâti, elles s’élèvent à 38 millions d’euros, pour près de 70 000 dossiers traités.
S’agissant des questions les plus difficiles, elles sont traitées dans le cadre des cellules départementales d’urgence, qui gèrent la mise en œuvre de l’« année blanche », totale ou partielle, c’est-à-dire du report de l’annuité d’emprunt en « fin de tableau », permettant d’éviter que le remboursement des emprunts bancaires ne pèse trop lourdement sur le budget des exploitations en difficulté. Près de 4 500 demandes ont été traitées, dont 3 000 demandes d’année blanche totale.
Tout cela témoigne de la situation de grande difficulté dans laquelle se trouvent effectivement nos exploitations agricoles. Comment en irait-il autrement, alors que la baisse des prix, en un an à un an et demi, a été de l’ordre de 25 % à 30 %, pesant d’autant sur les trésoreries des exploitations.
Je ne reviendrai pas sur les grands enjeux de moyen et de long terme, liés en particulier au développement de l’agroécologie et au renforcement de l’autonomie fourragère. Sur ce dossier, qui avance, je m’apprête à faire, dans les semaines à venir, des propositions.
Je voudrais maintenant anticiper un certain nombre de débats. Certaines propositions dont nous avons débattu ici même, et que vous aviez d’ailleurs adoptées, se verront traduites en termes législatifs dans le cadre de la loi Sapin II – je pense en particulier à l’interdiction des cessions de contrats laitiers à titre onéreux. Il s’agit d’un sujet important, qui fait d’ailleurs consensus. Il faudra prendre en compte cet élément dans la mise en place des contrats-cadres des organisations de producteurs laitiers, afin que ces dernières puissent, en la matière, jouer leur rôle. Ce sujet mérite en effet, comme les quotas laitiers en leur temps, d’être traité comme un enjeu territorial, à l’échelle de chaque bassin laitier.
J’ai également déjà évoqué la question du renforcement des sanctions pour les entreprises qui refusent de publier leurs comptes. C’est un vrai sujet ! Un certain nombre de grandes entreprises, dans le domaine de l’agroalimentaire, ne publiant pas leurs comptes, il est difficile de savoir si leurs affaires vont bien ou mal.
Pour les agriculteurs, la transparence est totale ; il me paraît donc légitime de revendiquer la même chose pour les entreprises de l’aval de la filière, en particulier pour la première et la deuxième transformations, et, s’agissant de la filière laitière, pour les grandes laiteries. Les sanctions financières s’élèvent aujourd’hui à 1 500 euros, c’est-à-dire, rapporté au chiffre d’affaires de ces grandes entreprises, à pratiquement rien !
Se pose enfin la question de la transparence des « contrats LME », du nom de la loi de modernisation de l’économie. Au cours du débat, nous examinerons des amendements relatifs aux contrats prévus par la LMA, la loi de modernisation de l’agriculture, c’est-à-dire aux contrats qui lient le producteur à la laiterie. Mais, ce que j’ai ici en vue, c’est bien la loi de modernisation de l’économie, qui organise le dialogue commercial entre les industriels et la grande distribution.
Nous travaillons sur une obligation de référence aux prix payés aux producteurs dans les contrats relatifs aux produits agricoles passés entre les transformateurs et les distributeurs. Aujourd’hui, les négociations entre industriels et grands distributeurs sont si difficiles qu’à chaque fois le ministre est saisi. C’est ce qui s’est produit dans le domaine du lait : nous sommes intervenus pour éviter la baisse des prix. Les conséquences pour les producteurs des négociations commerciales entre les industriels et la grande distribution ne sont jamais prises en compte dans les contrats issus de ces négociations. La LME doit donc être corrigée.
Vous voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, que les questions soulevées dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, à commencer par celle de la compétitivité, retiennent toute l’attention du Gouvernement, dont l’action tient compte des débats qui ont lieu au Sénat – ou ailleurs. L’effort budgétaire, en termes de baisses de cotisations, représentera en 2017 plus de 2 milliards d’euros : l’État n’avait jamais consenti un effort de ce niveau !
Nous faisions face à une réalité dont il fallait corriger les effets négatifs. C’est ce à quoi nous nous employons, et c’est à cela qu’ont servi à la fois les débats parlementaires et le dialogue que tiennent de manière régulière tant le Président de la République que le Premier ministre avec les organisations professionnelles agricoles.
Pour conclure, je tiens à remercier M. le rapporteur et M. le président de la commission des affaires économiques ainsi que tous les autres sénateurs qui ont contribué à ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Michel Le Scouarnec et Jacques Mézard applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour la deuxième lecture de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, après que l’Assemblée nationale a rejeté, le mois dernier, le texte que nous avions voté en première lecture. Je regrette profondément ce rejet, d’autant qu’il est intervenu à l’issue d’une motion de procédure, qui a empêché le débat article par article de nos propositions, nous refusant l’opportunité d’une navette constructive.
Nous devons avancer de manière plus consensuelle, car notre agriculture et nos entreprises agroalimentaires méritent que nous trouvions, ensemble, les moyens de sortir de l’ornière. Notre pays, la France, en a besoin ! Il nous faut d’ores et déjà préparer la future politique agricole commune et l’orienter vers une voie plus régulatrice. Or nous savons qu’en la matière nous sommes isolés en Europe. Comment espérer convaincre nos partenaires si nous sommes nous-mêmes divisés ?
C’est précisément avec le souci d’écouter toutes les propositions, d’intégrer toutes les bonnes idées, quelle que soit leur origine, que j’avais fait évoluer le texte en première lecture, en proposant ou en acceptant plusieurs mesures, parmi lesquelles l’incessibilité des contrats laitiers, à l’article 1er bis. Je proposerai d’ailleurs un amendement qui, sans remettre en cause le principe de l’incessibilité à titre onéreux, tend à permettre aux organisations de producteurs d’organiser des transferts volontaires entre leurs adhérents, donc d’effectuer une gestion collective des volumes.
Autre mesure, qui fait l’objet des articles 2 bis et 2 ter : l’obligation de rendre publique la liste des opérateurs qui refusent de jouer le jeu de la transparence des prix et des marges.
La proposition de loi encourage également le développement d’une nouvelle dynamique en faveur de l’investissement agricole, à travers l’ouverture de prêts de carrière pour les jeunes agriculteurs – il s’agit de l’article 5 bis –, l’amélioration des mécanismes de la déduction pour aléas, ou DPA, ou encore l’extension du dispositif de suramortissement Macron aux coopératives et aux bâtiments d’élevage.
Ce texte promeut en outre le renforcement de la solidité des exploitations, par l’obligation d’assurance des nouveaux installés. On ne peut pas imaginer d’aide à l’installation sans protection contre les conséquences économiques des risques climatiques.
La présente proposition de loi prévoit aussi un effort supplémentaire en matière de réduction des charges, par la mise en place d’une exonération partielle des cotisations sociales pour les exploitants agricoles ou d’une exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les premiers hectares de surface agricole utilisable.
Nous avons voulu faire preuve d’imagination, mais surtout d’efficacité. En définitive, nos débats n’auront d’ailleurs pas été vains, pour au moins trois raisons.
Premièrement, la proposition de loi a permis de mettre en lumière – je remercie M. le ministre de le reconnaître – l’urgence qu’il y a à agir, en particulier pour soutenir les filières de l’élevage. L’année 2015 a été très difficile : le service statistique du ministère de l’agriculture vient de publier une étude montrant que les cours du porc ont baissé de 7 % par rapport à 2014, pour atteindre un niveau très inférieur à la moyenne des années 2010 à 2014. Les perspectives ne sont pas bonnes, ni à l’export, avec le ralentissement des marchés asiatiques, ni en France, où la consommation baisse.
Concernant le secteur laitier, le dossier annuel de l’Institut de l’élevage, sorti le mois dernier, met en avant, pour 2015, les baisses de prix, et annonce, pour 2016, des « désordres des marchés ».
Dans le secteur de la viande bovine, les menaces inhérentes à une ouverture excessive des marchés dans le cadre d’accords commerciaux avec le Canada, les États-Unis ou le Mercosur se combinent avec des problèmes sanitaires pour dessiner de sombres perspectives.
Et je ne dresse pas le tableau de la filière foie gras, ni celui des risques pesant, avec la fin des quotas, sur la filière sucre !
Deuxièmement, au-delà de la conjoncture, il faut se poser les bonnes questions. Or la question centrale est celle de la compétitivité. La proposition de loi a eu le mérite de remettre cet enjeu au centre des politiques agricoles, car, sans compétitivité, il ne faut pas espérer voir notre agriculture prospérer. N’opposons pas la compétitivité hors prix et la compétitivité prix, car les deux approches sont nécessaires.
Troisièmement, la discussion de la proposition de loi a permis de faire émerger certains sujets et d’obtenir des avancées. J’en citerai quelques-unes.
Sur les relations commerciales en agriculture, nous avons pu mettre en évidence des dysfonctionnements dans la contractualisation laitière, comme les cessions à titre onéreux des contrats. Nous avons aussi pointé le mauvais fonctionnement des filières, en demandant des conférences annuelles de filières et plus de transparence dans les relations commerciales. Je suis satisfait de constater que le sujet est désormais à l’ordre du jour de la loi Sapin II.
Sur l’étiquetage de l’origine des viandes transformées, nous avons initialement proposé une solution de contournement de l’interdiction européenne, puis un décret a été envisagé. Finalement, l’Europe a donné son accord pour une expérimentation de l’étiquetage de l’origine.
M. Didier Guillaume. Grâce au ministre !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Heureusement que le Sénat avait voté cette disposition : certains affirmaient que ce n’était pas possible…
Mme Sophie Primas. Eh oui !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Nous avons aussi souhaité que le lait soit concerné. Au final, nous devons rester vigilants. La nouvelle rédaction proposée en deuxième lecture nous permettra d’être immédiatement efficaces en matière d’information sur l’origine des viandes et des produits laitiers.
Sur la gestion des risques, la loi de finances rectificative pour 2015 a un peu assoupli les conditions d’utilisation de la DPA, même si elle va moins loin que le dispositif que nous proposons, qui relève aussi les plafonds annuels de la DPA.
Sur l’encouragement à l’investissement, le dispositif qui figure à l’article 7, prévoyant l’extension du suramortissement Macron au bénéfice de l’élevage ou encore des coopératives agricoles et des coopératives d’utilisation de matériel agricole, a été repris sous une forme très proche en loi de finances et en loi de finances rectificative. J’ai donc naturellement proposé en commission de supprimer cet article 7, désormais satisfait.
En matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, le relèvement des seuils pour les bovins a été annoncé, comme nous le souhaitions à l’article 8. Encore faut-il que les décrets sortent rapidement.
Enfin, la baisse des charges sociales sur les exploitations agricoles a été annoncée lors du salon de l’agriculture par le Président de la République. Nous la réclamions depuis longtemps. Le mécanisme prévu par la loi de finances pour 2012 n’avait jamais pu être mis en place, ce qui nuisait à la compétitivité globale des exploitations.
D’autres avancées sont encore attendues, et notre proposition de loi continue de porter ces attentes. J’en citerai quelques-unes.
Dans le domaine des normes et de la simplification, toutes nos propositions n’ont pas été reprises. Or l’allégement des normes pour les agriculteurs constitue une question stratégique, tant celles-ci peuvent constituer un handicap face à des concurrents européens aux législations nationales plus souples, et qui pourtant respectent tout autant le cadre communautaire.
Dans le domaine de la gestion des risques financiers par les agriculteurs, j’espère que nous pourrons aboutir à des solutions. L’article 4 prévoit de leur offrir la possibilité de moduler leurs échéances d’emprunts plutôt que de devoir négocier des reports d’échéances ou des années blanches en situation de faiblesse, au plus fort des crises.
J’ai aussi fait adopter par la commission un amendement visant à imposer aux banques de proposer aux agriculteurs la garantie de leurs prêts au travers de mécanismes de cautionnement mutuel plutôt que de garanties personnelles. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement pour retoucher légèrement ce dispositif.
Nous devons aussi penser à protéger les agriculteurs en cas de défaillance de leurs propres clients : face au risque de non-paiement des agriculteurs en contrat d’intégration, je proposerai un amendement pour relever le rang de la créance dont ils bénéficient.
Pour conclure, je voudrais dire que je suis assez fier que le Sénat ait été à la pointe du combat pour défendre la compétitivité de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Notre mobilisation a été utile : la proposition de loi a été l’aiguillon de mesures prises dans d’autres textes.
Nous devrons poursuivre dans cette voie, notamment lors de la discussion de la loi Sapin II, le Gouvernement ayant déjà annoncé une révision des règles de négociation entre la grande distribution et les industriels, ce qui vient d’être confirmé par M. le ministre. Les agriculteurs ont aussi toute leur place dans ces contrats.
L’ambition qui était la nôtre, monsieur le ministre, mes chers collègues, était simple. Nous nous projetions entièrement vers l’avenir, pour ouvrir des perspectives devant donner confiance aux agriculteurs, à celles et à ceux qui prennent des risques. Nous souhaitons donner confiance aux entreprises agroalimentaires comme à tous les acteurs du monde rural sur nos territoires.
Nous sommes nombreux ici à recevoir des courriers d’agriculteurs en situation très précaire. Entre l’intention du législateur, même si elle est bonne, et le vécu du terrain, il y a parfois un monde. Le Gouvernement a annoncé une année blanche pour les agriculteurs, mesure que nous réclamions tous. Or j’ai reçu le 16 mars dernier une lettre, qui n’est pas sans rapport avec l’examen de ce texte, d’un couple de producteurs laitiers, de trente-quatre et de trente-sept ans, avec deux enfants, en situation de grande fragilité : la banque refuse tout simplement la prise en compte de l’année blanche. Voilà de quoi redonner un sens et des perspectives à ce que nous avons voté !
Je le répète, notre seule ambition est de donner confiance aux agriculteurs. C’est pourquoi nous souhaitons voter des mesures structurelles qui offrent à l’agriculture française de véritables perspectives durant de futures négociations de la politique agricole commune. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à débattre en deuxième lecture de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Au lieu de compétitivité, ce maître mot censé être le remède à tous les maux de notre société lancée dans la recherche insensée d’une croissance qui n’arrivera plus, nous devrions plutôt parler de résilience (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.), mais il est encore trop tôt…
Aujourd’hui, au lendemain de la suppression des quotas laitiers, que certains ont souhaité, il convient de le rappeler, notre agriculture et nos élevages paient le prix fort sur l’autel de la compétitivité. Notre agriculture et notre système d’alimentation sont justement déjà victimes de la compétitivité sauvage, dans une économie mondialisée, dérégulée, appuyée sur le dogme consacré de l’Union européenne de la concurrence libre et non faussée. Tous les jours, on entend les mots d’ordre de la pensée dominante.
Retrouver la compétitivité pour l’agriculture et l’agroalimentaire, c’est viser l’agrandissement, la concentration et la spécialisation en vue de maintenir notre niveau d’exportation… C’est aussi viser la modernisation… Pour obtenir tout cela, bien sûr, il faut également viser l’investissement, et donc l’endettement qui va avec. C’est le prix à payer pour la compétitivité !
En début d’année, dans le département du Morbihan – je constate que les trois sénateurs du Morbihan sont présents dans l’hémicycle aujourd’hui –, j’ai assisté à une réunion de crise entre politiques et représentants de la profession. J’ai été effaré d’entendre dire que près de 15 % des exploitations morbihannaises seraient, à terme, condamnées et qu’il conviendrait d’accompagner les exploitants vers une sortie de la profession dans la dignité. Un tel constat est pour moi inacceptable. Ce taux de 15 % semble conforme à la proportion nationale, mais, je le redis, c’est inacceptable !
Il est aussi inacceptable de s’entendre dire : « Soit vous vous adaptez, soit vous disparaissez ! » Les gens qui tiennent de tels propos ne mesurent pas la violence extrême de ces mots pour ceux qui galèrent dans un travail pénible, qui ne comptent pas leurs heures au service d’une activité noble et dont l’objectif est de produire de la nourriture pour les autres, alors que ce dur métier ne les nourrit plus eux-mêmes.
Monsieur le ministre, pour apporter les réponses dans l’urgence, vous ne vous êtes pas ménagé,…
M. François Marc. C’est vrai !
M. Joël Labbé. … malgré toutes les critiques de la part de ce qu’on appelle la « profession ».
Vous avez obtenu du Conseil européen des mesures temporaires d’intervention sur le marché par le stockage de poudre de lait, de beurre et de viande porcine. Ces mesures vont permettre de sauver un certain nombre d’exploitations, mais pour combien de temps ?
Vous avez aussi obtenu des mesures d’étiquetage des viandes, mais à titre expérimental. Il faudra d’ailleurs aller au-delà de l’étiquetage. C’est la raison pour laquelle je défendrai trois amendements, qui, je l’espère, connaîtront un sort heureux.
Plus que jamais, je suis convaincu que c’est notre modèle, que j’appelle volontairement le « modèle dominant », qu’il faut remettre en question. Je l’appelle « dominant », parce qu’il refuse de laisser la place aux autres. Pourtant, les autres existent ! Ils travaillent sur leurs terres et dans leurs élevages et sont bien moins touchés par la crise. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ceux-là, même s’ils ne manifestent pas, éprouvent aussi du ras-le-bol. Nous en connaissons tous sur nos territoires respectifs. Ils nous disent aujourd'hui : foutez-nous la paix !
Foutez-nous la paix ! c’est le titre du dernier livre d’Isabelle Saporta, journaliste et chroniqueuse. Je vous invite vivement à lire cet ouvrage, sous-titré Cette France qui résiste, qui décrit ces paysans qui ont choisi de travailler sur des productions de qualité, en circuit court avec le plus possible d’autonomie,…
Mme Sophie Primas. Oh !
M. Joël Labbé. … et qui sont victimes de tracasseries administratives et de contrôles excessifs, parce qu’ils ne sont pas dans les clous des normes sanitaires formatées par et pour l’agrobusiness. Ils doivent faire face à un amoncellement de normes sanitaires et environnementales complètement inadaptées à l’agriculture paysanne et aux métiers de l’artisanat de bouche. C’est pourtant toute cette activité de proximité qui permettra l’ancrage territorial de l’alimentation que nous appelons tous de nos vœux.
À ce propos, au détour d’une conversation, dimanche matin, j’ai appris que les agriculteurs bio doivent aussi suivre une formation certiphyto et obtenir un certificat, alors que, par définition, ils n’utilisent pas de produits phytochimiques ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Bien sûr que si !
M. Joël Labbé. Il est grand temps de se préparer à l’ère de l’après-pesticides.
Samedi, je participais à Rennes à un débat sur la biodiversité intitulé : « La COP 21…, et après ? », en présence de Gilles Bœuf et de Jean-Claude Pierre, notamment. J’ai écouté avec plaisir et grande attention la présentation de son exploitation faite par un paysan, M. Jacques Morineau du GAEC Ursule, en Vendée. J’ai d’ailleurs appris que vous aviez visité cette exploitation, monsieur le ministre.
M. Joël Labbé. Un système de polyculture et d’élevage, des rotations longues, toutes les parcelles entourées de haies bocagères et de bandes enherbées, des cultures le plus souvent associées ou mélangées, jamais sur des surfaces excédant cinq à six hectares, l’autonomie en fourrages et en protéines, la production de semences sur l’exploitation, la fertilisation par les matières organiques issues de l’élevage : tout cela, sans néonicotinoïdes, sans glyphosate, sans produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Il faudra bien que l’on sorte de toutes ces substances !
Parmi les nombreuses réponses alternatives qui nous ont été présentées samedi, je citerai l’exemple du petit pois. En culture pure, il est victime de la bruche, un coléoptère qui pond ses œufs sur le pois. Pour l’éviter, la culture du pois est mélangée à celle de l’orge, qui pousse plus haut : vu du ciel, les coléoptères n’aperçoivent que l’orge et vont voir ailleurs ! Cette agriculture-là, il faut la soutenir, elle le mérite !
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Joël Labbé. Pour conclure, je dirai que l’Union européenne définit la compétitivité comme « la capacité d’un État à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité ». Or la proposition de loi ne va pas dans le sens de cette définition humaniste d’une Europe capable du meilleur en intention et du pire en application. Aussi, au nom des écologistes, je ne voterai pas le texte. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Quel dommage…
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun d’entre nous, ici, connaît bien les difficultés dans lesquelles sont plongés beaucoup d’agriculteurs. Or, pour répondre au précédent orateur, on ne peut pas à la fois multiplier constamment les normes environnementales et déplorer ensuite leur existence parce qu’elles posent trop de problèmes aux agriculteurs. Soyons cohérents !
M. Daniel Chasseing. Ça, c’est bien vrai !
M. Jackie Pierre. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Dans nos campagnes, nous avons tous pu mesurer l’intensité d’une crise qui n’en finit pas de durer.
La situation est grave comme en atteste la baisse continue du nombre d’exploitations aux quatre coins de la France : 8 % sur les trois dernières années. Derrière ce chiffre, et bien d’autres que je pourrais citer relatifs à la baisse tendancielle des revenus agricoles, c’est un drame social et territorial qui se joue. En effet, des milliers d’hommes et de femmes qui ne ménagent pas leur peine voient leur échapper ce qui est bien souvent l’investissement de toute une vie. Des fermes disparaissent les unes après les autres, mettant en péril le fragile équilibre des territoires ruraux en les privant d’une dynamique essentielle à l’économie locale.
Aussi, monsieur le ministre, vous avez dû faire face depuis l’été dernier à la colère des agriculteurs, en particulier à celle des éleveurs très touchés par la chute des prix. C’est un point évidemment fondamental. Vous avez mis en œuvre une succession de plans d’urgence. Force est de reconnaître que les mesures que vous avez décidées vont dans le bon sens. Elles tendent en effet à relever le défi de la compétitivité, qui est un enjeu crucial dans le contexte du démantèlement des instruments européens de régulation.
Ce défi de la compétitivité, que ce soit celui de la compétitivité prix ou celui de la compétitivité hors prix, est également au cœur de la proposition de loi sénatoriale qui nous est soumise en deuxième lecture. Je m’étonne que les députés l’aient rejetée sans même l’avoir examinée.
M. Jean-François Husson. Nous aussi !
M. Antoine Lefèvre. Quel dommage !
M. Jacques Mézard. Devons-nous leur rappeler qu’il s’agit de l’avenir des 452 000 exploitations qui couvrent encore le territoire métropolitain ? Il ne faudrait pas que le dogmatisme l’emporte sur le pragmatisme !
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jacques Mézard. Pourtant, plusieurs des dispositifs du texte et certains de ceux décidés à juste titre par le Gouvernement au cours de ces derniers mois convergent.
On nous appelle au compromis et au rassemblement pour la révision constitutionnelle. N’était-il pas tout aussi opportun et utile de parvenir au compromis et au rassemblement sur les difficultés du monde agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Très bonne remarque !
M. Antoine Lefèvre. C’était l’occasion !
M. Jacques Mézard. Parmi les propositions convergentes, je veux citer la baisse des charges de 7 points, annoncée par le Premier ministre au mois de février, et qui s’inscrit dans l’esprit de l’article 9.
Je citerai également l’article 7 sur l’extension du suramortissement aux coopératives ainsi qu’aux bâtiments et installations de magasinage et de stockage de produits agricoles, satisfait par la loi de finances pour 2016.
Le texte prévoit aussi un allégement des normes, une revendication forte et souvent justifiée de la profession agricole qui est abordée à l’article 8 sur l’aménagement du régime des installations classées d’élevage et qui rejoint l’annonce sur la création prochaine d’un régime d’enregistrement pour les élevages de bovins à l’engrais, ce dont je me félicite.
Enfin, le Gouvernement et le Sénat se retrouvent également sur l’assouplissement de la déduction pour aléas ou sur l’incessibilité des contrats laitiers.
Dans ces conditions, mes chers collègues, le RDSE, très majoritairement, ne voit aucun obstacle à l’adoption de ce texte, que nous avons d’ailleurs approuvé en première lecture. En outre, cette proposition de loi aborde plusieurs autres sujets qui complètent les plans d’urgence. Je pense, en particulier, aux quelques articles visant à améliorer la transparence des relations commerciales. Nous savons que la puissance d’achat et le degré de concentration de la grande distribution pressurent souvent les producteurs. Il faut renforcer l’encadrement de la contractualisation pour parvenir à remédier au déséquilibre contractuel.
La gestion des risques, à laquelle est attaché le RDSE, est également abordée. Je rappellerai que le Sénat avait examiné en 2008 notre proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire. Parce qu’il nous semble que celle-ci est un élément important de la solidité économique d’une exploitation, nous avons déposé un amendement de rappel en ce sens.
Je n’oublie pas le dispositif de clarification des règles d’étiquetage de l’origine pour les produits transformés. En première lecture, mon groupe avait demandé, au détour d’un amendement à l’article 3, que la pression soit exercée sur Bruxelles pour permettre un étiquetage obligatoire. La France a en partie obtenu satisfaction sur ce point – nous pouvons vous en féliciter, monsieur le ministre – et sur quelques autres ; je pense à la limitation temporaire de la production laitière. C’est une bonne décision, en tout cas sur le papier, car je m’inquiète toutefois de son caractère non contraignant qui pourrait la rendre insuffisamment efficace.
Monsieur le ministre, je sais que vous vous êtes saisi de la question : l’embargo russe doit cesser au plus vite, car il pénalise particulièrement les filières porcine et bovine.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous voterons une nouvelle fois cette proposition de loi. Nous souhaitons, pour l’avenir, une meilleure coexistence entre deux modèles d’agriculture, qui doivent non pas s’opposer mais se compléter. D’un côté, il faut continuer à promouvoir une agriculture très compétitive faite de grandes exploitations. De l’autre, il faut encourager le maintien d’une agriculture de petites structures à vocation nourricière animant des circuits courts et poursuivant son rôle d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le récent salon de l’agriculture a été l’occasion pour la profession agricole de dénoncer de nouveau le poids de notre réglementation sur la compétitivité du secteur.
Vous connaissez mon engagement, monsieur le ministre, pour la simplification des normes agricoles. C’est la mission première du groupe de travail dont je suis le rapporteur au sein de la commission des affaires économiques. La simplification exige de diagnostiquer, de supprimer, de réexaminer. Bien sûr, c’est moins spectaculaire que d’écrire une nouvelle loi, moins valorisant politiquement, mais cela ne coûte rien et redonne de l’oxygène à notre économie.
Nous avons tissé au fil des ans, parfois de façon inconsciente, un véritable corset réglementaire. Nous en portons tous et toutes la responsabilité. Desserrer ce corset est une véritable urgence, et c’est avant tout une question de volonté politique. Notre agriculture a besoin d’un véritable choc de simplification – pas d’un « choc mou » ! – qui soit massif, partagé, cohérent, assuré dans la durée et contrôlé.
Tout d’abord, ce choc de simplification doit être massif, afin de créer un véritable effet compétitif et relancer la confiance de nos agriculteurs. Il ne doit plus exister, dans les six mois à venir, de surtransposition de directives européennes. Nous devons réaliser un diagnostic global du stock de normes existantes. Nous devons également limiter notre créativité normative. J’ai, à ce sujet, déposé en première lecture un amendement, qui a été adopté, visant à instituer un principe selon lequel « pour toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole, une norme antérieure est abrogée ».
Ensuite, ce choc de simplification doit être partagé : il ne peut y avoir de nouvelle norme sans coconstruction avec les agriculteurs ; toute nouvelle norme doit être testée et expérimentée avant d’être généralisée.
En outre, ce choc de simplification doit être cohérent. On constate en effet de plus en plus souvent, et récemment encore, que des mesures législatives sont revisitées par l’administration lors de l’écriture des décrets, lesquels s’inscrivent en totale contradiction avec l’objectif de la loi. Je vous demande, monsieur le ministre, à vous qui portez la voix de l’exécutif, la plus grande vigilance sur ces questions. Vos services ou ceux d’autres ministères ne peuvent pas agir en contradiction avec la volonté du Parlement.
Je citerai un exemple. Dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique, votée il y a un an, nous avions prévu que les cultures intermédiaires, qui sont des pièges à azote, puissent être intégralement utilisées dans des méthaniseurs. Le Gouvernement a d’ailleurs prévu la construction de 1 000 de ces bioréacteurs. Or le ministère de l’écologie prépare actuellement un arrêté écartant du bénéfice de la nouvelle tarification de rachat d’électricité issue de biogaz les installations utilisant plus de 15 % de cultures intermédiaires. Tout cela est en totale contradiction avec la loi portée par le même ministère, et ce à un an d’intervalle ! Ce n’est qu’un exemple, mais je crois que nous serions surpris par le nombre de décrets ou d’arrêtés pris par ce gouvernement – et peut-être par d’autres – qui sont en contradiction avec la volonté du législateur.
Par ailleurs, ce choc de simplification doit être assuré dans la durée. La stabilisation des normes est un facteur rassurant pour tout acteur économique. Cette action, certes peu médiatique, doit se poursuivre d’année en année.
Voici un exemple récent : le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité impose, dans son article 34, de nouvelles normes culturales dans les zones prioritaires pour la biodiversité – j’y suis plutôt favorable –, mais ce sans garantie de compensation pour les agriculteurs. Aussi me permettrez-vous, monsieur le ministre, de poser la question suivante : le gouvernement auquel vous appartenez a-t-il réellement la volonté de simplifier ?
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Daniel Dubois. Enfin, cette simplification des normes doit être contrôlée, en particulier par le Parlement. Je souhaite donc que notre commission des affaires économiques puisse poursuivre cette mission de contrôle des différentes normes.
Le groupe UDI-UC soutiendra, bien entendu, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avions précisé en première lecture, nous partageons les constats dressés par le rapporteur et les auteurs de cette proposition de loi, même si nous avons des divergences de fond sur les solutions proposées.
Ces divergences sont réelles puisque nous pensons que ce texte, malgré les intentions de ses auteurs, maintient l’agriculture française dans une logique d’échecs à répétition. Elles sont l’expression de visions distinctes de l’avenir de l’agriculture, de notre système de production et de consommation. La compétitivité ne peut, à elle seule, résumer nos actions en faveur du monde agricole. Or cette proposition de loi confirme le choix d’une agriculture fondue dans le moule de la compétition internationale, des marchés et de la finance, dont nous connaissons pourtant les effets dévastateurs. C’est à ce rouleau compresseur et à l’ouverture des marchés qu’il faut en priorité s’attaquer.
Il n’en demeure pas moins que nous reconnaissons certaines vertus à ce texte. L’article 1er, par exemple, aborde explicitement la problématique des prix d’achat aux agriculteurs, mais il ne traite que d’une partie du problème : celui de la hausse des coûts de production et de la nécessité d’intégrer des éléments concernant ces coûts dans la définition des contrats. Toutefois, le seul recours au contrat, sans définition de prix d’achat minimum ou de prix plancher, ne permet pas de renverser les rapports de force entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Il y a un constat que nous devrions partager : depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010 et les balbutiements de la contractualisation, les prix d’achat n’ont cessé de dégringoler, faute de régulation et de maîtrise des volumes de production.
Quant au stockage, il ne peut constituer la réponse pérenne, pas plus que l’année blanche. En effet, la suppression de toutes les mesures d’orientation des prix place les exploitants agricoles dans un face-à-face déséquilibré avec les opérateurs de marché, les transformateurs et la grande distribution. Nous pensons, au contraire, qu’il faut réhabiliter le principe d’une véritable régulation permettant de garantir un prix décent et rémunérateur.
Certains amendements proposés vont dans le bon sens, comme celui qui vise à introduire un élément de souplesse afin de permettre des cessions de contrats laitiers, dans le but de lutter contre leur marchandisation et d’effectuer une meilleure gestion des volumes. Reste que nous allons plus loin en prenant l’exemple du quantum mis en place pour le blé en 1945.
Ainsi, pendant des décennies, les 50 premiers quintaux de blé vendus par chaque exploitation étaient payés à un prix fort garanti par l’État, le reste obéissant aux lois du marché. Ce système, appelé « paiement différencié », a fonctionné en France pendant des années pour la production de jeunes bovins. Il persisterait aux États-Unis. Il s’agirait donc d’utiliser le budget consacré aux primes PAC pour un complément de prix. Il serait réservé à la première tranche de production chez chaque éleveur. Le quantum, le prix garanti aux producteurs, serait l’addition du prix du marché et du complément du prix.
Ce sont des pistes que nous aurions tout intérêt à approfondir aux niveaux national et européen si nous voulons véritablement sauver notre agriculture. C’est pourquoi l’argument d’une contradiction par rapport au droit européen n’est pas tenable. Il faudra le faire évoluer, et le plus vite sera le mieux.
« La France riche de son agriculture, ne laisse plus dépérir ses agriculteurs », affirmait François Mitterrand en 1981. C’était un bel objectif !
J’en viens à l’article 3 sur l’étiquetage, dont la rédaction initiale était trop restrictive, voire incompréhensible.
Comme nous l’avions souligné en première lecture, nous avions du mal à comprendre l’objectif de cet article. En effet, l’étiquetage de l’origine n’est pas un enjeu secondaire à géométrie variable. C’est un enjeu prioritaire dans la bataille que nous devons mener face à la libéralisation des échanges agricoles, car les agriculteurs comme les consommateurs savent bien que les conditions sanitaires, sociales, économiques et environnementales de production du bœuf américain, argentin ou polonais ne sont pas les mêmes que dans notre pays. C’est pourquoi nous avions déposé plusieurs amendements sur ce point en particulier. Aussi, nous saluons les avancées contenues dans la nouvelle rédaction de l’article 3 sur l’indication de l’origine des produits, demandée avec force par les consommateurs et les producteurs.
Pour le reste du texte, il n’y a pas eu de changements notables, même si quelques améliorations sont prévues au travers des mécanismes proposés à l’article 4, par exemple. Toutefois, les mesures concernant le financement et l’investissement agricoles ne s’attaquent pas aux problèmes essentiels. Pourquoi ne pas exiger que l’organisme bancaire ne puisse pas refuser le report de paiement demandé par l’exploitant agricole ? Pourquoi ne pas poser clairement le constat de la dérive financière du secteur bancaire, dont les conditions d’accès au crédit sont toujours plus strictes, et qui joue de moins en moins son rôle de financement du développement agricole et d’établissement de crédit pour le secteur productif agricole ? Les banques doivent être, avant tout, des outils au service des agriculteurs.
Enfin, les chapitres III et IV contiennent une série de dispositions qui portent en germe une refonte plus globale du système de sécurité sociale, sous les dehors toujours séduisants de l’allégement des charges. Sur ce point, nous sommes tout à fait opposés à la remise en cause des principes fondateurs de la sécurité sociale, à la multiplication des allégements et des exonérations de cotisations, notamment lorsque ceux-ci s’effectuent sans concertation préalable avec les partenaires sociaux et les gestionnaires des régimes.
Si nous ne nous attaquons pas au problème de la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières et aux prix d’achat aux agriculteurs, nous ne répondrons pas à leurs besoins et nous n’assurerons pas leur survie. Vous-même, monsieur le ministre, aviez déclaré à la radio le 26 février dernier : « Entre la grande distribution et les industriels, on ne sait jamais qui dit la vérité. Tout le monde se renvoie la balle, et c’est le producteur qui paie à la fin. » C’est tout à fait juste !
Pour toutes ces raisons, et non pour afficher une quelconque posture, tout en saluant le travail de M. le rapporteur et les progrès réalisés, au lieu de voter contre le texte, nous nous abstiendrons. (Exclamations réjouies sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Il faut savoir reconnaître les progrès !
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 décembre dernier, lors de la première lecture de cette proposition de loi, je vous avais dit combien j’étais choqué par la posture politicienne de son calendrier, entre les deux tours des élections régionales. Cette proposition de loi ficelée à la va-vite aurait mérité, comme l’ont dit certains de nos collègues députés, beaucoup plus de travail et de concertation. Nos agriculteurs valent mieux que ça ! Quelle occasion manquée de montrer que les élus sont capables de travailler ensemble ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Parole d’expert…
M. Henri Cabanel. Ce texte aborde le sujet de la crise agricole, mais avec des propositions essentiellement fiscales. Or, dans ce domaine, le poids de la fiscalité n’a jamais été aussi réduit que sous ce gouvernement. Je vous le rappelle, cela représente plus de 1 milliard d’euros par an jusqu’en 2017 !
Tenir compte des prix d’exploitation dans le prix de vente correspond, idéologiquement, à mes convictions de justice et de partage, mais cela se heurte aux principes du marché européen, lequel est basé sur une politique libérale de libre concurrence. Comme nous l’a confirmé M. Bigard, lors de la réunion organisée au Sénat par le président Larcher, la loi du marché reprend toujours le dessus.
Je vous mets encore une fois, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, face à vos propres contradictions. Vous faites des propositions très interventionnistes, en opposition avec votre idéologie libérale et celle de vos collègues qui dirigent les politiques européennes.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Sophie Primas. Nous ne sommes pas sectaires !
M. Henri Cabanel. Vous critiquez la gestion par le Gouvernement de la crise de l’élevage, alors que, en 2009,…
M. François Bonhomme. C’est vieux !
M. Henri Cabanel. … date de la première crise laitière, aucune réforme significative n’avait été engagée.
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Henri Cabanel. À l’époque, je vous le rappelle, vous gouverniez !
Ne tombez pas dans la surenchère : ne dites pas aujourd’hui comment résoudre des problèmes que vous n’avez pas su régler hier. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nos concitoyens en ont assez des postures politiciennes ! C’est aussi ce qui les éloigne des urnes.
Mme Delphine Bataille. Bien sûr !
M. Henri Cabanel. Depuis la première lecture de ce texte, des avancées significatives ont été obtenues, notamment le 14 mars dernier par Stéphane Le Foll.
Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, nous avait assurés, lors d’une audition au Sénat, que la crise de l’élevage était franco-française. Lors de sa rencontre avec le ministre de l’agriculture, il a enfin reconnu à mots couverts l’étendue européenne de la crise.
Sur la base des propositions françaises, partagées par une majorité d’États membres, le commissaire s’est engagé à mettre en œuvre des mesures fortes. Il a ainsi acté la pertinence du déclenchement, pour la première fois, de l’article 222 permettant aux opérateurs de déroger au droit de la concurrence pour limiter temporairement la production et ainsi faire remonter les prix. Cette procédure était peu prisée jusqu’alors par les leaders ultralibéraux. Mais l’erreur politique de Phil Hogan est de ne pas la rendre obligatoire pour tous les États membres. De ce fait, si notre pays est le seul à l’appliquer, ce sera un coup d’épée dans l’eau.
Par ailleurs, la France a obtenu l’accord de principe de la Commission européenne sur l’expérimentation de l’étiquetage de l’origine des produits carnés et laitiers. C’était la demande des professionnels.
J’osais espérer que, le contexte de calendrier électoral redevenu, pour un temps, plus serein, nous pourrions aborder cette proposition de loi sur la compétitivité de notre agriculture de façon également plus sereine. Avec un minimum d’honnêteté intellectuelle, nous pourrions tomber d’accord sur un point : nous souhaitons tous que notre agriculture se construise pour sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve. Les solutions peuvent émaner de la gauche et de la droite. Et pourtant… Lorsque l’on voit la façon dont vous, membres de la majorité sénatoriale, avez fait échouer par vos manœuvres dilatoires la proposition de loi écologiste visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, on peut douter de vos intentions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Henri Cabanel. Nous étions tous d’accord pour décider que la restauration hors domicile devait utiliser 40 % de produits issus de l’agriculture durable. Vous avez exprimé, en revanche, votre refus total des 20 % de produits bio, alors même que le bio ne représente que 5 % de notre alimentation.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Henri Cabanel. Tot aco per pa gran causo, dirait-on en occitan : tout cela pour pas grand-chose !
Vous êtes allés contre une tendance forte des consommateurs. Selon un sondage récent, près de 65 % des Français mangent bio chaque mois, à tel point que l’offre peine aujourd’hui à satisfaire la demande.
N’avez-vous pas compris que notre agriculture était d’abord une agriculture familiale (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Éric Doligé. Nous ne comprenons jamais rien, c’est bien connu !
M. Henri Cabanel. … qui a pour seules issues la qualité, la diversité et les circuits de proximité ?
L’enjeu actuel de notre agriculture est de s’adapter, d’offrir une diversité et une qualité dans un marché hypersegmenté, mondialisé, où la politique du plus bas prix nous entraînera toujours vers le fond…
M. François Bonhomme. On y est !
M. Henri Cabanel. … si nous limitons nos stratégies aux prix et aux baisses de charges. Face à des pays émergents, la France aura toujours des coûts de production plus importants. Notre agriculture doit donc s’inscrire dans la montée en gamme des produits, la diversification des circuits commerciaux, les circuits courts étant à ce titre essentiels, dans la production d’énergies renouvelables et l’agritourisme.
Je suis persuadé que notre agriculture est aujourd’hui dépendante de la politique agricole commune. C’est pourquoi je me félicite de la fermeté du Président de la République dans les négociations. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Sans sa ténacité et celle de Stéphane Le Foll, nos budgets alloués à la PAC auraient été en baisse, et vous le savez. Lorsqu’une chose est bien faite, il faut le reconnaître ; et si je ne le fais pas, personne ne le fera ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. François Bonhomme. Ça, c’est vrai ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri Cabanel. Plus de 9 milliards d’euros ont ainsi été préservés dans cette PAC pour l’agriculture française.
Je salue aussi l’engagement du ministre de l’agriculture (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Henri Cabanel. … qui affirme toujours plus haut et plus fort une stratégie d’agriculture durable, largement définie dans le cadre de la loi d’avenir, qui préserve le foncier agricole, incite à l’installation, crée les GIEE, renforce la performance sanitaire et correspond à l’attente des citoyens.
Dans ce texte, vous avez abordé le risque assurantiel. J’y reconnais une thématique importante pour notre monde agricole. Il y a trois risques majeurs : climatique, sanitaire et économique. Des propositions existent pour les deux premiers, même si le taux de pénétration est faible. La sensibilisation des agriculteurs prend du temps ; le contrat socle n’est sorti qu’en février 2015. Par ailleurs, l’assurance obligatoire pour les jeunes agriculteurs que vous préconisez est loin de faire l’unanimité dans les différentes filières.
Il est en revanche primordial de traiter le risque économique à l’échelle européenne, afin d’assurer un revenu à nos agriculteurs en cas de crise soudaine, comme celle causée par l’embargo russe. C’est pourquoi, avec mes collègues Franck Montaugé, Didier Guillaume et d’autres membres du groupe socialiste et républicain, j’ai déposé une proposition de résolution pour encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture.
Cette dépendance à l’Europe n’est pas inéluctable. Chaque agriculteur que je rencontre préférerait vivre de sa production à travers un prix plutôt que de toucher des subventions. Il est donc fondamental qu’un bilan de l’efficience des précédentes PAC soit établi dès aujourd’hui afin de négocier une nouvelle orientation de la prochaine PAC post-2020. Sur ce point, je suis d’accord avec le rapporteur.
Enfin, quand on parle de compétitivité, cela devrait d’abord évoquer des stratégies de développement. Vous connaissez mon franc-parler : il faut arrêter l’hypocrisie et la politique de l’autruche ! Les crises conjoncturelles de l’élevage trouvent des réponses dans les aides ponctuelles de l’État et de l’Europe, mais ces filières ne trouveront d’issue à leur malaise structurel que par une remise en cause des modèles par la filière.
J’ai proposé au ministre de l’agriculture d’organiser une réunion de travail entre les représentants de la filière de l’élevage au niveau national et les organisations professionnelles du Languedoc. Celles-ci ont coconstruit, voilà plus de vingt ans, une ligne directrice pour notre vignoble languedocien, qui connaissait une crise aussi grave que celle qui frappe l’élevage aujourd’hui. Le ministre a accueilli favorablement cette idée. Il nous cite d’ailleurs souvent en exemple, et les vignerons en sont très fiers. Ils ont tout restructuré dans une stratégie globale : arraché des vignes, planté de nouveaux cépages plus adaptés aux goûts des consommateurs, créé des labels de qualité, organisé et diversifié la filière. Surtout, ils ont accompagné tous ceux qui n’ont pu s’adapter à cet élan de nouveauté.
Le paysan que je suis ne peut accepter que l’on fasse miroiter aux agriculteurs un semblant de solution alors que la route va être longue, semée d’embûches. Je suis persuadé que, au bout, il y a, pour nos filières d’élevage, le succès que nous, vignerons du Languedoc, avons connu. Les paysans n’ont jamais eu peur de retrousser leurs manches. Faisons-leur confiance ! Il faut leur montrer non seulement que nous sommes là pour répondre à l’urgence dans les coups durs, mais aussi que nous saurons accompagner leur audace.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Joël Labbé et Michel Le Scouarnec applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Nous voici de nouveau réunis pour débattre d’une proposition de loi que nous fûmes 157 à signer, puis 200 à voter en première lecture. C’est l’occasion pour vous, monsieur le ministre, d’avoir le plaisir de revenir au Sénat, même si c’est un plaisir que vous montrez avec beaucoup de retenue… En tout cas, c’est l’occasion d’échanger sur des sujets qui doivent nous rassembler.
Je ne vais pas revenir sur l’objet de la proposition de loi, qui vise à apporter des réponses structurelles à la crise profonde que vous avez décrite dans votre intervention – nous partageons votre analyse sur la nature de cette crise –, je tiens simplement à rappeler que ce texte repose sur trois piliers : le rétablissement de relations justes et équilibrées entre les différents acteurs de l’agroalimentaire, du producteur jusqu’au distributeur ; le soutien aux mesures en faveur de l’investissement ; l’allégement des charges fiscales, sociales et administratives.
Je ne vais pas non plus revenir sur la simplification des normes après le débat que nous avons eu nationalement et que nous poursuivons localement : les normes sont souvent ce qui pèse le plus lourd dans la vie de l’agriculteur.
À l’Assemblée nationale, la majorité a adopté une motion de rejet préalable : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Toujours est-il que le propos, parfois un peu agressif, de l’orateur qui m’a précédé à cette tribune – j’ai cru comprendre que les mots les plus durs avaient été prononcés en catalan –…
M. Jean-Claude Luche. En occitan !
M. Jean-Claude Lenoir. … était en décalage par rapport à votre intervention à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre – je vous rends justice, comme vous voyez ! Vous avez en effet déclaré – je me réfère au Journal officiel – qu’il n’y avait finalement pas de différence entre ce que propose l’opposition à travers cette proposition de loi et ce que souhaitent la majorité et le Gouvernement. La seule différence, selon vous, tient au fait que les mesures que nous préconisons ne sont pas financées. Or, comme vous le savez, mes chers collègues, l’article 40 ne nous permet pas de prévoir un tel financement. C’est au Gouvernement qu’il appartient de lever le gage lorsqu’il juge que les mesures sont utiles.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Que ne l’a-t-il fait !
M. Jean-Claude Lenoir. Si c’est la seule différence entre nous, monsieur le ministre, j’ai le sentiment qu’un rapprochement est possible en deuxième lecture. J’ai même entendu des mots assez forts sur le thème du rassemblement,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Unité nationale !
M. Jean-Claude Lenoir. … sur la possibilité de se retrouver sur un texte attendu par le monde agricole. L’occasion nous est précisément donnée ! C’est pourquoi, je le répète, je regrette quelque peu les propos du préopinant, qui ont manifesté une forme d’agressivité très éloignée des discours que vous avez tenus à l’Assemblée nationale et au Sénat voilà quelques instants. Nous ne sommes pas là pour faire de la politique politicienne,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Quoique…
M. Jean-Claude Lenoir. … mais pour proposer des mesures et aussi, éventuellement, apporter des idées au Gouvernement. Cette proposition de loi pourrait être considérée par certains, dans une vision quelque peu réductrice, comme une boîte à idées. Nous avons pour notre part une autre ambition : faire partager par le plus grand nombre ce qui doit être fait.
D’ailleurs, le Gouvernement n’a pas hésité à arrêter un certain nombre de mesures qui, en réalité, sont empruntées à notre proposition de loi. Je pense à l’assouplissement du mécanisme de déduction pour aléas ou à l’extension à un certain nombre d’acteurs – les coopératives, les bâtiments d’élevage et de stockage – du dispositif de suramortissement. Je pense également aux mesures qui seront prises dans le cadre de la loi Sapin. Vous annoncez ainsi qu’il sera fait référence aux prix payés aux producteurs dans les contrats passés entre les transformateurs et les distributeurs. C’est une avancée importante que nous réclamions !
Je déduis de vos propos que nous pourrions également nous retrouver sur l’incessibilité des contrats laitiers. Un amendement proposé par le rapporteur pourrait donc avoir l’heur de vous plaire. Il y va de même de l’allégement des normes, notamment en ce qui concerne les installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE.
Finalement, qu’est-ce qui nous sépare ? Vous l’avez dit, monsieur le ministre, rien ! Quant au financement, c’est au Gouvernement de prendre des mesures. Ce qui doit nous rassembler, c’est le fait d’apporter des réponses claires, justes et équilibrées au monde agricole. En définitive, nous avons un devoir d’acteurs ; la question des droits d’auteur est très secondaire. C’est ce rassemblement, le plus large possible, qui permettra d’apporter la meilleure réponse à la détresse du monde agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Paul. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Paul. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme bon nombre d’entre nous ici, je suis élu d’un département où l’agriculture est une composante majeure de l’activité économique. Depuis des mois, nous rencontrons des exploitants excédés, dans la détresse.
Cette détresse est d’abord matérielle : les prix qu’ils perçoivent ne compensent même pas les coûts de production. Ils ne dégagent plus de revenus. Ils produisent à perte, victimes notamment des luttes terribles que se livrent transformateurs, intermédiaires et distributeurs.
Cette détresse est aussi morale. Fiers de leur métier – comment ne le seraient-ils pas, alors qu’ils produisent pour nourrir leurs concitoyens ? –, ils doivent au quotidien affronter un empilement de normes, fruit d’une suspicion croissante qui s’est installée au fil des ans, créant un climat de défiance à leur encontre.
Qu’il y ait eu des excès par le passé, il ne saurait être question de le nier, pas plus qu’il ne saurait être question de nier aujourd’hui les efforts importants accomplis depuis de nombreuses années par la profession pour produire en respectant l’environnement.
Pour sortir de cette détresse, les agriculteurs ne font pas de l’obtention d’aides ponctuelles leur priorité. Ils ne veulent pas être maintenus sous perfusion, à coups de mesures conjoncturelles prises au fil des crises. Ils ne veulent pas plus de ces normes toujours plus contraignantes. Ils ne veulent plus être montrés du doigt. Non ! Ils demandent tout simplement à pouvoir vivre de leur travail, dignement, dans un lien de confiance avec la société, dans un cadre stable qui leur offre enfin des perspectives d’avenir.
La proposition de loi dont nous débattons cet après-midi en deuxième lecture s’inscrit dans cette démarche, qu’ils attendent, de restauration de la compétitivité des exploitations. Elle est le fruit d’échanges sur le terrain au contact des professionnels. Avec nos collègues du département, ainsi qu’avec Jean-Claude Lenoir et Jean Bizet, j’ai accompagné le président Larcher au mois d’août dernier dans son déplacement dans le Finistère à la rencontre des filières agricoles et agroalimentaires.
Ce texte va donc dans la bonne direction. Il apporte des réponses structurelles, il trace un cap, il ouvre des perspectives. Refuser d’en débattre, comme l’a fait la majorité socialiste à l’Assemblée nationale, pour des raisons non pas de fond, mais strictement politiciennes, traduit ni plus ni moins un manque de considération inadmissible à l’égard d’un secteur en crise grave.
Pour avoir participé, voilà quelques jours, à l’assemblée générale de l’association des maires ruraux de mon département, je peux vous assurer que les élus des petites communes sont très attentifs à nos travaux et qu’ils attendent de notre part une prise en compte sérieuse et concrète des difficultés du monde agricole. Il y va de la vie dans nos villages ! Il y va de l’aménagement de notre territoire !
Si, comme je viens de le dire, la proposition de loi apporte des réponses de fond aux difficultés de notre agriculture, je voudrais évoquer une conséquence, et non des moindres, de cette crise sans précédent : la situation des agriculteurs contraints au dépôt de bilan, forcés de cesser leur activité. Nous leur devons une attention très particulière. Nous devons leur proposer un accompagnement social et économique à la hauteur de leur désarroi.
Quand une personne a travaillé toute sa vie ou, pour les plus jeunes, durant plusieurs années, dix heures ou plus par jour, chaque jour de l’année ou presque, sur une exploitation, souvent transmise par ses parents, n’avoir d’autre alternative que de mettre un terme à son activité constitue un drame à la fois économique et humain. Il est donc essentiel que les conditions de cette sortie soient dignes et organisées. Il y a trop de souffrances, trop de suicides, pour que nous n’agissions pas.
Monsieur le ministre, notre collègue Jean Bizet vous a saisi, en fin d’année, de l’opportunité de rétablir le dispositif d’aide à la reconversion professionnelle pour les agriculteurs en cessation d’activité. C’est une piste, parmi d’autres, pour accompagner et soutenir les plus jeunes. Examinons-la. Donnons à ces personnes la possibilité de rebondir, de se créer un nouvel avenir professionnel. Veillons aussi à ne pas laisser les personnes les plus âgées, que quelques années seulement séparent de la retraite, livrées à elles-mêmes. Une indemnité de départ serait à cet égard la bienvenue.
Par les mesures structurelles qu’elle contient, la proposition de loi amorce un changement de conception et de vision de notre agriculture. Il est temps de décréter que l’agriculture et l’agroalimentaire sont des activités stratégiques pour notre économie. Pour cela, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà aujourd’hui réunis pour la deuxième lecture d’un texte que nous avions déjà salué en première lecture. Nous le répétons, l’initiative est bonne et nécessaire.
Je ne reviendrai pas sur le rejet, abondamment commenté, du texte par l’Assemblée nationale. Cela est regrettable et ne fait en rien avancer les choses, au détriment du monde agricole, qui est toujours dans l’attente de réponses et de solutions.
Monsieur le ministre, le temps presse. Depuis plusieurs années maintenant, nous nous évertuons, les uns et les autres, à trouver des solutions à la situation dans laquelle se trouve l’agriculture. Nous avons aujourd’hui la certitude que toutes les mesures de soutien financier conjoncturel et d’accompagnement ponctuel n’ont aucun effet sur le fond. Il ne faut pas se disperser, et le tronc commun de la revendication de l’agriculture est aujourd’hui bien identifié : la recherche de prix réellement rémunérateurs, la recherche de la baisse des coûts de production. Sur ces deux sujets, le pouvoir politique ne doit pas se résigner.
Force est de constater que nous avons perdu beaucoup de temps et que nous n’avons pas cherché suffisamment à peser sur la dégradation des cours. Pensons à l’évolution des prix. J’ai examiné attentivement, comme vous tous, l’évolution de ceux du lait. Rendons-nous compte : avant primes, 269 euros la tonne en 2009, 364 euros la tonne en 2014, 311 euros en 2015, les prévisions se situant aux alentours de 280 euros ou 290 euros pour l’année qui s’ouvre.
La filière laitière va mal, la filière porcine également – les chiffres sont identiques – et, s’agissant de l’activité céréalière, les premiers marchés indiquent un tassement des prix qui commence à devenir extrêmement préoccupant. Pour cette raison, nous devons considérer la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui comme un rendez-vous important, qui aborde des points fondamentaux et va dans le bon sens.
Concernant le chapitre Ier, intitulé « Des relations plus justes et transparentes, du producteur au consommateur », on ne peut que se réjouir de l’adoption en commission d’un amendement visant l’étiquetage obligatoire, à titre expérimental, des viandes et du lait. Dans ce domaine, nous devons encore formaliser et mieux institutionnaliser tout ce qui relève des relations producteur-consommateur, dans la perspective de politiques vraiment contractuelles. Allons plus avant dans l’information du consommateur, poussons plus loin l’information sur le produit, notamment sur le plan européen !
S’agissant du chapitre II, « Faciliter l’investissement et mieux gérer les risques financiers en agriculture », les mesures relatives à l’investissement vont vraiment dans le bon sens. Saluons également les amendements adoptés en commission sur différentes solutions de financement, notamment l’amendement relatif à la caution mutuelle, un dispositif qui gagnerait beaucoup à être généralisé.
Enfin, avec le chapitre III, « Alléger les charges qui pèsent sur les entreprises agricoles », nous abordons la question de la recherche de compétitivité. Nous le savons tous, une harmonisation européenne est nécessaire, mais nous n’avons pas assez pesé sur ce sujet et nous devons pallier les grandes lacunes actuelles. C’est bien au niveau européen qu’il faut concentrer l’action, tant les disparités sont grandes dans la confection des prix de revient de la plupart des pays composant la communauté, qu’il s’agisse de la viande porcine, des céréales ou d’autres produits.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous sommes favorables à cette proposition de loi, qui constitue un bon début de réponse pour le monde agricole. Dans les semaines qui viennent, nous aurons l’occasion de revenir sur certaines problématiques évoquées dans ce texte, notamment les aléas économiques, à travers l’examen d’une proposition de résolution de nos collègues socialistes visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture. Les membres du groupe UDI-UC sont favorables à cette nouvelle initiative.
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur Cabanel, je n’emploierai pas le même ton que vous – il ne vous ressemble pas, d’ailleurs – ; je préfère aborder de façon positive cette nouvelle phase.
Par ailleurs, comme je l’avais déjà indiqué à plusieurs d’entre nous, nous sommes en train de travailler sur une proposition de loi visant à régler les difficultés posées par les aléas climatiques. Les systèmes que nous connaissons sont partiels et les moyens financiers dont nous disposons peuvent nous permettre, notamment, d’améliorer le système assurantiel, qui constituera la seule vraie réponse au monde agricole.
Toutes ces initiatives tracent ainsi quelques perspectives pour le monde agricole.
Monsieur le ministre, il nous faut, collectivement, construire des outils de régulation de la production comme corollaires à la diminution des prix de revient et admettre que nous avons une grande responsabilité. Pour ce qui me concerne, je suis persuadé que c’est au Sénat que peut véritablement se préparer une grande politique agricole, et je souhaite de tout cœur un débat apaisé et constructif. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duran.
M. Alain Duran. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’automne dernier, la majorité sénatoriale a opportunément considéré qu’il convenait de résoudre la crise agricole entre les deux tours d’une élection, par le biais de l’examen de cette proposition de loi.
Pour renforcer la compétitivité de la filière agricole, l’axe de pensée de ce texte tourne autour de l’idée selon laquelle l’adaptation de notre agriculture à la mondialisation passerait uniquement par la recherche d’une baisse de nos coûts de production. Or, à ce jeu-là, au sein d’une compétition qui tendrait au passage à passer par pertes et profits l’exigence de qualité, nous serons toujours perdants. Je pense plutôt que cette adaptation passe avant tout par la préservation de nos savoir-faire, de notre diversité et d’une montée en gamme de nos produits, tant d’un point de vue économique que qualitatif, comme l’a développé mon collègue Henri Cabanel.
C’est précisément sur ce terrain que se bat notre ministre de l’agriculture, et je veux rappeler en premier lieu la loi d’avenir agricole, qui s’est employée à promouvoir l’agroécologie, la préservation des terres agricoles, l’aide à l’installation des jeunes agriculteurs ou encore la priorité donnée à l’enseignement, pour permettre à la France de rester dans l’excellence.
M. Jean Bizet. On voit le résultat !
M. Alain Duran. Je veux rappeler en second lieu le plan de soutien exceptionnel à l’agriculture et à l’élevage qui s’élève à 3 milliards d’euros sur trois ans et qui est engagé depuis l’été dernier. Vous venez de le souligner, monsieur le ministre, ce plan vise à apporter un appui financier et fiscal aux agriculteurs, à assurer des prix rémunérateurs, à lutter contre l’endettement, à moderniser les outils de production et à simplifier les normes.
Cet engagement trouve son prolongement de manière forte au plan européen, afin de refréner l’approche libérale de l’agriculture, que la majorité sénatoriale soutenait – faut-il le rappeler ? – lorsqu’elle était aux responsabilités.
M. Yannick Vaugrenard. Absolument !
M. Alain Duran. Cette crise nous oblige à continuer à travailler avec acharnement, à l’échelon européen, pour défendre une agriculture de qualité qui permette aux producteurs de couvrir leurs coûts de production. Vous le savez, les pouvoirs publics n’ont pas la capacité de fixer les prix, et la façon dont les premiers articles de cette proposition de loi ont été réécrits par le rapporteur le prouvent, si besoin en était.
Je note, enfin, avec intérêt – même avec une certaine inquiétude – que l’ensemble des dépenses entraînées par cette proposition de loi sont gagées sur un relèvement de la TVA et de la CSG. Tout à l’heure, le président Lenoir nous a rappelé la « liste des courses » et il nous laisse le ticket de caisse… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Il n’y a donc plus lieu de s’insurger à longueur de journée contre le « matraquage fiscal » pour aboutir à de telles propositions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Et le ministre a dit : « Bravo ! »
M. Alain Duran. Mais je constate aussi que nous pouvons nous rejoindre sur d’autres points.
Le premier a été rappelé par plusieurs orateurs, c’est l’accord de principe donné par la Commission européenne à la demande de la France défendue avec vigueur par Stéphane Le Foll d’expérimenter l’étiquetage de l’origine des viandes et du lait contenus dans les produits transformés. Vous le soutenez, l’article 3 de la proposition de loi le confirme.
D’autres avancées concrètes ont été obtenues, la semaine dernière, à Bruxelles, pour limiter la crise de surproduction dans l’élevage et soutenir la remontée vers des prix plus rémunérateurs.
Autant de mesures qui témoignent, surtout, du fait qu’il n’existe pas de solution miracle, malgré les caricatures souvent dressées, et que les procès en désintérêt ou en inaction sont totalement fallacieux.
L’agriculture n’est pas une : elle est plurielle. C’est la raison pour laquelle nos approches doivent être diversifiées pour concerner ses multiples facettes. À côté de l’agriculture industrielle, il existe l’agriculture propre à chacun de nos territoires.
Dans mon département ariégeois, par exemple, c’est une agriculture de montagne qui prédomine. Extensive et diversifiée, elle est majoritairement consacrée à l’élevage. Elle est pratiquée sur de petites structures souvent familiales. Elle a aussi ses problèmes, qui sont liés à l’isolement, aux surcoûts dus au relief et à la faiblesse des économies d’échelle, sans parler des dégâts occasionnés, parfois, par les prédateurs.
Répondant plus largement aux certifications d’une agriculture raisonnée ou biologique, elle fait de ses faiblesses une force, lorsque nos paysans s’organisent autour de circuits courts promouvant la proximité et la qualité. Il est alors possible de développer une économie locale riche en emplois – qui plus est non délocalisables – et stratégiquement très porteuse en termes d’aménagement du territoire.
Penser l’avenir de notre agriculture, aujourd’hui confrontée aux défis posés par l’Europe et l’économie mondialisée, c’est justement ne plus s’accrocher à des réflexes de pensée hérités de l’après-guerre, mais envisager la pluralité des approches pertinentes.
Il y a deux semaines encore, la majorité sénatoriale repoussait avec force les principes de la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de notre alimentation. Je crains parfois que, enfermée dans un prisme monocorde, cette majorité sénatoriale ne ferme la porte à certaines voies judicieuses pour soutenir la compétitivité de notre agriculture indispensable pour permettre à la France de rester dans l’excellence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. L’agriculture française traverse une crise sans précédent et votre plan de soutien proposé l’été dernier, monsieur le ministre, s’est avéré inefficace.
Sur l’initiative des groupes de sa majorité, le Sénat a voté une proposition de loi prévoyant des mesures de long terme, dont la finalité est de rendre aux entreprises agricoles leur compétitivité, afin d’assurer leur survie. Ce texte répond à trois objectifs.
D’abord, équilibrer les relations contractuelles entre producteurs et distributeurs, tout en permettant une meilleure information du consommateur sur l’origine des produits.
Ensuite, faciliter l’investissement et mieux gérer les risques financiers en agriculture.
Enfin, alléger les charges fiscales et les contraintes administratives, par exemple en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE.
Les mesures proposées sont concrètes et pragmatiques et le texte initial a été enrichi au cours de la discussion au Sénat.
On ne peut donc que regretter que la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale ait voté contre les amendements présentés par Antoine Herth, rapporteur. L’avenir de nos agriculteurs ne vaut-il pas mieux qu’une obstruction partisane de principe ?
La proposition de loi revient maintenant au Sénat et il paraît impensable d’abandonner nos agriculteurs au désespoir et à la colère.
Je veux rappeler les difficultés que rencontrent nos agriculteurs.
En vingt ans, le nombre d’exploitations agricoles a baissé de plus de la moitié. Ce sont les petites et moyennes structures des territoires ruraux, déjà fragiles, qui ont le plus souffert.
Le secteur agricole est régulièrement touché par des crises et doit faire face à la concurrence grandissante de pays émergents, mais aussi à celle de certains voisins européens.
Or, tandis que les questions de l’attractivité des métiers agricoles et de la modernisation des exploitations se posent avec force, le Gouvernement persiste dans sa vision étriquée et inadaptée de notre agriculture, alors que celle-ci a besoin de perspectives d’avenir. Qu’attend-il pour aller plus loin ? Il est à rebours de ce qu’exige la situation : des mesures structurelles, qui permettraient aux agriculteurs de renouer avec la compétitivité et de vivre de leur activité.
Lorsque j’étais député, j’ai commis, avec Germinal Peiro, il y a trois ans, un rapport sur l’élevage ; aucune des préconisations que nous avions proposées n’a été mise en œuvre, fait que Le Canard enchaîné avait d’ailleurs relevé ! Si elles avaient été suivies d’effet, l’élevage aurait peut-être connu moins de problèmes par la suite.
Monsieur le ministre, je souhaite, une nouvelle fois, vous alerter sur l’accumulation de normes et de réglementations parfois ubuesques, à laquelle agriculteurs et éleveurs sont confrontés et qui entrave leur action.
Nous, Français, surtransposons allègrement,…
M. Alain Marc. … sans utiliser les dispositifs communautaires permettant de moduler l’application des directives européennes.
Cette propension française à aller bien au-delà de ce qui utile et nécessaire a conduit, par exemple, à des normes plus sévères en France qu’en Allemagne en matière d’ICPE. Alors que les textes européens ne l’imposent pas, la France a mis en place un seuil d’entrée dans le régime d’autorisation des ICPE en élevage bovin à 50 vaches laitières et 100 vaches allaitantes, faisant peser sur tout projet d’agrandissement d’élevage un risque de refus, au terme de procédures longues et coûteuses.
Ainsi, cette inflation normative aboutit à des contraintes juridiques toujours plus lourdes et plus complexes, qui brident la compétitivité de notre agriculture.
Comment les exploitants agricoles français peuvent-ils exercer sereinement leur activité, quand ces normes les écrasent en permanence ? Une simplification paraît indispensable !
Alors que la situation des agriculteurs ne cesse de se dégrader, la posture politique de la majorité présidentielle, qui n’a pas voulu s’engager dans une démarche constructive avec le Sénat, fait perdre un temps précieux aux exploitants, précipitant certains d’entre eux dans le gouffre.
M. Jean Bizet. C’est bien dommage !
M. Alain Marc. À Henri Cabanel, qui parlait occitan tout à l’heure, je souhaite dire : « I a los que japan, e i a los que fan ». Ce que l’on peut traduire par : il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui font… Monsieur le ministre, j’espère que vous allez faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. La conclusion tirée à l’instant est, bien évidemment, équilibrée… Comme toujours ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Selon vous, monsieur le sénateur, il y aurait, d’un côté, ceux qui viseraient le débat politicien et, de l’autre, ceux qui rechercheraient le consensus pour trouver des solutions.
Je vous rappelle, en tant que porte-parole du Gouvernement, que la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation a été votée par l’Assemblée nationale à l’unanimité.
M. Jean-François Husson. Mais il y a deux assemblées !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Cette proposition de loi a donc rassemblé l’opposition et la majorité, mais le Sénat a eu le comportement que nous connaissons… Je vois une bizarrerie dans tout cela : aujourd’hui, vous vous drapez dans l’idée d’être au cœur d’un grand débat ouvert permettant de traiter uniquement des questions de fond. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Excusez-moi de vous renvoyer gentiment la politesse, monsieur le sénateur !
Et on retrouve une posture similaire récemment sur d’autres sujets… Ainsi, la révision constitutionnelle a été votée à la majorité des trois cinquièmes de l’Assemblée nationale, mais la majorité sénatoriale n’a pas fait le même choix…
Chacun doit assumer ses propres postures politiques !
M. Jean-François Husson. C’est une drôle de manière d’entamer le débat !
M. Alain Marc. Nous n’avons aucune leçon à recevoir de vous, monsieur le ministre !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Par ailleurs, selon vous, la présente proposition de loi serait déterminante de tous les choix effectués. Or je vous rappelle, monsieur le sénateur, que le rapport que vous avez réalisé lorsque vous étiez député n’évoquait pas les questions d’ICPE. C’est votre majorité qui a fixé les seuils que vous critiquez !
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Et c’est nous qui les avons modifiés – je suis désolé de le dire, mais je n’ai pas attendu la proposition de loi du Sénat pour cela – dès 2013, en créant l’enregistrement pour les ICPE dans le domaine de l’élevage porcin. Cette procédure est désormais appliquée aux secteurs de la volaille, du lait et des bovins. Nous avons mis en œuvre des modifications et nous continuons ce processus.
En outre, monsieur le sénateur, certains de vos propos sont faux. Par exemple, vous avez osé dire, en ce qui concerne les ICPE, que la comparaison entre la France et l’Allemagne serait au détriment de notre pays. Nous aurions surtransposé… Encore une fois, je n’ai rien fait de tel, j’ai même plutôt simplifié !
Une commission composée de professionnels, dont un vice-président de chambre d’agriculture, est allée en Allemagne pour vérifier ces questions, en particulier pour les ICPE concernant l’élevage porcin. Je ne vous citerai que l’une de ses conclusions. Outre-Rhin, celui qui dépose un dossier d’utilité publique le paye. Le coût d’un dossier ICPE est donc quatre fois plus élevé en Allemagne qu’en France. Ça, vous ne le dites pas !
Lorsque je me rends au Conseil des ministres de l’Union européenne, je discute avec mes homologues. Que m’a récemment indiqué le ministre néerlandais de l’agriculture, qui préside le Conseil ce semestre, sur ce qui se passe aujourd’hui dans son pays ? On y met en place des quotas sur les phosphates et les potasses, car la surface des terres d’épandage est désormais insuffisante. Il s’agit d’une surtransposition, mais vous n’en parlez pas ! Certes, elle pèse sur l’agriculture néerlandaise…
J’entends beaucoup dire, ici, au Sénat, que nous aurions trop de normes. Mais qu’un sénateur ou une sénatrice m’indique une norme qui pourrait être supprimée pour redonner de la compétitivité à l’agriculture française et je retiendrai immédiatement sa proposition. Mais vous ne la trouverez pas !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Nous l’avons fait lors de la première lecture !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Soyons très clairs ! Des débats émergent en effet. J’ai entendu des sénatrices de l’UDI-UC extrêmement déterminées sur certains sujets.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. C’est une position minoritaire !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Que les membres de ce groupe politique règlent en interne la question des surtranspositions !
Cela étant, l’attaque portée contre le ministre de l’agriculture sur un sujet discuté à l’Assemblée nationale était très claire. Il faudrait que chacun soit bien d’accord sur les objectifs… En ce qui me concerne en tout cas, je reste cohérent.
L’agroécologie nous permet de combiner l’environnement et l’économie. Je connais la teneur du débat qui a eu lieu au Sénat au moment de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, dont Didier Guillaume était le rapporteur. Nous n’avons pas forcément convaincu ceux qui représentaient, à l’époque, l’opposition au Sénat. C’est pourtant un enjeu majeur.
En nous fixant un objectif de respect de l’environnement, nous pouvons tout à fait, avec des modèles de production agroécologique, modifier et alléger les normes, question sur laquelle j’ai engagé un travail que je vais poursuivre. C’est ce que je proposerai dans les semaines qui viennent. Vous n’avez manifestement pas écouté mon discours tout à l’heure, mais voilà ce que je vais le faire.
C’est facile de demander la suppression de toutes les normes, mais il faut évaluer leurs raisons d’être, prendre en compte leurs conséquences environnementales, ce que vous ne faites jamais… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Prenons l’exemple des normes qui concernent le respect de la directive-cadre sur l’eau. Qui a dû gérer le contentieux européen à ce sujet, dans le cadre de la continuité de l’État ? C’est moi, quand je suis arrivé au Gouvernement ! J’ai fait des choix, qui ont consisté à limiter au maximum ce qui était demandé aux agriculteurs en termes de normes et d’investissements.
Tout en entrant un peu dans les détails techniques, je rappelle que, avant notre arrivée, personne n’avait, par exemple, négocié pour que des fumiers pailleux puissent être stockés en plein champ. Les ministres qui m’avaient précédé n’y avaient peut-être pas pensé ; moi, oui, et je l’ai négocié.
Je rappelle aussi que, avec l’approche d’azote total adoptée dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, la Bretagne a pu être retirée des zones d’excédent structurel. Qui l’a fait ? Qui a pu mettre cela en œuvre ? Quand je suis arrivé au Gouvernement, neuf bassins étaient classés en zone d’excédent structurel. Cinq ont, depuis, été retirés.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Alors, tout va bien ?... Il n’y a pas de problème ?...
M. Stéphane Le Foll, ministre. J’aimerais simplement que l’on reconnaisse le travail effectué ! Les discours consistant à dire constamment au ministre qu’il suffit de changer et de baisser les normes doivent être plus précis et inclure des propositions claires…
Nous allons maintenant examiner les articles de la présente proposition de loi. Je dirai d’emblée qu’un certain nombre de mesures prévues par ce texte sont déjà mises en œuvre.
Par exemple, on peut toujours discuter de la baisse des cotisations sociales. Vous pouvez estimer que votre proposition est essentielle, mais je rappelle que le pacte de responsabilité a été mis en place dès 2014 et que la baisse des cotisations de plus de 2 milliards d’euros pour l’agriculture, c’est bien ce gouvernement qui l’a décidée, pas le Sénat !
Je veux bien que l’on m’adresse des reproches, mais il faut aussi regarder ce que nous avons trouvé en arrivant aux responsabilités et ce que nous avons fait depuis lors. Soyons honnêtes, sinon le débat sera biaisé !
Pour ce qui est de la recherche de consensus, je n’ai jamais, en ce qui me concerne, refusé une proposition. J’ai toujours cherché à savoir si elle pouvait s’appliquer. Un certain nombre de procès ont été intentés, en particulier sur les normes. Prenez garde : les normes n’existent pas sans raison ! Et il faut y faire attention lorsqu’on veut en retirer une. Le Grenelle de l’environnement a été suffisamment explicite à ce sujet.
Si vous voulez faire des propositions, j’y suis ouvert, mais si vous voulez simplement tenir des discours politiques, alors, assumez-les ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire
Chapitre IER
Des relations plus justes et transparentes, du producteur au consommateur
Article 1er
(Non modifié)
À la première phrase du quatrième alinéa du I de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, après les mots : « modalités de détermination du prix », sont insérés les mots : « qui font référence à un ou plusieurs indicateurs d’évolution des coûts de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires, pouvant être établis par accords interprofessionnels ou par l’Observatoire de la formation des prix et des marges ».
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly, sur l’article.
M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, je ne nie pas les efforts que vous faites, mais la situation dans nos campagnes n’a pas favorablement évolué ces derniers mois. Malheureusement, elle risque de ne pas s’améliorer dans les mois qui viennent. Malgré vos efforts, ça ne va pas mieux !
Vous comprendrez donc la détresse des agriculteurs, ainsi que les raisons pour lesquelles plusieurs sénateurs ont déposé cette proposition de loi.
Je souhaite vous poser quelques questions.
La première concerne le rapport à la grande distribution. Vous le savez, c’est un peu mon dada ! Comment se fait-il que les accords entre les grandes et moyennes surfaces, les GMS, soient tolérés, alors que, je le rappelle, il n’y a plus dorénavant que quatre grands groupes ? Qui plus est, on condamne, dans le même temps, des accords entre producteurs, comme cela a pu se produire ces dernières années.
Lors d’une récente audition, on nous a indiqué que le volume vendu par les entreprises agroalimentaires aux GMS représentait moins d’un milliard d’euros en 2014 comme en 2015. Les milliards dont vous avez parlé sont donc allés dans la poche non pas des agriculteurs, mais bien des consommateurs ! J’en suis pratiquement certain et je souhaite que vous puissiez me répondre à ce sujet.
En ce qui concerne la concurrence avec l’Allemagne, on le sait, les travailleurs qui viennent des pays extérieurs sont payés outre-Rhin à vil prix et y sont reçus dans des conditions qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe chez nous. Or, cette question est importante, en particulier pour les secteurs de l’arboriculture et du maraîchage qui demandent beaucoup de main d’œuvre. Là aussi, je souhaiterais obtenir une réponse.
Je termine en disant à mes chers collègues socialistes, qui nous présenteront bientôt une proposition de résolution, que ce n’est qu’un vœu ! Les agriculteurs ne veulent plus de vœu, ils en ont eu assez. Ce serait plus efficace de voter cette proposition de loi avec nous ; elle apporte des réponses précises, ce qui peut donner de l’espoir dans nos campagnes. Je regrette que vous ne soyez pas à nos côtés ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, sur l’article.
Mme Élisabeth Lamure. Le présent article me donne l’occasion de revenir sur la loi de modernisation de l’économie, la LME, dont j’avais été rapporteur en 2008.
La LME a eu le mérite, entre autres, au moment où elle a été adoptée, de mettre fin aux marges arrière, qui étaient fortement décriées. Si elle est souvent mise en cause, je voudrais rappeler que, en réalité, ce n’est pas cette loi qui pose problème, mais son application ; c’est pourquoi, d’ailleurs, il n’y a pas eu jusque-là beaucoup d’enthousiasme pour la modifier.
Pour autant, le contexte économique, la grave crise que traverse notre agriculture, et des indicateurs économiques qui ont évolué en huit ans nous invitent à une adaptation, d’autant plus que les mentalités ont également changé. Beaucoup de Français manifestent leur soutien aux agriculteurs, leur volonté de consommer mieux et, autant qu’ils le peuvent, de consommer français.
Il y a donc une carte à jouer aujourd’hui pour mettre fin à la déflation catastrophique des prix qui empêche les éleveurs de couvrir leurs coûts de production et, encore plus, de se rémunérer. En outre, il a été régulièrement constaté qu’une augmentation des prix de quelques centimes seulement permettrait une amélioration réelle de la situation de nos agriculteurs, sans grever le pouvoir d’achat des Français.
Pour rétablir ce lien entre le travail et une juste rémunération, mon groupe propose, dans cet article 1er, que les clauses de détermination des prix tiennent compte des coûts de production des agriculteurs, avec une référence, dans les contrats, à des indicateurs d’évolution de ces coûts et des prix sur le marché.
Cette clarification et cette transparence paraissent aujourd’hui indispensables pour mettre fin à la guerre des prix qui, lors des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, se présente sous la forme de pratiques totalement irresponsables et condamnables.
Lors de sa visite au salon de l’agriculture, le Président de la République a annoncé vouloir réformer la LME. Après avoir pris contact avec différents acteurs de la filière, il me semble qu’une telle modification prendra du temps. En revanche, l’adoption de cet article nous offre l’occasion d’apporter une réponse immédiate à la situation dramatique que connaissent nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet, sur l’article.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de me réjouir de la deuxième lecture de cette proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.
L’adoption de son article 1er et de l’amendement n° 7 permettra de consacrer un équilibre délicat entre les deux articles fondamentaux du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui règlent la vie de l’agriculture et du secteur agroalimentaire français, à savoir les articles 39 et 42.
L’article 39 précise qu’il convient, d’une part, « d’assurer […] un niveau de vie équitable à la population agricole » et, d’autre part, « d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs ». Nous sommes donc au cœur de la définition du prix d’achat des produits agricoles.
Depuis un certain nombre d’années, on voit très bien que le partage de la valeur ajoutée, qui s’établissait à peu près sur la base d’un tiers pour le producteur, un tiers pour le transformateur et un tiers pour le distributeur, a malheureusement évolué au profit du seul distributeur.
Je suis donc très heureux de la rédaction de cet article 1er qui intègre les coûts de production. J’espère que nous pourrons valablement et durablement rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée en faveur du producteur.
J’ajoute que, à la suite d’un appel à consultation publique de la Commission européenne sur le fonctionnement des autorités nationales de la concurrence, la commission des affaires européennes a adressé, le 11 février dernier, un avis politique au Gouvernement pour insister sur le fait que l’autorité nationale doit bien préciser de nouveau les concepts de marché pertinent, d’une part, et de réindustrialisation de l’Europe, d’autre part. L’agriculture et le secteur agroalimentaire n’échappent pas à ces considérations. Monsieur le ministre, j’espère que cet avis politique sera entendu par le Gouvernement sur ce point précis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.
M. Michel Raison. Je n’ai pas de conseils à donner à M. le ministre, mais, dans une situation de crise aussi grave que celle que vit notre pays, et son agriculture en particulier, la sérénité et le calme seraient nécessaires pour aborder ces sujets difficiles…
Cela dit, la contractualisation, qui a été un élément fort de la loi de modernisation de l’économie votée en 2008, n’a jamais été à l’origine d’une baisse des cours, comme viennent de le dire certains collègues, puisque les cours étaient très élevés en 2014, par exemple.
M. Charles Revet. Ça a marché !
M. Michel Raison. En revanche, pour vivre, cette contractualisation a besoin d’adaptations et d’enrichissements. L’apport de cet article 1er est très positif en la matière, puisqu’un bon contrat ne doit jamais être unilatéral. Or certains des contrats qui ont pu être signés s’approchaient quelque peu de l’unilatéralité : certes, la quantité y figurait, de même que les normes de qualité – monsieur le ministre, nous n’avons jamais refusé systématiquement les normes et nous avons souvent encouragé leur adoption, en particulier pour ce qui concerne la qualité –, toutefois, la « fabrication » du prix ne faisait pas référence au prix de revient ni aux variations des cours des matières premières nécessaires à l’agriculteur.
Tel est précisément l’apport positif de cet article 1er que je tenais à souligner. En obligeant l’acheteur à tenir davantage compte de la façon dont se constitue le prix chez l’agriculteur, la négociation sera plus facile avec le distributeur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l’article.
M. Didier Guillaume. Tout le monde le constate, la crise de l’agriculture est très profonde, elle ne date pas d’hier et il faut essayer d’y répondre.
Nous pouvons faire d’autres constats communs : cette crise est structurelle, même s’il faut apporter des réponses conjoncturelles. Ainsi, l’organisation de l’élevage français ne permet plus aujourd’hui de faire face à la concurrence internationale. Il faut donc essayer de voir comment notre modèle historique, fondé sur l’exploitation familiale, peut s’en sortir, en évitant d’imiter d’autres modèles qui seraient destructeurs de très nombreux emplois.
Tout à l’heure, M. le président de la commission des affaires économiques a demandé quels étaient les sujets sur lesquels nous nous séparions. J’observe tout d’abord que de nombreux points nous rassemblent, à commencer par la volonté de nous en sortir en allant de l’avant. En revanche, permettez-moi de mentionner rapidement cinq points sur lesquels nous pouvons être en désaccord.
Premièrement, cette proposition de loi, sur laquelle Henri Cabanel a indiqué que notre groupe s’abstiendrait, tout en soutenant certaines dispositions intéressantes, contient des articles qui ne respectent pas le droit européen. C’est une réalité.
Deuxièmement, vous évoquez souvent, mes chers collègues, la surtransposition des directives européennes, mais j’aimerais savoir, n’étant pas spécialiste, sur quels sujets des surtranspositions seraient intervenues depuis 2012 ? Je crois que vous n’en trouverez pas, puisqu’il me semble qu’il n’y en a pas !
Troisièmement, nous pouvons avoir une vision différente de la LME. J’observe, d’ailleurs, que l’article 1er porte non pas sur la loi de modernisation de l’économie, mais sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut revoir la LME de fond en comble ; vous l’aviez soutenue à l’époque et nous nous y étions opposés.
Quatrièmement, si un débat politique a pu avoir lieu sur les quotas laitiers, j’observe que la fin de ces quotas signifie la mort de certains éleveurs.
Cinquièmement, enfin, le dernier point qui peut nous séparer est le manque de volonté dont vous faites preuve pour soutenir M. le ministre sur les mesures qui vont dans le bon sens. Tout individu est critiquable, mais reconnaissez que l’engagement du Président de la République et du ministre de l’agriculture, lors du Conseil européen, a été positif.
Il faut aller plus loin et faire plus : sans aucun doute ! En tout cas, la discussion de cette proposition de loi ne doit pas être une occasion manquée. Mon groupe a choisi de ne pas adopter une attitude d’opposition. Nous avons la volonté de discuter et nous pensons que ce texte ne réglera pas tout, contrairement à ce que j’ai pu entendre. Certaines dispositions sont intéressantes et il faut les adopter.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Didier Guillaume. Dans le domaine de l’agriculture, nous devrions essayer de ne pas adopter d’attitudes exclusives, en faisant comme si certains avaient le monopole des bonnes idées. Nous sommes tous des fils ou des petits-fils de paysans – notre collègue Henri Cabanel est lui-même paysan –, et, pour rester fidèles à notre histoire et garantir l’avenir de notre pays, nous avons besoin de faire vivre, de défendre et de promouvoir l’agriculture ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
, ces indicateurs et indices pouvant être régionaux, nationaux et européens,
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement vise à assurer que les indicateurs tiennent compte de la réalité du terrain. En effet, l’ensemble des producteurs interviennent sur des marchés d’échelle locale, régionale, nationale ou communautaire. Nous tenons donc à apporter cette précision à la rédaction que nous avions adoptée en première lecture.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis
Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Le I de l’article L. 631-24 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase du huitième alinéa est ainsi rédigée :
« Dès lors que l’acheteur a donné son accord au changement de producteur dans le cadre d’une reprise à un nouveau producteur satisfaisant aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle prévues à l’article L. 331-2 engagé dans la production depuis moins de cinq ans, l’acheteur est tenu de proposer au producteur un contrat d’une durée minimale prévue par le décret mentionné au cinquième alinéa du présent I, dont les conditions sont identiques à celles convenues avec le précédent producteur. » ;
b) Le neuvième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce décret peut rendre incessibles les contrats de vente conclus entre producteurs et acheteurs de produits d’une ou de plusieurs productions. » ;
2° Le I de l’article L. 671-9 est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« 3° Le fait, pour tout bailleur, tout preneur sortant, tout exploitant agricole, tout intermédiaire ou tout acheteur de produits agricoles soit, d’avoir, directement ou indirectement obtenu une remise d’argent ou de valeurs en vue de procéder au transfert entre producteurs d’un contrat rendu obligatoire au titre du I de l’article L. 631-24, soit d’imposer ou tenter d’imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci.
« Les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition et majorées d’un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux de l’intérêt légal mentionné à l’article L. 313-2 du code monétaire et financier majoré de trois points.
« En cas de reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci, l’action en répétition peut être exercée dès lors que la somme versée a excédé ladite valeur de plus de 10 %.
« L’action en répétition exercée demeure recevable pendant toute la durée du contrat transféré et de ses renouvellements ou reconductions successifs. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet, sur l’article.
M. Jean Bizet. Je veux rappeler, à l’occasion de la discussion de cet article, le principe de l’incessibilité des contrats laitiers que nous avions clairement évoqué lors de la première lecture.
Cela dit, on peut envisager la cession de contrats, à condition qu’elle intervienne au sein d’une même organisation de producteurs, ou OP. C’est d’ailleurs l’objet de l’amendement que va nous proposer M. le rapporteur.
Je crois très sincèrement que les OP devront évoluer vers un statut commercial. Ce serait un premier pas vers un redimensionnement et une association des OP, afin que celles-ci aient un caractère véritablement territorial et puissent, en quelque sorte, faire contrepoids aux transformateurs.
Au-delà, nous devons bien nous dire que nous ne ferons pas l’économie d’une restructuration de la filière laitière française. Pendant un certain nombre d’années, la production laitière a tenu lieu de politique d’aménagement du territoire. Aujourd’hui, la régionalisation de la production est en marche et il faudra l’accompagner.
Permettez-moi d’ajouter une observation – qui ne s’adresse pas à vous personnellement, monsieur le ministre ! – concernant l’accord obtenu sur la limitation de la production lors du conseil des ministres de l’agriculture du 12 mars dernier. Dans la mesure où cette limitation intervient sur une base volontaire, on le sait très bien, sur les vingt-huit États membres, vingt-six ont déjà augmenté leur production. Il n’y aura donc pas de modération de la production. Nous allons nous trouver dans le même cas de figure qu’en 2009 : la France sera le meilleur élève de la classe…
M. Charles Revet. Comme toujours !
M. Jean Bizet. … et les parts de marché seront acquises par d’autres États.
Je me permets donc de vous lancer un message : dans le cadre des aides du deuxième pilier et de l’action de la Banque européenne d’investissement, il faudra envisager une restructuration de la filière française. Il faut le faire aujourd’hui ou jamais, sinon la France ne sera plus un grand producteur laitier. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut autoriser les cessions de contrats de vente conclus entre producteurs et acheteurs entre membres d’une même organisation de producteurs ou association d’organisations de producteurs reconnue en application du titre V du livre V du présent code.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Monsieur le ministre, dans quelques jours, nous allons fêter le premier anniversaire de la suppression des quotas laitiers. Je vous rappelle que j’ai déposé un amendement en première lecture pour introduire cet article interdisant la cessibilité à titre onéreux des contrats laitiers, voyant ce qui allait se passer et que l’on n’avait pas du tout anticipé. Cette proposition de loi a donc un sens et peut servir les agriculteurs, en rendant nos territoires plus compétitifs.
Il faut encore adapter notre texte de première lecture pour permettre la vie sur nos territoires. Aussi, le présent amendement vise à assouplir le dispositif en permettant, chaque fois que l’OP est reconnue, la cession à titre onéreux au bénéfice des producteurs, qu’ils prennent leur retraite ou qu’ils s’installent.
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Sur ce sujet, j’avais dit que j’étais d’accord sur le fond. Cette disposition sera discutée dans le cadre du projet de loi Sapin.
Il n’y a donc pas de divergence entre nous, sauf sur un point technique : l’incessibilité ne peut être déclarée par décret, un texte législatif est nécessaire. La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche a créé des contrats individuels entre producteurs et industriels et nous sommes obligés de tenir compte de ces contrats : seule une loi peut interdire leur cession à titre onéreux.
En ce qui concerne les organisations de producteurs, je suis également d’accord avec vous. Nous allons mettre en place un contrat-cadre, afin que ces OP puissent avoir une maîtrise de la production, mais il ne faut pas non plus ouvrir la possibilité de cessibilité à titre onéreux au sein des OP.
Monsieur Bizet, j’ai rencontré les agriculteurs de la grande OP Lactalis de votre région. Ils m’ont indiqué qu’ils avaient prévu un système permettant la cession à titre onéreux et ils sont donc particulièrement remontés ! Je leur ai dit que j’acceptais la proposition du Sénat, parce que le problème posé est celui de l’installation des jeunes. Une fois que tout aura enchéri, on viendra chercher l’État pour qu’il subventionne l’installation, et je ne peux pas l’accepter ! Il faut garder le principe de l’incessibilité à titre onéreux, mais il faut rester vigilant.
Sur le fond, je n’ai rien à ajouter, puisque ce sujet sera abordé de nouveau lors de l’examen du projet de loi Sapin, car l’incessibilité ne peut pas être décidée par décret.
Pour conclure, je souhaite insister sur un point. Le vrai problème du secteur laitier, aujourd’hui, c’est la surproduction. En 2009, la France avait réduit sa production, mais je ne vais pas la diminuer de nouveau. La seule question qui se pose est de savoir si l’on peut réduire la production à l’échelon européen, sinon on ne le fera pas au plan national.
M. Jean Bizet. Tout le monde ou personne !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Cela ne résoudra pas les problèmes de prix. Je vous rappelle que 52 000 tonnes de poudre de lait ont fait l’objet d’un entreposage au titre de l’intervention publique en deux mois et demi, contre 40 000 tonnes pour l’année 2015 ! À la vitesse où ça va, on va revenir aux montagnes de poudre de lait et de beurre !
Enfin, monsieur Bizet, quand vous parlez de restructuration, vous intégrez la baisse de la production ! Nous devons veiller à conserver notre capacité productive. Deux ou trois grands pays assurent entre 65 % et 70 % de la production : ce sont eux qu’il faut convaincre. L’Allemagne et la France doivent faire une proposition conjointe à l’échelle européenne, sinon cela ne marchera pas !
M. Jean Bizet. Je suis en phase !
Mme la présidente. La parole à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Nous avons entendu les explications du rapporteur et du ministre. Si j’ai bien compris, cette disposition sera intégrée dans le projet de loi Sapin – M. le ministre s’y est engagé –, puisque l’incessibilité ne peut être décidée par décret.
Je suggère à M. le président de la commission de rectifier cet amendement, afin que nous puissions tous le voter. Si l’incessibilité ne relève pas du décret, il est inutile de faire référence à un décret dans l’amendement. Puisque nous travaillons en bonne intelligence, il devrait être possible d’en modifier la rédaction, étant donné qu’il y a un accord entre le Gouvernement et la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. On peut trouver un accord : il suffit que l’Assemblée nationale examine ce texte en deuxième lecture. Nous pourrions ainsi nous retrouver sur ce point important.
Je profite de cette occasion pour préciser à M. le ministre que nous avons aussi rencontré les représentants de l’OP Lactalis. C’est la raison pour laquelle M. le rapporteur, qui a travaillé avec eux, a déposé cet amendement, pour répondre à une situation sinon particulière, en tout cas circonscrite par rapport à d’autres organisations de producteurs.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – Une conférence de filière est réunie chaque année avant le 31 décembre sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles institué par l’article L. 631-27 du code rural et de la pêche maritime pour chacune des filières agricoles.
Elle réunit les représentants des organisations de producteurs, des entreprises et des coopératives de transformation industrielle des produits concernés, de la distribution et de la restauration hors domicile.
La conférence de filière examine la situation et les perspectives d’évolution des marchés agricoles et agroalimentaires concernés au cours de l’année à venir.
II. – Les modalités d’application du I, notamment la délimitation des filières agricoles et la composition de la conférence, sont définies par décret. – (Adopté.)
Article 2 bis
(Non modifié)
Après le sixième alinéa de l’article 7 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les établissements refusant de se soumettre aux enquêtes obligatoires du service statistique public relatives aux prix et aux marges des produits agricoles et alimentaires, pour les besoins de la mission de l’organisme mentionné à l’article L. 692-1 du code rural et de la pêche maritime, affichent leur manquement, de manière à ce que le public puisse en prendre connaissance. » – (Adopté.)
Article 2 ter
(Non modifié)
Après le sixième alinéa de l’article 7 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La liste des établissements refusant de se soumettre aux enquêtes obligatoires du service statistique public relatives aux prix et aux marges des produits agricoles et alimentaires, pour les besoins de la mission de l’organisme mentionné à l’article L. 692-1 du code rural et de la pêche maritime, fait l’objet d’une publication par voie électronique par cet organisme. » – (Adopté.)
Article 3
L’article L. 112-2 du code de la consommation est ainsi rédigé :
« Art. L. 112-2. – Sans préjudice des dispositions spécifiques à l’indication de l’origine des denrées alimentaires, l’étiquetage de l’origine des viandes et produits agricoles et alimentaires à base de viande ou contenant en tant qu’ingrédient de la viande, à l’état brut ou transformé, et l’étiquetage de l’origine du lait et produits agricoles et alimentaires à base de lait ou contenant en tant qu’ingrédient du lait, à l’état brut ou transformé, sont obligatoires à titre expérimental.
« Les modalités d’application de l’indication de l’origine mentionnée au premier alinéa sont fixées par décret en Conseil d’État. »
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, sur l'article.
M. Claude Kern. Le droit communautaire prohibe toute obligation d’étiquetage de l’origine des produits alimentaires, dès lors qu’elle n’est pas autorisée à l’échelon européen. Autrement dit, l’Europe renonce à l’exigence de transparence et de libre information du consommateur, exigence pourtant attendue des citoyens.
C’était une situation hautement regrettable, mais qui n’a plus cours depuis le 14 mars dernier, date à laquelle monsieur le ministre, vous avez obtenu des États membres le droit d’expérimenter un étiquetage obligatoire des produits carnés et laitiers, ce dont je vous remercie.
Aussi, la commission a adapté la présente proposition de loi, afin d’y intégrer directement le principe de l’étiquetage obligatoire, en reprenant l’amendement déposé par le groupe UDI-UC en première lecture qui avait été soutenu par Michel Canevet.
Ce dispositif, sollicité depuis de nombreuses années par les professionnels et par les consommateurs, répond à un impératif de santé publique, sans parler du soutien qu’il apporte à la compétitivité de nos exploitations agricoles par la valorisation des produits nationaux.
Sa mise en place est d’autant plus nécessaire à l’heure des débats sur le traité transatlantique qui sont déséquilibrés au détriment de l’Union européenne, et qui risquent, en outre, de donner lieu à des importations massives de produits américains à bas coût et d’une qualité nutritionnelle médiocre.
Prenons l’exemple de la viande bovine : qu’est-ce qui nous attend, demain ? Il est à craindre une arrivée massive sur le marché européen de viande produite selon des normes différentes de celles qui sont appliquées en France, et inadaptées aux attentes des consommateurs et des citoyens français.
Aujourd’hui, 95 % de la viande bovine américaine est produite dans des fermes usines, en total décalage avec le haut niveau d’attente des citoyens, en termes tant de traçabilité, d’alimentation, de bien-être animal, que de protection de l’environnement.
En France, les bovins de race à viande sont nourris à 80 % d’herbe, et 90 % de l’alimentation est produite sur la ferme. À l’inverse, maïs OGM, farines animales et antibiotiques sont très fréquents outre-Atlantique.
En Europe, le contrôle des pratiques des professionnels et la traçabilité de l’animal, de la naissance à la commercialisation, sont assurés. À l’inverse, aux États-Unis, il n’y a aucune obligation réglementaire de traçabilité individuelle des animaux. Je pourrais multiplier les exemples…
Les professionnels du secteur se sont mobilisés pour alerter les pouvoirs publics au travers d’un manifeste et d’une pétition citoyenne
Monsieur le ministre, sans ouvrir le débat sur le traité transatlantique, car tel n’est pas l’objet de cette proposition de loi, je veux insister sur la nécessité de mettre en place un dispositif permettant à tout consommateur d’avoir connaissance de l’origine du produit qu’il achète.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Claude Kern. C’est non seulement nécessaire, mais aussi urgent, a fortiori si les orientations du traité transatlantique devaient être maintenues. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Labazée, sur l'article.
M. Georges Labazée. Je veux revenir sur quelques points qui ont marqué l’actualité ces dernières années, notamment le scandale des lasagnes de cheval, dont chacun se souvient dans cet hémicycle. J’espère que la justice mènera ses travaux à bien pour révéler la vérité à tout le pays.
L’examen de cet article me rappelle le débat précédent sur les normes. Pour ma part, je refuse que l’on pense que l’étiquetage revient à exiger des normes supplémentaires du monde agricole. Il faut bien nous entendre : l’obligation d’étiquetage s’impose à tout le monde, mais elle ne correspond pas à l’imposition de normes à tout vent. Je voudrais donc saluer ce qu’a obtenu M. le ministre à Bruxelles à ce sujet.
À l’instant, M. Kern disait que ce n’était pas le moment de parler du TAFTA. Et pourquoi ne pas prendre quelques instants pour évoquer ce qui se profile dans la négociation de ces fameux accords, que le France rejette à l’heure actuelle par la voix des ministres qui sont chargés de ce dossier ? Il apparaît, selon les derniers pointages, que, sur les vingt-huit pays de l’Union, cinq seulement soutiennent la position de la France : l’Espagne, l’Italie - du bout des lèvres -,…
M. Georges Labazée. … la Belgique, le Luxembourg et la Pologne. Il y en a quand même vingt-deux autres qui lorgnent très fortement vers le libéralisme des États-Unis et du Canada…
À un moment donné, il faudra que nous prenions nos responsabilités sur ce dossier très important !
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l'article.
M. Henri Cabanel. Monsieur Lenoir, tout à l’heure, vous avez trouvé mes propos un peu agressifs. Sachez, monsieur le président de la commission, que les chiens qui aboient le plus fort ne sont pas les plus méchants. (Sourires.)
Ma volonté, ainsi que celle du groupe socialiste et républicain, est de débattre sur ce sujet en cohérence avec notre souhait de sauver l’agriculture française.
Plus précisément, sur l’article 3, je veux saluer, comme Georges Labazée, ce qu’a obtenu M. le ministre le lundi 14 mars, à savoir l’autorisation de l’expérimentation de l’étiquetage des produits carnés et laitiers. Il importait pour lui de convaincre ses collègues européens, et je me félicite qu’il y soit parvenu.
Le groupe socialiste et républicain votera cet article 3.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après la deuxième occurrence du mot :
origine
insérer les mots :
, des modes de culture et d'élevage
L'amendement n° 4, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 112-… – L’indication du mode d’élevage est rendue obligatoire pour l’ensemble des produits carnés et laitiers destinés à la consommation humaine, à l’état brut ou transformé, sur le modèle de celui existant pour les œufs, selon les termes 0 = biologique, 1 = en plein air, 2 = extensif en bâtiment, 3 = système intensif.
« La liste des produits concernés, les caractéristiques de l’étiquetage et les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter ces deux amendements.
M. Joël Labbé. Si vous me le permettez, madame la présidente, je présenterai également l’amendement n° 3.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 3, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« L’étiquetage des denrées alimentaires issues d’animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés est obligatoire. »
Veuillez poursuivre, monsieur Labbé.
M. Joël Labbé. Je n’étais pas en commission ce matin, mais je sais qu’Alain Bertrand a défendu ces amendements, et je tiens à l’en remercier.
Monsieur le ministre, le groupe écologiste tient aussi à saluer ce que vous avez défendu et obtenu le 14 mars dernier au Conseil européen. C’est expérimental et il faudra encore aller plus loin, mais c’est déjà ça de gagné !
Les consommateurs veulent savoir ce qu’ils mangent et avec quelles méthodes d’élevage sont obtenus les animaux dont ils consomment la viande. Ils veulent notamment avoir connaissance de ce que ces animaux mangent. S’ils sont nourris avec des OGM importés, il est essentiel que le consommateur en soit informé. Pourquoi ?
Une part importante de notre cheptel est nourrie avec des OGM, notamment du soja transgénique importé d’Amérique du Sud. Il s’agit d’un soja résistant au glyphosate, herbicide reconnu cancérigène par l’OMS.
M. Jean Bizet. Très dangereux !
M. Joël Labbé. Cet herbicide, dont des résidus se retrouvent donc présents dans la nourriture donnée aux animaux, s’accumule dans la viande, cette viande que nous mangeons !
Si les doses sont faibles, elles sont cumulatives, et je ne vous parle pas des « effets cocktail » possibles avec d’autres substances utilisées en agriculture, et dont les effets cancérigènes sont également dénoncés.
Autre enjeu de taille : les modes d’élevage et de culture. Les scandales se multiplient sur les conditions d’élevage et d’abattage des animaux. Or il s’agit de préoccupations majeures, et qui prennent de plus en plus d’importance pour les consommateurs.
Enfin, un dernier amendement a pour objet de généraliser l’étiquetage déjà effectué pour les œufs, lequel est bien identifié par les consommateurs, afin que tous les produits animaux puissent être identifiés en fonction de leur mode d’élevage, d’où découle leur qualité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Un amendement pratiquement identique à l’amendement n° 2 rectifié avait déjà été déposé lors de la première lecture.
Tout à l’heure, j’ai rendu hommage, mais je ne sais pas si j’ai été entendu, à ce que M. le ministre avait obtenu à Bruxelles et qui est un peu une traduction de l’article 3 de cette proposition de loi, tel qu’il avait été voté en première lecture…
Ne compliquons pas les choses, car cela serait le meilleur moyen de faire échec à l’autorisation d’expérimentation obtenue par la France. Nous nous retrouverions dans une situation de grande fragilité, d’autant qu’il n’y a pas de texte communautaire de base pour permettre une identification claire et une bonne lisibilité au regard des critères que vous avez précisés, mon cher collègue.
M. Jean Bizet. Exactement !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. En outre, et M. le ministre en sera peut-être d’accord, il faut faire attention. Aujourd’hui, des démarches de qualité permettent, pour certaines productions, y compris celles que vous avez citées, de préciser les conditions dans lesquelles elles s’effectuent. Les dispositifs AOC, IGP, voire les labels, prévoient ainsi des précisions sur les conditions d’élevage, etc. Ne détruisons pas ce qui a été instauré localement sur des productions types et gardons l’avantage de la possibilité d’expérimentation que la France a obtenue à Bruxelles.
La commission sollicite donc le retrait de l’amendement n° 2 rectifié, faute de quoi elle y sera défavorable.
Elle émet le même avis sur l’amendement n° 4, qui relève du même esprit.
En revanche, sur l’amendement n° 3, son avis est tout à fait défavorable.
D’abord, comme Michel Raison l’avait relevé lors d’un débat, il n’y a aujourd’hui aucune preuve scientifique que les animaux qui consomment des OGM présentent des risques sanitaires.
Ensuite, et c’est le plus important, nous avons actuellement, je le répète, des démarches de qualité sur certaines productions certifiées sans OGM qu’il ne faudrait pas perturber. Ces produits sont en mesure de répondre à votre souhait, monsieur Labbé, et de rassurer les consommateurs. Ne cassons pas ces démarches locales, avec la valeur ajoutée qu’elles dégagent.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je vais vous expliquer comment j’ai réussi à obtenir une expérimentation, donc à déroger à la règle européenne. En effet, normalement, s’agissant de l’étiquetage, il aurait fallu un règlement.
La France demandait une expérimentation justement pour convaincre la Commission, qui avait refusé de changer le règlement, car elle anticipait une augmentation des coûts de l’alimentation qui aurait été contraire aux intérêts des consommateurs réclamant de la traçabilité. J’ai donc négocié cette autorisation pour prouver que la mise en place d’une traçabilité sur les produits transformés ne coûterait pas plus cher. Cependant, je veux en rester là, parce que si je commence à en rajouter, je crains que cela ne soit préjudiciable à ce que j’ai obtenu « ric-rac » de la Commission, même si je suis en mesure de vous dire que sept ou huit autres pays veulent désormais aussi expérimenter, notamment l’Italie, l’Espagne et, plus étonnant, monsieur Labazée, la Grande-Bretagne, qui a des gros problèmes s’agissant du bien-être animal.
En conclusion, je le répète, je souhaite en rester là. C’est pourquoi, en tant que ministre engagé à l’échelon européen sur l’expérimentation, je demande le retrait de ces amendements.
Mme la présidente. Monsieur Labbé, maintenez-vous vos amendements ?
M. Joël Labbé. J’ai bien entendu les arguments de M. le rapporteur et de M. le ministre et je vais retirer les amendements nos 2 rectifié et 4.
En revanche, l’amendement n° 3 concernant les OGM est important. Je le maintiens donc. Il faut savoir que le glyphosate est pointé du doigt et qu’il va être interdit prochainement. Aussi, il faut d’ores et déjà stopper les approvisionnements en soja transgénique en provenance d’Amérique du Sud, mais aussi d’Amérique du Nord, pour travailler sur nos propres productions de protéines. Il est temps d’en finir avec le glyphosate !
Je retire donc les amendements nos 2 rectifié et 4, madame la présidente.
Mme la présidente. Les amendements nos 2 rectifié et 4 sont retirés.
La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote sur l’amendement n° 3.
Mme Françoise Gatel. Je salue la détermination de mes collègues à œuvrer pour l’agriculture, et vous remercie, monsieur le ministre, de ce que vous avez obtenu « ric-rac », pour reprendre votre expression.
Pourtant, j’émettrai un petit regret en évoquant la démarche nutritionnelle des 5 000 agriculteurs et éleveurs de l’association Bleu-blanc-cœur qui, eux, ne vont pas pouvoir bénéficier de cette expérimentation. Ils vont même perdre la possibilité de toute communication à cause de l’application du règlement européen de 2006, alors qu’ils pratiquent une démarche nutritionnelle très intéressante.
Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur cette situation particulière.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Cette démarche « bleu-blanc-cœur », qui se développe, est parfaitement légitime et n’est pas du tout remise en cause.
Les contrats de grande distribution ou industriels – je pense à un grand élevage porcin de l’ouest de la France – vont continuer.
En l’occurrence, il s’agit d’un décret qui va permettre, par exemple, d’identifier l’origine de la viande dans les lasagnes que vous consommez. C’est le sujet, et il ne s’agit pas de remettre en cause les discussions futures visant à préciser un certain nombre de points sur les OGM. Il ne faut pas se tromper. En l’occurrence, il s’agit de la traçabilité des ingrédients dans les produits transformés.
Par ailleurs, une autre pratique existe déjà : quand un accord est signé entre un industriel, un groupement de producteurs et un grand restaurant qui fabrique des hamburgers, il est spécifié que le poulet utilisé ne contient ni antibiotiques ni OGM.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Chapitre II
Faciliter l’investissement et mieux gérer les risques financiers en agriculture
Article 4
Par exception à l’article 1244 du code civil, tout exploitant agricole qui sollicite un emprunt affecté exclusivement au financement de l’acquisition de matériel d’exploitation ou de cheptel ou de l’acquisition ou de la rénovation de bâtiments d’élevage se voit proposer une solution de financement comprenant la possibilité d’opter pour un report du paiement de ses échéances pour une durée maximale qui ne peut excéder un cinquième de la durée du prêt restant à courir à la date de la demande, lorsque la moitié au moins du chiffre d’affaires de l’exploitant est réalisée dans un secteur lié à l’objet du financement déclaré en crise par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et des finances. Le montant total des échéances reportées, y compris les intérêts, reste dû.
Tout exploitant agricole qui sollicite un emprunt auprès d’un établissement de crédit se voit proposer la mise en place de garanties apportées par des sociétés de caution mutuelle.
Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
Tout exploitant agricole qui sollicite un emprunt destiné au financement d’investissement auprès d'un établissement de crédit est informé lors de la proposition de financement des garanties possibles apportées par les dispositifs de caution mutuelle.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel qui a pour objet de rendre encore plus efficace la possibilité qui va être offerte aux agriculteurs de protéger leur patrimoine personnel chaque fois qu’ils font un investissement, en délimitant bien la responsabilité de la banque et celle de l’emprunteur. Il s’agit d’utiliser, comme dans le secteur de l’artisanat, des sociétés de garantie au travers d’un cautionnement mutuel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 10, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Après le deuxième alinéa du III de l’article L. 622-17 du code de commerce et après le deuxième alinéa du III de l’article L. 641-13 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 1° bis Les sommes dues en application de contrats d’intégration visés à l’article L. 326-1 du code rural et de la pêche maritime ; ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Jusque-là, les agriculteurs travaillant dans le cadre d’un contrat d’intégration se trouvaient au dernier rang des créanciers en cas de défaillance de leur donneur d’ordre.
Il s’agirait de remonter leur rang dans l’ordre des créanciers pour les protéger, car ils ne sont en général jamais payés, ce qui les place dans des situations de fragilité dramatiques.
M. Jean Bizet. Exact !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Cet amendement, qui nous a été transmis ce matin, touche un sujet extrêmement complexe lié au rang des créanciers et aux abandons de créances. Pour l’instant, le Trésor public et les systèmes de sécurité sociale figurent en tête de la liste des créanciers. Faire remonter dans la liste les producteurs « intégrés », c’est un vrai sujet.
Je vous demande, monsieur le rapporteur, de retirer cet amendement, car son adoption entraînerait des conséquences très graves et en chaîne. Nous avons consulté le ministère des finances dont la réponse est très clairement négative, car les priorités restent les mêmes.
Une modification de l’ordre des créanciers aurait une incidence sur d’autres secteurs d’activités et emporterait donc toute une cascade de conséquences. Dans ces conditions, il m’est impossible d’émettre un avis favorable ni même de m’en remettre à la sagesse du Sénat sur cet amendement, car il faut du temps pour mener une étude approfondie sur ce sujet.
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, l'amendement n° 10 est-il maintenu ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Monsieur le ministre, je comprends votre analyse. Je tiens à vous faire savoir que cet amendement est le fruit d’un travail sérieux et qu’il n’est pas question pour nous de remettre en cause l’ordre qu’occupe le Trésor public parmi les créanciers. Nous n’avons pas l’intention de toucher à la colonne vertébrale initiale, qui structure l’ensemble de ceux qui sont exposés à la situation de déconfiture d’une entreprise.
Je maintiens cet amendement tout en ayant apporté cette précision. J’espère, monsieur le ministre, que nous pourrons continuer d’avancer dans le cadre de la discussion parlementaire. Je forme le vœu que l’Assemblée nationale travaille elle aussi, de son côté, lors de la deuxième lecture de cette proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Je suis désolé de me répéter devant mes collègues qui ont siégé à la commission ce matin, mais j’ai bien entendu M. le rapporteur et j’ai bien écouté M. le ministre.
Je n’ai pas la prétention d’être un historien, je me contente de constater que, en matière de créances notamment, c’est toujours le pot de terre contre le pot de fer, lequel a toujours raison. Je ne vois pas pourquoi l’État s’est déclaré créancier prioritaire, suivi par la sécurité sociale. La sécurité sociale aurait pu figurer en tête, suivie par les salariés. Tous les créanciers pourraient être sur un pied d’égalité. Je ne prétends pas faire une démonstration, monsieur le ministre, je propose de discuter du sujet, ce qui me paraît normal.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Après la section 4 du chapitre Ier du titre II du livre II du code monétaire et financier, est insérée une section 4 bis ainsi rédigée :
« Section 4 bis
« Le livret vert
« Art. L. 221-28. – Le livret vert est ouvert par les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France dans les établissements et organismes autorisés à recevoir des dépôts.
« Les versements effectués sur un livret vert ne peuvent porter le montant inscrit sur le livret au-delà d’un plafond fixé par voie réglementaire.
« Il ne peut être ouvert qu’un livret par contribuable ou un livret pour chacun des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité, soumis à une imposition commune.
« Les modalités d’ouverture et de fonctionnement du livret vert ainsi que la liste des investissements dans le secteur agricole et agroalimentaire auxquels sont affectées les sommes déposées sur ce livret sont fixées par voie réglementaire.
« Les opérations relatives au livret vert sont soumises au contrôle sur pièces et sur place de l’inspection générale des finances. » – (Adopté.)
Article 5 bis
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard six mois après la promulgation de la présente loi, un rapport dont l’objet est de prévoir l’ouverture de prêts de carrière pour les jeunes agriculteurs. – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° L’article 72 D bis est ainsi rédigé :
« Art. 72 D bis. – I. – Les exploitants agricoles soumis à un régime réel d’imposition peuvent constituer une réserve spéciale d’exploitation agricole dans les limites et les conditions prévues à l’article 72 D ter.
« Dans les six mois de la clôture de l’exercice et, au plus tard, à la date de dépôt de déclaration des résultats se rapportant à l’exercice au titre duquel la réserve spéciale d’exploitation agricole est dotée, l’exploitant inscrit à un compte d’affectation ouvert auprès d’un établissement de crédit une somme au moins égale à 50 % du montant de la réserve. L’épargne professionnelle ainsi constituée doit être inscrite à l’actif du bilan de l’exploitation. Les intérêts produits par cette épargne professionnelle et qui sont capitalisés dans le compte d’affectation ne sont pas soumis à l’impôt.
« La condition d’inscription au compte d’affectation mentionné au deuxième alinéa est réputée respectée à due concurrence de l’accroissement du stock de fourrages destiné à être consommé par les animaux de l’exploitation par rapport à la valeur moyenne du stock en fin d’exercice calculée sur les trois exercices précédents. En cas de vente de ces stocks de fourrage lors des sept exercices suivant celui de la constitution de la réserve, le produit de la vente doit être inscrit au compte d’affectation dans la limite du montant ayant été dispensé de l’inscription au compte d’affectation.
« La réserve spéciale d’exploitation agricole est utilisée au cours des sept exercices qui suivent celui de sa constitution pour le règlement de toute dépense, lorsque la valeur ajoutée de l’exercice, réalisée dans des conditions comparables à celles de l’année précédente, a baissé de plus de 10 % par rapport à la moyenne des valeurs ajoutées des trois exercices précédents ou, lorsqu’au titre de deux années consécutives, la somme arithmétique des baisses de valeur ajoutée mesurées excède 10 %. La valeur ajoutée s’entend de la différence entre, d’une part, la somme hors taxes des ventes, des variations d’inventaire, de la production immobilisée et autoconsommée et des indemnités et subventions d’exploitation et, d’autre part, la somme hors taxes et sous déduction des transferts de charges d’exploitation affectés du coût d’achat des marchandises vendues et de la consommation de l’exercice en provenance de tiers. Les intérêts capitalisés dans le compte d’affectation sont utilisés dans les mêmes conditions.
« Les sommes ainsi utilisées sont rapportées au résultat de l’exercice au cours duquel leur utilisation est intervenue.
« Lorsque ces sommes ne sont pas utilisées au cours des sept exercices qui suivent celui au titre duquel la déduction a été pratiquée, elles sont rapportées aux résultats du septième exercice suivant celui au titre duquel la déduction a été pratiquée.
« II. – L’apport d’une exploitation individuelle, dans les conditions mentionnées au I de l’article 151 octies, à une société civile agricole par un exploitant agricole qui a constitué une réserve spéciale d’exploitation agricole au titre d’un exercice précédant celui de l’apport n’est pas considéré pour l’application du I du présent article comme une cessation d’activité si la société bénéficiaire de l’apport en remplit les conditions et s’engage à utiliser la réserve au cours des sept exercices qui suivent celui au titre duquel la déduction correspondante a été pratiquée.
« III. – La transmission à titre gratuit d’une exploitation individuelle dans les conditions prévues à l’article 41 du présent code par un exploitant agricole qui a constitué une réserve spéciale d’exploitation agricole au titre d’un exercice précédant celui de la transmission n’est pas considérée pour l’application du I du présent article comme une cessation d’activité si le ou les bénéficiaires de la transmission remplissent les conditions ouvrant droit à la constitution de la réserve et s’engagent à utiliser celle-ci au cours des sept exercices qui suivent celui au titre duquel elle a été constituée dans les conditions et les limites définies au même I. » ;
3° L’article 72 D ter est ainsi rédigé :
« Art. 72 D ter. – I. – Dans la limite du bénéfice, les déductions prévues aux articles 72 D et 72 D bis sont plafonnées à un montant global fixé, par exercice de douze mois, à 35 000 €.
« Lorsque le chiffre d’affaires excède 200 000 € hors taxes, l’exploitant peut pratiquer un complément de réserve spéciale d’exploitation agricole, dans les conditions prévues au même article 72 D bis et dans la limite du bénéfice, jusqu’à un montant de 5 % du chiffre d’affaires hors taxes au-delà de 200 000 €.
« Pour les exploitations agricoles à responsabilité limitée qui n’ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, les montants mentionnés aux deux premiers alinéas du présent I sont multipliés par le nombre des associés exploitants, dans la limite de quatre.
« II. – Les déductions mentionnées au I du présent article sont pratiquées après application des abattements prévus aux articles 44 quaterdecies et 73 B. »
II – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, sur l'article.
M. Michel Raison. Je voudrais souligner l’importance de cet article 6, sur le fond, comme sur le principe. En effet, si on veut anticiper pour éviter que de nombreux agriculteurs ne se trouvent en difficulté, il faut tenir compte de la situation des agriculteurs au moment où ils vont bien, comme des nouvelles fluctuations des prix, quelles que soient les productions.
La France n’est pas une île de bien-être qui pourrait se suffire à elle-même avec de l’autoconsommation franco-française. Je rappelle à ceux qui pensent que la vente directe pourrait sauver l’agriculture française que le potentiel de celle-ci représente à peu près 10 % de la production agricole française, de sorte que les 90 % restants sont vendus en grande partie sur le marché européen, mais aussi sur le marché mondial, ce qui crée naturellement des fluctuations de prix.
Pour que l’exploitation d’un agriculteur puisse rester en bonne santé, celui-ci a besoin en permanence de trésorerie pour financer ses stocks. Cela vaut qu’il soit céréalier, pour ses stocks en terre, qu’il soit producteur de lait, pour ses stocks de vaches laitières, d’aliments et également ses stocks en terre – je ne vais pas passer en revue toutes les productions. Pour qu’il ait de la trésorerie, il faut, bien sûr, qu’il ait du résultat. Et il faut aussi que le jour où il a du résultat, il puisse le mettre de côté, ce qui suppose de ne pas consacrer cet argent en totalité aux services du fisc pour payer ses impôts !
L’article 6 fait déjà un pas en avant en créant cette fameuse « réserve spéciale d’exploitation agricole », que je ne détaillerai pas puisqu’elle est décrite dans l’article. Il nous faut poursuivre sur la voie d’une adaptation plus forte encore de la fiscalité.
Rapporteur du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, je n’avais pas réussi à convaincre le Premier ministre de l’époque de mieux adapter la fiscalité aux fluctuations de prix. Rien n’est parfait, monsieur le ministre, quelle que soit la mandature ! (Sourires.)
Vraiment, cet article est très intéressant sur le principe et sur le fond.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 6 bis
(Non modifié)
Après la première phrase du second alinéa de l’article L. 330-1 du code rural et de la pêche maritime, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Ils doivent également souscrire une assurance contre les dommages causés aux exploitations agricoles mentionnée au premier alinéa de l’article L. 361-4. »
Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Collin, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – À compter de l’application de la présente loi, l’assurance récolte, mentionnée par le décret n° 2013-1276 du 27 décembre 2013 fixant pour l’année 2013 les modalités d’application de l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime en vue de favoriser le développement de l’assurance contre certains risques agricoles est obligatoire et étendue à l’ensemble des productions agricoles dans des conditions fixées par décret.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’article 6 bis jette les bases d’une assurance obligatoire contre les risques climatiques pour les jeunes agriculteurs, ce qui est une bonne chose. Toutefois, mes collègues du RDSE et moi-même souhaiterions que cette obligation soit appliquée à l’ensemble des agriculteurs.
Nous avons déjà eu l’occasion de défendre à plusieurs reprises le principe d’une assurance récolte obligatoire, en particulier lors de l’examen, en 2008, d’une proposition de loi que nous avions déposée sur le sujet.
C’est un dispositif auquel nous sommes attachés, car il participe de la solidité économique d’une exploitation agricole. Nous le savons, en plus de la volatilité des prix et des aléas sanitaires, l’agriculture est un secteur qui se singularise par sa forte dépendance aux conditions climatiques. Je pense en particulier à la filière viticole, ainsi qu’à celle des fruits et légumes, qui peuvent voir leurs revenus fortement chuter à l’occasion d’une tempête.
Le périmètre d’intervention du Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, ne cesse de se rétrécir. Il ne prend pas en compte tous les dommages qui, en outre, doivent être reconnus au titre des calamités agricoles.
Je ne méconnais pas la problématique de la réassurance. Je sais, monsieur le ministre, que vous menez une réflexion sur le sujet. Il faut, en tout cas, trouver un système qui soit suffisamment solidaire et attractif pour que les agriculteurs voient bien l’assurance récolte non comme une charge supplémentaire, mais comme un filet de protection.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement, qui vise à généraliser l’assurance récolte, est très intéressant.
Il me donne l’occasion de rassurer mes collègues : à l’issue d’un certain nombre d’auditions auxquelles nous avons procédé entre la première lecture et la deuxième lecture, il est apparu que l’ensemble des organisations professionnelles agricoles saluent aujourd'hui unanimement l’obligation, votée en première lecture, pour chaque jeune qui s’installe, de souscrire une assurance récolte. Cette disposition ne concerne que les domaines assurables. Dans le cas contraire, le texte est très clair, il n’y a pas d’obligation de souscrire une assurance récolte, ce qui est fort apprécié.
Vous proposez, monsieur Requier, de généraliser cette obligation à l’ensemble des agriculteurs. J’y vois un amendement d’appel, visant à souligner l’importance du sujet. Il y a là, c’est exact, un vrai débat. D'ailleurs, notre collègue Jean-Jacques Lasserre a la responsabilité d’animer sur cette question un groupe de travail qui s’est déjà réuni.
M. le ministre le sait, une réflexion plus globale doit être menée sur le devenir du fonds des calamités, dès lors que l’obligation généralisée de souscrire une assurance récolte serait retenue. Comme l’assurance dans le cadre des aléas économiques, il s’agit d’une question essentielle à l’agriculture et qui fait partie des vraies problématiques auxquelles nos agriculteurs sont confrontés. Elle méritait d’être posée, car elle est vraiment d’actualité.
La commission demande le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Rendre cette assurance obligatoire pour tout le monde, c’est faire de la surtransposition, car, dans d’autres pays, cette obligation n’existe pas. Vous voyez que dans un débat comme celui-là, on part d’une bonne intention et on finit avec de la surtransposition ! Je fais cette remarque au passage…
Bien sûr, je partage l’avis de M. le rapporteur. En effet, une telle extension ne sera possible que lorsque nous serons en mesure d’accepter, à l’échelle européenne, qu’il soit procédé au transfert d’une partie de ce qui figure dans le premier pilier pour que l’obligation générale ainsi créée soit assumée par un financement public européen. Cela ne vaut que si cette condition est remplie !
Au moment où se tiendront des discussions sur l’avenir de la PAC, dans le cadre d’un Conseil européen agricole informel, je pense faire des propositions sur le sujet. J’ai quelques idées, mais elles ne peuvent fonctionner que si une partie du premier pilier est en capacité d’aider à justifier un système assurantiel global. Sinon, vous mettez les agriculteurs dans l’obligation de s’assurer. Or avant de bénéficier de la prestation, ils doivent d’abord payer l’assurance !
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Alors qu’un amendement suivant a pour objet la suppression d’un certain nombre de normes, celui-ci vise à créer une norme supplémentaire, qui obligerait les agriculteurs à s’assurer contre les risques climatiques !
Je nous crois nombreux dans cet hémicycle à être épris de liberté. Or on nous oblige à tout maintenant ! On met des normes partout et ce monde devient finalement de plus en plus insupportable !
J’aurais préféré un amendement tendant à imposer aux assureurs – ce qui serait, certes, encore une norme de plus ! – de faire des propositions, ce que toutes les compagnies d’assurance ne font pas,…
M. Bruno Sido. … et ce n’est pas normal !
Lorsque l’on veut être assuré contre les risques climatiques auprès d’une compagnie qui ne fait pas de propositions dans ce domaine, il faut se livrer à toute une gymnastique. Je vous avais déjà parlé de cette affaire, monsieur le ministre, et le dossier n’a pas avancé.
J’aurais donc préféré qu’on demande aux compagnies de faire des propositions d’assurance climatique. Cela inciterait certainement les agriculteurs à s’assurer – ce qui serait une bonne chose, surtout dans le cadre du réchauffement climatique, qui pose de plus en plus de problèmes.
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne voterai pas cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Cet amendement part à la fois d’un bon sentiment et du constat qu’il y a un réel problème.
J’ai compris que vous n’accepteriez pas une modification de votre texte, monsieur le rapporteur. Néanmoins, je pense que c’est une grossière erreur sur la forme, comme sur le fond, de maintenir cet article dans la proposition de loi.
Je m’explique. D’abord, nous sommes tous un peu schizophrènes. Nous ne cessons de dire que, pour ce qui concerne l’agriculture, il faut supprimer toutes les normes et toutes les contraintes, et, là, on en rajoute. Bruno Sido vient excellemment de le démontrer et je ne vais pas y revenir.
On va montrer du doigt les agriculteurs et les obliger à payer encore et encore, au moment où l’on sait qu’il faut augmenter leurs revenus et alléger leurs contraintes !
Je vis au milieu d’arbres fruitiers et je puis vous dire que les jeunes agriculteurs de ma région qui ont souscrit des assurances les paient très cher. L’année où ils sont sinistrés, ils sont certes remboursés, mais l’année suivante, leur prime d’assurance est multipliée par deux, trois, quatre ou cinq… On connaît cela par cœur !
Je partage entièrement l’objectif, mais je pense que la réponse apportée n’est pas du tout appropriée et qu’elle aboutira au résultat inverse.
Si nous avons la volonté de prendre le taureau par les cornes, c’est à l’Europe que nous devons nous adresser. Il faut basculer du deuxième pilier vers le premier pilier et dégager des moyens pour y arriver. Si nous allons dans cette direction, oui, nous ferons œuvre utile.
Mais si nous votons une mesure qui me paraît cosmétique, celle qui rend obligatoire l’assurance pour les jeunes agriculteurs, je vous garantis que cela ira à contre-emploi. Même les jeunes agriculteurs ne sont pas demandeurs. Beaucoup d’entre eux ne sont pas assurés. Une telle disposition va leur créer des dépenses supplémentaires. Je pense vraiment que si vous acceptiez, en laissant le débat se poursuivre, de retirer cette disposition de la loi, on améliorerait les choses.
Vous rajoutez des contraintes, vous rajoutez des dépenses, et vous ne traitez pas le problème à la base, car il est lié à l’Europe.
L’assurance récolte est un vrai sujet, mais nous ne pourrons pas adopter cet amendement. Nous prenons nos responsabilités en ne le votant pas parce que la disposition proposée va à l’encontre de ce que nous voulons tous.
Mme la présidente. Monsieur Requier, l'amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Mon groupe a de la constance, puisqu’il propose régulièrement cet amendement !
J’ai bien entendu les explications. Je constate qu’une réflexion est menée dans ce sens. Nous avions de bonnes intentions, nous ne voulions pas créer de normes supplémentaires.
Compte tenu des propos qui viennent d’être tenus, je retire cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 6 bis.
(L'article 6 bis est adopté.)
Article 6 ter
(Non modifié)
Après le XXXVII de la section II du chapitre IV du titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts, il est inséré un XXXVII bis ainsi rédigé :
« XXXVII bis
« Crédit d’impôt en faveur de l’assurance des exploitations agricoles
« Art. 244 quater LA. – Les entreprises agricoles peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre de chacune des années 2016 à 2018 lorsqu’elles souscrivent une assurance couvrant leur approvisionnement ou la livraison des produits de l’exploitation.
« Les dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt sont constituées des primes d’assurances versées, à condition que ces primes ne bénéficient pas déjà de la prise en charge prévue au deuxième alinéa de l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime.
« Le crédit d’impôt, calculé au titre de chaque période d’imposition ou exercice clos au cours desquels des dépenses éligibles ont été exposées, est égal à 35 % de ces dépenses.
« Le crédit d’impôt est plafonné à 10 000 € par entreprise et par an.
« Pour le calcul du crédit d’impôt des groupements agricoles d’exploitation en commun, le montant du crédit d’impôt est multiplié par le nombre d’associés, sans qu’il puisse excéder quatre fois le plafond mentionné à l’avant-dernier alinéa du présent article. » – (Adopté.)
Article 7
(Supprimé)
Chapitre III
Alléger les charges qui pèsent sur les entreprises agricoles
Article 8
(Non modifié)
La section 7 du chapitre V du titre Ier du livre V du code de l’environnement est complétée par un article L. 515-27-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 515-27-1. – Les élevages de veaux de boucherie, de bovins à l’engraissement et de vaches laitières ne sont soumis à la procédure d’autorisation mentionnée aux articles L. 512-1 à L. 512-6-1 que lorsque les effectifs d’animaux susceptibles d’être présents sont supérieurs à 800.
« Les autres élevages de veaux de boucherie, de bovins à l’engraissement et de vaches laitières précédemment soumis à la procédure d’autorisation sont soumis à la procédure d’enregistrement mentionnée aux articles L. 512-7 à L. 512-7-7. » – (Adopté.)
Article 8 bis A
(Non modifié)
Pour toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole, une norme antérieure est abrogée.
Chaque année, un bilan de cette balance entre normes créées et normes abrogées est rendu public.
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié ter, présenté par MM. Chasseing, Chatillon et Luche, Mme Morhet-Richaud, MM. Cardoux, D. Laurent, Laufoaulu, Longeot et Calvet, Mmes Cayeux, Lopez, Troendlé et N. Goulet, MM. Détraigne, Danesi, Bouchet et Grand, Mme Loisier, MM. Raison et Perrin, Mme Férat, MM. B. Fournier, Kennel, Nougein, César et de Legge, Mme Deseyne, M. de Raincourt, Mmes Imbert et Lamure, M. Kern, Mme Gruny, MM. Canevet, Savin, Vasselle, Chaize et G. Bailly, Mmes Duchêne et Canayer, MM. Pinton et Savary, Mme Deromedi, MM. Mayet et Laménie, Mmes Gatel et Deroche, M. Mouiller, Mme Joissains, MM. Bonhomme, Vial, Morisset et Pointereau, Mme Hummel et MM. Cornu, Vaspart et Joyandet, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Toute norme émanant d'une directive européenne qui concerne le monde agricole est transposée à l'identique sans sur-transposition.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. L’agriculture française croule sous une masse de normes administratives et sanitaires. Lors des transpositions des directives européennes, nous en rajoutons toujours une couche, même si M. le ministre dit le contraire.
Ces normes surtransposées créent un coût supplémentaire pour nos agriculteurs, lesquels perdent, par conséquent, de la compétitivité par rapport à nos voisins.
Monsieur le ministre, vous m’avez mis tout à l’heure au défi de citer des normes supplémentaires qui existeraient en France par rapport aux autres pays. Depuis, j’ai un peu réfléchi et peux vous donner quelques exemples.
Ainsi, dans les zones de montagne, certains secteurs d’activité doivent stocker le fumier sous un bâtiment. Les cornadis autobloquants doivent être aux normes : il faut donc les changer. Je ne pense pas que le nombre de mètres carrés par vache soit obligatoirement le même partout en Europe. Grâce à la loi sur l’eau de 2013, il n’y a plus moyen de faire un drainage et il est très compliqué de faire des abreuvements. Tout cela, ce sont des dépenses supplémentaires !
Une norme récente prévoit également que les bâtiments abritant des palmipèdes doivent comporter une zone de bétonnage à la sortie de la parcelle. Et tous les palmipèdes ne peuvent pas occuper le même bâtiment, il faut les différencier selon leur âge ! C’est très compliqué pour le circuit court et pour ceux qui font des marchés !
J’ai entendu parler récemment de diagnostics énergétiques dans les bâtiments…
Je le répète, on croule sous les normes et on ne cesse de nous en rajouter !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement, dont l’esprit est très intéressant, reprend notamment celui qui avait été adopté en première lecture.
Néanmoins, même si on peut être d’accord sur le principe, il est un peu difficile, sur le plan opérationnel, d’écrire dans la loi que toute norme concernant le monde agricole doit être « transposée à l’identique ». S’il y a transposition, c’est qu’il y a besoin de précisions à l’échelon national.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis de sagesse.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. La transposition d’une directive dans la loi est obligatoire. La directive Nitrates, par exemple, fixe un cadre général. Après, chaque pays, en fonction de sa situation, procède aux adaptations.
On ne surtranspose pas une directive, on l’applique ! Chaque Parlement intervient – et c’est sa responsabilité politique, qu’il exerce par le jeu du principe de subsidiarité ; heureusement qu’il existe ! On ne peut pas appliquer de la même manière les règles européennes partout compte tenu des différences entre chaque pays.
La loi française ne peut pas parler de transposition « à l’identique » parce que, par définition, les directives européennes sont faites pour être appliquées dans chacun des pays selon le principe de subsidiarité. Votre proposition ne peut pas être retenue.
Monsieur le sénateur, je demande le retrait de cet amendement, qui ne correspond pas à la réalité de l’application actuelle du droit européen.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour explication de vote.
Mme Patricia Morhet-Richaud. J’ai bien entendu les arguments de M. le rapporteur et de M. le ministre. Il me semble néanmoins que cet amendement conforte la volonté politique de simplification.
En effet, les agriculteurs français croulent sous le poids des normes pléthoriques qui sont des freins à leur activité. Qu’elles soient d’ordre sanitaire, administratif ou environnemental, ces normes imposent un carcan rigide qui ne tient pas compte des particularités et de la diversité des activités agricoles sur tout le territoire français.
Sur l’ensemble du territoire français et quelle que soit leur taille, toutes les exploitations agricoles sont concernées. Les agriculteurs sont avant tout des chefs d’entreprise qui souffrent, comme les autres acteurs économiques français, de l’excès de réglementation.
Les exemples de normes inappropriées ou disproportionnées ne manquent pas : citons l’interdiction des traitements phytosanitaires à moins de 200 mètres de tout lieu public, ainsi que les tracasseries administratives liées au compte pénibilité, aux équipements de protection individuelle, ou encore, depuis la transposition de la directive Nitrates, aux zonages environnementaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. M le ministre a parfaitement raison de rappeler la nécessité de transposer les directives. Dans notre pays, la subsidiarité a tout de même sa place !
M. Bruno Sido. Cela dit, j’aimerais bien disposer d’une étude comparative sur la façon dont les divers pays de l’Union européenne transposent les directives. J’en ai néanmoins une première idée du fait de mon expérience en tant que rapporteur d’une loi portant transposition d’une directive européenne relative à l’eau.
Au fond, on le sait très bien, d’autres pays, en particulier anglo-saxons, sont très habiles en la matière : ils transposent comme il convient, avec leur propre vocabulaire, les directives européennes, mais ils ne surtransposent que très rarement et, en tout cas, bien moins que nous.
En outre, une fois la directive transposée dans la loi interne, la façon dont ces pays l’appliquent est aussi bien différente de celle qui règne en France, où l’on assiste plutôt à une « sur-surtransposition » de la norme européenne.
Il faudrait, monsieur le ministre, que vous voyiez la manière dont certains membres de vos services, revolver à la ceinture, viennent verbaliser les agriculteurs !
À un moment, il faudrait tout de même savoir marquer l’arrêt et se montrer raisonnable ; si la France doit bien évidemment transposer les directives dans son droit dans le respect de ses habitudes juridiques, il ne faut pas pour autant toujours en rajouter.
Voilà pourquoi, à titre personnel, je voterai en faveur de cet amendement, s’il n’est pas retiré.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Je constate que Mme la présidente veille à l’application du règlement. Tout à l’heure, j’avais demandé la parole avant que l’amendement alors en discussion ne soit retiré sans pour autant l’obtenir. Mme la présidente savait déjà que l’amendement ne serait pas maintenu, ce qui a permis de gagner le temps d’une explication de vote…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Il fallait reprendre l’amendement !
Mme la présidente. Vous me faites là un très mauvais procès, monsieur Vasselle !
M. Alain Vasselle. Qui aime bien châtie bien !
Concernant cet amendement, que j’ai cosigné, je voudrais persuader M. le rapporteur, ainsi que M. le président de la commission, l’ensemble de mes collègues et, surtout, M. le ministre, de la nécessité d’en comprendre l’esprit, que Bruno Sido a parfaitement expliqué à l’instant.
Si, tout en partageant cet esprit, elle considère que la rédaction de notre amendement n’est pas satisfaisante, la commission des affaires économiques aurait pu prendre sa plume pour améliorer cette rédaction. Ainsi, son avis de sagesse aurait pu se transformer en avis favorable.
La France souffre d’un mal qui lui est spécifique : lorsqu’elle doit transposer dans son droit des directives européennes, elle fait toujours montre d’un certain excès de zèle. Cela est notamment vrai en matière d’environnement.
Or les agriculteurs ne supportent plus de souffrir de ces normes toujours plus nombreuses et complexes. D’ailleurs, on ne s’est pas privé d’en ajouter de nouvelles à l’occasion de la loi relative à la transition énergétique et du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité. Ces deux textes, certes, ne résultent pas de directives européennes ; ils expriment néanmoins le besoin qu’éprouve le Gouvernement d’aller toujours un peu plus loin en matière de protection environnementale sans mesurer l’incidence économique des dispositions prises.
Nous comprenons bien la nécessité d’appliquer le principe de subsidiarité : ce ne sont pas les membres de la commission des affaires économiques qui vont contredire M. le ministre sur ce point. Je comprends qu’il faille adapter l’application des directives en fonction des particularités de chaque pays. Pour autant, nous refusons qu’on en profite pour ajouter toujours plus de nouvelles normes : voilà ce que nous critiquons.
Par conséquent, j’espère que la leçon sera retenue et que nous trouverons en définitive une rédaction qui permettra de donner satisfaction aux auteurs de cet amendement.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. Monsieur le ministre, vous n’êtes pas personnellement visé par cet amendement : nous le sommes tous ! Nous sommes visés, nous Français, du fait de notre culture de la complexité.
L’État, ses services, les différents gouvernements, mais aussi les parlementaires que nous sommes avons tous une légère tendance à en rajouter en permanence ! Or il faut que cela cesse ! Voilà le sens de cet amendement.
Certes, comme vous nous l’avez rappelé, certaines complexités résultent de lois qui ne transposent aucune directive. Ainsi, à la lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, il semblerait qu’on n’aura bientôt plus même le droit de couper un arbre !
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Michel Raison. En revanche, quant à la transposition du droit européen, je souhaite vous apporter un témoignage qui n’est pas agricole.
J’ai été récemment rapporteur d’une loi transposant une directive européenne relative, entre autres sujets, à la sécurité des puits de pétrole et à la fermeture des stockages de gaz souterrains. J’avais déposé un amendement de suppression d’un article ajouté par le Gouvernement, ou plutôt par ses services, car je crois que le ministre lui-même ne se rendait pas vraiment compte de ce qui se passait. Je le dis sans méchanceté, monsieur le ministre : ce n’était pas vous qui étiez chargé de ce texte ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. La solidarité gouvernementale devrait jouer ! (Sourires.)
M. Michel Raison. J’avais défendu cet amendement par principe, car je voulais éviter une surtransposition. Hélas, ma position était minoritaire en commission mixte paritaire et j’ai été battu sur ce point.
Vous voyez donc bien que la surtransposition existe. C’est particulièrement flagrant dans le domaine des installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE : tant dans le volume des normes que dans leur complexité, la France a là surtransposé les directives européennes.
Voilà pourquoi cet amendement est extrêmement important et doit nous faire tous réfléchir au-delà même du secteur agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Je suis très étonné, d’abord, qu’un tel amendement soit recevable. S’il venait à être adopté, de fait, le Parlement lui-même se priverait complètement de la possibilité de débattre des modalités de ces transpositions.
En effet, monsieur Chasseing, vous demandez, par cet amendement, que les transpositions se fassent a minima, c’est-à-dire sans discussion et, surtout, sans se réserver la marge de manœuvre laissée à chaque pays pour l’adaptation des directives aux circonstances locales. Je suis très étonné que vous refusiez ainsi tout débat sur l’adaptation des directives.
Des questions se posent même quant à la recevabilité d’un tel amendement. Comment peut-on inscrire une pareille disposition dans un texte de loi ?
Par ailleurs, que signifie donc ce terme « surtransposition » ? Toute directive européenne, en application du principe de subsidiarité, laisse à chaque État une faculté d’adaptation du texte aux circonstances particulières du pays. Il me faudra chercher dans le dictionnaire le sens de ce néologisme qui m’est étranger.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Je voudrais corroborer les propos tenus à l’instant par Daniel Raoul.
Nous rencontrons tous des commerçants, des artisans, des agriculteurs et des industriels qui nous expliquent que trop de normes et trop de contraintes pèsent sur eux. Nous leur répondons qu’il faut en effet essayer d’améliorer cette situation.
Néanmoins, à mon sens, il nous faut faire extrêmement attention lorsque nous évoquons le sujet des normes. En effet, si certaines d’entre elles sont insupportables, d’autres sont protectrices. (Exclamations sur certaines travées du groupe Les Républicains.) Elles sont protectrices en matière de santé, d’environnement, ou encore d’économie.
Je partage donc l’avis de Daniel Raoul sur cet amendement : il est beaucoup trop large. Nous ne le voterons pas quand bien même nous en partageons l’esprit. Certes, il s’agit d’un amendement d’appel. Toutefois, du fait de son ampleur excessive, il ne peut avoir ni cohérence ni intelligence au sein de la proposition de loi en discussion.
En effet, sa rédaction implique que l’on empêche le Parlement de faire son travail : cela n’est pas possible !
Par ailleurs, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, vous vous apprêtez à voter cet amendement en arguant que trop de contraintes pèsent sur les agriculteurs alors que, voilà dix minutes à peine, vous avez voté comme un seul homme en faveur de l’obligation pour les jeunes agriculteurs de souscrire une assurance récolte, et ce dès la promulgation de la loi ! Si cela n’est pas une contrainte, qui coûtera qui plus est très cher à ces jeunes agriculteurs, alors je ne m’y connais plus du tout ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Mon amendement ne vise pas à supprimer toutes les normes : certaines d’entre elles sont tout à fait utiles pour la protection de l’environnement.
Par ailleurs, j’ai en effet employé dans cet amendement le terme « surtransposition ». Je ne suis pas un littéraire, mais je peux le définir : cela signifie que l’on renforce une norme en pénalisant les agriculteurs sans apporter de bénéfice supplémentaire ni pour l’environnement ni pour le fonctionnement de la ferme.
Je maintiens donc mon amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Puisque Didier Guillaume est revenu sur la question de l’assurance des jeunes agriculteurs, je voudrais lui préciser que, contrairement à ce qu’il a affirmé, les mesures que nous avons adoptées à ce sujet correspondent à une volonté des organisations agricoles, qu’elles ont exprimée lors des auditions menées par la commission.
Cette volonté correspond d’ailleurs à l’esprit de M. le ministre. Il s’agit simplement de préparer d’ores et déjà la réforme de la PAC en anticipant la prise de position de la France par rapport au deuxième pilier. (M. Didier Guillaume proteste.)
Je tiens à rappeler un fait relatif à l’installation des jeunes agriculteurs. Si je ne me trompe, auquel cas M. le ministre me corrigerait, tout bénéficiaire de la dotation jeune agriculteur, la DJA, est assujetti à la TVA. En tant qu’élus des Vosges, Jackie Pierre et moi-même pouvons témoigner du nombre de jeunes agriculteurs qui ont refusé la DJA pour cette raison.
N’oublions pas d’où l’on vient ni combien de jeunes, pour bénéficier de la DJA, doivent se soumettre au contrôle de performance. Or si le secteur français de l’élevage est aujourd’hui à un tel niveau de performance génétique, c’est bien parce qu’on a imposé certains critères pour l’installation des agriculteurs.
Que cela signifie-t-il ? À l’heure actuelle, ces exploitations représentent un risque assurable, notamment du fait des aléas climatiques. Or les jeunes agriculteurs, qui s’investissent et se lancent dans l’économie agricole, sont les plus exposés. On les oblige déjà à assurer leurs tracteurs pour qu’ils puissent circuler, on les oblige à assurer leurs bâtiments contre l’incendie : cela est tout à fait normal. Il est dès lors normal que leur activité principale, l’activité agricole, n’échappe pas à la nécessité de s’assurer contre les risques qui lui sont propres.
Certes, monsieur Guillaume, j’entends votre argument : certaines productions sont orphelines, d’autres, très spécifiques, et les coûts de l’assurance sont exorbitants du fait du faible nombre d’assurés. Là aussi, je rejoins M. le ministre : il faut avancer sur ce point.
Quant à l’amendement en discussion, on peut en effet en partager l’esprit. L’idée de ses auteurs est généreuse ; il s’agit de dire : « N’en rajoutons pas ! » Pour autant, nous sommes réticents à l’idée d’ôter au Parlement sa capacité d’examiner pleinement les lois de transposition.
Voilà pourquoi la commission a émis un avis de sagesse sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 8 bis A, modifié.
(L’article 8 bis A est adopté.)
Article 8 bis
(Non modifié)
L’article L. 122–3 du code de l’environnement est complété par un V ainsi rédigé :
« V. – Par dérogation au 2° du II, à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2019, pour les projets agricoles, sylvicoles et piscicoles mentionnés au 1 de l’annexe II à la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, le contenu des études d’impact est défini par l’annexe IV à la même directive. » – (Adopté.)
Article 9
(Non modifié)
I. – Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° A La sous-section 1 de la section 2 du chapitre Ier du titre III du livre VII est complétée par un article L. 731-13-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 731-13-3. – Les chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole bénéficient d’une exonération partielle des cotisations d’assurance maladie, invalidité et maternité, à l’exception de la cotisation prévue pour financer les prestations mentionnées à l’article L. 732-4, et des cotisations de prestations familiales et d’assurance vieillesse agricole dont ils sont redevables pour eux-mêmes et au titre de leur exploitation ou entreprise.
« Les taux d’exonération, le plafond des exonérations et le montant minimal des cotisations dont les chefs d’exploitation sont redevables sont déterminés par décret. » ;
1° L’article L. 741–15–1 est ainsi rétabli :
« Art. L. 741–15–1. – I. – Les employeurs relevant du régime de protection sociale des professions agricoles sont exonérés du paiement de la part patronale des cotisations et contributions mentionnées au II du présent article dans la limite de vingt salariés agricoles employés en contrat à durée indéterminée par entreprise.
« Pour les employeurs appartenant à un groupe tenu de constituer un comité de groupe en application du I de l’article L. 2331-1 du code du travail, la limite de vingt salariés s’apprécie au niveau du groupe.
« II. – Les cotisations exonérées en application du I du présent article sont les suivantes :
« 1° La cotisation due au titre du fonctionnement du service de santé et de sécurité au travail prévue au deuxième alinéa de l’article L. 717-2 ;
« 2° La cotisation de la retraite complémentaire obligatoire des salariés versée aux institutions de retraite complémentaire mentionnées au I de l’article L. 727-2 ;
« 3° La cotisation versée à l’Association pour la gestion du fonds de financement rendue obligatoire, en application des articles L. 911-3 et L. 911-4 du code de la sécurité sociale ;
« 4° La cotisation due au titre de l’assurance contre le risque de non-paiement des salaires prévue à l’article L. 3253-18 du code du travail ;
« 5° La contribution due au titre de l’assurance chômage prévue à l’article L. 5422-9 du même code ;
« 6° La participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue prévue à l’article L. 6331-1 dudit code ;
« 7° La cotisation versée à l’Association nationale pour l’emploi et la formation en agriculture rendue obligatoire, en application de l’article L. 2261-15 du même code ;
« 8° La cotisation versée au conseil des études, recherches et prospectives pour la gestion prévisionnelle des emplois en agriculture et son développement, dénommé “PROVEA”, rendue obligatoire, en application du même article L. 2261-15 ;
« 9° La cotisation versée à l’Association nationale paritaire pour le financement de la négociation collective en agriculture rendue obligatoire, en application dudit article L. 2261-15 ;
« 10° La contribution au fonds paritaire chargé du financement mutualisé des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs, prévue à l’article L. 2135-10 du même code.
« III. – L’exonération mentionnée au I du présent article est calculée chaque année civile pour chaque salarié dans la limite des effectifs mentionnés au même I. Son montant est égal au produit de la rémunération annuelle, telle que définie à l’article L. 741-10 du présent code, par un coefficient. Ce coefficient est déterminé par application d’une formule fixée par décret. Il est fonction du rapport entre la rémunération du salarié et le salaire minimum de croissance, lesquels sont appréciés selon les modalités prévues au III de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale. Ce coefficient est maximal pour les rémunérations inférieures ou égales au salaire minimum interprofessionnel de croissance majoré de 10 %. Il est dégressif à compter de ce niveau de rémunération puis devient nul pour les rémunérations égales au salaire minimum interprofessionnel de croissance majoré de 50 %.
« IV. – Cette exonération est cumulable avec le bénéfice de la réduction dégressive de cotisations prévue au même article L. 241-13 ainsi qu’avec la déduction forfaitaire prévue à l’article L. 241-18 du même code.
« V. – Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret. »
II. – Le premier alinéa du VI de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale est complété par les mots : « et avec l’exonération prévue à l’article L. 741-15-1 du code rural et de la pêche maritime ».
III. – Dans un délai d’un an suivant l’adoption définitive de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la protection sociale des cotisants solidaires.
IV. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Article 9 bis
(Non modifié)
Le IV de l’article 244 quater C du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Les mots : « proportionnellement à leurs droits dans ces sociétés ou groupements, à condition qu’il s’agisse de » sont supprimés ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’intégralité du crédit d’impôt calculé pour la société ou le groupement se répartit entre les redevables mentionnés au premier alinéa du présent IV. » – (Adopté.)
Article 10
(Non modifié)
À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 731-13 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « cinq années » sont remplacés par les mots : « six années ». – (Adopté.)
Article 11
Les contribuables titulaires de bénéfices agricoles soumis à un régime réel d’imposition qui ont opté pour le calcul des bénéfices agricoles selon les modalités prévues à l’article 75–0 B du code général des impôts peuvent renoncer à l’option au titre de l’exercice 2015 et des exercices suivants.
Cette renonciation est déclarée par les contribuables concernés avant le 15 mai 2016.
La dernière phrase du deuxième alinéa du même article 75-0 B est applicable en cas de renonciation. – (Adopté.)
Article 11 bis
(Non modifié)
I. – Le B du II de la section II du chapitre Ier du titre Ier de la deuxième partie du livre Ier du code général des impôts est complété par un article 1394 D ainsi rédigé :
« Art. 1394 D. – Les exploitants agricoles sont exonérés en totalité de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dans la limite de soixante hectares de surface agricole utilisable. »
II. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du II du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Article 12
(Non modifié)
Avant le dernier alinéa de l’article L. 611–1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le conseil adopte chaque année un plan de simplification des normes applicables aux filières agricole et agro-alimentaire. Le plan adopté par le conseil est rendu public. » – (Adopté.)
Chapitre IV
Dispositions finales
Article 13
(Non modifié)
La perte de recettes résultant pour l’État et les organismes de sécurité sociale des chapitres I à III de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la majoration du taux de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné à l’article 278 du code général des impôts et des taux des contributions sociales mentionnés à l’article L. 136-8 du code de la sécurité sociale.
La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Cette proposition de loi sénatoriale me paraît très importante pour l’avenir de l’agriculture française. Elle devrait notamment venir en aide à l’élevage de bovins et de porcs, ainsi qu’à la production laitière, secteur où les prix de vente, en 2015 et encore en 2016, se sont avérés inférieurs aux coûts de revient.
Afin de conserver notre agriculture familiale et la vie dans nos territoires, la France devra faire pression sur la Commission européenne pour faire évoluer la PAC. Il faut que les dossiers soient simplifiés pour une plus grande lisibilité. Diverses mesures doivent également être prises, tant pour répondre à l’urgence, par le stockage du lait et de la viande, que de manière plus structurelle, par exemple en développant l’étiquetage des produits. M. le ministre a évoqué ces pistes ; je m’en félicite. Ainsi, nous pourrons réguler les marchés, stabiliser les prix et, comme cela a été souligné à l’instant, diminuer l’emprise des normes.
Toutefois, l’Europe n’est pas la seule responsable du déclin agricole français. Le niveau des charges sociales en France plombe la compétitivité de nos exploitations : le coût horaire de la main d’œuvre s’élève en Espagne à 12 euros, en Allemagne à 15 euros, mais en France à 22 euros ! Il faut donc des baisses de charges sociales pour les exploitants.
Je voudrais remercier le Sénat d’avoir adopté les amendements que j’avais déposés tant en première qu’en deuxième lectures. Je me félicite notamment de l’adoption de l’amendement visant à exonérer de la taxe foncière les propriétés non bâties dans la limite de soixante hectares.
Ces aides seraient rendues possibles, du point de vue financier, par une hausse de la TVA, ce qui revient à rétablir un mécanisme de TVA sociale ; cela me paraît important. M. Duran a parlé d’un « ticket de caisse » ; je lui répondrai qu’il faut savoir ce que l’on veut et, plus précisément, si l’on veut conserver l’agriculture de montagne, en particulier l’élevage. Ces mesures pérennes de l’État sont très importantes pour le maintien de l’agriculture et de la vie dans nos territoires.
N’oublions pas que, en vingt-cinq ans, la France a perdu plus de la moitié de ses exploitations agricoles. Or lorsqu’une ferme disparaît, ce sont en moyenne sept emplois qui sont détruits !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je veux d’abord féliciter le rapporteur, le président de la commission et la commission de l’excellent travail mené sur cette proposition de loi. Je les remercie également d’avoir accepté de nombreux amendements qui améliorent le texte.
M. Charles Revet. C’est vrai, c’est mérité !
M. Alain Vasselle. Je veux ensuite exprimer ma préoccupation, parce que je constate que cette proposition de loi est centrée pour l’essentiel, c’est du moins le plus apparent, sur les productions animales.
Or l’ensemble des filières de l’agriculture sont en difficulté, la production de fruits et légumes comme les productions végétales. Alors que l’on parle d’une baisse de 7 % du prix du porc depuis quelques décennies, permettez-moi de rappeler que le prix de vente des céréales a baissé de 20 à 25 % en un an, et qu’il est aujourd’hui en dessous du prix de revient !
L’élevage n’est donc pas la seule filière qui connaît des difficultés, et l’ensemble des filières agricoles doivent faire l’objet de notre préoccupation.
Je terminerai par une dernière considération, relative à la disposition adoptée il y a quelques instants rendant l’assurance récolte obligatoire pour les jeunes agriculteurs. Un amendement visait à l’étendre à l’ensemble de la profession agricole.
Je reste pour ma part dubitatif quant à l’intérêt d’avoir adopté une disposition de cette nature. Celle-ci entraînera un coût pour les agriculteurs, mais percevront-ils pour autant un retour sur cet investissement ? Je n’en suis pas persuadé.
Un agriculteur doit avoir perdu 80 % de sa récolte pour espérer bénéficier de l’assurance récolte. Autrement dit, ce dispositif entraîne une augmentation des coûts de production sans garantir que ce coût sera compensé, sauf peut-être une fois tous les dix ou vingt ans. Il le sera éventuellement dans certaines zones du territoire, mais probablement pas dans les zones de grande culture.
Toutefois, je voterai le texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Les membres du groupe UDI-UC sont satisfaits des propositions d’évolution inscrites dans cette proposition de loi. Ces évolutions sont absolument nécessaires pour restaurer la confiance dans les zones rurales de notre pays, et elles sont nombreuses.
Nous nous réjouissons que le Gouvernement ait pu avancer, notamment sur la question de l’étiquetage ; c’était absolument essentiel pour mieux éclairer le consommateur sur les actes d’achat qu’il effectue.
Nous avons néanmoins la conviction qu’il faudra aller beaucoup plus loin sur la question des charges sociales, tout simplement parce que, dans un contexte de concurrence internationale, l’agriculture française est en compétition avec des pays où la production s’effectue à bas coût. Le seul moyen de lutter à armes égales avec ces pays est d’abaisser le niveau de charges sociales et donc les coûts de production.
Les propositions inscrites dans ce texte vont, je le répète, dans le bon sens, mais il faudra certainement les compléter par d’autres propositions tendant à réduire encore le niveau des charges sociales afin d’améliorer la compétitivité de nos entreprises. S’il est un secteur particulièrement concurrentiel et profitable pour l’économie de notre pays, c’est bien celui de l’agroalimentaire. Il contribue à réduire le déficit de la balance commerciale, ce dont nous avons bien besoin !
Je souhaite également appeler votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur les discussions relatives au traité transatlantique qui peuvent avoir des répercussions extrêmement négatives sur l’agriculture dans notre pays. Comme ce fut le cas pour la culture, peut-être faudra-t-il prévoir une exception pour l’agriculture, car il n’est pas question que nous soyons obligés d’accepter les produits venant des États-Unis, produits dont l’on ne connaît pas les conditions de production effectives.
Il faudra donc sans doute qu’une réflexion soit menée sur ce sujet, afin que le marché et les consommateurs français ne soient pas envahis par ces produits.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Je ne vais pas relancer le débat sur les normes, mais, monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure que vous étiez prêt à étudier, et éventuellement à soutenir les propositions concernant les normes dès lors qu’elles allaient dans l’intérêt de l’activité agricole.
Je vous invite à lire l’article 8 bis de cette proposition de loi qui dispose simplement que, à titre expérimental, il n’y aura jusqu’à la fin de l’année 2019 aucune surtransposition dans le domaine des études d’impact. Les pièces demandées dans les études d’impact ne seront pas plus nombreuses que celles demandées par les directives, ce qui n’est pas le cas actuellement en France !
Monsieur le ministre, je sais bien qu’il ne s’agit pas de votre domaine de compétence, mais cela va avoir une influence très directe sur la modernisation et les gains de compétitivité de l’agriculture française.
Chacun sait qu’un grand plan de modernisation des bâtiments du secteur de l’élevage s’imposera demain. Or les agriculteurs ont un mal de chien à obtenir des permis de construire, parce qu’ils sont confrontés à des études d’impact extrêmement compliquées et que les permis de construire sont attaqués dès leur dépôt, que ce soit par certains écologistes – je vous prie de m’excuser, monsieur Labbé, mais il me semble important de le dire –, par une association ou par un individu.
M. Jean Bizet. C’est vrai et déplorable !
M. Daniel Dubois. Monsieur le ministre, je suis persuadé que si aucune solution n’est trouvée, nous n’arriverons même pas à utiliser tous les crédits du deuxième pilier pour moderniser les bâtiments d’élevage dans les années qui viennent.
Cela étant dit, le groupe UDI-UC a participé à la rédaction de cette proposition de loi ; il la soutient et la votera naturellement.
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Je constate que les conditions sont réunies pour que cette proposition de loi aboutisse. L’attitude qui a été celle des représentants de l’opposition me fait penser que la raison peut l’emporter et que l’Assemblée nationale ne va pas se contenter, comme elle l’a fait en première lecture, de voter une motion tendant à opposer la question préalable. Le sujet est trop important pour qu’une telle perspective se concrétise.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas encore fait !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Nous avons eu un débat intéressant, marqué par deux fois par des poussées de fièvre qui ont toutefois été suivies de propos apaisés, que j’ai pour ma part retenus.
J’en remercie mon collègue Henri Cabanel, membre de la commission. Je ne l’ai pas vraiment reconnu dans son intervention à la tribune, et compte tenu des rapports extrêmement courtois que nous avons au sein de la commission des affaires économiques, j’en déduis que le texte qu’il a lu n’était peut-être pas celui qu’il avait préparé… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Henri Cabanel. On ne m’écrit pas mes interventions !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Je remercie le rapporteur du travail considérable qu’il a réalisé ; les nombreuses auditions antérieures à la première lecture du texte auxquelles il a procédé en témoignent. Les auditions ont été poursuivies et nous ont permis d’établir un certain nombre de contacts, qui ont été utiles pour enrichir le texte.
Je remercie également les membres de la commission qui ont participé de manière extrêmement active à la discussion de cette proposition de loi par deux fois la semaine dernière et encore ce matin.
Je voudrais enfin remercier Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, sénateur de la Manche et grand spécialiste des questions touchant à la production de lait.
M. Bruno Sido. Il est vétérinaire !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Il a vraiment apporté une contribution importante et très éclairée à l’élaboration de la proposition de loi, puisqu’il était en quelque sorte de permanence l’été dernier lorsque nous y avons travaillé. Il l’a encore prouvé tout à l’heure en intervenant d’une façon particulièrement compétente sur ces questions.
Monsieur le ministre, puis-je vous remercier de ce que vous avez fait ? Vous n’avez pas bien entendu ce qui a été dit tout à l’heure à la tribune, mais peut-être n’êtes-vous pas habitué à des remerciements venant de la part de l’opposition. (Sourires.) Nous n’avons jamais dit que vous ne faisiez rien,…
M. Didier Guillaume. Si !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. … et nous prenons acte d’un certain nombre de points positifs.
Tout cela doit conduire chacun à répondre à l’attente du monde rural, du monde agricole, et je suis persuadé que nous aurons une bonne surprise dans les semaines qui viennent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.
(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
11
Économie bleue
Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du Gouvernement, en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l’économie bleue (proposition n° 370, texte de la commission n° 431, rapport n° 430, avis n° 428).
Dans la suite de de l’examen du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre III du titre Ier, à l’article 6 ter.
TITRE IER (suite)
RENFORCER LA COMPÉTITIVITÉ DES EXPLOITATIONS MARITIMES ET DES PORTS DE COMMERCE
Chapitre III (suite)
Renforcer l’employabilité des gens de mer et leur protection
Article 6 ter (nouveau)
I. – L’article L. 5543-1-1 du code des transports est complété par un V ainsi rédigé :
« V. – Pour la mise en œuvre des conventions de l’Organisation internationale du travail intéressant les gens de mer, la consultation de la Commission nationale de la négociation collective maritime vaut consultation tripartite au sens de la convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, 1976, de l’Organisation internationale du travail.
« Cette consultation vaut également pour toute mise en œuvre, pour les gens de mer, des autres conventions de l’Organisation internationale du travail. »
II. – Au III de l’article L. 5543-2-1, au IV des articles L. 5544-4 et L. 5544-16, à l’article L. 5544-32 et au deuxième alinéa de l’article L. 5544-40 du même code, les mots : « , pris après avis des organisations les plus représentatives d’armateurs et de gens de mer intéressées, » sont supprimés.
III. – À l’article L. 5623-9 du même code, les mots : « après consultation des organisations professionnelles représentatives des armateurs et des organisations syndicales représentatives des gens de mer » sont supprimés.
Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Sous couvert de simplification du droit du travail maritime, l’article 6 ter, introduit par la commission, réforme la procédure d’adoption de certains textes réglementaires, en supprimant la consultation préalable des partenaires sociaux.
M. le rapporteur a argué de l’inutilité de la double consultation prévue par le code des transports, au motif que les organisations d’armateurs et des gens de mer sont consultées en tant que telles, mais également dans le cadre de la Commission nationale de la négociation collective maritime, la CNNCM, instance comprenant notamment des représentants des organisations d’employeurs et des organisations syndicales de gens de mer représentatives à l’échelon national.
L’article prévoit que la consultation de la CNNCM vaut consultation des partenaires sociaux lorsqu’elle est requise au titre des conventions internationales de l’Organisation internationale du travail, l’OIT.
Nous sommes défavorables à une telle disposition. Pour nous, les deux consultations ne sont ni identiques ni de même nature. La Commission nationale de la négociation collective maritime est une instance réglementaire. Cela vaut au-delà de la seule représentation syndicale.
Nous proposons donc la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Cet amendement vise à supprimer un article ajouté par la commission.
Nous cherchons à simplifier le droit applicable au secteur maritime. L’article 6 ter a pour objet de mettre fin à la double consultation des partenaires sociaux qui est aujourd’hui imposée pour l’élaboration de certains textes réglementaires.
Cela n’empêcherait pas les partenaires sociaux représentatifs à l’échelon national de s’exprimer : ils sont tous présents au sein de la Commission nationale de négociation collective maritime, organe instauré par la loi du 16 juillet 2013 et efficace en matière de dialogue social.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Le Gouvernement a examiné les conséquences du dispositif adopté par la commission.
Très honnêtement, cela nous semble acceptable. Le champ d’application de l’article est limité aux projets de textes hors du champ de compétences de la CNNCM. Par conséquent, rien ne change.
La double consultation paraît évidente. Les organisations syndicales et patronales sont aujourd’hui consultées par la Commission et par une commission ad hoc prévue par un autre texte.
Encore une fois, il n’y a aucune remise en cause des droits. Le champ d’application du dispositif est plus limité que ce que vous craignez, madame Didier.
Le Gouvernement sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 134, présenté par M. Mandelli, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
II. – Au premier alinéa du III de l’article L. 5543-2-1 et aux IV des articles L. 5544-4 et L. 5544-16 du même code, les mots : « , pris après avis des organisations les plus représentatives d’armateurs et de gens de mer intéressées, » sont supprimés.
… – Après les mots : « par un décret en Conseil d’État », la fin de l’article L. 5544-32 du même code est supprimée.
… – Au deuxième alinéa de l’article L. 5544-40 du même code, les mots : « pris après avis des organisations les plus représentatives d’armateurs et de gens de mer intéressées, » sont supprimés.
La parole est à M. le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 6 ter, modifié.
(L'article 6 ter est adopté.)
Article 6 quater (nouveau)
Le second alinéa de l’article L. 5543-3-1 du code des transports est complété par les mots : « , ainsi que l’adaptation de la durée d’application au délégué de bord des dispositions de l’article L. 2421-3 du code du travail en cas de renouvellements fréquents et significatifs de la liste d’équipage ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 5 est présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 124 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Évelyne Didier, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Évelyne Didier. L’article 6 quater a été inséré en commission par un amendement du rapporteur. Nous ne partageons pas les présupposés d’une telle disposition, qui limite la protection des délégués de bord.
Pour justifier cet amendement, M. le rapporteur a estimé que les dispositions actuelles compromettaient « l’application du droit du travail sur les navires effectuant des voyages brefs, comme les ferries ou dans le cadre du cabotage français et communautaire ». Il a ajouté : « Sur ces navires, les rotations fréquentes de l’équipage associées à une protection systématiquement portée à six mois à l’expiration du mandat des délégués de bord risqueraient d’aboutir à une protection de la quasi-totalité de l’équipage. »
Il faut le redire : aujourd’hui, ce ne sont pas les protections sociales des gens de mer qui pénalisent l’essor du transport maritime.
La présente proposition de loi ne doit pas organiser une régression du droit pour les gens de mer, notamment pour ceux d’entre eux qui font le choix courageux d’être délégués de bord.
Par conséquent, nous proposons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 124.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. L’amendement du Gouvernement va dans le même sens que celui de Mme Didier.
Il me semble assez dangereux de remettre en cause, dans un texte dont ce n’est pas la vocation, la protection contre le licenciement dont bénéficie le délégué de bord.
Sur la forme, si le législateur peut, certes, supprimer des droits sociaux, ce n’est jamais un bon message à adresser aux partenaires sociaux, et pas seulement aux organisations syndicales. Je vous renvoie à une disposition qui résulte de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, dite loi Larcher. L’article L. 1 du code du travail, auquel je pense que vous êtes attachés, implique d’inviter les partenaires sociaux à négocier avant de prendre de telles initiatives. Je vous suggère donc de respecter ce que vous avez vous-mêmes introduit dans le code du travail, d’autant que c’est une bonne mesure !
Sur le fond, je suis évidemment opposé à toute remise en cause des droits dans un texte visant à favoriser la croissance bleue. La croissance ne peut pas se faire au détriment du droit social. Les deux peuvent aller de pair.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Il ne s’agit pas de remettre en cause des principes. Nous voulons simplement prévenir des risques de dérives avérées dans certaines situations spécifiques et mettre en adéquation le temps de protection et la durée effective du mandat. La protection est de six mois alors que la durée du mandat est parfois d’une semaine.
La précision apportée par l’article 6 quater ne remet pas en cause la protection dont bénéficie à juste titre le délégué de bord. Elle vise exclusivement à confier au pouvoir réglementaire le soin de prévoir des adaptations dans le seul cas où des renouvellements fréquents et significatifs de la liste d’équipage sont constatés. Dans une telle situation, il est important de garantir un équilibre entre la protection des délégués de bord et le maintien des dispositions de droit commun en matière de droit du travail pour les membres de l’équipage. Nous ne remettons donc pas du tout en cause un droit.
La commission a confié le soin de définir les adaptations au pouvoir réglementaire, sur lequel nous ne voulions pas empiéter. Dans l’hypothèse où une disposition législative serait nécessaire en vertu du principe de hiérarchie des normes, nous pourrions y réfléchir en commission mixte paritaire.
Mais, à ce stade, nous maintenons notre position, et nous émettons un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 124.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l'article 6 quater est supprimé.
Articles additionnels après l'article 6 quater
Mme la présidente. L'amendement n° 51, présenté par Mme Herviaux, est ainsi libellé :
Après l’article 6 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 5513-2 du code des transports est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À bord des navires à passagers en ligne régulière de cabotage national, la langue de travail est le français. »
La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Le transport de passagers par voie maritime se fait essentiellement à bord des navires rouliers, les ferries, qui peuvent se révéler très dangereux en cas d’événements en mer. Les tragédies des années 1990 et 1994 en mer Baltique et en Estonie ont ainsi conduit l’Organisation maritime internationale, l’OMI, et l’Union européenne à légiférer pour améliorer la sûreté en mer.
La directive européenne 2008/106/CE est notamment consacrée au niveau minimal de formation des gens de mer. Son article 18 précise qu’une langue de travail commune pratiquée et comprise par la majorité des passagers doit être en vigueur à bord.
En effet, les études montrent que, lors de situations d’urgence, les personnes dans un état de stress important ne sont pas à même de comprendre les consignes de sécurité nécessaires à leur survie dans une langue étrangère.
Dans un impératif de sécurité maritime, cet amendement vise donc à imposer que la langue de travail soit le français sur les navires à passagers effectuant des liaisons régulières de cabotage national.
M. Ronan Dantec. Et ceux qui parlent le breton n’en auraient plus le droit ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Cet amendement et l’amendement de repli qui suit visent à répondre à des difficultés particulières, liées au fait qu’une partie de l’équipage de certains navires à passagers assurant du cabotage national ne serait pas en mesure de communiquer en français avec les passagers.
Le code des transports fixe une obligation générale : l’armateur doit s’assurer d’une bonne communication orale entre marins, en optant pour la langue de travail la plus appropriée. Toutefois, la langue de travail entre marins n’est pas nécessairement celle qui est utilisée pour la communication avec les passagers. Il semble donc peu pertinent, et assez contraignant pour l’organisation du travail de fixer la langue de travail à bord des navires de passagers.
Il paraît préférable de soumettre les navires battant pavillon étranger aux dispositions du pays d’accueil, comme tend à le prévoir l’amendement de repli de Mme Herviaux.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Les dispositions existantes laissent le choix à l’armateur de fixer la langue de travail à bord. Il lui appartient de s’assurer de la bonne communication et compréhension à bord entre les membres d’équipage. En termes de sécurité, il est essentiel de laisser cette responsabilité à l’armateur.
En revanche, et je l’indique d’ores et déjà, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 69, qui tend à prévoir des dispositions semblables pour les navires relevant du dispositif « État d’accueil ». Dans ce cas, chacun le comprend, il est nécessaire que l’équipage puisse communiquer dans de bonnes conditions avec les passagers.
Par conséquent, madame la sénatrice, je vous suggère de retirer l’amendement n° 51, sachant que le Gouvernement et, si j’ai bien compris, la commission soutiendront l’amendement n° 69.
Mme la présidente. Madame Herviaux, l'amendement n° 51 est-il maintenu ?
Mme Odette Herviaux. Non, madame la présidente ; je le retire, au profit de l’amendement qui suit.
Mme la présidente. L'amendement n° 51 est retiré.
L'amendement n° 69, présenté par Mme Herviaux, MM. S. Larcher et Guillaume, Mme Bonnefoy, MM. Bérit-Débat, Camani, Cornano, Filleul, J.C. Leroy, Madrelle, Miquel, Poher et Roux, Mme Tocqueville et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 6 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 5564-1 du code des transports est ainsi modifié :
1° Après le mot : « navires », sont insérés les mots : « visés par l’article L. 5561-1 » ;
2° Après le mot : « passagers », les mots ; « avec les îles ou de croisière, et d’une jauge brute de moins de 650 » sont supprimés.
La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Cet amendement de repli vise, lui aussi, à améliorer la sécurité maritime.
Il serait souhaitable qu’il y ait de plus en plus de marins parlant français, et donc également de marins français, à bord de nos navires et de nos ferries, notamment sur les dessertes nationales, de la métropole jusque sur les îles.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Le Gouvernement, dont nous comptions solliciter l’avis, a d’ores et déjà indiqué qu’il soutenait cet amendement. Dès lors, l’avis de la commission est également favorable.
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer l’avis favorable du Gouvernement sur cet amendement ?
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 6 quater.
Article 7
I à V. – (Supprimés)
VI. – L’article L. 5548-1 du code des transports est ainsi modifié :
1° À la fin du deuxième alinéa, le mot : « marin » est remplacé par les mots : « gens de mer » ;
2° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Lorsqu’ils existent en vertu de la législation du pavillon du navire, le capitaine informe les représentants des gens de mer à bord du navire de la visite de l’inspecteur ou du contrôleur du travail, afin qu’ils puissent assister à cette visite s’ils le souhaitent. »
VII. – (Non modifié) À l’article L. 5548-2 du même code, le mot : « marins » est remplacé par les mots : « gens de mer ».
VIII. – Le chapitre VIII du titre IV du livre V de la cinquième partie du même code est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 5548-3, il est inséré un article L. 5548-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 5548-3-1. – Sans préjudice des missions des inspecteurs et contrôleurs du travail, les officiers et fonctionnaires affectés dans les services exerçant des missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes sous l’autorité ou à la disposition du ministre chargé de la mer sont chargés du contrôle de l’application du titre VI du présent livre ainsi que du contrôle de l’application des normes de l’Organisation internationale du travail relatives au travail des gens de mer embarqués à bord d’un navire battant pavillon étranger faisant escale dans un port français.
« Pour l’exercice de ces missions, ils sont habilités à demander à l’employeur, ainsi qu’à toute personne employée à quelque titre que ce soit à bord d’un navire, de justifier de son identité, de son adresse et, le cas échéant, de sa qualité de gens de mer.
« Lorsqu’ils existent en vertu de la législation du pavillon du navire, le capitaine informe les représentants des gens de mer à bord du navire de la visite des officiers et fonctionnaires, afin qu’ils puissent assister à cette visite s’ils le souhaitent. » ;
2° Il est ajouté un article L. 5548-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 5548-5. – Les officiers et fonctionnaires affectés dans les services exerçant des missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes sous l’autorité ou à la disposition du ministre chargé de la mer et les inspecteurs et contrôleurs du travail se communiquent réciproquement tous renseignements et tous documents utiles à l’accomplissement des missions de contrôle définies au présent chapitre. Pour l’exercice de ces missions, ils s’informent réciproquement de la programmation des contrôles et des suites qui leur sont données. »
IX et X. – (Supprimés) – (Adopté.)
Article 7 bis
(Non modifié)
Le 2° du I de l’article L. 5612-1 du code des transports est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, l’article L. 5521-2-1 est applicable aux marins embarqués sur les navires immatriculés au registre international français qui résident hors de France et qui sont affiliés en application des règlements européens au régime d’assurance vieillesse défini à l’article L. 5551-1. » – (Adopté.)
Article 8
(Non modifié)
Le code des transports est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° L’article L. 5553-11 est ainsi modifié :
a) Les mots : « d’armement maritime » sont remplacés par le mot : « maritimes » ;
b) Les mots : « pour les équipages et gens de mer qu’elles emploient affiliés au régime d’assurance vieillesse des marins et embarqués à bord des navires battant pavillon français de commerce affectés à des activités de transport maritime soumises » sont remplacés par les mots : « , de la cotisation d’allocations familiales mentionnée à l’article L. 241-6 du code de la sécurité sociale et de la contribution à l’allocation d’assurance contre le risque de privation d’emploi mentionnée à l’article L. 5422-9 du code du travail dues par les employeurs, pour les équipages et les gens de mer que ces entreprises emploient au titre des navires de commerce battant pavillon français soumis » ;
3° (Supprimé)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 6 est présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 141 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Évelyne Didier, pour présenter l’amendement n° 6.
Mme Évelyne Didier. Pour nous, l’application du principe du net wage, c’est-à-dire l’absence totale de charges sur les emplois maritimes, est inacceptable.
Cette disposition contestable avait été supprimée sur l’initiative du député Jean-Paul Chanteguet lors de l’examen en commission à l’Assemblée nationale. Mais le rapporteur Arnaud Leroy l’a fait réintroduire en séance, avec l’accord de la droite, et contre l’avis du Gouvernement.
Pour notre part, nous sommes totalement opposés à la suppression des charges sociales salariales et patronales, et donc du salaire différé, sur les emplois des gens de mer.
Une telle mesure, outre qu’elle a un coût exorbitant, de l’ordre de 17 millions d’euros, n’a jamais fait la démonstration de son utilité pour l’économie. Bien au contraire ! Elle ne permettra donc nullement de mieux résister à la concurrence internationale. Elle conduira simplement à un nivellement par le bas des conditions salariales, ce qui n’est pas bon pour l’avenir des protections sociales.
Ce sera un mouvement sans fin. Nous trouverons toujours à l’échelle mondiale des gens moins bien payés et surexploités. L’avenir du modèle social français n’est pas de s’aligner sur le moins-disant.
Cet article envoie donc un très mauvais message. Il revient à apporter pour seule réponse aux difficultés de ce secteur la poursuite des exonérations de cotisations. Nous le savons tous, les données du problème sont bien plus complexes. Les difficultés du secteur tiennent aussi au faible niveau de l’investissement public dans les ports et au manque de desserte pour acheminer les marchandises dans les territoires.
Il est étonnant que ceux-là mêmes qui prônent la rigueur pour les collectivités nous poussent vers toujours plus d’exonérations pour les entreprises.
Nous sommes donc totalement opposés au dispositif envisagé. Nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 141.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Nous abordons à présent un point important de notre discussion : les exonérations de cotisations sociales pour répondre aux difficultés de compétitivité des armements français par rapport à d’autres pays.
L’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement, a adopté une rédaction, confirmée par votre commission, couvrant l’ensemble des activités et des personnels, pas simplement les marins.
Le Gouvernement en a débattu longuement, et tardivement. Mais il vaut mieux que les bonnes nouvelles arrivent, même tardivement ! Nous avons réfléchi à la réponse adaptée.
D’abord, il nous semble qu’il faut limiter le champ d’une éventuelle exonération au Registre international français, le RIF. Ce sont les bateaux sous pavillon RIF qui sont aujourd'hui concernés. Or, dans sa rédaction actuelle, l’article 8 créerait un effet d’aubaine pour certains, ce qui ne correspond pas à la démarche d’origine.
Les personnels concernés sont les marins. La situation n’est pas exactement la même pour les gens de mer. Là, il s’agirait plutôt de considérations d’ordre général sur les cotisations sociales.
Le Gouvernement va retirer son amendement de suppression de l’article 8.
Toutefois, je l’indique d’ores et déjà, nous venons de déposer un amendement, différent de nos deux petits amendements rédactionnels, par lequel le Gouvernement s’engage à étendre les extensions aux marins embarqués sur des navires immatriculés au RIF. Cet effort important résulte, vous pouvez l’imaginer, d’un arbitrage tardif. Mais je pense que c’est une bonne réponse.
Je souhaiterais – je sais bien que la commission a retenu le texte issu de l’Assemblée nationale, où il y avait déjà eu un problème – que l’on puisse avancer ensemble dans la cohérence. J’admets volontiers que les quelques imperfections rédactionnelles du texte subsisteront même après l’adoption de notre amendement. Vous pourrez y remédier en commission mixte paritaire.
Mais le message est aujourd’hui défendu par tous les groupes de la Haute Assemblée, sauf peut-être celui de Mme Didier, qui semble en faire une question de principe. Une telle réponse collective était attendue depuis longtemps. Je me réjouis que cet arbitrage ait été rendu, et je remercie M. le Premier ministre de l’appui qu’il nous a apporté. Ce soir, nous pouvons adresser un signal fort.
Je retire donc l’amendement n° 141.
Mme la présidente. L'amendement n° 141 est retiré.
Qu’en est-il de l'amendement n° 6, madame Didier ?
Mme Évelyne Didier. Comme l’a très bien souligné M. le secrétaire d’État, il s’agit pour nous d’une position de principe. Je maintiens donc mon amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. L’article 8 concerne l’une des deux mesures emblématiques, avec l’autoliquidation de TVA, de la présente proposition de loi. Nous voilà donc à un moment important de notre discussion sur l’économie bleue.
Madame Didier, l’extension du périmètre des exonérations de cotisations sociales bénéficiant au secteur maritime est une mesure positive. Le coût de cette généralisation des exonérations de cotisations patronales hors régime géré par l’Établissement national des invalides de la marine était évalué à 17 millions d’euros dans le rapport d’Arnaud Leroy, en 2013.
Notre marine évolue dans un environnement pleinement mondialisé. Si la différence de compétitivité vis-à-vis des pays d’Asie du Sud-Est ne saurait être surmontée seulement par une action sur le coût du travail, le recul de l’armement français face à nos compétiteurs européens est plus problématique et repose en partie sur un problème de coût. La qualité des navigants français est reconnue, mais elle ne peut compenser que partiellement les différences de coût du travail. Celles-ci sont préjudiciables au développement du pavillon français.
Le net wage – c’est son nom – est la principale mesure de soutien économique à l’armement maritime qui reste autorisée par le droit européen.
Les dispositifs mis en place par nos partenaires européens, comme le Danemark, l’Italie et le Royaume-Uni, sont plus offensifs que ceux qui existent en France.
Au-delà des exonérations de cotisations sociales, certains pays vont jusqu’à prévoir le remboursement à l’armateur de l’impôt versé par les marins à l’État.
La faiblesse du dispositif français par rapport à celui qui bénéficie aux autres grands armements européens a un impact sur la compétitivité de notre marine, de notre flotte.
Selon les évaluations, la rémunération d’un marin français est inférieure de 20 % à celle d’un marin anglais, et peut être inférieure de 40 % à celle d’un marin danois ou italien !
Pour un coût budgétaire raisonnable, et sans sacrifier la protection sociale des marins – c’est important –, l’extension des exonérations de charges sociales proposée à l’article 8 permet donc d’améliorer la compétitivité de notre marine face à la concurrence européenne et internationale.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission de l'aménagement du territoire.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Ainsi que M. le secrétaire d’État l’a indiqué, le Gouvernement vient de déposer deux amendements sur la question du net wage. Si nous nous réjouissons de constater une évolution sur le principe du dispositif, nous regrettons que ces amendements ne nous aient été transmis qu’à l’instant.
Je demande donc une suspension de séance d’une dizaine de minutes, afin que la commission puisse les examiner.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt et une heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
L'amendement n° 122, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Par cet amendement, nous souhaitons revenir sur le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, que la commission a adopté sans modification.
La notion d'entreprise maritime n'est pas définie dans le code des transports. Le concept dont il est fait usage à l’alinéa 4 de l’article 8 n’est donc pas défini juridiquement. En revanche, l'« entreprise d'armement maritime » est définie comme l'entité qui a la qualité d'employeur des marins. C'est donc l'entreprise d'armement maritime qui est l'entité bénéficiaire des exonérations.
Cette précision sémantique est utile juridiquement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. La position que la commission vient d’adopter sur les amendements nos 159 rectifié et 158 rectifié – nous les examinerons dans quelques instants – a nécessairement une incidence dans le débat sur cet amendement.
Nous comprenons que le Gouvernement, notamment le ministère des finances, privilégie le périmètre d’entreprise d’armement maritime, défini à ce jour dans le code des transports. Toutefois, ce périmètre est plus restrictif que celui d’entreprise maritime.
Certes, cette dernière notion manque de précision. Mais l’adoption du présent amendement aurait pour conséquence de réduire les ambitions du dispositif de net wage prévu à l’article 8.
Compte tenu de cette incertitude et de la discussion que nous venons d’avoir, j’émets un avis défavorable sur l'amendement n° 122.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. J’ai du mal à comprendre la position de M. le rapporteur.
Nous faisons du droit. La discussion sur l’article pourrait être fermée en cas de vote conforme. Or, en l’état, le texte n’est pas applicable.
Ce que M. le rapporteur vient de dire est faux. En réalité, on ne rendra pas service aux entreprises. Quand elles demanderont des exonérations, le débat reprendra, car la notion visée n’existe pas. Il faudra alors soit laisser l’administration reprendre la main par des instructions, soit légiférer de nouveau !
J’avoue mon incompréhension. Il n’y a aucun enjeu en l’espèce. Il y a simplement une irrégularité. Certes, j’en conviens, nous aurions pu nous en rendre compte à l’Assemblée nationale… Mais vous savez très bien comment se passe le processus législatif. Au cours de leur travail d’examen, les services juridiques des ministères ont, fort opportunément, attiré mon attention sur le sujet.
On peut être en désaccord, et on le sera. Mais le pire serait de maintenir en l’état cet alinéa, qui, juridiquement, ne nous vaudra pas les félicitations des commentateurs… Surtout, ce sera une source d’interrogations pour les acteurs économiques. En fait, il sera absolument nécessaire de revenir devant le législateur ; même une interprétation par le pouvoir réglementaire semble exclue.
J’invite donc vraiment la Haute Assemblée à voter cet amendement, qui vise simplement à garantir l’efficacité du dispositif, y compris dans la rédaction de votre commission.
M. Daniel Raoul. C’est le moins qu’on puisse demander !
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Il est tellement rare que le Sénat veuille à tout prix un vote conforme sur un texte issu de l’Assemblée nationale que l’on pourrait presque se féliciter de le voir s’arc-bouter ainsi ce soir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mais, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, nous devons faire notre travail de législateurs et accepter les propositions de réécriture lorsque le droit le commande.
Je voterai donc cet amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 159 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5, qui, dans sa rédaction actuelle, conduit à étendre l’exonération à l’ensemble des navires de commerce soumis à concurrence internationale.
Monsieur le rapporteur, selon vous, compte tenu de la rédaction proposée, le coût des exonérations serait de 17 millions d'euros, chiffre à mettre en relation avec à l’évaluation qu’avait faite Arnaud Leroy. Je le souligne, 17 millions d'euros, c’est la fourchette basse de l’exonération proposée dans le texte du Gouvernement.
La rédaction actuelle aboutit probablement à un volume de l’ordre de 24 millions d’euros à 25 millions d'euros, selon le travail qui a été mené. Certes, les députés n’en avaient pas eu connaissance. C’est toute la difficulté avec une proposition de loi, sans étude d’impact.
Le Gouvernement émet une proposition forte, qui répond au problème des marins naviguant sur des navires immatriculés au RIF.
Permettez-moi de faire une observation plus générale. Mme Didier a une vision globale de la vocation des régimes d’exonération.
Le Gouvernement est attentif aux activités économiques qui sont par définition soumises à la concurrence. La mer n’est pas un terrain national : le marché y est naturellement mondialisé.
Avec la rédaction de l’Assemblée nationale et de la commission, il n’y a pas de cohérence. De nombreux acteurs d’autres secteurs économiques demanderont alors l'application non de la spécificité de l’activité maritime, comme je le défends, mais du principe lui-même.
J’en appelle à tous ceux qui voudraient voter le texte en l’état : avec un tel dispositif, il n’y aurait plus aucun argument pour opposer la spécificité maritime, ce qui est la position du Gouvernement. Ce texte, dont le champ d’application est plus large, pourra demain s’appliquer à toutes les activités économiques. Je souhaite bien du courage à ceux qui voudraient s’exonérer de la spécificité !
Certes, on pourrait prendre une telle position et en tirer un argument politique. Mais il faut aussi penser à l’avenir, quelles que soient les majorités !
Il y a une cohérence dans notre dispositif ; il n’y en a pas dans celui de l’Assemblée nationale et de la commission, puisque des acteurs d’autres secteurs économiques pourraient demander à bénéficier des exonérations. D’ailleurs, compte tenu de la conjoncture, les cas pourraient être très nombreux.
Selon l’estimation que les services m’ont fournie ce soir, la différence serait seulement – ne prenez pas forcément ces chiffres pour argent comptant, car les calculs ont été faits un peu rapidement – de l’ordre de 5 millions d’euros ; l’enjeu n’est donc pas là. C’est avant tout une question de cohérence.
Le Gouvernement invite donc le Sénat à voter cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, la différence est de l’ordre du symbole. Globalement, c’est aussi un signe important qui est adressé à l’ensemble des acteurs du monde maritime. Nous sommes opposés à toute réduction du champ d’application qui a été validé par nos collègues députés.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Je ne suis pas un spécialiste du sujet. Je ferai donc confiance à la commission, et je suivrai son avis.
Cela étant, je note qu’il s’agit d’exonérations de la part patronale des cotisations sociales. Je souhaite savoir si la compensation de ces exonérations est bien prévue. Le dispositif aura inévitablement des conséquences sur les dépenses de sécurité sociale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Nous ne partageons pas l’analyse de M. le rapporteur. Nous soutiendrons l’amendement du Gouvernement.
Je tenais à remercier M. le secrétaire d'État, qui a fait un grand pas en avant par rapport à la semaine dernière, montrant sa volonté de trouver non un compromis, mais bien un système adapté au seul monde maritime. On parle cette fois-ci des navires du RIF. L’exonération ne concerne que le salaire des marins.
Cela permet non seulement d’exprimer notre volonté d’aider le secteur maritime, qui a besoin d’être accompagné, mais également d’éviter d’ouvrir la porte à d’autres demandes d’exonérations non prévues au programme.
M. le secrétaire d'État a eu le courage d’avancer en la matière. Quand nous nous étions quittés la semaine dernière, la situation était assez bloquée.
Mme la présidente. L'amendement n° 123, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
navires de commerce battant pavillon français
insérer les mots :
affectés à des activités de transport maritime et
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Il s’agit d’un amendement de précision destiné à assurer l’efficacité juridique du dispositif.
La formule « affectés à des activités de transport maritime » a disparu de l'article L. 5553-1 du code des transports tel que remanié, cette expression résumant les conditions posées aux aides à la marine marchande par les lignes directrices de la Commission européenne.
Supprimer une telle référence de notre droit, comme cela nous est proposé, serait donc contraire à ces lignes directrices. Cela conduirait à admettre des navires exclus explicitement, comme ceux qui sont affectés au dragage portuaire, compromettant ainsi le dispositif.
La Commission européenne a rappelé récemment à deux États membres, la Grèce et l’Italie, qu’une aide ne peut être accordée à telle ou telle activité qu’à condition que celle-ci comporte une activité de transport significative ou présente une certaine analogie avec les activités de transport. C’est ainsi que les navires des services spécialisés dans l’offshore ou les câbliers font partie du champ d’application admis par la Commission européenne.
Jusqu’à présent, la France applique ces lignes directrices dans toute leur étendue telle qu’elles résultent du texte lui-même et des différentes interprétations qui en ont été faites par la Commission. Cette mention n’y fait pas obstacle.
C’est pourquoi la formule « affectés à des activités de transport maritime » doit être réintroduite pour que soit assurée la compatibilité communautaire de notre régime d'aide, dans tout l’éventail d’activités permis.
Franchement, cela me paraît relever du bon sens ! Je m’en remets à la sagesse de votre Haute Assemblée, mais je pense qu’il serait très peu sage de ne pas voter cet amendement… Chacun a pu en avoir l’expérience ici, les bénéficiaires peuvent se trouver confrontés, parfois plusieurs années après, à une demande de remboursement de la Commission. Il faut donc rédiger le texte correctement, quel que soit le champ d’application de la mesure ; cet amendement est indépendant du sujet dont nous venons de discuter.
Par souci d’efficacité, il serait utile que le Sénat vote cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Là encore, comme pour les autres amendements arrivés tardivement, il est dommage de devoir appréhender des enjeux aussi importants en quelques minutes.
Toutefois, la commission a revu sa position et émis un avis défavorable sur cet amendement. Dans la mesure où le champ d’application est restreint, nous voulons rester cohérents avec la position que nous avons adoptée sur les autres amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Notre groupe s’oppose à l’article 8, dont nous avions demandé la suppression. Pour autant, dans la mesure où cet article a été maintenu, nous allons voter les amendements de repli.
Je tiens tout de même à vous faire part de mon étonnement. La commission voulait obtenir un vote conforme sur l’article 8 dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Mais cela n’a plus de sens dès lors que le Sénat a adopté un amendement sur l’article. Cette stratégie est de facto caduque ; il est donc assez incohérent de s’entêter dans cette voie ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Vasselle. C'est la faute du vote précédent !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je remercie la majorité sénatoriale d’avoir – malgré tout ! – laissé la porte ouverte à l’examen de l’article en commission mixte paritaire. La discussion sur l’article n’est donc plus fermée ; ce n’est pas le fruit du hasard.
Il me semblerait préférable de s’accorder ce soir sur l’ensemble du texte, dans une démarche collective positive, au lieu de s’en remettre au résultat d’une commission mixte paritaire, dont tout le monde interprétera le contenu. Après avoir défendu des positions différentes, mieux vaut réussir à nous rassembler, dans l’intérêt de la croissance bleue !
M. Alain Vasselle. Je veux bien voter cet amendement si vous compensez les exonérations !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Si c’est un engagement de votre part, je vous prends au mot ! J’espère que vous parlez pour l’ensemble de votre groupe. (Sourires.)
J’ai évidemment levé le gage à l'Assemblée nationale, bien que le vote ait été contraire. Le Gouvernement n’entend pas, par des artifices de procédure ou par l’absence de compensation, empêcher la démarche qui sera retenue, quelle qu’elle soit.
Je vous remercie de rejoindre le camp de ceux qui soutiendront la position du Gouvernement, monsieur le sénateur ! (Nouveaux sourires.)
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, je souhaiterais avoir une précision : allons-nous voter d’abord sur l'amendement n° 159 rectifié ?
Mme la présidente. Oui, ma chère collègue.
Mme Évelyne Didier. Je vous remercie, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 159 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 185 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 155 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 123.
(L'amendement est adopté.)
M. Alain Vasselle. Madame la présidente, je demande la parole, pour un rappel au règlement.
Mme la présidente. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. Alain Vasselle. Je ne comprends pas la manière dont s’est déroulé le vote.
Nous avons été battus sur l'amendement n° 122 par un vote à main levée. J’ai cru que le scrutin public portait sur l'amendement n° 123. Or vous venez de nous faire voter à main levée sur ce même amendement ! Nous avons donc voté deux fois sur le même amendement ! (M. le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable fait un signe de dénégation.)
Si ce n’est pas le cas, je voudrais que l’on m’explique, car je n’ai pas du tout compris le déroulement des votes. J’ai l’impression d’avoir voté trois fois sur deux amendements.
Mme la présidente. Monsieur Vasselle, j’ai été saisie par la commission d’une demande de scrutin public sur l'amendement n° 159 rectifié, qui a été rejeté. Ensuite, l'amendement n° 123 a été mis au vote et adopté à main levée. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Nous n’avions pas compris !
Mme la présidente. Il est vrai que l'amendement n° 159 rectifié ne figure pas sur votre dérouleur, mais il vous a bien été distribué en séance. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) La commission a d’ailleurs demandé une suspension de séance pour l’examiner. (Brouhahas sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, je demande la parole.
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Chers collègues de la majorité sénatoriale, avant l’ouverture du scrutin public, Mme la présidente a bien confirmé, à ma demande, que le vote porterait sur l'amendement n° 159 rectifié. Vous l’avez entendu comme nous ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Soyez honnêtes, chers collègues ! Mme la présidente nous a bien précisé de quel amendement il s’agissait ! (Marques d’assentiment sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. L’amendement n° 158 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les entreprises d’armement maritime bénéficiant de l’exonération de charges sociales patronales prévue à l’article L. 5553-11 du code des transports sont exonérées de la cotisation d’allocations familiales mentionnée à l’article L. 241-6 du code de la sécurité sociale et de la contribution à l’allocation d’assurance contre le risque de privation d’emploi mentionnée à l’article L. 5422-9 du code du travail dues par les employeurs, pour les équipages que ces entreprises emploient au titre des navires de commerce battant pavillon français relevant de l’article L. 5611-2 du code des transports et soumis à concurrence internationale.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Cet amendement vise à insérer un article additionnel après l’article 8, qui n’a pas été adopté…
Je l’ai présenté en défendant l’amendement n° 159 rectifié, qui visait à supprimer l’alinéa 5 de l’article 8, relatif aux exonérations. Nous proposons d’insérer un article additionnel pour les limiter aux seuls navires relevant du RIF.
Cela étant, comme l’article 8 n’existe plus, le Sénat a, en quelque sorte, une « deuxième chance ». (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Il lui suffirait d’adopter cet amendement pour élaborer un texte cohérent. Je n’avais pas saisi d’emblée la subtilité de la démarche sénatoriale, mais celle-ci me paraît effectivement pertinente. (Nouveaux sourires et applaudissements sur les mêmes travées.) En effet, cette rédaction répond à toutes les objections que l’on pouvait faire aux autres !
Je suppose donc qu’il y aura un vote unanime sur cet amendement, ce dont je vous remercie par avance. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Daniel Raoul. Excellent !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Je vais sans doute ajouter encore à la confusion…
La commission n’ayant évidemment pas pu se prononcer sur la situation résultant des votes qui viennent d’être émis, j’émets à titre personnel un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Il n’est pas facile de suivre le déroulement de ce débat ! (Exclamations amusées.)
Je veux simplement que la compensation à l’euro près par le budget de l’État soit bien actée – c’est ce que j’ai compris des déclarations de M. le secrétaire d’État –, auquel cas le dispositif ne me posera aucune difficulté, et je suivrai l’avis de la commission. Mais encore faut-il que cela figure bien dans le compte rendu de nos débats !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, je vous confirme que le Gouvernement s’engage à compenser l’ensemble des exonérations. J’ai d’ailleurs indiqué précédemment que le Gouvernement aurait répondu favorablement à cette demande même si le vote avait été différent.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Je souhaite une clarification.
Certains amendements portant sur l’article 8 ont été adoptés, tandis que d’autres ont été rejetés, dont un par scrutin public. Mais le rejet de l’article 8 annule toutes les modifications résultant de l’adoption d’amendements. Nous sommes bien d’accord ?
M. Roland Courteau. Vous avez bien compris, mon cher collègue !
M. Charles Revet. Dans ce cas, je suivrai l’avis de la commission. Néanmoins, cela n’empêchera pas des ajustements en commission mixte paritaire. N’est-ce pas, monsieur le secrétaire d’État ? (M. le secrétaire d’État acquiesce.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Sans vouloir être désagréable, s’il y a pu y avoir un tel sentiment de confusion lors du vote sur l’article 8, c’est tout de même parce que le Gouvernement a déposé des amendements en séance, alors même que nous avions déjà commencé l’examen de l’article !
M. Rémy Pointereau. Absolument !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Nous avons dû les examiner très rapidement, lors d’une suspension de séance.
Nous avons demandé un scrutin public sur l’amendement n° 159 rectifié, dont nous souhaitions le rejet. En effet, cet amendement visait à restreindre le champ d’application du dispositif par rapport à la version proposée et adoptée par l’Assemblée nationale, version qui convenait à la commission dans son ensemble.
Il y a donc eu vote négatif par scrutin public sur un amendement et adoption à main levée d’amendements rédactionnels moins importants sur le fond.
Enfin, pour que tout soit clair, je précise que la rédaction définitive relèvera de la commission mixte paritaire, compte tenu du rejet de l’article 8.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Comme nous sommes plutôt d’accord avec l’Assemblée nationale sur le fond – la majorité sénatoriale voulait conserver le texte voté par les députés –, il ne devrait pas y avoir de problème. Cela nous permettra de revenir à la version que nous souhaitons.
M. Alain Vasselle. Tout est bien qui finit bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.
M. Jean-François Rapin. L’image qui restera de nos travaux, c’est que le Sénat rejette le net wage !
M. Ronan Dantec. Oui !
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Je ne suis pas d’accord avec M. Rapin.
Nous ne rejetons pas le net wage. Nous précisons dans quelles conditions et quels secteurs il s’applique : pour le RIF et pour les marins.
À mon sens, c’est une avancée. La semaine dernière, nous étions dans une situation de blocage. Certes, cela ne correspond pas à ce que la commission avait initialement souhaité. Mais des adaptations seront possibles en commission mixte paritaire.
Le texte proposé par le Gouvernement ouvrait justement la porte à des négociations en commission mixte paritaire…
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Didier Mandelli, rapporteur. Je souhaite apporter une simple précision.
Nous sommes très favorables au net wage. Certes, nous n’avons pas pu trouver une solution satisfaisante pour tout le monde ce soir. Mais, comme l’a rappelé M. le président de notre commission, cela aurait peut-être été le cas si nous avions pu disposer des amendements du Gouvernement avant notre réunion de ce matin…
M. Charles Revet. Cela devient une habitude de la part du Gouvernement ! C’est très regrettable !
M. Didier Mandelli, rapporteur. Cela dit, la commission mixte paritaire devrait permettre de rétablir la situation, puisque nous sommes en phase avec l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Le Gouvernement accepte les critiques de forme adressées par M. le président de la commission de l’aménagement du territoire. Mais – comment dire ? – j’ai déposé les amendements dès que j’ai été en mesure de le faire ! (Sourires.) Je pense que chacun comprendra ce que je veux dire…
Cela étant, il vaut mieux déposer les amendements tardivement que de ne pas les déposer du tout !
M. Daniel Raoul. Parfaitement !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je remercie ceux qui comprennent notre démarche.
Il y aura évidemment un travail de discussion et de rédaction en commission mixte paritaire. Cela relève du Parlement.
Simplement, compte tenu de la suppression de l’article 8, le seul amendement qui puisse faire apparaître le net wage dans le texte voté par le Sénat, c’est celui que je propose ! (M. Jean-François Rapin s’exclame.) Si vous ne l’adoptez pas, ce que l’on retiendra, c’est la disparition du net wage du texte voté par la Haute Assemblée !
Vous pouvez donc envoyer un signal, même si cela ne correspond pas à la réaction que vous souhaitiez, en adoptant cet amendement portant article additionnel. À défaut, il n’y aurait aucune référence au net wage. Le sénat enverrait ainsi le message contraire de celui que vous vouliez adresser.
Par conséquent, vous êtes presque obligés de voter l’amendement du Gouvernement, charge ensuite à la commission mixte paritaire de travailler sur une rédaction permettant de concilier les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat.
M. Jean-François Rapin. Quelle blague !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Vous le comprendrez, le groupe CRC, qui est contre le net wage, ne peut pas voter cet amendement. Nous restons fidèles à notre position.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 8.
Article 9
I. – Le titre VI du livre V de la cinquième partie du même code est ainsi modifié :
1° L’article L. 5561-1 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent titre n’est pas applicable aux navires de construction traditionnelle participant à des manifestations nautiques. » ;
c) (Supprimé)
2° (Supprimé)
2° bis (nouveau) À l’article L. 5561-2, les mots : « à l’article L. 5561-1 » sont remplacés par les mots : « aux 1° à 3° de l’article L. 5561-1 » ;
2° ter (nouveau) Au premier alinéa de l’article L. 5562-1, la référence : « à l’article L. 5561-1 » est remplacée par les références : « aux 1° à 3° de l’article L. 5561-1 » ;
3° L’article L. 5562-2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « armateur », sont insérés les mots : « , l’employeur ou la personne faisant fonction » ;
b) Le 3° est complété par les mots : « , l’employeur ou la personne faisant fonction » ;
c) Le 8° est complété par les mots : « , l’employeur ou la personne faisant fonction » ;
4° À la seconde phrase de l’article L. 5562-3, après le mot : « armateur », sont insérés les mots : « , l’employeur ou la personne faisant fonction » ;
4° bis A (nouveau) Au premier alinéa de l’article L. 5563-1, la référence : « à l’article L. 5561-1 » est remplacée par les références : « aux 1° à 3° de l’article L. 5561-1 » ;
4° bis Au premier alinéa de l’article L. 5563-2, après le mot : « armateur », sont insérés les mots : « , l’employeur » ;
5° L’article L. 5566-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « armateur », sont insérés les mots : « , l’employeur ou la personne faisant fonction » ;
b) Au 2°, la référence : « L. 5561-2 » est remplacée par la référence : « L. 5562-2 » ;
6° Au premier alinéa de l’article L. 5566-2, après le mot : « armateur », sont insérés les mots : « , l’employeur ou la personne faisant fonction » ;
7° Il est ajouté un chapitre VII ainsi rédigé :
« Chapitre VII
« Constatation des infractions
« Art. L. 5567-1. – Les infractions au présent titre sont constatées par les inspecteurs et les contrôleurs du travail, les officiers et fonctionnaires affectés dans les services exerçant des missions de contrôle dans le domaine des affaires maritimes sous l’autorité ou à la disposition du ministre chargé de la mer et les personnes mentionnées aux 1° à 4°, au 8° et au 10° de l’article L. 5222-1.
« Art. L. 5567-1-1. – Pour l’exercice des missions mentionnées à l’article L. 5567-1, les personnes mentionnées au même article sont habilitées à demander à l’employeur ou à la personne faisant fonction, ainsi qu’à toute personne employée à quelque titre que ce soit à bord d’un navire, de justifier de son identité, de son adresse et, le cas échéant, de sa qualité de gens de mer.
« Lorsqu’ils existent en vertu de la législation du pavillon du navire, le capitaine informe les représentants des gens de mer à bord du navire de la visite des personnes mentionnées à l’article L. 5567-1, afin qu’ils puissent assister à cette visite s’ils le souhaitent.
« Art. L. 5567-1-2. – Les personnes mentionnées à l’article L. 5567-1 se communiquent réciproquement tous renseignements et tous documents utiles à l’accomplissement des missions de contrôle définies au présent chapitre.
« Art L. 5567-2. – En cas de manquement aux formalités administratives prévues par le présent titre ou par les mesures prises pour son application, en cas d’obstacle aux missions des agents de contrôle ou en cas de non-présentation des documents devant être tenus à la disposition de ces agents, l’autorité maritime met en demeure l’armateur, l’employeur ou la personne faisant fonction de mettre le navire à quai dans le port qu’elle désigne dans un délai maximal de vingt-quatre heures, en vue de permettre aux services de l’État concerné de procéder aux contrôles requis. »
II (nouveau). – Au 34° de l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, la référence : « à l’article L. 5561-1 » est remplacée par les références : « aux 1° à 3° de l’article L. 5561-1 ».
III (nouveau). – À l’avant-dernier alinéa du II de l’article 31 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, la référence : « à l’article L. 5561-1 » est remplacée par les références : « aux 1° à 3° de l’article L. 5561-1 ». – (Adopté.)
Article 9 bis A (nouveau)
Après l’article L. 5571-3 du code des transports, il est inséré un article L. 5571-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 5571-4. – Outre les officiers et agents de police judiciaire, les personnes mentionnées aux 1° à 4° et aux 8° et 10° de l’article L. 5222-1 sont habilitées à constater les infractions au présent titre. » – (Adopté.)
Article 9 bis
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport portant sur les axes possibles d’adaptation du régime de protection sociale des marins dans l’objectif d’accroître tant l’attractivité du métier de marin que la compétitivité des entreprises. Ce rapport, établi par le Conseil supérieur des gens de mer, prend en compte, d’une part, l’évolution générale du système de protection sociale français et son financement et, d’autre part, les attentes et les besoins des gens de mer. Il tient compte des particularités des départements, régions et collectivités d’outre-mer. – (Adopté.)
Article 9 ter
I (nouveau). – Les 1° et 2° du I de l’article 5 ter de la présente loi sont applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
II (nouveau). – Le 1° de l’article 5 quinquies de la présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
III. – L’article 6 de la présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Mme la présidente. L’amendement n° 143 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le livre VII de la cinquième partie du code des transports est ainsi modifié :
1° L’article L. 5725-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, avant les mots : « Les articles », sont insérés les mots : « Le b du 3° de l’article L. 5511-1 et » ;
b) Au second alinéa, les mots : « Les titres Ier et III » sont remplacés par les mots : « Le titre Ier, à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, et le titre III » ;
2° L’article L. 5765-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les références : « articles L. 5511-1 à L. 5511-5, », sont insérés les mots : « à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, » et la référence : « L. 5571-3 » est remplacée par la référence : « L. 5571-4 » ;
b) Au second alinéa, après les références : « articles L. 5511-1 à L. 5511-5, », sont insérés les mots : « à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, » et la référence : « L. 5571-3 » est remplacée par la référence « L. 5571-4 » ;
3° L’article L. 5775-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les références : « articles L. 5511-1 à L. 5511-5, », sont insérés les mots : « à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, » et la référence : « L. 5571-3 » est remplacée par la référence : « L. 5571-4 » ;
b) Au second alinéa de l’article L. 5775-1, après les mots : « articles L. 5511-1 à L. 5511-5, », sont insérés les mots « à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, » et la référence : « L. 5571-3 » est remplacée par la référence : « L. 5571-4 » ;
4° L’article L. 5785-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après la référence : « L. 5511-5, », sont insérés les mots : « à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, » et la référence : « L. 5521-4 » est remplacée par la référence : « L. 5521-5 » et la référence : « L. 5571-3 » est remplacée par la référence : « L. 5571-4 » ;
b) Au second alinéa, après la référence : « L. 5511-5, », sont insérés les mots « à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, » et la référence : « L. 5571-3 » est remplacée par la référence : « L. 5571-4 » ;
5° L’article L. 5795-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après la référence : « L. 5511-5, », sont insérés les mots : « à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, » et la référence : « L. 5521-4 » est remplacée par la référence : « L. 5521-5 » et la référence : « L. 5571-3 » est remplacée par la référence : « L. 5571-4 » ;
b) Au second alinéa de l’article L. 5795-1, après les mots : « articles L. 5511-1 à L. 5511-5, », sont insérés les mots : « à l’exception du b du 3° de l’article L. 5511-1, » et la référence : « L. 5571-3 » est remplacée par la référence : « L. 5571-4 ».
II. – A. – Les articles 3, 3 bis et 3 ter A de la présente loi ne sont pas applicables à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
B. – L’article 3 ter de la présente loi n’est pas applicable en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
C. – L’article 3 quater de la présente loi n’est pas applicable à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
D. – L’article 5 bis de la présente loi, à l’exception du dernier alinéa, est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie Française, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
E. – Le dernier alinéa de l’article 5 bis de la présente loi n’est pas applicable à Mayotte.
F. – Les 1° à 3° du I de l’article 5 ter de la présente loi sont applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
G. – Le 1° de l’article 5 quinquies de la présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
H. – L’article 6 de la présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
I. – L’article 6 bis, les I et II de l’article 6 ter et l’article 6 quater de la présente loi ne sont pas applicables à Mayotte.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Il s’agit d’un amendement de coordination, pour l’application du texte en outre-mer. Vous connaissez bien cette problématique juridique quand vous adoptez des textes législatifs, mais elle n’est pas simple.
Comme vous le savez, il existe deux catégories de collectivités d’outre-mer.
Dans celles qui relèvent de l’identité législative, comme les départements et régions d’outre-mer, une mesure législative s’applique de droit commun, sauf mention expresse pour tenir compte de leur situation particulière. Je vous renvoie au cas de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Dans les collectivités relevant de la spécialité législative, aucune mesure législative ne s’applique si une mention expresse ne le précise pas : il s’agit de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie, de Wallis-et-Futuna et des Terres australes et antarctiques françaises.
Cet amendement vise ainsi à adapter les dispositions des articles 3 à 9 bis de la proposition de loi aux collectivités d’outre-mer, article par article, collectivité par collectivité, en fonction des distinctions que je rappelais, afin de déterminer dans quelle mesure le texte s’y appliquera.
Vous vous en doutez, c’est le ministère chargé de ces questions qui est à l’initiative de cet amendement de cohérence.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Nous voilà revenus dans une mer plus calme, et dans des eaux moins troubles. (Sourires.)
Il s’agit simplement de préciser les modalités d’application de la proposition de loi outre-mer. L’avis de la commission est évidemment favorable.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 9 ter est ainsi rédigé.
Article additionnel après l’article 9 ter
Mme la présidente. L’amendement n° 155, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 9 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les pensions de retraite des marins liquidées avant le 19 octobre 1999 peuvent être révisées à la demande des intéressés, déposée après la date d’entrée en vigueur de la présente loi, et à compter de cette demande, afin de bénéficier des dispositions du 1° de l’article L. 5552-17 du code des transports relatives à la prise en compte, pour le double de leur durée, des périodes de services militaires en période de guerre, au titre de leur participation à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc, selon les modalités en vigueur à la date de promulgation de la présente loi.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Cet amendement permet de répondre positivement à de nombreux courriers de sénateurs de tous les groupes.
Il s’agit d’étendre aux marins du commerce et de la pêche les dispositions de l’article 132 de la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016. Cela concerne le bénéfice de la double campagne aux marins ayant été soumis au feu pendant la guerre d’Algérie. Ce sont des situations que tous les élus connaissent bien.
Actuellement, les marins sont exclus du dispositif. Beaucoup d’entre vous m’ont régulièrement écrit à ce sujet.
M. Michel Le Scouarnec, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Exactement !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. L’arbitrage du Gouvernement permet de faire bénéficier les marins de cette double campagne. (Très bien ! sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. On peut difficilement s’opposer à l’insertion d’une disposition favorable aux marins dans un texte sur le droit maritime, d’autant moins que de nombreux collègues ont effectivement sollicité M. le secrétaire d’État à ce sujet.
La commission, qui a eu connaissance de cet amendement hier soir seulement et qui l’a examiné rapidement ce matin, a émis un avis de sagesse, plutôt favorable. (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Je compte voter en faveur de cet amendement, mais je souhaiterais avoir une précision.
Monsieur le secrétaire d’État, il est indiqué dans l’objet de l’amendement que le dispositif s’applique aux militaires ayant participé à « des actions de feu et de combat en Afrique du Nord entre 1952 et 1962 ». Or il y a eu des militaires français en Afrique du Nord jusqu’en 1964. Il paraîtrait donc normal de les intégrer également ; ils ont accompli leur service militaire dans les mêmes conditions.
Je souhaiterais que cela apparaisse explicitement, car le compte rendu de nos débats permet d’éclairer les personnes chargées d’appliquer la loi quand il y a des interrogations.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Cet amendement ne vise à créer aucune spécificité. Il s’agit d’étendre un dispositif de droit commun,…
M. Charles Revet. Ce qui est très bien !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. … afin de réparer un oubli.
Cela ne vous aura probablement pas échappé, j’ai parlé de double campagne pour les marins soumis au feu pendant la guerre d’Algérie. Cette formulation ne s’applique pas spécialement aux marins ; c’est celle qui est employée dans l’ensemble des textes. Il n’y a ni restriction ni extension.
Nous réparons ce qui pouvait apparaître comme une injustice pour les marins et qui a fait l’objet de tant de courriers parlementaires.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Je souhaite réagir à l’exposé des motifs de cet amendement, qui contient cette mention : « J’ajoute que cet amendement ne préjuge en rien d’éventuelles dispositions analogues qui pourraient être introduites pour les autres régimes spéciaux par des dispositions législatives ultérieures. » On introduit ainsi une disposition qui aura inévitablement des incidences financières pour la branche vieillesse de la sécurité sociale et qui pourrait être étendue à d’autres régimes spéciaux, non précisés ici.
Cela ne s’intègre pas du tout dans la direction que nous avions prise, à savoir l’harmonisation des régimes spéciaux de retraites sur le modèle du régime général. Il m’aurait semblé bien plus pertinent d’examiner cet amendement en loi de financement de la sécurité sociale, ce qui aurait permis d’estimer ses conséquences économiques et financières.
Rien n’est plus regrettable que de voir apparaître des mesures d’exonérations lors de l’examen d’un texte spécifique et d’en mesurer ensuite les conséquences en loi de financement de la sécurité sociale en s’arrachant les cheveux pour savoir comment équilibrer le dispositif !
Je tenais à faire cette remarque de forme, mais je ne m’opposerai pas à cet amendement sur le fond.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Il est toujours désarmant de constater que les bonnes nouvelles que l’on apporte peuvent se transformer en difficultés… (Sourires.) Dont acte !
En l’occurrence, il s’agit simplement d’une extension d’un dispositif de droit commun.
M. le président de la commission me faisait en aparté une observation, justifiée celle-là, sur le caractère singulier de la rédaction de l’exposé des motifs, qui commence par les mots : « J’ajoute que ». C’est effectivement une originalité ! (Nouveaux sourires.)
Monsieur Vasselle, il y a effectivement un enjeu financier. Quand on discute avec les ministères budgétaires d’un dispositif entraînant un coût, l’objectif est d’éviter toute surinterprétation des conséquences.
Une telle précision constitue donc un verrou, peut-être inutile, pour épargner toute mauvaise surprise à ceux qui ont accepté les financements nécessaires, ce dont je les remercie. Cela permet au moins d’éviter quelques inquiétudes.
Encore une fois, la mesure proposée est une bonne nouvelle, attendue depuis longtemps !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 9 ter.
Chapitre IV
Renforcer l’attractivité du pavillon français
Article 10
(Non modifié)
Le chapitre Ier du titre Ier du livre VI de la cinquième partie du code des transports est ainsi modifié :
1° L’article L. 5611-2 est ainsi modifié :
a) Après la seconde occurrence du mot : « navires », la fin du 1° est ainsi rédigée : « à passagers mentionnés au 1° de l’article L. 5611-3 ; »
b) Au 2°, le nombre : « 24 » est remplacé par le nombre : « 15 » ;
c) Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :
« 3° Les navires de pêche professionnelle armés à la grande pêche, classés en première catégorie et travaillant dans des zones définies par voie réglementaire. » ;
2° L’article L. 5611-3 est ainsi modifié :
a et b) (Supprimés)
c) Le 4° est complété par les mots : « non mentionnés au 3° de l’article L. 5611-2 et par les mesures réglementaires prises pour son application » ;
3° et 4° (Supprimés)
Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. L’article 10 prévoit d’ouvrir le RIF à la grande pêche et à la plaisance professionnelle. Nous sommes totalement opposés à cette mesure de dumping social et fiscal.
Nous avons entendu les justifications que le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale et vous-même, M. le secrétaire d'État, avez apportées à cet élargissement, notamment la meilleure protection apportée aux marins des pays tiers. Toutefois, je dois vous dire que nous n’avons pas été convaincus.
En effet, nous considérons que le RIF mis en place en 2005 est un « pavillon de complaisance », comme l’a qualifié la Fédération internationale des ouvriers du transport.
Loin d’être une question simplement philosophique, comme l’a affirmé le rapporteur à l’Assemblée nationale, remettre en cause ce pavillon de seconde zone, c’est agir pour l’emploi et refuser cette course au moins-disant social imposée par la mondialisation libérale. Nous considérons que la responsabilité de l’État français n’est pas de s’engager dans cette déréglementation du droit social.
Nous proposons donc la suppression de l’article 10.
Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que les organisations syndicales proposent que la France impulse une initiative internationale pour lutter contre les pavillons de complaisance. C’était, du reste, une proposition du Grenelle de la mer. Elles demandent également l’instauration de mesures de protection des activités du cabotage international en Europe, pour sortir de la concurrence entre marins des États membres et des pays tiers. Cela suppose de créer un pavillon européen fondé sur les normes sociales favorables et de l’appliquer aux armateurs effectuant du cabotage international entre ports européens.
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous dire si vous allez porter cette exigence devant les institutions européennes ?
Enfin, par rapport à la situation particulière du cabotage maritime national, il faudra aller au-delà des dispositions dites de « l’État d’accueil » et imposer le premier registre. En tout état de cause, c’est ce que nous avons toujours défendu. Nous espérons que vous vous engagerez en ce sens.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 10, qui étend le champ de l’immatriculation au RIF.
Comme le soulignait notre collègue Charles Revet dans son dernier avis budgétaire, la mise en place du RIF, en 2005, a permis de stabiliser la flotte française affectée au transport en nombre de navires et en emplois embarqués pour les marins français. Elle a également contribué à la modernisation et au rajeunissement du pavillon français.
Pour autant, avec la crise, depuis 2008, la situation s’est aggravée et la concurrence est désormais exacerbée au sein même de l’Union européenne.
Dans son rapport Osons la mer, le député Arnaud Leroy a préconisé d’étendre le RIF.
L’élargissement est nécessaire. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 133, présenté par M. Mandelli, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
à passagers
par les mots :
transporteurs de passagers
La parole est à M. le rapporteur.
M. Didier Mandelli, rapporteur. Il s'agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 29 rectifié est présenté par MM. Revet, Mayet, César, Vaspart, P. Leroy et Houel, Mme Lamure et MM. Trillard et D. Laurent.
L'amendement n° 117 est présenté par M. Bignon.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 10
Rétablir le 3° dans la rédaction suivante :
3° Au début de l’article L. 5611-4, il est inséré le mot : « Seuls ».
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :
... – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
… – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Charles Revet, pour présenter l’amendement n° 29 rectifié.
M. Charles Revet. L’article L. 5561-1 du code des transports détaille les navires concernés par les dispositions dites de « l’État d’accueil ». Il s’agit des navires :
« 1° Ayant accès au cabotage maritime national et assurant un service de cabotage continental et de croisière d’une jauge brute de moins de 650 ;
« 2° Ayant accès au cabotage maritime national et assurant un service de cabotage avec les îles, à l'exception des navires de transport de marchandises d’une jauge brute supérieure à 650 lorsque le voyage concerné suit ou précède un voyage à destination d'un autre État ou à partir d'un autre État ;
« 3° Utilisés pour fournir une prestation de service réalisée à titre principal dans les eaux territoriales ou intérieures françaises ».
Il en résulte que les navires de fret français de plus de 650 tonneaux de jauge brute assurant un cabotage national vers les îles ou inter-îles sans opérer une escale dans un autre État doivent respecter les dispositions sociales de droit commun français, en plus des dispositions sociales prévues par la loi pour les navires immatriculés au RIF.
Il convient de rétablir l’unicité du régime juridique applicable au RIF, sauf à considérer que les dispositions mises en place par la loi de 2005 sont moins-disantes ou inadaptées. Il faut le réaffirmer, les registres français ne sont pas des pavillons de complaisance ; en tant que tels, ils satisfont les normes sociales françaises.
Ainsi, il convient de préciser que « seuls » les livres Ier, II, IV et les titres Ier et VII du livre V sont applicables aux navires immatriculés au RIF, à l’exclusion de toute autre disposition.
Mme la présidente. L’amendement n° 117 n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 29 rectifié ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Cet amendement vise à exonérer les navires immatriculés au RIF du dispositif de l’État d’accueil.
En application de la législation européenne, il est possible d’embaucher des marins étrangers soumis aux réglementations de leur propre pays. Le dispositif de l’État d’accueil prévoit que douze points de la législation sociale française s’appliquent aux navires ayant accès au cabotage maritime national.
Si l’on supprime ce dispositif pour les navires immatriculés au RIF, on crée une distorsion entre les marins étrangers à bord de navires sous RIF, pour lesquels aucun minimum social français ne s’appliquerait, et les navires étrangers ayant accès au cabotage maritime national, qui, eux, seraient soumis aux douze points de la législation française.
Cet amendement est de nature à vider largement de son sens le dispositif de l’État d’accueil. J’en sollicite donc le retrait, faute de quoi l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Des amendements identiques ont été présentés et rejetés à l’Assemblée nationale.
Il faut comprendre quelle serait la conséquence de l’adoption de cet amendement. Comme M. le rapporteur vient de l’indiquer très justement, les marins étrangers du RIF ne bénéficieraient pas de certaines dispositions lorsque le navire agit dans les conditions du dispositif de l’État d’accueil, comme le salaire minimum, les conventions collectives du secteur, la couverture du risque santé ou la vieillesse, alors que l’on imposerait ces dispositions, qui sont le fondement même du dispositif de l’État d’accueil, aux marins des navires étrangers. Cela poserait un problème de libre concurrence.
D’ailleurs, je le dis très clairement, cet amendement, qui est de nature à créer des distorsions, ne me paraît pas constitutionnel. Son adoption poserait, me semble-t-il, beaucoup de difficultés.
J’en sollicite donc également le retrait. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. Charles Revet. Je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 29 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 10, modifié.
(L'article 10 est adopté.)
Article 10 bis
(Non modifié)
L’article L. 5612-3 du code des transports est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « les », il est inséré le mot : « marins » ;
2° Après le deuxième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Le respect de l’obligation mentionnée aux deux premiers alinéas peut, à la demande de l’armateur, s’apprécier non par navire, mais à l’échelle de l’ensemble des navires immatriculés au registre international français exploités par cet armateur.
« Le respect de l’obligation mentionnée aux deux premiers alinéas est vérifié chaque année. »
Mme la présidente. L'amendement n° 8, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Aujourd’hui, selon la législation en vigueur, l’équipage d’un navire doit comporter une « proportion minimale de ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ».
Cette proportion minimale se justifie par le fait qu’elle constitue l’une des conditions permettant d’assurer l’existence du « lien substantiel entre l’État et le navire », permettant au navire de battre pavillon français, conformément à la convention de Montego Bay.
Les règles relatives à cette proportion minimale sont fixées avec plus de précision pour les navires immatriculés au RIF, pour lesquels la proportion minimale est fixée à 35 %. Pour les navires qui ne bénéficient pas ou plus du dispositif d’aide fiscale attribuée au titre de leur acquisition, elle passe à 25 %.
L’article 10 bis prévoit, pour les navires immatriculés au RIF, que ces obligations soient appréciées à l’échelle de la flotte, et non à celle du navire.
Pour notre part, nous considérons que cette disposition fait naître des risques importants en termes de sécurité. En effet, prévoir par navire un minimum de marins communautaires permet de garantir un niveau de formation et de qualification compatible avec les exigences de sécurité des navires et des personnels.
Pour cette raison, nous proposons la suppression de l’article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 10 bis, qui simplifie les modalités de calcul de la proportion de marins communautaires pour les armateurs. Le calcul s’effectuera désormais à l’échelle non plus du navire, mais de l’ensemble de la flotte immatriculée au RIF. Je ne pense pas qu’une telle suppression soit opportune.
Avec cet article, tout en gardant leur régime géré par l’Établissement national des invalides de la marine, ou régime ENIM, et le régime d’exonération des charges sociales, les marins français pourront être affectés sur toute la flotte d’un même armateur, et ne seront plus liés à un seul navire, comme c’était le cas jusqu’à présent.
Cette disposition est essentielle pour apporter plus de souplesse de gestion aux entreprises et pour améliorer la compétitivité du secteur.
La commission est donc défavorable à l’amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
J’en profite pour répondre à la question que Mme Didier a posée tout à l’heure.
À l’occasion d’une manifestation sur la mer, Ségolène Royal et moi-même avons annoncé que nous allions lancer une initiative auprès de la Commission européenne sur la question du dumping social. D’ailleurs, cette question, sur le plan européen, déborde le cadre du secteur maritime : elle se pose notamment dans les transports routiers, de manière très préoccupante.
Il sera nécessaire de rassembler une majorité de pays de l’Europe à vingt-huit autour de cette démarche. Certes, c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais les seules batailles perdues d’avance sont celles qu’on ne livre pas !
Conformément à ce que nous avions annoncé, le Gouvernement a engagé cette procédure, de manière à essayer d’atteindre notre objectif : avancer sur le chemin de l’harmonisation sociale. C’est indispensable pour la construction de l’Europe.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10 bis.
(L'article 10 bis est adopté.)
Article 11
(Suppression maintenue)
Mme la présidente. L'amendement n° 110 rectifié, présenté par Mme Des Esgaulx et MM. D. Laurent, César, Commeinhes, Mouiller et P. Leroy, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, un rapport portant sur l’évaluation de la mise en œuvre des récentes mesures concernant l’adaptation de la réglementation concernant les navires conchylicoles.
La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cet amendement vise à rétablir l’article 11.
L’évaluation de la mise en œuvre de la réglementation concernant les navires conchylicoles et la simplification des textes réglementaires applicables aux navires et autres bâtiments de mer devraient, selon moi, constituer des priorités dans le cadre de la présente proposition de loi.
Je veux insister sur ce dossier. Avec les années, les contraintes de sécurité imposées aux navires se sont multipliées, entraînant des investissements de plus en plus importants, disproportionnés par rapport aux risques.
Sur ce plan, les navires conchylicoles méritent une attention particulière. Je les connais bien, car ils sont nombreux dans le bassin d’Arcachon.
En fait, l’application des règles qui leur sont applicables est laissée à la subjectivité des inspecteurs des affaires maritimes. Cela entraîne des différences de traitement importantes. Depuis plusieurs années, nous demandons l’établissement d’une grille d’audit, à l’instar de celle qui existe pour les contrôles sanitaires. Rien ne justifie qu’une telle grille n’existe pas. Elle permettrait de définir un cadre cohérent et d’évaluer les mesures.
À cet égard, cet amendement me semble véritablement aller dans le bon sens. Il participe d’une logique d’évaluation des politiques publiques pour ce qui concerne les obligations de sécurité imposées aux navires.
Monsieur le rapporteur, je sais que la commission ne s’y est pas montrée particulièrement favorable. Je me permets véritablement d’insister sur la pertinence de cet amendement.
À cet égard, je regrette que les représentants du Comité national de la conchyliculture, le CNC, organisme tout à fait sérieux – M. le secrétaire d'État le connaît parfaitement –, n’aient pas été entendus. Ils auraient su, j’en suis certaine, vous démontrer qu’une attention particulière doit être portée aux navires, notamment conchylicoles.
On ne peut vraiment pas s’en tenir à la situation actuelle. Je maintiendrai cet amendement même si la commission et le Gouvernement se prononcent contre.
M. Philippe Mouiller. Bravo !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Il ne nous semble pas opportun d’alourdir le texte avec de nouvelles demandes de rapport. Rien n’empêche le Gouvernement de dresser un bilan sur ce sujet. Peut-être M. le secrétaire d'État pourra-t-il nous fournir dès à présent des éléments à cet égard…
En tout état de cause, la commission sollicite le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je veux juste rappeler que les navires conchylicoles relevaient jusqu’en 2011 des référentiels techniques applicables aux navires de pêche, à la demande de la profession, et avec sa participation.
Le gouvernement de l’époque a rédigé un référentiel de sécurité maritime pour les navires conchylicoles, suite à une démarche de la profession, qui ne voulait pas qu’on lui applique les règles définies pour les navires de pêche. Ce référentiel adapté est en vigueur depuis 2011.
Comme vous l’avez justement rappelé, madame la sénatrice, il existe une forme de gouvernance, une démarche globale de la profession conforme, me semble-t-il, à l’esprit de votre demande, sur les mesures de simplification. Nous avons constitué un groupe de travail qui comprend des professionnels de la pêche, mais aussi des professionnels de la conchyliculture. Il se réunit régulièrement pour proposer et examiner différentes mesures de simplification. C’est le cadre évident pour l’évaluation que vous souhaitez.
Nous sommes ouverts à ce que ce travail avance. Mais, j’y insiste, il me paraît beaucoup plus adapté et constructif d’agir dans le cadre du groupe de travail, qui a d'ores et déjà commencé à travailler sur ces questions et a défini une méthode, que de passer par un rapport au Gouvernement.
Par conséquent, tout en partageant l’idée qu’il faut simplifier au maximum, le Gouvernement sollicite le retrait de votre amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je ne retirerai évidemment pas cet amendement, les explications de M. le secrétaire d'État me laissant penser qu’il va vraiment dans le bon sens. C’est clair et net !
Cependant, vous semblez souhaiter que l’évaluation que je préconise soit réalisée dans le cadre du groupe de travail.
La profession a vraiment besoin de signaux, particulièrement à bord, où les choses sont extrêmement difficiles.
Face à la pêche, la conchyliculture, c’est tout petit : c’est un peu David contre Goliath !
Or, sur le plan européen, l’acception que l’on retient de la pêche est très extensive. Elle s’étend à la conchyliculture, alors que l’élevage de coquillages n’a rien à voir avec le reste de la pêche.
Mes chers collègues, nous devons véritablement tenir compte de cette spécificité.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Le Scouarnec, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Je veux juste préciser que MM. Philippe Maraval, directeur général du CNC, et Charles-Louis Ponchy Pommeret, juriste auprès du comité, ont été auditionnés par la commission des affaires économiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Monsieur le secrétaire, il va tout de même falloir se poser des questions. Alors que notre pays dispose aujourd’hui du premier domaine maritime mondial, devant les États-Unis, nous importons 85 % des poissons et crustacés consommés en France !
Aujourd’hui, du fait des normes européennes, pour construire un nouveau bateau, il faut en détruire un. Les jeunes qui veulent s’installer n’ont souvent pas les moyens nécessaires.
Il y a des problèmes dans tous les domaines : aquaculture, conchyliculture… On ne peut pas continuer comme cela ! Il est temps d’adresser un signe aux professionnels et de faire part de nos inquiétudes !
Je voterai donc l’amendement de Mme Des Esgaulx.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je soutiendrai cet amendement. Je peux témoigner de son importance. J’ai rencontré les acteurs concernés, pour qui le dépôt de cette proposition de loi a représenté une lueur d’espoir.
J’entends les arguments de la commission et du Gouvernement, mais je pense que l’adoption de cet amendement serait un message important. Cet engagement, qui n’aurait pas d’incidence majeure en termes de coût, donnerait de la lisibilité et, surtout, un calendrier à toute une profession.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 110 rectifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
Mme la présidente. En conséquence, l'article 11 demeure supprimé.
Article 12
Après l’article L. 321-3 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 321-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 321-3-1. – Par dérogation aux dispositions des articles L. 324-1 et L. 324-2, il peut être accordé aux exploitants de navires de commerce transporteurs de passagers sous pavillon français l’autorisation temporaire d’ouvrir au public des locaux spéciaux, distincts et séparés où sont pratiqués certains jeux de hasard mécanisés dans des conditions fixées par décret.
« L’autorisation d’exploiter les jeux de hasard mécanisés visés au premier alinéa est accordée par arrêté du ministre de l’intérieur par navire, à l’armateur exploitant le navire.
« L’arrêté fixe la durée de l’autorisation. Il détermine la nature et le nombre des jeux de hasard mécanisés autorisés, leur fonctionnement, les missions de surveillance et de contrôle, les conditions d’admission dans les salles de jeux et leurs horaires d’ouverture et de fermeture. L’autorisation peut être révoquée par le ministre de l’intérieur, en cas d’inobservation des clauses de l’arrêté.
« Les jeux de hasard mécanisés ne peuvent être utilisés qu’en dehors des eaux territoriales françaises par les passagers munis d’un titre de transport ou d’un titre de croisière. Le capitaine et l’officier chargé de sa suppléance sont garants du bon ordre, de la sûreté et de la sécurité publiques des espaces qui accueillent ces jeux de hasard mécanisés. »
Mme la présidente. L'amendement n° 151, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article L. 321-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :
« Art. L. 321-3. I. – Par dérogation aux articles L. 324-1 et L. 324-2, il peut être accordé aux casinos installés à bord des navires de commerce transporteurs de passagers battant pavillon français, quel que soit leur registre d'immatriculation, l'autorisation temporaire d'ouvrir au public des locaux spéciaux, distincts et séparés où sont pratiqués certains jeux de hasard dans les conditions fixées au présent chapitre.
« L'autorisation d'exploiter les jeux de hasard dans les casinos mentionnés au premier alinéa est accordée par arrêté du ministre de l'intérieur à une personne morale qualifiée en matière d'exploitation de jeux de hasard ayant passé une convention avec l'armateur conforme à une convention type approuvée par décret en Conseil d'État.
« L'arrêté d’autorisation de jeux fixe la durée de l'autorisation. Il détermine la nature des jeux de hasard autorisés, leur fonctionnement, les missions de surveillance et de contrôle, les conditions d'admission dans les salles de jeux et leurs horaires d'ouverture et de fermeture. L'autorisation peut être révoquée par le ministre de l'intérieur, en cas d'inobservation des clauses de l'arrêté ou de la convention passée avec l'armateur.
« II. – Dès lors que le navire assure des trajets dans le cadre d’une ligne régulière intracommunautaire, les jeux exploités peuvent ne comprendre que les appareils de jeux mentionnés à l’article L. 321-5.
« Le nombre maximum d’appareils de jeux exploités dans ces conditions ne peut excéder quinze par navire.
« Par dérogation à l’article L. 321-4, la personne morale qualifiée n’exploitant que des appareils de jeux mentionnés à l’article L. 321-5 doit désigner, d’une part, des personnels chargés d’assurer l’installation, l’entretien et la maintenance du matériel et, d’autre part, des caissiers.
« Ces personnels doivent être français ou ressortissants d'un des États membres de l'Union européenne ou d'un des autres États parties à l'accord sur l'Espace économique européen, majeurs, jouissant de leurs droits civiques et politiques. Ils sont agréés par le ministre de l'intérieur.
« En aucun cas, la personne morale qualifiée ne peut se substituer un fermier de jeux.
« III. – Les locaux mentionnés au I ne peuvent être ouverts que :
« 1° Hors des limites administratives des ports maritimes, pour les navires de commerce transporteurs de passagers assurant des lignes régulières intracommunautaires ;
« 2° Dans les eaux internationales, pour les autres navires.
« Ils ne sont accessibles qu'aux passagers majeurs, titulaires d'un titre de croisière ou d’un titre de transport.
« Dans l'enceinte du casino, le capitaine et l'officier chargé de sa suppléance sont garants du bon ordre, de la sûreté et de la sécurité publiques. »
II. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Au 9° de l’article L. 561-2, la référence : « de l’article L. 321-1 » est remplacée par les mots : « des articles L. 321-1 et L. 321-3, sous réserve si nécessaire de l’application du troisième alinéa du II de l’article L. 321-3 » ;
2° Après le 2° du I de l’article L. 755-13, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Au 9° de l’article L. 561-2, la référence à l’article L. 321-3 du code de la sécurité intérieure est remplacée par la référence à l’article L. 344-4 du code de la sécurité intérieure ; ».
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Il est de notre responsabilité d’encadrer et de maîtriser l’économie du jeu. Certes, c’est sujet complexe, d’un point vue tant éthique qu’économique.
Nous proposons, tout en respectant l’économie générale du dispositif, d’ajuster le régime d’encadrement des casinos à bord des navires qui résulte des travaux de la commission.
Il s’agit de permettre à tout navire battant pavillon français d’installer un casino à bord, dans le respect de la réglementation applicable aux jeux d’argent et de hasard, mais aussi des dispositions du code monétaire et financier relatives à la lutte contre le blanchiment.
Afin d’éviter des ruptures d’égalité avec les casinos « terrestres », nous souhaitons préciser les conditions d’exploitation des jeux. Un casino installé sur un navire ne pourra pas être ouvert au public lorsque le navire sera à quai dans un port.
Seuls les casinos installés à bord de navires assurant une traversée dans le cadre d’une ligne régulière intracommunautaire pourront exploiter des machines à sous sans exploiter, par ailleurs, des tables de jeu. Toutefois, le nombre de machines à sous ainsi exploitées ne pourra pas être supérieur à quinze par navire.
Ces dispositions permettent de répondre au besoin des différents types d’activités de croisière ou de liaisons intracommunautaires. Les travaux réglementaires nécessaires à la bonne mise en œuvre du dispositif seront menés en concertation avec les entreprises concernées, afin de concilier les objectifs d'ordre public et les contraintes pratiques d’un exercice à bord d’un navire.
Cet amendement tend donc à répondre aux objectifs de votre commission tout en assurant une bonne insertion du dispositif dans le droit en vigueur.
La rédaction proposée est plus complète et plus souple. Elle permet non seulement de traiter la question des casinos à bord des navires de croisière, mais aussi d’autoriser l’exploitation par une société spécialisée par convention avec l’armateur. Le texte de la commission, qui oblige l’armateur à exploiter lui-même les machines à sous, ne correspond pas à la volonté des compagnies concernées.
Le Gouvernement s’est attelé à la tâche en conduisant une réflexion interministérielle ; les jeux relèvent de la compétence du ministère de l’intérieur, mais cela concerne aussi Bercy. Le texte que nous vous proposons me semble équilibré et juridiquement bien conçu. Je souhaite que vous puissiez vous rallier à cette rédaction.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 153 rectifié, présenté par M. Capo-Canellas, Mme Billon et M. Canevet, est ainsi libellé :
Amendement n° 151
I. – Alinéa 3
Après les mots :
registre d'immatriculation,
insérer les mots :
et aux casinos installés dans des locaux destinés à l'accueil des passagers titulaires d'un titre de transport pour un service de transport intracommunautaire autre que maritime et à destination d'un État membre extérieur à l'espace Schengen,
II. – Alinéa 6
Remplacer les mots :
Dès lors que le navire assure des trajets
par les mots :
Dès lors qu'il s'agit d'un service de transport
III. – Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
« III. – Pour les navires de commerce transporteurs de passagers battant pavillon français, quel que soit leur registre d'immatriculation, les locaux spéciaux mentionnés au I ne peuvent être ouverts que :
IV. – Après l'alinéa 15
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
« IV. – Pour les terminaux destinés à l'accueil des passagers titulaires d'un titre de transport pour un service de transport intracommunautaire autre que maritime et à destination d'un État membre extérieur à l'espace Schengen, les locaux spéciaux mentionnés au I ne peuvent être ouverts que dans des locaux qui ne sont accessibles qu’après avoir franchi le contrôle frontalier.
« Ils ne sont accessibles qu'aux passagers majeurs, titulaires d'un titre de croisière ou d’un titre de transport. »
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Ce sous-amendement vise à éviter une distorsion de concurrence entre les navires et les autres modes de transport, notamment Eurotunnel.
Il s’agit donc d’étendre le dispositif aux casinos installés dans les locaux destinés à l’accueil de passagers titulaires d’un titre de transport pour un service de transport intracommunautaire autre que maritime et à destination d’un État membre extérieur à l’espace Schengen.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. L’amendement n° 151 du Gouvernement, qui tend à réécrire l’article 12 relatif aux jeux de hasard, revient sur la rédaction proposée par la commission.
Mais cette réécriture tient compte des ajustements que nous souhaitions. Elle ne remet pas en cause le fait que les ferries puissent installer uniquement des jeux mécanisés, et non des tables, conformément au souhait des compagnies. Par ailleurs, elle permet une meilleure articulation avec le droit existant pour les casinos terrestres.
La commission émet donc un avis favorable sur l’amendement n° 151, aboutissement d’une coconstruction entre le Gouvernement, les professionnels et le Parlement.
La commission n’a pas pu examiner le sous-amendement n° 153 rectifié, qui vise à étendre le régime prévu dans l’amendement du Gouvernement aux casinos installés dans les locaux destinés à l’accueil des passagers pour un service de transport autre que maritime, intracommunautaire et à destination d’un État membre extérieur à l’espace Schengen. Très concrètement, il peut s’agir d’opérateurs transmanche, comme Eurotunnel, ou d’aéroports.
J’avoue être assez réservé sur la pertinence d’une telle extension. Nous examinons un texte sur la mer. Il s’agit de prévoir le régime applicable aux jeux de hasard embarqués, et non au sol.
Par ailleurs, je tiens à souligner que l’amendement du Gouvernement fait l’objet d’un consensus avec les professionnels du secteur.
La commission sollicite donc le retrait de ce sous-amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 153 rectifié ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je remercie la commission d’avoir émis un avis favorable sur l’amendement du Gouvernement.
Je souhaite que chacun mesure bien la portée du dispositif proposé par Mme Billon. Le sous-amendement n° 153 rectifié, outre qu’il s’agit évidemment d’un cavalier, vise à remettre en cause l’ensemble de la législation applicable aux casinos. Son adoption rendrait possible l’ouverture de casinos dans des communes ne relevant pas des dispositions de l’article L. 321-1 du code de la sécurité intérieure, par exemple aux abords des aéroports.
J’espère, compte tenu des explications de M. le rapporteur, que chacun est convaincu de la nécessité de ne pas voter ce sous-amendement.
L’avis du Gouvernement est très défavorable.
Mme la présidente. Madame Billon, le sous-amendement n° 153 rectifié est-il maintenu ?
Mme Annick Billon. Non, je le retire, madame la présidente. J’avais anticipé une telle réponse ! (Sourires.)
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 153 rectifié est retiré.
La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote sur l’amendement n° 151.
M. Charles Revet. Je voterai cet amendement.
En tant que président du conseil général de Seine-Maritime, j’ai eu à recréer une liaison entre Dieppe et Newhaven. M. le président de la commission connaît bien ce dossier.
Nous avons dû acheter le port de Newhaven, dont le département est toujours propriétaire. J’ai pu mesurer la différence entre les ferries français et anglais. La présence de machines à sous à bord des seconds leur permettait de disposer d’une clientèle supérieure.
Du fait de leur taille, les navires de croisière peuvent accueillir des tables de jeu et de machines à sous. Sur les ferries, ce n’est pas possible. Le mot « casino » ne me paraît pas adapté.
J’espère que le dispositif proposé ne sera pas trop compliqué à mettre en œuvre. Il est important, pour l’équilibre financier des ferries, de disposer de tels équipements.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 12 est ainsi rédigé.
Chapitre IV bis
Favoriser l’essor du nautisme et des loisirs de plage
Section 1
Encourager le développement du secteur de la plaisance
Article 12 bis A
(Non modifié)
La section 1 du chapitre Ier du titre IV du livre II de la cinquième partie du code des transports est complétée par un article L. 5241-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 5241-1-1. – Quel que soit leur pavillon, les navires de plaisance et les véhicules nautiques à moteur appartenant à des personnes physiques ou morales ayant leur résidence principale ou leur siège social en France ainsi que les navires de plaisance et les véhicules nautiques à moteur dont ces personnes ont la jouissance sont soumis, dans les eaux territoriales françaises, à l’ensemble des règles relatives aux titres de conduite des navires et au matériel d’armement et de sécurité applicables à bord des navires de plaisance et des véhicules nautiques à moteur battant pavillon français. » – (Adopté.)
Article 12 bis B
(Non modifié)
L’article L. 5546-1-6 du code des transports est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « armateur », sont insérés les mots : « ou d’un particulier propriétaire ou locataire d’un navire de plaisance, pour travailler à bord d’un navire, » ;
2° À la seconde phrase du second alinéa, après la première occurrence du mot : « français », sont insérés les mots : « , des navires de plaisance non immatriculés au registre international français ». – (Adopté.)
Article 12 bis C
La loi du 31 décembre 1903 relative à la vente de certains objets abandonnés est ainsi modifiée :
1° Au premier alinéa de l’article 1er, après le mot : « nettoyés », sont insérés les mots : « et les navires de plaisance déposés chez un professionnel pour être réparés, entretenus, conservés ou gardés, les navires de plaisance hors d’usage et abandonnés dans les ports de plaisance et les bases nautiques » ;
2° Après le troisième alinéa de l’article 6 bis, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Aux navires de plaisance déposés dans un chantier ou un atelier professionnel de réparation navale, d’entretien ou de gardiennage ; ».
Mme la présidente. L'amendement n° 99 rectifié, présenté par MM. Rapin et Masclet, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Au premier alinéa de l’article 1er, après le mot : « nettoyés », sont insérés les mots : « et les navires et bateaux de plaisance déposés chez un professionnel pour être réparés, entretenus, conservés, ou gardés » ;
La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Cet amendement vise à réécrire le texte issu des travaux de la commission.
En effet, dans un souci de bien faire, la commission avait, à ma demande, souhaité instaurer un dispositif permettant, par enchères, la déconstruction des navires abandonnés.
Cela reposait sur un texte de 1903. Or mes discussions avec la direction départementale des territoires et de la mer m’ont permis de découvrir qu’un texte de 2013 ouvrait déjà cette possibilité. Il est mal connu de certains agents de l’État et peu appliqué sur les territoires.
Cet amendement vise donc à une clarification juridique, afin d’éviter tout conflit entre les deux textes concernés.
Mme la présidente. L'amendement n° 76 rectifié bis, présenté par MM. Rapin, Nègre et Masclet, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° L’article 3 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« En cas de carence d’enchères, l’officier public a qualité à remettre directement le bateau à une des sociétés de déconstruction agréées par un éco-organisme en vue de sa déconstruction ou de son démantèlement. »
La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Je retire l’amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 76 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 102 rectifié, présenté par MM. Rapin et Masclet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° L’article 3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le navire de plaisance n’est pas susceptible d’être vendu, ou en cas de carence d’enchères, le juge peut le déclarer abandonné. » ;
La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Il s’agit de permettre au juge de déclarer un navire abandonné en cas de carence d’enchères.
Mme la présidente. L'amendement n° 100 rectifié, présenté par MM. Rapin et Masclet, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
navires
insérer les mots :
et bateaux
La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Cet amendement tend à élargir le dispositif aux bateaux destinés à la navigation fluviale.
Mme la présidente. L'amendement n° 101 rectifié, présenté par MM. Rapin et Masclet, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
dans un chantier
insérer les mots :
, un terre-plein
La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Par cet amendement, je propose que le dispositif puisse également s’appliquer aux navires ou bateaux sur des terre-pleins ou des ports à sec.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les quatre amendements restant en discussion ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. J’ai trois bonnes nouvelles et une mauvaise, monsieur Rapin ! (Sourires.)
Je commence par la mauvaise. L’amendement n° 99 rectifié tend à une réécriture totale de l’alinéa. Cela aurait pour effet d’écraser les modifications que nous avions adoptées en commission, notamment en vue d’intégrer les ports et bases nautiques dans le dispositif. Je ne peux donc pas y être favorable.
En revanche, la commission émet un avis favorable sur les amendements nos 102 rectifié, 100 rectifié et 101 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’avis de la commission sur ces quatre amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 12 bis C, modifié.
(L'article 12 bis C est adopté.)
Articles additionnels après l'article 12 bis C
Mme la présidente. L'amendement n° 45, présenté par M. Vaspart, est ainsi libellé :
Après l'article 12 bis C
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 541-10-10 du code de l’environnement, l’année : « 2017 » est remplacée par l’année : « 2018 ».
La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Cet amendement vise à adapter les modalités de mise en place et de financement de la filière de déconstruction des navires créée par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, afin de mieux prendre en compte la réalité du marché de l’industrie nautique.
Je propose ainsi de décaler l’entrée en vigueur du dispositif à 2018, afin de permettre la réalisation d’une étude d’impact préalable dans de bonnes conditions.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Repousser d’un an la date de mise en place de la responsabilité élargie du producteur concernant les bateaux, la « REP navires », me semble une mesure de bon sens.
L’étude d’impact préalable à la mise en œuvre du dispositif commence à peine, sous l’égide de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME. Il ne s’agit que d’une étude d’impact théorique. Elle ne sera pas réalisée sur le terrain en lien avec les opérateurs.
Il reste neuf mois environ avant la date butoir. Il est illusoire de penser que ce sera suffisant pour réaliser cette étude d’impact et mettre la filière en ordre de marche.
La commission est donc favorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. La date retenue par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte pour le lancement de la filière, 2017, paraît raisonnable. Elle permet de mener une action rapide.
L’étude de l’ADEME est déjà en cours. Le rapport intermédiaire sera déposé le 29 avril, et nous aurons le rapport final le 17 juin. C’est ce document qui servira de base à la rédaction du cahier des charges soumis à la concertation avec la filière au mois de septembre pour l’agrément de l’éco-organisme.
Le projet de décret est naturellement préparé parallèlement à cette procédure.
Tout cela doit aboutir à la désignation de l’éco-organisme au début de l’année 2017, conformément au calendrier arrêté au moment du vote de la loi.
La procédure se déroulant comme prévu, le Gouvernement ne voit donc pas pour quelles raisons il faudrait aujourd'hui retarder l’entrée en application de ce principe.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Comme l’a très bien dit M. le secrétaire d’État, l’étude d’impact est en cours. On le voit bien, cet amendement vise à introduire une mesure dilatoire. Peut-être certains espèrent-ils qu’un prochain gouvernement fera passer l’ensemble du dispositif à la trappe…
Nous venons d’adopter des amendements relatifs aux bateaux abandonnés, qui, à moitié immergés, saturent les ports. Ce problème représente aujourd'hui un énorme frein à la vente de bateaux de plaisance. Les mesures que nous avons prises sont favorables à la filière de la plaisance. Le dispositif REP sécurise de nombreux acheteurs de bateaux de plaisance, qui savent qu’une coque plastique ne vaut plus rien au bout d’une dizaine d’années et ont besoin d’une solution pour s’en défaire à cette échéance.
Ce dispositif favorise en outre la création d’emplois dans la filière de déconstruction des bateaux de plaisance.
Par conséquent, l’amendement n° 45 est tout à fait incohérent par rapport aux amendements précédents, qui visaient à faciliter l’enlèvement des bateaux abandonnés en vue de leur déconstruction. Je ne comprends pas que l’on revienne en arrière ! Nous ne jouons pourtant pas une partie de ping-pong entre la majorité et l’opposition : après de longues discussions, un compromis a pu être trouvé, grâce notamment au travail réalisé par Jérôme Bignon. Pourquoi le remettre en cause maintenant ? Ce n’est pas un travail parlementaire sérieux !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 45.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 186 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 12 bis C.
L'amendement n° 46, présenté par M. Vaspart, est ainsi libellé :
Après l'article 12 bis C
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article L. 541-10-10 du code de l’environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’éco-contribution versée par les metteurs sur marché est plafonnée à 0,5 % du prix de vente des bateaux neufs. »
La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Le présent amendement vise à adapter les modalités de mise en place et de financement de la filière REP de déconstruction des navires, créée par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, afin de mieux prendre en compte la réalité du marché de l’industrie nautique.
Il tend par ailleurs à plafonner la contribution financière du secteur à 0,5 % du prix de vente pour chaque bateau neuf, afin de tenir compte de la dynamique du marché.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Cet amendement vise également à ajuster les modalités de mise en place de la filière REP pour les navires. Il s’agit cette fois de plafonner l’éco-contribution versée par les metteurs sur le marché à 0,5 % du prix de vente du bateau neuf.
Ce taux a été fixé en fonction des mises sur le marché, du volume global de bateaux à traiter, en prenant en compte à la fois le stock de bateaux en déshérence et le flux à venir.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je ne comprends pas très bien la démarche de l’auteur de cet amendement.
Il n’y a pas de spécificité de la filière REP pour les navires. Jusqu’à présent, me semble-t-il, sur ces questions, le législateur a fixé les principes et les objectifs et confié la mise en œuvre aux professionnels. Dans cette perspective, inscrire dans la loi un plafond pour la contribution soulève une vraie difficulté. Ce ne sont ni le législateur ni le Gouvernement qui détermineront le montant de cette contribution : cela incombe aux professionnels. Voulez-vous donc les protéger d’eux-mêmes ? Cela n’a pas de sens !
La seule question est la suivante : quelle sera leur ambition pour la mise en œuvre de cette filière de déconstruction ? Le législateur ne doit pas fixer un cadre rigide en plafonnant le montant de la contribution.
Très honnêtement, on peut comprendre cet amendement comme une remise en cause du processus : fixer un tel plafond pourrait empêcher la filière de s’organiser.
Je ne crois pas que cela corresponde à la volonté des responsables professionnels, qui ont adhéré à ce processus : il faut laisser vivre ! Quand on est libéral, on n’impose pas un cadre aussi strict.
Il y a là une question de principe qui ne concerne pas que la seule plaisance. Organiser la déconstruction est aujourd’hui nécessaire pour de nombreuses filières sur les plans écologique et environnemental. De plus, elle est source de créations d’emplois.
Depuis le début de la mise en place des filières REP, on a choisi de faire confiance aux professionnels. Je suis vraiment très défavorable à cet amendement, qui porte atteinte au principe même de ce que nous avons essayé de construire ensemble.
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Je voudrais appuyer les propos de M. le secrétaire d’État. Le système de la responsabilité élargie du producteur est par essence libéral. À la suite des préconisations de l’OCDE, il a été affirmé que les producteurs étaient responsables des biens qu’ils mettent sur le marché jusqu’au terme de la vie de ces biens.
Nous avons donc instauré ces filières REP, en laissant aux professionnels le soin de s’organiser en un éco-organisme dont le conseil d’administration est composé de leurs représentants. Il leur appartient de fixer le montant de la contribution permettant de financer la déconstruction, qui constitue une nouvelle activité. Plutôt que de laisser cette activité partir à l’étranger, mieux vaut la conserver chez nous !
Trouver enfin une solution au problème des « bateaux ventouses » abandonnés qui encombrent les ports est d’intérêt général. Il est grand temps ! Or non seulement vous voulez allonger le calendrier de sa mise en œuvre, mais vous proposez en plus que le législateur, outrepassant son rôle, plafonne le montant de la contribution. Cela correspond sans doute à une volonté des professionnels de ne pas financer la déconstruction, mais c’est en complet décalage avec la démarche qui prévaut aujourd'hui dans tous les pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart, pour explication de vote.
M. Michel Vaspart. Notre pays est le premier producteur de bateaux de plaisance du monde, en particulier de catamarans. Ceux d’entre nous qui sont allés au Salon nautique international de Paris ont pu admirer les produits de notre industrie nautique, qui s’exportent dans le monde entier. Il n’est absolument pas question, pour les professionnels, de s’exonérer de la mise en place de la filière de déconstruction ! Il n’y a aucune inquiétude à avoir à ce propos.
Cependant, il faut bien comprendre que, si l’impact de l’éco-contribution sur le coût du bateau neuf est trop important, notre industrie nautique risque de perdre en compétitivité. Là est la difficulté !
Ne l’oublions pas, la déconstruction concerne non seulement les bateaux qui seront produits à l’avenir, mais aussi tout le stock, pour lequel il faudra bien trouver une solution. Les premiers bateaux en plastique datent des années soixante ! À cette époque, il n’était pas question d’organisation de filière ou de déconstruction. Nous avons la chance d’avoir une industrie qui occupe le premier rang mondial : sauf à mettre en péril sa compétitivité, l’éco-contribution ne doit pas représenter un pourcentage trop important du prix des bateaux neufs.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. M. le secrétaire d’État l’a bien expliqué, adopter un tel amendement reviendrait à déconstruire la REP, dont manifestement tout le monde n’a pas tout à fait compris le principe !
M. Michel Vaspart. Veuillez m’excuser de ne pas avoir compris !
M. Ronan Dantec. C’est un fait, mon cher collègue !
Si la REP n’est pas mise en place, il faudra choisir entre mettre le coût de la déconstruction à la charge de la collectivité ou se résigner à une pollution passive en l’absence de solution.
Je connais par cœur votre argumentation, qui sous-tend une campagne de communication absolument extraordinaire menée dans une partie de la presse professionnelle par les grands constructeurs de bateaux de plaisance.
Cette attitude est typique de l’industrie française en déclin, dont elle reflète l’incapacité à se projeter dans le futur.
La question de la déconstruction des bateaux est aujourd’hui au cœur de l’acte d’achat. De plus en plus de plaisanciers adoptent une démarche écoresponsable, y compris au moment de l’achat de leur bateau.
Si la filière de la plaisance continue à essayer de retarder les échéances, à l’instar de nombreux autres secteurs économiques, elle sera confrontée demain à des producteurs étrangers qui bénéficieront de labels et livreront des bateaux conçus pour être déconstruits. La plaisance française perdra peu à peu des parts de marché.
Notre proposition visait à défendre la plaisance française. Retarder les échéances et chercher à plafonner le montant de la contribution, comme vous le proposez, c’est marginaliser à terme la plaisance française. Il s’agit d’un réflexe habituel de l’industrie française : on croit se protéger en repoussant les échéances et en vivant dans le passé, mais il en résulte des pertes d’emplois. Les bras m’en tombent…
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Il s’agit non pas de remettre en cause la REP, mais simplement d’identifier les conséquences précises qu’emportera sa mise en œuvre pour l’industrie nautique française. Aucun d’entre nous ne souhaite revenir sur la mise en place de la REP ; mon collègue Michel Canevet ne me démentira pas !
Nous avons auditionné de nombreux acteurs du secteur de la plaisance : il en ressort que le marché de l’industrie nautique repart partout, sauf en France,…
M. Ronan Dantec. Et voilà !
Mme Annick Billon. … parce que nous alourdissons systématiquement les contraintes.
M. Ronan Dantec. C’est l’inverse !
Mme Annick Billon. Évitons donc d’en ajouter de nouvelles sans pouvoir en mesurer les conséquences !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 12 bis C.
Section 2
Favoriser la coexistence des activités sur le littoral
Article 12 bis D
(Non modifié)
Au 3° du II de l’article L. 321-1 du code de l’environnement, après le mot : « portuaires, », sont insérés les mots : « nautiques et balnéaires, ». – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 12 bis D
Mme la présidente. L'amendement n° 48, présenté par M. Vaspart, est ainsi libellé :
Après l'article 12 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le troisième alinéa de l’article L. 321-9 du code de l’environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au troisième alinéa, le passage sans stationnement de bateaux amphibies à caractère routier non prédominant destinés à des activités de loisirs, de sauvetage ou d’exploitation économique est autorisé, dans des conditions définies par décret et pour les seuls besoins de leur mise à l’eau, sur le rivage de la mer et les plages appartenant au domaine public ou privé des personnes publiques lorsque ces lieux sont ouverts au public. »
La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Cet amendement vise à introduire une exception au principe posé par l’article L. 321-9 du code de l’environnement selon lequel, « sauf autorisation donnée par le préfet, après avis du maire, la circulation et le stationnement des véhicules terrestres à moteur autres que les véhicules de secours, de police et d'exploitation sont interdits, en dehors des chemins aménagés, sur le rivage de la mer et sur les dunes et plages appartenant au domaine public ou privé des personnes publiques lorsque ces lieux sont ouverts au public ».
En effet, il est aujourd’hui nécessaire d’adapter le cadre législatif à l’évolution des technologies, pour prendre en compte le développement des navires amphibies, qui sont à la fois des navires et des véhicules terrestres et n’ont donc pas le droit d’accéder librement à la mer, hors autorisation individuelle accordée par le préfet.
Cette dérogation ne porterait pas atteinte à la protection du littoral. Ces véhicules, qui utilisent des roues ou des chenilles, avancent à petite vitesse. De plus, ils ont vocation non pas à stationner sur le rivage, mais seulement à y passer pour être mis à l’eau. En outre, aucune remorque ni dispositif spécifique de mise à l’eau n’est nécessaire. Enfin, les navires amphibies qui utilisent des chenilles ont un impact sur le terrain emprunté inférieur à celui des véhicules à moteur « classiques », équipés de roues.
Par ailleurs, comme le relevaient les auteurs du rapport portant bilan de la loi Littoral et des mesures en faveur du littoral remis au Parlement par le Gouvernement en septembre 2007, le développement des activités nautiques est fortement handicapé par le manque d’anneaux dans les ports de plaisance. Le développement des navires amphibies, qui ne nécessitent ni anneaux ni même cales de mise à l’eau, peut être un moyen de dépasser cette difficulté. Une telle évolution favoriserait non seulement le développement des activités de plaisance, mais également celui de la filière de production de ce type de matériels.
J’ajoute qu’un véhicule amphibie, à ma connaissance, est un bateau. Je crois savoir que le ministère des transports est en train de travailler à un texte définissant plus clairement la manière dont doivent circuler les véhicules amphibies sur terre ; s’ils ne peuvent pas être mis à l’eau, vous m’accorderez que cela pose un problème…
Je rappelle qu’il existe une entreprise française qui produit des véhicules amphibies. Il s’agit d’une entreprise de haut niveau, qui vend sa production à hauteur d’environ 70 % ou 75 % aux États-Unis. Elle rencontre quelques difficultés pour développer son activité en France.
Il s’agit en quelque sorte, monsieur le secrétaire d’État, d’un amendement d’appel. Une belle entreprise produisant des véhicules amphibies est implantée sur le territoire national, d’autres pourraient peut-être voir le jour ; je voulais appeler l’attention sur une entrave à leur développement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Nous partageons la préoccupation de l’auteur de l’amendement.
L’interdiction faite en France aux bateaux amphibies de circuler sur les routes et sur le rivage de la mer est susceptible de freiner le développement de cette industrie.
Un décret est en cours de rédaction au ministère de l’intérieur pour définir les conditions de circulation de ces bateaux sur le réseau routier. L’objet de cet amendement est de compléter cette démarche en permettant leur circulation entre la route et la mer, c’est-à-dire sur le rivage et les plages, sous conditions.
Cependant, l’article L. 321-9 du code de l’environnement prévoit déjà que le préfet peut donner une autorisation de déroger au principe d’interdiction de circulation et de stationnement sur les rivages et les plages. Dans ces conditions, il semble qu’une simple circulaire expliquant aux préfets la marche à suivre pour ce type de véhicules puisse suffire.
Pour autant, les constructeurs intéressés n’ont, pour le moment, formulé aucune demande d’autorisation. Il est donc peut-être préférable d’examiner si le cadre juridique actuel répond à cette problématique, avant, éventuellement, d’envisager de le faire évoluer.
La commission émet un avis de sagesse sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je suis partagé, monsieur le sénateur, sur votre initiative. Il est bien naturel, quoi qu’en pensent certains commentateurs, qu’un parlementaire relaie dans le débat public les préoccupations d’une entreprise implantée sur le territoire qu’il représente, mais la solution proposée est prématurée et surtout, à ce stade, non maîtrisée, puisqu’il s’agit de rien de moins que de remettre en cause toute une série de dispositions relatives à la protection du littoral.
Cela étant, lorsqu’un amendement est qualifié d’« amendement d’appel » par son auteur, cela signifie généralement que le travail est achevé lorsqu’il a été présenté, et qu’il n’est pas nécessaire de l’adopter…
Toutefois, la commission ayant émis un avis de sagesse, je ne peux m’empêcher d’être un peu inquiet et d’imaginer avec quelque effroi, moi qui fus longtemps élu d’une circonscription des Landes comportant une vaste bande dunaire protégée par le Conservatoire du littoral, les conséquences de la circulation d’engins de cette nature ! Mes craintes sont probablement partagées par tous les élus des régions littorales, à commencer par Mme Des Esgaulx, qui connaît aussi bien que moi ce territoire…
À ce stade, l’adoption d’une telle disposition susciterait certainement de nombreuses protestations. S’il s’agit d’un amendement d’appel, il me semble que le message est passé. Un travail sur ce sujet est en cours au ministère de l’intérieur.
La commission a émis un avis de sagesse ; il serait d’une grande sagesse, à mon sens, de rejeter cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. J’essaie de comprendre…
M. Vaspart nous parle de bateaux amphibies à caractère routier non prédominant, utilisant des chenilles et qui, pour rejoindre la mer, empruntent aujourd’hui les chemins. Notre collègue propose qu’ils puissent désormais passer partout, y compris sur les dunes, sur les lieux de nidification !
M. Michel Vaspart. Bien sûr que non !
M. Ronan Dantec. Le texte de votre amendement vise bien « le rivage de la mer et les plages appartenant au domaine public ou privé […] lorsque ces lieux sont ouverts au public » ! Une telle définition recouvre les dunes, les plages, les lieux de nidification du gravelot à collier interrompu… Et vous voulez y faire passer des véhicules à chenilles !
Une telle proposition est tout à fait incongrue : que les véhicules amphibies continuent donc de passer par les chemins ! Cela relève, me semble-t-il, du simple bon sens.
Cela dit, on a déjà autorisé la circulation des motoneiges la nuit, en zones protégées ; on peut bien autoriser les véhicules amphibies à passer partout, y compris dans les dunes…
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.
M. Jean-François Rapin. Je ne crois pas que l’intention de M. Vaspart soit d’autoriser ces véhicules à circuler partout et n’importe où !
Pour bien connaître la réglementation de l’accès des véhicules au littoral, je ne pense pas que le préfet puisse régler le problème par une simple circulaire, comme le propose la commission.
M. Vaspart fait observer que l’autorité administrative ne reconnaît pas à ce genre de véhicules le droit de circuler sur la plage. En tant qu’ancien maire d’une commune littorale, j’estime qu’ils devraient avoir le droit d’utiliser une cale pour accéder à l’eau.
M. Ronan Dantec. Ils ont déjà le droit de le faire ! L’objet de cet amendement, c’est qu’ils puissent aller partout !
M. Jean-François Rapin. Ce n’est pas ainsi que j’ai compris l’amendement de M. Vaspart.
M. Ronan Dantec. Je suis d’accord pour que les véhicules amphibies passent par une cale : sur ce point, nous sommes tous d’accord !
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Pour bien connaître les spécificités des mises à l’eau, je suis moi aussi dubitative, comme M. le secrétaire d’État.
En effet, les véhicules qui tractent un bateau en vue d’une mise à l’eau ne circulent pas sur les plages : ils passent par une cale.
Je ne me représente pas très nettement ce qu’est un bateau amphibie, mais il me semble qu’un tel véhicule peut très bien être mis à l’eau de la même manière. Sinon, on peut craindre des conflits d’intérêts, surtout l’été, entre, d’un côté, les plaisanciers, les baigneurs, etc., et, de l’autre, des véhicules qui viendraient traverser la plage en vue de leur mise à l’eau.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Vous l’avez cherché !
M. Michel Vaspart. Il est évidemment hors de question de laisser circuler des véhicules de ce type sur les dunes. Comme j’essayais de l’expliquer tout à l’heure, il s’agit simplement de réfléchir aux moyens de permettre aux véhicules amphibies de rejoindre l’eau.
Les véhicules amphibies sont considérés comme des bateaux. Le ministère de l’intérieur est en train de préparer une circulaire pour définir les modalités de leur circulation à très faible allure sur les routes. Ce serait tout de même un comble si un véhicule considéré comme un bateau ne pouvait pas rejoindre le rivage !
Mme Odette Herviaux. Mais ce n’est pas la question !
M. Michel Vaspart. D’après les informations recueillies auprès de l’entreprise que j’ai évoquée, aujourd’hui, les véhicules amphibies ne peuvent pas accéder à la mer. Comme je l’ai déjà dit, il ne s’agit pas de leur permettre de circuler n’importe où.
M. Ronan Dantec. C’est pourtant ce qui est écrit !
M. Michel Vaspart. Il s’agit de déterminer, en accord avec les préfets et, éventuellement, les maires, des lieux précis pour l’accès à la mer des véhicules amphibies, à l’instar des couloirs de circulation réservés, sur les plages, à telle ou telle activité.
Cet amendement n’a pas d’autre objet. Je suis moi-même maire d’une commune littorale : je n’ai aucune envie de voir le littoral complètement défiguré par la circulation de véhicules amphibies. Arrêtons les caricatures !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Notre collègue relaie une préoccupation légitime, mais cette question est à l’évidence entourée de beaucoup de flou. Plutôt que de nous écharper, il serait peut-être utile d’approfondir la réflexion, de clarifier les termes du problème. De grâce, ne légiférons pas dans un tel flou !
M. Michel Vaspart. J’ai dit qu’il s’agissait d’un amendement d’appel !
Mme Évelyne Didier. Si nous sommes tous dubitatifs, c’est parce que nous manquons d’informations.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Je suis prêt à retirer l’amendement, si M. le secrétaire d’État s’engage à étudier ce dossier de près et à revenir ensuite vers nous et vers ceux qui l’ont également interrogé sur ce sujet.
M. Ronan Dantec. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je vous remercie de votre esprit constructif, monsieur le sénateur. En réalité, je ne sais pas exactement quelles seraient les conséquences de l’adoption d’un tel amendement ; je reconnais cependant qu’il est légitime de poser le problème, dès lors que la réglementation actuelle n’est pas adaptée.
M. Charles Revet. Voilà !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Nous avons besoin de mener une réflexion sur cette question. Quelle est la position des associations d’élus ? Si un travail de concertation n’est pas effectué en amont, notamment avec l’Association nationale des élus du littoral, nous risquons de nous entendre reprocher demain d’avoir mis la charrue devant les bœufs.
Il est vrai que nous avons été saisis du problème. Il faut que je prenne l’attache du ministère de l’intérieur, mais je m’engage à réfléchir, avec les associations d’élus, à une solution adaptée.
Mme la présidente. Monsieur Vaspart, l'amendement n° 48 est-il finalement retiré ?
Mme la présidente. L'amendement n° 48 est retiré.
Chapitre V
Renforcer les mesures relatives à la sûreté et à la sécurité
Article 12 bis
(Non modifié)
À la première phrase du second alinéa de l’article L. 616-1 du code de la sécurité intérieure, le mot : « six » est remplacé par le mot : « douze ». – (Adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, il est minuit ; je vais donc lever la séance, non sans avoir rappelé que nous avons examiné trente-deux amendements au cours de la journée et qu’il en reste quatre-vingts.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 24 mars 2016, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l’économie bleue (n° 370, 2015-2016) ;
Rapport de M. Didier Mandelli, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 430, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 431, 2015-2016) ;
Avis de M. Michel Le Scouarnec, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 428, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 24 mars 2016, à zéro heure cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD