Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année dernière, notre assemblée décidait de constituer une commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, dont je fus le rapporteur.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. Quelques mois après la publication des travaux de cette commission d’enquête, vous êtes venu nous dire, monsieur le ministre de l’intérieur, que plus de la moitié des préconisations de son rapport était d'ores et déjà engagée par le Gouvernement, notamment par votre ministère.
Vous me permettrez, après Michel Boutant et Jean-Noël Guérini, de souligner l’action qui est la vôtre. Si les critiques sont faciles – elles sont d’ailleurs légitimes dans cette enceinte ! –, nous devons dire, à la vérité, que beaucoup a été fait.
Michel Boutant a évoqué les 2 680 emplois supplémentaires sur trois ans prévus pour le renseignement, dont 1 100 pour le renseignement intérieur, ce qui est considérable. Je tiens à souligner ces chiffres, qui montrent, selon moi, combien ce gouvernement a pris la mesure de la difficulté et de l’ampleur de la tâche.
Je voudrais ici non pas donner des conseils – ce serait vraiment prétentieux ! –, mais simplement mettre l’accent sur quelques points que vous connaissez parfaitement et sur lesquels il me semble important de continuer d’avancer.
Il s’agit tout d’abord de la bonne coordination entre la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure, et le SCRT, le Service central du renseignement territorial. En effet, on a pu le voir par le passé – je songe au débat que nous avions eu à propos de l’affaire Merah –, la cohérence de notre dispositif réclamait une totale solidarité, une totale efficacité entre l’instance centrale et le renseignement territorial, dont les effectifs avaient été parfois quelque peu dégarnis.
Je sais, monsieur le ministre, que vous travaillez dans cette direction et que vous avez pris les dispositions qui s’imposaient. C’était absolument nécessaire, et cela le reste encore.
Je voudrais ensuite mettre l’accent sur la grande importance de ce que j’appelle la « guerre du cryptage », que vous connaissez parfaitement.
Il est tout à fait évident que les personnages – les individus, devrais-je dire – aux commandes de Daech disposent de ressources humaines assez compétentes, voire très compétentes, en matière de cryptage. Si nous avions pu percer les communications préalables aux attentats du 13 novembre dernier ou à ceux qui viennent d’avoir lieu en Belgique – chacun souligne la nécessaire solidarité avec nos amis belges –, nous aurions pu les empêcher.
Il est évident, comme l’a relevé l’un de nos collègues, que nous avons besoin de personnels extrêmement expérimentés sur ces questions. À cet égard, la ressource de l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, est, vous le savez, monsieur le ministre, extrêmement précieuse. Je crois toutefois que nous devons continuer de déployer nos efforts dans cette direction.
S’agissant de la radicalisation ou de ce que l’on appelle ainsi, méfions-nous des remèdes trop simplistes : quelques vidéos ne sauraient suffire pour « déradicaliser » une jeune personne prise en main par ces barbares et leur idéologie délétère et meurtrière. Il faut faire un travail de fond. Il est essentiel de mettre en place des cellules de veille dans toutes les préfectures et de mener un travail de terrain pour parler à ces jeunes, les prendre en charge et conduire des actions en profondeur.
Enfin, comme plusieurs de nos collègues, je voudrais dire un mot sur le PNR, dont il est question dans le rapport de M. Dominati, que je remercie.
Il est vrai qu’on en parle tout le temps, mais c’est un sujet d’inquiétude. À quoi bon prendre des mesures pour assurer la sécurité des frontières européennes, avec des garde-côtes, des mesures auxquelles vous avez beaucoup contribué, monsieur le ministre, s’il faut attendre des mois et des mois que la procédure parlementaire aille à son terme ? La Haute Assemblée a l’habitude de protester contre la procédure accélérée, sauf quand elle est justifiée ! Et quand il s’agit de lutte contre le terrorisme, elle est justifiée.
Il est bien évidemment essentiel que ce PNR voie le jour – j’ai lu aujourd’hui un texte intéressant sur ce sujet –, mais encore faut-il s’entendre sur son périmètre. Nous voulons non pas dix-huit PNR, mais un seul instrument, efficace à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit d’une absolue nécessité.
Monsieur le ministre, j’ai simplement voulu mettre l’accent sur quelques points qui me paraissent essentiels. Nous devons être tous unis et rassemblés pour mener à bien cette lutte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en novembre dernier, notre pays a été une nouvelle fois touché par le fléau du terrorisme. Hier, c’est la Belgique qui a été frappée par des attentats meurtriers.
Dans un tel contexte, où la France doit faire face à une menace terroriste très concrète, les choix budgétaires et juridiques doivent être à même de répondre à ces enjeux.
Les crédits consacrés au renseignement par le ministère de l’intérieur ne sont pas clairement identifiés au sein de la mission « Sécurités ». La transformation de la DCRI en DGSI n’a donné lieu à aucun ajustement de l’architecture budgétaire du renseignement intérieur.
L’activité des services de renseignement est reconstituée au sein de l’action n° 1, Ordre public et protection de la souveraineté. En comparaison, les crédits consacrés au renseignement par le ministère de la défense sont identifiés avec un degré de précision bien supérieur.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si la création d’une action intitulée « Renseignement » dans le prochain projet de loi de finances est envisagée ?
Rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, sur les crédits de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2016, j’ai pu dresser un premier bilan de la lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes.
Je m’attacherai tout d’abord au bilan de l’activité du département de lutte contre la radicalisation.
Sur l’initiative du ministère de l’intérieur, un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes a été mis en place à compter du 23 avril 2014, coordonné par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT. Le ministère s’est ainsi doté d’un département de lutte contre la radicalisation, composé de vingt personnes, dont une conseillère technique psychologue et un représentant des services pénitentiaires.
Le dispositif s’articule autour du Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, le CNAPR, qui a une double vocation : d’une part, recueillir les renseignements relatifs aux personnes radicalisées ou en voie de l’être et, d’autre part, soutenir et assister les familles de ces dernières.
Le CNAPR recueille les signalements effectués par le biais du numéro vert, internet ou un service territorial, quand le signalement a été effectué au sein d’un commissariat ou d’une brigade de gendarmerie.
Entre le 29 avril 2014, date de sa mise en place, et le 27 août 2015, le CNAPR a enregistré 2 964 signalements : 1 827 appels au numéro vert – soit un peu plus de 61 % des signalements –, 361 formulaires internet – un peu plus de 12 % des signalements – et 776 courriels transmis par un service de renseignement territorial – un peu plus de 26 % des signalements.
Les renseignements collectés font l’objet d’une transmission en temps réel à la Direction générale de la sécurité intérieure, au Service central du renseignement territorial et aux préfectures des départements d’origine des signalements. Par ailleurs, quand le signalement concerne un détenu, les éléments sont transmis à la Direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la justice. Les éléments échangés font ensuite l’objet d’un suivi entre le CNAPR, les services et les préfectures.
J’en viens maintenant au bilan des mesures d’interdiction de sortie du territoire ou d’interdiction administrative du territoire.
La loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a instauré plusieurs mesures complétant l’action engagée avec le plan de lutte contre la radicalisation, dont les mesures d’interdiction de sortie du territoire, les mesures d’interdiction administrative du territoire et le blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à la commission d’actes de terrorisme.
Entre le 15 janvier et le 31 août 2015, l’UCLAT a contribué à l’adoption de 135 mesures administratives d’interdiction de sortie du territoire, dont 123 ont été notifiées et 10 ont déjà fait l’objet d’un premier renouvellement. Au 31 août 2015, 132 dossiers étaient en cours d’instruction.
La loi du 13 novembre 2014 précitée a également prévu une mesure d’interdiction administrative du territoire à l’encontre de ressortissants étrangers qui souhaiteraient accéder au territoire national, mais qui présenteraient une menace pour la sécurité publique.
Cette mesure de police administrative, prévue par les articles L. 214-1 à L. 214-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, distingue les ressortissants communautaires des étrangers en provenance de pays tiers. La menace représentée par les ressortissants communautaires doit ainsi être « réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société », alors que, s’agissant des ressortissants de pays tiers, cette mesure peut être prononcée en cas de « menace grave » pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France.
Entre le 15 janvier et le 31 août 2015, trente-six interdictions administratives du territoire ont été signées. Le 31 août 2015, vingt-cinq autres dossiers étaient en cours d’instruction.
Je voudrais, enfin, dire quelques mots des mesures de blocage des sites.
Entre le 1er janvier et le 2 octobre 2015, sur l’initiative des services de la Police nationale, vingt-quatre sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ont fait l’objet d’une mesure de blocage et quarante-deux sites ayant les mêmes finalités ont été déréférencés.
Le Service central de renseignement criminel, et plus particulièrement le Centre de lutte contre les criminalités numériques du pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale, a mis en place un dispositif de surveillance semi-automatisée des différents services de l’internet visant, notamment, à lutter contre la cybercriminalité liée au terrorisme.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Marc. Sur l’initiative de la Gendarmerie nationale, vingt-sept sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ont fait l’objet d’une mesure de blocage et vingt-huit sites ayant les mêmes finalités ont été déréférencés.
Monsieur le ministre, la lutte contre le terrorisme est loin d’être achevée. En matière de renseignement intérieur, quelles actions et quels moyens supplémentaires sur les plans juridique et budgétaire envisagez-vous de mettre en place ? Pouvez-vous nous préciser quelles sont vos priorités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée émue pour nos amis belges et les victimes des attentats commis en France en 2015.
En frappant Bruxelles hier, les terroristes ont élargi un plan d’attaque inauguré en France en 2015. Daech s’est attaquée à la capitale de l’Union européenne et au symbole de ses institutions. L’Europe explose, le monde explose. Les démocraties sont en guerre.
Je félicite mon collègue Philippe Dominati de son excellent rapport sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. La France a-t-elle un problème avec ses services de renseignement intérieur ?
Le renseignement n’est pas une science exacte. Pour autant, il faut bien que nous comprenions pourquoi l’année 2015 a été frappée en plein cœur par le terrorisme. Pourquoi une conspiration d’une telle ampleur n’a-t-elle pas été déjouée par les services de renseignement français ?
Passé le temps des hommages, les langues se sont déliées. Il existe un véritable dysfonctionnement entre les services. Tous les services de renseignement, qu’ils enquêtent à l’extérieur, pour ce qui concerne la DGSE, ou à l’intérieur, s’agissant de la DGSI, se sont plaints de ne pas disposer de personnels et de moyens financiers suffisants pour conduire leurs missions.
Pourtant, les réformes de 2008 et de 2013 ont permis, dans une certaine mesure, de rationaliser et d’adapter l’architecture du renseignement intérieur à l’évolution de la menace.
Des moyens humains et financiers supplémentaires ont été accordés après les attentats de janvier dernier.
La France était l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre cohérent et complet pour les activités de ses services de renseignement. Le retard est rattrapé. La loi du 13 novembre 2014 renforce les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement accroît, quant à elle, considérablement les moyens d’écoute et d’interception des communications accordées aux services. Pourtant, les services de renseignement considéreront toujours que les moyens ne seront jamais suffisants.
Les conclusions de la mission de contrôle de mon collègue Philippe Dominati sur les moyens consacrés au renseignement intérieur confirment un dysfonctionnement des services. Ces services sont dimensionnés, mais ils ne sont pas efficaces. Les causes peuvent se trouver dans l’empilement des services ainsi que dans le déséquilibre entre la croissance des dépenses de personnels et l’évolution des dépenses de fonctionnement et d’investissement, ce qui ne permet pas de garantir une capacité opérationnelle des services.
Ce rapport d’information préconise de donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial, qui reste le « parent pauvre » du renseignement intérieur.
Ce point me permet d’aborder le sujet du rôle des techniques et des technologies dans les renseignements intérieurs.
Le numérique, internet, les téléphones, les réseaux sociaux, tout cela n’existait pas ou presque pas dans les années quatre-vingt-dix. Pourtant, dans nos textes et nos discours, nous parlons encore d’« écoutes », comme si rien n’avait changé, alors que les nouvelles technologies permettent, à l’évidence, de mettre en place des dispositifs intrusifs. À l’opposé, les criminels et les terroristes disposent de moyens de communication, de technologies, finalement d’un mode de travail sans commune mesure avec ce que prévoit la législation pour les contrecarrer.
Mais attention à ne pas tomber dans le piège du « tout technologique » ! Attention à ne pas développer le renseignement technique aux dépens du renseignement humain : tout voir ou tout entendre pour tout savoir, mais tout n’est pas visible, ni audible par les nouvelles technologies. La technique, qui doit être la meilleure possible, doit, selon moi, venir en appui du renseignement humain. Dois-je rappeler que l’ancien cerveau d’Al-Qaïda déjouait parfaitement les surveillances technologiques ?
Développer les moyens technologiques est essentiel, mais renforçons les moyens humains : il faut donner aux fonctionnaires les moyens d’aller sur le terrain et de recruter des professionnels capables d’infiltrer les milieux pour avoir du renseignement humain. Il ne faut en aucun cas baisser la garde sur le renseignement de proximité : il est essentiel.
L’autre point soulevé par le rapport d’information est le nombre trop important de services de renseignements intérieurs : la Direction générale de la sécurité intérieure, le Service central du renseignement territorial, la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, chargée de la capitale et de la petite couronne, et la sous-direction de l’anticipation opérationnelle.
En Europe, la France est le pays qui possède une des architectures les plus complexes en matière de renseignement intérieur, avec un empilement des services qui provoque naturellement des doublons, des ratés, des déperditions.
Enfin, le dernier point que je souhaite aborder est le manque d’analyse.
Là encore, de nombreux experts ont imputé une bonne partie du « raté » sur les frères Kouachi à une véritable faille analytique. La DGSE compte dans ses rangs 23 % de contractuels, des professeurs, des linguistes, des économistes, des théologiens, alors que la DGSI n’en compte que 15 %.
Le renseignement est un acte de souveraineté par excellence. Je souhaite que cet excellent rapport d’information pousse le Gouvernement à agir et à ne pas se contenter d’être dans la posture pour rendre – enfin ! – efficace un service qui est d’ores et déjà doté de tous les moyens nécessaires pour faire face aux menaces.
Nous devons prendre de véritables mesures pour renforcer l’efficacité du renseignement intérieur et pour combattre l’islam politique qui ne respecte pas nos valeurs et nos principes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les tragiques attentats commis hier à Bruxelles, faisant suite à plusieurs attaques perpétrées au cours de ces derniers mois, nous l’ont une fois de plus démontré : nous sommes aujourd’hui confrontés à une menace terroriste d’une nature et d’une ampleur sans précédent. Récemment, la Côte d’Ivoire a elle aussi été prise pour cible, tandis que le Mali a dû faire face, il y a deux jours à peine, à une nouvelle attaque, fort heureusement déjouée. En Europe comme en Afrique et au Moyen-Orient, aucun pays n’est à l’abri.
Il est indispensable que la Nation soit rassemblée face à une telle menace. Pour vaincre nos ennemis, nous avons besoin d’unité et de la mobilisation de tous. Nous avons besoin aussi, sur ces sujets complexes, de la plus grande rigueur intellectuelle, point sur lequel il y aurait beaucoup à dire…
C’est la raison pour laquelle je veux remercier le Sénat, notamment les membres de sa commission des finances, d’avoir suscité ce débat consacré aux moyens que le Gouvernement accorde aux services de renseignement intérieur.
Je salue le travail réalisé par le rapporteur spécial Philippe Dominati, dont les recommandations en la matière ont mobilisé toute mon attention et à qui je tiens à apporter des réponses extrêmement précises.
Vous avez rendu votre rapport d’information, monsieur le sénateur, le 7 octobre dernier, c’est-à-dire avant les attentats du 13 novembre. Par définition, depuis lors, la situation a beaucoup évolué et, en conséquence, comme il était normal de le faire, le Gouvernement a pris plusieurs décisions importantes pour adapter et renforcer notre dispositif antiterroriste, étant rappelé qu’il en avait pris bien avant le mois de janvier 2015, ainsi que de nombreuses autres entre janvier et novembre 2015, dont votre rapport d’information ne fait pas état.
Mon propos permettra donc de compléter celui-ci par quelques précisions qui permettront au Sénat de disposer de l’ensemble des éléments sur les sujets dont il a à connaître.
Il permettra aussi au Sénat, je n’en doute pas, de constater les nécessaires efforts que le Gouvernement a consentis depuis 2012 pour donner enfin à nos services de renseignement intérieur les moyens de lutter efficacement contre une menace d’une portée tout à fait inédite.
S’agissant de ces services, dans le rapport d’information comme dans certaines des interventions, on nous explique comment corriger ce qui a été très fortement endommagé au cours des années précédentes.
M. Daniel Reiner. Il faut le dire !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il est vrai que, quand on a beaucoup endommagé, on peut plus légitimement que d’autres expliquer comment il faut corriger… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Aujourd’hui, le terrorisme djihadiste, quel que soit le visage qu’il emprunte – Daech, Al-Qaïda ou encore AQMI –, constitue de loin le principal défi auquel nos services de renseignement doivent répondre. Chacun doit bien comprendre que la France constitue l’une des cibles prioritaires des djihadistes.
S’il est avéré que les attentats du 13 novembre ont été planifiés depuis la Syrie et coordonnés en dehors de nos frontières, je le rappelle, d’autres attaques ont été le fait de personnes radicalisées sur notre sol – parfois dans un délai très court – et jusqu’alors connues des services de police pour de simples faits de délinquance.
Dans ce contexte, notre objectif prioritaire consiste à prévenir et à empêcher la commission de nouveaux attentats. Pour cela, chacun en conviendra – c’est d’ailleurs un point d’accord total entre le Gouvernement et le rapporteur ! –, nous avons besoin de services de renseignement efficaces et extrêmement mobilisés. Le rôle de ces services est absolument décisif. À cet égard, je tiens à rendre hommage à ces derniers pour l’opiniâtreté dont ils font preuve, afin de garantir la sécurité de notre territoire et la protection de nos concitoyens.
Je veux d’ailleurs profiter de cette intervention pour dire qu’il est, bien entendu, toujours légitime d’évaluer l’activité des services de renseignement et de pouvoir critiquer leurs manquements, mais qu’il peut être totalement démotivant pour des policiers qui donnent le meilleur d’eux-mêmes au quotidien dans ces services de renseignement pour assurer la protection des Français de voir la question de la lutte contre le terrorisme instrumentalisée à des fins partisanes…
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et d’entendre remis en cause le rôle joué par leurs services. Ces policiers ont besoin davantage de considération et de remerciements pour le travail qu’ils font que de critiques qui viennent alimenter de mauvaises polémiques à caractère politique !
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Puisque cela n’a pas été souligné – mais il est normal que nul ne l’ait dit à cette tribune puisque l’objectif est de critiquer plutôt que de remercier ! –, je me permets d’insister sur le fait que, depuis 2013, grâce au travail minutieux des services de renseignement, nous avons déjoué pas moins de onze projets d’attentats, j’y insiste, dont six depuis janvier 2015.
M. Daniel Reiner. Bien dit !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement accorde une extrême importance à l’activité de nos services de renseignement. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes employés dès 2012 – donc bien avant les attentats ! – à la fois à renforcer les moyens dont ils disposent, à améliorer leur organisation et à moderniser le cadre juridique de leur action. Il y avait là une urgence et une nécessité absolues pour tirer les leçons des tueries survenues à Toulouse et à Montauban entre le 11 et le 19 mars 2012, et éviter par là même que notre pays ne se retrouve dans une situation d’extrême vulnérabilité.
Je veux donc revenir très précisément sur les principales décisions que nous avons prises depuis le début du quinquennat et dont il n’a pas été question pendant le débat pour renforcer nos capacités de renseignement intérieur, qu’il s’agisse de la surveillance du haut du spectre, confiée à la DGSI, ou bien de la détection des signaux faibles de radicalisation, confiée au SCRT et aux autres acteurs du « deuxième cercle ».
Je commencerai par les renforts en effectifs et en matériels dont ont bénéficié les services afin d’organiser leur « changement d’échelle », ce qui correspond aux recommandations nos 1, 4 et 5 du rapport d’information de M. Dominati.
Puis, je reviendrai sur les réformes que nous avons conduites pour consolider leur architecture globale et leur cadre d’action afin de leur faire gagner en efficience – il s’agit là des recommandations nos 2, 3 et 6.
Enfin, j’aborderai les enjeux plus spécifiques liés aux ressources humaines. J’entends par là la diversification du recrutement et de la formation des agents, soit les recommandations nos 7 et 8.
Je tiens, monsieur Dominati, par respect pour le travail que vous avez accompli et parce que je crois que c’est l’intérêt de l’exercice, répondre très précisément à toutes les recommandations que vous nous faites.
Avant toute chose, je veux rappeler que notre politique de relance des recrutements ne concerne pas seulement les services de renseignement : lutter contre le terrorisme, c’est donner des moyens à l’ensemble des services qui concourent à cette lutte. Depuis 2012, c’est bien l’ensemble des forces de sécurité qui ont vu leurs effectifs nettement – nettement, j’y insiste – augmentés. En raison de l’ampleur de la menace, il était en effet indispensable qu’un tel mouvement affecte les forces de l’ordre dans leur intégralité.
Je veux donc rappeler quelques faits incontestables, faits qui peuvent être vérifiés par la commission des finances et que je vais accompagner de chiffres extrêmement précis, qui les illustrent et les confortent, car ces sujets méritent autre chose que des approximations.
D’une manière générale, le Gouvernement a consenti un effort national sans précédent sur le plan des recrutements au sein de la police et de la gendarmerie. Nous avons ainsi mis un terme aux coupes claires qui avaient considérablement réduit et affaibli les effectifs des forces de sécurité entre 2007 et 2012.
M. Daniel Reiner. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Concrètement, au cours du précédent quinquennat, la Police nationale a perdu très exactement 6 276 postes et la Gendarmerie nationale 6 243, soit un total de 12 519 postes supprimés, tous services et toutes unités confondus, ce qui correspond à une véritable hémorragie. Dois-je préciser que ces 12 519 postes nous ont sans conteste manqué depuis 2012, alors que nous affrontons une menace terroriste sans précédent ? Ces sujets n’ont pas du tout été évoqués dans le débat qui vient de se tenir, raison pour laquelle je me permets de faire ces rappels.
La destruction regrettable de tous ces emplois a constitué, je le dis parce que c’est une réalité, une très lourde erreur.
MM. Daniel Reiner et Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour combler un tel manque, nous avons donc pris la décision de remplacer tous les départs à la retraite, et nous avons recréé près de 500 emplois nouveaux par an dans les deux forces.
Par ailleurs, dès après les attentats de janvier 2015, nous avons continué d’organiser la montée en puissance de notre dispositif grâce à différents plans de recrutement concernant la lutte contre le terrorisme, la lutte contre l’immigration irrégulière ou encore le renfort de nos unités de forces mobiles et de sécurité publique.
Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, entre 2012 et 2017, les effectifs des services concourant à la sécurité des Français auront augmenté de 9 341 postes précisément, dont 5 744 dans la police et 3 199 dans la gendarmerie. Pour ne prendre que l’exemple de la police, en 2016 comme en 2017, plus de 4 600 gardiens de la paix sortiront de nos écoles, pour chacune de ces deux années. Ils étaient, monsieur Dominati, 488 en 2012…
Comme j’ai senti dans votre rapport d’information, ainsi que dans les propos d’un certain nombre de parlementaires de votre groupe, une très forte inquiétude sur les moyens, je ne doute pas que les éléments que je viens de vous donner vous permettront de sortir de cette séance beaucoup plus tranquille que nous n’y étiez entré. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)