Mme Danielle Michel. Exactement ! Bravo !
Mme Laurence Cohen. C’est bien pour cela que, régulièrement, nous proposons des évaluations, des bilans…
Mme Laurence Cohen. … pour rajuster l’action publique. (Mmes Maryvonne Blondin et Marie-Pierre Monier opinent.)
En quoi cette mesure devrait-elle échapper à cette règle ?
Osons franchir ce cap et impliquer le troisième acteur du système prostitutionnel ! Je sais que quelques associations et même le Défenseur des droits affirment que la pénalisation des clients va accroître la précarité et l’isolement des prostituées. Mais les personnes prostituées sont déjà précarisées et isolées. Il faut agir de façon globale et cohérente !
Un autre argument, que je veux combattre ici, serait qu’en pénalisant l’acte tarifé la prostituée se retrouve complice de ce délit.
J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que c’est refuser, au fond, de voir les prostituées comme des victimes.
Or, dès lors qu’il s’agit de violences sexistes faites aux femmes, n’est-ce pas une tendance encore très répandue ?
Réfléchissons ensemble : vous viendrait-il à l’esprit de considérer que les victimes de violences conjugales sont complices de leur conjoint car elles restent auprès de lui ?
Cette notion de complicité ne tient pas davantage sur le plan juridique. Je ne prendrai qu’un exemple, celui du trafic d’organes. Les coupables sont bien les trafiquants, les clients, mais pas celui ou celle qui y a recours, poussé par la misère !
Pourquoi, en effet, vouloir agir différemment parce qu’il s’agit de prostitution ? Ne faut-il pas avoir le courage de changer de regard ?
Notre but est non de juger ou de faire la morale aux clients mais de leur faire comprendre qu’ils ont un rôle à jouer pour mettre fin aux violences subies par ces femmes, pour mettre fin à la marchandisation du corps des femmes.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Très bien !
Mme Laurence Cohen. Il n’y a pas de liberté sexuelle quand l’une des deux personnes agit sous la contrainte et est entre les mains de proxénètes.
Près de trois ans après le début de l’examen de cette proposition de loi, je souhaite vivement son adoption dans son esprit initial (Mme Maryvonne Blondin opine.), telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale. Je sais que beaucoup de personnes prostituées ou anciennes prostituées, comme la majorité des associations de terrain, attendent également son adoption. (Mme Maryvonne Blondin opine de nouveau.) J’espère donc que le Sénat aura le courage de faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, le 2 octobre 2012, je déposais, au nom du groupe écologiste, une proposition de loi visant à l’abrogation du délit de racolage.
Depuis ce jour, soit près de trois ans et demi, la question de la prostitution n’a cessé de revenir dans le débat parlementaire : déjà par le biais de ma proposition de loi, adoptée par notre Haute Assemblée le 28 mars 2013, puis via la proposition de loi d’initiative socialiste renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
Tout au long du processus parlementaire, chacun aura eu l’occasion de faire valoir ses convictions sur un sujet qui est apparu pour le moins passionnel.
Je ne reviendrai donc pas ici sur chaque disposition. J’ai eu de nombreuses occasions de le dire devant vous, mes chers collègues, ce texte contient de bonnes mesures, utiles aux personnes prostituées. Je pense surtout à l’abrogation du délit de racolage, qui est enfin acquise.
Je crois que chaque parlementaire investi sur ce texte a eu à cœur la protection effective des droits des personnes prostituées, la protection de leur santé et de leur sécurité. Mais chacun a son idée du chemin qu’il faut emprunter et certains ici, ainsi qu’une majorité de nos collègues députés et le Gouvernement, estiment que cet objectif de protection pourra être atteint en pénalisant les clients.
Je ne le crois pas, je suis même certaine que cette mesure sera totalement contre-productive. Il s’agit là d’un dogme féministe révolu. Cette certitude est d’abord le fruit d’un long travail mené auprès des premières concernées, les prostituées, et des associations qui leur viennent en aide.
Alors, si j’ai un regret aujourd’hui, ce n’est pas d’avoir échoué à convaincre certains d’entre vous, c’est que les personnes prostituées n’aient pas été entendues.
Elles n’ont cessé, depuis des années, de clamer leur volonté d’être considérées comme des personnes libres et non d’être infantilisées. Elles ont crié leur colère contre des mesures qui les précarisent et rendent souvent dangereux l’exercice d’une activité qu’elles ont, pour certaines, choisie.
Mme Catherine Troendlé. Effectivement !
Mme Esther Benbassa. Il va de soi que le cas de la traite des femmes est tout à fait différent. Là, il est urgent de mener une campagne efficace contre le proxénétisme. Ce n’est pas en pénalisant les clients qu’on y parviendra.
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
Mme Esther Benbassa. Cette pénalisation revient, dans tous les cas, à punir les personnes prostituées.
Je veux aujourd’hui, une fois encore, porter leur voix : « Cette mesure va renforcer le statut d’inadaptée sociale des prostituées, statut stigmatisant qui doit être supprimé. Considérer que les prostituées doivent être traitées comme des mineures sans capacité d’exprimer leur consentement les place dans une catégorie de citoyennes à part, favorise le stigma et les pratiques de discriminations. Au contraire, nous voulons qu’elles et ils soient protégés par le droit commun. » (Mme Françoise Gatel applaudit.)
Malheureusement, il semble que, si le Sénat s’oppose une nouvelle fois à cette disposition, elle sera réintroduite à l’Assemblée nationale et cette voix, celle des premières concernées, n’aura pas été entendue. Et ce, au nom d’une certaine idée de la morale, de ce qui est bien ou mal, en oubliant la réalité. Et la réalité, mes chers collègues, c’est que la pénalisation des clients, qui n’est pas encore en vigueur, a déjà eu des effets délétères sur le terrain !
Ce sont les prostituées qui le disent et les équipes des associations qui le rapportent, tous ressentent « une tension liée à la concurrence plus marquée du fait de clients devenus plus discrets. Les rendez-vous sont donnés dans des lieux plus isolés, très loin des centres-villes, ce qui génère un danger et une peur supplémentaire du fait d’une plus forte clandestinité. On voit se développer par ailleurs de nouvelles méthodes de travail faisant appel entre autres à des intermédiaires et davantage à internet. »
Mais ces personnes prostituées doivent probablement se tromper et ne pas comprendre les bénéfices qu’elles – ou ils – tireront bientôt de cette mesure gouvernementale, n’est-ce pas ? (MM. René Vandierendonck, Joël Guerriau et Olivier Cigolotti ainsi que Mme Françoise Gatel applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois réunis pour nous prononcer sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Si tous, députés comme sénateurs, nous sommes unanimes pour vouloir lutter contre le système prostitutionnel et accompagner les personnes prostituées, nous divergeons sur le meilleur moyen d’y parvenir.
Notre position sur le sujet n’a pas évolué à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire. Elle demeure constante et claire : ni pénalisation des clients ni répression des personnes prostituées, mais de la prévention, de l’assistance et de la répression contre les réseaux mafieux et les trafics d’êtres humains.
Cette fois encore, nous nous félicitons de la suppression du délit de racolage passif, qui, depuis son instauration en 2003, a montré toutes ses limites. Non seulement il a contribué à fragiliser la situation des personnes qu’il visait à protéger, en repoussant les prostituées dans les lieux les plus reculés de la clandestinité, mais il n’est plus guère appliqué, car il est inapplicable !
En effet, après une importante utilisation, le nombre d’interpellations, de gardes à vue et de condamnations pour racolage passif a sensiblement baissé, sans que l’on constate une réduction de la pratique prostitutionnelle. Loin de là ! L’isolement géographique et social qui en a résulté s’est ainsi traduit par une plus grande vulnérabilité des personnes prostituées, rendant plus difficile l’accompagnement par les associations.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui met donc fin à ce dispositif contradictoire, qui a favorisé le maintien du « système prostitutionnel » clandestin qu’il avait pourtant vocation à éradiquer.
La commission spéciale a également veillé à ce que la dépénalisation du racolage passif ne nuise pas aux capacités d’enquête. L’article 1er ter permettra donc d’accorder une protection aux personnes prostituées coopérant avec les services de police en vue du démantèlement des réseaux.
J’en viens aux dispositions relatives au « parcours de sortie de la prostitution » et à l’assistance aux personnes prostituées. Nous avons déjà exprimé notre scepticisme face à la conception romanesque d’une « prostitution choisie ». Nous entendons cependant les revendications de ceux qui se présentent comme des « travailleurs du sexe » et évoquent le droit à disposer librement de son corps. Ils existent et constituent une réalité assumée du phénomène prostitutionnel.
La commission d’enquête a même auditionné un avocat à la cour d’appel préconisant la création d’un ordre national des péripatéticiennes et péripatéticiens.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est consternant !
Mme Maryvonne Blondin. Et pourquoi pas une école ?
M. Jean-Claude Requier. Le texte laisse ainsi la possibilité aux personnes ayant choisi d’exercer la prostitution de le faire dans une moins grande insécurité juridique et sociale. Il offre surtout la garantie aux personnes victimes des organisations mafieuses, qui constituent la majorité des personnes prostituées, de bénéficier d’une aide sociale pilotée par une instance ad hoc.
Ce faisant, le texte nous paraît concilier au mieux les principes de libre disposition de son corps et de dignité humaine – un équilibre qui n’est jamais simple à trouver –, tout comme il concilie la nécessité de lutter contre la prostitution et le principe de réalité que l’on pourrait exprimer ainsi : tant qu’il y aura une demande, il y aura une offre.
Aussi, s’agissant de l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel – mesure emblématique et la plus controversée –, nous réitérons notre satisfaction de voir cette disposition de pénalisation du client de nouveau supprimée par la commission spéciale. Nous ne répéterons jamais assez qu’une telle pénalisation, mise en place en Suède dès 1999, a abouti à des résultats plus que mitigés.
La prostitution y est devenue moins visible sur la voie publique,…
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !
M. Jean-Claude Requier. … mais plus ostensible sur internet, où des sites dits « d’entremise » se sont développés.
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
M. Jean-Claude Requier. Elle n’a donc pas disparu, contrairement à ce que l’on affirme. La pénalisation semble aussi avoir engendré une hausse du « tourisme sexuel » en Europe et dans le monde.
Mme Catherine Troendlé. Effectivement !
M. Jean-Claude Requier. Enfin, comme l’a récemment souligné le Défenseur des droits dans un récent avis public particulièrement intéressant, la clandestinité, qu’elle résulte de la pénalisation des prostituées ou de leurs clients, accroît les risques sanitaires et la diffusion de maladies sexuellement transmissibles. L’ordre public ne peut être réduit à la moralité publique : en matière de prostitution, des considérations importantes de santé publique doivent également être prises en compte.
En dépit de la noblesse de l’intention affichée, la pénalisation des clients de la prostitution souhaitée par l’Assemblée nationale ne permettrait pas de lutter efficacement contre le « système prostitutionnel ». Son application semble aussi délicate que l’a été celle du délit de racolage passif. Elle aurait également le défaut d’accaparer les moyens policiers et judiciaires disponibles, au détriment du travail d’investigation nécessaire au démantèlement profond et durable des réseaux.
Or, dans le meilleur des cas, interdire l’achat d’un acte sexuel serait inefficace ; dans le pire des cas, cela viendrait ajouter de la clandestinité à la clandestinité, de la misère à la misère. Bref, ce serait contre-productif.
Pour être efficace, la lutte contre la prostitution subie nécessite donc une réponse globale. Elle suppose, en amont, l’engagement massif de nos forces et moyens dans la lutte contre les réseaux de criminalité organisée et de traite des êtres humains et, en aval, la mise à disposition de moyens pour assurer le succès de la mise en œuvre du « parcours de sortie de la prostitution ».
Parce que nous nous inscrivons dans cette logique, comme en première et en deuxième lecture, la grande majorité des membres du groupe du RDSE apportera donc son soutien au texte issu des travaux de la commission spéciale.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées revient en nouvelle lecture au Sénat, la commission mixte paritaire n’étant pas parvenue à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion.
Notons néanmoins que ce texte rencontre un consensus des deux chambres sur plusieurs dispositions, à mes yeux importantes, qui ont d’ores et déjà été adoptées et qui permettront des avancées, notamment sur le volet social et préventif, comme l’a rappelé Mme la rapporteur.
En nouvelle lecture, après la réunion de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale a retenu plusieurs des apports importants du Sénat. Elle a ainsi adopté le dispositif dont pourront bénéficier les victimes de la traite et du proxénétisme, assimilé au dispositif du « repenti », afin de faciliter la coopération des personnes prostituées avec la justice dans le but de démanteler les réseaux. Elle a également voté l’extension de la liste des publics prioritaires pour l’attribution de logements sociaux aux victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme ainsi qu’aux personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution.
Cependant, depuis le début de son processus législatif, entamé à l’automne 2013, ce texte, plus précisément sa mesure la plus médiatique, qui prévoit la pénalisation des clients de prostituées, divise profondément le Sénat et l’Assemblée nationale. Depuis sa création au mois de janvier 2014, la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi, dont je suis membre, a rencontré des dizaines de personnes – représentants du monde associatif et des milieux judiciaire et policier, personnes prostituées, chercheurs et personnalités qualifiées – et, sur ce sujet, la question est loin d’être simple.
Pourtant, à mon sens, plusieurs raisons s’opposent à la pénalisation des clients.
En effet, la pénalisation accroît l’isolement et l’insécurité des personnes prostituées. Qui plus est, d’après les policiers et les magistrats, la pénalisation des clients ne constituera pas un instrument très utile dans la lutte contre les réseaux, puisque les clients ne donneront pas d’informations sur ces derniers, pour la simple raison qu’ils n’en disposeront pas. De plus, la quasi-totalité des associations œuvrant pour l’accès aux droits et aux soins des personnes prostituées ont alerté sur les risques sociaux et sanitaires de cette mesure : les personnes prostituées seraient davantage précarisées et fragilisées, alors même que c’est l’objectif inverse qui est visé, ce qui risque de rendre la prostitution « clandestine ».
À cela s’ajoute le fait que la pénalisation des clients serait difficilement applicable : les policiers de la Brigade de répression du proxénétisme ont ainsi estimé qu’il sera ardu de réunir les faits constitutifs de l’infraction – une relation sexuelle avec une prostituée en échange d’une somme d’argent – autrement que lors d’un délit flagrant.
Par ailleurs – et c’est fondamental ! –, il est incohérent de prohiber l’achat de services sexuels alors même que la vente de ces mêmes services serait parfaitement légale. L’échange de services de cette nature deviendrait ainsi un acte pénalement ambigu, autorisé dans l’un de ses aspects et interdit dans un autre, pourtant indissociable du premier.
En outre, il serait difficile de justifier que le législateur puisse s’immiscer dans d’éventuelles relations entre adultes consentants. C’est en tout cas contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans un arrêt de 2007, a indiqué que « la prostitution, en général, n’est incompatible avec la dignité de la personne humaine que lorsqu’elle est contrainte ». C’est donc cette position que la commission spéciale a choisi de maintenir, en s’opposant de nouveau à la pénalisation du client.
Dans les faits, la distinction est très difficile à observer entre une activité exercée dans le cadre d’un lien de subordination et l’usage d’une activité s’exerçant librement. C’est pourquoi le groupe Les Républicains soutient le texte issu de la commission spéciale, qu’il trouve fidèle aux premières conclusions issues des travaux approfondis qu’elle a menés, en accord avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir s’interroger sur la manière de maintenir l’ordre public et de lutter efficacement contre les réseaux sans pour autant rendre coupables les personnes prostituées de l’exercice de leur activité.
Telle est bien la position que le groupe Les Républicains défend et votera aujourd’hui.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, la prostitution dépasse toutes les frontières : elle s’établit partout où elle le peut. Son statut légal varie selon les pays. En France, sa pratique est déplorable et dramatique.
Dans ce contexte, je tiens à saluer tout particulièrement le travail de la brigade des mœurs et de tous les services concernés par ce combat permanent que nous devons soutenir sur le plan législatif. Je veux également rendre hommage aux associations qui, chaque jour, viennent en aide aux prostituées. Ces structures sont souvent financées par l’État et les collectivités locales.
Depuis octobre 2013 à l’Assemblée nationale et mars 2015 au Sénat, nous débattons, parfois au prix de vives controverses, pour faire évoluer notre législation. En effet, la loi actuelle est difficilement applicable. Malgré l’échec de la commission mixte paritaire au mois de novembre 2015, nous souhaitons que l’adoption de cette proposition de loi fasse prendre conscience que la prostitution, dans l’immense majorité des cas, constitue une exploitation de la misère et de la vulnérabilité d’autrui.
Il est de notre devoir de combattre les réseaux, qui tirent bénéfice de la marchandisation des rapports sexuels en exploitant des êtres humains par d’autres sans scrupules. Nous nous entendons tous sur la nécessité d’éliminer l’aspect inhumain et misérable de cette activité, mais nos positions divergent parfois sur les moyens à mettre en œuvre.
Je salue les avancées du texte. Je pense d’abord à la sensibilisation publique à la réalité de la prostitution, mesure qu’il faut soutenir, car rien ne se règle sans informer, dialoguer, démontrer ou dénoncer. Hélas ! nous ne pourrons rien résoudre dans la précipitation ou l’impatience.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Cela fait trois ans !
M. Joël Guerriau. Un effort constant et durable sur plusieurs générations est nécessaire. Les résultats les plus marquants et les plus satisfaisants sont toujours le fruit d’une activité soutenue sur le long terme, dont on finit par voir les effets.
La disposition qui introduit un parcours de sortie de la prostitution est aussi indispensable que la sensibilisation publique. C’est la contribution majeure de ce texte. Il faut bien admettre que le chômage et la pauvreté font le lit de ces activités lucratives. C’est pourquoi un emploi sûr et rémunérateur pourrait offrir une indépendance qui dissuaderait ces personnes d’une activité que les réseaux leur imposent. Une meilleure protection juridique pour les extraire de l’impasse où elles sont contraintes constituerait une avancée extraordinaire.
Dans mon département, à Nantes, quelle que soit la température extérieure, je suis effaré – et honteux pour notre pays – de voir un nombre impressionnant de femmes dans les rues, contraintes à la prostitution par des filières mafieuses qui font pression sur leurs familles en Afrique. C’est à ce désordre qu’il faut mettre fin. C’est cette ignominie qu’il convient de faire cesser. Quel arsenal judiciaire leur offrons-nous véritablement pour les protéger du risque de représailles punitives des réseaux ?
Dans chaque département, créer une instance spécifique pour coordonner et organiser l’action en faveur des victimes de la prostitution est une avancée concrète, qui instaure un véritable relais territorial. Avec le temps, ces instances partageront leur expérience, se communiqueront leurs succès et leurs échecs afin d’être plus efficaces dans l’action menée pour la sortie de la prostitution.
Malgré les avancées du texte, quelques tensions demeurent.
Je citerai d’abord la pénalisation des clients, qui figurait à l’article 16 du texte. Les députés y tiennent. Notre commission, en revanche, a supprimé cet article, comme le souhaitaient Amnesty International et plus d’une centaine d’organisations et d’institutions.
En effet, cette pénalisation surchargerait et compliquerait l’action de la police. De plus, les prostituées seraient obligées de se cacher. Elles se mettraient davantage en danger pour contourner cette mesure. Rixes, rackets, harcèlement seront des conséquences que nous devons éviter.
Alors, la pénalisation du client a-t-elle fait ses preuves dans d’autres domaines ou dans d’autres pays ? Que ce soit pour le transport de contrebande, de drogue, d’alcool, de migrants ou d’animaux, c’est le convoyeur pris qui est pénalisé et non le client. De même, les consommateurs de drogues sont rarement pénalisés alors que les dealers le sont majoritairement. On le voit, dans ces domaines, la pénalisation du client ne s’applique pas. Elle a en outre montré toutes ses limites dans d’autres pays.
Par ailleurs, la pénalisation du client n’aurait aucune prise sur les mises en relation directe via les annonces érotiques publiées sur des sites internet. Se donner les moyens de traquer ces publications et les réseaux de prostitution qui sont derrière nécessiterait un arsenal important. Ces sites sont volatiles, indétectables et parfois artisanaux ; ils apparaissent aussi vite qu’ils disparaissent. Leur contenu immatériel ne permet aucun repérage durable ni aucun contrôle. De plus, le montage complexe et astucieux de ces sites contourne toujours les lois, bien connues de leurs exploitants.
Enfin, sans intention de polémiquer, je voudrais revenir sur l’article 13 du texte, qui supprime le délit de racolage passif prévu à l’article 225–10–1 du code pénal. Ce dispositif, sollicité par de nombreux riverains, constituait un levier d’action pour les élus territoriaux. Il permettait de fonder l’arrêt sur la voie publique de toute sollicitation à des rapports sexuels tarifés.
Le maintien de ce dispositif accompagné de l’instauration des instances départementales nous aurait offert un arsenal intéressant afin, notamment, de dissuader la fréquentation de certains lieux de prostitution et de réduire ainsi les nuisances sonores liées aux rotations nocturnes de véhicules de clients. On en revient sur ce point à la case départ : on conserve un fort mécontentement des riverains sans résoudre le problème de fond de l’exploitation par la prostitution.
Sans doute le mal de la société est-il plus important que les solutions que nous apportons. On le sait : toiletter la portion visible de la prostitution ne permet pas suffisamment d’en éradiquer la cause ni l’usage.
Tout texte relatif à la misère de la prostitution touche à la conscience de chacun. Il apparaît difficile et illusoire de dégager des positions unanimes, chacun voulant bien faire mais tenant pour plus sûr tel ou tel dispositif.
La majorité du groupe UDI-UC votera ce texte en considérant les progrès sanitaires et sociaux qui l’animent.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, au cours des trois lectures que ce texte a connues au sein de notre assemblée, nos convictions n’ont pas varié ; celles de certains se sont même durcies. Pendant ce temps, la traite, les violences et les passes continuent. De nouvelles prostituées arrivent – de nouvelles filles, en majorité –, de plus en plus jeunes.
Si nous sommes tous d’accord ici pour lutter efficacement contre la traite des êtres humains, comme l’a démontré l’examen hier du rapport de la délégation aux droits des femmes sur le sujet, nous ne le sommes plus dès qu’il s’agit de mettre en place des mesures visant à freiner cette traite par la répression de l’ensemble des acteurs du système prostitutionnel : les proxénètes bien sûr, mais aussi les clients.
C’est bien en effet l’argent des clients qui alimente les réseaux criminels d’exploitation sexuelle.
Mme Marie-Pierre Monier. Eh oui !
Mme Maryvonne Blondin. C’est cette demande qui les amène à s’implanter sur le sol français.
J’en ai reçu une illustration saisissante et inquiétante en Bretagne : un réseau de prostitution chinoise vient d’être démantelé dans une ville des Côtes-d’Armor de seulement 19 000 habitants ! Alors que ces filières étaient auparavant principalement concentrées sur Paris et les grandes villes, elles s’étendent aujourd’hui sur tout notre territoire, et ce, madame la ministre, avant même l’Euro 2016 de football.
Pourquoi cette expansion ? La réponse tient en une phrase, que j’emprunte au chef de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, l’OCRTEH, qui nous a dit : « Cela doit répondre à une demande. » Un autre policier de l’OCRTEH d’ajouter : « Nous étions loin d’imaginer qu’il pouvait y avoir une telle demande dans une ville de cette taille. »
Alors, mes chers collègues, le client est-il innocent ? Il ne sait pas ce qu’il fait ou d’où viennent ces filles ? Il y a un produit, il l’achète ! Eh bien non ! Le client est l’un des maillons du système prostitutionnel et il ne peut rester systématiquement épargné !
Deux jours après la Journée internationale des droits des femmes et la réception du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes par le Président de la République, qui a rappelé à cette occasion que la prostitution est une violence faite aux femmes, il est essentiel que le client soit reconnu comme un des auteurs de cette violence.
Si 99 % des acheteurs sont des hommes, la grande majorité des hommes ne sont pas des clients ! L’achat d’actes sexuels n’est le fait que d’une minorité d’hommes. Et, comme l’indique à juste titre l’association Zéro macho, défendre la prostitution porte également atteinte à la dignité des hommes, car elle les enchaîne à une conception de la sexualité faite de domination et de frustrations.
La prostitution demeure le symbole d’une domination masculine qui a traversé toutes les époques. « La misère offre, la société accepte », disait Victor Hugo : au XXIe siècle, c’est inacceptable !
Par ailleurs, on entend souvent l’argument de la libre disposition de son corps pour justifier la prostitution. Néanmoins, l’achat d’un acte sexuel, ce n’est pas la liberté de chacun de disposer de son propre corps, c’est la liberté des clients de disposer, avec leur argent, du corps de femmes ou d’hommes dénués de tels moyens et, par conséquent, de la liberté de choix.
Il ne s’agit en aucun cas d’avoir une conception morale de la sexualité ou des relations entre femmes et hommes : l’enjeu est le refus de la marchandisation du corps humain.
Face à cette menace, il est primordial de responsabiliser le client et de poser un interdit clair dans la loi. Celle-ci, même si, on le sait, elle n’est pas efficace à 100 %, exprime les valeurs essentielles d’une société moderne et a une portée symbolique et pédagogique forte.
Quel exemple pour notre jeunesse ! (Mme la ministre opine.) Vous l’avez dit, madame la ministre. Un rapport récent de l’IGAS signale que la prostitution sous diverses formes est en progression chez les mineurs : entre 6 000 et 10 000 mineurs sont concernés.
Vous conviendrez, mes chers collègues, que l’histoire et nos illustres anciens nous ont montré que, pour conquérir des droits ou faire changer les mentalités et le regard de la société, on a toujours eu besoin de s’appuyer sur des lois, en particulier en matière de lutte contre les violences ou d’égalité entre les femmes et les hommes. Par ailleurs, si l’on en juge par les sondages parus ces derniers jours sur la perception du viol ou du harcèlement sexiste, ce combat n’est pas encore gagné !
Aussi, je vous demande de voter cette proposition de loi telle que modifiée par les amendements de rétablissement des articles 16 et 17 ainsi que par l’amendement concernant l’article 18, que nous vous proposerons d’adopter. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)