Sommaire

Présidence de Mme Isabelle Debré

Secrétaires :

Mme Catherine Tasca, M. Bruno Gilles.

1. Procès-verbal

2. Dépôt d’un rapport

3. Ancrage territorial de l’alimentation. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

M. Joël Labbé, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques

M. Henri Tandonnet

M. Michel Le Scouarnec

M. Yannick Vaugrenard

M. David Rachline

M. François Fortassin

4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

5. Ancrage territorial de l'alimentation. – Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite) :

M. Daniel Gremillet

M. Jean Desessard

Mme Nicole Duranton

Mme Frédérique Espagnac

Mme Patricia Morhet-Richaud

M. Franck Montaugé

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l'article 1er

M. Michel Raison ; M. Daniel Gremillet ; M. François Patriat ; Mme Annie David ; M. Franck Montaugé ; M. Gérard Bailly ; M. Bernard Delcros ; M. le rapporteur ; M. le ministre ; M. le président de la commission ; M. Yannick Vaugrenard ; M. François Fortassin.

Adoption de l’amendement n° 6 insérant un article additionnel.

Article 1er

M. Michel Raison

M. Félix Desplan

M. Roland Courteau

M. Henri Cabanel

M. Gérard Bailly

M. Christian Manable

Amendement n° 1 rectifié de M. Alain Vasselle

M. Didier Guillaume ; Mme Marie-Noëlle Lienemann ; M. Jean Desessard ; Mme Marie-Christine Blandin ; M. Michel Raison ; M. Yves Détraigne ; M. Joël Guerriau ; M. Yannick Vaugrenard ; M. Marc Laménie ; M. François Patriat ; Mme Catherine Procaccia ; M. François Fortassin ; M. le président de la commission.

Retrait de l’amendement n° 1 rectifié.

M. Stéphane Le Foll, ministre

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

Amendement n° 14 rectifié de M. Daniel Gremillet, et sous-amendements nos 10 rectifié et 11 rectifié de M. Jean Desessard. – Adoption du sous-amendement n° 10 rectifié ; rejet, par scrutin public, du sous-amendement n° 11 rectifié ; adoption, par scrutin public, de l’amendement modifié.

Amendement n° 3 rectifié de M. Alain Vasselle. – Retrait.

Amendement n° 4 rectifié de M. Alain Vasselle. – Retrait.

Amendement n° 7 de M. Michel Le Scouarnec. – Devenu sans objet.

Renvoi de la suite de la discussion.

6. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Catherine Tasca,

M. Bruno Gilles.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d’un rapport

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les impacts de l’autorisation de circulation des poids lourds de quarante-quatre tonnes.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Discussion générale (suite)

Ancrage territorial de l’alimentation

Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation (proposition n° 303, texte de la commission n° 427, rapport n° 426).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il me revient d’introduire l’examen de cette proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation.

Vous connaissez la crise que nous vivons, qui touche l’agriculture et particulièrement l’élevage. Depuis 2011, l’État a la volonté de développer l’ancrage territorial et local des productions agricoles et des lieux de consommation. Le mouvement s’est amplifié depuis 2013, sous ma responsabilité.

Cette politique s’est manifestée, d’abord, par la validation de plateformes de commercialisation de produits locaux. En l’absence de Didier Guillaume, président du groupe socialiste et républicain, je voudrais évoquer la plateforme Agrilocal, qui fonctionne très bien. Il existe également une plateforme issue des chambres d’agriculture, ainsi qu’une autre, validée par le Gouvernement, émanant de la Fédération nationale de l’agriculture biologique.

Cette démarche visait à favoriser l’ancrage territorial et local entre la production agricole et la consommation de biens alimentaires, en particulier dans la restauration hors domicile liée à l’ensemble des actions conduites par l’État et par les collectivités locales. Tel est également l’objectif de ce texte.

Après avoir été examinée par l’Assemblée nationale, la présente proposition de loi, déposée par Brigitte Allain, est aujourd’hui débattue au Sénat. La discussion à l’Assemblée nationale a été utile et s’est soldée par un vote unanime de soutien à ces propositions.

Nous partageons tous, dans cette enceinte, les objectifs que je viens de rappeler. Nous devons encourager tout ce qui contribue à les atteindre, en mettant en œuvre des stratégies aussi efficaces que possible.

Lors du salon de l’agriculture, nous avons validé la dernière étape du dispositif destiné aux acheteurs, au sein des collectivités locales. Il s’agit d’un système informatique permettant à chaque acteur, en fonction des produits qu’il souhaite acheter, de disposer des critères les plus efficaces pour aboutir à un achat local.

L’article 1er de cette proposition de loi est clairement ambitieux, dans la mesure où il reprend l’objectif fixé par le Président de la République de 40 % de produits locaux et de qualité dans la restauration collective.

Le Gouvernement est également en faveur de l’affichage clair d’un objectif d’approvisionnement en produits issus de l’agriculture biologique, lequel a été fixé par l’Assemblée nationale à 20 % de ces produits locaux. Cela confirme les engagements que j’avais contractés dans le cadre du plan Ambition Bio 2017 en faveur de la production, de la transformation et de la distribution des produits issus de l’agriculture biologique.

Ces objectifs, ambitieux, ne pourront être atteints qui si nous prenons toute la mesure de la complexité du sujet. Favoriser l’ancrage territorial, c’est raisonner à l’échelle des territoires. Il est de la responsabilité des acteurs eux-mêmes de s’intéresser non seulement aux productions locales, mais aussi à leur transformation et à leur mise à disposition à l’échelle d’un territoire, d’une collectivité locale, d’une cantine ou d’un hôpital. Il ne suffit pas de réclamer la mise en œuvre de réglementations, voire de lois. Une telle ambition nécessite une organisation parfaite pour faire correspondre localement les capacités productrices, les lieux de stockage et de transformation nécessaires, ainsi que les lieux de consommation.

Cette mobilisation essentielle prend son sens avec les plans régionaux de l’alimentation mis en place dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui doivent structurer l’ensemble constitué par l’offre et la demande locales, afin d’atteindre l’objectif ambitieux de 40 % de produits locaux de qualité dans la consommation des collectivités et de 20 % de produits biologiques.

Cet objectif doit être poursuivi dans le respect des règles qui s’imposent aux marchés publics. La France est un grand pays agricole, actif sur des marchés à l’échelle européenne. Nous devons donc respecter la réglementation européenne et nous inscrire dans les règles propres aux marchés publics. Mais, je l’ai dit dès 2013, celles-ci n’empêchent en aucune manière d’acheter des produits locaux, selon des critères spécifiques. Nous avons ainsi progressé dans ce domaine, grâce à différents éléments, en particulier le guide fourni à tous les maires de France en 2014.

Cela dit, un constat est largement partagé : les marchés sont organisés d’une manière qui décourage l’achat de produits locaux au lieu de l’encourager. Cette proposition de loi a donc pour objet de faire en sorte que l’ensemble des dispositions législatives et des critères soient calibrés pour favoriser l’achat local.

Au-delà de la réglementation et des bonnes volontés, il faut repenser les stratégies d’achat et la politique alimentaire, par exemple en faisant le choix de travailler davantage de produits frais et de produits non transformés. Il faut par conséquent intégrer dans la stratégie globale du développement de l’achat local, de la consommation locale les conséquences de tels choix sur les collectivités et sur les cantines.

C’est pourquoi j’ai choisi d’engager l’action en premier lieu sur la construction d’outils, avec la publication de trois guides pour favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, avec la mise en ligne, dès l’été 2016, d’une boîte à outils pour faciliter l’appropriation par les acheteurs des possibilités offertes par le code des marchés publics. Il est inutile de chercher ailleurs : le cadre régissant les marchés publics permet tout à fait, aujourd’hui, de garantir l’achat local. Les acheteurs, qui sont confrontés au quotidien à cette réalité, disposent de l’ensemble des critères à mettre en œuvre à cette fin.

La responsabilité de l’État est particulière. Emmanuel Macron et moi-même avons pris des ordonnances nous permettant de revoir l’ensemble des appels d’offres, afin que l’État et ses administrations se mettent en concordance avec l’objectif fixé aux territoires. De nombreux progrès ont été réalisés. Ainsi, Jean-Yves Le Drian et moi-même avons mis en place un système qui fonctionne bien et qui assure un bon approvisionnement en produits locaux de nos armées. C’est un élément important dans la stratégie de notre défense nationale. Enfin, sur l’initiative du Premier ministre, un grand recensement est d’ores et déjà en cours au sein des marchés publics d’État pour revoir les appels d’offres passés.

Par ailleurs, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a permis la mise en place des projets territoriaux, tout en garantissant un rôle spécifique aux chambres d’agriculture, associées à la définition de ces derniers.

M. Jean-Louis Carrère. C’est très bien !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Cela nous permet de coordonner l’offre agricole et les besoins en termes d’alimentation locale.

D’autres éléments découlent du programme national pour l’alimentation. J’ai ainsi eu la satisfaction de récompenser vingt et un lauréats d’un appel à projets, ce qui démontre notre capacité à susciter des démarches performantes à l’échelle de grandes, de moyennes et de petites villes afin de favoriser une alimentation de proximité et – ne l’oublions pas – de qualité.

Le présent débat, après celui qui s’est tenu à l’Assemblée nationale, doit permettre d’accélérer ce processus en exprimant la volonté politique de la représentation nationale d’appuyer, d’accompagner et de structurer l’ensemble des démarches nées sur nos territoires.

Des discussions sont en cours, nous aurons l’occasion d’y revenir, et chacun précisera ses objectifs. Je tiens à souligner la qualité du débat qui s’est déroulé à l’Assemblée nationale ; il s’est conclu par un vote à l’unanimité. Il a fixé un double objectif – 40 % de produits de qualité d’origine locale dans les cantines et 20 % de produits bio –, qui nous semble pouvoir être atteint, au vu des chiffres actuels. Aujourd’hui, certaines collectivités y parviennent déjà. Nous devons trouver ensemble, comme cela a toujours été le cas ici, les voies et moyens de favoriser notre agriculture en privilégiant les achats de proximité et de qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe communiste républicain et citoyen.)

M. Jean-Louis Carrère. Nous avons reçu beaucoup trop de mails ! Nous sommes déstabilisés !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Joël Labbé, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui saisis en première lecture de la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 14 janvier dernier. Je tiens à saluer son auteur, Mme Brigitte Allain, présente en tribune.

Ce texte entend faire de la restauration collective l’un des leviers du développement de l’alimentation issue de l’agriculture locale, durable et biologique, avec une véritable ambition concernant cette dernière, le texte initial prévoyant une quotité de 20 % de produits servis issus de l’agriculture biologique. Il s’agit pour nous de préparer l’alimentation de demain.

Puisqu’il est question de demain, permettez-moi de dire un mot du documentaire récemment primé intitulé justement Demain. Un certain nombre d’entre vous l’ont peut-être déjà vu…

M. Jean Desessard. Pas encore !

M. Joël Labbé, rapporteur. Toutes les salles qui le diffusent sont pleines !

J’étais invité samedi soir au cinéma d’Auray, ville chère à mon collègue Michel Le Scouarnec, pour la projection de ce film suivie d’un débat sur l’alimentation. La première salle, prévue pour recevoir cent cinquante personnes, ne suffisant pas, une autre pouvant en accueillir trois cents a été ouverte, et encore a-t-il fallu refuser du monde !

J’animais ce débat, mais ce n’est pas Joël Labbé qui a attiré cette population ! (Sourires.) Perrine Hervé-Gruyer de la ferme du Bec Hellouin était également présente, monsieur le président de la commission. Le débat s’est poursuivi jusqu’à une heure du matin ; l’assistance était non pas militante, mais intergénérationnelle et représentative de l’ensemble de nos concitoyens, cette foule sentimentale qui a soif d’idéal !

Je le dis sans reproche, mais je suis convaincu que, si nous étions une majorité à avoir vu ce film dans cet hémicycle, la disposition portant sur les 20 % de produits issus de l’agriculture biologique serait facilement adoptée…

Quoi qu’il en soit, l’alimentation est par définition un besoin essentiel pour toutes les populations du monde. Le droit à l’alimentation est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui garantit à chacun l’accès à une alimentation suffisante, de qualité et correspondant aux traditions culturelles locales.

Jusqu’aux années soixante, partout dans le monde, la majeure partie de l’alimentation était produite dans les territoires par une agriculture paysanne, et consommée par les populations de ces territoires. Aujourd’hui encore, ne l’oublions pas, cette agriculture familiale et paysanne de proximité fournit 80 % en valeur de l’alimentation mondiale et occupe près de 40 % de la population active de la planète.

En France, depuis le début des années soixante, différents leviers ont été actionnés afin d’accéder à la souveraineté alimentaire et d’augmenter de manière significative la production agricole. Ces éléments ont permis des gains de productivité considérables, tout en entraînant de profonds changements dans la nature des productions, avec une tendance à la spécialisation, à la diminution du nombre d’emplois provoquant un exode rural qui s’est poursuivi, et à la modification des structures des exploitations. L’intensification de l’agriculture a également eu des effets environnementaux substantiels sur les ressources naturelles, la vie des sols et la biodiversité, ainsi que sur la santé des agriculteurs et des consommateurs.

La prise de conscience est désormais réelle : une évolution de nos approvisionnements alimentaires doit intervenir, mais elle ne suffit pas ; il faut trouver des moyens opérants pour mettre un terme à des modes d’alimentation dont l’acceptation sociale est de plus en plus remise en cause.

La loi a sa place dans la définition de notre politique alimentaire : elle peut et doit donner l’impulsion du changement qu’attendent nos concitoyens.

C’est dans cette perspective que la présente proposition de loi cible uniquement l’approvisionnement des restaurants collectifs. Ce levier n’est pas nouveau : déjà, en 2009, la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement prévoyait un engagement en la matière. En 2013, cet engagement était renouvelé dans le programme Ambition bio 2017. En 2014, en clôture de la conférence environnementale, était rappelé l’objectif du Président de la République d’atteindre une quotité de 40 % de produits locaux dans la composition des repas proposés en restauration collective.

Force est pourtant de le constater, plus de six ans après les premiers engagements, les objectifs fixés n’ont pas été atteints, tant s’en faut.

Toutefois, depuis 2009, des initiatives de plus en plus nombreuses se sont fait jour pour relocaliser l’alimentation servie en restauration collective ; elles sont porteuses en germe d’un mouvement de fond qu’il convient non seulement d’accompagner, mais aussi de consolider.

Pour ce faire, la réforme la plus emblématique prévue par la présente proposition de loi est d’imposer juridiquement, à l’horizon 2020, un approvisionnement alimentaire plus proche des territoires et de plus grande qualité pour les restaurants collectifs publics de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics, en fixant une quotité précise à atteindre. C’est l’unique voie permettant de produire un effet d’entraînement suffisant de la demande et de l’offre, à même de développer la filière de l’alimentation durable qu’il nous faut aujourd’hui.

Permettez-moi de rappeler que 3,6 milliards de repas sont servis chaque année par la restauration collective en France.

J’entends certaines réserves sur le caractère matériellement réalisable de l’obligation mise à la charge de la restauration collective publique. Cet objectif contraignant est absolument atteignable si les acteurs s’en donnent les moyens dans les années qui viennent ; son respect impliquera nécessairement un renouvellement de l’approche jusqu’ici retenue par la majeure partie des acteurs de la restauration collective. Les projets alimentaires territoriaux inscrits dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt constitueront les instruments idoines pour mettre en œuvre cette nouvelle approche.

Dans cette perspective, il convient d’abord de développer la formation de l’ensemble des acteurs, notamment des acheteurs publics et des personnels de cuisine, afin en particulier de redonner toute sa noblesse au métier de cuisinier, y compris dans la restauration collective.

Il faut ensuite développer les synergies autour de l’objectif fixé. L’approvisionnement des restaurants collectifs en produits locaux, issus de l’agriculture biologique ou sous mentions d’origine ou de qualité n’implique pas nécessairement un surcoût : divers leviers peuvent être utilisés, notamment la lutte contre le gaspillage alimentaire renforcée grâce à une loi récemment adoptée à l’unanimité par le Sénat, la promotion des produits en vrac, la limitation de la diversité des produits proposés et, enfin, l’éducation à l’alimentation qui est essentielle et désormais inscrite dans la loi.

Lors de sa réunion du 2 mars dernier, la commission a adopté cette proposition de loi en y apportant certaines modifications, visant en particulier, tout en maintenant l’obligation pour la restauration collective de servir des repas composés à 40 % de produits relevant de l’alimentation durable, à assouplir ses conditions de mise en œuvre, particulièrement s’agissant de l’approvisionnement en produits bio.

L’objet du débat d’aujourd’hui portera sur l’adoption ou le rejet des 20 % de produits bio. Il n’y a pas d’ambition sans objectifs chiffrés. À mes yeux, ce n’est pas une question de droite ou de gauche ni même d’écologistes : c’est une question de bien et d’intérêt publics, pour aujourd’hui et pour les générations futures.

C’est pourquoi ce matin, dans le cadre des travaux de la commission, j’ai proposé deux assouplissements importants : d’une part, inclure dans les 20 % de produits bio les produits issus des surfaces en conversion, ce qui élargit le champ et constitue un appel d’air pour cette filière, qui fait actuellement l’objet d’un développement fort…

M. François Patriat. Très bien !

M. Joël Labbé, rapporteur. … et, d’autre part, tout en conservant la date ferme du 1er janvier 2020, permettre que les contrats signés n’intègrent les nouvelles obligations qu’à partir de cette date.

En tant que rapporteur, je me suis efforcé de rechercher un véritable consensus. Nous n’en sommes pas loin, comme l’a dit tout à l’heure M. le ministre.

Chère Brigitte Allain, c’est à l’unanimité que cette proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale. Elle n’était pas tout à fait aboutie, puisque nous l’avons enrichie. À cet égard, nos concitoyens pourraient-ils comprendre que le Sénat, l’assemblée des sages qui affine les textes et les améliore, puisse ne pas voter le présent texte ?

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Joël Labbé, rapporteur. Cela étant, j’émettrai un avis favorable sur les amendements qui seront présentés par Jean Desessard visant à réintroduire l’ambition bio de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, la Haute Assemblée a été particulièrement sensible à vos propos soulignant le souci constant du Sénat de trouver des solutions pour permettre à l’agriculture de faire face à la crise. C’était d’ailleurs l’objet de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire que nous avons adoptée à une très large majorité.

Je ferai trois observations en complément des propos de M. le rapporteur.

Tout d’abord, l’objectif de cette proposition de loi est l’ancrage territorial de l’alimentation. Personne dans cette enceinte ne peut contester la nécessité de favoriser un rapprochement entre les lieux de production et de consommation. Comme cela a été rappelé, nous avons eu l’occasion, au travers des lois votées en 2009, en 2013 et en 2014, de réaffirmer ce souci.

La France dispose de ressources importantes, aussi bien en quantité qu’en qualité. Aucun pays ne peut certainement se prévaloir d’avoir autant de produits d’alimentation de la qualité de ceux que nous voyons prospérer sur nos territoires.

Pour autant, nous pouvons nous étonner qu’une partie importante des produits alimentaires utilisés par les restaurations hors domicile, notamment les restaurations collectives, provienne de l’étranger. Sachez, mes chers collègues, que tel est le cas de 87 % des volailles consommées dans la restauration hors domicile, sans parler d’autres produits, notamment carnés.

Nous savons bien que les territoires dont nous avons la responsabilité accueillent des producteurs de qualité. Le problème est évidemment de faire en sorte que leurs produits soient consommés là où la restauration collective est organisée, et de déterminer les moyens que nous devons mettre en œuvre à cette fin.

Cette proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation est peu à peu devenue un texte tendant également à imposer le recours à plus de produits biologiques dans la restauration collective.

Monsieur le ministre, au sein de la commission se sont déroulés des débats extrêmement féconds à ce sujet, la semaine dernière, mais surtout ce matin ; ils nous ont permis de nous accorder majoritairement sur les amendements que l’un de nos collègues présentera tout à l’heure. Ce faisant, la commission s’éloigne un peu du texte qui avait été souhaité par le rapporteur,…

M. Joël Labbé, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. … lequel, la semaine dernière, plaidait pour une adoption en l’état du texte voté par l’Assemblée nationale, sous prétexte que le groupe écologiste n’aurait pas d’autre de niche avant 2017…

Je serais mal placé pour dire que l’Assemblée nationale ne travaille pas avec le sérieux nécessaire – j’y ai passé trop d’années ! Il n’en demeure pas moins que, au Sénat, nous nous donnons le temps et les moyens de réfléchir. La commission a donc voté un texte qui s’écarte de la proposition de loi initiale. Le rapporteur est du reste revenu sur son premier propos, et est convenu qu’il était peut-être nécessaire de modifier le texte. Il appartiendra au Gouvernement d’inscrire ou non cette proposition de loi à l’ordre du jour prioritaire…

Enfin, permettez-moi d’être le porte-parole des membres de la commission des affaires économiques qui m’ont fait part de leurs remarques ce matin et, plus généralement, du Sénat.

Nous avons été bombardés de mails, non pas par centaines, mais par milliers !

M. Michel Vaspart. C’est scandaleux !

M. Éric Doligé. C’est insupportable !

M. François Patriat. Ce n’est pas la première fois !

Mme Frédérique Espagnac. C’est déjà arrivé !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Certains d’entre nous, de tous les groupes politiques, s’en sont émus.

Je dois dire ici à l’adresse de ceux qui nous les ont envoyés que c’est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire pour interpeller les représentants de la Nation. (Applaudissements.)

M. Joël Labbé, rapporteur. Ce n’était pas sur commande, il est important de le dire ! C’était la même chose lors de la loi sur le mariage pour tous !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Nous sommes ouverts au dialogue dès lors que les personnes sont en face de nous.

La multiplication des mails dans nos boîtes électroniques à la fois nuit à la qualité de nos travaux – nos secrétariats sont complètement noyés – et crée une réaction à l’encontre des objectifs recherchés,…

M. Michel Vaspart. Absolument !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. … ainsi que nous l’avons vu ce matin en commission.

Le débat est ouvert, et nous aurons l’occasion de l’enrichir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous avons pu le constater ces derniers jours, l’examen de cette proposition de loi suscite beaucoup d’intérêt et de réactions de la part de nos concitoyens, soucieux de leur alimentation et de celle de leurs enfants.

Je partage évidemment les deux objectifs essentiels inscrits dans ce texte : une meilleure alimentation et un ancrage territorial de proximité des approvisionnements reposant sur la richesse et la diversité de nos territoires.

Si je salue l’initiative prise par le groupe écologiste de proposer un texte ambitieux, il faut cependant confronter ces objectifs à la réalité. En effet, certaines difficultés méritent d’être soulignées

La première d’entre elles concerne la définition de l’ancrage territorial et de l’alimentation durable.

Autant nous détenons aujourd’hui des cahiers des charges précis pour les indicateurs de qualité tels que les IGP, les indications géographiques protégées, ou les AOP, les appellations d’origine protégée, visés par le texte, autant le concept d’alimentation durable reste vague.

Selon l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’alimentation durable est respectueuse de l’environnement et contribue à la sécurité alimentaire.

La proposition de loi, dans son article 1er, vise à définir cette alimentation selon des critères tels que les circuits courts, la saisonnalité, les signes d’identification de qualité, ou encore les mentions valorisantes. Toutefois, ces critères demeurent encore très flous.

Prenons l’exemple de mon département. Le Lot-et-Garonne, un département très rural avec 78 productions différentes, compte une zone agroalimentaire, avec 2 000 emplois et un marché d’intérêt national, qui a passé des contrats avec les acteurs de la restauration collective. L’agropole d’Agen prépare des plats à partir de produits locaux : les fameuses pommes de terre sarladaises ou les tomates séchées. Ces produits seront-ils considérés comme étant issus de l’agriculture durable ? Je n’ai pas de réponse claire à cette question.

La seconde difficulté réside dans la définition de la qualité figurant dans cette proposition de loi et qui soulève des questions.

L’approche en termes d’alimentation durable par le biais de produits saisonniers et de proximité est bonne ; elle conduit à privilégier encore une fois l’agriculture de territoire. Veillons cependant à ne pas y opposer l’agriculture conventionnelle.

Notre réglementation est aujourd’hui bien contrôlée, et les agriculteurs produisent des produits de qualité, il faut le dire. Soutenons certes notre agriculture biologique, mais n’oublions pas notre agriculture raisonnée.

Les efforts en ce sens doivent être soulignés. Je pense notamment à la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires. En la matière, des progrès importants ont déjà été réalisés, ce qui nous différencie de nos voisins européens, même si le manque d’étiquetage ne permet pas toujours de valoriser cette différence.

Enfin, il convient de préserver non seulement la qualité des produits, mais également un prix accessible pour la restauration collective.

Instaurer des critères tels qu’un seuil minimal de 20 % de produits bio, comme le prévoyait le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, peut être considéré comme une fausse bonne idée. Nous prenons le risque d’inciter les professionnels à se focaliser sur cet objectif et à s’approvisionner, pour le reste, en produits à bas coûts, de moindre qualité, ou encore en produits provenant des pays étrangers, ce qui irait totalement à l’encontre de l’objectif recherché.

De plus, imposer une part chiffrée de produits issus de l’agriculture biologique reviendrait à dévaloriser les autres critères d’alimentation durable, tels que l’approvisionnement en circuits courts ou la saisonnalité des produits.

Selon moi, il importe de laisser aux collectivités la variété d’initiatives que peut procurer le tissu local.

Avec ce texte, il s’agit de trouver le bon équilibre qui permette d’encourager l’alimentation durable et de proximité, sans pour autant légiférer en imposant des objectifs irréalisables.

Il faut préserver les mécanismes déjà en place, dont les outils fonctionnent. Je pense aux marchés d’intérêt national, qui ont des accords avec les opérateurs de la restauration collective. Ces derniers sont actuellement des vecteurs essentiels pour l’ancrage territorial de l’alimentation.

De surcroît, sans étude d’impact préalable, nous risquons d’alourdir les contraintes pour les collectivités. On ne peut pas dénoncer l’excès de normes et adopter sans arrêt des textes qui en imposent de nouvelles.

M. Joël Labbé, rapporteur. Ce ne sont pas des normes !

M. Henri Tandonnet. Depuis 2014, l’Association des maires de France incite les collectivités à acheter des produits de proximité pour approvisionner la restauration collective. Nous l’avons constaté lors de nos débats en commission – chacun, dans son territoire, peut en témoigner –, de nombreuses collectivités s’engagent déjà dans cette démarche sans qu’une loi le leur impose. Néanmoins, cela reste un combat compliqué à mener dans de nombreuses communes, et nous constatons que les problèmes de prix se posent partout. Tous les territoires n’ont pas les mêmes capacités financières.

Face à ces réalités de terrain, nous devons également faire confiance à nos collectivités pour qu’elles valorisent autant que faire se peut une alimentation durable en fonction de leurs capacités. Un objectif élevé d’alimentation durable doit être préservé. Laissons cependant la liberté d’initiative nécessaire selon la diversité des territoires et les situations locales. J’ai plus confiance en l’organisation de filières coconstruites plutôt qu’en une réglementation impérative. Aussi ai-je déposé en commission des amendements visant à assouplir le texte et qui ont été adoptés.

À l’article 1er notamment, il me paraissait difficile d’imposer 20 % de produits issus de l’agriculture biologique quand celle-ci ne représente que 5 % à 6 % de la production dans certains départements. C’est pourquoi il m’a semblé plus judicieux d’enlever cet objectif chiffré pour parler de « proportion de produits issue de l’agriculture biologique correspondant aux capacités de production locale ». Cette mesure est un assouplissement ; il ne s’agit pas d’un amendement « anti-bio », comme certains peuvent le penser.

Par ailleurs, j’ai souhaité clarifier la rédaction de la définition de l’alimentation durable pour que les quatre critères évoqués soient bien considérés comme alternatifs et non cumulatifs. Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale n’était pas parfait sur ce point.

Enfin, j’ai proposé la suppression de l’article 5, qui élargit la mention « fait maison » à la restauration collective, au risque de la galvauder et de nuire à la valorisation des restaurants de qualité.

En conclusion, cette proposition de loi est importante par son aspect pédagogique, et la discussion qu’elle a suscitée en commission et qu’elle va sans doute susciter aussi en séance publique en est la preuve. Son adoption permettra aux collectivités publiques de s’interroger sur l’origine des produits consommés dans la restauration collective et d’encourager une offre de qualité, y compris avec des produits issus de l’agriculture biologique, en se donnant des objectifs partagés avec les acteurs du territoire.

Assouplir ce texte, comme je le propose, c’est donner plus de responsabilités et d’initiatives aux collectivités locales. (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le manque de transparence de l’industrie agroalimentaire, animée par la recherche de la compétitivité maximale et le profit, ainsi que les différents scandales qui ont défrayé la chronique ces dernières années ont favorisé l’émergence des circuits courts dans le débat public et la réflexion collective. Notre collègue Joël Labbé a pris l’exemple d’Auray, et je me félicite que la population de cette ville soit aussi éclairée.

Ainsi, le retour à des relations directes entre producteurs et consommateurs serait un gage de sécurité quant à la qualité des produits consommés et donnerait la possibilité aux producteurs d’échapper, en partie du moins, au pouvoir de la grande distribution et, surtout, de développer le marché intérieur.

Si la description est certes succincte, aujourd’hui, nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à la qualité nutritive et sanitaire des aliments qu’ils consomment, mais aussi, et surtout, aux conditions de vie des agriculteurs. C’est pourquoi je salue l’initiative des auteurs de cette proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation. En effet, ce texte reprend des préoccupations chères aux parlementaires de mon groupe – nous avons eu l’occasion de les défendre à maintes reprises par voie d’amendements lors des débats sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ou sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt –, à savoir la qualité de notre alimentation et des repas servis dans la restauration collective, et la relocalisation des productions agricoles.

À cet égard, dans un courrier adressé au ministre au mois de novembre 2014, j’avais relevé les incohérences de notre système. En effet, l’essor de ces filières courtes reste encore modeste. Les achats réalisés grâce à un circuit court représentent 6 % à 7 % des courses alimentaires en France.

De plus, selon les chiffres communiqués par la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, bien que la France soit le premier pays producteur européen de volailles, elle n’arrive pas à endiguer le flot des importations sur le marché de la restauration collective, dont la proportion s’élève à 87 %, comme l’a souligné M. le président de la commission, en provenance majoritairement d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas et de Pologne.

De même, malgré l’importance de l’élevage bovin en France, entre 55 % et 60 % de la viande bovine consommée serait importée d’Allemagne, d’Angleterre, d’Irlande, et, hélas !, de plus en plus souvent, des États-Unis, d’Espagne, d’Argentine ou du Brésil.

Dans le secteur des fruits et légumes, nous le savons également, il existe encore des distorsions au sein de l’Europe quant à l’utilisation des pesticides et à l’emploi de main-d’œuvre à bas coût qui permettent à certains pays d’avoir des coûts de production moindres et donc de proposer des prix plus abordables ou plus bas.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui va dans le bon sens puisqu’il a pour objet de concrétiser, d’une certaine manière, la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt qui avait fait de l’ancrage territorial de la production l’un des enjeux de la politique agricole et alimentaire.

Ainsi, comme l’a souligné le rapporteur, cette proposition de loi vise à atteindre l’objectif de 40 % de produits issus de l’agriculture durable, locaux ou liés aux saisons dans la restauration collective publique dès 2020. À cet égard, il est regrettable que le seuil de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique ait été supprimé en commission.

Pour parvenir à l’objectif de 40 % de produits relevant de l’alimentation durable, le texte confie à l’Observatoire de l’alimentation la mission de veiller au développement des circuits courts et de proximité. Il ajoute un volet alimentaire aux plans régionaux d’agriculture durable, afin que les régions aident à la structuration des filières locales par l’installation de légumeries et d’abattoirs – nous avons déposé un amendement concernant les abattoirs –, et insère les questions alimentaires au cahier des charges de la responsabilité sociale et environnementale des grandes entreprises. Nous ne pouvons qu’adhérer à cette ambition.

Toutefois, nous savons, hélas !, que la question de la promotion des circuits courts ne sera pas réglée uniquement par cette proposition de loi, qui ne comporte, du reste, aucune sanction en cas de non-respect de ces objectifs. Quoi qu’il en soit, il faut donner une impulsion forte dès maintenant.

En effet, comment parler de développement des circuits alimentaires de proximité sans parler de l’accès au foncier, des politiques d’installation ou de reconversion des agriculteurs, des outils de planification, de régulation, de maîtrise des volumes produits, ou encore de l’étiquetage ?

Comment parler des circuits courts sans aborder les questions de la structuration des filières alimentaires et de la production agricole comme de l’adaptation nécessaire des petites structures agricoles aux contraintes imposées par la restauration collective en termes, notamment, de volumes, de régularité, de calibrage, de qualité et de prix ?

Comment, enfin, parler des circuits courts en passant sous silence la situation difficile dans laquelle se trouvent aujourd’hui les communes en raison de la très forte baisse de la dotation globale de fonctionnement, une situation qui confine à la catastrophe pour les plus pauvres d’entre elles ?

Il est difficile de croire que, en l’absence de moyens financiers et humains, les collectivités publiques et les agriculteurs s’inscriront spontanément, et surtout massivement – car tel est bien l’enjeu –, dans les démarches visant à favoriser les productions de proximité, saisonnières ou sous signe d’identification de la qualité et de l’origine. Car rejoindre ces démarches a un coût !

De plus, aucune mention n’est faite des dangers du traité de libre-échange en cours de négociation, alors que ses clauses vont à l’opposé des notions de qualité, de proximité et de traçabilité. De fait, elles nous encouragent à nous tourner vers des exportations et des importations accrues, ainsi que vers un productivisme exacerbé, en imposant des logiques financières à notre agriculture déjà affaiblie. Nous pensons au contraire qu’il faut soustraire l’agriculture, de manière raisonnable, pragmatique et efficace, aux logiques purement marchandes, en commençant par le périmètre des négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange, mais aussi sur l’accord France-Canada.

Nous voterons cette proposition de loi, mais nous continuerons d’affirmer que, selon nous, la promotion des circuits courts va de pair avec celle des petites et moyennes exploitations et que toute politique favorable aux circuits de proximité doit être conditionnée à des pratiques agricoles socialement et écologiquement soutenables. Une telle politique répond à la demande des syndicats agricoles pour ce qui concerne le développement du marché intérieur. Songez, mes chers collègues, que, d’après ce que ces syndicats nous ont expliqué au cours d’une réunion à laquelle, d’ailleurs, M. le rapporteur participait, la restauration collective dans son ensemble représente 30 % de ce marché intérieur ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi est l’occasion de mener une réflexion profonde sur l’avenir de notre système alimentaire à l’heure de la globalisation et de la mondialisation. Nous devons nous rendre à l’évidence : du point de vue tant de la production que de la consommation, cet avenir passe inéluctablement par la valorisation des circuits courts de distribution. Chacun, je pense, a bien conscience que ce sont de tels circuits que nous devons promouvoir et développer. Nos collègues députés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, puisqu’ils ont adopté la proposition de loi à l’unanimité.

L’objectif fixé par le Président de la République consiste à porter à 40 % la part des produits de proximité dans le total des produits utilisés par la restauration collective d’ici à 2017. La mise en œuvre des mesures nécessaires a d’ores et déjà commencé.

En particulier, la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a ouvert la voie à plusieurs avancées. Ainsi, l’encouragement de l’ancrage territorial de la production figure désormais au nombre des finalités de notre politique agricole et alimentaire inscrites dans le code rural et de la pêche maritime. Par ailleurs, des projets alimentaires territoriaux sont mis en place, destinés à structurer l’économie agricole à l’échelle d’un territoire, afin de mettre en œuvre un système alimentaire favorisant l’approvisionnement local.

D’autre part, le ministère de l’agriculture s’est engagé, à la fin de l’année 2014, en faveur des circuits courts dans la restauration collective, notamment à travers la publication d’un guide à l’attention de tous les maires de France. Il vient de compléter ce document en développant un nouvel outil à destination des acheteurs publics en restauration collective, en vue, toujours, de favoriser un approvisionnement local et de qualité dans les cantines ; cet outil a été présenté lors du dernier salon de l’agriculture.

Voilà, mes chers collègues, qui me donne l’occasion de faire remarquer à celles et à ceux qui ont la critique facile autant que la mémoire fragile que Stéphane Le Foll doit être remercié de son action, de sa constance et de son courage dans des fonctions particulièrement difficiles ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Cela dit, la principale disposition de la proposition de loi prévoit l’obligation d’intégrer 40 % d’aliments durables dans la restauration collective publique à l’horizon de 2020. Je vous rappelle que, selon le code rural et de la pêche maritime, l’alimentation durable correspond à l’utilisation de produits sous signe de qualité ou d’origine et bénéficiant de mentions valorisantes comme le label rouge, l’appellation d’origine protégée, l’appellation d’origine contrôlée, l’indication géographique protégée, le label « Agriculture biologique » et les mentions « Montagne », « Fermier » et, pour les outre-mer, « ‘Produits pays », ainsi que la qualification « issu d’une exploitation de haute valeur environnementale ».

Pour moi, plus globalement, l’agriculture durable est surtout l’agriculture issue d’approvisionnements en circuits courts et répondant notamment à des critères de saisonnalité.

Les circuits courts sont un mode de commercialisation des produits agricoles prenant la forme soit de la vente directe du producteur au consommateur, soit d’une vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur. On estime aujourd’hui à 21 % la proportion des exploitants qui vendent en circuit court.

Je comprends que le caractère obligatoire de ce dispositif puisse susciter des craintes, même si la date prévue pour son entrée en vigueur, le 1er janvier 2020, laisse du temps. J’ai également entendu les inquiétudes portant sur le coût qui résultera de ce dispositif pour nos collectivités locales. Au demeurant, le Gouvernement a pris en compte ces craintes, puisqu’il a accepté, lors de l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, la remise au Parlement d’un rapport sur les coûts liés aux différentes mesures.

Je signale toutefois que, dans les départements où de telles stratégies d’approvisionnement local ont été mises en œuvre, les coûts sont restés stables, voire, parfois, ont diminué.

J’en viens maintenant à l’obligation d’utiliser des produits bio.

Force est de constater que l’objectif fixé en 2008 par le Grenelle de l’environnement d’une part de 20 % de produits bio dans la restauration collective des administrations de l’État et des établissements publics est loin d’avoir été atteint, puisque, selon l’Agence Bio, les produits biologiques ne représentaient que 2,7 % des achats alimentaires collectifs en 2014. Aussi, mes chers collègues, dans ce domaine comme dans bien d’autres, ayons l’ambition tempérée par le réalisme, même si nous avons raison d’être volontaristes !

Je pense que c’est aussi l’agriculture raisonnée qui mérite d’être privilégiée. Celle-ci, en effet, permet de mettre en place un système de production agricole dont l’objectif premier est d’optimiser le résultat économique en maîtrisant les quantités d’intrants, notamment de substances chimiques, utilisées, afin de limiter leur incidence sur l’environnement ; il s’agit en particulier d’adapter les apports en éléments fertilisants aux besoins réels des cultures.

Consommateurs et producteurs, tous ont aujourd’hui pris conscience de la nécessité d’une agriculture durable. Seulement, « durable » ne signifie pas systématiquement « biologique », même si l’agriculture durable peut être aussi biologique. L’agriculture durable, je le répète, se caractérise par les circuits courts et par le respect de la saisonnalité.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi tombe à point nommé. Je remercie M. le rapporteur, Joël Labbé, de son travail, de sa constance et de son engagement, ainsi que de son effort de conciliation en vue de favoriser un accord. J’espère que nous réussirons à en trouver un cet après-midi !

En vérité, les circuits courts peuvent être l’une des solutions à la crise agricole que nous traversons. De ce point de vue, le conseil général de la Drôme, sous la présidence Didier Guillaume, a adopté des stratégies d’approvisionnement local qui se sont révélées efficaces, puisque les coûts sont restés stables, tandis que la part de l’agriculture biologique a atteint presque 30 %. Une alimentation saine est bonne pour nos enfants !

Cette proposition de loi est aussi pédagogique par les débats qu’elle suscite. Son adoption permettra de valoriser la qualité de notre agriculture et le travail de nos agriculteurs, qui en ont besoin. Ils ont notre entier soutien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. François Fortassin et Michel Le Scouarnec applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lorsque des propositions de loi défendues par nos collègues écologistes sont empreintes de bon sens et de pragmatisme, ce qui n’est pas si inhabituel (Murmures sur diverses travées.), nous y souscrivons pleinement !

Le présent texte va clairement dans la bonne direction, et ses objectifs rejoignent ceux que promeut mon mouvement politique. Il s’agit de recréer du lien entre les habitants des territoires via l’alimentation, besoin premier s’il en est.

En définitive, cette proposition de loi est une mise en œuvre législative du bon sens : les agriculteurs produisant sur un territoire, pourquoi, sur ce territoire, ne pas commencer par utiliser ce qui est produit au plus près, plutôt que de faire venir les aliments de loin ?

Les mirages d’un monde sans frontières ont fortement pénalisé les agriculteurs français. En effet, notre modèle social, qui, je le précise, doit certes être modernisé, mais surtout préservé, est sans conteste un handicap si l’on considère le seul critère de la compétitivité. Nous pensons, nous, que la compétitivité ne doit pas être seule prise en compte, et que les notions de solidarité et de bien commun sont bien plus importantes.

Or les productions françaises sont bien souvent plus chères que les productions étrangères ; mais on oublie de dire que, en achetant français, on finance notre modèle social, c’est-à-dire notamment notre sécurité sociale et nos services publics. Du reste, ce qui est vrai pour l’alimentation l’est aussi pour tous les autres domaines commerciaux.

À force de matraquage avec la sacro-sainte concurrence et la course aux prix bas, on a oublié le réel coût des choses, singulièrement le réel coût d’une agriculture de qualité !

De plus, une agriculture de proximité et de qualité est, en effet, bien plus responsable sur le plan écologique.

En France, le levier de la commande publique est important et produit bien souvent un double effet sur les filières : un effet initial lorsqu’elles répondent à la commande et un effet secondaire par lequel, orientées par cette commande, elles proposent aux autres acteurs, entreprises privées et particuliers, des produits similaires. Cet effet d’entraînement est de bon augure pour notre agriculture, d’autant que, selon les enquêtes d’opinion, les Français sont très majoritairement favorables à ce type de mesures.

Cette proposition de loi, je le répète, va dans le bon sens, même si je perçois bien les précautions prises pour ne pas paraître protectionniste, afin de ne heurter ni la doxa mondialiste ni l’Union européenne, qui, au demeurant, vient d’ouvrir une enquête sur Intermarché, parce que cette enseigne accepte de payer plus cher la viande de nos élevages !

Pourtant, protéger les siens ne signifie nullement attaquer les autres. Ainsi, protéger les agriculteurs français ne veut pas dire que nous souhaitons du mal aux agriculteurs étrangers, mais simplement que nous nous occupons en priorité de ceux qui nous ont été confiés par le suffrage, surtout quand leurs produits sont de grande qualité, ce qui est le cas dans notre pays.

Enfin, rappelons-nous toujours que l’agriculture est avant tout destinée à nourrir et non à produire. Comme les Français et tous ceux qui passent plus d’une demi-journée sur notre sol ont quotidiennement besoin d’être nourris, utilisons l’agriculture française pour le faire : c’est écologiquement gagnant, économiquement gagnant et aussi, j’ose le dire, moralement gagnant !

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’alimentation durable est celle qui, acceptable sur le plan économique et social, a de faibles conséquences sur l’environnement et contribue à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, ainsi qu’à une vie saine pour les générations présentes et futures. Telle est la définition adoptée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ; elle prend en compte la nécessité de satisfaire les besoins alimentaires d’une population mondiale plus nombreuse, alors que les terres agricoles sont sans cesse dégradées.

Tous les pays doivent produire plus, tout en produisant mieux. Or une partie de la solution réside dans le recours à la production locale, moins émettrice de gaz à effet de serre lorsque la logistique est optimisée et qui assure une meilleure transparence sur l’origine des aliments. Il faut dire aussi que ceux qui produisent localement sont généralement des militants, qui ont à cœur de fournir des denrées alimentaires de qualité.

La présente proposition de loi va dans le bon sens ; les sénateurs du Rassemblement démocratique et social européen la voteront unanimement. De fait, elle vise principalement à favoriser la consommation locale en instaurant un objectif de 40 % d’aliments durables dans la composition des repas servis dans les restaurants collectifs à la charge de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics avant le 1er janvier 2020.

Il s’agit de rétablir le lien naturel entre le produit et le territoire et de concilier le développement durable et la performance économique, ce qui consiste, en quelque sorte, à revenir aux fondements de l’agriculture. Cette orientation correspond à l’esprit de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt que nous avons adoptée en 2014.

C’est grâce à la qualité de ses produits qui doit être mise en avant et dont nous pouvons être fiers, et à la modernisation de son modèle agricole que la France pourra concurrencer les autres puissances agricoles.

C’est en jouant sur la carte des circuits de proximité et des circuits courts que nous contribuerons à améliorer la traçabilité des produits, que nous assurerons à nos agriculteurs la reconnaissance de leur labeur et que nous leur garantirons les revenus décents qu’ils méritent largement.

Enfin, c’est en mangeant local que nous payons le juste prix pour des produits de qualité gustative supérieure.

Au-delà de la nécessité de relocaliser l’agriculture, nos concitoyens cherchent à disposer de produits de qualité dans leurs assiettes. Leur confiance s’érode à mesure que les scandales sanitaires et alimentaires se succèdent et révèlent des pratiques douteuses masquant, par exemple, l’origine réelle de la viande, ou encore, même si de tels établissements font exception, la situation révoltante de certains abattoirs – y compris lorsqu’ils font l’objet d’une certification biologique – dans lesquels le bien-être animal est loin d’être au cœur des préoccupations.

La restauration collective, qui fournit le principal repas de la journée aux personnes les plus fragiles, constitue ainsi un levier intéressant pour agir en faveur de l’ancrage territorial de l’alimentation.

La définition de l’alimentation durable retenue dans le présent texte demeure large, afin de tenir compte des capacités de production locales. Toutefois, la mesure consistant à respecter une proportion de 20 % de produits bio dans les repas servis qui figurait initialement dans la proposition de loi pourrait devenir contre-productive si elle impliquait, du fait d’une offre inférieure à la demande, de recourir à des produits importés. Comme cela a été rappelé, en 2014, les exploitations qui fournissaient des produits issus de l’agriculture biologique représentaient seulement 5,6 % de l’ensemble des exploitations et 4,14 % de la surface agricole utile française.

Mes chers collègues, les objectifs fixés par le législateur doivent pouvoir être atteints par tous, sans quoi nous décrédibiliserons la loi et aboutirons à ce que celle-ci ne soit pas appliquée, comme ce fut le cas avec la loi Grenelle I. En 2009, cette loi fixait pour l’année 2012 un objectif similaire à celui qui est retenu dans le présent texte, alors même qu’il ne concernait que l’État. Nous voyons bien où nous en sommes aujourd’hui !

En outre, le recours aux produits bio peut représenter un surcoût difficilement supportable pour certaines collectivités locales. L’alimentation durable doit être économiquement acceptable. C’est la raison pour laquelle le texte issu des travaux de la commission des affaires économiques me semble plus équilibré que celui que l’Assemblée nationale a adopté : la proportion de produits bio dans la composition des repas servis dépend en effet des capacités de la production locale.

Cela n’empêchera pas les collectivités territoriales qui le peuvent d’intégrer une forte proportion de produits issus de l’agriculture biologique. Ceux-ci rentrent d’ailleurs dans la définition de l’alimentation durable, puisque la mention « agriculture biologique » est un signe permettant d’identifier la qualité et l’origine des produits.

Faisons donc confiance aux collectivités territoriales qui ont évidemment la volonté de développer les productions locales, l’emploi local et une agriculture plus respectueuse de la santé et de l’environnement ! Il revient à l’État d’accompagner les efforts des agriculteurs en ce sens. La production issue de l’agriculture biologique doit être favorisée, la France étant en retrait en Europe par rapport à des pays comme l’Autriche ou la Suède.

De la liberté accordée aux collectivités territoriales naîtront les initiatives intéressantes. Les exemples sont d’ailleurs nombreux en la matière.

La présente proposition de loi, en contribuant à soutenir l’emploi local et à rapprocher nos concitoyens de ceux qui produisent leur alimentation, concourra à la vitalité de nos territoires. C’est pourquoi les membres du groupe du RDSE voteront en sa faveur.

Enfin, mes chers collègues, je profite des quelques secondes qu’il me reste pour vous signaler qu’il ne faut pas oublier de faire œuvre pédagogique pour une alimentation saine ! En effet, il ne suffit pas d’avoir des produits biologiques, par exemple les haricots verts,…

M. Jean-Claude Requier. Sans goût ! (Sourires.)

M. François Fortassin. … pour consommer nécessairement des produits sains pour la santé. Ce n’est manifestement pas le cas lorsque l’on prépare les plats en ajoutant des quantités considérables de margarine ! (Exclamations amusées sur certaines travées.)

M. Jean Desessard. Il vaut mieux manger des pesticides, c’est meilleur !

M. François Fortassin. Nous avons avant tout besoin de bons cuisiniers ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Discussion générale (suite)

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Conseil national de Monaco, conduite par son président, M. Laurent Nouvion. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent.)

La délégation est accueillie par notre collègue, M. Christophe-André Frassa, président du groupe d’amitié France-Monaco, et nos collègues membres de ce groupe.

Cette visite s’inscrit dans le cadre des échanges réguliers entre le Sénat et la Principauté de Monaco, dont les liens avec la France sont si étroits, en particulier pour nos concitoyens du département des Alpes-Maritimes qui y travaillent quotidiennement.

Outre les nombreux sujets intéressant directement les relations franco-monégasques, cette session de travail interparlementaire est l’occasion d’aborder les relations de Monaco avec l’Europe.

La délégation rencontrera le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, ainsi que le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet.

Le programme sera dense, puisque la délégation sera également reçue demain matin par M. Gérard Larcher, président du Sénat.

Nous souhaitons à nos amis monégasques de fructueux travaux et la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Vifs applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Discussion générale (suite)

Ancrage territorial de l'alimentation

Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Article additionnel avant l'article 1er

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain du Salon international de l’agriculture, force est de constater que les indicateurs sont au rouge, que les prochains mois seront autant sinon plus difficiles que les derniers mois pour nos agriculteurs, et que notre responsabilité de parlementaire se pose avec acuité.

Oui, il nous faut prendre des décisions fortes pour redonner de la compétitivité à nos exploitations et à nos agriculteurs, pour offrir des perspectives aux hommes et aux femmes qui se trouvent sur nos territoires et pour assurer des débouchés à nos producteurs. Cela passera notamment par la remise en cause d’un certain nombre de normes et l’adoption de mesures structurelles déterminantes. C’est le sens des travaux que nous menons actuellement dans le cadre de l’étude de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.

En ce sens, je partage l’objectif d’un ancrage territorial de l’alimentation et l’esprit de la présente proposition de loi que nous examinons. Toutefois, mes chers collègues, n’oublions pas que ce texte ne constitue qu’une réponse partielle, sinon symbolique. Je voudrais d’ailleurs discuter de la pertinence de plusieurs de ses dispositions.

Première interrogation : j’ai été profondément choqué de voir figurer le mot « durable » dans chaque article de la proposition de loi. Quel message entendons-nous adresser à nos agriculteurs en conservant une telle rédaction ?

L’agriculture française, reflet de nos terroirs dans toute sa diversité, est d’une très grande qualité et évolue en fonction d’un savoir qui progresse avec la recherche. C’est pourquoi la définition de la notion d’« alimentation durable » qui figure dans le texte soulève de sérieux problèmes : elle ne repose sur aucune assise juridique et exclut arbitrairement une grande partie de notre agriculture. Ce n’est pas acceptable ! À cette notion, je propose donc de substituer une nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de l’article 1er qui – je l’espère – pourra faire l’objet d’un examen attentif.

La rédaction actuelle de cet alinéa me paraît beaucoup trop réductrice et contribue à opposer les modes d’agriculture les uns aux autres. Aujourd’hui, nous ne cessons de développer à tort cette opposition, alors que les différentes filières de la production doivent être appréhendées dans leur complémentarité.

En outre, il me paraît primordial de mettre en avant les appellations d’origine contrôlée, les AOC, les appellations d'origine protégée, les AOP, les indications géographiques protégées, les IGP, ou encore l’appellation « produits fermiers » dans le cadre de ces dispositions. Quoi de mieux que ces appellations pour obtenir un ancrage territorial de notre alimentation ? Rappelons-le : toutes ces qualifications visent à distinguer des produits et des modes de production qui relèvent d’un savoir-faire particulier et propre aux territoires, et qui répondent donc parfaitement à l’objectif d’ancrage territorial de l’alimentation. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé sur l’article 1er.

Deuxième interrogation : si notre responsabilité de parlementaire nous impose de prendre des décisions fortes, elle nous commande également de veiller à l’utilité de chaque nouvelle mesure. Les collectivités locales ont conduit des expérimentations avant même que nous n’examinions cette proposition de loi. C’est ce que nous avons appris en écoutant différents témoignages lors de nos auditions. Où est donc l’urgence à légiférer ?

De surcroît, ce texte pourrait avoir des conséquences inattendues : après les hôpitaux et les établissements scolaires, c’est au tour des exploitations biologiques de se massifier pour répondre à la demande tout en limitant les coûts ! Autrement dit, comment fournir 20 000 à 50 000 cuisses de poulet simultanément sans revenir au point de départ ?

À l’inverse, on demande aux agriculteurs des efforts d’investissement toujours plus importants pour respecter les normes sanitaires et proposer des produits de qualité, ce qui nécessite bien sûr que leurs exploitations atteignent une certaine taille critique.

J’en viens ainsi à ma troisième interrogation : compte tenu de la place occupée actuellement en France par les produits sous appellation et l’agriculture biologique, imposer un pourcentage de ces produits me paraît extrêmement périlleux. Dans un bon nombre de territoires, il sera difficile de respecter ces objectifs, faute d’une production locale suffisante.

Si je prends l’exemple de ma région, la production laitière biologique ne représente que 7 % de la production totale. Par ailleurs, la quasi-totalité de cette production est transformée en Mayenne, parce qu’il n’existe aucun outil de transformation localement.

Faute de pouvoir s’appuyer sur une manne locale suffisante, les collectivités locales seront alors contraintes d’importer. Le risque est grand en la matière, et nos agriculteurs seraient, une fois de plus, les grands perdants !

Quatrième interrogation : comment la notion de proximité est-elle définie ? Je regrette que le texte initial n’ait pas inclus les produits transformés localement, ainsi que ceux qui sont issus d’un approvisionnement de proximité dans le champ des produits visés. Le code des marchés publics et Bruxelles nous contraignent dans ce domaine. Il me paraît néanmoins important d’engager une réflexion sur le sujet.

Il est nécessaire de pouvoir valoriser les produits transformés localement ainsi que les entreprises y contribuant. C’est le cas notamment des coopératives qui répondent au principe de territorialité. Mes chers collègues, il n’y a pas mieux qu’une coopérative pour s’ancrer dans un territoire !

Dernière critique : je déplore l’absence d’étude d’impact sur ce texte. A-t-on pris le temps d’analyser les capacités locales de l’agriculture biologique et des appellations ? Quelles seront les conséquences financières de ces dispositions pour les collectivités territoriales et pour les ménages ?

Ne nous racontons pas d’histoire : il y a vingt-cinq ou trente ans, plus de 35 % des revenus d’un ménage étaient consacrés à l’alimentation contre moins de 20 % aujourd’hui selon les chiffres de l’INSEE.

M. Jean Desessard. Et alors ? Il faut l’augmenter, ce chiffre !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Mais on donne l’exemple ! (Sourires.)

M. Daniel Gremillet. Le prix des repas n’est pas un élément qui doit être négligé, nous le savons bien en tant qu’élus. L’inscription de repas équilibrés au menu des cantines doit également passer par une meilleure éducation de nos enfants. Une pomme aura beau être bio, elle n’en sera pas pour autant consommée si nous ne revoyons pas nos pratiques de consommation actuelles, notamment parce que celles-ci jettent le discrédit sur les fruits et légumes disgracieux. Cela correspond d’ailleurs aux discussions que nous avons eues voilà peu de temps sur la proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

En conclusion, le groupe Les Républicains soutient les amendements que j’ai déposés. Comme l’a rappelé notamment Jean-Claude Lenoir, ils sont de nature à rendre plus réalistes les dispositions contenues dans cette proposition de loi. Dans sa majorité, mon groupe conditionnera donc son vote à l’adoption de ces mesures ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Je tiens tout d’abord à remercier notre collègue députée Brigitte Allain, auteur de la proposition de loi, et notre rapporteur, Joël Labbé.

La loi Grenelle fixait un objectif de 20 % de produits bio dans les cantines pour 2012. Mes chers collègues, au cas où vous n’auriez pas bien entendu, je vous rappelle l’échéance retenue : 2012 ! Nous en sommes aujourd’hui bien loin !

M. André Gattolin. Qui a voté cette loi ? (Sourires.)

M. Jean Desessard. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons ce débat aujourd’hui.

J’entends les arguments de ceux qui prétendent que la filière bio serait trop peu développée pour répondre à la demande et qu’elle entraînerait des importations massives. Pourtant, c’est faux ! Moins de 400 000 hectares suffiraient à fournir 20 % de produits bio dans la restauration collective, soit 3 milliards de repas par an. (M. le rapporteur opine.)

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Jean Desessard. Pour rappel, l’agriculture biologique représentait 1,3 million d’hectares en France à la fin de l’année 2015. De plus, 220 000 hectares ont été convertis à ce mode de culture au cours de cette seule année. Monsieur le ministre, vous pourriez d’ailleurs nous parler de la difficulté que rencontrent certaines régions pour satisfaire la forte demande de conversion des exploitations agricoles à l’agriculture biologique.

Par ailleurs, la grande majorité des produits bio consommés en France, 76 % précisément, est déjà issue de nos territoires. Il faut aussi noter que la moitié de nos importations est constituée de produits exotiques et de spécialités gastronomiques que l’on ne peut pas produire dans notre pays.

Quoi qu’il en soit, les acteurs de terrain savent bien que c’est une question non pas de quantité, mais d’organisation de filières et d’adéquation entre offre et demande locales. C’est sur ce point que nous avons un rôle à jouer dans les départements, pour impulser la dynamique, mettre en mouvement, créer des synergies.

Des outils juridiques, nous en avons voté plusieurs : la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, dans laquelle ont été inscrits les projets alimentaires territoriaux, la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire et, bientôt je l’espère, cette proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation.

Plus de vingt plateformes de producteurs bio existent ; elles couvrent plus de 70 % des départements et sont en attente de commandes plus qu’en déficit d’offre ! En effet, au lieu des 20 % promis par le Grenelle de l’environnement, les commandes bio atteignaient seulement 2,7 % des achats de la restauration collective en 2015. C’est ce pourcentage, trop faible, qu’il nous faut aujourd’hui augmenter.

Concernant la notion de circuits courts, la principale critique serait que ce type de circuit garantit seulement le faible nombre d’intermédiaires, mais pas la distance entre le producteur et le consommateur.

Certains ont affirmé en commission que cela aurait pour effet d’approvisionner la restauration collective avec des produits en provenance d’autres pays ou même d’autres continents, à condition de supprimer les intermédiaires. Soyons sérieux, mes chers collègues : cet argument ne tient pas la route ! En effet, si de telles pratiques peuvent s’avérer théoriquement possibles, elles concerneront toujours un volume extrêmement marginal de produits.

En réalité, cela va permettre la structuration des filières locales et « booster » les plateformes alternatives existantes qui peinent aujourd’hui à résister face à la grande distribution, alors même qu’elles rémunèrent mieux les agriculteurs, ce qui est appréciable en période de crise, comme c’est actuellement le cas.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean Desessard. Les circuits courts sont donc des outils au service d’une plus grande qualité, d’une plus grande proximité et d’un soutien accru à nos paysans, auxquels ils garantissent des marges décentes.

Enfin, nous soutiendrons un amendement visant à rétablir l’article 5 de la proposition de loi concernant le « fait maison ». Cette mention n’est possible aujourd’hui que dans la restauration commerciale ; il semble important qu’elle puisse figurer également dans la restauration collective, afin de valoriser le savoir-faire de nombreux cuisiniers et les efforts de nombreux établissements dont les pratiques doivent pouvoir être identifiées.

Cette mention valorise utilement l’un des piliers de notre savoir-faire national, notre gastronomie, et permet sa transmission auprès des usagers de ces restaurants, surtout dans le cas des cantines scolaires.

En conclusion, cette proposition de loi écologiste – je remercie une fois encore Brigitte Allain et notre collègue Joël Labbé – permet, au-delà des déclarations d’intention, de soutenir réellement une agriculture de qualité et de proximité. Les mesures concrètes qu’elle prévoit amorcent la transition nécessaire de notre agriculture d’un modèle productiviste à un modèle durable – terme que je reprends, mes chers collègues, parce qu’il a une signification –, plus respectueux des consommateurs et, je le dis, des producteurs. Voilà pourquoi je vous incite à voter en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, texte dont l’objet ne peut qu’être salué.

Dans son article 2, la proposition de loi étend les missions de l’Observatoire de l’alimentation, créé par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de juillet 2010, à la fois aux circuits courts et aux circuits de proximité.

Je souhaite rappeler la définition des circuits courts et des circuits de proximité, notions que l’on confond trop souvent.

Pour ce qui concerne les circuits courts, il s’agit d’une question non pas de distance, mais du nombre d’intermédiaires entre le consommateur et le producteur. Si nous commandons sur internet une viande à un agriculteur normand – la meilleure, évidemment –, elle nous sera livrée sous vide. Là, il s’agit d’un circuit court.

En revanche, le circuit de proximité exprime, quant à lui, la proximité géographique et implique de trouver à proximité de chez soi un agriculteur qui fournira cette même viande.

Si je salue la démarche et l’objet de ce texte, je tiens néanmoins à exprimer quelques réserves.

D’abord, je m’interroge sur la difficile mise en œuvre de l’objectif de 40 % des produits issus de l’alimentation durable. À l’échelle nationale, nous sommes déjà très loin de l’objectif de 20 % fixé, je le rappelle, pour la fin de l’année 2012 par le Grenelle de l’environnement de 2007. Si les collectivités n’atteignent pas cet objectif, c’est pour des raisons de fond. Ce sont peut-être ces raisons qu’il faut traiter en priorité. Les élus locaux veulent évidemment permettre aux enfants de leurs écoles de manger local et d’avoir une meilleure alimentation que l’alimentation industrielle. Penchons-nous donc sur les raisons pour lesquelles les collectivités atteignent déjà difficilement les objectifs du Grenelle. Nous faisons de la surenchère en doublant un objectif qui n’est même pas encore atteint !

Le surcoût est souvent cité comme le frein principal au déploiement des produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective, ce qui empêcherait ainsi d’atteindre les objectifs fixés par le Grenelle. Mais, au-delà du prix supplémentaire à payer pour manger du bio à la cantine, nombre de collectivités se sont fixé un objectif complémentaire de consommation de produits locaux.

Désormais, les cuisines centrales ne peuvent utiliser que des fruits et légumes transformés, c'est-à-dire préalablement nettoyés, épluchés et mis sous vide.

Mme Nicole Duranton. La raison ? Alors que les cuisines ne comptent plus assez de personnel pour éplucher les produits sur place, le stockage des épluchures et autres déchets de préparation pose problème pour des raisons d’hygiène. Dans ces conditions, la transformation doit s’effectuer au plus près du producteur. Or cela soulève des difficultés dans le cas du bio. Les exploitations sont souvent de petite taille et disséminées sur un territoire. Il leur est donc difficile de déployer des unités de transformation.

Voilà une contrainte, un frein concret au développement des produits bio dans les cantines scolaires ! Tel est le point sur lequel il faudrait réfléchir plutôt que de doubler un objectif qui n’est même pas encore atteint, je le répète !

Par ailleurs, nous avons tendance à beaucoup trop raisonner en termes de chiffres, j’en suis parfaitement d’accord. Néanmoins, l’introduction de produits bio dans le cadre de la restauration collective, par exemple, est un projet nécessitant d’actionner plusieurs leviers fondamentaux pour sa réussite. La démarche se doit d’être progressive, planifiée et organisée sur le long terme afin de favoriser, justement, la structuration de la filière locale, de permettre aux producteurs de s’organiser pour répondre à la demande et de prévoir leurs mises en culture sur le moyen et long terme.

C’est d’ailleurs en grande partie à ces conditions que les coûts pourront être maîtrisés et le projet être réussi. Là encore, nous devrions plutôt réfléchir à la manière d’accompagner les élus locaux, qui sont un élément essentiel de la réussite de ce type de démarche, dans l’élaboration d’un véritable projet planifié et organisé.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

Mme Nicole Duranton. Nous partageons évidemment les objectifs de cette proposition de loi, à savoir une meilleure alimentation et un ancrage territorial. Toutefois, on doit confronter le texte à la réalité, et la réalité nous indique clairement qu’il n’est pas nécessaire de légiférer une fois de plus et d’accumuler les contraintes.

Il faut, certes, soutenir l’agriculture bio, mais, surtout, il ne faut pas oublier l’agriculture raisonnée. Certaines villes, notamment dans mon département, l’Eure, ont des projets de ce type avec des produits nature, des produits frais pas forcément issus de l’agriculture biologique. Pourquoi imposer du bio alors que nous avons de nombreux d’agriculteurs en détresse qui produisent de la qualité ? Ne faudrait-il pas réfléchir aux leviers qui permettraient une relance de nos petites exploitations agricoles de qualité en favorisant les partenariats avec les restaurations collectives ?

La réalité est que, avec ce texte, nous favorisons un nouveau marché, celui du bio, alors même que notre marché agricole est à bout de souffle.

Mme la présidente. Il vous faut conclure, ma chère collègue !

Mme Nicole Duranton. Nous devons nous poser les bonnes questions… Cette proposition de loi convient-elle aux collectivités territoriales, qui seront une fois de plus sollicitées et contraintes de répondre à des objectifs coûteux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de rendre hommage à une femme qui, en ce moment même, est inhumée en Corrèze. C’était une de nos collègues députées, et certains d’entre vous l’ont connue : Sophie Dessus. (Applaudissements.) Elle était très attachée à l’ancrage territorial et à nos territoires ruraux.

Je veux rendre aussi hommage à un ami de cœur, peut-être moins connu de vous, sauf de mes collègues haut-savoyards : Jean Vachoux. (M. Loïc Hervé approuve.) Il était l’un des présidents des Fruitières d’Arbusigny, un grand défenseur de la cause des appellations d’origine ainsi que de la FNAOC, la Fédération nationale des appellations d’origine contrôlée, et un grand syndicaliste. (Nouveaux applaudissements.)

J’en viens maintenant à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui qui vise à répondre concrètement aux attentes et aux exigences alimentaires de nos concitoyens sur les plans tant économique et sanitaire qu’environnemental.

Je tiens avant tout à saluer le travail mené par Mme Brigitte Allain, notre collègue députée, et par Joël Labbé.

Je veux aussi me féliciter, monsieur le ministre, des différentes mesures que vous avez prises dans ce domaine depuis plusieurs années. Je pense évidemment à la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, ou encore aux multiples actions développées en faveur des circuits courts.

L’action publique menée en la matière est bel et bien engagée. Elle doit toutefois aller plus loin pour lever certains obstacles qui freinent encore le développement de l’approvisionnement local, dans nos cantines notamment.

C’est toute l’ambition de ce texte, et je ne pense pas me tromper en affirmant que chacun d’entre nous, mes chers collègues, est convaincu par ses intérêts, en faveur de notre grand pays agricole et de l’emploi.

Je ne peux que me réjouir de cette mesure phare qui conforte les circuits courts, améliore la qualité sanitaire et gustative des repas pour nos concitoyens, ou encore renforce l’emploi local dans ces filières.

Dans mon département, les Pyrénées-Atlantiques, nous avons d’un côté un territoire qui regorge de produits alimentaires sous signe de qualité ou d’origine – les labels rouge agneau de lait des Pyrénées et blonde d’Aquitaine, l’AOC fromage pur brebis Ossau-Iraty et j’en passe –, de l’autre, des collectivités et des acteurs privés qui s’engagent de plus en plus dans une restauration collective de qualité, accessible financièrement et adaptée à toutes les générations.

Cette réalité est un nouveau modèle de consommation durable qui s’installe en réponse à une demande sociétale de plus en plus forte. La proposition de loi vient conforter et garantir l’application de ce modèle sur l’ensemble du territoire national.

Permettez-moi de citer l’exemple de la cuisine communautaire de l’agglomération paloise, qui livre 8 000 repas par jour, dont 7 200 à destination des scolaires des quatorze communes du territoire. Elle offre une politique tarifaire pour faciliter l’accès de tous à des repas équilibrés, mais aussi bio. Elle remplit une mission d’éducation au goût, afin de sensibiliser nos plus jeunes et de leur faire découvrir les saveurs du terroir. L’UFC-Que Choisir lui attribue la note de 15,8 sur 20. Voilà pour moi un bel exemple qui pourra demain, grâce à ce texte, être généralisé sur l’ensemble de notre territoire.

En tant que conseillère régionale d’Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, je citerai aussi l’exemple d’un lycée situé au fin fond de la ruralité, le lycée de Navarre, à Saint-Jean-Pied-de Port, dans le Pays basque intérieur, qui depuis dix ans déjà introduit 40 % de produits locaux dans ses menus. Cela représente environ de 97 800 euros de denrées produites sur le territoire communautaire achetées annuellement par ce seul établissement.

Vous le constatez, chaque collectivité, à son niveau, met en place les conditions nécessaires pour assurer un approvisionnement local.

En tant que parlementaires, nous agissons aussi tous, au-delà de notre travail législatif, pour faciliter l’introduction de produits locaux dans notre alimentation au quotidien. Pour ma part, je soutiens régulièrement des porteurs de projets, publics et privés, qui s’engagent dans les circuits courts. J’ai également réalisé des communications spécifiques auprès des maires du département, grâce à vous, monsieur le ministre. Je parle évidemment ici du guide Favoriser l’approvisionnement local et de qualité en restauration collective réalisé par le ministère. Je pense aussi au dispositif « Un fruit pour la récré » mis en place à la rentrée 2015 dans les écoles.

La plupart d’entre vous ont dû développer des initiatives similaires, je n’en doute pas. Mes chers collègues, en adoptant ce texte, nous saisissons une très belle occasion de soutenir une action concrète qui concerne et améliore pleinement le quotidien de tous nos concitoyens, quel que soit leur territoire, et qui sécurise et pérennise les emplois, ô combien précieux, dans les filières en cause. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation vient à point nommé, au moment où le salon international de l’agriculture, qui a mis en lumière nos savoir-faire et nos produits d’exception, ferme ses portes, alors que notre agriculture est en crise et que les agriculteurs, toutes filières confondues, connaissent des situations de grande détresse. Cette catégorie sociale, je le rappelle, est la plus touchée par les suicides en France.

Voici donc, avec cette proposition de loi, une belle occasion de valoriser les productions locales, d’encourager la création et le développement des circuits courts, de favoriser l’approvisionnement local.

En effet, chacun d’entre nous connaît, sur son territoire, des éleveurs ayant une véritable passion pour leur troupeau, des producteurs de lait ou des maraîchers mettant un point d’honneur à offrir des produits de grande qualité ; l’actualité nous rappelle combien la traçabilité des produits est essentielle.

Créer un environnement juridique favorisant l’ancrage territorial de l’alimentation est un objectif ambitieux, qui répond aux attentes légitimes des consommateurs.

Il faut savoir que 3 milliards de repas sont servis chaque année dans les restaurants collectifs, publics ou privés, de notre pays. Il s’agit donc d’un marché non négligeable, avec des emplois à la clé et la possibilité de relocaliser des filières agricoles et alimentaires et, ainsi, de relancer une vitalité sociale et économique indispensable pour nos campagnes.

Comme vous le savez, mes chers collègues, le repas pris à la cantine est parfois le seul repas complet et équilibré. C’est pourquoi on ne peut que se féliciter de l’introduction de la notion de production locale dans la restauration collective, ce qui sous-entend qualité des produits et proximité de la production. C’est aussi, notamment pour les plus jeunes, une façon de découvrir des saveurs, d’éduquer un palais et, demain, d’être un consommateur responsable, soucieux de la qualité et de la provenance des produits.

Dans ce contexte, l’examen d’un tel texte est tout à fait intéressant. Même si de nombreuses initiatives locales vont dans le bon sens – je tiens à féliciter les maires et les présidents de conseil départemental déjà mobilisés sur le sujet –, nous devons désormais aller plus loin.

Il est de notre responsabilité d’agir sur différents leviers pour aider au changement de notre mode alimentaire, car, derrière cette démarche, nous savons toutes et tous qu’il y va de notre santé. Le « manger local » doit donc être soutenu et encouragé.

Pour autant, fixer des objectifs chiffrés à l’État, aux collectivités et aux établissements publics est-il le meilleur moyen d’y parvenir ?

La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, au travers des projets alimentaires territoriaux, nous offre déjà des outils permettant de fédérer tous les acteurs pour développer les approvisionnements locaux et encourager une agriculture ancrée dans son territoire.

J’entends bien ce que me disent les maires et les présidents de communauté de communes : ils attendent des élus nationaux une simplification des procédures et un allégement des contraintes administratives. Or, au travers de ce texte, ce sont des contraintes supplémentaires qui sont imposées ! Je regrette que nous ne nous inscrivions pas davantage dans une démarche partenariale et je m’interroge sur l’opportunité de légiférer toujours plus sur de tels sujets.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Je reste convaincue que nous devons faire confiance aux territoires, sans ajouter de nouvelles normes, sans complexifier toujours plus les procédures. Nous devons faire confiance aux élus locaux, mais aussi aux agriculteurs, qui doivent pouvoir répondre plus facilement aux cahiers des charges des marchés publics de la restauration collective.

Dans cet esprit, je voterai ce texte, sous réserve que certains amendements y soient apportés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans le contexte difficile que connaissent nombre de nos filières agricoles, la proposition de loi dont Joël Labbé est le rapporteur est bienvenue. Je tiens à saluer ici le travail de notre collègue et l’engagement sincère qui l’anime.

M. Franck Montaugé. L’analyse des échanges que nous avons eus en commission des affaires économiques devrait nous inciter, mes chers collègues, à nous abstenir de faire de cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, un enjeu politicien.

N’opposons pas les différentes formes de production, de transformation et de commercialisation de nos produits agricoles. Agricultures biologique, raisonnée et conventionnelle sont non pas opposées, mais complémentaires. Cette diversité, pour autant que nous puissions la préserver – ce que je souhaite –, est une chance pour la France !

L’agriculture industrielle s’inscrit elle-même dans une perspective de qualité croissante de la production et de compétitivité accrue. Elle ne doit pas être opposée à l’agriculture des circuits courts. Sa contribution au commerce extérieur de notre pays est importante. Elle représente une chance et nous devons avoir aussi le souci de son développement.

Dans le cadre des règles communes et des interprétations licites du code des marchés publics, notamment en matière d’alimentation dite « durable », tous les types de production permettent donc de répondre à la demande. Le texte qui nous est proposé ne remet aucunement en question ce point important.

S’agissant plus particulièrement des productions locales organisées en circuits courts, les expériences réussies, quand bien même elles sont susceptibles d’améliorations permanentes, prouvent que, dans un cadre organisationnel pensé dans le souci d’un développement plus durable, qualités sanitaire et gustative à coûts maîtrisés, voire dans certains cas à moindres coûts, sont possibles.

Plateformes départementales de type Agrilocal, comme dans la Drôme et le Puy-de-Dôme, préservation d’outils d’abattage locaux, comme dans le Gers, afin de favoriser la commercialisation en circuits courts de viandes locales de haute qualité pour la restauration collective : nombreux sont les exemples démontrant que l’ancrage territorial de l’alimentation permet de conjuguer performances économique, sociale et environnementale, et que l’agroécologie a toute sa place dans l’économie rurale française.

Les groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, issus de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt – il s’en est créé près de 250 en un an –, montrent également que c’est par l’organisation collective que les défis de la qualité, de la performance et de la régularité de production peuvent être relevés.

Qui plus est, les actuels plans régionaux d’agriculture durable, que le présent texte tend à transformer en plans régionaux d’agriculture et d’alimentation durables, permettront d’associer, sous l’égide des régions, l’ensemble des acteurs des filières et leurs représentants, les chambres d’agriculture pouvant jouer, avec les donneurs d’ordre publics, un rôle moteur.

Pour cerner mieux encore l’impact positif de ce texte, je crois utile d’évoquer l’enjeu d’avenir que constitue notre capacité nationale à répondre, sur ce segment de l’alimentation durable, aux attentes et besoins croissants des consommateurs, à côté de la restauration publique collective.

Par effet de levier, les progrès d’organisation permis par ce texte faciliteront aussi l’accès aux marchés de grande consommation trouvant leurs débouchés dans la grande et la moyenne distribution. Ne prenons pas de retard sur ce sujet !

L’enjeu est stratégique, et certains pays européens l’ont bien compris qui, par une politique d’exportation offensive, sont en train de prendre pied dans nos propres réseaux de distribution. Notre commerce extérieur est aussi affecté : il y va de notre compétitivité agricole globale.

La crise de l’agriculture française pose également, on le sait, la question centrale de la juste répartition de la création de valeur, de l’amont à l’aval, du paysan au consommateur. Par ses dispositions incitatives, la proposition de loi qui nous est soumise tend à permettre une meilleure maîtrise de la chaîne de valeur par le producteur ou l’organisation de producteurs, sur le territoire même de production.

En approuvant ce texte, nous donnerons à l’une des composantes de l’agriculture française et à ses producteurs le soutien qu’ils méritent, en même temps que nous contribuerons au renforcement de l’économie, souvent fragile, de territoires ruraux en difficulté, en particulier ceux où se pratique la polyculture-élevage.

Pour ces raisons, nous soutiendrons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Il convient de noter, me semble-t-il, l’existence d’un large consensus sur la nécessité de favoriser l’ancrage territorial en matière alimentaire : l’ensemble des orateurs, quel que soit le groupe politique auquel ils appartiennent, se sont exprimés en ce sens.

Au-delà de la loi, il faut bien sûr considérer les conditions dans lesquelles celle-ci s’applique. À cet égard, comme je l’ai mentionné dans mon propos liminaire, il est indispensable de pouvoir s’appuyer sur des plans alimentaires territoriaux – régionaux ou locaux – structurant l’offre agricole, sa transformation et sa distribution.

J’ai pu moi-même le constater dans ma région. Par exemple, quand on veut faire passer un hôpital, où des centaines de repas sont servis chaque jour, à un approvisionnement local, il faut également se préoccuper de la régularité de celui-ci, en termes de qualité et de quantité. Pour cela, une structuration est nécessaire, ce qui suppose la participation à la définition des objectifs et à l’organisation des plans alimentaires territoriaux de l’ensemble des partenaires, d’où l’intégration, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, des chambres d’agriculture.

La divergence porte non pas sur l’objectif de 40 % de produits locaux et de qualité, mais sur celui de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique.

J’observe que, à l’Assemblée nationale, le débat sur ce sujet a débouché sur un vote à l’unanimité.

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Atteindre cet objectif suppose, bien évidemment, des efforts. Ceux que j’évoquais, s’agissant de la structuration de l’offre et de l’organisation de la distribution locale, valent autant pour l’agriculture conventionnelle, l’agriculture raisonnée, l’agroécologie ou la permaculture que pour l’agriculture biologique.

Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, il avait été fixé pour objectifs que, à terme, 20 % de la surface agricole utile soit consacrée à l’agriculture biologique et 20 % des approvisionnements de la restauration collective des administrations de l’État soient issus de l’agriculture biologique, mais ces objectifs sont bien loin d’être atteints, faute de structuration et d’organisation.

Lorsque j’ai présenté le plan Ambition bio 2017, nous l’avons assorti d’un doublement du budget consacré à la filière bio. Je tiens à le rappeler à l’adresse des représentants de certaines fédérations qui dénoncent dans la presse une insuffisance de moyens : ce budget est passé de 90 millions d’euros à 180 millions d’euros. Du fait de la multiplication des conversions à l’agriculture biologique, cela n’a d’ailleurs pas suffi ! Ce succès nous amène aujourd'hui à envisager d’aller plus loin encore.

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Dans le même temps, j’ai toujours été sensible à la question de l’organisation de la filière de l’agriculture biologique. Il ne s’agit pas simplement de produire ; il faut aussi transformer et assurer la commercialisation. C’est pourquoi l’Agence bio a été dotée de 4 millions d’euros par an, pour assurer la structuration et l’organisation de la filière.

Tout comme l’agriculture conventionnelle, l’agriculture raisonnée ou l’agroécologie, l’agriculture biologique a besoin d’organisation. Or c’est en inscrivant dans la loi des objectifs ambitieux que nous permettrons aux acteurs de s’organiser.

M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est pourquoi je préférerais que le Sénat puisse confirmer le vote unanime de l’Assemblée nationale, puisqu’il n’y a pas de divergences sur l’objectif, tout en apportant au texte des corrections. Je souhaite que nous puissions aboutir au consensus le plus large, y compris sur l’objectif concernant l’agriculture biologique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Article 1er (début)

Article additionnel avant l'article 1er

Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 9° du I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :

«  D'encourager l'ancrage territorial de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles, y compris par la promotion de circuits courts, notamment par des actions en faveur du maintien des abattoirs à proximité des élevages ; de favoriser la diversité des produits et le développement des productions sous signes d'identification de la qualité et de l'origine ; ».

La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Dans la chaîne des coûts de l’étable à la table, l’abattoir est un maillon intermédiaire indispensable. Ce maillon a la particularité d’avoir été de tout temps encadré par la puissance publique, dès le début du XIXe siècle. Les abattoirs municipaux sont ainsi nés à Paris par décret impérial du 9 février 1810.

Aujourd’hui, les abattoirs ont acquis de nouvelles fonctions.

D’abord, ils sont le moyen, pour une collectivité, de faciliter l’implantation d’entreprises. En pratique, il s’agit le plus souvent de maintenir des entreprises, soit parce qu’elles sont source d’emplois, en particulier en milieu rural, soit parce qu’elles sont fournisseurs des collectivités locales, notamment pour la restauration collective.

Ensuite, ils sont le support indispensable de la boucherie traditionnelle, qui achète ses animaux sur pied et affiche l’origine locale de la viande. En ce sens, ils sont un maillon de la traçabilité de l’origine des viandes de qualité commercialisées sous label ou appellation, dont la viande bio.

Enfin, ils sont un appui indispensable aux circuits courts de vente directe de viande par les agriculteurs. Pour ces éleveurs qui transportent leurs animaux à l’abattoir avec les moyens de la ferme, la proximité de celui-ci est une nécessité impérative. Le développement des circuits courts est aussi favorable à la création d’un emploi complémentaire sur une exploitation et conforte l’objectif d’installation de davantage de jeunes agriculteurs.

C’est pourquoi l’argument de l’opposabilité du droit européen de la concurrence et de la directive « Services » n’est pas recevable à nos yeux. Nous savons qu’il y a aujourd’hui des possibilités de déroger au droit de la concurrence au vu du caractère d’intérêt général de l’activité économique considérée. La reconnaissance explicite de ce caractère d’intérêt général de l’activité d’abattage est un impératif si l’on veut remédier au déséquilibre géographique actuel, certaines régions étant dépourvues d’abattoirs tandis qu’ils sont peut-être trop nombreux dans d’autres, si l’on veut favoriser les filières courtes, qui sont fortement dépendantes de la proximité de tels outils.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Joël Labbé, rapporteur de la commission des affaires économiques. Il ressort des auditions que nous avons menées que l’une des clés de l’ancrage territorial de l’alimentation réside dans le maintien, la création ou la recréation d’équipements de proximité – légumeries, abattoirs, ateliers de transformation –, pour assurer la transformation des produits avant leur commercialisation.

Cet amendement vise spécifiquement les abattoirs. Pourquoi pas ? On pourrait étendre le champ de son dispositif à l’ensemble des équipements de proximité.

La commission émet un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je serai extrêmement clair : cet amendement n’a pas sa place dans la discussion d’un texte portant sur l’alimentation.

Par ailleurs, plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont évoqué les mails qu’ils reçoivent ; pour ma part, je ne parlerai pas des insultes que j’ai reçues après la diffusion, par une certaine association, d’images sur le traitement réservé aux animaux dans certains petits abattoirs. Or multiplier les abattoirs sur le territoire implique de multiplier, parallèlement, les contrôles visant à assurer le bien-être des animaux. En tant que ministre, je ne puis accepter que l’on demande à l’État de favoriser le maintien ou la création d’outils d’abattage sans que celui-ci soit en mesure d’assurer partout le bien-être animal et le respect des normes en matière d’abattage.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je suis clairement et fermement opposé à l’adoption de cet amendement dans le cadre de l’examen du présent texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.

M. Michel Raison. Je suis d’accord avec le ministre. J’ajouterai que le maintien ou la création d’un abattoir ne se décrète pas. (M. le ministre approuve.) C’est un outil de service qui, pour fonctionner, a besoin de clients solvables. Pour en avoir sauvé un dans ma commune, je puis vous dire que c’est difficile, y compris sur le plan sanitaire. Certes, plus il y aura d’abattoirs, mieux ce sera, mais même si le ministre se déclarait aujourd’hui partisan d’en installer un ou deux de plus dans chaque département, encore faudrait-il que ces outils puissent fonctionner dans des conditions économiques acceptables. En effet, dans la filière viande, tout le monde souffre, et même les abatteurs ne font pas forcément fortune ! Si un petit abattoir pratique des tarifs doubles de ceux d’un abattoir plus important situé quelques kilomètres plus loin, il ne sera pas compétitif.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. Je partage la position de mon collègue Michel Raison et j’approuve les arguments du ministre.

L’idée est peut-être bonne, mais on ne peut pas d’un côté poser l’exigence de la sécurité sanitaire des produits alimentaires, y compris pour l’approvisionnement de proximité, et de l’autre favoriser le maintien ou la création de petits abattoirs sans avoir les moyens de s’assurer du respect des normes sanitaires, sans même parler du bien-être animal.

L’adoption de cet amendement reviendrait à créer un précédent, au-delà du seul secteur de l’abattage : le dispositif pourrait également concerner le conditionnement des fruits et légumes, les productions fromagères, etc. On peut tout imaginer ! Même si l’idée peut paraître séduisante, on ne peut faire abstraction des exigences économiques et sanitaires. On risquerait sinon de mettre en péril la reconquête des marchés locaux, surtout dans le domaine de la restauration hors domicile, en détériorant l’image de l’approvisionnement de proximité, au rebours de l’objectif visé au travers du texte.

Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.

M. François Patriat. Je soutiens moi aussi la position du ministre.

La France compte de nombreux abattoirs maintenus plus ou moins artificiellement en vie, au nom de la proximité, alors que leur rentabilité n’est pas assurée.

On demande aux collectivités locales – communes, départements ou régions – de financer des abattoirs de proximité qui, faute d’une production suffisante ou de respect des normes sanitaires, ne sont pas viables. Il est parfois chimérique de vouloir maintenir de tels outils de proximité, dans une activité qui exige autant de compétence et se trouve soumise à des règles de sécurité aussi strictes. Je ne dis pas que cet amendement est démagogique ; je dis qu’il n’est pas réaliste et qu’il ne répond pas aux exigences de traçabilité, d’efficacité, de sécurité des consommateurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je soutiens cet amendement, qui a d’ailleurs reçu un avis favorable de la commission.

Bien évidemment, le bien-être animal et les aspects économiques doivent être pris en compte. Nous demandons non pas que l’on instaure une obligation d’implanter partout des abattoirs qui ne seraient pas rentables et ne respecteraient pas les normes sanitaires, mais que l’on favorise l’ancrage territorial de l’alimentation, dans une logique de circuits courts. Or le respect de cette logique suppose l’existence d’abattoirs de proximité.

Notre collègue Michel Raison nous expliquait avoir sauvé un abattoir dans sa commune ; pour ma part, je n’ai pas eu la même chance lorsque j’ai soutenu le maintien d’un abattoir dans une commune de montagne de mon département. Or, pour qu’une viande puisse bénéficier du label « produit de montagne », les bêtes ne doivent pas avoir parcouru plus d’un certain nombre de kilomètres pour rejoindre l’abattoir, même si elles ont grandi dans nos alpages. De fait, les abattoirs de proximité répondent à cette exigence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. J’entends les arguments du ministre, mais nous avons tous en tête des exemples d’expériences territoriales ayant conduit au sauvetage et à la poursuite d’activité de certains abattoirs de proximité de petite taille, notamment dans le cadre d’organisations collectives auxquelles l’État peut d’ailleurs être partie prenante.

Ainsi, dans mon territoire, toutes les collectivités se sont associées à la mise en place d’un pôle d’excellence rurale. Les éleveurs locaux se sont constitués en association et sont entrés au capital de la société d’exploitation de l’abattoir, parce qu’un tel outil est de nature à contribuer à la valorisation de leur production.

Le présent amendement n’impose aucune obligation (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) : il vise simplement à inciter au maintien des abattoirs locaux de petite taille. C’est dans cet esprit que je le soutiens.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.

M. Gérard Bailly. Ce matin, en commission, j’ai voté cet amendement. Depuis des décennies, on voit disparaître les abattoirs de proximité ; il ne faudrait pas que ce mouvement se poursuive, même si la fermeture de certains outils était bien sûr nécessaire. Si l’on ne favorise pas le maintien des abattoirs de proximité restants, il sera difficile d’atteindre les objectifs affichés par le texte.

Par exemple, le maire de Lons-le-Saunier nous a expliqué que si les 1,2 million de repas servis annuellement par son restaurant municipal étaient préparés à base de produits issus de circuits courts, c’était en particulier grâce au maintien d’un abattoir de proximité où sont tués chaque année quelque 300 bovins. Dans le même esprit, toujours en Franche-Comté, le maintien de l’abattoir de Valdahon est indispensable pour la production de la saucisse de Morteau

Même si je comprends la position de M. le ministre, surtout au regard de l’actualité de ces derniers jours, je voterai cet amendement, qui vise simplement au maintien des abattoirs de proximité, et non à leur développement.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.

M. Bernard Delcros. Il ne faut pas généraliser : il n’y a pas d’un côté de petits abattoirs qui travailleraient très mal et, de l’autre, de grands abattoirs qui seraient exemplaires. Il faut étudier les situations au cas par cas. Parfois, le maintien d’un petit abattoir de proximité peut être utile, et même indispensable, pour soutenir l’économie locale, éviter le transport d’animaux sur de très longues distances et assurer le respect des critères d’obtention des labels locaux.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Joël Labbé, rapporteur. Monsieur le ministre, je comprends votre position : il est très désagréable d’être ainsi pointé du doigt et accusé de tous les maux du monde. Néanmoins, nous avons besoin d’outils de proximité pour favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation. Il faudra bien que les moyens de contrôle et de suivi nécessaires soient mis en œuvre, comme c’était le cas auparavant : les services vétérinaires, au temps de leur splendeur, disposaient véritablement des moyens d’exercer leur mission de contrôle. Il faudra bien y revenir si l’on veut garantir la qualité des produits.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Bailly, il est certes préférable que les abattoirs se trouvent au plus près des élevages. Il est facile de dire qu’il faut des abattoirs partout (Protestations sur les travées du groupe CRC.),…

Mme Annie David. Ce n’est pas ce que nous demandons !

M. Stéphane Le Foll, ministre. … mais, pour les contrôler, il faut dimensionner les services vétérinaires en conséquence alors que, dans le même temps, pour développer l’agriculture bio, il faut doubler le budget consacré à cette filière, et au-delà !

Évidemment, si tout le monde est d’accord pour considérer que la dépense publique peut être augmentée dans tous les domaines (Nouvelles protestations sur les travées du groupe CRC.), on peut tout envisager… Et encore, proximité n’est pas toujours synonyme d’efficacité !

J’ajoute, monsieur Le Scouarnec, que, si une région ne manque pas d’abattoirs de proximité, c’est bien la Bretagne !

Mmes Annie David et Cécile Cukierman. M. Le Scouarnec ne défend pas que la Bretagne !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je le répète, ce sujet n’a pas sa place dans un débat sur l’alimentation. Je maintiens fermement ma position : oui, il faut des abattoirs ; oui, il faut pouvoir les contrôler ; oui, ils doivent respecter toutes les normes sanitaires et de bien-être animal, ce qui suppose que l’on soit capable de les contrôler. Nous devons assumer cette dernière nécessité, sans nous borner à prôner la généralisation de l’abattage de proximité.

Mme Annie David. C’est incroyable !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Ce matin, après débat, la commission a adopté l’amendement de M. Le Scouarnec.

Monsieur le ministre, en vous écoutant, j’ai d’abord été près de me laisser convaincre, mais tel n’est plus du tout le cas : contrairement à ce que vous dites, il ne s’agit de généraliser les abattoirs de proximité, d’en installer partout !

M. Jean-François Husson. Bien sûr, nous voulons juste leur maintien !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Je vous invite à relire le texte de l’amendement : il s’agit seulement de favoriser le maintien des abattoirs existants, avec les moyens de l’État à leur niveau actuel, sauf à ce que vos propos signifient que ces derniers sont insuffisants pour assurer les contrôles. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)

À mon sens, nous pouvons tous nous retrouver, mes chers collègues, pour adopter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean-François Husson applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.

M. Yannick Vaugrenard. Sur le principe, j’entends les arguments de M. le ministre, mais la rédaction de l’amendement n° 6 vise bien le maintien des abattoirs de proximité, et non pas la création de nouvelles structures.

M. Yannick Vaugrenard. Il pourra d’ailleurs arriver que le maintien de certains abattoirs ne soit pas opportun compte tenu de la conjoncture économique. Il me semble que, dans ce cas, le bon sens l’emportera : c’est une question d’aménagement intelligent du territoire.

J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que, alors que nous dénonçons souvent la multiplication des normes, l’excès de réglementations, l’inflation législative, le caractère « bavard » de la loi, nous nous apprêtons à en rajouter… Nous sommes quelquefois contradictoires dans nos prises de position ! En tout état de cause, je voterai cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. L’implantation actuelle des abattoirs est souvent liée à des considérations locales. Comment comprendre que l’agglomération toulousaine, qui compte un million d’habitants, n’ait pas d’abattoir ? Comment expliquer l’existence d’un abattoir ovin dans l’arrière-pays niçois, qui ne doit d’ailleurs plus être aux normes, d’un autre à Sisteron et d’un troisième du côté de Dijon ? Il n’est pas possible de mettre en place des circuits courts dans ces conditions !

Nous devons trouver des solutions, par exemple en créant des abattoirs qui ne fonctionneraient qu’un ou deux jours par semaine. Cela permettrait de répondre à nombre de besoins à des coûts acceptables.

Je comprends la position de M. le ministre, mais je voterai l’amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 1er.

Article additionnel avant l'article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

Après l’article L. 230-5 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 230-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 230-5-1. – Dans le respect des objectifs de la politique de l’alimentation définie à l’article L. 1, au plus tard le 1er janvier 2020, l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics incluent dans la composition des repas servis dans les restaurants collectifs dont ils ont la charge 40 % de produits relevant de l’alimentation durable, c’est-à-dire des produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine ou sous mentions valorisantes, définis à l’article L. 640-2, ou issus d’approvisionnements en circuits courts ou répondant à des critères de développement durable, notamment la saisonnalité des produits. Une proportion de produits correspondant aux capacités de production locale est issue de l’agriculture biologique. »

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.

M. Michel Raison. Je suis évidemment favorable au développement de la vente directe de produits agricoles, notamment pour l’approvisionnement des cantines, mais ne faisons pas croire à nos concitoyens qu’il s’agit d’un levier extraordinaire qui permettra de sauver notre agriculture.

La « ferme France » présentait encore, en 2015, un excédent commercial de près de 10 milliards d’euros. Nous sommes un pays fortement exportateur de produits agricoles et M. le secrétaire d’État au commerce extérieur a rappelé hier soir que la volonté du Gouvernement était de maintenir cette vocation. La part de la vente directe devant avoisiner 10 % de la production agricole, il reste encore à commercialiser 90 % de celle-ci…

En ce qui concerne la qualité des produits, j’observerai tout d’abord que cette notion peut revêtir différentes significations. En tout état de cause, tous les produits agricoles et agroalimentaires français sont de qualité !

À cet égard, je voudrais m’insurger contre le tableau apocalyptique, dressé par certains, de l’état de notre agriculture, de nos sols et de nos produits alimentaires. L’espérance de vie de nos concitoyens ne fait que croître, malgré certains à-coups liés à des événements climatiques ou à des épidémies de grippe : on sait que la qualité des produits alimentaires français joue un rôle important dans cette évolution.

Bien sûr, des erreurs et des excès ont été commis dans les années cinquante ou soixante, au moment de la grande modernisation de l’agriculture d’après-guerre, mais, depuis, les progrès ont été considérables. En outre, on oublie trop souvent que l’agriculture moderne a permis d’éradiquer de nombreuses maladies végétales et animales.

Mme la présidente. Mon cher collègue, il faut conclure !

M. Michel Raison. Je tenais à souligner ces grands apports positifs de l’agriculture moderne pour faire pièce à certaines descriptions apocalyptiques. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Félix Desplan, sur l'article.

M. Félix Desplan. Dans la culture indienne, la terre n’est pas un don reçu de nos parents, ce sont nos enfants qui nous la prêtent. Encourager la mise en place d’une alimentation de qualité et de proximité dans la restauration collective, principalement scolaire, c’est miser sur l’avenir, sur ces générations qui feront notre monde de demain.

L’éducateur que j’ai été ne peut qu’approuver l’enjeu éducatif et citoyen qui sous-tend cette proposition de loi.

Le sénateur de la Guadeloupe, île lointaine cumulant les handicaps structurels, que je suis se réjouit de cette volonté de développer l’approvisionnement de proximité, de qualité, respectueux d’un environnement fragile et facteur de développement économique local.

Le problème est de parvenir, dans les faits, à suffisamment produire local, pour pouvoir manger le plus possible local, à un coût raisonnable.

La Guadeloupe reste un territoire majoritairement agricole. Toutefois, l’agriculture biologique ne représente que 150 hectares, pour une surface agricole utile, d’ailleurs en diminution, de 32 000 hectares, soit moins de 1 % de celle-ci !

Il faut dire que l’agriculture biologique se heurte outre-mer à de nombreux obstacles techniques : je pense à ceux qui sont engendrés par la pression parasitaire, la pression climatique, le manque d’encadrement technique, sans parler du surcoût.

Aujourd’hui, la trentaine d’agriculteurs guadeloupéens bio suffit à peine à emplir les rayons des magasins spécialisés. Aussi le bel objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective peut-il sembler inaccessible.

J’ajoute que, d’une façon générale, nous sommes très loin, en Guadeloupe, d’être autosuffisants, puisque nous importons environ 75 % de notre alimentation, de l’Hexagone surtout. Nous achetons aussi bon nombre de produits tropicaux, que nous pouvons pourtant cultiver, à des pays de la Caraïbe ou de l’Amérique latine qui produisent à un coût bien moindre !

Il ne faut pas non plus oublier que fournir la restauration collective suppose, pour nos petits producteurs locaux, de pouvoir soumissionner aux marchés publics, de supporter des délais de paiement de quatre-vingt-dix jours, d’assurer une planification suffisante.

Il reste vrai que les objectifs fixés à l’article 1er de ce texte, même édulcorés en commission, constituent un signal fort. Ils pourront stimuler la mise en œuvre de réels potentiels ; il faut donc encourager la démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.

M. Roland Courteau. Cette proposition de loi, dont je salue la teneur, s’inscrit dans la continuité d’un processus engagé depuis plusieurs années, qu’elle vise à faire aboutir.

Je rappelle l’objectif fixé par le Président de la République de parvenir à une part de 40 % de produits de proximité dans la restauration collective, ainsi que l’engagement du ministre de l’agriculture en faveur de l’approvisionnement de celle-ci par les circuits courts ou les avancées permises par la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014.

Pour moi, l’ancrage territorial de l’alimentation est étroitement lié au développement d’une alimentation de qualité. Le développement des circuits courts, c’est moins de camions sur les routes, et les pratiques agroécologiques sont créatrices d’emplois, moins polluantes et respectueuses de l’environnement, des hommes et de la biodiversité.

Cela étant dit, je regrette que l’objectif de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective ait disparu du texte de la commission. Je suis en effet favorable au développement de l’agriculture biologique, tout comme je suis attaché à notre agriculture conventionnelle raisonnée, qui offre au quotidien et à des millions de Français des produits de grande qualité. Pour autant, faire une place aux produits bio me semble utile, en termes de qualité, d’ambition pour notre agriculture et d’enjeux économiques pour les années à venir.

On nous rétorque souvent que les produits bio ont un coût de production supérieur. Certes, mais, comme cela a été dit au cours des débats à l’Assemblée nationale, cette filière est créatrice d’emplois non délocalisables et est source de valeur ajoutée pour les territoires. Il est en outre possible de baisser les coûts en luttant contre le gaspillage alimentaire, sachant que 30 % des denrées achetées pour la restauration collective sont aujourd’hui jetées. Bref, il existe d’importantes marges de manœuvre.

Cette proposition de loi garde donc de grandes ambitions, qui peuvent marquer notre volonté de développer les circuits courts et l’ancrage territorial de l’alimentation. Pour cela, quel meilleur vecteur que la restauration collective publique, qui sert en France 11 millions de repas par jour, soit près de 3 milliards par an, et a toujours eu, historiquement, une vocation sociale ? Le restaurant scolaire, d’entreprise ou d’établissement public est un lieu idéal de démocratisation de la nourriture de qualité. De plus, dans le contexte actuel de crise agricole, il devient urgent de privilégier les circuits courts et une alimentation durable. C’est pourquoi je partage totalement les objectifs fixés par cette proposition de loi et son article 1er.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l’article.

M. Henri Cabanel. Mes propos iront dans le même sens que ceux de M. Courteau : il faut remettre les choses à leur juste place.

M. le ministre l’a souligné, on sent très bien, sur certaines travées de cet hémicycle, une opposition à l’objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective, qui représente 25 % de notre alimentation : la part du bio, à savoir 20 % de 25 %, resterait donc pourtant assez faible.

Cela étant, il est de fait que, en 2015, 65 % des Français ont consommé des produits bio. Étant moi-même viticulteur, je suis pleinement conscient qu’il est impossible d’aller à l’encontre de la tendance actuelle, même si je ne produis pas de vins bio.

J’estime que nous devrions pouvoir nous accorder pour voter à l’unanimité cette proposition de loi, à l’instar de l’Assemblée nationale.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Voilà !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly, sur l’article.

M. Gérard Bailly. Bien entendu, dans son principe, cette proposition de loi va dans le bon sens, eu égard à l’importance de la part des importations dans l’approvisionnement de la restauration collective, alors que, souvent, des ressources locales sont disponibles.

Je suis, cela va sans dire, très favorable à l’ancrage territorial de l’alimentation. L’ancrage territorial, c’est le recours à des produits de proximité, de saison, issus du terroir, le cas échéant bio.

Cependant, que l’on puisse invoquer, pour appuyer le recours aux produits bio, un enjeu de santé publique me gêne : cela donne à penser que les productions non biologiques poseraient problème à cet égard. À ma connaissance, il n’existe, à l’heure actuelle, aucune étude montrant que manger bio permet de vivre plus vieux et en meilleure santé…

Par ailleurs, la notion de production locale peut être sujette à caution. Dans les magasins U, des pièces de viande vendues sous l’étiquette « origine France » proviennent en fait de bœufs nés, élevés et abattus en Irlande, puis découpés en Grande-Bretagne, ces précisions figurant en plus petits caractères… Je ne vous fais pas reproche de cette situation qui n’est pas de votre fait, monsieur le ministre, mais elle n’en pose pas moins problème.

Dans le même ordre d’idées, la célèbre « Vache qui rit » est fabriquée par le groupe Bel à Lons-le-Saunier à partir de fromages importés… Doit-elle ou non être considérée comme une production locale ?

De nombreux problèmes d’interprétation rendront donc l’application de cette mesure très difficile, même si je l’approuve sur le fond.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Gérard Bailly. L’appréciation du caractère local des produits posera de nombreux problèmes dans la pratique.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Manable, sur l’article.

M. Christian Manable. Le marché de la restauration collective constitue un enjeu politique considérable dans notre pays, avec 3 milliards de repas servis chaque année et 7 milliards d’euros d’achats alimentaires.

De nombreuses collectivités se sont déjà engagées dans la voie des circuits courts, à l’instar des villes de Saint-Étienne, de Bordeaux, de Toulouse, de Rouen, de Lons-le-Saunier, de Paris, de Grenoble… Je relève au passage que les exécutifs de ces municipalités sont de tendances politiques diverses. Comme l’a souligné M. le rapporteur, cette question n’est ni de droite ni de gauche ; elle transcende largement les clivages politiques traditionnels.

Dès 2010, le conseil général de la Somme, dont j’étais alors le président, a mis en place les filières courtes. Aujourd’hui, sur les cinquante collèges publics que compte le département, quarante sont ravitaillés, en totalité ou partiellement, par le biais de ces circuits, y compris avec des produits d’origine biologique.

En partenariat avec la chambre d’agriculture, nous avons mis en place des plateformes de distribution assurant un maillage du territoire départemental. Aujourd’hui, outre les collèges, certains particuliers bénéficient de ce dispositif, ainsi que des restaurateurs.

Au total, tout le monde est gagnant : les cuisiniers tout d’abord, qui retrouvent le goût de leur métier et peuvent élaborer de véritables plats, au lieu de se contenter de décongeler de la viande ou d’ouvrir des boîtes de conserve ; les élèves, ensuite, qui bénéficient d’une bonne « bouffe », sachant que l’alimentation fait partie de l’éducation et que certains jeunes prennent à la cantine leur seul repas équilibré de la journée.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Christian Manable. Les producteurs locaux y trouvent également leur compte : pourquoi faire venir des haricots verts de l’autre bout de la Terre, alors que l’on peut en produire sur place ? (M. Jean Desessard applaudit.)

Enfin, la planète y gagne aussi : en termes de bilan carbone, l’approvisionnement de proximité est préférable à l’importation de produits issus de pays lointains.

Quant au coût des produits bio, je puis affirmer d’expérience que s’il est en effet parfois plus élevé que celui des produits de l’agriculture conventionnelle, l’inverse est parfois également vrai.

En conclusion, je ne comprends pas très bien la frilosité de nos collègues du groupe Les Républicains à l’égard de ce texte, eux qui montraient tant d’enthousiasme hier pour le Grenelle de l’environnement… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Vasselle et Kennel, Mmes Cayeux, Lamure, Gruny et Procaccia, MM. Charon, Delattre, Lefèvre, D. Laurent et P. Leroy, Mme Hummel, MM. Milon, Longuet et Mouiller, Mmes Giudicelli et Deromedi, M. Houel, Mme Primas et M. Pointereau, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Plusieurs orateurs, dont Michel Raison, ont rappelé que les maires, les présidents d’intercommunalité et les présidents de conseil général, pour ce qui concerne les collèges, n’ont pas attendu le dépôt de cette proposition de loi pour prendre des initiatives tendant à développer les circuits courts.

On peut donc s’interroger sur l’opportunité de débattre du présent texte, dans la mesure où il est déjà possible de mettre en œuvre de tels dispositifs : c’est une question de volonté politique. J’ai bien peur que, en réalité, cette proposition de loi ne soit qu’un outil de communication.

Les élus locaux sont déjà sensibles à la question de l’amélioration de la qualité des plats servis dans les restaurants scolaires, au travers notamment du recours à des produits bio ou de proximité, l’ancrage territorial de l’alimentation étant propre à stimuler, de surcroît, le dynamisme de l’économie locale.

Dans cette perspective, les élus souhaitent un accompagnement de l’État, et non l’introduction de nouvelles normes contraignantes en termes de part de produits relevant de l’alimentation durable ou de produits bio dans la composition des repas. Ils s’interrogent fortement sur la capacité des producteurs français à assurer la fourniture à la restauration collective de 40 % de produits relevant de l’alimentation durable ou de 20 % de produits bio d’ici à 2020.

Les collectivités ont besoin d’un accompagnement visant à mieux définir les marchés publics. Encore faudrait-il que les dispositions du présent texte soient conformes aux procédures des marchés publics : sur ce point, prenons garde de ne pas nous faire « tacler » par l’Europe.

Par ailleurs, il faut favoriser la structuration des filières agricoles locales aptes à répondre de manière pérenne aux besoins des collectivités sur la base de critères juridiquement sécurisés. Un accompagnement est également nécessaire pour mieux relever les défis de l’alimentation durable.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous proposons la suppression de l’article 1er !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Joël Labbé, rapporteur. La commission estime qu’il faut conserver un dispositif juridiquement contraignant pour permettre la structuration, à l’horizon 2020, d’une filière solide en vue de l’ancrage territorial de l’alimentation. Supprimer l’article 1er reviendrait à supprimer cette proposition de loi.

Il ne s’agit pas de créer de nouvelles normes, mais de fixer des objectifs, d’assurer une mise en perspective. Il convient de structurer la demande, pour que l’offre puisse mieux se structurer encore. Il s’agit là d’un objectif noble. Je le répète, aucune sanction n’est prévue.

Mme Catherine Procaccia. Donc, ça ne sert à rien !

M. François Bonhomme. C’est du prêchi-prêcha !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.

M. Didier Guillaume. Ce débat est devenu idéologique, alors qu’il devrait être territorial.

Que n’avons-nous entendu à propos de la part de 20 % de produits bio dans la restauration collective, alors que nous avons tous voté cette mesure dans le cadre du Grenelle de l’environnement, en affirmant, dans notre communication, qu’elle allait dans le bon sens, car elle répondait à une réelle demande ?

Aujourd’hui, certains, animés d’une vision idéologique passéiste, entendent opposer agriculture conventionnelle et productions bio, biotechnologies et agriculture biologique, grandes cultures et production locale. Je le dis comme je le pense, c’est absurde !

Lors du dernier salon de l’agriculture, aucun intervenant des colloques et des débats auxquels j’ai assisté n’a souhaité que l’on remette en cause l’objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective. (M. le rapporteur opine.) Bien au contraire, les chambres d’agriculture, tous les syndicats agricoles, y compris le syndicat majoritaire, l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique ont tenu ensemble des réunions pour expliquer que, en la matière, nous touchons au but et qu’il faut persévérer, même si les choses sont difficiles. Par conséquent, vous menez un combat d’arrière-garde, mes chers collègues !

M. Jean Desessard. Passéiste !

M. Didier Guillaume. On le sait très bien, les menus des cantines ne comporteront pas demain 20 % de produits bio, mais si la volonté est là, nous atteindrons à terme cet objectif. Que l’on ne me dise pas que ce n’est pas possible, puisque cela est déjà une réalité dans plus de trente départements.

Aujourd’hui, depuis trois ans, les agriculteurs ont accès aux marchés publics. C’est une première, validée par Bercy, le ministère de l’agriculture et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF.

Dès lors, le présent débat me semble dépassé. Chacun a le droit d’avoir ses convictions, mais il ne faut pas opposer les différentes formes d’agriculture les unes aux autres, surtout à l’heure où les agriculteurs manifestent parce qu’ils souffrent. Nous devons nous rassembler pour aider cette profession, comme le fait le Gouvernement.

De grâce, ne remettez pas en cause l’objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective sous de faux prétextes : il ne constitue pas l’alpha et l’oméga en matière d’alimentation, mais c’est un signal à donner à la société française, qui, aujourd’hui, est en demande ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le seuil de 20 % de produits bio dans la restauration collective est d’intérêt national.

En effet, nous n’aurons pas de filière biologique suffisamment diversifiée sur l’ensemble de notre territoire si nous ne garantissons pas aux producteurs bio une masse critique sur le marché national. C’est à cette condition qu’ils pourront investir et s’engager fortement dans la mutation que nous appelons de nos vœux.

En Allemagne, les producteurs bio savent que le marché national se développe et qu’un débouché leur est garanti par les collectivités publiques ; ensuite, ils se débrouillent à leur façon avec les règles de la concurrence.

La généralisation de l’objectif de 20 % de produits bio aurait l’avantage non seulement de consolider une filière d’avenir pour l’économie nationale, y compris à l’export, mais également d’apporter une réponse à une attente citoyenne majeure.

Je sais vos efforts, monsieur le ministre, en faveur de l’agroécologie. On lit dans la presse de ce jour que la consommation de pesticides et de produits phytosanitaires a augmenté d’environ 9 % en un an dans notre pays : on ne peut ignorer les interrogations des citoyens sur ce sujet !

M. Jean Desessard. Bien sûr !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il est donc impératif de consolider la filière bio, sans l’opposer aux autres.

En matière de recours aux produits locaux, certains maires sont plus proactifs, plus mobilisés que d’autres, notamment dans les territoires proches de la ruralité, le lien avec la production locale étant moins fort dans les grandes métropoles. Cependant, certains élus ne savent pas comment utiliser les nouveaux outils destinés à favoriser la consommation de produits locaux sans enfreindre les règles européennes. La généralisation de l’utilisation de ces outils permettrait de les aider à atteindre les objectifs de consommation de produits locaux ou bio et de répondre ainsi aux attentes des citoyens.

Il y a eu unanimité à l’Assemblée nationale sur un sujet qui fait consensus dans la société française.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Par conséquent, je ne comprends pas votre obstination ! (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Catherine Troendlé. Nous sommes au Sénat, pas à l’Assemblée nationale !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Mes chers collègues, pourquoi êtes-vous si frileux ? Pourquoi refusez-vous d’encourager une évolution bonne à la fois pour les consommateurs, l’environnement et les producteurs ? Votre attitude est donc en contradiction avec votre volonté affirmée de défendre les producteurs ! Le bio est aujourd’hui une filière intéressante pour eux. Que vous réclamiez une augmentation des moyens pour réussir la conversion, d’accord, mais n’allez pas à contre-courant, cela ne sert à rien !

Manger des produits bio permet-il de vivre plus longtemps ? Je l’ignore, monsieur Bailly, n’en ayant pas encore fait l’expérience… (Sourires.)

Un sénateur du groupe socialiste et républicain. En tout cas, on vit mieux !

M. Jean Desessard. En revanche, ce que je sais, c’est que l’espérance de vie diminue pour la première fois en France.

M. Jean Desessard. Si, monsieur Raison, des statistiques le montrent ; c’est une tendance récente, il faut lire la presse du jour, pas celle d’il y a dix ans ! L’espérance de vie diminue à cause de l’emploi des pesticides et autres produits chimiques, y compris dans l’agriculture.

Il y a trente ou quarante ans, nos parents bénéficiaient d’une alimentation saine, beaucoup moins polluée (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), ce qui a permis l’allongement de l’espérance de vie. Je ne peux pas affirmer que l’on vit plus longtemps en mangeant bio, mais, avec l’agriculture chimique, on vit moins longtemps.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Si nous ne supprimons pas l’article 1er, nous instaurerons un mécanisme au fond très libéral, qui devrait donc plaire à nos collègues de droite : la demande crée le marché, suscite la production, structure la distribution.

Mme Marie-Christine Blandin. Ainsi, on développe l’emploi, de surcroît l’emploi local ! Vous n’avez de cesse de parler de vos territoires : souhaitez-vous favoriser leur développement, ou la fabrication de tracteurs à l’autre bout du monde ou de molécules par Monsanto ?

Je vais prendre deux références à droite de notre hémicycle.

Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, Mme Férat, rapporteur pour avis de la commission de la culture pour l’enseignement agricole, avait plaidé en faveur du développement de l’offre de formations à la production bio et à l’agroécologie. Le ministre avait approuvé, ce qui doit conduire à l’émergence de générations de jeunes prêts à s’engager dans cette voie, mais voilà que vous vous opposez à ce que l’on stimule la demande de produits bio. C’est tout de même un peu dommage pour tous ces jeunes !

Mme Catherine Procaccia. C’est un peu réducteur !

Mme Catherine Troendlé. On n’a pas dit cela !

Mme Marie-Christine Blandin. Par ailleurs, M. Barbier a remis, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, un excellent rapport relatif aux phtalates contenus dans les pesticides et aux perturbateurs endocriniens : l’exposition à ces produits crée des désordres ravageurs sur la santé, notamment des cancers précoces. (M. Alain Milon proteste.)

Par conséquent, favorisons une alimentation plus saine : cela profitera à l’emploi et à la santé. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.

M. Michel Raison. Je n’ai bien évidemment rien contre le bio, mais je ne peux laisser affirmer sans réagir que seule l’agriculture bio serait saine et que les autres formes d’agriculture, soit 95 % de la production, seraient malsaines ! Notre pays bénéficie d’une alimentation saine.

Par ailleurs, l’espérance de vie peut diminuer un peu d’une année à l’autre, du fait d’une canicule, d’un hiver anormalement froid ou d’une épidémie de grippe. Il convient de considérer la courbe sur une longue période, et il apparaît alors qu’il n’y a pas de réduction de la durée de vie. Du reste, même si c’était le cas, on ne pourrait pas pour autant la mettre sur le dos de l’agriculture conventionnelle, ou que sais-je encore ! Sur un tel sujet, il faut être sérieux et se fonder sur de véritables études scientifiques !

M. Michel Raison. Notre pays et son agriculture sont dans une situation difficile : cela nous interdit de recourir à des slogans. Affirmer que 95 % de la production agricole serait malsaine n’est tout de même pas très sérieux ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Vasselle. Très bien, monsieur Raison !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

M. Yves Détraigne. Un adage veut que tout ce qui est excessif est insignifiant… J’ai l’impression que ce débat est en train de dériver vers des prises de position excessives, dans un sens ou dans l’autre.

Il y a de la place pour les deux types d’agriculture, bio et conventionnelle.

On constate une demande croissante de produits bio, et il faut pouvoir y répondre. Dans un pays développé, on doit avoir le choix en matière d’alimentation, comme dans d’autres domaines. Il ne faut pas non plus opposer l’agriculture bio à l’agriculture conventionnelle, en soutenant que cette dernière serait synonyme de pollution ou que la consommation de ses produits entraînerait automatiquement des problèmes de santé.

M. Didier Guillaume. Bien sûr que non !

M. Yves Détraigne. Nous avons créé dans la Marne 1 200 emplois en quelques années au sein du pôle de compétitivité « industries et agro-ressources », dont le site principal est implanté sur le territoire de la communauté de communes dont ma commune est membre. Nous accueillons des chercheurs venant du Canada, du Japon ou d’ailleurs, qui travaillent sur de nouveaux modes d’agriculture permettant de concilier compétitivité et réponse aux attentes nouvelles de la population.

Il ne faut donc pas, je le répète, opposer une agriculture à une autre : les deux ont leur place. C’est grâce à l’agriculture conventionnelle que nous mangeons aujourd’hui à notre faim,…

M. Didier Guillaume. Évidemment !

M. Yves Détraigne. … que nous sommes des champions dans le secteur agroalimentaire.

Par conséquent, cessons de nous chamailler pour défendre telle agriculture plutôt que telle autre. Il faut favoriser le développement de l’agriculture biologique, mais sans vouer aux gémonies l’agriculture conventionnelle qui, quand elle est encadrée et respecte les règles en vigueur – d’ailleurs excessives –, ne mérite aucun reproche. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

M. Joël Guerriau. Ce débat est tout à fait passionnant, mais ce qui me surprend toujours, c’est que l’on fixe des objectifs en pourcentages. Pourquoi 20 % ou 40 % plutôt qu’un autre chiffre ? Sur quels critères objectifs se fonde-t-on pour les déterminer ? Cette façon de faire me déplaît énormément, car elle me semble traduire un manque de confiance envers les producteurs. Et pourra-t-on mettre en place des circuits courts sur tous les territoires ? Pour ma part, cette manière de procéder me semble dangereuse…

Je suis maire d’une commune où le pourcentage de produits bio dans la restauration scolaire s’élève à 27 %. Pour arriver à ce résultat, nous avons décidé que chaque repas servi devrait comporter au moins deux produits bio. Il s’agit du pain, systématiquement, et d’un second aliment, par exemple un fruit ou un légume. Nous sommes partis de cette règle de deux produits bio par repas, et non d’un objectif de taux fixé arbitrairement. Pourquoi s’imposer de telles contraintes ?

Par ailleurs, dans ma commune de Loire-Atlantique, le marché public de la restauration collective est divisé en dix-sept lots, qui sont tous attribués à des fournisseurs français, le plus éloigné étant situé dans le Bas-Rhin, tandis que huit sont implantés dans le département. Cette situation tient au fait que, dans les appels d’offres, nous avons inscrit que le fournisseur retenu devrait pouvoir nous livrer très rapidement, y compris en cas de demande urgente. Cette simple contrainte de temps a débouché sur l’instauration de circuits courts.

Il existe donc des solutions très pragmatiques ; ce qui doit prévaloir, c’est le bon sens et la confiance tant en nos agriculteurs qu’en nos collectivités et leurs élus. (MM. Philippe Bonnecarrère et Didier Guillaume applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.

M. Yannick Vaugrenard. J’ai bien écouté les deux intervenants précédents, mais je n’ai pas compris quel serait leur vote sur cet amendement de suppression de l’article 1er

Supprimer cet article reviendrait à supprimer la proposition de loi, qui, je le rappelle, a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

Mme Catherine Procaccia. Nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale !

M. Yannick Vaugrenard. J’ai bien compris, ma chère collègue, mais, si l’Assemblée nationale a émis un tel vote unanime, c’est pour cette raison majeure que, aujourd’hui, nos concitoyens n’acceptent pas de manger tout et n’importe quoi. Cela n’est bien sûr pas le cas avec notre agriculture conventionnelle, je m’empresse de le préciser, mais les Français souhaitent savoir d’où viennent les aliments qu’ils consomment et comment ils sont produits. Le consommateur est beaucoup plus exigeant aujourd’hui qu’il ne l’était hier. Nous sommes obligés d’en tenir compte, à l’instar des producteurs.

Comment se fait-il que, dans notre assemblée, le ton monte à ce point ? Aucun d’entre nous n’est hostile à l’agriculture traditionnelle ! Nous souhaitons simplement que celle-ci réponde aux besoins et aux exigences du consommateur d’aujourd'hui et qu’elle soit donc, autant que faire se peut, raisonnée. Nous sommes tous d’accord sur ce point !

Pour autant, nous pensons, pour notre part, qu’il est également intéressant de développer l’agriculture biologique, y compris pour des raisons de compétitivité. Opposer une forme d’agriculture à l’autre n’a aucun sens !

Il s'agit simplement de promouvoir une agriculture de qualité, qu’il s’agisse d’agriculture raisonnée ou d’agriculture biologique. C’est tout ! Je n’arrive donc pas à comprendre pourquoi l’objectif de 20 % de produits biologiques dans la restauration collective d’ici à 2020 suscite, aujourd'hui, une telle opposition.

Tout à l'heure, M. le rapporteur a formulé une proposition tout à fait raisonnable, à savoir que cet objectif soit considéré comme atteint dès lors que les contrats seront signés en 2020. Cette solution permettrait de prendre en considération les réserves tenant à la brièveté du délai qu’ont exprimées certains. L’adopter serait, d’une certaine manière, aller au-devant de ce que pourrait décider une éventuelle commission mixte paritaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Cela a été dit, il ne faut pas opposer l’agriculture bio à d’autres formes de production.

Il est certain que l’alimentation est un sujet sensible. Nous défendons toutes et tous ici le monde agricole, qui connaît actuellement une situation dramatique. Nos producteurs sont animés par le souci de la qualité et détiennent un savoir-faire précieux.

Par ailleurs, le débat sur la restauration collective n’est pas simple. Les élus sont tributaires des procédures des marchés publics. Dans ce contexte, il est malaisé d’imposer des contraintes. Pour ma part, je crois vraiment qu’il faut faire confiance aux producteurs. Dans nos départements respectifs, notre rôle est aussi de faire travailler nos fournisseurs locaux.

Il convient de rester mesuré. Comme on dit, le bon sens l’emportera !

M. Jean Desessard. Le bon sens, c’est la proximité !

Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.

M. François Patriat. Cette proposition de loi n’est pas normative : elle est incitative.

M. François Patriat. Rien n’empêche de fixer des objectifs chiffrés, comme pour les énergies renouvelables : nous avions tous approuvé l’objectif de porter à 22 % la part des énergies renouvelables en France d’ici à 2020 ; cela n’avait soulevé aucune objection.

Pour aller dans le sens de M. le ministre, j’indique que les enquêtes menées par les comptables et par les chambres d’agriculture montrent que, dans le contexte de crise que connaissent aujourd'hui les filières porcine, bovine, laitière, mais aussi céréalière, ce sont les exploitations relevant de l’agroécologie et de l’agriculture bio qui dégagent les meilleurs résultats.

Aucune d’entre nous n’entend remettre en cause la vocation exportatrice de l’agriculture conventionnelle française, que je défends par ailleurs. Cependant, inciter à favoriser l’approvisionnement de proximité, surtout dans les territoires urbains, me semble servir l’intérêt du monde agricole, mais aussi celui de notre économie en général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Je voudrais poser une question : le secteur hospitalier est-il concerné par le seuil de 20 % de produits bio dans la restauration collective ? Si tel est le cas, j’ai quelques doutes sur l’applicabilité d’une telle mesure…

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Malgré sa longueur, ce débat ne m’a pas permis de déterminer mon vote sur cet amendement. C’est pourquoi je m’abstiendrai, alors que la majorité de mon groupe votera contre.

À l’évidence, nous sommes tous assez favorables au développement de l’agriculture biologique. Cependant, l’agriculture biologique ayant un moindre rendement que l’agriculture traditionnelle, ses produits sont nécessairement plus chers.

M. Jean Desessard. Tant mieux pour les producteurs !

M. François Fortassin. Les collectivités peuvent peut-être supporter ce surcoût, mais je ne suis pas persuadé que, dans la situation actuelle, tous les particuliers aient les moyens de faire le choix du bio.

Pour conclure, je regrette que le débat ait pris parfois un tour quasi religieux… (Sourires.)

Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Vous êtes pourtant le sénateur de Lourdes !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Mon cher collègue, je puis vous assurer que le débat reste laïque. M. Labbé peut le confirmer ! (Sourires.)

Je voudrais inviter M. Vasselle à retirer son amendement, dans la mesure où les explications de vote ont témoigné d’une volonté partagée sur toutes les travées de soutenir l’ancrage territorial de l’alimentation, l’approvisionnement de proximité et le recours aux produits biologiques.

Faut-il une loi pour atteindre ces objectifs ? Il a été souligné avec raison que ce n’est pas la première fois qu’un texte de loi pose de tels objectifs : il y a eu le Grenelle de l’environnement, la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014. Ces textes n’ont sans doute pas suffi, sinon nous ne reviendrions pas aujourd'hui sur ces sujets.

Par ailleurs, la présente proposition de loi est-elle ou non normative ? Elle contient des objectifs chiffrés : franchement, ne s’agit-il pas là de fixer des normes ?

M. Alain Vasselle. Bien sûr !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Un certain nombre d’intervenants ont eu tendance à culpabiliser les élus locaux à propos des cantines scolaires. Je me permets de rappeler que la part des établissements d’enseignement dans la restauration collective s’élève à 34 % ! Le reste, c’est l’État, ce sont des établissements publics qui ne sont pas vraiment gérés par les élus locaux, tels que les établissements de santé, les centres médico-sociaux. Les élus président tout au plus leur conseil de surveillance, mais ce ne sont pas eux qui les dirigent.

Monsieur le ministre, j’ai l’impression d’une réitération du Grenelle de l’environnement, à cette différence près que celui-ci fixait des objectifs pour l’État, quand le présent texte élargit le champ de ces objectifs aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.

Mais qu’a fait l’État depuis le Grenelle de l’environnement ?

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. N’ai-je pas lu dans Ouest France que les Bretons se plaignent que le ministère de la défense ne fasse pas appel aux produits locaux pour la restauration collective des militaires ? L’État a-t-il donné l’exemple depuis le Grenelle de l’environnement ?

En conclusion, j’estime que, pour atteindre ces objectifs, que je crois partagés, il convient de s’appuyer sur deux piliers.

Premièrement, la volonté politique, tant du Gouvernement que des élus locaux, est nécessaire. Plusieurs de nos collègues, de différentes sensibilités, ont ainsi indiqué qu’ils avaient eux-mêmes œuvré en faveur de l’utilisation de produits de proximité dans la restauration collective.

Deuxièmement, il convient de regarder de près le code des marchés publics. Mes chers collègues, relisez l’excellent rapport de M. Labbé ! Dans la partie qui décrit la situation actuelle, on y apprend qu’un dispositif permettant de faire appel aux produits locaux à hauteur de 30 % a été instauré en Vénétie, et qu’une initiative similaire a été prise par certains Länder allemands.

Mme la présidente. Il va falloir conclure, monsieur le président.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. À la vérité, il nous faut, monsieur le ministre, une feuille de route très pédagogique, qui explique aux uns et aux autres comment procéder pour favoriser les circuits courts sans déroger au code des marchés publics. Celui-ci est souvent présenté comme l’obstacle qui nous empêche de faire ce que nous voulons.

Mme la présidente. Monsieur le président de la commission, il vous faut vraiment conclure !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Prenons exemple sur ce qui se pratique dans d’autres pays : je crois vraiment possible de faire mieux !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Je constate que mon amendement a déclenché une pluie d’interventions, toutes plus intéressantes les unes que les autres. Reste à savoir si je dois le maintenir ou pas…

Avant de donner ma réponse, je voudrais dire à M. Guillaume que, s’il en est un parmi nous qui a déplacé le débat sur le terrain politique, c’est bien lui !

M. Alain Vasselle. Dans cette assemblée, personne n’a considéré que l’ancrage territorial de l’alimentation constituait un enjeu politique : l’enjeu est plutôt économique, dans la mesure où il s’agit de permettre à l’agriculture française de bénéficier de débouchés privilégiés dans la restauration collective, au travers notamment de circuits courts. Comme l’a rappelé à l’instant M. le président de la commission, ce point semble faire consensus.

Par ailleurs, je voudrais faire observer à M. le rapporteur qu’introduire dans un texte de loi un objectif chiffré, c’est créer une norme supplémentaire, qu’il le veuille ou non.

Enfin, le rapport de M. Labbé contient, nous a dit M. le président de la commission, des éléments de nature à rassurer les élus locaux quant à la conformité des marchés dont nous débattons aux procédures de marchés publics et aux directives européennes. Cela étant, MM. Manable et Guerriau nous ont expliqué qu’ils n’avaient pas attendu cette proposition de loi pour introduire, dans les cahiers des charges de leurs appels d’offres, des clauses permettant de favoriser le recours à la production locale.

M. Loïc Hervé. Bien sûr !

M. Alain Vasselle. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis interrogé sur la pertinence de cette proposition de loi, dont le dépôt constitue en fait une opération politique conduite par les Verts. Ce n’est pas nous qui avons placé le débat sur le terrain politique !

Je retire l’amendement, au bénéfice d’un autre que mon collègue Daniel Gremillet présentera dans un instant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé et Mme Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.

La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Le débat a effectivement un peu dérapé…

À l’Assemblée nationale, l’examen de cette proposition de loi a abouti à un vote unanime des députés, qui appartiennent à des formations politiques également représentées au Sénat.

Mme Catherine Procaccia. Nous ne sommes pas l’Assemblée nationale !

M. Stéphane Le Foll, ministre. En Italie, des stratégies de développement des approvisionnements locaux, assorties d’un objectif de 30 % de produits de proximité, ont effectivement été très tôt mises en place. Dans le même esprit, nous essayons ici de fixer des objectifs chiffrés, qui inciteront à l’élaboration de telles stratégies. On a toujours inscrit des objectifs dans les lois : c’est ainsi que l’on fait avancer les choses.

M. Jean Desessard. Bien sûr !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Le débat au fond ne porte donc que sur l’agriculture biologique, qui ne doit pas être opposée aux autres formes d’agriculture. Il s’agit simplement de faire une place aux produits bio dans l’approvisionnement local de la restauration collective.

Certains d’entre vous ont rappelé que cette forme d’agriculture est souvent moins productive que les autres et que ses produits peuvent coûter un peu plus cher, mais ce n’est pas une règle générale et s’approvisionner en produits bio peut se révéler in fine moins coûteux.

Par ailleurs, s’il est exact que des collectivités territoriales, régions, départements ou communes, ont déjà développé des stratégies d’approvisionnement local, la responsabilité de la représentation nationale est d’accompagner ce mouvement des élus locaux au travers de la loi.

Concernant les suites du Grenelle de l’environnement, quand nous sommes arrivés aux affaires, aucun des objectifs fixés n’avait été atteint : rien ne sert de se renvoyer la balle sur ce sujet, monsieur le président Lenoir.

Votre mémoire étant assez sélective, vous avez sans doute oublié que j’ai indiqué, lors de la discussion générale, que M. Le Drian et ses services travaillent sur l’approvisionnement local des armées. Des progrès ont été réalisés. La même démarche est engagée pour l’ensemble des administrations françaises. Nous avons même revu les règles et remis à plat les appels d’offres.

Enfin, monsieur Lenoir, le guide destiné aux élus locaux que nous avons publié est parfaitement conforme aux règles des marchés publics. Ne rouvrons pas ce débat ! Mon administration l’a rédigé en collaboration avec Bercy : nous avons pris toutes les précautions nécessaires, croyez-moi ! Il en va de même pour les outils informatiques destinés aux acheteurs que nous avons mis en place.

La seule question qui se pose est celle-ci : allons-nous ensemble de l’avant pour promouvoir l’approvisionnement local ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 14 rectifié, présenté par MM. Gremillet et Mandelli, Mme Garriaud-Maylam, MM. Kennel, Pierre et Morisset, Mmes Canayer, Morhet-Richaud et Di Folco, MM. Cardoux, Trillard et Mayet, Mme Imbert, MM. Emorine et Mouiller, Mme Deromedi, MM. Grand et Raison, Mme Lopez, M. P. Leroy, Mme Estrosi Sassone, MM. Calvet, Bonhomme, G. Bailly, Vasselle, Milon, Pellevat, Longuet, Bouchet, Chasseing, Bizet, Cornu, Vaspart, Lenoir, Rapin et Pointereau et Mme Gruny, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 230-5-1. – Dans le respect des objectifs de la politique de l’alimentation définie à l’article L. 1 au plus tard le 1er janvier 2020, l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics incluent dans la composition des repas servis dans les restaurants collectifs dont ils ont la charge 40 % de produits issus d’approvisionnement en circuits courts ou de proximité, ou répondant à des critères de développement durable, notamment la saisonnalité des produits. En fonction des capacités de production locale, une proportion de produits servis est prioritairement issue d’une identification de la qualité et de l’origine ou sous mentions valorisantes ou découle d’une démarche de certification de conformité des produits, tels que définis à l’article L. 640-2, ou est issue de l’agriculture biologique.

La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Certes, l’Assemblée nationale a voté cette proposition de loi à l’unanimité, mais peut-être la mobilisation et l’intérêt de nos collègues députés étaient-ils moindres que les nôtres ? Le débat sur l’amendement précédent témoigne de notre souci commun de développer une réflexion stratégique.

Le texte a été enrichi par l’adoption en commission, la semaine dernière, d’un amendement de notre collègue Henri Tandonnet, qui a notamment supprimé le seuil de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective.

Le présent amendement vise simplement à prévoir que l’ensemble des produits labellisés, relevant d’une IGP, d’une AOC, etc. bénéficient eux aussi des nouvelles règles devant s’appliquer aux approvisionnements de la restauration collective, au même titre que les produits issus de l’agriculture biologique.

Cet amendement, monsieur Guillaume, n’est pas de nature idéologique : il vise à tenir compte des réalités. La part des produits bio sera peut-être de 25 % dans certains territoires, monsieur Labbé, et de 15 % dans d’autres, selon les réalités locales. L’important est de reconnaître celles-ci et de faire en sorte que les savoir-faire locaux puissent trouver leur place dans la restauration collective.

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Amendement n° 14

I. – Alinéa 3, première phrase

Supprimer les mots :

au plus tard le 1er janvier 2020

II. – Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le présent article s’applique aux contrats, conclus à compter du 1er janvier 2020, qui sont des marchés publics au sens de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ou des contrats de concession au sens de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Ce sous-amendement a pour objet d’assouplir les conditions de mise en œuvre de l’obligation prévue par l’article 1er, qui ne s’appliquerait qu’aux contrats conclus après le 1er janvier 2020, et non aux contrats en cours à cette date. Les acheteurs publics auront donc davantage le temps de s’organiser pour mettre en œuvre les approvisionnements exigés par cette disposition.

Cet assouplissement permettra d’éviter une instabilité juridique concernant les contrats signés avant 2020 encore applicables au 1er janvier 2020.

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Amendement n° 14, alinéa 3

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

20 % de produits sont issus de l’agriculture biologique ou de surfaces agricoles en conversion au sens de l’article 17 du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2092/91.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Ce sous-amendement tend à rétablir une quotité de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective, tout en y incluant les produits issus de surfaces en conversion à l’agriculture biologique.

Fixer un objectif en pourcentage, c’est donner un élan, inciter à définir une stratégie en se donnant les moyens de la mettre en œuvre, comme l’a souligné très justement M. le ministre.

Les surfaces en question représentent 177 000 hectares, venant s’ajouter aux surfaces certifiées comme respectant l’ensemble du cahier des charges de l’agriculture biologique. De plus, cette disposition aura pour effet de soutenir la dynamique de reconversion en structurant les débouchés dans la période de transition.

L’adoption du dispositif proposé permettrait de faciliter l’application du seuil de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective, tout en soutenant la restructuration de la filière, laquelle, je le rappelle, est plus rémunératrice pour les producteurs que l’agriculture conventionnelle (Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.) et engendre un plus grand nombre d’emplois non délocalisables.

Aujourd’hui, les producteurs ne sont pas justement payés de leur travail ni de leurs investissements. D’une façon ou d’une autre, il faut une revalorisation des prix pour permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail !

Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Vasselle et Kennel, Mmes Cayeux, Lamure, Gruny et Procaccia, MM. Charon, Delattre, Lefèvre, D. Laurent et P. Leroy, Mme Hummel, MM. Milon, Longuet et Mouiller, Mmes Morhet-Richaud, Giudicelli et Deromedi et MM. Chaize, de Nicolaÿ, Pointereau et Houel, est ainsi libellé :

Alinéa 2

1° Première phrase

Remplacer le mot :

incluent

par les mots :

veillent à inclure

2° Seconde phrase

Au début, insérer les mots :

Dans ce cadre,

La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Cet amendement, ainsi que le suivant, sont des amendements de repli par rapport à celui de suppression de l’article que j’ai retiré précédemment. Considérant que la réécriture de l’alinéa 2 proposée par notre collègue Gremillet les satisfait, je les retire également, au bénéfice de l’amendement n° 14 rectifié.

Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.

L'amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Vasselle et Kennel, Mmes Cayeux, Lamure, Gruny et Procaccia, MM. Charon, Delattre, Lefèvre, D. Laurent et P. Leroy, Mme Hummel, MM. Milon, Longuet et Mouiller, Mme Giudicelli et MM. Houel, Chaize, de Nicolaÿ et Pointereau, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Après les mots :

c’est-à-dire

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

répondant à des critères de développement durable, notamment de saisonnalité des produits ou issus d’approvisionnements en circuits courts.

Cet amendement a été retiré.

L'amendement n° 7, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Les collectivités territoriales sont autorisées à déroger aux règles du code des marchés publics dans le cadre d'approvisionnement local. Un décret en Conseil d'État en fixe les modalités d'application.

La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Il existe certes des guides pratiques, mais ne serait-il pas opportun, dans un souci de simplification que partage le Gouvernement, si je ne m’abuse, de mettre en place une dérogation aux règles des marchés publics pour les petites communes ?

À tout le moins, peut-être conviendrait-il de mieux informer l’ensemble des collectivités, des élus locaux et des syndicats. Ayant assisté récemment, dans mon département, à deux réunions organisées respectivement par la FDSEA et le syndicat départemental des jeunes agriculteurs, j’ai eu l’impression que les participants ne connaissaient pas toutes les possibilités offertes en matière d’appels d’offres des collectivités publiques pour la restauration collective.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Joël Labbé, rapporteur. En me portant candidat à la fonction de rapporteur, je savais que je prenais des risques…

Avant de restituer très fidèlement l’avis de la commission, je voudrais dire que je déplore ce qui s’est passé ce matin en commission.

Nous avions proposé une réécriture de l’article 1er rétablissant le seuil de 20 % de produits bio, tout en prévoyant la prise en compte, dans cette quotité, des produits issus de surfaces en conversion à l’agriculture biologique et l’application du dispositif aux seuls contrats signés à partir du 1er janvier 2020. Il s’agissait là d’une véritable ouverture et d’une rédaction limpide. (M. Roland Courteau approuve.) Hélas, la commission a décidé, après un long débat, d’émettre un avis favorable sur l’amendement n° 14 rectifié de M. Gremillet, estimant qu’il est de nature à assouplir considérablement l’obligation mise à la charge des personnes publiques, tout en favorisant un ancrage local de l’alimentation, ce qui est vrai au demeurant. Mais nous n’allons pas refaire l’histoire…

L’adoption de cet amendement priverait l’article 1er d’une partie de sa substance. À titre personnel, je suis réservé, à moins que les deux sous-amendements de M. Desessard ne soient adoptés : la commission a émis un avis défavorable sur ces sous-amendements, mais ils peuvent maintenant être « remis en selle ».

J’ai dit en commission à M. Le Scouarnec que son amendement n° 7 était intellectuellement très intéressant, mais juridiquement inapplicable au regard du code des marchés publics. La commission a donc émis sur cet amendement un avis défavorable, que je partage.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur les sous-amendements nos 10 rectifié et 11 rectifié, et un avis de sagesse sur l’amendement n° 14 rectifié. Je souhaiterais que nous puissions trouver un compromis et tous nous rassembler autour de l’adoption de l’amendement de M. Gremillet, doublement sous-amendé comme le propose M. Desessard. Cela permettrait, me semble-t-il, d’effectuer un véritable pas dans la bonne direction.

S’agissant de l’amendement n° 7, j’y suis évidemment défavorable : en tant que ministre, j’applique les règles des marchés publics.

M. Jean Desessard. Bravo, monsieur le ministre !

(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Isabelle Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 10 rectifié.

M. Claude Bérit-Débat. La proposition de M. le ministre me semble à la fois intelligente et pleine de sagesse : adopter l’amendement de M. Gremillet ainsi sous-amendé reviendrait à adopter une position équilibrée. Cela permettrait de promouvoir l’agriculture de qualité, qu’il s’agisse des produits bio ou de ceux qui relèvent d’un label, d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée, tout en prenant en compte les propositions pertinentes de M. Desessard.

Nous aimerions entendre, à ce propos, M. Gremillet. J’espère que la sagesse légendaire du Sénat sera une nouvelle fois au rendez-vous !

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. La commission a émis un avis défavorable sur le sous-amendement n° 10 rectifié, qui a pour objet de réserver la mise en œuvre de l’obligation prévue par l’article 1er aux contrats conclus après le 1er janvier 2020. Cependant, si son adoption peut nous permettre d’avancer sur la voie du consensus, pourquoi ne pas le voter ?

En revanche, il est impossible de retenir le sous-amendement n° 11 rectifié, puisque la commission a supprimé, la semaine dernière, le seuil de 20 % de produits bio dans le texte de la proposition de loi.

Dès lors que l’on introduit un seuil de 40 % de produits bio ou relevant d’une AOC, d’une IGP, d’un label, etc., dans la restauration collective, pourquoi persistez-vous à vouloir opposer les territoires, les réalités économiques locales ?

Je crois que nous ferions preuve de hauteur de vues si nous nous retrouvions autour de l’adoption de l’amendement que je propose, en y intégrant les dispositions du sous-amendement n° 10 rectifié.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. J’appuie la position qui vient d’être défendue par Daniel Gremillet ; elle est fidèle à l’esprit de ce qu’a décidé ce matin la commission des affaires économiques.

Ce matin, la commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 14 rectifié et un avis défavorable sur le sous-amendement n° 10 rectifié.

M. le ministre propose un compromis consistant à adopter l’amendement de M. Gremillet, sous-amendé par les sous-amendements nos 10 rectifié et 11 rectifié.

Je propose pour ma part que nous nous retrouvions à mi-chemin : retenons le sous-amendement n° 10 rectifié, mais pas l’autre.

M. Jean Desessard. Je n’appelle pas ça un compromis ! Ce n’est pas sérieux !

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.

M. Didier Guillaume. MM. Gremillet et Vasselle m’ont reproché tout à l’heure de déplacer le débat sur le terrain politique, mais la déclaration du président de la commission s’inscrit clairement dans cette perspective !

Vous savez très bien que c’est le sous-amendement n° 11 rectifié, relatif au seuil de 20 % de produits bio ou issus de surfaces en conversion à l’agriculture biologique, qui importe !

M. Roland Courteau. Évidemment !

M. Didier Guillaume. Monsieur Gremillet, vous qui avez été un haut responsable de chambre d’agriculture, qui avez avec moi créé Agrilocal et le salon européen Tech&Bio, qui avez promu, avec Luc Guyau et Guy Vasseur, l’ancrage territorial de l’alimentation et les produits bio dans la restauration scolaire, je ne comprends pas quelle peut être aujourd’hui votre motivation, sinon donner un coup d’arrêt au bio !

M. Didier Guillaume. Pourquoi ne pas laisser dans le texte la référence au seuil de 20 % de produits bio dans la restauration collective ? Cet objectif, qui n’est pas normatif, figure dans la loi depuis le Grenelle de l’environnement !

Moi qui ne cesse de répéter, depuis quinze ou vingt ans, qu’il ne faut pas opposer les différentes formes d’agriculture, je trouve votre amendement très intéressant. Je combats les intégristes de tous bords, qu’ils prônent l’agriculture bio contre l’agriculture conventionnelle ou l’inverse. Cela a été très bien dit tout à l’heure : notre agriculture a besoin du bio, des productions conventionnelles, des biotechnologies, de la recherche, de l’exportation, de l’approvisionnement local, des grandes cultures, de l’innovation.

Nous ne comprenons donc pas pourquoi vous voulez retirer du texte un objectif qui figure par ailleurs dans notre droit depuis le Grenelle de l’environnement. C’est donner un coup d’arrêt au développement de l’utilisation de produits bio dans la restauration collective, adresser un signal négatif, alors que le laisser ne changera rien.

M. Michel Raison. Alors, ça ne sert à rien !

M. Didier Guillaume. Certaines collectivités locales continueront à en faire peu, d’autres à en faire beaucoup pour promouvoir l’utilisation de produits bio. Dans mon département, depuis des années, les repas servis dans les cantines des collèges incluent 30 % de produits bio, et l’approvisionnement est local. Les agriculteurs qui fournissent les cantines bénéficient ainsi 20 % de revenus supplémentaires, et ça ne coûte pas plus cher aux intendants des collèges !

Je partage, monsieur Gremillet, votre volonté de prendre en compte l’ensemble des signes de qualité, mais pourquoi supprimer dans le texte le seuil de 20 % de produits bio ? Pourquoi envoyer un tel signal ? Je ne comprends pas.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Le groupe écologiste se félicite qu’un grand débat se tienne au Sénat sur les modèles agricoles, tout en regrettant qu’il ait lieu durant la « niche » étroite qui lui est réservée, ce qui nous empêchera d’aborder le point suivant inscrit à l’ordre du jour, à savoir le revenu de base, sujet qui est pourtant du plus grand intérêt.

Monsieur Gremillet, je vous apprécie beaucoup, vous le savez, mais votre vision du compromis est quelque peu stalinienne ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Le véritable compromis serait que vous acceptiez nos deux sous-amendements en contrepartie de notre accord pour voter votre amendement. Nous pourrions alors avancer ensemble.

Mais, au lieu de cela, vous acceptez le moindre de nos sous-amendements pour nous faire plaisir, tout en rejetant celui qui importe vraiment. Comment voulez-vous que nous nous accordions sur de tels termes ?

Vous avez dit que la commission avait adopté sa position il y a huit jours. Eh bien, tenez compte de la dynamique du débat, des arguments échangés, et faites un pas dans notre direction, en acceptant le sous-amendement n° 11 rectifié !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Joël Labbé, rapporteur. C’est avec une profonde honnêteté intellectuelle que j’ai voulu, pour ma part, avancer sur ce sujet. Depuis la réunion de la commission de la semaine dernière, j’ai recherché, avec mes collègues, avec le cabinet de M. le ministre, une solution qui nous permettre de sortir par le haut ; celle que propose M. Gremillet revient à vider le texte de sa substance !

Je me suis promis de dire les choses calmement, mais votre proposition, monsieur le président de la commission, monsieur Gremillet, ne relève pas de l’honnêteté intellectuelle !

Pourquoi cette proposition de loi ? La demande de produits bio de nos concitoyens est forte et croissante. Les pays voisins sont, dans ce domaine, largement en avance sur nous. Savez-vous que la France se classe au dix-septième rang européen en termes de surface agricole utile consacrée à la production bio ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Non, ce n’est pas exact !

M. Joël Labbé, rapporteur. En tout cas, nous ne figurons pas parmi les premiers, monsieur le ministre ! Allons-nous importer les produits bio que réclament nos concitoyens ?

L’intérêt de ce texte, c’est de faire de la restauration collective un levier pour développer la production bio. L’augmentation de la consommation appelle l’organisation et la planification de la production, dans l’intérêt des agriculteurs locaux. Les projets de conversion au bio sont nombreux ; la présente proposition de loi permet de les encourager. Si vous la videz de sa substance, vous décevrez une grande partie de la population française, et vous devrez alors prendre vos responsabilités. Mais je ne désespère pas que Daniel Gremillet, qui est un homme de bon sens, revienne sur sa position. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) La proposition de M. le ministre est véritablement équilibrée.

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. M. Guillaume a cru bon de nous accuser de déplacer le débat sur le terrain politique. Mon cher collègue, je vous ferai tout de même remarquer que c’est vous qui, avec le groupe écologiste, vous cramponnez au seuil de 20 % de produits bio.

M. Didier Guillaume. Ce taux a été fixé par le Grenelle de l’environnement !

M. Alain Vasselle. C’est à tort que vous affirmez que l’adoption de l’amendement de M. Gremillet empêchera les collectivités d’inclure dans les cahiers des charges de leurs appels d’offres la fourniture d’une part de produits biologiques : je vous invite à relire le texte de cet amendement, qui prévoit que, « en fonction des capacités de production locale » – en effet, rien ne dit que les capacités de production locale permettront toujours d’atteindre le taux de 20 % de produits bio –, « une proportion de produits servis est prioritairement issue d’une identification de la qualité et de l’origine ou sous mentions valorisantes ou découle d’une démarche de certification de conformité des produits, tels que définis à l’article L. 640-2, ou est issue de l’agriculture biologique ».

M. Daniel Gremillet. Exactement !

M. Alain Vasselle. Votre préoccupation est donc satisfaite. Je ne vois pas pourquoi vous vous arc-boutez sur ce taux de 20 % de produits bio. L’essentiel, c’est bien de permettre aux collectivités d’introduire la mise en œuvre des produits biologiques dans leurs cahiers des charges !

M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.

M. Michel Raison. Je voudrais rassurer Joël Labbé : son honnêteté intellectuelle et sa sincérité sont unanimement reconnues. Par ailleurs, j’ai beaucoup d’estime pour M. Guillaume.

Toutefois, je souhaite revenir sur deux points.

Premièrement, comme M. Vasselle vient de le souligner, l’amendement de Daniel Gremillet, que je soutiens totalement, n’est pas un amendement politique ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Didier Guillaume. Bien sûr que non…

M. Michel Raison. C’est un amendement de pragmatisme ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean Desessard. Bien sûr que oui…

M. Michel Raison. Nous pouvons aller jusqu’à 40 % d’agrobiologie.

Deuxièmement, il faut faire attention avec les chiffres, monsieur Guillaume. Vous ne pouvez pas affirmer comme cela que les revenus sont supérieurs de 14 %, 20 % ou 22 % dans une ferme biologique !

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Michel Raison. Il peut y avoir 25 % de revenus en plus, mais il peut aussi y avoir 10 % en moins. Dans une ferme traditionnelle, le revenu varie du simple au quintuple, selon la date d’installation, la région, la technicité ou la capacité de gestion de l’agriculteur. Une ferme bio peut être plus rentable ou moins rentable qu’une ferme non bio ; il n’y a pas de règle en la matière !

Simplement, dans les fermes de référence des chambres d’agriculture, les revenus sont sensiblement équivalents entre les fermes bio et celles qui ne le sont pas. Tout dépend des productions.

Attention donc à ne pas livrer à l’opinion des chiffres qui ne correspondent pas à la réalité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Mes chers collègues, retrouvons un peu de sérénité dans le débat !

Je confirme que nous avons le plus grand respect pour M. le rapporteur Joël Labbé, comme d’ailleurs pour chacun des membres de la Haute Assemblée. Nous connaissons l’enthousiasme et la flamme de notre collègue sur un certain nombre de sujets. Lors de nos réunions – les membres de notre commission pourraient en témoigner –, nous avons en face de nous un homme de convictions, même si nous avons tous nos convictions.

Cela dit, certains des propos que j’ai entendus me paraissent excessifs, notamment lorsque Joël Labbé revendique son honnêteté intellectuelle tout en déniant cette qualité à deux autres membres de la commission !

Cher collègue, nous avons aussi des positions, même si nous les défendons avec d’autres mots que vous. Affirmer que ceux qui ne partagent pas votre opinion ne sont pas honnêtes intellectuellement, cela relève un peu de l’intégrisme ! (Vives protestations sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Tout ce que nous avons dit cet après-midi avait été exprimé par une majorité de membres de la commission des affaires économiques. Je précise d’ailleurs que trente-cinq de ses trente-neuf membres étaient présents ce matin ! Nous rapportons simplement une opinion. Je demande qu’elle soit respectée et que le respect soit mutuel.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 10 rectifié.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. Jean Desessard. Pourtant, c’était un sous-amendement « intégriste » ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 11 rectifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 171 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 149
Contre 188

Le Sénat n'a pas adopté.

La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote sur l'amendement n° 14 rectifié.

M. Didier Guillaume. J’ai évoqué en aparté avec M. Gremillet, qui n’y est pas très favorable, la possibilité de rectifier son amendement. En effet, je regrette le rejet du sous-amendement n° 11 rectifié, qui, il est vrai, visait à introduire dans le texte un alinéa entier consacré au principe des 20 % pour l’agriculture biologique.

J’ai entendu les arguments de M. le ministre, que je partage évidemment.

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas toujours le cas !

M. Didier Guillaume. J’ai aussi pris bonne note de la position de M. Gremillet, qui veut faire référence aux « capacités de production locale ». Je pense que c’est important.

Le souci de sagesse de la Haute Assemblée et la recherche d’une position consensuelle pourraient conduire notre collègue à rectifier son amendement, non pas en ajoutant un alinéa supplémentaire consacré à la règle des 20 %, mais simplement en intégrant cet objectif dans son texte. Cela irait dans le sens des propos du Gouvernement et de la commission, sans modifier totalement l’amendement.

Par conséquent, au nom du groupe socialiste, je suggère de rectifier l’amendement et de mentionner l’objectif des 20 % pour la restauration collective à partir de 2020, conformément au Grenelle de l’environnement, dans la phrase : « En fonction des capacités de production locale, une proportion de produits servis est prioritairement issue d’une identification de la qualité et de l’origine ou sous mentions valorisantes ou découle d’une démarche de certification de conformité des produits, tels que définis à l’article L. 640-2, ou est issue de l’agriculture biologique. »

M. le président. Monsieur Gremillet, que pensez-vous de la suggestion de M. Guillaume ?

M. Daniel Gremillet. Mes chers collègues, on ne joue pas.

M. Didier Guillaume. Justement !

M. Daniel Gremillet. Cher Didier Guillaume, il y a beaucoup de respect entre nous ; nous nous connaissons bien. Néanmoins, très honnêtement, je m’étonne des propos qui ont été tenus tout à l’heure, notamment s'agissant des responsabilités professionnelles que j’ai pu exercer par le passé.

Je n’ai aucune leçon à recevoir en la matière. Dans la chambre d’agriculture que j’ai eu l’honneur de présider, il y a eu un technicien bio bien avant les contrats territoriaux d’exploitation ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ai été président de chambre pendant vingt-six ans ; nous n’étions que cinq à en avoir un !

M. Didier Guillaume. C’est ce que je vous ai dit !

M. Daniel Gremillet. Certes, mais en catimini.

M. Didier Guillaume. Non ! Je l’ai dit publiquement.

M. Daniel Gremillet. Je le dis sans passion (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.), et même avec beaucoup de raison : je ne comprends pas.

Ainsi que M. le président de la commission des affaires économiques l’a rappelé, mon amendement a été beaucoup travaillé, pendant plus d’une heure. En plus, notre collègue Henri Tandonnet avait déjà formulé une proposition voisine la semaine dernière. La commission a donc pu se pencher sérieusement sur le sujet à deux reprises.

Vous nous proposez de faire référence à l’objectif des 20 % ? Mais nous avons plus d’ambition que vous ; nous pouvons aller jusqu’à 40 % de bio !

M. Jean Desessard. Très bien ! Cela me va. Mais, dans ce cas, faites-le vraiment !

M. Daniel Gremillet. La rédaction de mon amendement permet d’aller jusqu’à 35 % ou 40 % si les circonstances locales s’y prêtent, vous le savez très bien !

M. Jean Desessard. Oui, mais nous parlons d’une règle à appliquer dès 2016…

M. Daniel Gremillet. Moi, cher collègue, je vous parle des réalités ! J’ai entendu les déclarations de nos interlocuteurs lors des auditions – j’y ai assisté ! – menées par notre collègue Joël Labbé, auquel je rends hommage. J’ai également entendu les propos des acteurs de terrain.

Les dispositions de mon amendement permettent d’aller au-delà de l’objectif des 20 % ; elles sont plus ambitieuses ! Mais elles prennent aussi en compte les réalités des territoires, des savoir-faire. Après tout, l’intitulé de la proposition fait explicitement référence à l’« ancrage territorial » ! Tenons-en compte !

M. Labbé a évoqué la version initiale de l’amendement, c'est-à-dire avant la rectification.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Gremillet. Toutefois, la rédaction actuelle permet de respecter le code des marchés publics, tout en tenant compte des réalités du terrain et des exigences des élus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. L’amendement n’est donc pas rectifié.

La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Monsieur Gremillet, comme vous n’acceptez pas ce qui vous est proposé, le groupe écologiste votera contre.

Vous aurez du mal à faire passer pour un « amendement de consensus » une proposition à laquelle tout un groupe politique s’oppose, surtout quand il s’agit du groupe qui a pris l’initiative de l’examen de cette proposition de loi !

Quelle histoire, monsieur Gremillet ! Vous invoquez tout ce que vous avez fait en faveur du bio. C’est très bien ; je vous en félicite… Toutefois, pourquoi une telle régression ? (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Ce n’est pas une régression ! Au contraire !

M. Jean-François Husson. C’est l’inverse !

M. Jean Desessard. Ce n’est pas un combat entre nous ! Vous avez accepté le Grenelle de l’environnement ! Vous l’avez pris comme objectif il y a un certain nombre d’années ! Globalement, excepté quelques individualités dans vos rangs, vous avez accepté le Grenelle en tant que force politique.

Les objectifs fixés vous paraissaient possibles et souhaitables. Et quelques années plus tard, vous affirmez que ce n’est pas une bonne proposition, alors que le bio se développe partout en France et qu’il est essentiel de consolider la filière ! (Mêmes mouvements.)

Mme Sophie Primas. Mais non !

M. Alain Vasselle. Il s’agit de 40 % !

M. le président. Un peu de calme, mes chers collègues !

M. Jean Desessard. Vous nagez complètement à contre-courant. C’est grave non seulement en termes de santé, mais également pour les professionnels, car vous ne les aidez pas à s’en sortir. Vous porterez une lourde responsabilité ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Vasselle. Lisez l’amendement !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Joël Labbé, rapporteur. Je me faisais silencieux jusqu’à présent, car je suis quelque peu dépité. J’ai parlé d’honnêteté intellectuelle tout à l’heure et l’on me reproche d’avoir parlé de malhonnêteté ! Il s'agit là d’attitudes politiciennes, celles-là mêmes qui lassent aujourd'hui la population.

Nous étions en train de parvenir à un véritable consensus gagnant-gagnant. Or vous cassez l’entente à laquelle nous étions arrivés, de manière très adroite, en proposant un amendement visant à assouplir les dates. Ce faisant, vous ôtez toute sa substance à ce texte, qui ne sera pas acceptable en l’état à l’Assemblée nationale.

Cela signifie que l’adoption de cette proposition de loi sera reportée à une date très ultérieure. Nous étions sur le point de satisfaire l’attente sociétale de nos concitoyens, et vous mettez à mal ce texte en adoptant des postures politiciennes ! Vous m’en voyez extrêmement déçu, je tenais à vous le dire ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’il nous reste un peu moins de quinze minutes de débat. Avant de lever la séance, il serait bon de mettre aux voix, à défaut de l’article 1er, l’amendement n° 14 rectifié.

La parole est à M. Jacques Genest, pour explication de vote.

M. Jacques Genest. Ce dossier est fortement estimable pour l’élu rural que je suis. Bien évidemment, il est important de se soucier de la santé de nos concitoyens et de la survie des agriculteurs. Néanmoins, mes chers collègues, ne croyez-vous pas que la proposition dont nous discutons depuis une heure maintenant n’est ni applicable ni contrôlable ?

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.

Mme Sophie Primas. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir me pardonner mon élan de tout à l’heure, mais je suis atterrée par nos discussions et quelquefois choquée, voire parfois blessée.

Personne, sur ces travées, ne souhaite contrecarrer le développement du bio ou des circuits courts. Au contraire, toutes nos initiatives en tant qu’élus locaux, départementaux ou régionaux apportent la preuve que, quelle que soit notre sensibilité politique, nous participons à la création des filières courtes et aidons au développement de l’agriculture biologique.

Cher Joël Labbé, nul ne peut m’accuser d’être contre le bio ! Nous avons eu cette discussion ce matin en commission. En tant que présidente d’un groupement d’agriculture locale, au travers de subventions régionales et européennes, je soutiens l’essor du bio. Un maraîcher bio vient de s’installer récemment dans ma commune. Toute la vallée de la Seine est impliquée dans cette démarche. Nous allons prochainement réinstaller un élevage laitier bio dans ma commune. Nous faisons tout cela sans loi, dans les limites de ce que notre territoire peut nous apporter !

La question posée aujourd'hui n’est pas de savoir si nous sommes pour ou contre le bio. Une telle interrogation n’aurait pas de sens, car nous sommes bien évidemment tous favorables au développement de la filière bio, comme nous sommes tous favorables aux circuits courts. La question qui nous est posée aujourd'hui est la suivante : devons-nous encore accroître les responsabilités données aux maires ?

Ce n’est pourtant pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui, alors que nous examinons un texte sur l’agriculture. C’est d’ailleurs le ministre de l’agriculture qui est parmi nous, et non celui chargé des collectivités territoriales ! Pourquoi vouloir à cette occasion imposer une nouvelle obligation aux maires ?

M. Roland Courteau. C’est un objectif !

Mme Sophie Primas. Pourquoi voter encore une norme supplémentaire ?

L’idée qui sous-tend cette proposition est bonne : il s’agit de pouvoir augmenter les volumes. Mais cessons de créer de nouvelles obligations pour les maires ! Ces derniers en ont vraiment assez !

Mettons l’église au milieu du village, si vous me permettez l’expression, laissons l’intelligence collective et territoriale se développer et fichons la paix aux maires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Madame la sénatrice, je me doutais que nous aurions à un moment où à un autre ce débat.

Je vous rappelle que vous avez voté tout à l’heure le maintien des abattoirs de proximité. Or si une infrastructure coûte cher aux collectivités, c’est bien celle-là !

Mme Nicole Bricq. Tout à fait !

M. Stéphane Le Foll, ministre. M. Joël Labbé à raison, cessons les débats politiciens, d’autant que vous utilisez des arguments qui se retournent quelquefois contre vous !

Il y a quelques minutes, je vous ai expliqué clairement ce qu’il en était des abattoirs de proximité. Or vous avez voté l’amendement. Maintenant, vous clamez haut et fort que fixer pour objectif 40 % de produits issus de circuits courts et 20 % de produits bio, c’est donner des obligations aux maires ! N’avez-vous pas voté il y a une demi-heure à peine un amendement qui, en termes d’obligations et de coût de fonctionnement, est certainement plus coûteux que les objectifs proposés ici ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

De grâce, madame la sénatrice, soyons cohérents ! Car c’est bien ce qui fait défaut dans le débat ce soir.

M. Daniel Raoul. Très bien envoyé !

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.

M. Jean-François Husson. Comme d’autres, j’ai suivi attentivement le débat.

Je comprends votre passion, monsieur le rapporteur, et votre attachement à la cause que vous défendez. Cependant, nous devons tous, de part et d’autre de cet hémicycle, prendre de la hauteur et considérer ce que demandent nos concitoyens. Ils veulent avant tout des produits de qualité, que ceux-ci bénéficient ou non d’une appellation, qu’ils soient bio ou pas.

Nos concitoyens souhaitent de la qualité, de la traçabilité, de la sécurité et des coûts qui soient le plus possible tenus.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Là, vous faites surtout de l’obstruction… Vous jouez la montre !

M. Jean-François Husson. Vous avez souligné, monsieur ministre, ainsi que plusieurs de nos collègues sur diverses travées, la multiplicité des situations, à tel point qu’il faudrait un ministre « des agricultures » – nous vous demandons d’ailleurs de faire cette proposition au Président de la République.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !

M. Jean-François Husson. Non, ce n’est pas n’importe quoi, ma chère collègue !

M. Didier Guillaume. Et pourquoi pas un ministre des familles ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-François Husson. Aujourd'hui, malheureusement, en raison de l’évolution de la politique agricole commune au sein de l’Europe, nous n’avons plus de fil conducteur. La difficulté qui se pose à nous est de retrouver un chemin de cohérence pour la « ferme France » et ses différents modes de production. C’est l’un des objectifs qui apparaît au travers de nos échanges.

Pour ce qui concerne l’idée de rassemblement, j’entends, moi aussi, les maires des territoires ruraux. Comme nous parfois, eux aussi expriment des demandes contradictoires. Ils veulent le maintien, voire la création d’abattoirs pour de petites quantités.

Vous nous dites, monsieur le ministre, que c’est compliqué et que cela représente beaucoup d’argent public. C’est vrai. Nous avons évoqué la situation des abattoirs dans les grandes villes, notamment à Toulouse. Toutefois, chez moi, à Nancy, cela fait quinze ou vingt ans qu’il n’y a plus d’abattoir.

De la même manière, lors de l’épidémie de maladie de Creutzfeldt-Jakob, au moment de la crise de l’ESB, c'est-à-dire il y a vingt ans, la filière Lorraine qualité viandes a été mise en place afin d’assurer la traçabilité, même si ce n’était pas une filière bio. Nous l’avons fait à des coûts qui sont, encore aujourd’hui, intéressants, même s’ils étaient un peu plus élevés pour les contribuables.

Ce travail est encore devant nous. Ne nous écharpons pas sur les taux de 21 %, de 22 %, de 19 % ou de 40 %, mais continuons plutôt à progresser pour répondre aux demandes contradictoires, et parfois paradoxales, exprimées par nos concitoyens et par nous-mêmes.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous avez raison : vos demandes sont paradoxales…

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nos débats ont été denses, éclairants et utiles. Il existe en effet un attachement collectif, ici au Sénat, au développement d’un certain nombre de filières courtes et il n’y a donc pas parmi nous, d’un côté, les gentils, et, de l’autre, les méchants.

Je regrette cependant que, compte tenu de l’horaire retenu au sein de l’ordre du jour pour examiner cette proposition de loi, nous ne puissions pas examiner la proposition de résolution relative au revenu universel inscrite à la suite de ce texte. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Bosino. Quel dommage !…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Or nous étions justement un certain nombre ici, appartenant à différents groupes politiques, à pouvoir nous retrouver autour de cette proposition, laquelle prévoit un dispositif assez innovant. Il est donc dommage que nous ne puissions en débattre de façon approfondie.

J’ose espérer que nous aurons l’occasion dans cet hémicycle, sur l’initiative de l’un de nos groupes, d’aborder à nouveau ce sujet. Un certain nombre d’expérimentations vont en effet avoir lieu en Europe, et il s’agit peut-être là d’une réponse à apporter dans notre pays, au moment où le tissu social est fragile et où les mutations économiques sont particulièrement importantes. (Brouhaha sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Je tenais à émettre ce regret, monsieur le président, avant le vote de l’amendement n° 14 rectifié.

M. le président. Mon cher collègue, votre intervention ne nous facilitera certainement pas la tâche…

Je mets aux voix l’amendement n° 14 rectifié, modifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le président, compte tenu des votes intervenus, l’avis du Gouvernement est défavorable.

M. le président. Donc, avis défavorable du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 172 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l’adoption 183
Contre 141

Le Sénat a adopté.

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas passé loin !

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 7 n’a plus d’objet.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est dix-huit heures trente.

Je vous rappelle que la présente proposition de loi a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe écologiste, c’est-à-dire pour une durée de quatre heures.

Ces quatre heures étant écoulées, je me vois dans l’obligation d’interrompre l’examen de ce texte.

Il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire à l’ordre du jour d’une prochaine séance la suite de la discussion de cette proposition de loi, ainsi que la discussion de la proposition de résolution pour l’instauration d’un revenu de base.

Article 1er (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Discussion générale

6

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord, déposé sur le bureau du Sénat le 4 janvier 2016.

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 10 mars 2016 :

À dix heures trente :

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (n° 372, 2015-2016) ;

Rapport de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission spéciale (n° 406, 2015-2016) ;

Texte de la commission spéciale (n° 407, 2015-2016).

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain)

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l’économie bleue (n° 370, 2015-2016) ;

Rapport de M. Didier Mandelli, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 430, 2015-2016) ;

Texte de la commission (n° 431, 2015-2016) ;

Avis de M. Michel Le Scouarnec, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 428, 2015-2016).

À dix-huit heures trente et, éventuellement, le soir : suite éventuelle de l’ordre du jour du matin.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD