M. Philippe Bas, rapporteur. C'est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur les amendements qui tendent à insérer ailleurs la référence à la loi organique.
Le sous-amendement n° 21 de M. Masson est assez mathématique, ce qui ne saurait nous étonner ! Il a toutefois l’inconvénient de supprimer les notions de nécessité et d’adaptation des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, qui me paraissent devoir être conservées. J’émets donc, au nom de la commission, un avis défavorable.
Je suggère à M. Malhuret de retirer le sous-amendement n° 26 rectifié. Nous voulons en fait la même chose et divergeons simplement sur l’emplacement de la mention de la loi organique.
La commission des lois sollicite également le retrait du sous-amendement n° 27 rectifié ; à défaut, l’avis sera défavorable.
L’amendement n° 49 rectifié prévoit certes l’intervention d’une loi organique, mais il comporte aussi un certain nombre de précisions qui soulèvent un débat fondamental.
Au fond, madame Benbassa, vous voulez que, dans le cadre de l’état d’urgence, ne puissent être prises que des mesures ayant un lien avec le traitement des causes de la déclaration de l’état d’urgence. Or le régime de l’état d’urgence, tel que validé par le Conseil constitutionnel, permet la prise de mesures ne se rapportant pas directement aux causes de l’état d’urgence.
Au mois de novembre dernier, des attentats terrifiants ont tétanisé notre pays. En même temps, la vie continuait et un certain nombre d’autres menaces à l’ordre public devaient être prises en compte. Il a fallu à la fois protéger les lieux de réunion, interdire certaines manifestations et accueillir une conférence internationale. Dans cette perspective, l’état d’urgence permet de prendre des mesures qui ne sont pas directement liées à la lutte contre le terrorisme. Ce qui est nécessaire pour lutter contre le terrorisme, c’est le bon emploi des forces, lequel peut exiger de prendre, dans le cadre de l’état d’urgence, des mesures qui n’ont pas trait à la cause de la déclaration de ce dernier.
C'est la raison pour laquelle, tout en reconnaissant l’importance de ce débat, la commission s’est opposée à l’amendement n° 49 rectifié.
Concernant l’amendement n° 32 rectifié bis, monsieur Leconte, il s’agit d’insérer la référence à la loi organique à l’alinéa 3 plutôt qu’à l’alinéa 7, comme le propose la commission : notre différend est bien mince. Si vous acceptiez de retirer votre amendement au profit de celui de la commission, j’en serais très heureux. Il en va de même pour l’amendement n° 33 rectifié bis, très similaire à celui que la commission a adopté.
Monsieur Masson, votre amendement n° 19 est également satisfait par l’amendement n° 7. Je vous invite donc à le retirer.
L’amendement n° 51 rectifié vise lui aussi à poser l’exigence d’un lien direct entre les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence et les causes de la déclaration de ce dernier. L’avis est donc défavorable.
Le sous-amendement n° 41 rectifié tend à englober l’ensemble des contrôles juridictionnels. Toutefois, dans le régime de l’état d’urgence, la question du contrôle des actes de police administrative par la juridiction administrative n’est nullement posée. S’il est utile d’inscrire dans la Constitution une référence à un contrôle juridictionnel, c’est bien pour garantir l’effectivité du contrôle de l’autorité judiciaire sur les mesures privatives de liberté, étant entendu que les mesures simplement restrictives de liberté prises pour des motifs ayant trait à l’ordre public sont contrôlées par la juridiction administrative. C'est la raison pour laquelle je vous propose, monsieur Bonnecarrère, de retirer ce sous-amendement au profit de l’amendement n° 8 de la commission.
Monsieur Mézard, prévoir, à l’instar de l’amendement n° 66 rectifié, que le nouvel article 36-1, que vous ne souhaitez d'ailleurs pas voir inscrit dans la Constitution, qu’il ne peut être dérogé à la compétence que l’autorité judiciaire tient de l’article 66 pour la protection des libertés individuelles suppose de modifier aussi ledit article 66, puisque ce dernier ne fait mention que de la liberté individuelle.
Vous ne pouvez pas opposer la loi du 3 juin 1958, qui a inspiré le pouvoir constituant et débouché sur la Constitution de la Ve République, à cette Constitution même ! Ce n’est pas la loi du 3 juin 1958 qui régit l’organisation des pouvoirs publics constitutionnels : c’est la Constitution de 1958, qui ne mentionne que la liberté individuelle, en lien d'ailleurs avec le principe fondamental de sûreté selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu, figurant dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce principe s’opposait à la pratique des lettres de cachet, qui permettaient au pouvoir royal d’enfermer sans raison n’importe qui. C’est dans ce seul cadre que l’article 66 de la Constitution, conformément à notre tradition républicaine, a érigé l’autorité judiciaire en gardienne de la liberté individuelle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Ces amendements et sous-amendements portent en fait sur trois sujets.
Le premier sujet est le rôle de l’autorité judiciaire, laquelle n’est pas mentionnée, en l’état, dans le texte du Gouvernement.
Deuxième sujet, l’intervention d’une loi organique est-elle ou non nécessaire ?
Le troisième sujet a trait au caractère strictement adapté, nécessaire et proportionné des mesures prises, tel que prévu par l’amendement n° 7 de la commission des lois.
Le Gouvernement n’a pas de désaccord de fond avec l’ensemble de ces propositions. Il souhaite simplement des évolutions sémantiques et rédactionnelles.
Concernant l’amendement n° 7, le Gouvernement n’est pas défavorable au « triptyque » proposé par la commission des lois, mais il souhaiterait que cette réécriture n’amène pas à biffer les notions bien stabilisées de police administrative et d’autorités civiles. Le Conseil constitutionnel a rappelé de manière constante que les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice des libertés constitutionnellement garanties doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et proportionnées à cet objectif. En outre, le Conseil d’État a rappelé, le 11 décembre dernier, que les mesures de police administrative étaient prises par des autorités civiles.
Pour éviter toute confusion, le Gouvernement souhaiterait que la commission accepte de rectifier son amendement n° 7, afin qu’il prévoie que « la loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements. Ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à ces finalités. »
En effet, nous craignons que la rédaction actuelle de l’amendement, supprimant les notions de police administrative et d’autorités civiles, ne crée une source de troubles potentiels dans une répartition assez « carrée » des compétences entre la police administrative et celle qui ne relève pas de l’autorité civile.
En ce qui concerne le recours à une loi organique, constatons d’abord que, actuellement, dans la Constitution, le renvoi à des lois organiques a toujours trait à l’organisation des pouvoirs publics. Tel n’est pas le cas ici : l’état d’urgence ne concerne pas l’organisation des pouvoirs publics stricto sensu.
Si l’objectif visé est que le Conseil constitutionnel puisse exercer un regard sur la loi instaurant l’état d’urgence, je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler qu’il en a déjà largement la faculté, que ce soit avant la promulgation, s’il y a saisine, ou après, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. L’actualité démontre d'ailleurs que le Conseil constitutionnel exerce amplement cette compétence, puisqu’il a eu l’occasion de se prononcer sur plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité relatives à l’état d’urgence que nous connaissons depuis la fin du mois de novembre.
L’inconvénient de recourir à une loi organique me paraît tenir à des considérations de temporalité. En effet, un délai incompressible de quinze jours entre l’examen d’un tel texte par chacune des deux chambres doit être respecté. En novembre dernier, si nous avions dû adopter une loi organique, il aurait été impossible au Sénat et à l’Assemblée nationale d’adapter le cadre en sept jours, comme ils l’ont fait, dans les conditions d’urgence qu’impose l’existence d’un péril imminent. Devoir observer un délai de quinze jours nous paraît donc contradictoire avec la notion même d’urgence telle que nous avons pu la ressentir au mois de novembre dernier, nonobstant le fait que le Conseil constitutionnel peut largement exercer un regard, par le biais d’une saisine parlementaire ou de questions prioritaires de constitutionnalité.
Enfin, en ce qui concerne le rôle de l’autorité judiciaire, il s’agit d’un sujet important, évoqué également en dehors de cet hémicycle. Il me semble d'ailleurs que le Sénat doit accueillir un colloque consacré à la place du juge, qui permettra de confronter les points de vue. Le Premier président de la Cour de cassation a lancé un débat extrêmement stimulant, qui sera l’occasion de revenir sur la genèse de l’article 66 de la Constitution, dans laquelle la loi du 3 juin 1958 a joué un rôle déterminant, comme l’a rappelé M. le rapporteur.
La conception française selon laquelle le juge administratif est seul compétent pour connaître de la légalité des décisions prises dans l’exercice de la prérogative de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir exécutif dès lors qu’elles n’entrent pas dans des matières réservées à l’autorité judiciaire constitue une originalité. Elle est bien établie et me paraît avoir démontré son efficacité.
Par ailleurs, l’article 66 de la Constitution confie à l’autorité judiciaire, qu’il qualifie, comme l’a rappelé M. Philippe Bas, de « gardienne de la liberté individuelle », le soin d’assurer le respect du principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu.
Le Gouvernement n’est pas hostile à l’adoption d’amendements visant à rappeler ce principe, mais il émet des réserves sur les rédactions proposées, qui lui paraissent s’écarter de manière hasardeuse de celle de l’article 66, en recourant à des notions voisines, mais non identiques. Ainsi, la notion de « protection de la liberté individuelle » ne figure, pour l’heure, dans aucune jurisprudence. Si le Sénat souhaite intégrer dans le projet de loi constitutionnelle la notion d’autorité judiciaire, le Gouvernement suggère de retenir plutôt la formulation suivante : « Il ne peut être dérogé à la compétence que l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, tient de l’article 66. »
Le Sénat reprendrait ainsi exactement les termes de l’article 66, plutôt que d’employer des notions voisines, mais distinctes. Si l’objet de votre amendement n° 8, monsieur le rapporteur, est de renforcer le dispositif de l’article 66, ce qui en soi peut s’entendre, même si, à titre personnel, je ne le crois pas utile, dans la mesure où personne ne propose de toucher à cet article, alors il conviendrait de ne pas trop s’éloigner de la rédaction de ce dernier.
Telles sont les suggestions d’évolution sémantique que je souhaitais formuler.
Madame Benbassa, je ne peux pas vous laisser dire qu’il y aurait eu des abus liés à l’état d’urgence, comme si nous étions dans un système qui relèverait de l’arbitraire. Un certain nombre de décisions ont été rendues par les tribunaux. Je vous renvoie notamment à une décision du Conseil d’État en date du 11 décembre, absolument remarquable tant par sa densité que par sa lisibilité, qualité parfois négligée par les juridictions. Des sanctions ont été prononcées, des décisions apparaissant discutables ont été condamnées. Dès lors, on ne peut affirmer que des abus auraient été commis dans le cadre de l’état d’urgence.
Nous sommes dans un État de droit. Le Gouvernement, que ce soit par le biais du contrôle parlementaire ou par celui des juridictions, rend compte de la légitimité de ses décisions ; M. le ministre de l’intérieur l’exposerait avec bien plus de talent que je ne saurais le faire. J’observe d’ailleurs que le nombre des mesures ayant fait l’objet d’une invalidation est très faible, pour ne pas dire infinitésimal.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Je tiens à remercier M. le garde des sceaux. Nous avons gardé, depuis le temps où il était président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, de bonnes habitudes de travail, qu’il n’y a pas de raison de remettre en cause.
Je ne crois pas utile, monsieur le garde des sceaux, de préciser dans le texte constitutionnel que les mesures en question sont des mesures de police administrative et qu’elles sont prises par les autorités civiles. La notion d’autorités civiles ne figure nulle part dans la Constitution, celle de police administrative non plus. Nous prévoyons l’adoption d’une loi organique, dans laquelle nous pourrons apporter toutes ces précisions.
Cela étant, je suis sensible à votre préoccupation. Vous préférez inscrire directement dans la Constitution ce qui pourrait figurer dans la loi organique. Je ne suis pas autorisé à faire évoluer la position de la commission des lois, qui n’a pas eu à en délibérer, mais, en ce qui me concerne, je suis tout à fait prêt à aller dans votre sens, monsieur le garde des sceaux, en rectifiant l’amendement n° 7 afin qu’il prévoie que les « mesures de police administrative pouvant être prises par les autorités civiles pour prévenir ce péril sont strictement adaptées, nécessaires et proportionnées ».
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Bas, au nom de la commission, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les mesures de police administrative pouvant être prises par les autorités civiles pour prévenir ce péril sont strictement adaptées, nécessaires et proportionnées.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. J’accepte également, pour l’amendement n° 8, la rectification suggérée par M. le garde des sceaux, qui a souligné que la notion de « protection de la liberté individuelle » ne figure pas en tant que telle à l’article 66 de la Constitution et qu’il est préférable, pour ne pas créer de trouble dans l’interprétation que le juge pourrait avoir à faire du nouvel article 36-1, de s’en tenir exactement aux termes de l’article 66. Je pense, monsieur le garde des sceaux, que la rédaction que vous proposez est d’une qualité supérieure à la mienne.
Par conséquent, monsieur le président, je souhaite rectifier l’amendement n° 8, afin qu’il prévoie qu’« il ne peut être dérogé à la compétence que l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, tient de l’article 66 ».
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Bas, au nom de la commission, et ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Il ne peut être dérogé à la compétence que l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, tient de l’article 66.
Monsieur Masson, le sous-amendement n° 21 est-il maintenu ?
M. Jean Louis Masson. Je maintiens ce sous-amendement, car la terminologie a besoin d’être clarifiée.
M. le président. Monsieur Malhuret, les sous-amendements nos 26 rectifié et 27 rectifié sont-ils maintenus ?
M. Claude Malhuret. M. le rapporteur m’a contraint tout à l’heure à faire la totalité du chemin qui nous séparait à propos de la notion de « péril imminent ». Profitant de l’énergie cinétique ainsi acquise, je continuerai sur ma lancée en accédant à sa demande de retrait des sous-amendements nos 26 rectifié et 27 rectifié. (Sourires.)
Je voudrais indiquer à M. le garde des sceaux que je ne suis pas d’accord avec lui à propos du recours à une loi organique.
Certes, le Conseil constitutionnel peut être amené à se prononcer à la suite d’une saisine par soixante députés ou soixante sénateurs ou du dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais une loi organique offre davantage de garanties.
Tout d’abord, dans les faits, aujourd’hui, seuls deux groupes, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, sont susceptibles de rassembler soixante députés ou soixante sénateurs pour saisir le Conseil constitutionnel. Les autres groupes ne sont pas en mesure de le faire. C’est un premier problème.
Ensuite, le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité n’intervient que très en aval de la déclaration de l’état d’urgence.
Enfin, l’adoption d’une loi organique, en cas de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, requiert le vote positif de la majorité des membres de l’Assemblée nationale, et non pas des seuls présents. Cela représente une garantie supplémentaire.
Vous nous dites, monsieur le garde des sceaux, que la loi organique fait perdre du temps dans un contexte d’urgence. Je pense qu’il y a là une confusion.
D’une part, en ce qui concerne la loi organique d’application, nous aurons tout le temps, après le vote de la révision constitutionnelle, en dehors de l’état d’urgence, de procéder à la navette parlementaire dans le respect des délais prévus par la Constitution.
D’autre part, les lois de prorogation de l’état d’urgence sont des lois simples, et non pas organiques.
Mais je retire les sous-amendements, monsieur le président.
M. le président. Les sous-amendements nos 26 rectifié et 27 rectifié sont retirés.
La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote sur l’amendement n° 7 rectifié.
M. Alain Richard. Compte tenu du bien-fondé de cet amendement, puisque c’est en effet l’un des cas dans lesquels nous ajoutons au dispositif actuel en encadrant mieux les prérogatives de l’État pendant l’état d’urgence, il faut le voter ; nous allons le faire.
En revanche, dans le rapprochement des formulations qui a eu lieu entre M. le rapporteur et M. le garde des sceaux, il me semble que l’on peut encore améliorer. En effet, à partir du moment où l’on a précisé que les mesures en question relèvent de la police administrative, il n’y a aucun besoin de préciser qu’elles sont prises par les autorités civiles. Par qui d’autre pourraient-elles l’être ?
Rappelons-nous – c’est un souvenir un peu douloureux – pourquoi le terme d’« autorités civiles » figure dans une loi du 3 avril 1955 : on était alors en situation de guerre civile régionale et le vrai pouvoir était détenu par les militaires. C’est pour cela que les parlementaires, en 1955, ont écrit « autorités civiles », mais, comme le disait M. le rapporteur, cette expression ne figure pas dans la Constitution. Surtout, dès lors que l’on a indiqué qu’il s’agit de police administrative, tout le monde sait quelles sont les autorités constitutionnellement compétentes pour décider sur la police administrative.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. J’aimerais que M. le rapporteur nous apporte un éclairage supplémentaire, à la suite de l’invocation, par M. le garde des sceaux, de l’argument relatif à la temporalité pour s’opposer au recours à une loi organique.
C’est précisément pour lever ces interrogations sur la temporalité que mon amendement n° 32 rectifié bis vise à introduire dès l’alinéa 3 la mention d’une loi organique. Comme l’indiquait notre collègue Claude Malhuret, la loi organique fixant les mesures administratives pouvant être prises durant l’état d’urgence doit bien sûr être adoptée en amont de la déclaration de celui-ci.
Dès lors, il me semble nécessaire de mentionner la loi organique à l’alinéa 3, et non à la fin de l’article 1er. Sinon, comment les mesures prises pendant l’état d’urgence pourraient-elles être proportionnées ? En tout état de cause, ce ne serait pas le Parlement qui déciderait, mais bien l’exécutif, le législateur n’ayant alors compétence que pour proroger ou non l’état d’urgence.
La loi organique est absolument indispensable : il faut un contrôle en amont et de la sécurité juridique. Il convient d’éviter que le contrôle de constitutionnalité repose sur une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité. Constitutionnaliser l’état d’urgence est nécessaire pour assurer le respect des droits et des libertés dans tous les cas.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je voudrais répondre à M. Malhuret.
Je ne veux pas laisser accroire que la question prioritaire de constitutionnalité intervient très longtemps après la promulgation d’une loi. En l’espèce, l’état d’urgence a été déclaré le 14 novembre et la première question prioritaire de constitutionnalité a été déposée à la mi-décembre. L’ensemble des sujets soulevés avaient été purgés à la fin du mois de janvier dernier. Les délais sont donc relativement brefs.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le garde des sceaux, vous affirmez qu’il n’y a pas eu d’abus. Or, avant de devenir ministre, lorsque vous étiez à la tête du comité de suivi de l’état d’urgence de l’Assemblée nationale, vous avez vous-même déclaré qu’il était temps de mettre fin à l’état d’urgence. Je ne me souviens pas des mots exacts que vous aviez alors employés, mais tel en était le sens général.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est bien cela !
Mme Esther Benbassa. En outre, monsieur le garde des sceaux, il suffit de consulter l’observatoire de l’état d’urgence mis en place par le journal Le Monde ou de prendre connaissance des observations d’associations comme la Ligue des droits de l’homme pour constater qu’il y a tout de même eu des abus. Les quelque 3 000 perquisitions effectuées ont débouché sur seulement quatre ou cinq procédures, sans parler des assignations à résidence injustifiées.
Enfin, contrairement à ce que vous avez pu affirmer, monsieur le garde des sceaux, M. Beaud n’est pas le seul professeur de droit à s’être opposé à la constitutionnalisation de l’état d’urgence, loin de là.
Je vous invite à vous garder, dans vos réponses, de recourir à des affirmations quelque peu cavalières.
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. Ce débat très riche se déroule dans un excellent climat.
En fin de compte, monsieur le garde des sceaux, ce que vous recherchez, comme nous, c’est un rapprochement général des positions, afin que nous puissions déboucher sur un texte susceptible de recueillir l’assentiment des trois cinquièmes de la représentation nationale.
Des interventions des uns et des autres, il ressort clairement que nous nous accordons sur la nécessité d’une loi organique. Dès lors, monsieur le garde des sceaux, je propose que l’on soumette sur ce point au vote du Sénat une proposition claire : plus c’est simple, plus c’est clair, plus c’est facile à comprendre ! Je suis persuadé qu’un large accord pourra alors être trouvé. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément », disait Boileau !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je n’ai jamais dit, madame Benbassa, qu’il fallait mettre fin à l’état d’urgence ; j’ai déclaré, le 16 janvier dernier, que l’essentiel de ces mesures me paraissait devoir être derrière nous : l’essentiel ne signifie pas la totalité. Quand mes paroles engagent la fonction que j’occupe, je suis particulièrement attentif aux mots que j’emploie ! J’étais, dans le cas d’espèce, rapporteur du comité de suivi de l’état d’urgence de l’Assemblée nationale et je ne parlais pas en mon nom personnel.
Dans le même ordre d’idées, je n’ai jamais dit que M. Beaud était le seul à s’être opposé à la constitutionnalisation de l’état d’urgence ; j’ai simplement affirmé que la grande majorité de la doctrine était favorable à celle-ci. Dossier en main, je suis prêt à vous le démontrer !
M. le président. En conséquence, les amendements nos 49 rectifié, 32 rectifié bis, 19, 33 rectifié bis et 51 rectifié n’ont plus d’objet.
Monsieur Bonnecarrère, le sous-amendement n° 41 rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe Bonnecarrère. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 41 rectifié est retiré.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l'amendement n° 8 rectifié.
M. Pierre-Yves Collombat. Mes chers collègues, pardonnez-moi d’avoir l’esprit de l’escalier, mais l’enchaînement des amendements est tellement bizarre que l’on a du mal à suivre !
Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. Avant d’évoquer l’amendement n° 8 rectifié proprement dit, je souhaite revenir rapidement sur deux points.
Tout d'abord, je tiens à rappeler ce que M. le garde des sceaux, alors président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, écrivait dans son rapport : « La législation d’exception n’est pas une simple alternative à celle des temps normaux. C’est une véritable dérogation, seulement justifiée par l’évidence. Le grand dérangement qu’elle entraîne ne peut donc être que d’une brève durée et sans séquelles. » (M. le garde des sceaux acquiesce.) Cela signifie que cette législation ne doit tout de même pas durer trop longtemps et que, peut-être, la constitutionnalisation n’est pas nécessaire. Mais passons…
J’en viens à ce dont nous avons déjà discuté et dont nous continuons à débattre : l’effort de la commission des lois du Sénat pour donner un contenu à ce que le Gouvernement nous a dit être son objectif, à savoir encadrer l’exercice de l’état d’urgence.
Il est un élément avec lequel je reste en désaccord avec le rapporteur et, peut-être, l’assemblée dans son ensemble, alors que je suis en accord avec les propositions d’Esther Benbassa : l’un des éléments de l’encadrement de l’état d’urgence, c’est faire en sorte que l’on ne puisse pas utiliser ce dernier pour faire n’importe quoi.
On me répond manifestations, effectifs à disposition, etc. Non ! On peut très bien interdire les manifestations. Nous avons les moyens de faire respecter l’ordre public sans invoquer l’état d’urgence. Ce n’est pas parce que ces manifestations ont lieu pendant que l’état d’urgence est déclaré que l’on doit utiliser les exceptions et les facilités que donne l’état d’urgence. C’est l’un des problèmes qui se posent aujourd'hui. Tous les rappels que j’ai formulés, qui ne visent en fait que des règles habituelles de droit, n’apportent rien de plus.
En revanche, si l’on formulait une véritable définition de l’état d’urgence et que l’on prévoyait de ne pas l’utiliser pour autre chose que ce pour quoi il a été décrété, on réaliserait, à mon sens, un réel progrès !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Nous avions prévu de soutenir cet amendement dans sa rédaction initiale ; nous voterons pour sa version rectifiée.
Je ne rouvre pas le débat, car nous nous sommes longuement exprimés sur cet article ; malgré les évolutions qu’il a connues, nous ne voterons certainement pas en sa faveur. Reste que le rappel de la compétence de l’autorité judiciaire est important et nécessaire, d’autant que nous examinerons prochainement le projet de loi de réforme de la procédure pénale, qui viendra, sinon parachever, du moins poursuivre la mise en place d’une société du « tout sécuritaire ».
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 66 rectifié n'a plus d'objet.
La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote sur l'amendement n° 12.
Mme Évelyne Didier. L’amendement n° 12 tend à fixer les modalités du régime juridique de l’état d’urgence par une loi organique et non par une loi ordinaire.
Je rappelle une fois encore notre opposition la plus ferme à la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Toutefois, considérant le projet de loi visant à réformer la procédure pénale, nous ne pouvons que soutenir les amendements visant à limiter les dérives éventuelles de futures lois d’application.
En effet, contrairement à une loi ordinaire, une loi organique est obligatoirement soumise au contrôle du Conseil constitutionnel – cela a été dit –, lequel aura alors à charge de vérifier si les mesures de police administrative autorisées dans le cadre de l’état d’urgence portent, ou non, atteinte de manière ostentatoire ou excessive aux droits fondamentaux et aux libertés fondamentales.
Non pas que nous fassions une confiance aveugle au Conseil constitutionnel ! Je rappelle que cette noble institution a validé à la fin de l’année dernière les assignations à résidence décidées dans le cadre de l’état d’urgence ; elle a considéré que les mesures avaient été prises dans le cadre d’un régime tout à fait exceptionnel justifié par un « péril imminent », à savoir la COP 21 !
Cependant, la loi organique exige également une majorité absolue en cas de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ce qui nous semble plutôt une garantie supplémentaire pour l’extension des mesures prises dans le cadre de ce régime exceptionnel.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Puisque c’est le dernier amendement tendant à intégrer les dispositions d’application dans une loi organique, il est bien entendu important de le soutenir, compte tenu de tout ce qui a été dit précédemment. En effet, c’est le seul dont l’adoption permettrait d’assurer un contrôle constitutionnel en amont et la sécurité juridique de l’ensemble des dispositions qui peuvent être prises.
Par conséquent, malgré les réserves que j’ai pu émettre tout à l’heure sur la place de cette notion dans l’article, il me semble important, pour donner tout son sens à la constitutionnalisation de l’état d’urgence, qu’une loi organique précise les mesures qui pourraient être mises en œuvre.
C’est la raison pour laquelle je voterai cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 9, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Pendant la durée de l'état d'urgence, une proposition de loi ou de résolution ou un débat relatifs à l'état d'urgence sont inscrits par priorité à l'ordre du jour à l'initiative de la Conférence des présidents de chaque assemblée pendant la session ordinaire ou une session extraordinaire ou, le cas échéant, pendant une réunion de plein droit du Parlement.
La parole est à M. le rapporteur.