Sommaire
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
Secrétaires :
M. François Fortassin, Mme Colette Mélot.
2. Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
3. Débat sur la situation financière des départements
M. Benoît Huré, au nom du groupe Les Républicains
4. Débat sur le trentième anniversaire du baccalauréat professionnel
M. Patrick Abate, au nom du groupe communiste républicain et citoyen
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
5. Candidatures à des commissions mixtes paritaires
6. Candidature à un organisme extraparlementaire
7. Incivilités et terrorisme dans les transports collectifs de voyageurs. – Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
Discussion générale :
M. François Bonhomme, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Amendement n° 3 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 2 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 1 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire modifié.
8. Nomination de membres de commissions mixtes paritaires
9. Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
10. Chambres de commerce et d'industrie et chambres de métiers et de l'artisanat. – Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
Discussion générale :
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur
Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
Mme Colette Mélot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 2 mars 2016, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant respectivement sur l’absence d’indemnité compensatrice de congé payé en cas de rupture du contrat de travail provoquée par la faute lourde du salarié (n° 2015-523 QPC) ; sur le gel administratif des avoirs (n° 2015-524 QPC) ; sur la validation des évaluations de valeur locative par comparaison avec un local détruit ou restructuré (n° 2015-525 QPC).
Acte est donné de ces communications.
3
situation financière des départements
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation financière des départements, organisé à la demande du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Benoît Huré, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Benoît Huré, au nom du groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, nous le savons tous désormais, la situation financière et budgétaire des conseils départementaux est devenue si difficile que c’est la question même de leur survie qui est posée.
En préalable à mon intervention, je veux rappeler quelques chiffres.
Les conseils départementaux sont l’un des tout premiers investisseurs publics en France. Durant la seule année 2014, ils ont investi 11,3 milliards d’euros, pour une dette cumulée de 33 milliards d’euros ; toutes proportions gardées, c’est un chiffre dont on se prend à rêver pour notre pays ! Au cours de cette même année, ils ont engagé 59 milliards d’euros de dépenses de fonctionnement, dont plus de 50 % concernent la solidarité. Toutes les actions et missions des conseils départementaux sont mises en œuvre par 294 000 agents.
Avec les lois de décentralisation, l’État a transféré aux départements la gestion des collèges, des routes et, naturellement, la mise en œuvre des politiques sociales. Depuis 2002, à la faveur de différents textes législatifs sur la dépendance, le handicap et le RSA, les dépenses à la charge des départements ont considérablement augmenté, car les ayants droit ont été mieux aidés, tout en devenant de plus en plus nombreux.
Si les départements ont été chargés d’appliquer toutes ces politiques de solidarité par l’État, c’est parce que celles-ci supposaient des réponses de proximité, adaptées aux réalités locales. Les conseils généraux ont donc dû recruter et former des équipes de terrain, qui représentent souvent de 40 % à 50 % de leurs effectifs actuels.
La situation financière difficile, voire désespérée pour une quarantaine d’entre eux, est due au fait que l’État a « oublié » année après année de rembourser un pourcentage de plus en plus élevé du montant des allocations prescrites par lui et versées par les départements. La situation est devenue de moins en moins supportable à partir de 2013 ; elle est désormais intenable. Les raisons en sont le vieillissement accéléré de la population conjugué à une meilleure prise en charge de la dépendance, mais, surtout, l’explosion du nombre de bénéficiaires du RSA : si la hausse est, en moyenne, de 9,1 % en France, elle peut atteindre 20 % dans certains départements, notamment industriels, voire 25,5 % dans les Ardennes, département que j’ai l’honneur de présider. Au point que, pour l’année 2014, les sommes non remboursées aux départements, appelées « reste à charge », ou RAC, ont atteint le chiffre de 7,2 milliards d’euros, pour arriver à 8,1 milliards d’euros en 2015.
S’est ajoutée parallèlement, pour les départements comme pour toutes les autres collectivités territoriales, au titre de l’effort de redressement des comptes de la Nation, une diminution cumulée de 30 % de leurs dotations à compter de 2014 jusqu’en 2017, qui représentera au total 4 milliards d’euros.
Par ailleurs, il faut le savoir, les mécanismes de remboursement des allocations individuelles de solidarité, ou AIS, par l’État aux départements répondent à une logique quelque peu ubuesque : plus un département compte de bénéficiaires du RSA et d’ayants droit à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, moins il est compensé. En France métropolitaine, le reste à charge ramené à l’habitant par département, c'est-à-dire la non-compensation, varie de 77 euros à 217 euros et atteint des sommes encore plus élevées dans les départements ultramarins.
Forte de telles constatations et en s’appuyant sur un travail conduit par des experts, dont le cabinet Klopfer, l’ADF – l’Assemblée des départements de France – a, dès le printemps 2015, et dans une démarche toujours unitaire, alerté et rencontré les ministres concernés, le Président de la République et, à plusieurs reprises, le Premier ministre. Sur la base de ces expertises, validées à la fois par l’ADF et par le Gouvernement, à défaut d’une meilleure compensation des dépenses liées à ces allocations, dix départements étaient annoncés en déséquilibre budgétaire avant la fin de l’année 2015. Entre trente et quarante départements le seront en 2016, et les autres finiront par tomber en 2018. Voilà qui a fait dire à certains esprits chagrins ou lucides que la disparition des départements, faute d’avoir été obtenue par la loi, surviendrait par asphyxie financière…
À la suite de différentes réunions de travail entre l’ADF et le Gouvernement, dans le cadre d’un dialogue certes âpre, mais toujours constructif, des perspectives de solutions pérennes ont été proposées par le Premier ministre le 25 février dernier.
On semble avoir enfin pris la mesure que le conseil départemental représente la seule collectivité capable de mettre en œuvre sur le terrain auprès des usagers l’un des aspects fondamentaux de notre pacte républicain issu du Conseil national de la Résistance : la solidarité nationale à l’égard des plus fragiles d’entre nous. Il est d’ailleurs à noter que, dans le cadre des débats préparatoires à la loi NOTRe, aucune autre collectivité n’a revendiqué l’exercice de cette grande et nécessaire mission de cohésion.
Lors de notre dernière rencontre, le 25 février, sans attendre les conclusions de la mission Sirugue, compte tenu de l’urgence de la situation, M. le Premier ministre a, dans un premier temps, annoncé une prise en charge par l’État du financement du RSA dans le cadre d’une réforme globale des allocations de solidarité. La mise en œuvre sera effective avec la loi de finances pour 2017. Le Premier ministre a rejoint l’ADF sur un certain nombre de points essentiels.
Premièrement, la prise en charge du RSA par l’État sera financée non par les recettes dynamiques des départements, en l’occurrence les droits de mutation à titre onéreux, ou DMTO, et ce qu’il reste de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE – les départements les conservent –, mais sans doute par un prélèvement sur leur dotation globale de fonctionnement, la DGF, qui prendra en compte la situation de chacun, ainsi que, a précisé M. le Premier ministre, l’efficacité de leurs politiques d’insertion.
Deuxièmement, le principe de la clause de retour à meilleure fortune est acquis. Les départements qui parviendront à faire baisser leur nombre d’allocataires du RSA verront alors leurs prélèvements diminuer d’autant.
Troisièmement, une aide d’urgence pour les départements les plus en difficulté pour l’exercice budgétaire 2016 est actée. Elle pourrait se chiffrer à 250 millions d’euros.
Le chemin à parcourir reste long et difficile. Des points cruciaux doivent encore être négociés : le calendrier de la réforme et l’année de référence, qui, pour l’ADF, ne peut pas être postérieure à 2014. Ce n’est pas un caprice, monsieur le ministre ; il s’agit de la dernière année où les départements ont pu faire face !
En résumé, les récentes évolutions pour les conseils départementaux sont un rayon de soleil dans un ciel qui reste très assombri. C’est au vu des résultats des négociations sur les modalités de mise en œuvre des propositions du Premier ministre que nous pourrons dire : « Non seulement nous avons été écoutés, mais, en plus, nous avons enfin été compris ! »
Pour illustrer mon propos, je me permettrai de donner quelques chiffres concernant mon département. Ils permettent de mesurer plus clairement les enjeux.
Les Ardennes, ce sont 280 000 habitants, 450 millions d’euros de budget, un levier fiscal qui représente 500 000 euros par point de fiscalité pour le seul foncier bâti et des investissements contraints aux côtés de l’État qui représentent 242 millions d’euros en quinze ans. Nous cofinançons actuellement avec l’État l’achèvement, dans sa partie française, de la liaison autoroutière non concédée Rotterdam-Marseille.
En trois ans, l’État aura baissé nos dotations – comme celles de toutes les autres collectivités – de plus de 9 millions d’euros, soit 18 % de notre fiscalité, mais il aura aussi oublié de nous rembourser 106 millions d’euros d’allocations de solidarité…
M. Roland Courteau. Ah !
M. Benoît Huré. À partir de cet exemple concret et vécu de manière plus ou moins forte dans d’autres départements, on doit comprendre que c’est bien de leur avenir et de celui de notre pays qu’il est question.
Qui, à la place des départements, pourra demain mettre en œuvre les politiques de solidarité sociale et territoriale, sans même parler de l’entretien et de la modernisation de tous les réseaux qui leur ont été confiés et qui sont vitaux pour l’avenir des territoires ?
Vous devez également le savoir, au-delà de l’incapacité pour les départements à financer le RSA, plusieurs d’entre eux connaissent aussi les plus grandes difficultés pour verser des allocations liées à la dépendance.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, c’est bien plus qu’une béquille dont les conseils départementaux ont besoin pour continuer d’exercer leurs missions, d’intérêt national autant que local ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme c’est malheureusement trop souvent le cas, il faut que les choses aillent mal pour qu’on en parle. Or, ainsi que mon collègue Huré vient de le rappeler, les choses vont très mal pour les départements, qui ont pourtant été confirmés voilà moins d’un an dans leur rôle central d’acteur de la cohésion sociale et territoriale. On s’intéresse aux départements lorsqu’ils disent qu’ils ne pourront plus payer le RSA !
Ce débat, qui a le mérite de poser publiquement le problème de la situation financière des départements, arrive à un moment crucial, celui où le décrochage des finances départementales risque de paralyser leur action et de mettre des millions de nos concitoyens dans la souffrance. Ces concitoyens, ce sont ceux qui attendent le RSA pour vivre, ceux qui ont besoin de l’APA ou de la prestation de compensation du handicap. Ce sont les plus fragiles d’entre nous, vis-à-vis desquels notre devoir de solidarité est total.
En 2015, dix départements étaient en très grande difficulté. Ils seront une quarantaine cette année. À terme, ce sont tous les départements qui se trouveront dans l’impasse budgétaire si aucune décision n’est prise. Pourtant, les alertes ont été lancées et les départements ont maintes fois averti que leur situation se dégradait rapidement. Les clignotants sont passés de l’orange au rouge en peu de temps. On en connaît les causes : baisse des dotations de l’État ; morosité du marché de l’immobilier, qui s’accompagne d’une baisse des droits de mutation pour les départements ; pertes de recettes de CVAE, d’un côté, et dépenses qui augmentent toujours plus vite que les recettes, de l’autre. À cet égard, la liste est longue. J’évoquerai notamment la question de la prise en charge des mineurs isolés étrangers de plus en plus nombreux,…
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Jean-Claude Luche. … l’abondement des MDPH, nécessaire du fait de la non-revalorisation de la participation de l’État, la prise en charge des mesures statutaires concernant le personnel signées par Mme Lebranchu avant de quitter son ministère, le transfert du coût de la maintenance des outils informatiques des collèges et, enfin, des besoins de solidarité grandissant en période de crise économique et sociale.
Les départements ont dû supporter des transferts de charges qui n’ont pas été accompagnés des moyens correspondants. Il en résulte un transfert de fiscalité de l’État vers les départements difficilement supportable, mais nous n’avons pas d’autre choix que de subir cette situation.
Pourtant, les départements ont courbé l’échine pour laisser passer l’orage, continuant à assurer une gestion dont la rigueur a rarement été démentie. Ils ont tenu bon ! J’en veux pour preuve mon département de l’Aveyron, qui a réussi à maintenir le cap, en dépit d’une participation de l’État en baisse de plus de 62 millions d’euros en six ans, soit l’équivalent d’une année d’investissement. D’autres sont moins bien lotis ou doivent faire face à des augmentations de charges insupportables.
L’éclaircie n’est pas venue, et il a fallu se résoudre, pour la très grande majorité des départements, à s’endetter ou à limiter les investissements. Ce sont les seules dépenses qui baissent dans les budgets des départements : 3 % en 2015. L’année 2016 sera bien pire !
Les conséquences sur l’activité de nos territoires sont dramatiques. Moins de routes sont construites, moins de travaux sont engagés dans les collèges et les aides aux acteurs territoriaux pour les équipements sont minorées. Au bout du compte, ce sont moins d’emplois. C’est aussi une dynamique brisée dans de nombreux cantons.
Monsieur le ministre, les départements ont besoin de mesures d’urgence. À plus long terme, ils ont également besoin de savoir clairement comment se financera la solidarité. Sur quels acteurs reposera-t-elle et sur quelle assiette fiscale sera-t-elle assise ? Aujourd’hui, c’est l’ensemble des missions de solidarité qui se trouve menacé. Qu’en est-il, par exemple, d’une réflexion sur le coût du reste à charge pour l’APA dans les départements qui, comme le mien, doivent gérer le vieillissement de leur population ?
Les solutions qu’avait promises le Président de la République concernant un mode de financement pérenne pour la dépendance, notamment, n’arrivent pas. Or il s’agit d’un sujet majeur dans nos départements, particulièrement dans les plus ruraux d’entre eux.
L’ADF, d’une seule voix, a fait des propositions. Certaines, en particulier en ce qui concerne le RSA, ont été acceptées jeudi dernier par le Gouvernement. Encore faut-il les affiner, comme mon collègue Huré l’a rappelé. Cependant, elles arrivent bien tard !
Les départements peuvent entendre qu’il est nécessaire de participer à l’effort de la nation. Ils ont la culture de la solidarité. Néanmoins, cette solidarité ne doit plus être à sens unique. Aujourd’hui, ils ont besoin qu’on les entende ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen se félicitent de l’organisation du débat sur la situation financière des départements. En effet, si toutes les collectivités locales subissent les conséquences désastreuses des mesures d’austérité pour assurer le financement du prétendu pacte de confiance et de responsabilité, les départements, par les compétences sociales qui leur ont été confiées, se trouvent dans une situation particulièrement alarmante. Ils sont confrontés à une triple contrainte.
La première est de faire face à la crise économique et sociale, ce qui les conduit à une progression de leurs dépenses bien plus rapide que celle de leurs recettes.
Au total, l’ensemble de leurs dépenses sociales représente annuellement plus de 35 milliards d’euros, dont près de la moitié concernent les seules allocations individuelles de solidarité, le RSA, l’APA et la PCH, dont bénéficient plus de 3 millions de nos concitoyens sans emploi, en perte d’autonomie ou en situation de handicap. Ces dépenses ont progressé ces dernières années dans chaque département dans une fourchette qui se situe entre 5 % et 10 %, soit bien au-delà de l’inflation.
La deuxième contrainte est l’insuffisante compensation de ces dépenses obligatoires par l’État.
Si, au moment de leur transfert ou de leur instauration, ces allocations ont fait l’objet d’un transfert de ressources équivalent aux dépenses, avec le temps, le fossé n’a cessé de se creuser entre des dépenses particulièrement dynamiques et des recettes totalement atones. Aujourd’hui, l’État ne compense qu’à peine la moitié de ces dépenses, laissant à la charge des départements et de leurs contribuables un montant qui dépasse les 8 milliards d’euros. C’est devenu intenable !
La dernière contrainte, le coup de grâce pourrait-on dire, est les ponctions opérées sur les dotations de fonctionnement de l’État pour financer en particulier ce fameux CICE.
En cumulé, de 2013 à 2017, c’est un montant de près de 10 milliards d’euros qui manque cruellement à l’autofinancement et donc au financement des investissements réalisés par les départements. À tel point qu’on assiste à une véritable absurdité. D’un côté, le CICE, qui était censé créer, selon M. Gattaz, 1 million d’emplois n’en a créé aucun et s’est pour l’essentiel évaporé dans la poche des actionnaires des grands groupes.
M. Bruno Sido. Oh !
M. Christian Favier. De l’autre, l’investissement local, qui représente le carburant principal des secteurs du bâtiment et des travaux publics, n’a cessé de reculer ces deux dernières années – 6 % en 2014 et autant en 2015 –, contribuant ainsi à détruire des milliers d’emplois.
En 2015, pour la seule région d’Île-de-France, le nombre de salariés dans les entreprises du bâtiment et des travaux publics a diminué de 2 % ; dans l’intérim lié à ce secteur, les effectifs ont chuté de plus de 13 %.
Voilà le résultat de choix purement idéologiques et irresponsables qui fragilisent les collectivités locales pour uniquement renforcer les capacités financières des grands groupes ! Tout cela mène tout droit à l’échec et à l’impasse. Il y a donc urgence à inverser cette logique inefficace et suicidaire.
Pour les départements, pour l’équilibre de leurs finances et afin d’éviter le recours à des hausses de fiscalité douloureuses pour nos concitoyens, il convient d’engager d’urgence trois mesures.
Premièrement, il faut décider d’un moratoire sur les baisses de dotations. Arrêtons cela immédiatement, évaluons l’impact de cette austérité et si, comme nous en sommes persuadés, cette évaluation conclut à l’absurdité de la démarche, rétablissons les dotations supprimées indûment aux collectivités locales !
Deuxièmement, il convient de compenser de manière intégrale et pérenne les charges relevant de la solidarité nationale. Cette compensation est vitale pour les départements. Elle doit leur permettre d’assumer leurs compétences au bon niveau sans les contraindre aux choix mortifères qu’ils sont souvent malheureusement amenés à prendre.
La dernière mesure, qui s’inscrit dans la même démarche que la précédente, est la reprise par l’État du financement du RSA. En ce domaine, la plus-value de la gestion décentralisée est nulle, l’action des départements se limitant de fait à honorer chaque mois le titre de recettes émis par la CAF.
Pis, ce financement départemental d’une allocation de solidarité nationale conduit certains à la tentation de revenir sur le caractère national, universel, du droit à l’allocation pour nos concitoyens les plus fragilisés. Nous savons tous que l’idée a cheminé de départementaliser l’allocation du RSA, ce qui serait une véritable catastrophe pour nos concitoyens en termes d’égalité. Il y a donc urgence à ce que l’État, qui fort légitimement décide du montant du RSA et de ses critères d’éligibilité, puisse en assurer enfin le financement total.
Des discussions sont engagées depuis des mois entre le Gouvernement et l’Assemblée des départements de France. En fin de semaine dernière, pour la première fois, le Premier ministre s’est engagé à proposer le retour à l’État de la gestion du RSA. C’est une première avancée appréciable à mettre à l’actif de la mobilisation des départements et des populations. Dans le Val-de-Marne, département que je connais bien, plus de 27 000 habitants se sont en effet exprimés par pétition pour obtenir de l’État les moyens financiers permettant au département d’exercer ses missions.
Il reste que le compte n’y est toujours pas et que le dialogue entre l’État et les départements doit se poursuivre pour obtenir un transfert très rapide de cette dépense et la prise en compte, comme référence, du dernier compte administratif adopté, c'est-à-dire celui de l’année 2014. Nous ne pouvons pas attendre 2017 ! Dès cette année, une loi de finances rectificative devrait être décidée. Un collègue a rappelé que plus de quarante départements en 2016 auront les plus grandes difficultés à boucler leur budget. Pour le Val-de-Marne, l’enjeu s’élève à 40 millions d’euros, qui sont indispensables à l’équilibre de son budget en 2016.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat et les propositions qu’au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen je tenais à formuler. J’insiste sur leur caractère urgent.
Notre pays va mal, nos concitoyens, nos territoires souffrent. Ils ont besoin à leurs côtés de collectivités locales et de services publics à l’écoute, efficaces et réactifs. Laisser croire qu’on améliorera la situation en diminuant leurs ressources, notamment leurs recettes de fonctionnement – certains cabinets spécialisés prévoient une baisse de 0,3 % en 2016 et de 0,4 % en 2017 –, relève au mieux de la supercherie, au pire de la malhonnêteté intellectuelle.
Oui, la France a besoin de ses départements ! Pour cela, elle doit leur donner les moyens d’exercer au mieux leurs missions. C’est, je le répète, une question d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Benoît Huré et René-Paul Savary applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac.
M. Thierry Carcenac. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, pourquoi avons-nous un tel débat aujourd'hui ? La situation se serait-elle subitement dégradée ? Est-ce l’incidence de la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques ? Je ne le pense pas.
La dégradation de la situation financière des départements est plus profonde. Son origine est connue : elle résulte de la prise en charge de la solidarité nationale par les départements à un moment où le financement local s’est alourdi. Elle s’est aggravée depuis 2004 avec la loi de décentralisation, qui a amplifié les transferts de compétences et de solidarité, avec des financements improbables.
En 2005, nous avons assisté à la refonte de la DGF des départements, dans une période de faible croissance, puis à la baisse des dotations de l’État. Je rappelle qu’actuellement nous percevons en DGF garantie par habitant, depuis 2009, 74,02 euros.
En 2010 a eu lieu la réforme de la taxe professionnelle, qui s’est accompagnée d’une nouvelle répartition des impôts directs locaux, ne laissant subsister aux départements qu’un seul impôt : la taxe foncière sur les propriétés bâties, fusionnée avec la part régionale basée sur une valeur locative d’un autre siècle.
Il a fallu agrémenter le tout de mesures ponctuelles de péréquation verticale, puis horizontale. Avec des dépenses en hausse – 8 % en moyenne par an pour le RSA – et des ressources inadaptées, ce fut le temps des rapports d’information qui ont reconnu l’effet de ciseaux, entre des ressources qui ne cessent de baisser et des dépenses qui ne cessent de croître. Ce fut le rapport sur la maîtrise des dépenses locales du 20 mai 2010 dit « Carrez-Thénault », qui précisait – déjà ! - que la situation des départements ne serait pas résolue sans arbitrage au niveau national. Je citerai également les rapports de la Cour des comptes, les rapports annuels de l’Observatoire des finances locales, le rapport de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur l’évolution des finances locales à l’horizon 2017, les rapports de l’ODAS, l’Observatoire national de l’action sociale, ou ceux de la DARES, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques. Tous ces rapports ont tiré la sonnette d’alarme. On ne peut pas dire qu’il y a aujourd'hui un effet de surprise, d’autant que l’État – la DGFIP et la DGCL – dispose des comptes administratifs des départements.
Quelles furent alors les solutions ? Des mesures conjoncturelles ! Trois gouvernements s’y sont essayés : Fillon, Ayrault, Valls. Comme en 2013, les mesures étaient insuffisantes, après un rapport partagé entre le Gouvernement, l’ADF et la Cour des comptes, la loi de finances pour 2014 a prévu le transfert d’une part des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties et a offert la possibilité aux assemblées départementales de majorer de 0,7 point les taux liés aux DMTO, qui peuvent ainsi évoluer de 3,8 % à 4,5 %. La totalité des départements s’y sont résolus, y compris Paris depuis le 1er janvier 2016.
Ces dispositions étaient accompagnées d’un dispositif de compensation péréqué et d’un fonds de solidarité sur les DMTO sur flux et sur stock. Mais, après un an, rien n’a suffi : la situation stabilisée s’est à nouveau dégradée, et tous les indicateurs des nombreux départements – une quarantaine – sont dans le rouge : endettement qui s’allonge et épargne nette en très forte chute depuis cinq ans. Cela fait que des départements n’ont plus de marge brute et que la marge fiscale n’existe plus pour certains.
Dès lors, la position du Premier ministre sur la prise en charge par l’État du financement du RSA, allocation universelle de solidarité reposant sur la solidarité nationale, et non plus par les seuls départements, s’impose. Nous en prenons acte avec satisfaction ; c’est la deuxième décision d’envergure après celle du gouvernement Ayrault. Mais de nombreuses questions se posent…
En tant que président de la commission consultative sur l’évaluation des charges, je confirme qu’il ne s’agit nullement d’une recentralisation, puisque l’action des départements est confirmée, notamment dans leur rôle d’insertion et de suivi des bénéficiaires, et que reprendre département par département le financement du RSA ne résoudrait pas le problème.
Dès lors, sur quelles bases refonder cette prise en charge nationale ? L’année de référence, celle du dernier accord conclu avec le gouvernement Ayrault, est 2014. Je rappelle que Gaston Defferre avait remboursé sur une période de dix ans la dette de l’État en matière sociale contractée à l’égard des départements lors de la première décentralisation…
Quelles ressources affecter ? Comme je l’indiquais, une reprise à « l’euro l’euro » auprès de chaque département est impossible et ne ferait qu’aggraver la situation des départements, déjà fortement dégradée. Certains évoquent des ressources dynamiques qui ne devraient pas être transférées : DMTO, CVAE. Nous en connaissons toutefois les limites.
Restent les critères objectifs à retenir.
Tous les départements ne sont pas dans la même situation. Il me semble que les revenus des habitants et le reste à charge par habitant des trois allocations individuelles de solidarité pourraient être judicieusement retenus.
L’approche du Gouvernement est très positive, et il faut la concrétiser rapidement. Le Premier ministre a envisagé la mise en œuvre de mécanismes d’incitation financière visant à renforcer les dispositifs d’insertion. Cela n’est pas nouveau : lors de la mise en œuvre du RMI, nous avions connu cela. D’autres éléments sont également importants en termes d’évaluation, notamment le retour à meilleure fortune et la bonification de la DGF.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Thierry Carcenac. Il faut aller vite. À titre d’exemple, dans mon département, le reste à charge était de 8,5 millions d’euros en 2011. Il est maintenant de 24,5 millions d’euros, et 1 point de pression fiscale représente 1 million d’euros.
Vous le voyez, monsieur le ministre, les départements veulent vivre, remplir leur mission de solidarité territoriale et de cohésion sociale. Je sais que vous n’y êtes pas insensible. Le temps presse, et je fais appel à vos talents de négociateur pour trouver une issue positive à ce douloureux dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dotations de l’État aux collectivités locales baisseront de 3,5 milliards d’euros en 2016, après avoir diminué de 1,5 milliard d’euros en 2014. Les possibles répercussions négatives sur la qualité des services rendus à la population sont préoccupantes, notamment en termes de solidarité.
Sans perdre de vue l’équilibre des comptes de la Nation, les écologistes s’opposent à la baisse de ces dotations, car nous n’acceptons pas que la résorption de la dette publique se fasse au détriment des services publics territoriaux. Nous considérons que cette forte baisse met en péril la capacité d’animation des collectivités locales et donc le dynamisme des territoires, ainsi que la capacité d’assurer les nécessaires solidarités, cœur des politiques des départements.
Dans bien des cas, même si les différences entre collectivités sont fortes, la baisse des dépenses de fonctionnement ne suffira pas à équilibrer les budgets locaux ; dès lors, ce sont les investissements qui devront également être revus à la baisse. Or réduire la capacité d’investissement des collectivités nous semble particulièrement périlleux en période de crise, lorsque l’investissement des collectivités est central pour l’emploi local.
La lisibilité, la prédictibilité, évidemment la solidarité territoriale ainsi que les péréquations, doivent être au cœur d’une réforme de la DGF. Les modifications que nous avons apportées à celle-ci dans le projet de loi de finances pour 2016 vont commencer à produire leurs effets. Espérons que les quatre objectifs que je viens de citer trouveront leur pleine effectivité. Je sais, monsieur le ministre, que vous y serez attentif, notamment concernant les territoires ruraux, que nous défendons ardemment dans cet hémicycle.
Les départements connaissent une augmentation de leurs dépenses de fonctionnement, essentiellement due à celle des dépenses sociales de près de 3,7 % au titre des allocations individuelles de solidarité, prestations que les départements versent au nom de la solidarité nationale : l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap, le revenu de solidarité active. C’est volontairement que je cite le nom de ces prestations, car les sigles APA, PCH ou RSA parlent de moins en moins à nos concitoyens. La Cour des comptes observe d’ailleurs, à juste titre, que les départements n’ont pas la maîtrise de ces dépenses et ne peuvent donc engager aucun réel plan d’économies. Les nouvelles ressources accordées par l’État ne suffisent absolument pas à assumer ces charges croissantes.
La gravité de la situation est telle que 80 départements sur 101 risquent de ne pas pouvoir boucler leur budget en 2017, et ce malgré les efforts d’économies drastiques réalisés par la plupart des conseils départementaux. Le Gouvernement a finalement accepté, à la fin du mois de février, que l’État prenne en charge le financement du RSA, sans pour autant ponctionner les ressources dynamiques des départements, à savoir les droits de mutation à titre onéreux et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Toutefois, la prise en charge du RSA doit être financée par un prélèvement sur la dotation globale de fonctionnement des départements, un prélèvement qui prendra en compte la situation de chaque département et l’efficacité de leurs politiques d’insertion. Cela semble être un compromis équilibré.
Nous sommes pour la décentralisation, mais les règles à respecter doivent être claires : on ne peut demander à un département devenu un guichet de l’État pour ses missions nationales d’assumer l’explosion des dépenses en lieu et place de ce dernier. Dans ce cas, la recentralisation de la distribution du RSA peut être une mesure nécessaire, dans un souci d’égalité de traitement de l’ensemble de nos concitoyens lorsqu’ils sont dans une situation de précarité avancée.
Cela ne doit pas nous exonérer d’une réflexion de fond sur la réforme des aides sociales. Nous aurons l’occasion d’en reparler la semaine prochaine puisque nous examinerons le texte de notre cher collègue du groupe écologiste Jean Desessard sur l’opportunité d’instaurer un revenu de base inconditionnel, comme cela est en train de se mettre en place dans plusieurs pays européens.
Plusieurs pistes sont à explorer, et je voudrais en souligner une dernière, particulièrement d’actualité. Il s’agit des investissements publics liés à la transition énergétique. Pour les départements, il s’agirait de la résorption de la précarité énergétique, de la rénovation thermique de leur parc immobilier, notamment des collèges. On peut aussi imaginer des investissements innovants concernant les routes. Ainsi, des projets de voirie productrice d’énergie sont déjà testés. Tous ces investissements bénéficient de retours potentiellement importants et peuvent participer d’une bonne gestion des collectivités, avec des baisses de charges à la clé, voire même de potentiels revenus.
Monsieur le ministre, compte tenu de l’urgence climatique et de la menace planant sur les investissements publics, ne pourrait-on faire bénéficier ces investissements de transition énergétique d’une prise en compte différenciée dans l’endettement des collectivités, afin que celles-ci puissent mobiliser des investissements dans ce secteur sans faire exploser le taux d’endettement ?
Le chantier est vaste, mais les enjeux sont essentiels puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de remettre la solidarité et l’équilibre des territoires au cœur de l’action publique, sur fond de nécessaire et urgente transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le ministre, ce débat d’importance, nous devons l’aborder avec humilité.
Je me présente : Philippe Adnot, sénateur de l’Aube depuis vingt-sept ans et président de conseil départemental depuis vingt-six ans… Au moment de mon élection, l’Aube était vingt-sixième sur la liste des départements les plus endettés de France. Il figure désormais parmi les dix départements les moins endettés de notre pays.
M. Roger Karoutchi. Une médaille ! (Sourires.)
M. Philippe Adnot. Je pensais donc avoir tout maîtrisé…
M. Bruno Sido. Et pas du tout !
M. Philippe Adnot. En effet, mon cher collègue… Voilà pourquoi nous devons aborder ce sujet avec beaucoup d’humilité.
Comment en est-on arrivé là ? Deux erreurs majeures, dont la gauche comme la droite peuvent assumer la paternité, ont été commises.
La première tient à la volonté permanente de remplacer des ressources propres, relevant de l’autonomie financière des départements, par des dotations. En supprimant la ressource fiscale, la taxe d’habitation, la taxe professionnelle, la vignette automobile, on nous a rendus totalement dépendants des dotations.
La seconde erreur a consisté à mettre à notre charge des dépenses obligatoires relevant de la solidarité nationale qui ne peuvent pas être assumées par les départements et surtout pas, comme l’a dit Benoît Huré, par ceux d’entre eux qui sont les plus en difficulté et dans lesquels, par définition, les bénéficiaires du RSA et d’autres allocations sont les plus nombreux.
Un troisième élément est intervenu : l’aggravation insupportable de la situation, du fait de la réduction des dotations.
Dès lors, la situation est claire. S’il y a dans votre département beaucoup de chômage, alors les bénéficiaires du RSA y sont nombreux. Si le nombre de personnes âgées y est élevé, celui des bénéficiaires de l’APA est tout aussi important. S’il y a beaucoup de situations sociales difficiles, les dépenses sociales liées à l’enfance sont lourdes… On a donc créé une situation insupportable, qui nous empêche de nous organiser en dépit de tous nos efforts pour gérer mieux.
Pour ma part, j’ai mis en place un premier plan de redressement en 2009 et j’en ai lancé un autre depuis lors afin de trouver des solutions. Mais si un certain nombre de problèmes ne sont pas réglés, nous n’y parviendrons pas !
Il faut tout d’abord que la dépense publique cesse d’augmenter en permanence. Nous sommes d’accord pour participer à la maîtrise de la dépense publique, mais nous n’y arriverons pas si des décisions contradictoires interviennent tous les jours ! Je citerai quelques exemples.
Avec la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, on nous demande de passer de nouveau en revue, d’ici à la fin de l’année, tous les dossiers des bénéficiaires de l’APA. Combien de personnes faudrait-il que j’embauche pour y parvenir ? Nous ne pourrons pas le faire ! La loi qui a été votée ne sera donc pas appliquée, parce que nous n’en avons pas la capacité, sauf à augmenter nos effectifs. Or on ne cesse de nous dire que les personnels sont trop nombreux dans les départements !
Pour financer l’augmentation des surcoûts liés à la loi précitée, on nous dit que l’on réglera le problème dans les comptes administratifs de 2017. Cela signifie que nous devrons supporter la totalité de la dépense supplémentaire…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Adnot. Mon prédécesseur a dépassé son temps de parole d’une minute…
M. le président. C’est proportionnel…
M. Philippe Adnot. Mais non ! Si quelqu’un peut dépasser d’une minute sans que vous lui fassiez une observation, monsieur le président, il faut également me laisser le temps de dire ce que j’ai à dire.
Nous ne pouvons pas supporter le préfinancement d’une loi qui est votée, alors même que nous n’avons plus de ressources.
On vient, par ailleurs, de nous supprimer les personnels qui s’occupaient de l’informatique dans les collèges. Nous allons donc devoir embaucher pour que cette mission soit remplie. Or ce n’est pas possible !
J’ai aussi reçu un coup de téléphone de la ministre de l’éducation, qui me demande d’acheter des tablettes pour tous les collégiens. Cela représente 5 millions d’euros : je ne peux pas le faire !
M. le président. Il faut conclure !
M. Philippe Adnot. On ne peut pas nous demander de maîtriser la dépense publique et, dans le même temps, créer des textes qui augmentent nos dépenses.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il parle d’or !
M. Philippe Adnot. Je vous le redis très clairement, monsieur le ministre : des solutions doivent être trouvées. À défaut, nous ne pourrons pas inscrire la totalité des dépenses correspondant aux AIS. Nous serons alors dans une situation de blocage et des familles ne recevront plus d’aides. Il y a donc urgence et la solution est entre vos mains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter votre temps de parole, sinon cela va devenir compliqué.
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, débattre de la situation financière des départements, c’est débattre de l’effectivité des grands principes républicains que sont l’égalité, la liberté, la fraternité, auxquels nous ajoutons sur le fronton de l’hôtel du département des Pyrénées-Orientales la laïcité et la solidarité. En effet, qui mieux que le département porte le principe de solidarité ? Qui mieux que le département, au travers des politiques publiques, défend l’idée de l’égalité de tous les territoires et de toutes les femmes et tous les hommes qui les composent ? Nous faisons donc aujourd'hui avec ce débat œuvre de pédagogie, sous différentes formes.
Monsieur le ministre, il ne s’agit ni de pleurer ni de quémander, mais d’avoir une vision la plus juste possible des missions des départements au regard de leur budget. Depuis dix ans, ces derniers connaissent en effet tous des situations financières extrêmement tendues, en particulier en ce début d’année 2016. Presque tous les présidents de département se demandent comment boucler leur budget en 2016.
Les causes sont connues – un certain nombre d’entre elles nous ont déjà été présentées –, mais il faut que nous fassions de la pédagogie auprès non pas des élus que nous sommes, mais de la population et des médias. J’entendais sur France Info il y a quelque temps l’interview d’une chercheuse de Tours, me semble-t-il, qui pensait que l’ensemble des dépenses des départements en matière d’allocations était pris en charge par l’État ! Il faut dire ici que tel n’est pas le cas et que les dépenses sociales de solidarité sont toujours plus élevées, alors que, dans le même temps, les recettes sont constantes ou diminuent.
Je prends l’exemple de mon département des Pyrénées-Orientales, qui compte 470 000 habitants et 5 000 habitants supplémentaires chaque année : le coût des allocations individuelles de solidarité, que sont le revenu de solidarité active, l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap, s’est élevé à 182 millions d’euros, dont 85 millions d’euros à la charge du département sur les 620 millions d’euros de son budget, pour la seule année 2015.
Dans ces conditions, certains départements décident d’augmenter la pression fiscale en lieu et place de l’État. D’autres diminuent drastiquement les investissements, mettant en péril une partie de l’économie locale via la commande publique. D’autres encore diminuent leurs postes de fonctionnement, au risque de ne plus assurer la qualité de service au public. Enfin, certains utilisent les trois possibilités. Reste aussi le recours à l’emprunt, quand cela est possible.
Permettez-moi d’insister sur les chiffres : entre 2004 et 2015, la quasi-totalité du nouvel effort contributif via la fiscalité demandé aux habitants a servi à financer la partie des trois AIS à la charge du département, soit sur cette période, en cumulant les années, 580 millions d’euros pour les Pyrénées-Orientales, ce qui correspond pratiquement à l’équivalent d’un budget annuel. Ce sont non seulement 580 millions d’euros que l’État n’a pas déboursés pendant dix ans,…
M. Bruno Sido. Oh là là !
Mme Hermeline Malherbe. … mais ce sont aussi 580 millions d’euros qui n’ont pas été injectés dans les circuits de l’économie départementale, sacrifiant au passage la création de milliers d’emplois.
Plus encore, cela pose la question de la justice fiscale et sociale sur l’ensemble du territoire français.
Il n’est pas acceptable que, en fonction de la charge des AIS supportée par les départements, certains territoires aient renforcé la pression fiscale, et pas d’autres, alors que le RSA, l’APA et la PCH résultent de droits reconnus nationalement. Il y a donc « double peine » quand un territoire concentre une demande sociale croissante, comme les Pyrénées-Orientales, tout en étant contraint de l’équilibrer par le levier fiscal.
Faire reposer ainsi le financement de prestations sociales décidé nationalement sur les contributeurs de territoires où existent les plus fortes demandes sociales constitue une injustice notoire et un risque majeur d’insolvabilité financière.
De nombreux départements sont aujourd’hui confrontés à ce risque. Alors, pour trouver des solutions, nous avons dû nous adapter, innover pour trouver des gisements d’économies sans jamais remettre en cause la qualité de notre offre de services publics.
Un autre exemple, qui est lié à la loi NOTRe, c'est la diminution des recettes de CVAE.
La semaine dernière, le jeudi 25 février, le Premier ministre a donné des gages quant à la recentralisation du RSA. Les mécanismes de compensation sont encore à affiner dans la discussion qui s’ouvre. Très sincèrement, nous pouvons dire que notre assemblée compte sur vous, monsieur le ministre ! C’est tout de même une avancée que je salue, même si elle mérite confirmation. Certes, tous les doutes ne sont pas levés, mais les perspectives sont moins sombres qu’elles ne l’étaient il y a encore quelques jours.
Si vous estimez vraiment que le département doit vivre, il faut plaider notre cause auprès du Président de la République, du Premier ministre et de ceux qui les entourent.
M. Roger Karoutchi. Et de Bercy !
Mme Hermeline Malherbe. Il faut leur dire que, recentraliser le RSA, c’est très bien, mais que cela ne règle pas tout et que ce n’est pas une assurance vie pour les départements. Il faut maintenant ouvrir les chantiers de la PCH et de l’APA dont les problèmes, sans être exactement identiques, représentent les mêmes grenades dégoupillées dans nos prochains budgets.
Dans ce grand chambardement, il faut maintenant regarder devant nous. Ce ne sont pas seulement de mesures d’urgence dont nous avons besoin. Il faut aussi répondre à une question de long terme : le département, collectivité des solidarités humaines et territoriales, a-t-il un avenir dans la nouvelle République décentralisée ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Mais oui !
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier s’est tenue l’assemblée générale de l’Assemblée des départements de France, dont j’ai l’honneur et le plaisir d’être l’un des vice-présidents.
La situation financière des départements est devenue très tendue, tout simplement en raison de « l’effet de ciseaux », bien connu, que nous dénonçons depuis au moins cinq ans. Vous le voyez, mes chers collègues, sur un sujet d’une telle importance, il n’y a pas de gauche ou de droite, mais plus fondamentalement un rapport de confiance à préserver entre l’État et les collectivités locales.
Les causes de cette situation sont toutes simples : les allocations individuelles de solidarité que sont l’allocation personnalisée d’autonomie pour nos aînés, la prestation de compensation du handicap et le revenu de solidarité active. Elles représentent autant de dépenses dynamiques, en raison de la démographie et de la crise économique qui frappe le pays.
En cinq ans, ces dépenses ont augmenté de 3,4 milliards d’euros, soit une progression de 13,2 % par an. Mais comme l’État n’a pas les moyens de compenser intégralement cette politique sociale que nous mettons pourtant en œuvre pour son compte et selon les critères qu’il définit, le reste à charge pour les départements se monte, pour le seul RSA, à 4 milliards d’euros en 2015.
Parallèlement, l’État « associe les collectivités à l’effort de redressement des comptes publics », si je puis dire, en ponctionnant 4 milliards d’euros sur les ressources des conseils départementaux d’ici à 2017.
Il est temps de tirer la sonnette d’alarme avec force, comme nous l’avons déjà fait : nous n’avons plus les moyens de financer cette politique publique. Ce message a clairement été relayé par Dominique Bussereau, président de l’ADF, auprès du Gouvernement, devant les 10 départements en 2015, devenus 40 départements en 2016 – ils seront 80 en 2017 et 100 en 2018 ! –, débordés par les dépenses de RSA.
Que l’État assume le financement direct de cette prestation nationale, dont les critères d’éligibilité et les montants sont décidés par le Parlement, est une bonne chose, très cohérente. Que les départements poursuivent leur engagement pour l’insertion, parce qu’ils ont les outils et la connaissance du terrain, fait également pleinement sens. C’est avec ce double objectif, juste et cohérent, que l’ADF négocie avec l’État.
Voilà, mes chers collègues, ce qui occupe le devant de la scène. Mais je souhaite aujourd’hui aussi appeler votre attention sur les transferts de charges « masqués » ou officieux dont on parle trop peu.
Partout ou presque en France, les départements gèrent les routes, tandis que VNF, Voies navigables de France, veille à l’entretien des canaux et au bon fonctionnement des ponts qui passent dessus. Sauf qu’en pratique, à tout le moins en Haute-Marne, mais je suppose qu’il en est de même ailleurs, le conseil départemental se trouve contraint, non seulement de financer les deux tiers des travaux, mais en plus d’en assurer la maîtrise d’ouvrage.
Alors, me direz-vous peut-être, il suffirait de dire « non » pour placer l’État face à ses responsabilités. Sans doute, mais quand le pont est vétuste, la circulation interdite, la vie des entreprises perturbée et la population mécontente, ce sont les élus locaux et très directement les départements qui sont en première ligne. Voilà quinze jours, nous avons inauguré un pont-levis dans la commune de Humes-Jorquenay. C'est un beau pont tournant qui a coûté 1,5 million d’euros, dont 66 % financés par le département. Et pas moins de cinq ouvrages de ce type sont encore à réaliser, autant pour des questions économiques que de sécurité !
Sur le plan de la sécurité précisément, les casernes de gendarmerie – compétence régalienne s’il en est ! – et de sapeurs-pompiers sont largement cofinancées par les conseils départementaux. Vous le savez, mes chers collègues, la contribution des communes aux SDIS est stabilisée. Par conséquent, toute dépense nouvelle est assumée par le département, qu’il s’agisse d’immobilier, d’équipement ou encore tout simplement des évolutions de la masse salariale décidées sans concertation aucune à Paris, mais payées localement. Grâce à la mutualisation des moyens, nous réalisons toutes les économies possibles – c'est vrai dans tous les départements –, à niveau de service constant. Mais les marges ont disparu à présent.
En revanche, les transferts masqués, eux, ne manquent pas et grèvent lourdement les finances départementales. Depuis la loi Peillon de 2013, par exemple, les conseils départementaux assurent la maintenance des systèmes informatiques des collèges. Bien sûr, dit comme cela, certains penseront que mon observation est mesquine.
M. Jean-Claude Carle. Pas du tout !
M. Roger Karoutchi. Elle est pertinente !
M. Bruno Sido. Mais pour les 23 collèges publics de Haute-Marne, cela représente deux marchés publics de 150 000 euros chacun.
Toujours dans le domaine de l’éducation, le passage à la semaine de quatre jours et demi signifie très concrètement un surcoût de 700 000 euros annuels pour les transports scolaires, dans un département à taille humaine. Nous n’avons pas de métro, monsieur le ministre, dans les départements ruraux ! Ces dépenses sont non compensées, et on nous demande maintenant également d’acheter des tablettes à nos collégiens, comme en Corrèze.
Je ne saurais conclure cette petite odyssée au pays des transferts masqués sans mentionner le désengagement de l’État dans l’assistance technique aux communes, l’ATESAT, synonyme d’un transfert de charges direct au département qui, pour le cas haut-marnais, a dû recruter quatre agents. Mais si je devais aller au terme de ce voyage, même Pénélope aurait le temps de terminer sa tapisserie… (Sourires.)
La situation des finances de l’État ne permet pas de dépenser durablement plus. Les départements attendent surtout une répartition claire des responsabilités et l’arrêt de ces transferts qui ne disent pas leur nom. En d’autres termes, ils veulent être enfin traités en partenaires responsables ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue l’initiative prise par le groupe Les Républicains, qui est à l’origine de ce débat.
En toile de fond, il y a l’idée sous-jacente – mais que certains d’entre nous veulent combattre – d’un affaiblissement permanent des conseils départementaux. Elle s’appuie sur une hypothèse fausse : la simplification du millefeuille et les économies générées seraient la solution universelle.
Le Sénat a pleinement joué son rôle de défenseur des communes et des départements ; c’est à l’honneur de la Haute Assemblée d’avoir combattu la pensée unique. Surtout, c’est à son honneur d’avoir prouvé à tous les inspirateurs politiques qui n’ont jamais dépassé le périphérique parisien que la vie, la vraie vie, est tout autre chose. La vie des départements, c’est avant tout, cela a été dit, la construction des solidarités.
C’est d’abord la solidarité territoriale ; nous sentons ainsi déjà le désir des régions de s’asseoir autour de la table pour préparer leurs futures politiques. Nécessité fait loi : les régions, gigantesques au plan tant géographique que démographique, sont totalement dénuées de réels pouvoirs du point de vue financier.
C’est ensuite la solidarité humaine. Il s’agit probablement là du plus bel engagement de nos collectivités et de la plus noble de toutes les compétences.
Les départements ont des atouts incomparables et surtout non transposables : un immense savoir-faire, une expérience faite de rigueur et de beaucoup d’engagement ainsi qu’une vraie sensibilité que l’on retrouve tant dans la relation avec les élus et dans leur implication sur le terrain que chez l’ensemble de nos travailleurs sociaux, dont on ne parle jamais assez.
Les départements sont donc véritablement les collectivités qui s’imposent. On ne construit pas des dispositifs sociaux du jour au lendemain ; cela demande de l’expérience, des débats permanents et des capacités d’évolution de tous les instants face à une société qui bouge.
La situation financière des départements est dramatique. Depuis cinq ans, ils ont perdu la moitié de leur autonomie fiscale au gré des décisions successives : la taxe professionnelle – cela a été rappelé – et la quasi-totalité des autres impôts, le foncier bâti faisant exception. Cela place les départements en situation de totale subordination, notamment par rapport aux initiatives gouvernementales.
En ce qui concerne la solidarité financière, les engagements de l’État ne sont pas respectés. En moyenne, dans tous les départements, les dotations de l’État baissent chaque année de 10 % et les engagements sociaux – RSA, personnes âgées, handicap, enfance et famille – augmentent de 10 %. La césure se manifeste dans ces deux chiffres. Pour formuler les choses différemment, je dirai que les engagements sociaux, qui doivent relever de la solidarité nationale, sont assurés par les seuls départements. En outre, leurs situations sont très contrastées.
Tout d’abord, l’augmentation du RSA est, qu’on le veuille ou non, une conséquence directe des difficultés du Gouvernement en matière d’emploi. Chacun le sait, la France, contrairement à la majorité des États européens, n’aura pas vu son taux de chômage baisser.
Ensuite, concernant l’APA, les départements font face à des situations très différentes. De très nombreux départements ruraux ont une proportion importante de personnes âgées ; ce sont ceux-là mêmes qui ont les capacités contributives les plus faibles.
Par ailleurs, la prise en charge du handicap est une belle ambition, mais les réponses apportées aux populations handicapées ne sont, à ce jour, malheureusement pas à la hauteur des demandes.
Enfin, s’agissant de la protection de l’enfance, il faut en particulier souligner la situation des départements frontaliers, comme celui que j’ai l’honneur de présider : plus que pour les autres, la charge que représente le nombre croissant de mineurs étrangers isolés explose. Cela est notamment dû à l’existence de véritables filières d’immigration et de réseaux bien tissés.
Sur ces quatre points bien précis, le désengagement de l’État est évident. Chacun le sait, les dotations de départ n’évoluent pas au rythme de la variation des charges obligatoires des départements, contrairement au véritable contrat moral qui avait été passé. Le débat sur les ressources propres des départements doit donc s’engager dans deux directions : la nécessaire prise en charge par l’État de l’évolution des engagements sociaux relevant naturellement de sa responsabilité et la stabilisation, la reconstruction du chapitre des recettes dynamiques que les départements ont perdues.
La situation de dépendance par rapport à l’État est inacceptable. Non seulement nous devons stopper le phénomène de siphonnage mais, surtout, nous devons intervenir pour reconstruire l’autonomie fiscale. Les recentralisations successives, et elles seules, portent la marque d’un véritable archaïsme. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Camani.
M. Pierre Camani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a consolidé la place du département dans l’espace rural. Ses missions ont été recentrées en faveur des solidarités humaines et territoriales.
L’action départementale se décline dans de nombreux champs : la cohésion sociale, l’entretien et la modernisation du réseau routier, l’éducation, à travers les collèges, le maintien des services publics, le soutien au tissu culturel, sportif et associatif ou encore l’aménagement du territoire, notamment dans sa dimension numérique. Plus de trente ans après les grandes lois de décentralisation, le département a fait ses preuves au service de nos concitoyens et de la vitalité des territoires.
La redéfinition des compétences, issue de la loi NOTRe, nous invite à refonder l’ensemble des politiques publiques départementales. Reste que, comme nombre de départements de France, celui que j’ai l’honneur de présider est aujourd’hui confronté à une situation financière sans précédent, qui le conduit dans une impasse budgétaire malgré des ratios de gestion positifs.
En effet, la dynamique des allocations individuelles de solidarité et leur insuffisante compensation, couplées à la diminution des recettes et à la baisse des dotations de l’État, entraînent une dégradation accélérée et structurelle des finances des départements, particulièrement violente pour les départements les plus pauvres. À titre d’exemple, en Lot-et-Garonne, l’écart entre nos dépenses sociales et leur insuffisante compensation par l’État conduit à une hausse préoccupante du reste à charge pour notre collectivité. Pour le seul RSA, ce reste à charge était de 2 millions d’euros en 2008 ; il est de 22 millions d’euros en 2015. Au total, pour ce qui concerne les trois allocations individuelles de solidarité, 42 millions d’euros ne sont pas compensés par l’État en 2015, soit 13 % du budget de fonctionnement. Et cela ne date pas d’hier, comme l’ont indiqué les autres orateurs ! Je ne parle même pas de la protection de l’enfance ni des mineurs isolés étrangers, évoqués précédemment.
À l’heure où de nombreux départements préparent leur budget, les annonces du Premier ministre de jeudi dernier constituent une première réponse à leurs difficultés et vont dans le bon sens. Les propos du Premier ministre en faveur d’une péréquation horizontale, prononcés hier lors des questions d’actualité au Gouvernement du Sénat, sont également encourageants.
Plusieurs demandes de l’ADF ont ainsi été entendues. La recentralisation du RSA ne sera pas financée par les recettes dynamiques, que conservent les départements, mais par un prélèvement sur leur dotation globale de fonctionnement. Celui-ci devrait prendre en compte non seulement la situation de chaque département, mais aussi l’efficacité de sa politique d’insertion. Ainsi, les départements qui parviendront à faire baisser leur nombre d’allocataires du RSA verront leurs prélèvements diminuer d’autant.
D’autres points cruciaux seront au centre des négociations avec le Gouvernement à venir d’ici à fin mars : tout d’abord, la définition du calendrier de la réforme ; ensuite, bien évidemment, la détermination de l’année de référence pour la renationalisation du RSA.
Toutefois, cette recentralisation ne devra pas figer les situations financières difficiles que connaissent certains départements. Cela reviendrait à les condamner chaque année à résoudre une équation insoluble entre des politiques publiques nécessaires et des ressources insuffisantes, parce qu’ils ont, pendant des années, assumé des dépenses relevant de la solidarité nationale et qui auraient dû être mieux compensées en fonction de leurs capacités financières.
La solution ne réside pas, comme certains l’envisagent pour le RSA, dans la mise en place de politiques d’exception en fonction de singularités locales. Dans ce cas, nous risquerions de rompre avec le principe républicain d’égalité et d’universalité des droits sociaux. La recentralisation du financement du RSA devra donc prévoir un mécanisme qui allégera les contributions de certains départements sur le fondement de critères objectifs et mesurables. Il est ainsi nécessaire d’identifier les bons indicateurs permettant de mesurer le poids de l’allocation sur le territoire en rapport avec la situation financière globale de la collectivité, sa richesse fiscale et, enfin, les efforts de rationalisation qu’elle a déjà entrepris. En d’autres termes, la véritable péréquation qui doit être enfin instaurée devra prendre en considération la structure des ressources et des dépenses des départements ainsi que les disparités fortes qui existent entre eux.
Je formule le vœu que les discussions aboutissent à un compromis acceptable, qui préserve la capacité d’action des départements et qui fasse ainsi mentir tous les oiseaux de mauvais augure prédisant leur disparition imminente. Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez ce point de vue.
Notre pays et nos territoires rencontrent de grandes difficultés. C’est la raison pour laquelle nous devons plus que jamais être animés par l’optimisme de la volonté, être imaginatifs et innovants pour démontrer que le département reste toujours utile aux populations de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas vraiment un métier ! (Sourires.)
M. René-Paul Savary. Si après avoir écouté toutes ces interventions, vous n’avez pas compris que les départements ont des difficultés, vous ne pourrez jamais répondre à leurs préoccupations… Mais, je le sais, vous l’avez bien compris, parce que vous êtes vous-même un élu local.
Vous savez aussi que cette loi de réorganisation territoriale n’est pas tout à fait aboutie. En effet, au sentiment d’abandon des territoires, on a répondu par des grandes régions, puis par une organisation autour de grandes intercommunalités. Or la compétence du département, notamment son volet « solidarité sociale », qui s’est précipité pour la prendre ? Avez-vous trouvé des collectivités se disant prêtes à affronter ce problème ?
M. Patrick Abate. Oui !
M. Georges Labazée. L’APA, c’est 2002 !
M. René-Paul Savary. Au demeurant, les grandes intercommunalités n’ont pas la compétence sociale. Les départements ont donc encore une longue vie devant eux, au titre de la solidarité. (Mme Élisabeth Doineau applaudit.) C’est d’ailleurs leur métier, leur raison de vivre !
Le département est également une collectivité de proximité, qui aménage le territoire, aide les communes et soutient l'investissement local. C’est la raison pour laquelle nous défendons tous le département, monsieur le ministre. Il ne s’agit pas de défendre l’institution en tant que telle, mais les personnes et les territoires qu’elle représente.
L’affaire est grave : voilà qu’un gouvernement socialiste s’en prend aux personnes en difficulté en ne garantissant pas les moyens de la solidarité ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Françoise Férat. C’est vrai !
M. René-Paul Savary. Cela montre que, quelque part dans le dispositif, quelque chose ne va pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. René-Paul Savary. Entre nous, monsieur le ministre, cette affaire de financement, qui date déjà de quelques années, mais qui devient insupportable pour les départements, c’est un véritable détournement de fonds ! On s’apprête en effet à recentraliser le RSA : une reprise en charge par l’État avec – ce qu’on oublie de mentionner dans les communiqués – l’argent des départements, avec la caisse locale !
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. René-Paul Savary. En effet, entrent pour partie dans le financement du reste à charge, que vous allez reprendre, monsieur le ministre, les impôts locaux. Or un certain nombre de départements ont augmenté leurs impôts locaux pour faire le métier de l’État. Pendant ce temps-là, ils n’ont pas pu faire leur véritable boulot !
Les choses sont de plus en plus inquiétantes puisque, la loi de finances pour 2016 a prévu le transfert d’une partie de la CVAE. Ainsi, maintenant que les départements sont asphyxiés, on va les dépecer ! Le transfert de la CVAE – à hauteur de 25 % en moyenne – correspond à peu près au transport scolaire. Néanmoins, considérons les choses département par département. Pour ma part, j’aurai une dépense en moins de transport scolaire de 17 millions d’euros. Pour prendre en compte cela, on va me réduire la CVAE de 25 % : 33 millions d’euros ! J’en perds donc au passage !
Pour l’Île-de-France, monsieur Karoutchi, c’est encore plus extraordinaire ! Les départements d’Île-de-France, qui n’ont pas les transports scolaires, ont 300 millions d’euros pour le transport scolaire ; on va leur prendre 25 % de CVAE, soit 1,3 milliard d’euros !
Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il faudra revoir aussi ce mécanisme, sans quoi, certains départements se trouveront encore dépecés. Or l’avenir, ce sont les départements. Nous croyons en nos territoires. De toute façon – c’est constitutionnel –, il faut nous maintenir sous perfusion au moins jusqu’en 2021, puisque nous avons été élus jusqu’à cette date, au conseil départemental pour les uns au conseil régional pour les autres. Dans ces conditions, autant nous donner des moyens !
C’est cette collectivité de proximité qui permettra aux territoires de rebondir. C’est le département qui peut assurer la croissance avec les partenaires et faire jouer la solidarité entre les hommes. C’est donc une collectivité sur laquelle l’État doit s’appuyer au lieu de la ponctionner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Eblé.
M. Vincent Eblé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la situation financière des départements est utile pour apprécier l’évolution de celle-ci en regard du débat sur le même thème que nous avons eu il y a un an. Je rappelais alors l’évolution du contexte que connaissaient, singulièrement depuis les lois de 2004 portées par notre collègue Jean-Pierre Raffarin, les départements.
En 2004, mes chers collègues, mon voisin seine-et-marnais, Jean-François Copé, alors ministre du budget, soulignait que les transferts de charges se feraient « à l’euro l’euro »…
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
M. Vincent Eblé. Je crois pouvoir dire que nous constatons unanimement que cela s’est révélé pour le moins inexact.
M. Jean-Pierre Raffarin. Ça s’est gâté par la suite !
M. Vincent Eblé. Il faut bien admettre que ces lois de 2004 portent en elles l’asphyxie des départements (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. François Grosdidier. La baisse des dotations, c’est vous !
M. Vincent Eblé. … notamment pour financer des dépenses de solidarité utiles mais imposées.
Vous pouvez protester, chers collègues de la majorité sénatoriale, mais cela a été dit par tous ceux qui viennent de me précéder à cette tribune !
Le point majeur à l’origine des maux des départements est le RSA. En Europe, nos départements sont les seules collectivités librement administrées et élues au suffrage universel qui doivent assumer financièrement une aussi lourde charge dont elles ne fixent ni le montant ni les modalités d’entrée dans le dispositif. Dès lors que cet élément majeur de la solidarité nationale n’est pas pris en charge par l’État, les finances des départements ne peuvent qu’être mises à mal, d’autant que nous sommes en période de crise.
C’est une « anomalie » qui doit être corrigée, et je salue les propos que le Premier ministre a tenus la semaine dernière et hier encore en indiquant que le Gouvernement travaillait à une recentralisation du RSA dès 2017.
Si cette orientation peut être de nature à soulager le budget des départements, il faudra aller plus loin sur la question de leurs recettes et corriger les inégalités à la source. J’aborderai ici deux pistes de réflexion, à savoir une refonte totale de la DGF et une meilleure affectation de la CVAE.
Nous observons tous les jours le vieillissement des mécanismes actuels de la DGF du fait de la cristallisation des situations héritées de l’histoire, de sorte que ne sont pas pris en compte le développement et la dynamique des territoires. Si l’amplitude d’écart de la DGF versée aux départements est inférieure à celle de la DGF versée au bloc communal, cet écart n’en est pas moins extrêmement préjudiciable au bon fonctionnement des compétences contraintes qu’exercent les conseils départementaux. Permettez-moi de prendre l’exemple de mon département, dont la DGF est anormalement faible : en 2014, alors que son potentiel financier est inférieur au potentiel financier moyen de l’ensemble des départements, la Seine-et-Marne reçoit une DGF par habitant de 113 euros alors qu’elle est de 152 euros pour les Hauts-de-Seine, qui disposent pourtant de leur côté d’un potentiel financier par habitant infiniment supérieur.
M. Roger Karoutchi. Et la péréquation ?
M. Vincent Eblé. On parle de péréquation, mais on fait l’inverse : elle bénéficie plus aux riches qu’aux pauvres ! Comment cela est-il possible ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Il n’y a plus de riches !
M. François Grosdidier. On appauvrit tout le monde !
M. Vincent Eblé. Ce très faible niveau de la DGF par habitant en Seine-et-Marne trouve son origine dans l’intégration en son sein de compensations de recettes auparavant indépendantes. Ont ainsi été immuablement figés d’anciens écarts de richesse entre départements. Ceux-ci sont aujourd’hui financés selon des situations non actualisées qui datent en partie de 1999, soit d'il y a dix-sept ans, année durant laquelle il a été procédé à la réforme de la taxe professionnelle, avec en particulier la disparition de la part « salaire » de cet ancien impôt.
Mme Stéphanie Riocreux. Eh oui !
M. Vincent Eblé. C’est donc la dynamique économique et démographique des territoires qui n’est plus prise en compte et qui est pénalisée par nos dispositifs. C’est extrêmement préjudiciable sur le plan économique et sur celui de la mobilisation des territoires, qui ne sont plus intéressés à leur propre développement.
Une réforme de la DGF est indispensable. Celle du bloc communal a été reportée. Dont acte ! Penchons-nous sur celle des départements.
La CVAE est également un levier sur lequel il est important d’agir pour qu’elle soit plus justement répartie. La Seine-et-Marne fournit nombre de salariés à l’ensemble de l’Île-de-France, mais accueille peu d’entreprises par rapport à Paris ou aux Hauts-de-Seine. Elle n’a donc que peu de recettes dans le cadre de la CVAE, cela en raison d’un mécanisme fiscal inadapté qui ne tient compte que du siège social de l’entreprise pour déterminer la collectivité perceptrice. Cependant, la charge financière est bien supportée par le département où réside le salarié et non par celui où il travaille.
Bien que la péréquation tente de réduire les inégalités financières des départements, elle est très loin de les compenser. La révision des critères de répartition de la CVAE en regard d’éléments plus pertinents, tels que la domiciliation des salariés par exemple, serait bien plus équitable et efficace que l’utilisation d’un outil de péréquation.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Jacques Chiron. Bravo !
M. Vincent Eblé. Mes chers collègues, nous avons la responsabilité d’accompagner plus efficacement les collectivités départementales, qui viennent d’entrer dans une nouvelle ère. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Chiron. Très clair !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Antoine Lefèvre. Ça ne va pas être la même musique !
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout de même dire que les départements sont là, et bien là !
M. Jacques Mézard. Bien las, aussi !
M. Philippe Bas. Ils sont une force au service de la proximité comme de l’équipement de notre territoire. Ils sont aussi un point fixe et un pôle de stabilité dans notre organisation territoriale.
Ces départements, qui étaient condamnés à mort par le Premier ministre…
M. Jean-Louis Carrère. Par Nicolas Sarkozy aussi ! Il ne faut pas l’oublier !
M. Philippe Bas. … dans son discours d’investiture de 2014, sont bien vivants, monsieur le ministre, et ils entendent continuer à l’être ! Mais, pour cela, ils ont besoin de finances saines.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Philippe Bas. Bercy a pris depuis longtemps l’habitude de balayer sa salle à manger dans le salon des collectivités locales. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Il faut que cela cesse et que nous parvenions à avoir une vision d’ensemble de nos finances publiques, celle d’ailleurs que nous imposent nos engagements européens. Que l’État cesse de vouloir rendre sa copie propre au détriment des collectivités territoriales !
Mme Nicole Bricq. C’est une manière de voir…
M. Philippe Bas. Cela me paraît déjà être un principe sain, et je suis sûr que, compte tenu de votre expérience des départements, monsieur le ministre, vous le partagerez nécessairement.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Philippe Bas. Soyez notre avocat auprès du ministère des finances tout-puissant, qui a imposé au fil des années des décisions tout à fait inacceptables pour nos collectivités.
Le département répond présent : présent pour la solidarité face à des difficultés qui se sont dramatiquement accrues au cours de la période récente. En témoigne la hausse sans précédent du nombre de chômeurs sur le nombre d’allocataires du RSA pris en charge par nos collectivités.
Le département répond présent aussi pour la solidarité territoriale, mission que la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République leur confie : c’est le soutien aux communes et aux communautés de communes ; c’est l’équilibre de nos territoires et leur développement économique.
Ce département est présent, mais il est malmené par les gouvernements qui se sont succédé au cours des années récentes.
Je voudrais rappeler un principe simple : les dotations ne sont pas des libéralités auxquelles le ministère des finances aurait consenti par un effet de sa générosité en faveur des collectivités territoriales, de même que les compensations qui sont prévues en cas de transfert de charges et qui prennent leur source dans la Constitution elle-même, depuis la révision qu’avait proposée, sur l’initiative du Président Jacques Chirac, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Ce sont en réalité des obligations : obligations constitutionnelles, je l’ai dit à l’instant ; obligations législatives aussi, quand des impôts locaux ont dû être remplacés par des dotations de l’État ou des prélèvements sur des ressources de l’État.
On ne doit pas jouer, au péril de la confiance des collectivités à l’égard de la solidarité nationale, sur ces dotations et ces compensations, d’autant que l’effet sur les comptes publics nationaux, quand on englobe toutes les administrations publiques comme il convient de le faire, est absolument nul.
M. Benoît Huré. En effet !
M. Philippe Bas. C’est une pratique condescendante de la part de l’État à l’égard des gestionnaires des collectivités locales, et nous ne pouvons décidément pas l’accepter !
La question pour nous est aussi celle de la dynamique des ressources. J’entends bien que nous sommes entrés en discussion s’agissant du RSA, mais ne croyez pas que vous allez résoudre le problème des finances départementales uniquement en recentralisant le RSA.
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas une recentralisation !
M. Philippe Bas. Allez-vous, comme nous sommes capables de le faire, mettre en œuvre des contrôles sur le respect de la législation sur le RSA ? Allez-vous, comme nous sommes capables de le faire, vérifier que l’épargne des demandeurs d’allocation ne suffirait pas, dans un premier temps, à leur permettre de faire face aux accidents de la vie ?
Mme Évelyne Didier. Ce n’est pas possible d’entendre ça !
M. Philippe Bas. Allez-vous mettre en place des contrôles pour vérifier que les conditions d’isolement pour avoir un RSA amélioré seront réellement remplies ? Allez-vous faire en sorte que l’obligation alimentaire, prévue dès la loi de 1988 relative au revenu minimum d’insertion sur le fondement d’un amendement présenté par le groupe communiste de l’Assemblée nationale d’alors, sera véritablement mise en œuvre avant l’attribution du RSA ?
Mme Marie-France Beaufils. Incroyable !
M. Philippe Bas. Cela, nous avons le courage de le faire. L’État en aura-t-il le courage lui aussi ?
Il faut, de ce point de vue, faire en sorte que les décisions prises ne le soient pas dans le cadre d’une partie de ping-pong qui viserait à faire accroire que la solution au problème des finances départementales est la recentralisation du RSA qu’imprudemment la droite avait décentralisé en faveur des départements.
Ce langage et cette doctrine, nous ne pouvons les accepter. Nous demandons un partage de responsabilité équitable entre l’État et les départements, et nous ne voulons pas nous trouver dans une situation où la polémique l’emporte sur l’appréciation raisonnable de la situation de nos départements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat, passionné et fourni, qui se tient aujourd’hui dans votre assemblée me permet d’aborder à mon tour la situation et l’avenir d’un échelon que je connais tout de même un petit peu, pour ne pas dire particulièrement bien, et auquel je suis très attaché : le département.
Vous le savez, j’ai toujours milité – finalement, plutôt avec efficacité – pour que soient reconnus son rôle et son importance dans l’édifice institutionnel de notre pays.
M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. J’imagine que cela rassurera MM. Savary et Bas.
J’ai souvenir du rapport Krattinger-Raffarin, fruit d’une mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République. On y préconisait une diminution du nombre de régions et réaffirmait la place centrale du département, notamment dans les zones rurales, comme collectivité de la solidarité et de la proximité. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le Premier ministre Raffarin, je souscris totalement à cette vision.
Comme l’an passé, votre hémicycle accueille donc un échange consacré aux finances des conseils départementaux, sur l’initiative du groupe Les Républicains. Cette question préoccupe bien évidemment nos concitoyens et les élus de tous les territoires, dont vous êtes, ici au Sénat, les porte-parole naturels.
Au-delà du caractère hétérogène de la situation de chacun d’eux, les départements partagent tous les mêmes difficultés. En effet, bien que bénéficiant, pour la totalité d’entre eux, et même si les approches sont, ici ou là, différentes, d’une bonne gestion, les conseils départementaux connaissent un effet de ciseaux entre la baisse des recettes et la hausse des dépenses, notamment sociales, aspect qui a été présent tout au long de ce débat. La dégradation qui s’ensuit s’illustre notamment par une diminution du taux d’épargne brute, inférieur à 7,5 %, voire dans certains cas à 5 %.
À la différence de l’année dernière, le débat intervient dans un cadre institutionnel stabilisé depuis le vote de la loi NOTRe, adoptée à la suite d’un accord en commission mixte paritaire l’été dernier. Même si ce texte prévoit plusieurs dispositions qui ont un impact important sur les finances locales, et plus spécifiquement départementales, comme le Premier ministre l’a indiqué, la réforme territoriale « ne remet pas en cause l’avenir du département », et nous en sommes vous et moi très satisfaits. Le département est au contraire renforcé, et vous l’avez souligné, dans son rôle de solidarité territoriale et sociale.
S’agissant de la solidarité territoriale, je veux souligner, même si ce point déborde légèrement le cadre du débat qui nous réunit, le rôle primordial du département, notamment dans le domaine de l’ingénierie, en direction des collectivités les plus petites ou les moins bien équipées.
Pour ce qui concerne la solidarité sociale, je rappelle que le département est compétent en matière de prévention ou de prise en charge des situations de fragilité, de développement social, d’accueil des jeunes enfants, ou encore d’autonomie des personnes. Il doit naturellement pouvoir disposer des moyens financiers qui lui permettent de remplir ses missions le mieux possible et d’exercer ses compétences dans de bonnes conditions. C’est, finalement, tout l’objet du présent débat.
Je ne peux, à ce titre, occulter l’effort demandé aux départements dans le cadre du vaste plan d’économies lancé en 2014. L’effort ainsi réclamé à tous – État, opérateurs, organismes de protection sociale et collectivités – est important et participe au nécessaire assainissement de nos comptes publics. Sur les 50 milliards d’euros d’économies répartis sur trois ans, 11 milliards d’euros sont supportés par l’ensemble des collectivités territoriales.
Pour les départements, cette contribution se traduira, en 2016, par une diminution de 1,14 milliard d’euros de leur dotation globale de fonctionnement, la DGF. En effet, c’est beaucoup ! Je ne le conteste pas.
Pour 2017, il est prévu un effort collectif renouvelé. Comme les années précédentes, celui-ci sera accompagné d’un suivi fin et adapté, tous les départements n’étant pas confrontés aux mêmes difficultés.
Si la situation des finances départementales est préoccupante, c’est principalement du fait de la progression des dépenses de solidarité.
D’une manière générale, ces difficultés sont à la fois sérieuses et anciennes ; des sénateurs de diverses sensibilités ont eu la franchise de le relever. Elles ont fait l’objet d’une attention particulière de la part des gouvernements successifs, surtout depuis 2012.
Si le département est en première ligne pour intervenir auprès des personnes âgées, des personnes souffrant d’un handicap ou de celles qui se trouvent en situation de précarité, nous devons reconnaître que les difficultés se posent de manière distincte selon les territoires concernés.
Je vais revenir sur ces différents points de façon plus détaillée.
En 2015, les dépenses de fonctionnement des départements se sont élevées à 60 milliards d’euros, contre seulement 10 milliards d’euros, hélas !, pour les dépenses d’investissement.
Le RSA représente à lui seul près de 10 milliards d’euros, soit le même montant que l’investissement. En dix ans, son poids dans les budgets des départements a doublé. L’augmentation a été particulièrement plus rapide ces dernières années. Or, même si les recettes augmentent, il est difficile de faire face à une hausse de la dépense de 8 %, comme ce fut le cas l’an dernier.
Nous le savons, cette évolution est imputable non seulement à l’augmentation annuelle de 2 % de cette allocation, dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, mais aussi et surtout aux effets de la crise économique que notre pays a subie.
Cependant, ainsi que nombre d’entre vous l’ont remarqué, mesdames, messieurs les sénateurs, le RSA n’est pas la seule préoccupation des départements, confrontés quotidiennement aux difficultés socio-économiques des Français dans toute leur diversité. Par exemple, certains départements sont plus que d’autres mis à contribution pour assurer l’accueil des mineurs isolés étrangers, les MIE. C’est notamment le cas de Paris, de la Seine-Saint-Denis ou du Val-de-Marne.
Le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des MIE a permis de réorienter un tiers d’entre eux. En outre, la loi de finances pour 2015 a prévu une participation de l’État à hauteur de 14 millions d’euros sur ce sujet.
Par ailleurs, une circulaire interministérielle a été transmise aux préfets, aux recteurs et aux directeurs d’agence régionale de santé le 26 janvier dernier. Elle vise à une meilleure coordination des services de l’État dans la prise en charge des MIE et à leur meilleure mobilisation aux côtés des départements, de l’entrée des mineurs dans ce dispositif à leur sortie de celui-ci.
Enfin, la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, adoptée hier par l’Assemblée nationale, prévoit que le Gouvernement fixe désormais des objectifs de répartition des MIE sur le territoire, en lien avec l’autorité judiciaire. Un décret d’application sera rapidement publié et les départements seront associés à sa rédaction.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Comptez sur eux pour l’améliorer !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà du poids des dépenses, et alors que, je le répète, certains départements connaissent des situations encore plus difficiles que d’autres,…
M. François Bonhomme. Comme le Tarn-et-Garonne !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. … je comprends que certains d’entre vous, à l’instar de Vincent Eblé, qui vient d’aborder cette problématique, s’interrogent sur la répartition des recettes, notamment des dotations de l’État.
Le Gouvernement a engagé ce chantier en débutant par la refonte de la dotation du bloc communal, car c’est cette dernière qui concentre les écarts les plus importants. La loi de finances pour 2016 a défini les grands principes de la réforme. Le Parlement a également voté sa mise en œuvre au 1er janvier prochain.
Votre assemblée s’est d’ailleurs saisie de cette thématique en créant un groupe de travail au sein de la commission des finances. J’en rencontrerai les membres très prochainement. (M. Jean-Baptiste Lemoyne s’exclame.)
La DGF des départements s’est elle aussi construite par la sédimentation de plusieurs couches d’indicateurs, créant progressivement des écarts de dotation intolérables, situation qui dure depuis trop longtemps. La réforme de la DGF n’interviendra pas en 2016, mais des correctifs ont d'ores et déjà été apportés à cette dotation. Je pense, notamment, à la simplification opérée en 2015 pour tenir compte des évolutions de population et à la progression des mécanismes de péréquation, horizontale ou verticale.
Il faudra bien naturellement se pencher à la fois sur la DGF des départements et sur la péréquation. Nous allons nous y atteler. Certes, il existe déjà des outils. Certains, d’ailleurs, ont été prévus dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité que j’évoquerai ultérieurement. Toutefois, il faut encore travailler sur la péréquation, et je souhaite bien entendu le faire en y associant les représentants des départements et tous ceux, y compris dans cette assemblée, qui souhaiteront avancer sur ces sujets. Les difficultés sont bien connues, et le constat est partagé. Il s’agit de rappeler ce qui a déjà été fait et, surtout, de définir ce qui reste à entreprendre pour régler ce point.
Dès le mois de juillet 2013, le pacte de confiance et de responsabilité a été présenté. Je rappelle que celui-ci était le fruit d’une concertation menée durant six mois avec l’ensemble des représentants des collectivités locales.
Le pacte prévoyait une augmentation des ressources des départements de 1,6 milliard d’euros. Cette aide exceptionnelle correspondait à une réduction de 18 % du reste à charge des départements, question largement évoquée aujourd'hui, au titre des allocations individuelles de solidarité, les AIS. Elle prenait la forme d’un transfert des frais de gestion de la taxe sur le foncier bâti, pour un montant de dotations supplémentaire de 800 millions d’euros, et d’un relèvement du plafond des taux des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, de 3,8 % à 4,5 %. L’ensemble des départements a désormais adopté ces taux.
Le pacte prévoyait également – enfin ! – la création, réclamée depuis longtemps, d’un système péréquateur, par l’instauration d’un fonds d’urgence, alimenté par un prélèvement de 0,35 % sur le produit des DMTO.
Dès 2014, ces mesures ont été pérennisées par la loi de finances, anticipant d’un an la clause de revoyure.
Afin de faire face à l’aggravation de l’équilibre financier de certains départements, le Gouvernement a engagé, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2015, une aide de 50 millions d’euros.
Cette aide est mobilisée à travers un fonds d’urgence, lequel a déjà bénéficié à dix départements, notamment à celui du Nord, pour plus de 11 millions d’euros tout de même, ou à celui du Val-d’Oise, pour près de 3,7 millions d’euros. Elle s’ajoute à la reconduction du dispositif de compensation de pertes de la CVAE pour les départements qui subissent des baisses trop brutales de fiscalité économique, par exemple en cas de fermeture d’une grande entreprise. Ainsi, deux départements ayant subi, en 2015, une diminution de CVAE supérieure à 5 % – la Creuse et le Territoire de Belfort – ont bénéficié de ce mécanisme, à hauteur de 4,5 millions d’euros.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces mesures visaient à répondre à l’urgence de la situation et, en quelque sorte, à donner un peu d’air aux collectivités les plus fragilisées. Cependant, nous savions bien qu’elles n’en rendaient pas moins indispensable une réflexion plus globale sur le financement du revenu de solidarité active.
Je constate que le RSA est une prestation à propos de laquelle les départements ne disposent, hélas !, d’aucune marge de manœuvre. En effet, c’est l’État qui en fixe les conditions d’accès, le montant et les revalorisations.
À ce sujet, je souhaite répondre aux propositions de certains présidents de conseil départemental, notamment de celui du Haut-Rhin, visant à introduire une conditionnalité pour le versement du RSA, par exemple en obligeant les bénéficiaires à accomplir un certain nombre d’heures de bénévolat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les érudits que vous êtes connaissent l’étymologie du terme « bénévolat » : il vient d’un mot latin qui signifie bonne volonté. J’y vois naturellement une antinomie avec toute forme de contrainte.
J’ajoute qu’une telle condition est impossible en droit, le non-versement du RSA étant strictement défini par le code de l’action sociale et des familles : aux termes de celui-ci, le versement de la prestation ne peut être suspendu qu’en cas de refus de se soumettre aux contrôles.
Par ailleurs, je relève que le dispositif même du RSA s’inscrit dans une dynamique de réinsertion, en prévoyant, notamment, un surcroît de rémunération en cas de retour, même partiel, à l’emploi.
C’est cette dynamique que les départements doivent encourager, en accompagnant les bénéficiaires du RSA, et non en les contraignant. Je vous rappelle que, à l’origine, le RMI, devenu RSA, comportait un volet « insertion » très important. Nous étions même tenus de consacrer 20 %, puis 17 % de notre budget à des actions d’insertion des bénéficiaires du RMI, les préfets étant en droit de les inscrire d’office si cette obligation n’était pas respectée !
Aujourd'hui, cette dimension ne s’est pas tout à fait évaporée, mais elle semble constituer une moindre priorité pour les départements. Comme le Premier ministre l’a rappelé, nous souhaitons que l’importance de l’insertion soit de nouveau prise en compte par les départements. C’est l’une des raisons d’être de cette prestation de solidarité que de ramener celles et ceux qui en bénéficient dans le monde du travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les rencontres de travail avec l’Assemblée des départements de France, l’ADF, ont été régulières. Comme vous le rappeliez, monsieur Huré, la dernière réunion en date s’est déroulée jeudi dernier à Matignon, en présence du président de l’Association, Dominique Bussereau, du Premier ministre et de moi-même. À cette occasion, nous avons formulé une proposition tendant à une recentralisation partielle du RSA, sous certaines conditions, répondant exactement à la demande présentée par l’Assemblée des départements de France.
D'ailleurs, l’ADF, réunie hier en assemblée générale extraordinaire, a fait, à l’unanimité moins une voix, le choix de la négociation. Tant mieux ! La négociation et l’effort pour rapprocher les points de vue sont toujours préférables au conflit… J’en suis très satisfait.
Afin que nous puissions, je l’espère, avancer dans la voie d’un accord, je recevrai, dès la semaine prochaine, la délégation de l’ADF qui a été constituée et mandatée hier pour ce faire. Si nous devions aboutir à un accord, celui-ci devra intervenir rapidement, dès la fin de ce mois, afin que les conseils départementaux puissent bénéficier d’une meilleure visibilité dans la construction de leurs budgets.
Cette recentralisation se ferait alors selon trois modalités.
La première concerne la détermination de la compensation pour l’État. Je sais bien que cette question est l’un des points d’achoppement des échanges. Il a été décidé, en effet, que la compensation serait évaluée sur la base des dépenses de l’année n-1, à savoir 2016.
À ce sujet, je veux tout de même rappeler que l’on a procédé ainsi pour tous les transferts de compétence de l’État vers les collectivités locales – en particulier, lors de la décentralisation du RSA, en 2003. Il n’est donc pas anormal que l’on fasse de même quand le transfert s’opère en sens inverse.
La deuxième modalité concerne le panier de ressources sur lequel s’opérera ce transfert. Conformément aux demandes de l’ADF, il a été décidé que les ressources dynamiques des départements – je pense à la CVAE et aux DMTO – ne seraient pas concernées, contrairement à ce qui avait été envisagé à un certain moment. Là encore, nous avons tendu la main à l’ADF.
La troisième modalité vise la mise en œuvre de mécanismes incitant les départements à renforcer leurs dispositifs d’insertion – clause de retour à meilleure fortune, bonification de la DGF, entre autres – en complément d’une inscription obligatoire des dépenses d’insertion des bénéficiaires du RSA.
Les travaux conduits par le député Christophe Sirugue sur la simplification et l’harmonisation des minima sociaux doivent également aboutir avant la fin du mois. Trois pistes sont évoquées dans le cadre d’une concertation permanente avec les départements et les associations. Nous prendrons en compte les résultats de ces travaux, le temps dont nous disposons pour parvenir à un accord équilibré étant particulièrement court.
Je veux enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, dire un mot d’une autre AIS dont il a été beaucoup question cet après-midi : l’allocation personnalisée d’autonomie.
Un certain nombre d’entre vous a souligné le poids de cette allocation, en particulier Mme la présidente du conseil général des Pyrénées-Orientales, département confronté au vieillissement de sa population dans des proportions importantes.
La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, dont un décret d’application vient d’être publié, a prévu la revalorisation de l’APA. Préparée en concertation étroite avec l’ADF, cette mesure sera intégralement compensée par l’État. Grâce à cette loi, le taux de compensation des dépenses liées à l’APA, après être passé de 43 % en 2002 à 31 % en 2012 – soit une chute de douze points ! –, atteindra 36 %.
Le maintien de ces ressources aux départements doit leur permettre, comme beaucoup d’entre vous l’ont espéré, de retrouver des marges de manœuvre accrues pour non seulement mener leurs politiques d’insertion, mais aussi jouer un rôle central en matière de solidarité et de soutien à la ruralité.
Tel est en tout cas l’objectif de la recentralisation que nous proposons, laquelle constitue – nous le pensons, tout comme vous ! – une solution pérenne aux difficultés rencontrées par les départements. En la matière, le Gouvernement prend ses responsabilités.
À cet égard, sachez qu’une mission d’inspection a été lancée voilà quelques jours sur la situation de la CVAE. Les départements seront strictement ponctionnés à due concurrence des transferts de charges, pas davantage.
M. Labbé a souligné l’importance des investissements publics liés à la transition énergétique. Je me permets de lui rappeler qu’il existe déjà un fonds auprès de la Caisse des dépôts et consignations et qu’une partie d’un autre fonds, doté de 1 milliard d’euros, est fléchée vers la transition énergétique.
Comme le rappelait le sénateur Adnot, qui connaît bien ces questions, les départements ont beaucoup souffert ces dernières années, quelles que soient les majorités, non par la volonté de tel ou tel gouvernement de les mettre en difficulté, mais en raison de diverses décisions.
La quasi-suppression de la fiscalité départementale, par exemple, a beaucoup contribué à leur perte d’autonomie. Par ailleurs, Bercy, qui n’a pas un travail facile, a été parfois tenté de rogner sur les dotations destinées à compenser les transferts de charges.
S’il est vrai que les départements traversent des moments difficiles, nous avons repris le dialogue. Nous avançons ensemble. Comme je l’ai dit, chacun doit prendre ses responsabilités ; moi, je prendrai les miennes. Je m’impliquerai – je le fais déjà – sur ce dossier de toutes mes forces, afin de mener à bien cette concertation et de créer les conditions, pour peu que nous cultivions les convergences plutôt que les divergences, d’un accord dans l’intérêt de tous – des départements et de l’État, qui a aussi ses contraintes. Notre proposition de recentralisation représente tout de même 700 millions d’euros. Il ne s’agit pas d’une paille !
Dans la confiance retrouvée, je souhaite que nous puissions avancer dans le meilleur intérêt des départements, de leurs finances et de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la situation financière des départements.
4
Trentième anniversaire du baccalauréat professionnel
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le « trentième anniversaire du baccalauréat professionnel », organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen.
La parole est à M. Patrick Abate, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Patrick Abate, au nom du groupe communiste républicain et citoyen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans les années quatre-vingt, seul un jeune sur trois décrochait un baccalauréat en France.
Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’éducation nationale, s’engage à amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. La loi du 23 décembre 1985 de programme sur l’enseignement technologique et professionnel et le décret du 11 mars 1986 traduiront cette volonté en instaurant le baccalauréat professionnel, dit « bac pro ».
Cet objectif deviendra ainsi une réalité, notamment grâce au bac pro qui a pleinement joué sa part dans le processus de massification.
Aujourd’hui, près de 700 000 élèves sont scolarisés dans l’enseignement professionnel. Or, depuis l’avènement d’une nouvelle majorité sénatoriale, en 2014, ce dernier a quasiment disparu de nos débats. La commission de la culture a ainsi supprimé le rapport budgétaire pour avis consacré, depuis quinze ans, à l’enseignement professionnel lors de la discussion du projet de loi de finances.
Notre débat de ce jour tend donc à « réparer » modestement cet oubli.
Plus fondamentalement, nous souhaitons, à rebours des seuls effets de communication autour de ce trentième anniversaire, mettre en exergue les difficultés persistantes ou, à tout le moins, les problématiques liées à la réforme du bac pro portée par Xavier Darcos en 2009, ainsi qu’à la régionalisation lancée par l’actuel gouvernement.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous estimons que le choix de la voie professionnelle peut être un beau choix de vie dont la revalorisation, bien que sur toutes les lèvres, mérite d’être réellement et concrètement accomplie.
La transformation du bac pro en études de trois ans, contre quatre ans auparavant, a consisté en une refonte totale de cet enseignement. Menée au pas de charge, malgré une expérimentation au bilan plus que mitigé, cette réforme a profondément déstabilisé les équipes, les établissements, et déstructuré la voie professionnelle sous statut scolaire. Surtout, elle n’a toujours pas fait l’objet d’une évaluation partagée, comme nous le réclamions.
Appliquée dans un contexte de réduction des effectifs – environ 5 000 postes de professeurs des lycées professionnels ont été supprimés dans le cadre de la trop fameuse révision générale des politiques publiques, la RGPP, engagée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy –, cette réforme est intervenue alors que la limitation du redoublement a profondément changé la donne.
Les élèves qui arrivent au bac pro sont plus jeunes qu’avant – ils sont âgés d’environ dix-sept, dix-huit ans. En raison de cette donnée, corrélée à celle d’un marché du travail de plus en plus tendu, l’insertion professionnelle immédiate, finalité première, n’est plus l’objectif principal des élèves.
L’un des arguments de « vente » de la réforme Darcos auprès des familles reposait d’ailleurs sur la poursuite des études. Toutefois, les moyens et les outils nécessaires pour y parvenir n’ont pas été mobilisés à l’époque. Et le rattrapage, certes difficile, est largement insuffisant !
Aujourd’hui, 75 % des diplômés d’un bac pro demandent à poursuivre leurs études, d’abord en BTS, puis en IUT, voire à l’université – certes, avec la réussite que nous connaissons… De ce point de vue, la réforme n’a pas atteint ses objectifs.
Les quotas de places introduits dans la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi ESR », pour pallier cette difficulté ne sont pas réellement effectifs. À ce sujet, la proposition annoncée dans le cadre de la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur, la STRANES, d’instaurer un examen de sélection à l’entrée de l’université est-elle une bonne piste ? Ce n’est pas certain…
Cela étant dit, nous n’étions pas opposés par principe au baccalauréat professionnel en trois ans pour les meilleurs élèves. En revanche, nous continuons de plaider pour la mise en place parallèlement d’un parcours en quatre ans, modulable, pour les élèves les plus fragiles scolairement, afin d’éviter la multiplication des sorties du système scolaire sans qualification. En effet, cette réforme n’a malheureusement pas non plus permis de diminuer de telles sorties de manière vraiment sensible.
La réussite, au sein d’une filière professionnelle qui demeure marquée par une orientation par l’échec, par défaut, se heurte à une autre difficulté : l’affectation des élèves au regard des vœux qu’ils ont exprimés. La majorité des élèves de la filière professionnelle sont effectivement affectés vers leur deuxième, troisième, voire quatrième choix !
Cette question de l’affectation n’est toujours pas prise à bras-le-corps, alors qu’elle constitue un élément crucial de la réussite de ces élèves. Une partie du décrochage scolaire est en effet liée au fait que nombre d’entre eux n’obtiennent pas l’affectation demandée, faute de places suffisantes.
Il est d’ailleurs étonnant de constater que cette réforme censée revaloriser la filière professionnelle et inciter les jeunes à s’y engager n’ait entraîné que de très peu d’ouvertures de classes.
Nous renouvelons donc notre demande, madame la ministre, d’un bilan national sur l’affectation et la réalisation des vœux des élèves et d’une réflexion sur les critères de sélection. Ce bilan pourrait être un point d’appui pour la conception de cartes des formations mieux équilibrées. Dans certains secteurs, les élèves n’ont tout simplement plus la possibilité de choisir entre l’apprentissage et le statut scolaire, faute d’existence de cette seconde option.
Comment expliquer que la formation à des métiers en tension, les métiers de bouche, par exemple, comporte si peu de places dans l’enseignement professionnel ? Ainsi, le nombre de bac pro boucher charcutier traiteur se compte sur les doigts de la main.
Voilà qui m’amène à évoquer une autre difficulté à laquelle se heurte l’enseignement professionnel : la carte des formations initiales professionnelles, que la loi de refondation de l’école, voulue par ce gouvernement, a confiée aux régions.
Que constatons-nous dans un paysage redessiné autour de treize grandes régions ? Une région réclame le retour à l’apprentissage dès l’âge de quatorze ans, d’autres décident de fermer une section sur la base d’une évaluation des besoins d’emplois contestée par les professionnels eux-mêmes et quasiment toutes ont une tentation « adéquationniste » de mise en œuvre des formations, c’est-à-dire se bornant à des prés carrés définis au regard de bassin d’emplois très limités et déterminés à un instant T. Quid, dès lors, d’une offre de formation équilibrée sur tout le territoire et de la mobilité ?
Par ailleurs, nombre de régions misent beaucoup – beaucoup trop – sur l’apprentissage. Personne n’y est opposé, ce n’est pas le problème. Nous en appelons simplement à de justes équilibres, plus efficaces.
Or les moyens mobilisés pour développer l’apprentissage le sont malheureusement trop souvent au détriment de la formation professionnelle sous statut scolaire, alors que ces deux voies pratiquent l’alternance.
Réforme de la taxe d’apprentissage, aides à l’embauche d’apprentis… Les dispositifs fiscaux incitatifs ont été multipliés sans que le nombre d’apprentis décolle – il diminue même dans les niveaux IV et V.
En revanche, la réforme de la taxe d’apprentissage a affecté de manière plutôt négative – c’est difficilement contestable – les capacités pédagogiques de certains lycées.
Faut-il rappeler que le taux de réussite aux diplômes est meilleur sous statut scolaire ? L’écart de réussite au CAP est de 9 points en faveur du statut scolaire et de 20 points pour ce qui concerne le bac pro. Le programme annuel de performance 2016 de la mission « Enseignement scolaire » prévoit que cet écart va encore se creuser.
L’un des arguments souvent avancés pour justifier ce choix, c’est que l’école méconnaîtrait l’entreprise. Pourtant, l’originalité du bac pro tient justement à la création de celui-ci en étroite relation avec les milieux professionnels, pour répondre à leur demande en techniciens d’atelier, employés ou ouvriers hautement qualifiés.
Faut-il aussi rappeler que les référentiels de formation sont déterminés et élaborés à parité avec le monde professionnel ? Nous sommes nombreux sur le terrain à pouvoir en témoigner. Je pense à ma ville, Talange, qui possède un magnifique lycée, le lycée Eiffel – j’ai plaisir à le citer ici –, dont les résultats et les liens avec le monde économique sont exemplaires et particulièrement reconnus.
Mais que constatons-nous depuis la réforme de 2009 ? Un morcellement des compétences professionnelles, ramenées à de « micro tâches », et des savoirs, en contradiction avec le discours général sur la formation professionnelle censée former à « penser son métier », pour une maîtrise plus large de tout son environnement, qu’il soit professionnel, social, sociétal ou citoyen. Le résultat, c’est une perte de culture professionnelle, souvent observée et déplorée par les enseignants eux-mêmes et les employeurs.
La solution avancée aujourd’hui est la mixité des parcours et des publics. Elle est déjà pratiquée dans l’enseignement professionnel et agricole. On remarque que la voie scolaire est alors utilisée comme un sas, permettant d’attendre que les entreprises soient prêtes à accueillir les apprentis. Nous sommes nombreux à avoir pu le constater dans nos permanences, où des jeunes, perdus, viennent nous trouver. Si cette logique est menée à son terme, nous y voyons un risque très grave de déstabilisation des lycées professionnels.
De plus, ce choix ne repose sur aucune étude susceptible d’attester du bien-fondé pédagogique de la mixité. Certaines études auraient été réalisées, mais, étrangement, elles n’ont pas été publiées. En tout cas, je ne les ai pas trouvées ! Or, sur le terrain, la mixité des publics – apprentis et élèves – pose des difficultés de fonctionnement bien réelles. Pourquoi ne pas en débattre en toute transparence ?
Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les points que nous souhaitons aborder à l’occasion de ce débat, que nous espérons fructueux, dans l’intérêt d’une filière et d’élèves qui méritent que l’on fasse preuve à leur égard de la plus grande ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – M. Jean-Claude Carle applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour compléter les propos de Patrick Abate, je souhaite m’arrêter sur les conséquences de la réforme du bac pro sur l’enseignement agricole technique.
Il existe d’ailleurs un point commun entre ces deux voies de formation initiale : l’effet négatif de cette réforme sur la culture professionnelle, en réduisant d’un an le temps de formation.
Le bac pro conduite et gestion de l’exploitation agricole est sans doute celui qui a le plus souffert à ce titre, la mission de ce baccalauréat étant de former non seulement un bon technicien agricole, mais aussi un futur chef d’entreprise.
Avant la réforme, la formation était articulée en deux temps : d’abord, les deux années du BEPA, le brevet d’études professionnelles agricoles, pour former des ouvriers agricoles, puis les deux années du bac pro, pour les former à réfléchir au fonctionnement d’une exploitation dans un environnement géographique et économique, sachant que le bac pro équivaut à une capacité à l’installation.
Les enjeux environnementaux auxquels ce métier doit faire face, inscrits dans un contexte économique de plus en plus compliqué, impliquent de former des citoyens autonomes, acteurs de leur métier, ce que ne permet plus une formation en seulement trois ans.
C’est un paradoxe, dans la mesure où il convient aujourd’hui de former les futurs agriculteurs à produire autrement ! L’actualité nous rappelle d’ailleurs l’importance de la formation pour y parvenir. Or le pourcentage d’élèves reçus aux examens du bac pro de l’enseignement agricole, toutes voies confondues, a baissé depuis 2009. Il s’établissait à 89,3 % en 2009, session de juin, et plafonne depuis 2012 autour de 83 %, selon Agreste, le site de la statistique, de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. En outre, ce taux global ne distingue pas le pourcentage d’élèves qui décrochent leur baccalauréat sans passer par la nouvelle épreuve de rattrapage, laquelle, de l’aveu même d’enseignants, de professionnels et de présidents de jurys qui dénoncent cette épreuve, gonfle les résultats.
Autre paradoxe de cette réforme, les dispositifs de mise à niveau qui existaient auparavant ont été supprimés. Il s’agissait de remettre à niveau les élèves dans les matières générales, comme les mathématiques, pour lesquelles les établissements disposaient de soixante heures supplémentaires dans le cadre de leur dotation globale horaire, pour chaque élève de bac pro.
Compte tenu des difficultés constatées sur le terrain en seconde, première et terminale, des heures d’individualisation ont été instaurées, mais sur projet et non plus de façon automatique. Ces projets, qui doivent être présentés au cours de l’année n-1, entrent en concurrence avec tous les autres projets pédagogiques des voies générale, technologique et professionnelle et sont désormais ouverts au BTS agricole, pour une enveloppe constante. Cela se traduit par une progression des sorties sans qualification, du fait d’abandons à chaque palier de la scolarité, les études s’avérant très difficiles à poursuivre pour un très grand nombre d’élèves.
Certes, la loi d’avenir pour l’agriculture a prévu de mettre en place des passerelles pour faciliter l’accès des bacheliers pro aux écoles d’ingénieurs. Pourquoi pas ? Toutefois, il faudrait déjà donner aux élèves les moyens de réussir leur baccalauréat.
Il est vrai qu’un cursus en quatre années pouvait paraître trop long pour certains élèves. Reste que ceux qui allaient plus vite étaient souvent réorientés vers la voie technologique, nombre de lycées agricoles proposant les deux voies.
Or cette réforme est justement venue bouleverser l’équilibre qui existait au sein de l’enseignement agricole entre les filières technologique et professionnelle, au détriment de la première.
Aujourd’hui, le raccourcissement du bac pro à trois ans place beaucoup d’élèves, qui sont de surcroît plus jeunes, en souffrance. Celle-ci peut se traduire par des comportements plus difficiles à gérer, du fait d’incivilités dans des classes devenues très hétérogènes. Ce phénomène se retrouve notamment dans la filière conduite et gestion de l’entreprise hippique.
De plus, si cette réforme a pu entraîner un certain effet d’aubaine, toutefois difficile à mesurer, elle ne s’est accompagnée au final que de peu d’ouvertures de classes. Surtout, le plafonnement des effectifs dans l’ensemble des classes de l’enseignement agricole public a été maintenu, ce qui se traduit chaque année par le rejet de certains élèves.
Le BEPA, qui a été supprimé en tant que diplôme – il comportait douze semaines de stage, contre huit aujourd’hui pour la certification – constituait véritablement une marche importante qui n’a pas été remplacée. Il existe donc un vide pour ce qui concerne les diplômes de niveau V, que les CAP agricoles, trop peu nombreux, n’ont pas comblé. Par ailleurs, le BEPA permettait aux jeunes de s’insérer professionnellement.
C’est pourquoi je ne comprends pas le refus, au mois de mai dernier, de la Direction générale de l’enseignement et de la recherche d’autoriser l’expérimentation de classes spécifiques pour les élèves les plus fragiles de la voie professionnelle, classes défendues par les équipes pédagogiques du lycée agricole public de Laval et de celui de Radinghem, dans le Pas-de-Calais. Un tel dispositif est pourtant prévu réglementairement depuis 2008, sur le modèle du travail réalisé au lycée de Tours-Fondettes, qui compte la seule classe de ce type en France. Je peux témoigner de sa qualité, puisque j’ai souvent rencontré les équipes concernées.
Ce refus traduit-il une forme de posture idéologique interdisant la cohabitation de deux systèmes, au détriment de la réussite des élèves ? Je souhaite, madame la ministre, que vous puissiez soit répondre à cette interrogation, soit la transmettre à votre collègue chargé de l’agriculture.
Nous connaissons la valeur et la qualité de l’enseignement agricole, que nous défendons au Sénat et dans nos territoires, notamment au travers des actions du Comité permanent de défense et de développement de l’enseignement agricole public, dont je suis membre avec d’autres parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale. Le Comité sera d’ailleurs partie prenante d’une journée de réflexion sur le bac pro, organisée par le SNETAP-FSU le 24 mars prochain à Paris, pour évoquer les enjeux en termes de réussite scolaire, d’insertion professionnelle et de poursuite d’études et avancer des propositions d’évolution et d’amélioration de la réforme de la voie professionnelle.
C’est pourquoi nous plaidons pour que tous les moyens soient donnés à cet enseignement, afin de lui permettre de remplir ses missions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la rentrée 2013, plus d’un million de jeunes étaient engagés dans la voie professionnelle, du CAP au baccalauréat professionnel : un peu moins de 700 000 par la voie scolaire, dans l’un des 1 600 lycées professionnels, auxquels s’ajoutaient plus de 300 000 apprentis.
Madame la ministre, voilà quelques semaines, vous avez profité de la manifestation organisée pour fêter les trente ans des baccalauréats professionnels pour mettre en exergue les points forts du lycée professionnel, soulignant à cette occasion que celui-ci offre une formation particulièrement performante, tout comme l’apprentissage. C’est pourquoi nous devons avoir de grandes ambitions pour ces deux types de formations enseignées en alternance.
Les lycées professionnels représentent une voie de réussite. En effet, chaque année, un bachelier sur trois est formé dans ces établissements. Par ailleurs, 80 % des élèves admis au bac pro et 27 % des bacheliers professionnels trouvent un emploi dans les trois mois suivant leur réussite à ce diplôme.
Cela dit, dans le cadre de la mission d’information sur l’orientation, que Guy-Dominique Kennel et moi-même menons actuellement, la problématique de l’enseignement professionnel revient régulièrement. Trop souvent encore, l’orientation des jeunes vers la filière professionnelle est mal perçue, mal défendue, peu recherchée. Cette orientation est trop fréquemment subie plutôt que choisie par les élèves et leurs familles. Pourtant, quand l’offre de formation en apprentissage paraît insuffisante, les jeunes sont heureux de revenir en lycée professionnel. Il convient de le remarquer, de nombreux responsables d’entreprise sont partenaires des lycées professionnels, ce qui marque bien l’ancrage du professionnel dans le tissu de l’entreprise.
À la suite de la réforme de la voie professionnelle engagée en 2009, l’orientation en fin de classe de troisième se fait désormais soit vers un baccalauréat professionnel en trois ans – au lieu de quatre ans auparavant – dès la seconde professionnelle, soit vers un CAP en deux ans, repositionné comme parcours d’accès à une première qualification après l’extinction des BEP en 2012.
Depuis la rentrée 2009, l’accès au baccalauréat professionnel en trois ans après une classe de troisième est ouvert en contrat d’apprentissage. Comme pour les jeunes sous statut scolaire, un parcours en quatre ans vers le niveau IV demeure, puisque, à l’issue d’un contrat de deux ans en CAP, les jeunes peuvent poursuivre leur formation pour obtenir un baccalauréat professionnel. Ils peuvent également préparer un brevet professionnel dans le cadre d’un contrat d’apprentissage de deux ans. Ce diplôme national atteste l’acquisition d’une haute qualification dans l’exercice d’une activité professionnelle.
Dans le cadre du débat sur l’avenir des lycées professionnels, il paraît bien évidemment nécessaire d’aborder plusieurs sujets : le devenir des formations actuelles et le développement des nouvelles formations ; la durée de la formation ; la place réservée aux savoirs généraux ; la concurrence de l’apprentissage, en particulier pour le versement de la taxe d’apprentissage ; les modalités de certification des diplômes de la voie professionnelle ; le volume nécessaire de l’offre de formation et les capacités d’accueil sur l’ensemble du territoire ; l’intégration dans des projets Erasmus et l’ouverture à l’international.
Il est certain que les cartes des formations doivent évoluer et que certaines filières doivent être développées. Je pense en particulier aux services à la personne, aux métiers de vendeurs, d’aides-soignants, d’infirmiers, de cadres administratifs, à ceux de la sécurité – tous ces métiers qui, comme l’indique une étude de France Stratégie, seront les plus porteurs d’emplois d’ici à 2020.
Madame la ministre, ce qui nous importe, c’est la réussite des jeunes. Tous les jeunes qui souhaitent se former en alternance doivent pouvoir le faire. Dans cette perspective, nous sommes persuadés que l’enseignement professionnel public sous statut scolaire, donc le lycée professionnel, doit continuer à occuper une place prépondérante dans notre système éducatif. Il convient par conséquent de rendre les lycées professionnels de plus en plus performants.
C’est pourquoi les mesures annoncées par le Président de la République, le 18 janvier dernier, à l’occasion de son discours sur l’emploi, sont les bienvenues : l’éducation nationale va créer « 500 formations nouvelles en alternance, ciblées sur les métiers pour lesquels nous savons qu’il y aura de forts besoins dans les années à venir » ; 1 000 postes d’enseignants seront créés et affectés à ces formations dès 2017.
En outre, des jumelages entre collèges d’une part, lycées professionnels et CFA, centres de formations d’apprentis, sont prévus, afin de faciliter l’insertion des jeunes.
Si le baccalauréat professionnel présente un bon taux de réussite – plus de 80 % en 2015 –, le pourcentage des jeunes en situation de décrochage scolaire qui sont issus du lycée professionnel demeure malgré tout très élevé : ceux-ci représentent aujourd’hui un tiers des décrocheurs, avec, certes, des écarts importants entre académies.
Ces décrochages posent un problème majeur au système éducatif : ils touchent en effet la population scolaire la plus fragile. Afin de les éviter, et pour faire en sorte que l’orientation en filière professionnelle soit réellement choisie par le jeune en formation, vous proposez, madame la ministre, la création d’une période d’essai en seconde professionnelle.
Ainsi, à partir de la rentrée 2016, les élèves auront la possibilité de changer d’orientation jusqu’aux vacances de la Toussaint. Un nouveau tour d’orientation sur AFFELNET aura lieu à ce moment-là, et les conseils de classe pourront valider la demande de réorientation de chaque jeune qui le souhaitera. Nous pensons que c’est là une bonne façon de donner une chance supplémentaire à la réussite de l’orientation des nouveaux lycéens.
Par ailleurs, la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école de la République retient l’objectif d’une « valorisation de l’enseignement professionnel ». Cette ambition s’appuie sur la création des campus des métiers et des qualifications et sur la promotion de la démarche qualité dans l’enseignement professionnel, en particulier dans les lycées labellisés « lycées des métiers ». À cet égard, le concept de lycée des métiers, concrétisé par un label délivré par le recteur pour une durée de cinq ans en référence à un cahier des charges national précis, connaît un développement important.
Les trente et un campus des métiers et des qualifications, pôles de formation d’excellence labellisés et spécialisés par filière économique, incarnent aujourd’hui une dynamique partenariale et territoriale au service du développement économique et des parcours des jeunes.
Au-delà du bac pro, il faut aussi envisager une poursuite d’études valorisante pour ces bacheliers. Les sections de techniciens supérieurs, qui donnent accès au BTS, le brevet de technicien supérieur, apparaissent comme la meilleure voie de réussite des bacheliers professionnels ; mais cette voie demeure fragile. On constate en effet un processus de sortie précoce, en cours de formation, qu’il faut prendre garde à ne pas laisser se développer.
En conclusion, je souhaite souligner l’importance de la formation professionnelle dans le contexte social et économique que nous connaissons. Certes, le lycée professionnel se heurte à de nombreuses difficultés, rappelées par différents orateurs. Des moyens supplémentaires, notamment, sont nécessaires pour en améliorer l’attractivité, le fonctionnement et les débouchés dans le monde professionnel.
Toutefois, ces difficultés sont inhérentes à la vitalité démographique de la France,…
Mme Maryvonne Blondin. Bien sûr !
M. Jacques-Bernard Magner. … en comparaison avec la situation de nombreux pays, européens notamment, en particulier avec celle de nos voisins allemands, qui sont souvent cités en exemple.
En France, nous avons la ressource humaine, le vivier de jeunes que d’autres pays recherchent, et dont ils compensent le manque par l’accueil de populations C’est là une chance pour l’avenir de nos métiers, ainsi que pour l’accès de nos jeunes à l’emploi.
Le lycée professionnel, avec ses trente années d’expérience et de progrès successifs, doit prendre, en la matière, toute sa place. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2015 a été celle des trente ans du baccalauréat professionnel, appelé communément « bac pro ». Aujourd’hui, un tiers des jeunes scolarisés deviennent des bacheliers professionnels, et un peu moins de la moitié d’entre eux s’inscrivent en BTS ou à l’université. La finalité de ce baccalauréat professionnel reste floue.
La réforme de ce diplôme en 2009, permettant l’alignement de la durée du cursus sur celle des deux autres baccalauréats, général et technologique, fit passer celle-ci à trois ans. L’objectif de cette généralisation était bien que l’ensemble des baccalauréats aient la même valeur, et ainsi que le baccalauréat professionnel puisse donner les mêmes droits d’accès à l’enseignement supérieur.
Cette réforme a suscité de nombreuses critiques. Dénoncée comme menée dans la précipitation, sans réelle concertation, elle avait même échappé au Parlement. Nombreuses sont les voix s’élevant toujours aujourd’hui pour souligner la grande disparité des taux de réussite et invoquer notamment la situation précaire des élèves ayant le plus de difficultés.
En 2012, la réforme aurait permis d’augmenter de 80 % le nombre de bacheliers professionnels, alors que, en 2013, au moment de l’achèvement de la réforme, le nombre de candidats a fortement diminué. S’agissant du taux de réussite, on a pu constater une baisse pendant plus de trois années consécutives.
La diversité des filières professionnelles de l’éducation nationale, du tertiaire à l’industrie, entraîne le développement d’une pluralité de baccalauréats professionnels.
Votre récente annonce, madame la ministre, de créations de postes, permettant l’ouverture de 500 nouvelles formations, va plutôt dans le bon sens. Il conviendra cependant de bien identifier les gisements d’emploi, pour définir des formations adaptées au futur marché du travail.
Le baccalauréat professionnel constitue, selon nous, un outil positif, permettant de délivrer un titre de bachelier, dont la symbolique est très forte. Aujourd’hui, 80 % d’une classe d’âge arrive au niveau du baccalauréat. Si le baccalauréat professionnel a longtemps été dévalorisé, envisagé comme l’issue destinée à ceux qui ne pouvaient prétendre à un autre baccalauréat, technique ou général, son image évolue désormais.
Au nombre des autres annonces, madame la ministre, la création de jumelages entre collèges, lycées professionnels et centres de formation des apprentis nous semble une piste à explorer. Elle pourrait permettre un rapprochement des formations et la diffusion d’une meilleure image du diplôme en cause. Rappelons qu’il est question non pas d’opposer baccalauréat professionnel et apprentissage, mais plutôt de souligner leur complémentarité.
La valorisation du savoir-faire professionnel est en constant progrès. Il est ainsi prouvé, toujours davantage, que ce diplôme est un formidable outil d’acquisition d’un futur métier, en vertu notamment des nombreuses périodes professionnelles qui jalonnent la formation du bachelier. Du chemin reste néanmoins à parcourir.
Malgré les bonnes intentions concernant les possibilités de poursuites d’études, le système du baccalauréat professionnel a dévié pour devenir une impasse en termes de cursus. Le candidat Hollande avait pourtant estimé que « les jeunes et les personnels de l’enseignement professionnel ont été particulièrement malmenés », et dénoncé en particulier les « orientations imposées ». Ces annonces laissaient présager la mise en place d’un dispositif ambitieux.
Aujourd’hui, cependant, la situation n’est pas satisfaisante.
La loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République n’a pas suffisamment valorisé l’enseignement professionnel.
L’ambition du renforcement de l’accompagnement des élèves dans l’élaboration de leur projet d’orientation et la valorisation de tous leurs acquis et compétences était pourtant présente dans le texte. Le parcours Avenir, généralisé de la sixième à la terminale à la rentrée 2015, représente, aux yeux du Gouvernement, un outil privilégié permettant d’atteindre cette ambition.
Vos annonces relatives à l’introduction d’une plus grande souplesse dans la procédure d’orientation nous semblent intéressantes, madame la ministre. Attention toutefois à ce que cette « période d’essai » ne devienne, dans les faits, une énième usine à gaz, qui rendrait compliqués les changements d’orientation !
Des difficultés existent en effet.
L’accès des bacheliers professionnels aux formations supérieures reste un parcours du combattant qui, lorsqu’il est mal préparé, crée trop souvent des décrocheurs. Le taux de réussite de ces bacheliers reste en effet trop faible par rapport à celui des autres bacheliers, plus habitués aux méthodes de travail qu’il est nécessaire de maîtriser, notamment à l’université.
Les effets de ces échecs sont souvent dévastateurs. Pourtant, de plus en plus de bacheliers professionnels souhaitent accéder à l’enseignement supérieur. Des pistes – réserver des places aux bacheliers professionnels au sein des IUT, les instituts universitaires de technologie, par exemple – sont à explorer.
Une orientation non choisie et l’absence de passerelles entre les différentes formations sont souvent désignées comme responsables des échecs.
Diverses questions se posent, notamment celle des objectifs que nous souhaitons poursuivre – le bac pro constitue-t-il une voie vers l’enseignement supérieur ou la garantie d’une insertion sur le marché de l’emploi ? –, mais aussi, corrélativement, celles des quotas dans les BTS ou les IUT, de l’orientation active ou même de l’aménagement, de nouveau, d’un parcours en quatre ans pour les plus fragiles.
La question des outils dont nous nous doterons pour permettre la réussite de ces élèves doit également être soulevée.
Il convient aujourd’hui de valoriser ce diplôme du baccalauréat professionnel et de souligner le travail remarquable effectué par les professionnels qui, sur le terrain, forment au quotidien nombre de jeunes qui entreront demain sur le marché de l’emploi avec les connaissances nécessaires.
Changeons l’image stigmatisante de ce diplôme, parfois associée à l’idée selon laquelle les compétences pratiques sont réservées aux élèves ayant des difficultés scolaires. Il n’en est rien : nombre de jeunes bacheliers professionnels nous le prouvent chaque jour.
En conclusion, trois impératifs s’imposent à nous : le développement de connaissances et de compétences, la possibilité, pour les bacheliers professionnels, de poursuivre des études plus longues, et, pour notre jeunesse talentueuse, un réel accès à l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trente ans après la création du baccalauréat professionnel, concomitante de la fixation par notre ancien collègue Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’éducation nationale, de l’objectif des 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, nous constatons une nette élévation du niveau de qualification de notre jeunesse.
En 1985, seuls 37 % des jeunes atteignaient le niveau du baccalauréat, la France étant à ce titre en retard par rapport à des pays tels que l’Allemagne ou le Japon.
Le bac pro a largement contribué à ce que cet objectif des 80 % soit atteint – alors que le chômage touche actuellement un jeune sur quatre dans notre pays, il s’agissait d’une nécessité impérieuse. Ainsi, un tiers des bacheliers sont issus de la voie professionnelle.
Ce baccalauréat permet aux élèves d’acquérir des compétences hautement qualifiées et de bénéficier d’une insertion rapide dans le monde du travail, tout en leur ouvrant la possibilité de poursuivre des études supérieures, bien que cela ne soit pas sa vocation première.
Ce savant dosage entre enseignements théoriques et pratiques complète utilement l’éventail des formations de l’enseignement secondaire.
Quel bilan peut-on dresser ? Parmi les bacheliers professionnels, 60 % s’insèrent directement sur le marché du travail, ce qui prouve que les formations sont globalement adaptées aux besoins économiques de notre pays.
Cependant, s’arrêter à la lecture de ces chiffres revient à ignorer qu’il existe de grandes disparités selon les spécialités. Certaines d’entre elles attirent plus qu’elles ne le devraient, alors qu’elles conduisent à des impasses ; d’autres sont désertées, bien que les débouchés soient assurés. Mais cette situation n’est pas caractéristique du seul enseignement professionnel. Elle est très révélatrice des problèmes d’orientation qui persistent à tous les niveaux.
La réflexion sur les évolutions de l’emploi, des métiers et des compétences doit être engagée.
Le diplôme, s’il garantit un meilleur taux d’insertion, devient de plus en plus une condition nécessaire, mais non suffisante.
Ce qui nous fait défaut aujourd’hui, c’est bien la vision prospective qui prévalait en 1985, lors de l’examen de la loi de programme sur l’enseignement technologique et professionnel.
Une mission avait été confiée à Daniel Bloch, alors président de l’Institut national polytechnique de Grenoble, afin de définir des objectifs sur le long terme. Cette perspective est toujours indispensable pour adapter la formation de notre jeunesse aux besoins économiques du pays.
S’agissant de la poursuite des études dans l’enseignement supérieur, les résultats des bacheliers professionnels sont préoccupants.
La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a instauré un système de quotas afin de leur réserver un certain nombre de places dans les sections de technicien supérieur, largement prisées par les bacheliers de la voie générale.
Or, lorsqu’ils se retrouvent en première année de licence à l’université, les bacheliers professionnels sont quasi systématiquement en situation d’échec. On retrouve ainsi dans le supérieur toutes les difficultés scolaires qui n’ont pas pu être réglées auparavant, et qui ont déterminé l’orientation de l’élève à chaque étape de son parcours.
Les quotas ne suffisent pas. Il faut créer un véritable accompagnement. Qu’en est-il de la volonté du Gouvernement d’améliorer le continuum entre le lycée professionnel et l’université ?
Le décrochage scolaire concerne surtout les élèves de la voie professionnelle, et même si ce phénomène n’est pas uniquement imputable à la réforme du baccalauréat professionnel de 2009 qui a fait passer la durée de formation de quatre ans à trois ans, cette diminution y a largement contribué, le taux de réussite ayant baissé d’environ six points. Nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont bien expliqué les effets négatifs de l’absence de remise à niveau de ce point de vue.
Nous mesurons combien il est difficile d’évoquer la valorisation de la voie professionnelle, lorsqu’elle concerne presque exclusivement ceux qui subissent successivement des exclusions en raison de leurs mauvais résultats, c’est-à-dire les jeunes que l’éducation nationale n’a pas pu ou su soutenir.
Nous ne pourrons faire de la filière professionnelle une « voie d’égale dignité » que si nous traitons les difficultés scolaires en amont pour aboutir à une orientation choisie plutôt que subie, une orientation qui ne soit pas la somme des déterminismes sociaux et géographiques qui font que notre système éducatif est encore l’un des plus inégalitaires des pays de l’OCDE. Une mission d’information sur l’orientation, conduite par Jacques-Bernard Magner et à laquelle je participe, vous adressera, je l’espère, madame la ministre, des propositions applicables, pour que la vision des parents, des enseignants et, surtout, des élèves change et pour que nous mettions en avant tous les points positifs de la voie professionnelle.
Certes, notre système éducatif est confronté au défi de la quantité, le nombre de lycéens ayant presque doublé au cours de ces trente dernières années. Si nous accueillons très favorablement les progrès réalisés en matière de démocratisation du savoir, les inégalités demeurent. La division entre « ceux qui possèdent sans travailler et ceux qui travaillent sans posséder », que l’école reproduit et à laquelle Ferdinand Buisson cherchait à mettre fin au début du XXe siècle, subsiste.
Les résultats scolaires et l’orientation des élèves restent encore trop souvent corrélés au milieu familial. À parcours scolaire de qualité égale, les enfants de cadres et d’ouvriers ne sont pas orientés de la même manière. Or c’est bien sur le mérite et sur le talent que doivent se fonder l’orientation et le cursus, dans la voie générale ou professionnelle, des enfants de la République.
J’espère, madame la ministre, que vous nous présenterez des propositions concrètes. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – MM. Jacques Legendre et Jean-Claude Carle applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Abate et le groupe CRC ont souhaité qu’un débat s’ouvre à l’occasion du trentième anniversaire de la création du baccalauréat professionnel. Ils ont eu raison, car un tel débat est utile.
De même, la commission de la culture, voilà huit ans, avait souhaité célébrer un autre anniversaire : le deux centième anniversaire du baccalauréat. Nous avions alors mis sur pied un groupe de travail dressant un état des lieux de ce « monument national », selon la formule d’un ancien ministre de l’éducation, véritable pierre angulaire de notre système éducatif, qui couronne l’ensemble de la scolarité primaire et secondaire et ouvre les portes de l’enseignement supérieur ou de la vie active.
En tant que rapporteur, j’expliquais alors comment la diversification des filières du baccalauréat et le souhait de donner une place nouvelle à la formation professionnelle avaient conduit à la création du baccalauréat professionnel en 1986.
Le gouvernement d’alors s’engageait à mener 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat. Créer une filière professionnelle à côté de la filière générale devait évidemment l’aider à atteindre cet objectif.
Si le nombre de candidats au baccalauréat augmenta massivement dans les dix années qui suivirent, non seulement dans la voie professionnelle, mais aussi dans la voie générale, le chiffre de 80 % de jeunes accédant au baccalauréat n’a jamais été atteint.
Je citerai à cet égard les données de 2006 : seulement 64 % environ d’une génération obtient le baccalauréat, dont un peu plus de 34 % le baccalauréat général, 17 % le baccalauréat technologique, et 12,3 % le baccalauréat professionnel.
La plupart des élèves qui n’accèdent pas au baccalauréat ont quitté le système scolaire après la troisième ou ont été orientés vers l’une des filières professionnelles sans l’avoir choisi. De nombreux abandons sont constatés lors de la préparation au baccalauréat professionnel : ils concernent de trop nombreux élèves.
Nous constatons ainsi les limites du dispositif. En France, l’inégal accès d’une génération au baccalauréat traduit un net dysfonctionnement du système d’orientation et une certaine incapacité à surmonter les inégalités scolaires. Le baccalauréat professionnel souffre en effet d’une hiérarchie tacite dans la valeur des filières d’enseignement. C’est ce qu’il faut changer !
Aujourd’hui, la question de l’orientation n’est réellement posée qu’en troisième, pour les seuls élèves ayant des difficultés scolaires et ne pouvant poursuivre dans la voie générale. L’orientation repose alors sur l’échec, c’est une orientation par défaut. Ce phénomène est dénoncé depuis longtemps, mais il faut bien constater qu’il persiste.
M. Jacques Grosperrin. Absolument !
M. Jacques Legendre. L’élève qui peut rester dans le cursus « normal » ne se posera jamais la question de savoir s’il aurait pu être attiré par une formation professionnelle. Il n’en a d’ailleurs pas l’occasion, puisqu’il n’a presque jamais été mis en contact avec l’univers professionnel. Cela accentue les inégalités sociales dont notre pays est justement accusé par l’étude PISA, la voie professionnelle n’attirant pas les enfants issus des milieux les plus favorisés.
Ce sont les raisons pour lesquelles mon rapport appelait à une réforme de l’orientation, afin que celle-ci soit réellement choisie par l’élève, en accord avec ses goûts et ses capacités. Il convient d’effectuer un réel travail sur les représentations, afin que l’élève ne se trouve pas prisonnier d’un imaginaire collectif. J’oserai dire qu’il faudrait que les orienteurs aient eux-mêmes une vraie connaissance de la vie professionnelle pour pouvoir en parler véritablement aux orientés.
M. Jean-Claude Carle. Élémentaire !
M. Jacques Legendre. Pour que l’orientation ait un sens, il faut que le collège devienne l’antichambre des études générales, technologiques et professionnelles, ce qui signifie que ces trois dimensions doivent être présentes dans la scolarité de tout collégien.
Des efforts ont été réalisés en ce sens – je pense au parcours de découverte des métiers et des formations, transformé en parcours Avenir par la majorité actuelle –, mais il faut bien évidemment aller plus loin et transformer radicalement la manière dont l’orientation est envisagée dans notre pays.
J’estime également que, pour lutter contre la hiérarchisation des filières au sein du baccalauréat, il faut assurer l’enseignement d’un tronc commun valant pour les trois voies. Chaque bachelier devrait acquérir certaines connaissances et compétences, la méthodologie pour y parvenir pouvant être adaptée à chacune des trois filières.
Nous devons avoir une équation présente à l’esprit : une bonne insertion professionnelle, ce sont des connaissances générales suffisantes, une qualification professionnelle attestée obtenue à l’issue de la formation, mais aussi un début d’expérience professionnelle pendant la scolarité.
Je souhaite développer un autre point à propos de la manière dont le baccalauréat professionnel a évolué : il s’agit de la confusion qui règne sur ses objectifs, de plus en plus de jeunes ayant tendance à vouloir ensuite poursuivre des études supérieures.
Effectivement, le baccalauréat est par tradition le premier grade de l’enseignement supérieur. Il permet donc à des bacheliers professionnels de s’engager dans des études supérieures qui ne sont pourtant pas la finalité de leur filière, puisque les baccalauréats professionnels sont d’abord destinés à une insertion rapide dans le monde du travail.
Ainsi, près d’un bachelier professionnel sur trois fait ce choix. Cependant, on le sait, environ la moitié d’entre eux vont sortir de l’enseignement supérieur sans diplôme. Un tel parcours se traduit, selon le Centre d’études et de recherche sur les qualifications, le CEREQ, par un taux de chômage supérieur de 3,2 % à celui qui aurait été le leur s’ils étaient entrés directement sur le marché du travail.
Je trouverais donc utile, madame la ministre, de sensibiliser en amont les bacheliers professionnels souhaitant s’engager dans des études longues aux difficultés qu’ils risquent de rencontrer. Il s’agit, encore une fois, du rôle de l’orientation, qui devrait prévoir, par exemple, un entretien personnalisé avant tout choix définitif.
J’estime que le caractère de filière courte du baccalauréat professionnel ne doit pas empêcher le jeune de reprendre une formation par la suite. Il s’agit d’une autre proposition figurant dans mon rapport.
Il faudrait, à l’avenir, que l’État s’engage à assurer au jeune qui a choisi, après le baccalauréat professionnel, d’entrer dans la vie active la possibilité de reprendre une formation – certains dispositifs de formation sont prévus à cet effet. L’engagement de l’État serait important, afin que chacun sache qu’il ne sera pas jugé toute sa vie en fonction du niveau atteint lorsqu’il a quitté le système scolaire pour entrer dans la vie professionnelle.
Tels sont, madame la ministre, les points que je souhaitais souligner. Le scandale absolu, inacceptable, ce sont les dizaines de milliers d’élèves qui sortent du système scolaire sans connaissances générales suffisantes et sans qualification professionnelle. L’apprentissage, l’alternance, l’enseignement technique ne sont pas en concurrence ; ils sont complémentaires. Puisse le Gouvernement le comprendre et appeler, dans ce domaine, à la mobilisation de tous au service de la jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l’UDI-UC, du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les membres du groupe UDI-UC sont très heureux de l’organisation de ce débat auquel nous voulons prendre toute notre part. En effet, pour nous, les questions de formation sont absolument essentielles au sein de l’action publique.
Je tiens à remercier le groupe CRC d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour et M. Abate d’en avoir posé le cadre, même si nous allons très certainement diverger dans l’appréciation des solutions à apporter, tant nos approches sont différentes. Quoi qu’il en soit, ce sujet extrêmement important pour les jeunes de notre pays mérite débat.
Le baccalauréat professionnel résulte de la déclaration, en 1984, du ministre de l’éducation nationale, Jean-Pierre Chevènement, estimant que 80 % des jeunes devaient arriver au baccalauréat.
Beaucoup se sont inquiétés de cette déclaration. Certains l’ont interprétée comme la volonté que 80 % des jeunes obtiennent le baccalauréat, ce qui semblait une mission particulièrement difficile à remplir. D’autres ont estimé qu’il s’agissait d’amener 80 % des jeunes au niveau du baccalauréat, de façon à élever le niveau général de formation.
Quoi qu’il en soit, il a fallu mesurer les conséquences d’une orientation de cette nature. En effet, un certain nombre de jeunes qui auraient pu choisir la voie professionnelle se sont sentis déroutés, car ils allaient devoir suivre des études plus générales que celles qu’ils envisageaient. Certes, une réponse a été apportée dès 1985, avec la création du baccalauréat professionnel qui a connu dans les dernières décennies diverses évolutions.
Néanmoins, il faut examiner objectivement la situation actuelle. On constate que 900 000 jeunes âgés de quinze ans à vingt-quatre ans ne sont actuellement ni en situation de formation, ni en situation d’emploi, ni en situation de stage, c’est-à-dire qu’ils sont livrés à eux-mêmes. On doit en déduire que notre système éducatif a failli jusqu’à présent, d’autant que 120 000 jeunes en sortent chaque année en situation d’échec scolaire. Pouvons-nous continuer ainsi ? Non, ce n’est pas raisonnable ! Il faut apporter un certain nombre de correctifs.
Un jeune sur quatre, dans la tranche d’âge de quinze ans à vingt-quatre ans, n’a pas d’emploi, quand le taux moyen de chômage de l’ensemble de la population est de 10 %. Cela montre bien que l’employabilité des jeunes pose un vrai problème et que des efforts de réadaptation et de réorientation doivent être entrepris.
Les élus du groupe UDI-UC ont la conviction que la formation professionnelle est une obligation qui s’impose à l’action publique. Bien sûr, il ne s’agit pas d’orienter l’ensemble des jeunes vers des formations à des métiers ; tous ceux qui le souhaitent doivent pouvoir suivre un enseignement général et acquérir une qualification professionnelle après le baccalauréat. Toutefois, il ne faut pas empêcher les jeunes qui souhaitent s’orienter vers des métiers manuels de le faire, parce que nous avons pu constater, ces dernières années, que les entreprises de certains secteurs ne parvenaient plus à trouver de main-d’œuvre qualifiée leur permettant de fonctionner. Je pense notamment aux plombiers ou aux couvreurs, et à un grand nombre de métiers du secteur du bâtiment. Et c’est la conséquence de la politique qui a été menée, madame la ministre. Un effort de réadaptation doit donc être absolument entrepris dans ce domaine.
Nous, élus centristes, estimons qu’il faut développer une approche identique pour les baccalauréats professionnels et l’apprentissage. Ce dernier constitue une voie essentielle pour la formation. Aussi, je suis heureux que le Sénat prépare un texte de loi consacré à ce sujet. Des signaux extrêmement forts doivent être émis pour encourager l’apprentissage dans notre pays. (M. Jacques Legendre acquiesce.)
Mes chers collègues, soyons francs : en la matière, les chiffres sont particulièrement inquiétants.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Michel Canevet. En 2013, on dénombrait, dans notre pays, 423 000 apprentis. En 2014, ils n’étaient plus que 400 000. En 2015, ce chiffre s’est établi, sauf erreur de ma part, à 403 000. Alors qu’il devrait augmenter, il a bien tendance à diminuer !
De plus, lorsqu’on observe ce domaine plus en détail, on constate que l’apprentissage est utilisé de plus en plus largement dans l’enseignement supérieur.
Mme Catherine Troendlé. Exact !
M. Michel Canevet. Par là même, les métiers manuels, ceux qui font appel aux savoir-faire, aux dons des jeunes, souffrent plus encore d’un défaut d’encouragement. Les élèves ne sont pas suffisamment orientés vers ces branches.
En conséquence, ces jeunes doivent faire l’objet d’une approche plus globale.
Mme Catherine Troendlé. Comme en Allemagne !
M. Michel Canevet. Cet enjeu s’observe particulièrement dans le secteur primaire.
Il y a quelques instants, Mme Beaufils a évoqué le domaine agricole. Je l’affirme à mon tour : l’agriculture est bien un secteur privilégié pour la formation professionnelle, et la formation par l’apprentissage pourrait y être développée.
Je suis moi-même élu d’une région où l’activité maritime est extrêmement importante. Le métier de marin est difficile. Or l’apprentissage n’est pas suffisamment développé pour permettre aux jeunes de découvrir sa réalité, avant de s’orienter dans cette voie. Dans cette branche, les formations professionnelles sont aujourd’hui insuffisantes.
La conséquence est claire : si la France est la première puissance maritime du monde, nos flottilles sont en train de s’effondrer, faute non de navires, mais de marins pour les armer. Cette situation est pour le moins paradoxale, alors même que, dans notre pays, le chômage bat de nouveaux records. La France – dois-je le rappeler ? – dénombre plus de 3,5 millions de chômeurs en catégorie A. Il importe de tout faire pour que les jeunes puissent se diriger vers de telles filières, qui ont besoin de main-d’œuvre.
Madame la ministre, je n’ai fait qu’évoquer l’échec scolaire. Je le précise toutefois : toutes les enquêtes menées, notamment l’enquête PISA, montrent clairement que, sur ce front, notre pays est en train de régresser. Il est donc urgent d’agir.
En la matière, les centristes proposent diverses mesures.
Premièrement, pour la préparation du baccalauréat professionnel, les enseignants doivent être plus formés à la réalité des métiers : s’ils veulent en transmettre les savoirs aux jeunes, ils doivent les connaître. À ce titre, je ne reviendrai pas sur l’orientation professionnelle, qu’a abordée Jacques Legendre.
Deuxièmement, l’apprentissage doit bénéficier d’une régionalisation accrue. À l’heure actuelle, on n’identifie pas très bien ceux qui en ont la responsabilité. À nos yeux, ce domaine exige un véritable pilote, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Troisièmement, enfin, il faut encourager le pluralisme dans les formations. Dans de nombreux domaines, comme dans l’enseignement agricole public, c’est le pluralisme qui permet d’obtenir des résultats ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, oui, réussir par la voie professionnelle, c’est possible !
Je vous le rappelle, le rôle assigné à l’enseignement professionnel est d’élever le niveau général des qualifications, donc de lutter contre le décrochage scolaire, d’augmenter la proportion de diplômés, d’améliorer l’insertion professionnelle et, ce faisant, de répondre aux besoins de recrutement.
À cet égard, l’enseignement professionnel est une véritable chance de réussite pour les jeunes, leurs familles et les entreprises.
Le lien avec le monde de l’entreprise, notamment via les vingt-deux semaines de stage, constitue la force du baccalauréat professionnel et l’atout essentiel pour l’insertion des lycéens.
Cela étant, l’orientation et la formation des élèves arrivant en seconde professionnelle doivent s’adapter aux besoins sociaux et économiques des territoires. Il s’agit là d’un impératif pour assurer une insertion professionnelle directe et réussie.
La carte des formations élaborée par l’éducation nationale, les régions et les entreprises tend à répondre au mieux à cet enjeu, même si, je le sais, les divers lycées professionnels de notre pays se trouvent dans des situations bien différentes.
Si certaines formations concernent des secteurs d’activité particulièrement dynamiques et propices à l’emploi – je songe notamment aux enseignements tournés vers les métiers innovants – et présentent une attractivité certaine, d’autres, comme celles qui sont relatives aux services à la personne que de précédents orateurs ont évoqués, subissent davantage de difficultés en termes de débouchés, dans la conjoncture actuelle.
La réforme de 2009 a suscité des craintes, et elle a imposé aux enseignants de s’adapter. Mais force est de constater une nette progression de la poursuite d’études de tous les élèves, notamment des troisièmes SEGPA.
Globalement, les effectifs des filières professionnelles au lycée ne cessent de croître. Le taux d’accès au baccalauréat d’un élève entrant en seconde professionnelle a plus que doublé depuis le vote de cette réforme. Si 60 % des bacheliers rejoignent directement le marché du travail, les autres poursuivent souvent leurs études vers un brevet de technicien supérieur, un BTS.
Madame la ministre, à présent, une réflexion relative à ce parcours scolaire complet, permettant une valorisation de l’enseignement supérieur, mérite d’être engagée.
Si le taux de réussite est bon – il s’établit, je le rappelle à mon tour, à 80 % –, un problème, déjà évoqué à cette tribune, perdure néanmoins : le décrochage.
Ne négligeons pas ce phénomène. En effet, il frappe la population scolaire qui cumule le plus de difficultés, ce – j’insiste sur ce point – malgré tout le travail de suivi des parcours et d’accompagnement individualisé mené sur les plans comportemental et scolaire, lequel fait la particularité et la richesse de cette formation.
Comme dans tous les systèmes éducatifs, et davantage encore dans cette filière, le but est bien de créer une école accueillante et bienveillante.
Les causes de cet échec sont bien connues. Parmi elles figurent les problèmes d’orientation, en particulier le choix par défaut. À cet égard, dès la troisième, l’offre de formation, en matière tant d’apprentissage sous statut de droit privé que de filières professionnelles sous statut scolaire, doit bénéficier d’une meilleure visibilité, pour les élèves et leurs familles.
Des efforts ont été accomplis. Je songe à la création du parcours Avenir et de classes de troisième prépa-pro. Les partenariats entre les centres de formation d’apprentis, les CFA, et les lycées professionnels sont utiles pour nos jeunes. Ils doivent permettre des passerelles et des complémentarités - et non une concurrence. Cela étant, je le sais, il reste encore du travail à accomplir.
S’y ajoute un facteur à ne pas négliger : l’image négative dont souffre l’enseignement professionnel, laquelle est véhiculée jusqu’au sein de l’éducation nationale.
Mme Françoise Laborde. C’est cela !
Mme Catherine Troendlé et M. Jacques Legendre. Eh oui !
Mme Maryvonne Blondin. Cette branche ne doit plus être perçue par les élèves, leur famille et les enseignants comme le parent pauvre de la politique éducative française. Au contraire, pour ces jeunes, elle est l’opportunité de construire un projet professionnel et personnel, pour devenir les citoyens actifs de demain.
Mes chers collègues, avant de conclure, je mentionnerai brièvement deux points.
Premièrement, l’éducation et la médiation artistiques et culturelles doivent avoir pleinement leur place dans tous ces établissements. Il en est de même de la mobilité nationale et internationale, grâce à laquelle des jeunes qui n’en ont pas l’opportunité dans la sphère privée pourront s’ouvrir au monde et à la citoyenneté.
Deuxièmement, il faut lutter contre la perpétuation des stéréotypes de genre, hélas trop présents dans ces établissements.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
Mme Hermeline Malherbe. Malheureusement !
Mme Maryvonne Blondin. Adaptabilité, professionnalisation, réactivité : tels sont les principes qui doivent guider la filière professionnelle. Ainsi conçu, l’enseignement des lycées professionnels offre réellement à notre jeunesse, et donc à notre pays, une voie de réussite humaine, personnelle et professionnelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
(M. Jean-Pierre Caffet remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, permettez-moi de remercier les élus du groupe CRC d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée. Je sais, en particulier, l’attachement que Brigitte Gonthier-Maurin porte à la voie professionnelle.
Trente ans après la création du bac pro, qui a permis de mener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, il est bon de se pencher sur l’état de la voie professionnelle, laquelle est la grande oubliée de la refondation de l’école.
Désormais préparé en trois ans, comme les baccalauréats général et technologique, le bac pro concerne près du quart d’une classe d’âge. Sa création avait pour finalité de mettre en avant l’intelligence du geste, et de la placer sur un pied d’égalité avec les savoirs académiques.
C’est d’ailleurs dans cet esprit que la commission de la culture a souhaité inscrire l’avis budgétaire consacré à l’enseignement professionnel dans sa réflexion globale relative aux crédits de l’enseignement scolaire. Mais l’idée d’une égalité des filières et des intelligences a malheureusement été dévoyée.
En effet, le constat n’est guère réjouissant : l’obtention d’un bac pro ne constitue pas le gage d’une insertion professionnelle. Sept mois après leur sortie de formation, seuls 43 % des bacheliers professionnels sont en emploi quand 46 % sont au chômage. Parmi ceux qui ont du travail, un tiers uniquement sont en CDI, le reste étant en CDD, en intérim ou en emploi aidé.
En revanche, parmi les titulaires d’un bac pro, on observe une propension croissante à la poursuite d’études. Deux causes permettent, à mon sens, d’expliquer ce phénomène.
La première cause est l’ambiguïté du positionnement même du bac pro. Alors que sa vocation première est et doit demeurer l’insertion dans l’emploi, ce diplôme est aujourd’hui promu comme une passerelle vers l’enseignement supérieur : c’est une forme de dévoiement !
La seconde cause découle du précédent constat : le bac pro n’est plus une voie sûre vers l’emploi. Ces diplômés sont plus nombreux à pousser la porte de Pôle emploi que celle d’une entreprise. Nombreux sont ceux qui, faute d’une perspective professionnelle, se dirigent vers des études longues.
Cette situation aboutit à l’envoi massif d’étudiants dans des filières où ils sont voués à échouer. Le taux d’échec des titulaires d’un bac pro s’élève à plus de 62 % en DUT, et à 95 % en licence universitaire. C’est tout à fait criminel ! Même en section de technicien supérieur un tiers des bacheliers professionnels échouent. Si ces formations sont conçues comme la suite logique de leurs études, ils y sont concurrencés par leurs camarades des autres filières.
Madame la ministre, l’instauration de quotas va dans le bon sens. Mais ces derniers suffiront-ils à inverser la tendance ?
Parallèlement, la voie professionnelle concentre les phénomènes de violence et de décrochage scolaires, alors même que la collectivité y consacre un grand effort financier : la formation d’un élève de lycée professionnel coûte 14 180 euros par an, contre 9 715 euros pour la scolarité d’un élève en lycée général et technologique.
Ce constat étant établi, dans quelle direction faut-il aller ?
Une évolution radicale des mentalités comme des structures est nécessaire.
Premièrement, il faut simplifier l’offre de formation et réduire le nombre de spécialités. Cet enseignement doit être adapté aux réalités économiques et à la diversité des territoires. Certaines spécialités, comme la comptabilité ou le textile, affichent des taux d’insertion dramatiquement bas, et pour cause : les métiers ont évolué. De surcroît, le contenu des formations doit être adapté aux besoins des entreprises, qui se transforment sans cesse. Les employeurs doivent être associés à la définition des référentiels de formation.
Deuxièmement, cet impératif a été rappelé, il faut développer le recours à l’apprentissage. Si la préparation du bac pro en trois ans se heurte à une réticence des entreprises à conclure des contrats d’apprentissage pour une telle durée, il convient de développer les parcours mixtes, qui mêlent une formation en alternance et des cours en lycée professionnel ou en CFA. Mieux vaudrait des parcours plus itératifs, avec une insertion professionnelle plus précoce, mais avec l’assurance de pouvoir poursuivre sa formation, voire se réorienter.
Troisièmement, la gouvernance des établissements professionnels doit être revue. En la matière, il serait de bon ton de s’inspirer de ce qui se pratique dans l’enseignement agricole, où la présidence du conseil d’administration est assurée non par le chef d’établissement, mais par une personnalité extérieure, généralement issue du monde économique. J’avais introduit dans la loi Fillon l’expérimentation de cette mesure : à mes yeux, elle doit désormais devenir la règle.
Quatrièmement, enfin, l’orientation des élèves, aujourd’hui en déshérence, appelle une clarification. Cette dernière passe par le transfert à la région de l’ensemble des moyens dédiés à l’orientation, dont les centres d’information et d’orientation, les CIO.
Mes chers collègues, à elles seules, ces mesures ne sauraient résoudre l’ensemble des difficultés. Mais elles permettraient de limiter l’énorme gâchis, sur le plan humain et en termes d’argent public, que constitue l’échec scolaire dans la voie professionnelle. Il s’agit de rendre cette dernière plus efficiente et plus équitable, mieux en phase avec les besoins de l’économie : c’est notre intérêt, c’est l’intérêt de notre jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 23 décembre 1985 était promulguée la loi de programme sur l’enseignement technique et professionnel. Cette loi importante, qui reprenait les orientations dégagées par la mission École-Entreprise, visait à rapprocher l’institution scolaire du monde du travail afin de favoriser l’emploi des jeunes hautement qualifiés.
Je tiens également à rendre hommage au travail de Jacques Legendre, dont on pourra bientôt célébrer le quarantième anniversaire en tant que secrétaire d’État chargé de la formation professionnelle. (Sourires.)
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. Jacques Grosperrin. Cette loi de programme était une loi de fin de législature adoptée par un gouvernement socialiste qui avait dû, pour ce faire, convaincre un certain nombre de syndicats parmi les plus conservateurs, CGT et SNES en tête. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
À trente années de distance, on ne peut que constater la triste constance de la formation politique à laquelle vous appartenez s’agissant de l’adaptation de la société aux nécessités de l’emploi.
C’est donc principalement à la droite, revenue aux affaires en 1986, et surtout à René Monory, dont il faut honorer la mémoire dans cette enceinte, que l’on doit le succès et la pérennité de quelques-unes des innovations de cette loi.
Il est vrai que ce baccalauréat professionnel a essaimé dans d’autres pays. Je rends à cet égard hommage au travail que vous avez accompli, madame la ministre, en faveur de l’instauration du baccalauréat professionnel au Maroc à la rentrée 2014-2015. Plutôt que de copier notre dispositif, le Maroc nous a demandé conseil : c’est une démarche intéressante, dont je salue la conclusion.
C’est bien à la loi du 23 décembre 1985 que nous devons l’instauration du baccalauréat professionnel. Son anniversaire – trente ans, le bel âge ! – donne l’occasion de revenir sur la réussite d’un diplôme insuffisamment valorisé. Il est surtout l’occasion d’élargir le propos pour porter un regard sévère sur la formation professionnelle.
Je m’interroge en particulier sur le vrai problème posé par l’entrée à l’université des titulaires du baccalauréat professionnel. On trompe selon moi nos jeunes quand on leur promet que ce diplôme permet d’accéder à l’université : le taux d’échec est trop important ! Je m’inscris en faux par rapport à la conception fréquente selon laquelle le baccalauréat professionnel est d’abord un diplôme : selon moi, il doit avant tout permettre d’obtenir un métier. Voilà ce qui, madame la ministre, nous distingue peut-être le plus à ce jour.
S’agissant du baccalauréat professionnel en lui-même, les chiffres démontrent que ce diplôme a su attirer un public nombreux. Ainsi, en juin 2015, 176 200 jeunes l’ont obtenu, sur un total de 617 900 nouveaux bacheliers. L’année de son trentième anniversaire, le bac professionnel représentait donc 22 % des nouveaux bacheliers. Il faut s’en féliciter : 60° % de ces bacheliers entrent directement sur le marché du travail après l’obtention de leur bac, où ils peuvent mettre à profit leurs connaissances. Il s’agit donc d’une clef puissante d’intégration sur le marché du travail.
De ce point de vue, la réforme portée par la précédente majorité et adoptée dès le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, en 2008, a bien atteint ses objectifs. Il s’agissait en effet de diminuer la durée de préparation de ce baccalauréat afin de recruter des candidats ayant un bon niveau en troisième, capables d’avoir le diplôme en trois ans plutôt que quatre, et donc d’aller chercher des candidats choisissant la filière professionnelle par choix et non par dépit.
On peut également s’interroger sur la suppression des classes du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, ou classes DIMA, qui permettaient aux élèves de réfléchir et les incitaient à choisir une voie professionnelle non pas par défaut, mais bien par envie.
Alors que le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans atteint 25 %, on ne peut que se féliciter de la bonne santé du baccalauréat professionnel et, peut-être, regretter que le Président de la République, qui a pourtant fait des jeunes et de la diminution du chômage les deux priorités de son mandat, n’ait pas porté un regard dans sa direction.
Si l’on élargit le propos à la formation professionnelle, on quitte inévitablement le registre du satisfecit pour celui du regret.
La formation professionnelle représente un budget annuel de 32 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget de la défense française, deuxième ministère le plus doté en France. Ce n’est pas rien !
Cette somme considérable devrait permettre d’atteindre des résultats du même ordre en matière d’accès à l’emploi. Or il n’en est rien, car ce budget est mal employé. En effet, il bénéficie principalement – à hauteur de 61 % – aux actifs occupés. On sait pourtant que le frein essentiel à l’emploi réside dans l’absence de formation : ces sommes trouveraient donc une utilité plus grande si elles étaient destinées à des personnes non formées.
Est-il donc vraiment judicieux de dépenser 20 milliards d’euros au profit de personnes qui occupent un emploi ? Poser la question, c’est déjà y répondre ! De surcroît, ceux qui profitent le moins de ce budget pharaonique sont les jeunes et les demandeurs d’emploi.
Bref, les moyens existent, mais ils sont très mal employés. De plus, là où la précédente majorité avait su simplifier le baccalauréat pour le rendre plus opérationnel, la majorité actuelle a réformé la formation professionnelle pour la rendre plus rigide. On peut difficilement faire pire ! Il serait temps, ô combien, de faire mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, quand on parle de formation en alternance, il y a de très fortes chances pour que les observateurs pensent d’abord à l’apprentissage et pour que leur regard se tourne vers nos voisins européens et, en particulier, vers l’Allemagne.
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Pourtant, avant d’aller regarder ce qui se fait ailleurs, avant de vanter le modèle allemand, souvent d’ailleurs sans le connaître très précisément, il est très important selon moi de regarder ce qui se fait ici, en France. En effet, la formation en alternance ne se résume pas ici à l’apprentissage : elle comprend aussi l’enseignement professionnel.
En évoquant celui-ci, j’aborde une voie dont la réputation n’est pas forcément à la hauteur de ce qui s’y passe concrètement, une voie qui est encore aujourd’hui ignorée et méconnue, alors même qu’elle répond depuis des décennies à un enjeu absolument essentiel : l’avenir économique de notre pays et sa prospérité.
Voilà pourquoi j’ai tenu à ce que soient célébrés cette année, de la meilleure des façons possibles, les trente ans du baccalauréat professionnel.
C’était en effet l’occasion de redonner un cap, une visibilité et du sens à cette voie qui, je tiens à le souligner, est une voie exigeante et une voie d’avenir, pour nos élèves comme pour notre pays tout entier.
L’enseignement professionnel forme depuis trente ans les ouvriers, les techniciens et les employés qualifiés dont la France a besoin.
Nous disposons sur le territoire national de 1 600 lycées professionnels. Chaque année, comme vous l’avez rappelé, près de 700 000 jeunes y sont formés à plus de 100 spécialités professionnelles. Celles-ci couvrent des domaines extrêmement variés, depuis l’hôtellerie-restauration jusqu’aux métiers d’art, en passant par l’aéronautique, l’automobile ou encore les services à la personne.
Certains de nos lycées professionnels intègrent d’ailleurs également une unité ou une section d’apprentissage, preuve que l’enseignement professionnel et l’apprentissage ne s’opposent pas.
Loin d’être en concurrence, ils sont en réalité deux voies complémentaires.
L’enseignement professionnel et l’apprentissage ne répondent tout simplement pas aux mêmes besoins de la part des élèves. Ils ne correspondent pas aux mêmes profils et proposent deux objectifs distincts.
L’apprentissage, pour lequel votre assemblée a manifesté depuis longtemps, et à raison, son attachement, prépare majoritairement les élèves au certificat d’aptitude professionnelle, tandis que l’enseignement professionnel mène quant à lui principalement au bac professionnel : neuf élèves sur dix passent le bac professionnel par cette voie.
Enfin, l’apprentissage repose sur le statut de salarié, les stages donnant lieu à une rémunération. Dans l’enseignement professionnel, en revanche, l’élève conserve son statut pendant les stages, ou périodes de formation en milieu professionnel. Autrement dit, aucun contrat n’est signé par l’entreprise d’accueil et le jeune, mais une convention de stage lie le lycée à cette entreprise.
Il existe également des différences relatives au nombre d’heures passées en entreprise : la répartition entre le temps en établissement et le temps en entreprise n’est pas la même suivant que l’on est apprenti ou lycéen professionnel.
Apprentissage et enseignement professionnel constituent donc deux voies distinctes qui répondent à des attentes et à des capacités différentes.
Certains élèves s’orienteront vers la voie de l’apprentissage, car ils auront une idée très claire du métier qu’ils souhaitent exercer et voudront être rapidement formés en entreprise, quand d’autres préfèreront recevoir une spécialisation plus progressive tout en bénéficiant d’une formation en alternance sous statut scolaire, ce que leur offrent les lycées professionnels.
Il existe toutefois quelque chose de commun à ces deux voies : le rapport solide qui se construit avec le monde professionnel. Cette relation est absolument fondamentale.
L’enseignement professionnel a besoin des entreprises et celles-ci ont besoin de ces jeunes professionnels. Leur relation doit donc être équilibrée. Voilà pourquoi s’est établi depuis plusieurs années un partenariat entre les lycées professionnels et le monde professionnel. Ce partenariat se révèle extrêmement fécond ; nous avons désormais suffisamment d’années de recul pour en juger.
Des preuves de ce succès, nous en avons tous les jours dans les réussites de nos élèves. Nous en obtenons aussi par le biais des comités où sont réévalués régulièrement les diplômes. Nous avons, ne serait-ce qu’à la dernière rentrée, réussi à rénover 19 de ces diplômes avec la plus grande fluidité. Oui, la relation entre le monde professionnel et l’enseignement professionnel fonctionne !
L’enseignement professionnel présente un autre atout : en conciliant des enseignements généraux et d’autres plus orientés vers la pratique, il évite aux élèves le piège d’une spécialisation trop précoce.
L’insertion professionnelle, pour les jeunes, est un cap, un objectif. Elle ne doit pas être un destin qui pèse de tout son poids sur l’élève. Dans la société d’aujourd’hui, un équilibre doit donc être trouvé entre une nécessaire spécialisation et une capacité d’adaptation, tout aussi précieuse compte tenu des nombreuses évolutions auxquelles chacun doit s’attendre au cours de sa vie professionnelle.
Voilà ce que permet l’enseignement professionnel. C’est aussi ce que nous défendons lorsque, par exemple, nous refusons de permettre à nouveau l’apprentissage dès quatorze ans.
M. Jacques Grosperrin. Mieux vaut sans doute le décrochage…
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Un apprentissage si précoce n’ouvre pas de perspectives : il les ferme ! Il ramène vers les problèmes d’autrefois plutôt que de répondre aux enjeux d’aujourd’hui.
Il nous semble bien plus important – la loi de refondation de l’école l’a d’ailleurs réaffirmé – que chaque élève puisse acquérir le socle commun de compétences, de connaissances et de culture afin de pouvoir poursuivre dans différentes voies. Il risquerait sinon de se retrouver bloqué dans sa vie professionnelle, faute d’acquis suffisants pour profiter pleinement, un jour, d’une formation continue.
L’enseignement professionnel, parce qu’il se construit à partir de domaines d’activité plutôt que d’un seul métier, laisse davantage de possibilités et d’opportunités aux élèves.
La complémentarité entre la formation en entreprise, qui représente, pour un élève de lycée professionnel, vingt-deux semaines sur l’ensemble de sa scolarité, et l’enseignement reçu au lycée dans les matières techniques et générales donne à l’élève une ouverture d’esprit et une curiosité qui sont, à notre époque, absolument déterminantes.
Ne vous y trompez pas, le message que je veux porter devant vous n’est pas une défense étriquée de l’enseignement professionnel contre un autre mode d’alternance. Bien au contraire, mon message exprime une conviction forte : ces voies de formation sont toutes deux essentielles à notre pays et nous devons travailler ensemble, en particulier avec les régions, pour favoriser leur développement et les valoriser l’une comme l’autre.
Telles sont les raisons pour lesquelles j’ai conduit une action déterminée en faveur de l’enseignement professionnel.
Mon action part d’abord d’un constat : alors même que la voie professionnelle, comme nous en convenons tous, est une force pour notre pays, elle reste profondément méconnue, non seulement auprès du grand public, mais aussi auprès de ceux qui décident de s’y engager.
Cette méconnaissance ne concerne d’ailleurs pas uniquement les lycées professionnels : elle touche la formation en alternance dans son ensemble. La plupart des élèves ne savent tout simplement pas ce que signifie une formation en alternance. Ils s’en font une idée vague, voire erronée.
Voilà pourquoi j’ai voulu que se développent le plus tôt possible des jumelages entre, d’une part, des collèges, et, d’autre part, des lycées professionnels et des CFA.
Nos élèves et leurs parents ont aujourd’hui le sentiment d’effectuer au terme de la troisième un saut dans l’inconnu.
M. Jacques Grosperrin. Eh oui !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Grâce à ces jumelages, ils pourront au contraire se diriger vers un domaine dont ils auront une représentation plus précise.
Ces jumelages bénéficieront également aux enseignants du collège, qui auront eux aussi une meilleure connaissance de l’enseignement professionnel et pourront ainsi mieux en parler avec leurs élèves. Je rejoins ainsi l’une des préoccupations formulées à cette tribune.
Enfin, ces jumelages doivent être l’occasion de travailler sur les représentations que les filles et les garçons se font des métiers qui leur correspondent. Nos élèves ont parfois des a priori profondément ancrés et entretenus par leur environnement familial, difficiles par conséquent à déconstruire.
Améliorer la connaissance de l’enseignement professionnel, c’est offrir une perspective plus juste et plus claire à ceux qui souhaitent suivre cette voie. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous dénoncé l’orientation subie, et nous partageons tous ce constat ; il faut donc la remplacer par une orientation éclairée et véritablement choisie, ce que nous faisons.
Qui plus est, l’orientation ne doit pas être irrémédiable. La voie professionnelle ne doit pas être un corridor sans issue.
M. Jean-Claude Carle. C’est vrai !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. C’est la raison pour laquelle, dès la rentrée prochaine, les élèves intégrant un lycée professionnel en classe de seconde professionnelle auront la possibilité de changer d’orientation jusqu’aux vacances de la Toussaint. Cette mesure concernera également les élèves en CAP.
M. Jacques Grosperrin. Cela sera difficile à gérer !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ceux-ci auront le temps de s’adapter et de s’assurer d’être dans la bonne voie, dans le bon domaine de spécialisation.
Même si ce n’est pas simple, nous rouvrirons les possibilités d’affectation aux vacances de la Toussaint, en discussion avec les équipes pédagogiques. Pourquoi réserver cette possibilité uniquement aux lycées professionnels et ne pas l’étendre à toutes les voies ? Cela tient à une raison simple : la singularité de l’enseignement professionnel et son haut degré d’exigence.
L’enseignement professionnel exige en effet de nos élèves une adaptation et un apprentissage considérables dans trois domaines : premièrement, les connaissances et les disciplines scolaires, comme pour toutes les voies, générale ou technologique ; deuxièmement, la découverte de l’alternance en tant que telle – l’élève appréhende très tôt la réalité du monde professionnel, quand, pour la plupart des élèves des sections générales ou technologiques, la découverte de l’entreprise s’effectue généralement après le baccalauréat – ; troisièmement, l’élève acquiert des connaissances et des compétences dans un secteur d’activité précis.
C’est un changement considérable, qui demande aux élèves une grande capacité d’adaptation au monde de l’école et à celui de l’entreprise. Voilà pourquoi les lycéens professionnels doivent avoir la possibilité de se réorienter. En effet, sans cette faculté, une mauvaise orientation peut avoir des conséquences infinies et accentuer terriblement les risques de décrochage au regard des exigences qui sont attendues.
Mieux orienter n’est pas suffisant : la seconde professionnelle doit aussi faire l’objet d’un soin particulier, en facilitant autant qu’il est possible l’adaptation de l’élève aux spécificités de la voie qu’il a choisie.
La première spécificité, c’est naturellement la formation en alternance.
Depuis la rentrée dernière, nous avons mis en place le « parcours Avenir » à partir de la sixième. Ainsi, tout au long du collège, les élèves sont initiés aux réalités du monde professionnel, apprennent à découvrir sa diversité et à s’orienter à la fin de la troisième. Il n’en reste pas moins nécessaire, pour les lycéens en classe de seconde professionnelle, de préparer au mieux la première des périodes de formation en milieu professionnel, ou PFMP, également appelées stages, car ces élèves ne détiennent pas nécessairement tous les codes avant d’arriver en entreprise.
C’est pourquoi j’ai souhaité – c’est une autre nouveauté – que soit instaurée, à partir de la classe de seconde professionnelle, une semaine de préparation à l’arrivée en entreprise. Cette semaine interviendra avant le début de la première période de formation en milieu professionnel et répondra à deux besoins : d’une part, former les lycéens aux attentes du monde professionnel dont ils n’ont le plus souvent qu’une connaissance assez vague ; d’autre part, leur inculquer les règles de santé et de sécurité indispensables, en particulier dans les métiers techniques.
Dans ce domaine, depuis un an, j’ai souhaité m’atteler à l’impossibilité pratique, pour un certain nombre de jeunes, de trouver une entreprise d’accueil.
M. Jean-Louis Carrère. C’est très important !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. C’est compliqué, surtout lorsque ces PFMP font partie de l’évaluation à la fin de l’année scolaire.
Face à ces difficultés, nous avons créé 330 pôles de stage sur l’ensemble du territoire, chaque pôle de stage étant constitué à l’échelle d’un bassin d’emploi pour trouver les stages en faveur des élèves qui sont restés sur le carreau au terme de leurs propres recherches.
Mme Françoise Laborde. C’est bien !
M. Jean-Louis Carrère. C’est très bien !
M. Jacques Grosperrin. C’est la seule bonne nouvelle !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. C’est une nouveauté à laquelle je suis très attachée et sur laquelle je voulais insister.
Si nous préparons en amont les élèves à leur entrée dans le monde professionnel, nous n’oublions pas de faciliter leur entrée dans l’enseignement professionnel en général.
Des journées d’accueil et d’intégration seront ainsi mises en place à la rentrée prochaine, à destination des élèves de seconde professionnelle.
En effet, deux éléments sont décisifs pour assurer la réussite d’un élève dans la voie professionnelle : en premier lieu, une orientation qui s’appuie sur des informations et, davantage encore, sur une connaissance précise de la réalité du lycée professionnel, en second lieu, un accueil qui pose d’emblée un cadre très structuré.
D’ailleurs, la mise en place des journées d’accueil en début de seconde professionnelle n’est pas à proprement parler une invention du ministère : elle constitue une généralisation de ce qui a été expérimenté et a très bien fonctionné dans certains établissements.
J’en viens à un autre chantier qui nous a beaucoup occupés – il continue de le faire –, qui a pour effet de valoriser l’enseignement professionnel aux yeux tant de ses élèves que du monde économique extérieur, celui des campus des métiers et des qualifications, que nous avons créés en 2013, et que certains ont évoqué.
Les campus des métiers et des qualifications constituent des pôles d’excellence en matière de formation en alternance. Ils regroupent les formations sous statut scolaire en lycée professionnel et sous statut d’apprenti en centre de formation d’apprentis ou en section d’apprentissage, ainsi que des universités et des laboratoires de recherche au service d’un secteur professionnel donné, par exemple le numérique à Clermont-Ferrand ou les métiers de la mer à Brest, selon les dynamiques économiques territoriales.
Nous constatons depuis 2013 le grand succès de ces campus des métiers et des qualifications, ce qui nous a conduits à élargir encore davantage le dispositif. Ainsi, dix nouveaux campus ont été labellisés ce mois-ci, et nous lancerons un appel à projets pour permettre aux acteurs territoriaux – régions et académies – et à leurs partenaires économiques de proposer, eux aussi, de nouveaux campus.
Ces campus sont importants à plus d’un titre. À l’échelle d’un territoire, ils sont la valorisation d’une filière économique porteuse de débouchés professionnels. Ils permettent aux élèves de valoriser sur leur curriculum vitae l’appartenance à ce réseau très large et, surtout, d’avoir accès à des passerelles beaucoup plus facilement entre le lycée professionnel et une poursuite d’études en école d’ingénieur ou un travail d’application avec un laboratoire de recherche.
Les campus des métiers et des qualifications faisant l’objet d’un partenariat avec les régions, il me paraît très important que nous renforcions cette coopération sur la question de la carte des formations. Vous l’avez souligné, la loi de 2013 permet d’avancer de façon beaucoup plus efficiente en ce sens. Je recevrai donc très prochainement – je commencerai dès demain matin ! – chacun des présidents des treize régions pour envisager avec eux la façon d’utiliser les 500 nouvelles formations annoncées pour l’enseignement professionnel et centrées sur les métiers de demain, sur le fondement de l’étude de France Stratégie.
Pour soutenir la mise en place de ces 500 nouvelles formations, 1 000 postes d’enseignants seront créés dans les lycées professionnels à la rentrée 2017. Nous savons que, d’ici à 2022, un certain nombre de secteurs – sécurité, aéronautique, services à la personne… – manqueront de main-d’œuvre. C'est la raison pour laquelle nous voulons que l’enseignement professionnel puisse développer les formations correspondantes.
Ce travail de cartographie des formations devra s’effectuer au plus près du terrain, aux côtés des décideurs territoriaux, c’est-à-dire les présidents de région. Ce travail de cartographie ne s’arrêtera pas…
M. Jacques Grosperrin. En 2017 !…
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … à décider quel baccalauréat professionnel créer ici ou là, mais se prolongera. En effet, j’ai toujours présente à l’esprit la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur. Il s’agira de déterminer quelle section de technicien supérieur créer pour rendre réel ce droit d’accès aux STS que nous avons voulu ouvrir aux bacheliers professionnels.
Mme Maryvonne Blondin. Bien sûr !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je rappelle que j’ai demandé aux recteurs de fixer des quotas de plus en plus ambitieux, pour créer une dynamique positive d’année en année. La loi de 2013 a ouvert la possibilité des quotas, qui s’est traduite dans un premier temps par une légère amélioration, qui ne semble pas encore satisfaisante. C’est la raison pour laquelle, dès la rentrée prochaine, je souhaite des quotas plus élevés, territoire par territoire, et le développement des STS.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’un d’entre vous a parlé très justement de la nécessité de bien accompagner les bacheliers professionnels au moment de leur choix post-bac. C’est une évidence. L’accès aux STS peut être une partie de la réponse. Il n’en reste pas moins que, pour ceux qui font le choix d’aller à l’université, il faut une orientation prescriptive pour les aider dans leurs démarches.
M. Jean-Claude Carle. Bien sûr !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. J’attire votre attention sur l’ensemble des dispositions que nous avons récemment adoptées pour améliorer le dispositif d’admission post-bac, ou APB. Je pense notamment à la mesure rendant désormais accessibles aux enseignants, professeurs principaux et chefs d’établissement, les choix effectués par les lycéens au moment de leurs vœux sur le site APB, afin que ceux-ci puissent en rediscuter avec eux entre la première inscription et la confirmation de cette inscription et bénéficier d’un accompagnement spécifique et personnalisé. Cela est d’autant plus important pour les futurs bacheliers professionnels qui ont besoin d’aide pour formuler leurs vœux de poursuite d’études en s’appuyant sur des statistiques d’insertion, de réussite dans la filière, etc.
Valoriser l’enseignement professionnel se traduit aussi par des engagements à l’égard des enseignants eux-mêmes. Vous savez qu’un certain nombre d’injustices touchant les professeurs de lycée professionnel devaient être réparées. Tout n’a pas été fait : pour une part, c’est un travail qui reste devant nous. Toutefois, dès la rentrée 2015, nous avons déjà mis en œuvre une indemnité de 300 euros pour ces professeurs…
M. Jacques Grosperrin. Quelle somme ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … qui sera revalorisée à 400 euros à compter de la rentrée 2016. Cette indemnité a vocation à évoluer positivement pour se rapprocher de ce que perçoivent les enseignants de l’enseignement général.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je souhaitais formuler en quelques mots. Si je reconnais les qualités et les forces de l’enseignement professionnel, je ne puis passer sous silence ses difficultés et les défis qu’il doit relever.
En trente ans, le baccalauréat professionnel a beaucoup changé. Nous devons en tenir compte.
La première évolution concerne le passage du baccalauréat professionnel de quatre ans à trois ans, que vous avez tous évoqué. Je le dis clairement, nous ne reviendrons pas au baccalauréat professionnel en quatre ans.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Les circonstances dans lesquelles ce baccalauréat professionnel en trois ans a été mis en place à l’époque étaient inacceptables, je ne dirai pas le contraire.
M. Jacques Grosperrin. Nous non plus !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Nous savons bien que la réforme reposait sur une logique purement comptable et sur des suppressions de postes massives.
M. Jacques Chiron. La RGPP !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Cependant, cette réforme mise en place pour de mauvaises raisons a eu un effet bénéfique, que je reconnais volontiers, en établissant une égalité entre la voie professionnelle et les autres.
La création du baccalauréat professionnel supposait trois voies d’égales dignités, comme vous l’avez dit : au nom de quoi pouvait-on estimer que certains avaient besoin de quatre ans pour passer le baccalauréat et d’autres de trois ans ? Ce n’était ni juste ni logique.
Je rappelle qu’en quatre ans le nombre de bacheliers professionnels a augmenté de 61 % et que le pourcentage de réussite au baccalauréat professionnel est de 84,6 %. Preuve, s’il en était besoin, que les lycéens professionnels sont tout à fait capables d’obtenir, comme tous les autres élèves, leur baccalauréat en trois ans !
La seconde évolution concerne la tension qui s’est établie, au fil des années, entre la vocation initiale du baccalauréat professionnel – une intégration rapide sur le marché de l’emploi – et une tendance de plus en plus forte, à l’heure actuelle, à la poursuite des études.
À ce sujet, ma réponse sera claire. Le baccalauréat professionnel a d’abord vocation à une intégration rapide sur le marché de l’emploi. D’ailleurs, 67 % des bacheliers professionnels ont trouvé un emploi trois mois après l’obtention de leur diplôme.
M. Michel Canevet. Non !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Cette vocation d’origine demeure inchangée et reste prioritaire. Pour autant, nous n’ignorons pas la réalité des changements qui se produisent aujourd'hui. (M. Michel Canevet s’exclame.) Je suis d’accord avec vous, monsieur le sénateur : un jeune bachelier professionnel sur deux souhaite désormais poursuivre des études supérieures. Seulement, pour que la poursuite d’études puisse faire sens, je l’ai dit tout à l’heure, il convient, encore et toujours, de la préparer et de l’accompagner. Voilà pourquoi j’évoquais tout à l’heure l’accès aux sections de technicien supérieur.
C’est également en ce sens que nous avons lancé en janvier dernier les « parcours d’excellence », qui permettent dès la classe de troisième d’aider de jeunes collégiens à poursuivre leurs études au lycée afin qu’ils puissent ensuite suivre des études supérieures. Il s’agit de les motiver, de les coacher, de les conseiller, à l’instar de ce que faisaient les « cordées de la réussite ». Alors que ce dispositif était axé sur le lycée général, nous essayons de le corriger afin de le généraliser. Les parcours d’excellence concerneront donc aussi bien les lycées généraux que les lycées professionnels et technologiques.
En accompagnant et en motivant ces élèves, nous les conduirons vers les filières d’excellence. Quand je dis « nous », je parle de tuteurs venus du monde de l’entreprise, de l’université, de l’enseignement supérieur. Nous ferons en sorte que l’enseignement professionnel fasse partie des filières d’excellence. C’est aussi une façon de le valoriser.
Pour conclure, la création du baccalauréat professionnel voilà trente ans répondait à un besoin : il s’agissait de former des personnels qualifiés. Ce besoin n’a pas changé. Aujourd’hui encore, nous avons évidemment besoin de personnes qualifiées, compétentes, et il en sera toujours ainsi.
J’espère sincèrement que nous réussirons à faire admettre que l’adjectif « professionnel » accolé au mot « enseignement » désigne d’abord une qualité, très précieuse, et que la France a immensément besoin de tous ces professionnels formés dans nos lycées.
Pour cette raison, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à nous accompagner dans les démarches de valorisation et de modernisation de l’enseignement professionnel que nous entreprenons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur « le trentième anniversaire du baccalauréat professionnel ».
5
Candidatures à des commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente aux commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion : du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs ; du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle
Ces listes ont été publiées et les nominations des membres de ces commissions mixtes paritaires auront lieu conformément à l’article 12 du règlement.
6
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de quatre sénateurs désignés pour siéger au sein du Conseil national de la mer et des littoraux. La commission des lois a fait connaître qu’elle propose les candidatures de M. Pierre Frogier comme membre titulaire et de M. Thani Mohamed Soilihi comme membre suppléant pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a fait connaître qu’elle propose les candidatures de Mme Odette Herviaux comme membre titulaire et de Mme Annick Billon comme membre suppléant pour siéger au sein de ce même organisme.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
7
Incivilités et terrorisme dans les transports collectifs de voyageurs
Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs (texte de la commission n° 382, rapport n° 381).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. François Bonhomme, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, la commission mixte paritaire a abouti à un accord voilà quelques jours sur la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
Ce texte a pour objet de répondre à deux préoccupations majeures et récurrentes en matière de transport collectif de personnes : la fraude et les risques de sécurité, ce dernier sujet étant particulièrement d’actualité.
La commission mixte paritaire avait de multiples sujets à examiner, dont la difficulté était variable. Sur de nombreux articles, les membres de la commission mixte paritaire n’ont pas rencontré de difficulté majeure pour trouver un accord.
Ainsi, à l’article 2, la précision apportée sur les contrôles exercés par les forces de l’ordre sur les agents des services internes de sécurité permettra d’encadrer le contrôle tout en précisant sa nature. J’ajoute que l’obligation de fournir un bilan annuel de ces contrôles au Défenseur des droits imposera un calendrier d’inspection et de contrôle et les rendra donc effectifs.
Le rétablissement de la garantie que constitue la présentation de la carte professionnelle par les agents des services internes de sécurité intervenant en civil à toute personne en faisant la demande, à l’article 3, est également un élément utile ; il se combine avec les dispositions votées par le Sénat visant à sécuriser les conditions d’intervention des agents de sécurité privée lorsqu’ils interviendront en tenue civile.
À l’article 8, la commission mixte paritaire a ramené de trois à cinq le nombre nécessaire de contraventions reçues en cas de défaut de titre de transport pour constituer le délit de fraude d’habitude dans les transports publics. Je rappelle que, actuellement, il faut avoir fait l’objet de dix contraventions sur une période d’un an pour être passible du délit de fraude d’habitude dans les transports en commun. En pratique, ces conditions rendent ce délit difficile à constituer, même si près de 700 condamnations ont été prononcées à ce titre l’année dernière. Il me semble donc que le seuil de cinq contraventions constitue un bon équilibre.
La commission a apporté plusieurs améliorations à l’article 9 visant à permettre à la personne morale créée par le texte de disposer d’éléments afin d’identifier plus facilement les fraudeurs. Comme vous le savez, ces derniers fournissent bien souvent des identités ou des adresses erronées aux agents de contrôle.
À l’article 13, une infraction sanctionnant le signalement de contrôles en cours dans les réseaux de transports publics de voyageurs, adoptée par la commission, devrait permettre d’enrayer cette pratique, ou en tout cas de limiter celle-ci.
Si d’autres dispositions ont suscité des discussions approfondies lors de la réunion de la commission mixte paritaire, elles ont également fait l’objet d’un compromis tout à fait satisfaisant, me semble-t-il.
Ainsi, l’article 1er ter, inséré sur l’initiative de notre collègue Alain Fouché, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, prévoit de permettre l’expérimentation d’un dispositif de caméras-piétons, au bénéfice des agents des services internes de sécurité. La question se posait de soumettre ou non ce mécanisme au régime de la vidéoprotection, tel qu’il est défini dans le code de la sécurité intérieure.
La rédaction adoptée vise donc à créer un régime ad hoc pour ces caméras-piétons. Toutefois, en la matière, les garanties à offrir aux personnes filmées doivent être fixées par la loi. En conséquence, même si ces caméras ne seront pas soumises aux dispositions de la vidéoprotection prévues dans le code de la sécurité intérieure, un certain nombre de renvois ont été effectués vers certaines de ses dispositions, en particulier pour permettre aux personnes enregistrées d’accéder ultérieurement aux images et aux sons enregistrés.
L’article 3 bis permet un contrôle des personnes exerçant des fonctions sensibles dans le domaine des transports collectifs de personnes, ou « criblage ». Cet article important a fait l’objet de nombreux échanges afin d’aboutir à une rédaction équilibrée et, me semble-t-il, efficace. Ainsi, la possibilité de contrôler les personnes ayant déjà été recrutées a été maintenue ; en outre, cette possibilité a été étendue aux entreprises de transport de fret, ce qui est un apport indéniable. Enfin, ces enquêtes pourront être menées à la demande de l’employeur, mais aussi sur l’initiative de l’administration, l’employeur étant informé dans tous les cas des résultats de l’enquête.
Le principe d’une obligation de sécurité à la charge des exploitants de transports publics de personnes a été réintroduit à l’article 6 ter du texte, sous une forme modifiée, afin notamment de lever une ambiguïté sur la possibilité pour les exploitants, autres que la SNCF ou la RATP, de se doter de services internes de sécurité régis par le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS. Surtout, après de longs débats, le principe d’une convention de sûreté dans les transports entre le préfet, les autorités organisatrices de transport et les exploitants a été retenu, sous la réserve toutefois que ce contrat ne mette pas à la charge des autorités organisatrices de transport le financement d’actions ou de services relevant de l’État en application de la loi.
J’en viens, enfin, à l’article 14 de la proposition de loi, inséré sur l’initiative des députés et supprimé par le Sénat. Cet article avait pour objet de lutter contre le harcèlement dans les transports collectifs de voyageurs. La formule initiale posait toutefois des difficultés juridiques, car elle laissait entendre notamment que les harcèlements et les violences pouvaient ne pas être des faits délictuels, alors que ce sont bien des délits et qu’ils doivent de ce fait être poursuivis comme tels, notamment sous la qualification pénale de harcèlement sexuel. En outre, l’obligation de formation des agents des services de sécurité interne relevait du pouvoir réglementaire.
En commission mixte paritaire, un important travail a été mené pour trouver une rédaction permettant de répondre à l’attente exprimée. Une rédaction commune a été élaborée. Un bilan des actions entreprises pour prévenir et recenser les atteintes à caractère sexiste sera adressé annuellement au Défenseur des droits, à l’Observatoire national des violences faites aux femmes et au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes par les autorités organisatrices de transport. Cette disposition implique que les autorités organisatrices de transport ne devront adresser ce bilan que si elles sont confrontées sur leurs réseaux à ce type de violences.
Par ailleurs, j’ai proposé que la prévention des violences et des atteintes à caractère sexiste soit non pas simplement un axe de la formation des agents des services internes de sécurité parmi d’autres, mais bien un axe prioritaire de leur action quotidienne, ce qui me semble plus effectif qu’une simple obligation de formation. La disposition qui a été adoptée par la commission mixte paritaire me semble donc désormais tout à fait équilibrée.
En conclusion, mes chers collègues, le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission mixte paritaire donne des moyens efficaces et accrus aussi bien à l’État qu’aux différents opérateurs de transports ou aux exploitants pour répondre effectivement aux préoccupations exprimées en matière de sécurité et de lutte contre la fraude.
Je vous propose donc d’adopter ce texte, moyennant l’adoption de trois amendements de coordination présentés par le Gouvernement, sur lesquels la commission des lois a émis un avis favorable. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme la vice-présidente de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour examiner les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports publics de voyageurs.
L’une des priorités de l’action du Gouvernement en matière d’ordre public est de garantir partout en France le droit fondamental à la sécurité dont chaque Français doit pouvoir jouir lors de ses déplacements.
Chaque jour, sur l’ensemble du territoire national, des millions de Français et de visiteurs étrangers empruntent les transports publics. Ces derniers constituent donc un élément central dans la vie quotidienne de la plupart de nos concitoyens. Qu’il s’agisse du bus, du métro, du tramway ou encore du train, les transports publics constituent à la fois une condition de notre liberté de circulation, un facteur de développement économique et un atout pour notre industrie touristique. Il est donc de notre responsabilité de faire en sorte que nos concitoyens qui les utilisent puissent le faire en toute tranquillité, sans craindre d’être victimes de la délinquance ou, a fortiori, d’une entreprise terroriste.
Je veux rappeler que ce texte est d’abord le résultat de nombreux échanges, particulièrement riches et fructueux, conduits durant plusieurs mois entre l’État, les opérateurs de transports et les parlementaires.
En effet, le 16 décembre 2014, le Comité national de la sécurité dans les transports en commun, le CNSTC, après un long travail réalisé en amont, a proposé un premier train de mesures contre la fraude, que reprend la proposition de loi. Celle-ci a donc largement bénéficié du dialogue que le Gouvernement a su renouer avec l’ensemble des transporteurs, puisque, dès le mois de juin 2014, le Gouvernement, sous l’impulsion du ministre de l’intérieur, avait en effet souhaité réactiver le CNSTC, qui, après sa création en 2008, ne s’était réuni qu’une seule fois – en décembre 2011 – et n’avait depuis lors jamais plus été sollicité.
En lien avec les opérateurs de transports, nous avons pu évaluer avec précision les besoins en matière de sécurité, avant d’identifier les évolutions juridiques qui apparaissaient nécessaires pour que l’action des forces de l’ordre et celle des services de sécurité internes – la surveillance générale, la SUGE, de la sûreté ferroviaire de la SNCF et le groupe de protection et de sécurisation des réseaux, le GPSR, de la RATP – puissent gagner en efficacité.
Je veux tout particulièrement saluer le travail remarquable qu’ont réalisé les sénateurs François Bonhomme et Alain Fouché, respectivement rapporteur de la commission des lois et rapporteur pour avis de la commission du développement durable, afin d’améliorer le texte et de consolider les solutions juridiques susceptibles de nous aider à lutter plus efficacement contre les phénomènes criminels et délinquants, quels qu’ils soient, dans les transports en commun.
Le travail qu’ils ont conduit en lien avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, Gilles Savary, a permis l’adoption de mesures essentielles que je veux rappeler devant vous.
Cette proposition de loi précise notamment le cadre dans lequel, au même titre que les agents de sécurité privée, les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP seront désormais autorisés, avec le consentement des passagers, à procéder à l’inspection visuelle des bagages, le cas échéant à leur fouille et, lorsque les circonstances le commandent, à des palpations de sécurité.
Afin de mieux lutter contre la fraude, la proposition de loi instaure également un « droit de communication » entre les exploitants des transports publics et les administrations publiques – finances et organismes sociaux : il permettra de fiabiliser les adresses des contrevenants une fois ceux-ci verbalisés afin d’obtenir un meilleur recouvrement des amendes.
L’abaissement de dix à cinq contraventions nécessaires en cas de défaut de titre de transport pour constituer le délit de « fraude d’habitude » participe également de la politique de lutte contre la fraude.
La proposition de loi permettra désormais aux agents de police municipale de constater les infractions au code des transports.
Enfin, je salue l’accord trouvé en commission mixte paritaire concernant l’article relatif à la lutte contre les violences et harcèlements à caractère sexiste dans les transports. La nouvelle version de l’article prévoit que ces faits fassent l’objet d’un rapport annuel qui sera transmis au Défenseur des droits, à l’Observatoire national des violences faites aux femmes, et au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Je connais, par ailleurs, la mobilisation du Sénat pour trouver des solutions concrètes et efficaces sur ces sujets. La mesure permettant la transmission en temps réel des images de vidéoprotection des transporteurs privés vers les forces de l’ordre, adoptée sur votre initiative, participe de ces actions concrètes.
En conclusion, le Gouvernement soutient pleinement l’adoption de cette proposition de loi dans la mesure où elle nous permettra de renforcer la sécurité des usagers des transports publics sur l’ensemble du territoire national, dans un contexte de menace terroriste particulièrement élevée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leroy.
M. Jean-Claude Leroy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il était important qu’un accord puisse être trouvé sur ce texte relatif à la lutte contre les incivilités et contre les atteintes à la sécurité dans les transports. Les débats, on l’a dit, ont été très riches, ce dont atteste l’augmentation du nombre d’articles, qui est passé de neuf dans le texte initial à vingt dans celui qui est issu de la commission mixte paritaire.
Chacune des deux assemblées a su faire des concessions pour parvenir à un texte commun. Le Sénat et l’Assemblée nationale se sont facilement retrouvés sur plusieurs articles.
C’est le cas notamment sur l’autorisation de transmission en temps réel aux forces de l’ordre des images réalisées au sein des véhicules et emprises immobilières de transports publics, sur l’unification de l’application du régime répressif de la « vente à la sauvette » dans les gares, ou sur la sanction pénale pour le manquement à l’obligation de rester à la disposition de l’agent assermenté pendant le temps nécessaire pour qu’un officier de police judiciaire soit informé. Il en est de même sur la création d’un nouveau délit de presse pour lutter contre la pratique des mutuelles de fraudeurs ou sur l’extension des compétences des polices municipales à l’exercice de la police des transports.
À ce sujet, comme l’avait voté le Sénat lors du débat, le texte final place les polices municipales sous l’autorité du maire, y compris lorsque le réseau s’étend à une intercommunalité. Certes, il y avait débat : fallait-il ou non créer les polices territoriales ? Le texte final ne va pas jusqu’à reprendre cette mesure, préconisée par notre collègue René Vandierendonck dans son rapport, mais prévoit néanmoins que des agents de police municipale pourront être mis en commun à l’échelle d’un groupe de communes.
La navette parlementaire aura permis aussi d’améliorer sensiblement la rédaction de nombreuses dispositions et de consolider les garanties apportées en matière de protection des libertés individuelles et de la vie privée. Il en est ainsi notamment pour l’expérimentation du dispositif des caméras-piétons au bénéfice des agents de services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
La rédaction adoptée en commission mixte paritaire encadre strictement l’usage de ce dispositif et apporte toutes les garanties pour les personnes filmées, en veillant au bon usage des images produites. L’expérimentation sera lancée à partir du 1er janvier 2017, pour une durée de trois ans, et fera l’objet d’un bilan dans les deux ans suivant son entrée en vigueur.
De même, en ce qui concerne le droit de communication entre les exploitants de transports et les administrations publiques afin d’améliorer le recouvrement des amendes, la commission mixte paritaire a renforcé les garanties sur les données collectées. Le dispositif proposé est restreint et proportionné, et les données sont protégées, notamment par la non-divulgation à des tiers. Ainsi, les agents de l’exploitant chargés du recouvrement des amendes seront tenus au secret professionnel et les exploitants pourront conclure des conventions de mise à disposition de leurs agents au bénéfice du Trésor public pour recouvrer les amendes majorées.
Des garanties ont également été introduites, sur l’initiative du Sénat, en ce qui concerne l’inspection visuelle et la fouille des bagages par les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire, prévues à l’article 6.
En ce qui concerne le contrôle des agents de sécurité de la SNCF et de la RATP par les forces de l’ordre mentionné à l’article 2, la suppression de la supervision du CNAPS sur la formation de ces agents est pour nous une source de satisfaction.
Les différents outils mis en place pour le contrôle des agents du SUGE et du GPRS semblent parfaitement adaptés. Il faut souligner que, à l’initiative du groupe socialiste du Sénat, ce contrôle a été renforcé afin de permettre aux forces de l’ordre d’avoir accès aux registres du personnel et aux locaux des services, lorsque les contrôles sont – et c’est important pour nous de le préciser – en lien avec les activités opérationnelles des agents de sécurité.
Quant au contrôle préalable avant le recrutement ou l’affectation des personnels, la version finale du texte répond aux interrogations soulevées au cours des débats. L’efficience de la procédure de criblage est assurée par l’élargissement du champ d’application à l’ensemble du domaine du transport public, y compris le transport de marchandises dangereuses. L’objet de l’enquête administrative est précisé, de même que le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés est prévu. Et comme le souhaitait le groupe socialiste du Sénat, l’information préalable de la personne concernée est assurée.
Par ailleurs, il est important que l’ensemble des usagers des transports, et non pas seulement les Franciliens, bénéficient des mêmes garanties de sûreté. Nous nous réjouissons donc du rétablissement de l’article 6 ter qui introduit l’obligation, pour tous les opérateurs de transports urbains, d’assurer la sûreté de leur réseau, où qu’il se trouve sur le territoire, et donne la possibilité à tous les réseaux de transports en commun de se doter de services de sécurité internes en fonction de leurs spécificités locales.
La conclusion d’un contrat départemental d’objectifs de sécurité dans les transports entre le préfet, les autorités organisatrices de transports et les exploitants est facultative, ce qui permet de ne pas faire peser sur les AOT, notamment sur les plus petites d’entre elles, une charge excessive. Le fait que ce contrat ne puisse pas mettre à la charge des AOT le financement d’actions qui relèvent de la compétence exclusive de l’État évite le transfert par l’État des charges de police et de gendarmerie aux AOT, ce qui ne peut que rassurer les collègues qui craignaient ces transferts de charge.
En ce qui concerne, plus généralement, la problématique financière, il faut constater que l’article 6 quinquies qui prévoit le dépôt d’un rapport gouvernemental sur le coût de la sécurité dans les transports et sur ses modalités de financement a été fort opportunément rétabli. Les mesures peuvent engendrer des coûts importants. Certes, la disposition ne va pas jusqu’à évoquer la création d’une redevance de sûreté, mais nous oblige à réfléchir sur les modalités de financement, à l’instar de ce qui est fait dans le transport aérien.
Enfin, nous nous réjouissons du rétablissement du titre III et de l’article 14 – auxquels nous tenions tout particulièrement – relatifs à la lutte contre le harcèlement et les violences faites aux femmes dans les transports. Ne pas traiter de ce problème dans un texte sur la sécurité dans les transports publics aurait en effet été paradoxal au moment où les pouvoirs publics se mobilisent fortement sur ce sujet jusqu’alors visiblement ignoré. Le texte reprend en cela une des mesures proposées par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, dont s’est inspiré le Gouvernement pour élaborer son plan de lutte contre ces comportements.
Pour conclure, le Parlement est à nos yeux parvenu à élaborer un texte équilibré. Nous y voyons là un des effets positifs du bicamérisme, qui aboutit à des lois également équilibrées.
La proposition de loi apporte selon nous des réponses cohérentes et proportionnées aux enjeux importants en termes de prévention des actes terroristes, des incivilités ou de lutte contre la fraude auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés dans le domaine des transports publics terrestres. Il s’agit d’un texte de sécurité qui garantit par ailleurs les libertés publiques. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste soutient pleinement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, un peu plus d’un mois après la première lecture, nous sommes réunis aujourd’hui pour nous prononcer sur la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, dans sa rédaction issue de la commission mixte paritaire.
Considérant que, si certaines dispositions étaient probablement de nature à rendre les transports plus sûrs pour tous et à lutter contre la fraude, d’autres semblaient faire peser une menace relativement lourde sur nos libertés individuelles, le groupe écologiste s’était abstenu.
Je voudrais tout d’abord souligner la rapidité avec laquelle cette proposition de loi est examinée. Déposée en octobre 2015, elle devrait être adoptée aujourd’hui, soit moins de cinq mois après son dépôt, ce qui est très satisfaisant.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. En effet !
Mme Éliane Assassi. Pas toujours…
Mme Esther Benbassa. Cette célérité, notamment concernant un texte d’origine parlementaire, montre que, quand la volonté est là, le passage des paroles aux actes peut se faire sans attendre.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Esther Benbassa. Souhaitons que d’autres textes, de grande importance pour nos concitoyens, bénéficient de ce même engagement.
Pour revenir au texte qui nous intéresse aujourd’hui, je souhaiterais d’abord dire quelques mots de l’article 14, qui a fait couler beaucoup d’encre.
Cet article, introduit sur l’initiative de notre collègue députée Marie Le Vern, a pour objet de compléter deux articles du code des transports, afin de rendre plus effective la lutte contre le harcèlement et les violences à caractère sexiste.
Usant d’arguments pour le moins alambiqués, à savoir que le délit de harcèlement sexuel prévu à l’article 222-33 du code pénal suffirait à réprimer le harcèlement et la violence dont sont victimes les femmes dans les transports, la commission des lois du Sénat a décidé de supprimer cet article.
À l’heure où le ministère des droits des femmes lançait la campagne « #HarcèlementAgissons », à l’heure où une étude du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes rappelait que « 100 % des femmes ont déjà été victimes de harcèlement dans l’espace public », comment comprendre la suppression d’une telle disposition et le message envoyé ainsi par la Haute Assemblée ?
Comme l’a justement dit Marie Le Vern, évacuer purement et simplement les violences sexistes du texte contribue à renforcer l’invisibilité de ces actes et retarde encore un peu plus la prise de conscience.
La commission mixte paritaire a rétabli l’article 14 : c’est un motif de grande satisfaction pour le groupe écologiste et pour les femmes.
Pour autant, cette avancée, pour notable qu’elle soit, suffit-elle à modifier notre vote dans le sens d’un soutien au texte final de cette proposition de loi ? La réponse est malheureusement négative, mes chers collègues.
M. François Bonhomme, rapporteur. Quelle déception ! Nous aurons pourtant fait le maximum !
Mme Esther Benbassa. Des prérogatives coercitives relevant de missions de sécurité publique sont confiées à des agents privés de sécurité. Nous considérons qu’elles ne sont pas assez strictement encadrées et que les libertés individuelles ne sont pas suffisamment garanties.
Par exemple, le double agrément pour les agents des transporteurs, ceux de la SUGE pour la SNCF et du groupe de protection et de sécurisation des réseaux pour la RATP, pour réaliser des palpations de sécurité a été supprimé par la CMP.
Plus généralement, la surenchère législative qui est de mise aujourd’hui nous met un peu mal à l’aise. On part d’un texte ayant pour objet la répression des incivilités et des violences dans les transports, ainsi que la lutte contre la fraude, et on arrive à un texte sécuritaire à visée antiterroriste.
L’attentat manqué du Thalys est passé par là, les terribles attaques de novembre à Paris et à Saint-Denis aussi, mais l’on ne peut pour autant, sous le régime de l’état d’urgence et dans un contexte social particulièrement délétère, continuer à tout mélanger, à confondre les objectifs. Nous risquerions alors de ne plus pouvoir mesurer la portée réelle des dispositions que nous votons et leurs conséquences pour les libertés individuelles de nos concitoyens.
En conséquence et à regret, le groupe écologiste s’abstiendra sur le texte issu des travaux de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque jour, des millions de nos concitoyens utilisent les transports collectifs. Cette affluence rend particulièrement importants les enjeux de sécurité dans les trains, les bus et les gares, espaces relativement confinés qui, on le sait, se prêtent facilement à la commission de toutes sortes d’incivilités, de fraudes et d’agressions. Il faut y ajouter, hélas, la menace terroriste, les transports étant une cible privilégiée, qui fut même presque exclusive dans les années quatre-vingt-dix et 2000. Et je n’oublie pas la situation des conducteurs, de plus en plus souvent menacés, et ainsi contraints d’exercer régulièrement leur droit de retrait. Il résulte de tout cela qu’un usager sur deux reconnaît ne pas se sentir en sécurité dans les transports collectifs.
Cette situation nous appelle à apporter de nouvelles réponses pour mieux prévenir les délits et rassurer les passagers.
Comme plusieurs d’entre nous l’ont rappelé à l’occasion de l’examen en première lecture de la proposition de loi, la sécurité des transports est couverte en tant que telle. Sans rentrer dans le détail, les services compétents – la surveillance générale et le groupe de protection et de sécurisation des réseaux en région parisienne, le service national de la police ferroviaire et la gendarmerie nationale pour l’essentiel du territoire – font le plus souvent preuve de réactivité et d’efficacité quand des incidents sont signalés sur les réseaux.
Cependant, les contrôles et les interventions sont souvent limités, faute d’un cadre juridique adapté. La proposition de loi entend y remédier à deux niveaux. Il s’agit, d’une part, de traiter la question de la fraude, et, d’autre part, de mieux prévenir d’éventuels actes de terrorisme. Tout ne sera pas réglé au détour des quinze articles approuvés par la CMP. Ce n’était d’ailleurs pas l’ambition des auteurs du texte initial ni celle, sans doute, des travaux du Comité national de la sécurité dans les transports en commun, sur lesquels ils s’étaient appuyés.
Néanmoins, mes chers collègues, si la proposition de loi n’apporte pas toutes les réponses, elle en présente plusieurs très attendues.
Le RDSE, je le rappelle, a approuvé ce texte en première lecture, parce qu’il comporte des améliorations en matière de sécurité des voyageurs, sans pour autant porter atteinte aux libertés, ce dont témoigne le maintien du contrôle du procureur de la République sur la mise en œuvre de quelques dispositions.
Il est indispensable de renforcer la prévention, comme le prévoit en priorité la proposition de loi à travers les mesures que nous avons examinées, telles que la possibilité, pour les agents de sécurité interne de la SNCF et de la RATP, de procéder à une inspection visuelle et à des fouilles, le « criblage » de certains personnels des transports publics ou encore l’expérimentation de « caméras-piétons ».
Les dispositions concernant le délit de « fraude d’habitude » et les « mutuelles de fraudeurs », qui offrent, de manière très incongrue, une assurance contre d’éventuelles amendes, visent à remédier au manque à gagner important des opérateurs et vont également dans le bon sens.
À l’issue des travaux de la CMP, le texte conserve les modifications notables apportées par le Sénat. On peut aussi souligner avec satisfaction la prise en compte des réseaux de province à l’article 6 ter, rétabli dans une rédaction partagée par les deux assemblées.
Enfin, si la commission avait supprimé l’article 14 relatif au harcèlement à caractère sexiste dans les transports, parce que le dispositif initial était de nature réglementaire, la CMP a trouvé une nouvelle rédaction permettant de réintroduire la prise en compte de cette problématique. Il est vrai qu’elle ne correspond pas aux deux objectifs de la proposition de loi, à savoir la lutte contre la fraude et la lutte contre les actes terroristes. Cependant, c’est un problème très prégnant pour les femmes, qui participe du climat anxiogène pouvant régner dans les transports collectifs de voyageurs. Le RDSE, en particulier ma collègue et amie Françoise Laborde, y est très sensible.
Mes chers collègues, au regard de l’esprit consensuel qui a présidé à l’élaboration du texte, je n’en dirai pas plus, si ce n’est que le RDSE l’approuve pleinement. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’élaboration de ce texte, longtemps attendu, touche à sa fin. Il présente deux versants : le premier traite du problème ancien de la fraude ; le second, que les terribles événements récents ont amené à développer, de la sécurité.
Le Comité national de la sécurité dans les transports en commun avait proposé plusieurs mesures de lutte contre la fraude, qui constituent le volet financier de la présente proposition de loi. Ce volet est nécessaire : la Cour des comptes a évalué à un demi-milliard d’euros le coût de la fraude, chaque année, dans l’ensemble des transports publics de voyageurs. Encore cette estimation est-elle incomplète, puisqu’elle ne prend en compte que la fraude réprimée : on n’a pas de chiffres fiables sur la fraude impunie. La SNCF estime qu’elle supporte annuellement un manque à gagner de 340 millions d’euros. On approche donc du milliard d’euros en agrégeant ces deux sommes ; on le dépasse probablement si l’on tient compte de l’ensemble de la fraude dans le métro, dans le RER, etc. On imagine aisément quel profit on pourrait tirer du recouvrement de ces sommes, notamment à travers une éventuelle baisse des prix. En tout état de cause, on constate, sans spéculer, les dégâts de la fraude, les perturbations financières qu’elle provoque.
Le texte comporte un autre volet, plus important encore, qui concerne la sûreté des voyageurs. La proposition de loi avait été considérablement enrichie, avec raison, pour intégrer pleinement la thématique de la protection des voyageurs. En France circulent quotidiennement 14 000 trains, dont plus de 5 000 en Île-de-France, qui transportent chaque année 2,5 milliards de voyageurs.
Il était du ressort de la sphère politique de protéger activement et efficacement l’ensemble des voyageurs. On se rappelle avec tristesse et colère les attentats qui ont frappé Paris en 1995, à la station Saint-Michel du RER B, ou ceux de Madrid, en mars 2004 : nul ne semble épargné, chacun est vulnérable.
Le 21 août 2015, il y a moins d’un an, un nouveau carnage a failli avoir lieu dans un train Thalys qui reliait Amsterdam à Paris. Des passagers avaient pu en éviter l’exécution. L’action spontanée peut sauver, mais elle est incertaine, elle est insuffisante. Il nous faut prévenir du mieux possible, et assurer d’avance la protection de nos concitoyens : ce texte de grande ampleur nous semble à cet égard volontariste, riche et clair.
Le travail des rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée nationale, celui des commissions compétentes dans leur ensemble, n’y sont pas pour rien, et nous nous en félicitons. La commission mixte paritaire a permis de gommer certains désaccords qui avaient pu surgir entre les deux assemblées, et de rendre le texte le plus efficace possible.
Je voudrais passer en revue quelques-uns des apports de la CMP.
Tout d’abord, en ce qui concerne l’article 1er du texte, la CMP a maintenu le principe du double agrément, cher au Sénat, pour les agents de la surveillance générale et du groupe de protection et de sécurisation des réseaux chargés de procéder à des palpations de sécurité. Ce double agrément doit demeurer. La sécurité doit être prioritaire, mais des conditions doivent l’encadrer, pour éviter tout excès.
Le Sénat s’opposait à l’article 6 quinquies et à la remise au Parlement d’un rapport sur le coût de la sûreté dans les transports collectifs. Les conclusions de la CMP le rétablissent, en prévoyant un délai plus long, porté au 31 décembre 2017, afin de permettre l’élaboration d’un rapport plus riche, plus précis, plus fidèle à la réalité.
Enfin, j’évoquerai le point sensible des violences faites aux femmes. Le Sénat, que je veux ici défendre, avait refusé l’inscription de la référence à une « pression sexiste excessive » pour des raisons de cohérence et d’efficacité juridiques, et pour ces seules raisons.
M. François Bonhomme, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-François Longeot. On a lu ou entendu dire, haut et fort ou à voix basse, que le Sénat refuse le secours aux femmes dans les transports, qu’il est misogyne. Rien de tout cela n’est juste ! Rappelons ici que des considérations juridiques, qui d’ailleurs favorisent bien davantage la protection des femmes que des indignations sans lendemain, et seulement des considérations juridiques, avaient suscité ici des réserves justifiées. La commission mixte paritaire – je salue l’action de notre collègue François Bonhomme – a proposé que « les atteintes à caractère sexiste dans les transports publics fassent l’objet d’un rapport annuel », lequel nous guidera dans notre action.
Le groupe UDI-UC votera donc en faveur de l’adoption de ce texte, dont nous attendons des résultats dès son entrée en vigueur, pour tous et pour toutes. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme nous l’avions déjà dit lors des débats en première lecture, cette proposition de loi nous inquiète à plus d’un titre, en premier lieu parce qu’elle mêle lutte contre le terrorisme et lutte contre la fraude.
Nous ne pouvons accepter que l’on instrumentalise une émotion et une inquiétude tout à fait légitimes pour privatiser l’exercice des pouvoirs régaliens de l’État en transférant des missions de maintien de l’ordre public de la police et de la gendarmerie nationale aux personnels de sécurité de la SNCF et de la RATP.
Nous ne pouvons accepter la banalisation des transferts de compétences et le glissement progressif vers un régime de prestation marchande des services de sécurité.
Les agents des entreprises de transport ne sont pas des policiers. Cette proposition de loi oublie la spécificité de la mission de sûreté confiée à ces personnels, c’est-à-dire assurer la sécurité des infrastructures, ainsi que la fluidité et la continuité de la circulation.
Sur ce point, la proposition de loi est muette ; rien n’est dit sur la nécessité de renforcer les investissements dans le matériel roulant, par exemple, ou la rénovation des infrastructures.
Non seulement l’État ne se donne plus les moyens d’assurer un service public de transport à la hauteur des enjeux de mobilité durable, mais il ne se donne plus, aujourd’hui, ceux d’entretenir une force publique répondant à la demande des citoyens. Devant cette évolution, comment pouvons-nous continuer à affirmer que l’État a le monopole de la contrainte légitime ?
Après des heures de débats, les moyens coercitifs ont été renforcés et les sanctions multipliées.
Ainsi, le délit de fraude d’habitude sera puni d’une peine d’emprisonnement de six mois et de 7 500 euros d’amende et sera constitué dès cinq contraventions pour avoir voyagé sans titre de transport, au lieu de dix actuellement.
La peine prévue en cas de déclaration d’une fausse adresse ou identité est également alourdie : deux mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende seront désormais encourus, en lieu et place de la seule peine d’amende aujourd’hui applicable.
Le fait de ne pas se tenir à la disposition d’un agent de l’exploitant sera puni d’une peine de deux mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
En revanche, rien sur un renforcement de la présence humaine dans les gares, dans les points d’accueil et sur les quais ! À cet égard, faut-il rappeler que la commission mixte paritaire a décidé d’introduire un nouveau délit, à l’article 13, visant les personnes qui avertiraient de la présence de contrôleurs ? Ce nouveau délit sera constitué quel que soit le « moyen » de diffusion de l’avertissement et « quel qu’en soit le support » – SMS, tweet, message privé sur Facebook, e-mail… –, et puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Encore une fois, l’argument sécuritaire est mis en avant pour « permettre aux contrôleurs d’intercepter d’éventuels terroristes qui pourraient être avertis de leur présence ». Je vous avoue, monsieur le secrétaire d’État, que cette mesure me laisse sans voix et n’est pas sans m’en rappeler une autre, que je n’expliciterai pas ici mais que, en son temps, toute la gauche avait combattue.
M. François Bonhomme, rapporteur. C’était un autre temps !
Mme Éliane Assassi. C’est un sujet sérieux, monsieur le rapporteur. Vous ne vous étiez pas mobilisé contre le délit de solidarité ; nous, si !
Enfin, rappelons que ces dispositions interviennent dans un contexte où le tarif « solidarité transport » est partiellement remis en cause en Île-de-France. En effet, la nouvelle majorité du conseil régional a voté, en janvier, une baisse de 25 % de sa subvention au syndicat des transports d’Île-de-France, en visant spécifiquement, dans sa décision, les bénéficiaires de l’aide médicale d’État, qui sont en situation irrégulière.
Le texte qui nous est soumis renforce, de manière démesurée, les sanctions d’infractions qui relèvent non seulement de la délinquance ordinaire, mais surtout de la délinquance de misère.
Nous le savons tous pour peu que nous les prenions au quotidien, ce qui est mon cas, dans les transports collectifs, les sentiments sont exacerbés : sentiment d’insécurité, impatience, énervement, qui croissent au rythme des dysfonctionnements, malheureusement très nombreux du fait d’un manque d’investissements dans les réseaux.
Nous vous le répétons : pour lutter contre la fraude, c’est avant tout de personnel dont nous avons besoin, d’un personnel identifié et présent. Or tant à la RATP qu’à la SNCF, le constat est le même : il y a une tendance globale à la baisse des effectifs de contrôleurs et d’agents de vente, d’accueil et de la sûreté ferroviaire pour la SNCF.
C’est le tout-répressif qui a été choisi au travers de ce texte, au détriment d’une politique préventive cohérente. Nos concitoyens sont aujourd’hui las des gesticulations diverses et variées qui, sous couvert de la nécessaire lutte contre le terrorisme, masquent les véritables questions et enjeux.
Il est nécessaire d’assurer une présence préventive et dissuasive pour lutter contre le sentiment d’insécurité, mais aussi contre celui d’impunité.
Il est également nécessaire de mettre en place une politique tarifaire ambitieuse. À cet égard, je vous renvoie à nos propositions d’instaurer un taux réduit de TVA pour les transports ou d’étendre le versement transport, ce qui permettrait de financer non seulement la sécurité, mais aussi la régénération et le développement des réseaux.
Malgré le rétablissement de l’article 14 relatif au harcèlement sexiste, qui ne fait, cela dit, que reprendre le droit positif, nous ne pourrons voter en faveur de l’adoption de ce texte qui marchandise la sécurité et crée des clivages et une suspicion généralisée au sein des personnels. Il soulève en outre, monsieur le secrétaire d’État, de sérieuses interrogations quant à la garantie des libertés publiques et à la responsabilité de l’État dans l’exercice de ses pouvoirs régaliens.
En fait, ce texte ne vise qu’à assurer la rentabilité des compagnies de transport, en leur permettant de pratiquer une politique antifraude agressive et attentatoire aux libertés, qui aggravera les tensions et le climat anxiogène d’insécurité générale dans lequel notre pays est plongé. Il ne peut recevoir notre assentiment. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi avait pour principal objet, au départ, la lutte contre la fraude dans les transports terrestres, en particulier ferroviaires. Elle s’inspirait d’ailleurs largement de la proposition de loi de Valérie Pécresse, reprise au Sénat dès juin 2015, bien avant donc l’examen de ce texte, par notre éminent collègue Michel Houel.
L’attentat déjoué dans le Thalys le 21 août dernier a malheureusement démontré la nécessité impérieuse d’adopter très rapidement des mesures supplémentaires pour renforcer la sécurité dans les transports publics.
Notre pays est en guerre contre le terrorisme. En tant que parlementaires, il nous revient d’adapter, sans tarder, la législation face à la persistance de la menace.
C’est donc devant un double défi que nous nous trouvons placés : celui des incivilités et de la fraude massive, d’une part ; celui de la vulnérabilité du transport collectif de personnes, d’autre part.
Sur le premier point, je tiens à rappeler que la fraude dans les transports publics coûte à la collectivité de l’ordre de 500 millions d’euros par an !
Chers collègues, il faut savoir que, aujourd’hui, seulement 10 % des amendes sont réellement payées. Cela tient au fait que les fraudeurs donnent de fausses adresses ou identités et que, légalement, les contrôleurs n’ont aucun moyen de les obliger à prouver leur identité. C’est la France !
Le rapport de la Cour des comptes de février 2016 intitulé La lutte contre la fraude dans les transports urbains en Île-de-France est sans appel. On y dénonce « un échec collectif ». La sévérité des termes employés par la Cour des comptes s’explique par l’ampleur du phénomène et, parallèlement, par l’absence quasi totale de résultats concrets dans la lutte contre cette fraude.
Ce coût financier, qui porte une atteinte directe au service public, est aussi inadmissible qu’incompréhensible. Son montant correspond à la moitié des investissements réalisés par le syndicat des transports d’Île-de-France en 2015 pour moderniser les transports dans la région capitale, dont la Cour des comptes a fortement souligné le « sous-investissement persistant ».
Mme Éliane Assassi. Si ce n’était que ça…
M. Louis Nègre. Il s’agit donc d’une perte de moyens considérable, de près d’un demi-milliard d’euros chaque année.
N’oublions pas, en outre, que ce qui n’est pas payé par les fraudeurs l’est par les contribuables, qui subissent ainsi une double peine.
M. Louis Nègre. Cette inversion des rôles est scandaleuse et totalement anormale !
M. François Bonhomme, rapporteur. Absolument !
M. Louis Nègre. Dans le même temps, bien que les transports soient souvent, déjà, la première ligne de dépenses budgétaires des collectivités, ces dernières manquent cruellement des moyens nécessaires pour faire face à la demande, ne serait-ce que pour développer les transports du quotidien, utilisés en priorité par les couches les plus modestes de la population !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas à cause de la fraude !
M. Louis Nègre. C’est dire que ce texte était très attendu, tant par les autorités responsables de transports, c’est-à-dire nos collègues élus, que par les opérateurs.
Je me réjouis donc que nous ayons pu trouver avec l’Assemblée nationale, sur ce point de principe, un accord en commission mixte paritaire.
Nous avons également trouvé un accord pour lutter contre ce phénomène – incroyable mais vrai – des « mutuelles de fraudeurs », que j’avais dénoncé, le 9 octobre dernier, lors du Comité national de la sécurité dans les transports en commun. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’ailleurs d’avoir réactivé cette instance. L’existence de ces « mutuelles », inconnues ailleurs, montre que la France est incontestablement un pays étrange…
Cela étant, je m’attarderai plus longuement sur le traitement du délit de « fraude d’habitude », qui lui n’a pas fait consensus.
Nos concitoyens sont-ils conscients que la législation actuelle fixe le seuil pour la constitution du délit de fraude à plus de dix infractions par an et par opérateur ?
Prenons l’exemple d’un fraudeur sur le réseau de l’Île-de-France : il pourra, sans commettre de délit, cumuler dans la même année dix contraventions pour la SNCF, dix pour la RATP et dix pour le réseau de bus OPTILE, soit trente infractions en tout en une seule année civile ! Au-delà, pour être verbalisé, encore faudra-t-il qu’il puisse être identifié, ce qui s’avérait, jusqu’à ce jour, mission impossible ou presque pour les contrôleurs…
On voit bien qu’il ne s’agit pas de créer un climat anxiogène ou agressif, mais tout simplement de restaurer le civisme !
Je n’ai pas trouvé, dans le monde, un autre pays avec une législation aussi permissive, qui autorise de facto une telle dérive des valeurs civiques. La France est décidément un pays très singulier…
La proposition de loi initiale prévoyait déjà d’abaisser le nombre de contraventions requis pour constituer le délit de fraude d’habitude de dix à cinq. Le Sénat, grâce à l’adoption de l’amendement de mon éminent collègue Karoutchi, avait durci le texte, en ramenant le seuil de cinq à trois contraventions.
La commission mixte paritaire a préféré, dans un souci d’équilibre, revenir au chiffre de cinq contraventions,…
M. Louis Nègre. … mais, à titre personnel, je trouve cela regrettable.
Dès 2014, après mon élection en tant que président du groupement des autorités responsables de transports, le GART, j’avais proposé au conseil d’administration, qui réunit des élus de tous bords politiques, l’abaissement du seuil pour la constitution du délit de fraude d’habitude de dix infractions à trois. Cette mesure avait été adoptée à une très forte majorité. Pour ma part, je pense que chacun doit prendre ses responsabilités.
Les arguments avancés, relatifs à l’impossibilité supposée, pour la SNCF, de traiter l’ensemble des dossiers ou à une éventuelle censure du Conseil constitutionnel, ne me paraissent pas opérants.
Comment le Conseil constitutionnel saurait-il considérer qu’il est normal que l’on puisse impunément frauder trente fois dans l’année ! Ce n’est permis dans aucun autre pays ! C’est une atteinte aux valeurs civiques essentielles qui fondent la cité. Quant au traitement des dossiers, je suis persuadé que, avec de la bonne volonté et en mobilisant un certain nombre de personnels de la SNCF, il pourrait être assuré.
Mes chers collègues, lutter contre la fraude est d’abord un impératif social et civique.
Nous ne devons plus accepter que des dizaines, des centaines de milliers de personnes se dispensent de participer au financement d’un service public dont elles sont, en tant qu’usagers, les premières à bénéficier.
Lutter contre la fraude est aussi un impératif économique.
Stopper une telle hémorragie financière, c’est se donner les moyens de réaliser les investissements nécessaires pour offrir des transports de qualité aux usagers.
Au-delà même de telles considérations, la fraude suscite un sentiment d’impunité chez les fraudeurs et d’exaspération chez les usagers honnêtes, exaspération à laquelle nous, les politiques, devrions être plus attentifs.
La fraude est donc le symbole même de l’injustice, car ce sont les usagers honnêtes et les contribuables qui payent pour les fraudeurs. En tant que parlementaires, nous sommes le législateur. Pour ma part, je ne souhaite pas que le renoncement à des valeurs civiques élémentaires prospère au sein de notre République. C’est pourquoi je pense que nous devons être fermes !
Le second volet de cette proposition de loi concerne un sujet tout aussi fondamental : la sécurité des passagers.
Les transports en commun rythment la vie d’un grand nombre de nos concitoyens. Au-delà de la lutte contre la fraude, assurer leur sécurité doit être l’une de nos priorités absolues.
Tout d’abord, l’article 1er ter prévoit, sur l’initiative de notre collègue Alain Fouché, que les agents des services internes de la sécurité de la SNCF et de la RATP pourront utiliser des caméras-piétons pour sécuriser leurs interventions.
Je trouve que c’est une excellente mesure ! J’ai l’occasion de l’expérimenter sur le terrain, à Cagnes-sur-Mer, depuis des années, avec ma police municipale. Le dispositif s’est révélé extrêmement efficace pour lutter contre la petite et moyenne délinquance. Son emploi a aussi pour conséquence très positive de sécuriser les agents qui ont à intervenir.
Je souhaite donc que le cadre normatif qui sera fixé après l’expérimentation ne soit pas complètement déconnecté du réel, comme c’est le cas d’ordinaire. Sur le terrain, les caméras-piétons fleurissent désormais sur les casques des skieurs, des cyclistes ou des motocyclistes, sans aucune contrainte particulière.
En outre, pour plus d’efficacité, une nouvelle disposition permettra la transmission en temps réel d’images de vidéoprotection aux forces de l’ordre par les opérateurs. Cela me semble aussi être une mesure positive.
L’article 5, quant à lui, adapte les règles de compétence territoriale des procureurs de la République au transport ferroviaire pour les rendre plus opérationnelles. Une telle mesure apparaît particulièrement bienvenue, pragmatique et réaliste.
Le texte étend également les pouvoirs des polices municipales en matière de police des transports, mais dans un cadre clairement identifié.
Par ailleurs, au Sénat, nous avons veillé à ce que, en cas de contrat d’objectif départemental de sûreté dans les transports, le financement d’actions ou de services relevant de la compétence exclusive de l’État reste bien évidemment à la charge de celui-ci.
Cette proposition de loi fait évoluer significativement notre législation : à ce jour, seuls les agents de police peuvent demander la production de papiers d’identité, les contrôleurs n’en ayant quant à eux pas le droit.
Désormais, à la suite de l’adoption de notre amendement, les passagers auront l’obligation d’être porteurs d’un document attestant de leur identité lorsqu’ils ne disposeront pas d’un titre de transport valable.
De plus, la proposition de loi prévoit que les entreprises de transport pourront subordonner le voyage de leurs passagers à la détention d’un titre de transport nominatif. C’est une avancée significative pour lutter contre l’insécurité dans les transports.
Dans le même esprit, nous avons ouvert la possibilité aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP de procéder à l’inspection visuelle des bagages, à leur fouille, ainsi qu’à des palpations de sécurité, et d’interdire l’accès au train si la personne refuse ce contrôle.
Nous avons également élargi les cas de dispense du port de la tenue professionnelle pour ces agents, ce qui permettra d’accroître leur efficacité sur le terrain.
En ce qui concerne le recrutement et l’affectation de personnels sur des postes sensibles, un nouveau moyen est donné aux employeurs : des enquêtes administratives pourront être diligentées avant l’embauche et ensuite.
De plus, à l’instar des municipalités, les employeurs pourront disposer d’une information sur la validité du permis de conduire de leurs conducteurs professionnels. Jusqu’à aujourd'hui, étrangement, ce n’était pas le cas.
Enfin, comme l’ont rappelé les orateurs précédents, l’article 14 vise à lutter contre les violences à caractère sexiste faites aux femmes dans les transports. Un bilan annuel sera produit.
Toutes ces mesures répondent à la demande forte de sécurité que nos concitoyens expriment à juste titre. Nous espérons qu’elles entreront rapidement en application.
Cette proposition de loi, ainsi complétée et améliorée par la Haute Assemblée, grâce notamment à nos excellents rapporteurs François Bonhomme et Alain Fouché, recueille notre assentiment.
En conséquence, le groupe Les Républicains, assumant ses responsabilités envers les Français, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs entame donc la dernière étape de son parcours législatif.
La commission mixte paritaire, dont nous examinons les conclusions aujourd’hui, s’est accordée sur un texte commun, alors que les deux chambres s’étaient prononcées en faveur de textes sensiblement différents.
Les contours de la proposition de loi ont varié à chaque étape de la discussion parlementaire. Sans parler des dispositions adoptées conformes en première lecture, l’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas eu de difficulté à se retrouver sur plusieurs articles. Par ailleurs, de nombreux articles ont vu leur rédaction améliorée au cours de la navette, et les garanties prévues ont été renforcées. Enfin, la commission mixte paritaire est parvenue à un équilibre s’agissant des articles cristallisant les points de divergence majeurs entre l’Assemblée et le Sénat, ce qui a permis d’aboutir à la rédaction d’un texte commun.
Cette proposition de loi était attendue. D’abord préparée par notre collègue député Gilles Savary et relative à la lutte contre la fraude, elle a été transformée et complétée après les tristes événements du 13 novembre dernier. Il fallait apporter de multiples sécurisations dans les transports publics. Nous avons pu le lire dans la presse et l’entendre à l’occasion de diverses rencontres, l’esprit de ce texte concorde avec de multiples attentes. La fraude conduisant souvent à commettre de graves incivilités, il était nécessaire de compléter l’arsenal législatif permettant de lutter contre.
Je me réjouis que l’article 14, qui a connu une vie mouvementée entre l’Assemblée nationale, le Sénat et la commission mixte paritaire, ait en définitive été intégré dans la version finale. Avec d’autres, j’avais plaidé, en première lecture, pour que l’on traite de la lutte contre le harcèlement sexiste dans les transports. Le Sénat avait supprimé, contre notre avis, cet article, au motif qu’une telle disposition n’était pas de nature normative ou relevait, à tout le moins, du pouvoir réglementaire. Notre amendement visant au rétablissement de cet article avait alors été rejeté au titre de l’article 41 de la Constitution.
La suppression de l’article 14 présentait l’inconvénient d’écarter le sujet des harcèlements sexistes sans proposer d’alternative. Par ailleurs, cela constituait un paradoxe, au moment où le Gouvernement se mobilise fortement sur ce sujet, jusqu’alors ignoré. Il a en effet lancé, au mois de juillet 2015, un plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun, sur la base d’un rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.
La position initiale du Sénat a été très mal perçue et a suscité une très forte réprobation publique, alors même que 100 % des femmes ont été victimes de violences ou de harcèlement dans les transports publics.
J’ai en mémoire un mail qui m’interpellait en ces termes : « Par votre fonction, vous représentez ces femmes et vous avez le devoir de les protéger. Refuser une mesure qui pourrait améliorer cette situation, c’est refuser de protéger les femmes et donner un sentiment d’impunité aux hommes qui commettent ce type de violence. Ignorer ces femmes, c’est aussi se détourner de la moitié de la population que vous représentez. C’est une honte ! »
Je me félicite bien entendu que les débats en commission mixte paritaire aient permis d’aboutir au rétablissement de l’article, en définissant deux axes d’action.
Premièrement, le dispositif se fonde sur l’article L. 1632-1 du code des transports, qui dispose que les autorités organisatrices de transports et le STIF concourent, chacun pour ce qui le concerne, aux actions de prévention de la délinquance et de sécurisation des personnels et des usagers dans les transports.
Deuxièmement, il complète l’article L. 2251-1 du code des transports, qui définit le rôle de la surveillance générale, la SUGE, et du groupe de protection et de sécurisation des réseaux, le GPSR, en matière de sécurité des personnes et des biens, afin de prévoir que la prévention des violences et des atteintes à caractère sexiste dans les transports publics est un axe prioritaire de leur action.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des articles. Cela a été très bien fait par notre rapporteur.
Toutefois, je me dois de souligner l’importance du rétablissement de l’article 6 ter, supprimé par le Sénat, puisqu’il introduit une obligation pour tous les opérateurs de transports urbains d’assurer la sûreté de leur réseau, où qu’il se situe sur le territoire national. Il ressort des travaux de la commission mixte paritaire une rédaction de l’article 6 ter « millimétrée », qui donne la possibilité à tous les réseaux de transports en commun de se doter d’un service de sécurité interne, tout en prenant en compte les interrogations du Sénat sur la portée de la convention liant le préfet, les autorités organisatrices de transports et les exploitants.
Au final, on peut considérer que le Parlement est parvenu à élaborer un texte équilibré, qui ajoute sa pierre à la sécurité des Français après la seconde prorogation de l’état d’urgence par la représentation nationale et avant l’examen par le Sénat du projet de loi constitutionnelle de protection de la nation, la réforme pénale en cours d’examen à l’Assemblée nationale et le projet de loi en cours de préparation qui viendra parachever la loi de 1955 sur l’état d’urgence.
Comme l’a indiqué mon collègue Jean-Claude Leroy, le groupe socialiste votera donc en faveur de l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je voudrais d’abord remercier l’ensemble des orateurs de leur contribution, qu’ils se soient ou non exprimés en faveur du texte.
Je ne comptais pas reprendre la parole, mais certains propos tenus par M. Nègre m’amènent à réagir.
Il est faux d’affirmer que le droit positif permet aujourd’hui de commettre impunément trente infractions, tous réseaux de transport en commun cumulés ! Aucun texte ne dispose que les infractions sont comptabilisées de façon distincte selon qu’elles sont commises sur le réseau de la RATP ou sur celui de la SNCF, par exemple. Cela ne correspond pas au droit positif ! Il convient d’être extrêmement précis en la matière : toutes les infractions seront prises en compte, et s’il y a, dans la pratique, des difficultés à faire respecter le droit, c’est l’honneur du Parlement et du Gouvernement que de mettre la pratique et le droit en accord. Cela est beaucoup plus constructif que d’imaginer, en partant de la pratique, que le droit permettrait, sans encourir de sanction, de cumuler les infractions sur les différents réseaux : ce n’est nullement le cas, contrairement à ce que vos propos tendent à donner à croire, monsieur Nègre.
Par ailleurs, vous avez affirmé qu’il aurait été préférable de fixer à trois infractions le seuil pour la constitution du délit de fraude d’habitude. Vous ne pouvez pas vous exonérer du problème de la constitutionnalité d’une telle disposition ! Ce n’est pas un hasard si le Gouvernement et une majorité de parlementaires se sont accordés pour retenir le seuil de cinq infractions : si nous le fixions en deçà, un certain nombre d’éléments nous font craindre que, demain, une question prioritaire de constitutionnalité n’entraîne la censure d’une telle disposition.
Nous avons donc décidé, en responsabilité, de fixer le seuil à cinq infractions : nous avons la quasi-certitude que, ainsi, le dispositif sera efficace, sans encourir un risque constitutionnel dont on ne peut faire abstraction dans ce débat, monsieur Nègre, sauf à faire preuve de légèreté.
Enfin, que les choses soient claires : il n’y a aucune tolérance à la fraude. Le fait d’emprunter un réseau de transports en commun sans payer est sanctionné dès la première infraction. Nous parlons ici du délit de fraude d’habitude, ce qui n’est pas la même chose. Il faut être précis dans le choix des mots et des arguments que l’on emploie, pour éviter qu’ils soient mal interprétés. Chacun doit bien comprendre quel est le sens du travail accompli par les parlementaires et le Gouvernement pour parvenir à ce texte. Tel est l’esprit dans lequel je tenais à faire cette mise au point. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA PRÉVENTION ET À LA LUTTE CONTRE LES ATTEINTES GRAVES À LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET LE TERRORISME DANS LES TRANSPORTS PUBLICS DE VOYAGEURS
Article 1er
I. – Le code des transports est ainsi modifié :
1° Le chapitre Ier du titre V du livre II de la deuxième partie est complété par un article L. 2251-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 2251-9. – L’article L. 613-2 du code de la sécurité intérieure est applicable aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens.
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article. » ;
2° À la troisième phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 5332-6, les mots : « à main » sont supprimés.
II. – Au dernier alinéa des articles L. 511-1 et L. 531-1, au premier alinéa de l’article L. 613-2 et au second alinéa de l’article L. 613-3 du code de la sécurité intérieure, les mots : « à main » sont supprimés.
III. – (Supprimé)
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
Article 1er ter
I. – Après l’article L. 2251-4 du code des transports, il est inséré un article L. 2251-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2251-4-1. – Dans l’exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l’ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens, les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens peuvent procéder en tous lieux, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou du comportement des personnes concernées.
« L’enregistrement n’est pas permanent.
« Les enregistrements ont pour finalités la prévention des incidents au cours des interventions des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens, le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ainsi que la formation et la pédagogie des agents.
« Les caméras sont portées de façon apparente par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens. Un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. Le déclenchement de l’enregistrement fait l’objet d’une information des personnes enregistrées, sauf si les circonstances l’interdisent. Une information générale du public sur l’emploi de ces caméras est organisée par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent.
« L’enregistrement ne peut avoir lieu hors des emprises immobilières nécessaires à l’exploitation des services de transport ou des véhicules de transport public de personnes qui y sont affectés.
« Les enregistrements audiovisuels, hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout de six mois.
« Les articles L. 252-1, L. 252-2, L. 253-1, L. 253-2 et L. 253-5 du code de la sécurité intérieure sont applicables.
« Les modalités d’application du présent article et d’utilisation des données collectées sont précisées par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
II. – L’expérimentation fait l’objet d’un bilan de sa mise en œuvre dans les deux ans suivant son entrée en vigueur, afin d’évaluer l’opportunité du maintien de cette mesure.
III. – Le I est applicable à compter du 1er janvier 2017, pour une durée de trois ans.
Article 2
I. – Le chapitre Ier du titre V du livre II de la deuxième partie du code des transports est ainsi modifié :
1° Après le deuxième alinéa de l’article L. 2251-1, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Outre la formation initiale dont ils bénéficient, les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens reçoivent une formation continue adaptée aux besoins des services, en vue de maintenir ou de parfaire leur qualification professionnelle, leur connaissance des règles déontologiques et leur adaptation aux fonctions qu’ils sont conduits à exercer.
« Le contenu de ces formations est conforme à un cahier des charges fixé par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé des transports. » ;
2° (Supprimé)
3° Sont ajoutés des articles L. 2251-6 à L. 2251-8 ainsi rédigés :
« Art. L. 2251-6. – Sans préjudice des dispositions prévues au code de procédure pénale pour le contrôle des personnes habilitées à constater les infractions à la loi pénale, les commissaires de police, les officiers de police et les officiers et sous-officiers de la gendarmerie nationale des services désignés par arrêté du ministre de l’intérieur assurent, pour le compte du représentant de l’État dans le département, le contrôle des agents des services internes de sécurité mentionnés à l’article L. 2251-1 du présent code.
« Sans préjudice des compétences des inspecteurs et des contrôleurs du travail, ils peuvent demander la communication du registre unique du personnel prévu aux articles L. 1221-13 et L. 1221-15 du code du travail et de tous autres registres, livres et documents mentionnés aux articles L. 3171-3, L. 8113-4 et L. 8113-5 du même code ainsi que recueillir, sur convocation ou sur place, les renseignements et justifications nécessaires relatifs à l’activité opérationnelle.
« En présence de l’occupant des lieux ou de son représentant, ils peuvent, entre huit heures et vingt heures, accéder aux locaux dans lesquels est habituellement exercée l’activité des agents des services internes de sécurité mentionnés au premier alinéa du présent article ; ils peuvent également y accéder à tout moment lorsque l’exercice de cette activité est en cours. Ils ne peuvent accéder à ceux de ces locaux qui servent de domicile.
« Un compte rendu de visite est établi, dont copie est remise immédiatement au responsable de l’entreprise et adressée aux autorités mentionnées au même premier alinéa.
« Les agents mentionnés au premier alinéa du présent article transmettent à l’exploitant toute information établissant qu’un agent d’un service interne de sécurité mentionné à l’article L. 2251-1 du présent code se trouve dans l’un des cas décrits aux trois premiers alinéas de l’article L. 2251-2.
« Un bilan national annuel des actions entreprises dans le cadre du présent article est publié et notifié au Défenseur des droits.
« Art. L. 2251-7. – Un code de déontologie des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens est établi par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 2251-7-1. – Les compétences dévolues par le présent chapitre au représentant de l’État dans le département sont exercées, dans les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, ainsi que dans les transports en commun de voyageurs par voie ferrée de la région d’Île-de-France, par le préfet de police et, dans le département des Bouches-du-Rhône, par le préfet de police des Bouches-du-Rhône.
« Art. L. 2251-8. – (Supprimé)
II. – Le chapitre II du même titre V est ainsi modifié :
1° Le I de l’article L. 2252-1 du code des transports est abrogé ;
2° Il est ajouté un article L. 2252-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2252-2. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait pour tout agent d’un service interne de sécurité mentionné à l’article L. 2251-1 de faire obstacle à l’accomplissement des contrôles exercés dans les conditions prévues à l’article L. 2251-6. »
III. – (Supprimé)
Article 3
L’article L. 2251-3 du code des transports est ainsi rédigé :
« Art. L. 2251-3. – La tenue et la carte professionnelle dont les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens sont obligatoirement porteurs dans l’exercice de leurs fonctions, ne doivent entraîner aucune confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police.
« Par dérogation au premier alinéa, ces agents peuvent être dispensés du port de la tenue dans l’exercice de leurs fonctions.
« En cas d’intervention, ces agents sont porteurs, de façon visible, de l’un des moyens matériels d’identification dont ils sont dotés, qui ne doit entraîner aucune confusion avec les moyens utilisés par les autres agents des services publics.
« Ils présentent leur carte professionnelle à quiconque en fait la demande.
« Les conditions d’application du présent article sont fixées par voie réglementaire. »
Article 3 bis
Le chapitre IV du titre Ier du livre Ier du code de la sécurité intérieure est complété par un article L. 114-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 114-2. – Les décisions de recrutement et d’affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d’une entreprise de transport public de personnes ou d’une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l’obligation d’adopter un plan de sûreté peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées.
« Si le comportement d’une personne occupant un emploi mentionné au premier alinéa laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l’exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée, une enquête administrative peut être menée à la demande de l’employeur ou à l’initiative de l’autorité administrative.
« L’autorité administrative avise sans délai l’employeur du résultat de l’enquête.
« La personne qui postule pour une fonction mentionnée au premier alinéa est informée qu’elle est susceptible, dans ce cadre, de faire l’objet d’une enquête administrative dans les conditions du présent article.
« L’enquête précise si le comportement de cette personne donne des raisons sérieuses de penser qu’elle est susceptible, à l’occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics.
« L’enquête peut donner lieu à la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, à l’exception des fichiers d’identification.
« Un décret en Conseil d’État fixe la liste des fonctions concernées et détermine les modalités d’application du présent article. »
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
Article 4 bis
Le code de la route est ainsi modifié :
1° À l’article L. 225-4, le mot : « directement » est supprimé ;
2° L’article L. 225-5 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « sur leur demande » sont supprimés ;
b) Il est ajouté un 11° ainsi rédigé :
« 11° Aux entreprises exerçant une activité de transport public routier de voyageurs ou de marchandises, pour les personnes qu’elles emploient comme conducteur de véhicule à moteur. » ;
3° À la fin du premier alinéa des articles L. 330-2 et L. 330-3 et au premier alinéa de l’article L. 330-4, les mots : « sur leur demande » sont supprimés.
Article 4 ter
(Supprimé)
Article 5
I. – Le chapitre III du titre II du livre Ier du code de procédure pénale est complété par un article 78-7 ainsi rédigé :
« Art. 78-7. – Sans préjudice des prérogatives des procureurs territorialement compétents, le procureur de la République du lieu où se situe la gare de départ d’un véhicule de transport ferroviaire de voyageurs peut, en vue des contrôles et des vérifications mis en œuvre dans ce véhicule sur son trajet, prendre les réquisitions et les instructions prévues au sixième alinéa de l’article 78-2 et à l’article 78-2-2.
« Lorsque la gare de départ se situe hors du territoire national, sans préjudice des prérogatives des procureurs territorialement compétents, les réquisitions et les instructions mentionnées au premier alinéa du présent article peuvent être prises par le procureur de la République du lieu où se situe la gare d’arrivée.
« Les procureurs des lieux où le train marque un arrêt en sont informés.
« Lorsque les gares de départ et d’arrivée se situent hors du territoire national, sans préjudice des prérogatives des procureurs territorialement compétents, les réquisitions et les instructions mentionnées au premier alinéa du présent article peuvent être prises par le procureur de la République du lieu du premier arrêt du train en France. Les procureurs des autres lieux où le train marque un arrêt en sont informés. »
II. – Le dernier alinéa de l’article 18 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque les réquisitions prises par le procureur de la République en application de l’article 78-7 le prévoient expressément, ces officiers ou agents de police judiciaire sont compétents pour les mettre en œuvre sur l’ensemble du trajet d’un véhicule de transport ferroviaire de voyageurs. »
Article 6
Le titre II du livre Ier du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 78-2-2 est ainsi rédigé :
« Art. 78-2-2. – I. – Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, des infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs mentionnées aux 1° et 2° du I de l’article L. 1333-9, à l’article L. 1333-11, au II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4 et aux articles L. 1333-13-5, L. 2339-14, L. 2339-15, L. 2341-1, L. 2341-2, L. 2341-4, L. 2342-59 et L. 2342-60 du code de la défense, des infractions en matière d’armes et d’explosifs mentionnées aux articles L. 317-7 et L. 317-8 du code de la sécurité intérieure et à l’article L. 2353-4 du code de la défense, des infractions de vol mentionnées aux articles 311-3 à 311-11 du code pénal, des infractions de recel mentionnées aux articles 321-1 et 321-2 du même code ou des faits de trafic de stupéfiants mentionnés aux articles 222-34 à 222-38 dudit code, les officiers de police judiciaire, assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du présent code peuvent, dans les lieux et pour la période de temps que ce magistrat détermine et qui ne peut excéder vingt-quatre heures, renouvelables sur décision expresse et motivée selon la même procédure, procéder non seulement aux contrôles d’identité prévus au sixième alinéa de l’article 78-2 du même code mais aussi à :
« 1° La visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public ;
« 2° L’inspection visuelle des bagages ou leur fouille, dans les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs.
« II. – Pour l’application du 1° du I, les véhicules en circulation ne peuvent être immobilisés que le temps strictement nécessaire au déroulement de la visite qui doit avoir lieu en présence du conducteur. Lorsqu’elle porte sur un véhicule à l’arrêt ou en stationnement, la visite se déroule en présence du conducteur ou du propriétaire du véhicule ou, à défaut, d’une personne requise à cet effet par l’officier ou l’agent de police judiciaire et qui ne relève pas de son autorité administrative. La présence d’une personne extérieure n’est toutefois pas requise si la visite comporte des risques graves pour la sécurité des personnes et des biens.
« En cas de découverte d’une infraction ou si le conducteur ou le propriétaire du véhicule le demande ainsi que dans le cas où la visite se déroule en leur absence, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et heures de début et de fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à l’intéressé et un autre exemplaire est transmis sans délai au procureur de la République.
« Toutefois, la visite des véhicules spécialement aménagés à usage d’habitation et effectivement utilisés comme résidence ne peut être faite que conformément aux dispositions relatives aux perquisitions et visites domiciliaires.
« III. – Pour l’application du 2° du I, les propriétaires des bagages ne peuvent être retenus que le temps strictement nécessaire au déroulement de l’inspection visuelle ou de la fouille des bagages, qui doit avoir lieu en présence du propriétaire.
« En cas de découverte d’une infraction ou si le propriétaire du bagage le demande, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et heures de début et de fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à l’intéressé et un autre exemplaire est transmis sans délai au procureur de la République.
« IV. – Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. » ;
2° Le second alinéa de l’article 78-2-3 est ainsi rédigé :
« Le II de l’article 78-2-2 est applicable au présent article. » ;
3° L’article 78-2-4 est ainsi rédigé :
« Art. 78-2-4. – I. – Pour prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens, les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 peuvent procéder non seulement aux contrôles d’identité prévus au septième alinéa de l’article 78-2 mais aussi, avec l’accord du conducteur ou du propriétaire du bagage ou, à défaut, sur instructions du procureur de la République communiquées par tous moyens, à :
« 1° La visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public ;
« 2° L’inspection visuelle des bagages ou leur fouille, dans les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs.
« II. – Pour l’application du 1° du I du présent article, le II de l’article 78-2-2 est applicable.
« Dans l’attente des instructions du procureur de la République, le véhicule peut être immobilisé pour une durée qui ne peut excéder trente minutes.
« III. – Pour l’application du 2° du I du présent article, le III de l’article 78-2-2 est applicable.
« Dans l’attente des instructions du procureur de la République, le propriétaire du bagage peut être retenu pour une durée qui ne peut excéder trente minutes. »
Article 6 bis AA
La section 1 du chapitre II du titre III du livre VI de la première partie du code des transports est complétée par un article L. 1632-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1632-2-1. – La transmission aux forces de l’ordre des images réalisées en vue de la protection des véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs lors de circonstances faisant redouter la commission imminente d’une atteinte grave aux biens ou aux personnes est autorisée sur décision conjointe de l’autorité organisatrice de transport et de l’exploitant de service de transport. Les images susceptibles d’être transmises ne doivent concerner ni l’entrée des habitations privées, ni la voie publique.
« Cette transmission s’effectue en temps réel et est strictement limitée au temps nécessaire à l’intervention des services de la police ou de la gendarmerie nationales ou, le cas échéant, des agents de la police municipale.
« Une convention préalablement conclue entre l’autorité organisatrice de transport et l’exploitant de service de transport concernés et le représentant de l’État dans le département précise les conditions et modalités de ce transfert. Cette convention prévoit l’information par affichage sur place de l’existence du système de prise d’images et de la possibilité de leur transmission aux forces de l’ordre.
« Lorsque la convention a pour objet de permettre la transmission des images aux services de police municipale, elle est en outre signée par le maire.
« Cette convention est transmise à la commission départementale de vidéoprotection mentionnée à l’article L. 251-4 du code de la sécurité intérieure qui apprécie la pertinence des garanties prévues et en demande, le cas échéant, le renforcement au représentant de l’État dans le département.
« Ne sont pas soumis au présent article les systèmes utilisés dans des traitements automatisés ou contenus dans des fichiers structurés selon des critères permettant d’identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques, qui sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Les compétences dévolues au représentant de l’État dans le département par le présent article sont exercées dans les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, ainsi que dans les transports en commun de voyageurs par voie ferrée de la région d’Île-de-France, par le préfet de police et dans le département des Bouches-du-Rhône par le préfet de police des Bouches-du-Rhône. »
Article 6 bis A
(Supprimé)
Article 6 bis
Le code des transports est ainsi modifié :
1° Le chapitre Ier du titre IV du livre II de la deuxième partie est complété par des articles L. 2241-10 et L. 2241-11 ainsi rédigés :
« Art. L. 2241-10. – Les passagers des transports routiers, ferroviaires ou guidés doivent être en mesure de justifier de leur identité lorsqu’ils ne disposent pas d’un titre de transport valable à bord des véhicules de transport ou dans les zones dont l’accès est réservé aux personnes munies d’un titre de transport, ou lorsqu’ils ne régularisent pas immédiatement leur situation. Ils doivent, pour cela, être porteurs d’un document attestant de cette identité ; la liste des documents valables est établie par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé des transports.
« Le présent article n’est pas applicable aux mineurs accompagnés par une personne de plus de dix-huit ans qui en a la charge ou la surveillance.
« Art. L. 2241-11. – Les entreprises de transports routiers, ferroviaires ou guidés peuvent subordonner le voyage de leurs passagers à la détention d’un titre de transport nominatif. Dans ce cadre, le passager est tenu, lorsque l’entreprise de transport le lui demande, de présenter un document attestant son identité afin que soit vérifiée la concordance entre celle-ci et l’identité mentionnée sur son titre de transport. » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 2241-6, après le mot : « tarifaires », sont insérés les mots : « , à l’article L. 2241-10 » ;
3° À l’article L. 3116-1, après la référence : « L. 2241-5, », est insérée la référence : « et l’article L. 2241-10 ».
Article 6 ter
I. – Le livre II de la deuxième partie du code des transports est complété par un titre VI ainsi rédigé :
« TITRE VI
« AUTRES SERVICES INTERNES DE SÉCURITÉ
« Art. L. 2261-1. – Dans le cadre des compétences de transport de passagers dévolues par la loi aux autorités organisatrices de transports de voyageurs, les exploitants sont tenus d’assurer la sûreté des personnes et des biens transportés conformément aux cahiers des charges fixés par les autorités organisatrices de transport. À cette fin, les exploitants peuvent se doter de services de sécurité internes soumis au livre VI du code de la sécurité intérieure.
« Le représentant de l’État dans le département peut conclure avec les autorités organisatrices de transports collectifs terrestres et leurs exploitants qui exercent une compétence de transport collectif sur le territoire départemental un contrat d’objectif départemental de sûreté dans les transports, qui détermine les objectifs de sûreté des différents réseaux et services de transport ainsi que les moyens mis en œuvre pour les atteindre. Un tel contrat ne peut mettre à la charge des autorités organisatrices de transport le financement d’actions ou de services qui relèvent de la compétence exclusive de l’État en vertu de la loi. »
II. – Le 1° de l’article L. 611-1 du code de la sécurité intérieure est complété par les mots : « ou dans les véhicules de transport public de personnes ».
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
Article 6 quinquies
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 31 décembre 2017, un rapport sur l’évaluation du coût de la sûreté dans les transports collectifs de voyageurs et sur ses modalités de financement.
TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES À LA POLICE DU TRANSPORT PUBLIC DE VOYAGEURS
Article 7
L’article L. 2241-5 du code des transports est ainsi rédigé :
« Art. L. 2241-5. – Les agents mentionnés au I de l’article L. 2241-1 peuvent constater par procès-verbal le délit prévu à l’article 446-1 du code pénal lorsqu’il est commis dans les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs.
« Les agents mentionnés au premier alinéa peuvent appréhender, en vue de leur confiscation par le tribunal, les marchandises de toute nature offertes, mises en vente ou exposées en vue de la vente dans les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs sans l’autorisation administrative nécessaire. Ils peuvent également saisir dans les mêmes conditions les étals supportant ces marchandises.
« Les marchandises saisies sont détruites lorsqu’il s’agit de denrées impropres à la consommation. Elles sont remises à des organisations caritatives ou humanitaires d’intérêt général lorsqu’il s’agit de denrées périssables.
« Il est rendu compte à l’officier de police judiciaire compétent de la saisie des marchandises et de leur destruction ou de leur remise aux organisations mentionnées au troisième alinéa. »
Article 8
L’article L. 2242-6 du code des transports est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « une voiture » sont remplacés par les mots : « tout moyen de transport public de personnes payant » ;
2° Le second alinéa est ainsi modifié :
a) Le mot : « dix » est remplacé par le mot : « cinq » ;
b) (Supprimé)
Article 8 bis
Le troisième alinéa de l’article L. 2241-2 du code des transports est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La violation de cette obligation est punie de deux mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. »
Article 8 ter
À l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après le mot : « correctionnelle, », sont insérés les mots : « ainsi qu’une transaction prévue à l’article 529-3 du code de procédure pénale, ».
Article 9
I. – Après l’article L. 2241-2 du code des transports, il est inséré un article L. 2241-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2241-2-1. – Pour fiabiliser les données relatives à l’identité et à l’adresse du contrevenant recueillies lors de la constatation des contraventions mentionnées à l’article 529-3 du code de procédure pénale, les agents de l’exploitant du service de transport chargés du recouvrement des sommes dues au titre de la transaction mentionnée à l’article 529-4 du même code peuvent obtenir communication auprès des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale, sans que le secret professionnel puisse leur être opposé, des renseignements, strictement limités aux nom, prénoms, date et lieu de naissance des contrevenants, ainsi qu’à l’adresse de leur domicile. Ils sont tenus au secret professionnel.
« Les renseignements transmis ne peuvent être utilisés que dans le cadre de la procédure prévue aux articles 529-3 à 529-5 du code de procédure pénale, en vue de permettre le recouvrement des sommes dues au titre de la transaction pénale ou de l’amende forfaitaire majorée. Ils ne peuvent être communiqués à d’autres tiers que ceux chargés de recouvrer ces sommes ou à l’autorité judiciaire qui est informée des cas d’usurpation d’identité détectés à l’occasion de ces échanges d’information.
« Les demandes des exploitants et les renseignements communiqués en réponse sont transmis par l’intermédiaire d’une personne morale unique, commune aux exploitants. Les agents de cette personne morale unique susceptibles d’avoir accès à ces renseignements, dont le nombre maximal est fixé par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et des ministres chargés des finances et des transports, sont spécialement désignés et habilités à cet effet par la personne morale. Ils sont tenus au secret professionnel.
« Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
II. – Le chapitre III du titre II de la première partie du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° Le VII de la section II est complété par un 10° ainsi rédigé :
« 10° : Exploitants de transports publics ferroviaires, guidés ou routiers
« Art. L. 166 F. – L’obligation du secret professionnel ne fait pas obstacle à ce que l’administration fiscale transmette à la personne morale mentionnée au troisième alinéa de l’article L. 2241-2-1 du code des transports les renseignements, relatifs aux nom, prénoms, date et lieu de naissance ainsi qu’à l’adresse du domicile des auteurs des contraventions mentionnées à l’article 529-3 du code de procédure pénale, utiles à la réalisation de la transaction prévue à l’article 529-4 du même code.
« Le secret professionnel ne fait pas obstacle à ce que cette personne morale transmette aux agents de l’exploitant du service de transport chargés du recouvrement des sommes dues au titre de la transaction mentionnée au même article 529-4 les informations nécessaires à l’exercice de cette mission.
« L’exploitant visé au deuxième alinéa peut, par convention, mettre à disposition de l’administration fiscale des personnels afin d’exercer des missions contribuant à l’amélioration du recouvrement des amendes forfaitaires majorées mentionnées à l’article 529-5 du code de procédure pénale. L’obligation au secret professionnel ne fait pas obstacle à ce que ces personnels accèdent aux informations et documents nécessaires à l’exercice de la mission qui leur est confiée. » ;
2° Au second alinéa de l’article L. 113, la référence : « et L. 166 D » est remplacée par les références : « , L. 166 D et L. 166 F ».
Article 9 bis
(Supprimé)
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
Article 11
(Supprimé)
Article 12
I. – Le I de l’article L. 2241-1 du code des transports est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° Les agents de police municipale. »
II. – Le titre Ier du livre V du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 511-1 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Affectés par le maire à des missions de maintien du bon ordre au sein des transports publics de voyageurs, les agents de police municipale peuvent constater par procès-verbaux les infractions mentionnées à l’article L. 2241-1 du code des transports sur le territoire de la commune ou des communes formant un ensemble d’un seul tenant dans les conditions définies à l’article L. 512-1-1 du présent code, sans pouvoir excéder le ressort du tribunal auprès duquel ils ont prêté serment.
« À cette fin, les communes contiguës desservies par un ou plusieurs réseaux de transports publics peuvent conclure entre elles une convention locale de sûreté des transports collectifs afin de permettre à leurs polices municipales d’exercer indistinctement leurs compétences sur les parties de réseaux qui les traversent. Cette convention est conclue sous l’autorité du représentant de l’État dans le département dans le respect des conventions de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’État prévues à la section 2 du chapitre II du présent titre et dans le respect du contrat d’objectif départemental de sûreté dans les transports collectifs. » ;
2° Après l’article L. 512-1, il est inséré un article L. 512-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 512-1-1. – Pour l’exercice des missions mentionnées à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 511-1, les communes formant un ensemble d’un seul tenant peuvent autoriser un ou plusieurs agents de police municipale à intervenir sur le territoire de chacune d’entre elles, dans les conditions prévues par la convention prévue au dernier alinéa du même article L. 511-1.
« Pendant l’exercice de leurs fonctions sur le territoire d’une commune, ces agents sont placés sous l’autorité du maire de cette commune.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
Article 13
Le titre IV du livre II de la deuxième partie du code des transports est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa de l’article L. 2241-1-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans l’exercice de leurs missions de recherche de la fraude prévues par le code des douanes, les agents des douanes accèdent librement aux trains en circulation sur le territoire français. » ;
2° L’article L. 2241-6 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– après la première occurrence du mot : « public », sont insérés les mots : « , ainsi que toute personne qui refuse de se soumettre à l’inspection visuelle ou à la fouille de ses bagages ou aux palpations de sécurité » ;
– les mots : « enjoindre par les agents mentionnés au I de l’article L. 2241-1 » sont remplacés par les mots : « interdire par les agents mentionnés au I de l’article L. 2241-1 l’accès au véhicule de transport, même munie d’un titre de transport valide. Le cas échéant, elle peut se voir enjoindre par ces mêmes agents » ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « contraindre l’intéressé à descendre du véhicule » sont remplacés par les mots : « interdire à l’intéressé l’accès du véhicule ou le contraindre à en descendre » ;
3° À l’article L. 2242-5, après les mots : « puni de », sont insérés les mots : « deux mois d’emprisonnement et de » ;
4° Le chapitre II est complété par un article L. 2242-10 ainsi rédigé :
« Art. L. 2242-10. – Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, tout message de nature à signaler la présence de contrôleurs ou d’agents de sécurité employés ou missionnés par un exploitant de transport public de voyageurs est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. »
TITRE III
Dispositions relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes dans les transports
Article 14
I. – Le code des transports est ainsi modifié :
1° L’article L. 1632-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les atteintes à caractère sexiste dans les transports publics collectifs de voyageurs font l’objet d’un bilan annuel transmis au Défenseur des droits, à l’Observatoire national des violences faites aux femmes et au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Ce bilan énonce les actions entreprises pour prévenir et recenser ces atteintes. » ;
2° Le deuxième alinéa de l’article L. 2251-1 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« La prévention des violences et des atteintes à caractère sexiste dans les transports publics est un axe prioritaire de leur action. »
TITRE IV
DISPOSITIONS RELATIVES À L’OUTRE-MER
Article 15
I. – Le 2° du I de l’article 1er et les articles 3 bis, 6 et 8 ter sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
II. – Le 1° A du II de l’article 1er, en ce qu’il modifie l’article L. 511-1 du code de la sécurité intérieure, est applicable en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
III. – L’article 12 est applicable en Polynésie française.
IV. – Le titre IV du livre VI du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Avant le 11° bis des articles L. 645-1 et L. 647-1, il est inséré un 11° bis A ainsi rédigé :
« 11° bis A Au 2° de l’article L. 632-1, après les mots : “activités mentionnées aux titres Ier, II et II bis”, la fin de l’alinéa est supprimée ; »
2° Avant le 12° bis de l’article L. 646-1, il est inséré un 12° bis A ainsi rédigé :
« 12° bis A Au 2° de l’article L. 632-1, après les mots : “activités mentionnées aux titres Ier, II et II bis”, la fin de l’alinéa est supprimée ; ».
M. le président. Nous allons maintenant examiner les amendements déposés par le Gouvernement.
articles 1er à 6 bis A
M. le président. Sur les articles 1er à 6 bis A, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
article 6 bis
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
3° Le début de l'article L. 3116-1 est ainsi rédigé : « Les 1°, 4°, 5° et 6° du I et le II de l'article L. 2241-1, les articles L. 2241-2 à L. 2241-7, à l'exception de l'article L. 2241-5, et l'article L. 2241-10 sont applicables (le reste sans changement) ».
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Les trois amendements déposés par le Gouvernement sont des amendements de cohérence.
L’amendement n° 3 vise, conformément au souhait du législateur, à permettre que le champ d’intervention des agents habilités à constater par procès-verbal les infractions de police et à la sûreté du transport – les agents de police municipale entreront désormais dans cette catégorie – comprenne aussi les services de transport public routier de personnes, et non pas seulement les transports ferroviaires ou guidés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre, pour explication de vote.
M. Louis Nègre. Cet amendement de cohérence ne pose aucun problème sur le fond.
Je voudrais revenir sur les propos qu’a tenus M. le secrétaire d’État en réponse à mon intervention dans la discussion générale.
Bien entendu, aucun texte n’autorise la fraude, mais, pour ma part, je vis dans le pays réel et je constate, à l’instar de tous les usagers, l’étendue de celle-ci. À ma connaissance, il n’existe à ce jour aucune interconnexion des fichiers permettant réellement, concrètement, sur le terrain, d’empêcher les fraudeurs de cumuler les infractions sans encourir la constitution du délit de fraude d’habitude. Les chiffres que j’ai cités peuvent être atteints !
Quant au Conseil constitutionnel, il lui appartient, à lui aussi, de prendre ses responsabilités et de dire s’il juge ou non acceptables ces atteintes aux valeurs civiques que constituent ces fraudes. Pour ma part, je ne les accepte pas !
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les compétences dévolues au représentant de l’État dans le département par le deuxième alinéa du présent article sont exercées dans les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne par le préfet de police et dans le département des Bouches-du-Rhône par le préfet de police des Bouches-du-Rhône. »
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Sur les articles 6 quinquies à 14, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
article 15
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 4 à 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Le vote sur l’article 15, modifié, est réservé.
Personne ne demande la parole pour explication de vote sur l’ensemble de la proposition de loi ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement.
(La proposition de loi est adoptée.)
8
Nomination de membres de commissions mixtes paritaires
M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs.
La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Philippe Bas, François Zocchetto, Mmes Catherine Troendlé, Jacky Deromedi, M. Jacques Bigot, Mmes Catherine Tasca et Cécile Cukierman ;
Suppléants : MM. Pierre-Yves Collombat, Yves Détraigne, Christophe-André Frassa, Jean-Yves Leconte, Alain Marc, François Pillet et Jean-Pierre Sueur.
Par ailleurs, il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Philippe Bas, Alain Vasselle, Mmes Catherine Di Folco, Jacqueline Gourault, MM. René Vandierendonck, Alain Richard et Christian Favier ;
Suppléants : MM. François Bonhomme, Pierre-Yves Collombat, Michel Delebarre, Yves Détraigne, Christophe-André Frassa, Hugues Portelli et Simon Sutour.
Enfin, il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle.
Les listes des candidats établies par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale ont été publiées conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, ces listes sont ratifiées et je proclame représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires :
Titulaires : MM. Philippe Bas, Christophe Béchu, Hugues Portelli, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Alain Anziani, Jean-Pierre Sueur, Mme Cécile Cukierman ;
Suppléants : M. Pierre-Yves Collombat, Mmes Jacky Deromedi, Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Jean-Yves Leconte, Mmes Catherine Tasca et Catherine Troendlé.
9
Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
M. le président. La commission des lois et celle de l’aménagement du territoire et du développement durable ont proposé des candidatures pour le Conseil national de la mer et des littoraux.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Pierre Frogier et Mme Odette Herviaux membres titulaires, et Mme Annick Billon et M. Thani Mohamed Soilihi membres suppléants du Conseil national de la mer et des littoraux.
(Mme Jacqueline Gourault remplace M. Jean-Pierre Caffet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
10
Chambres de commerce et d'industrie et chambres de métiers et de l'artisanat
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat (texte de la commission n° 384, rapport n° 383).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Lenoir, en remplacement de M. Michel Houel, rapporteur.
M. Jean-Claude Lenoir, vice-président de la commission mixte paritaire, en remplacement de M. Michel Houel, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par rendre hommage au très important travail accompli par Michel Houel, qui, empêché, m’a demandé de le suppléer ce soir. Afin de ne pas altérer sa pensée, je vous lirai très scrupuleusement le texte de son intervention.
Le Sénat est aujourd’hui saisi des conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 16 février dernier à l’Assemblée nationale pour tenter de parvenir à un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat.
Seules les dispositions de ce texte relatives au réseau des chambres de commerce et d’industrie restaient en discussion.
En effet, lors de son examen du projet de loi, le Sénat avait entendu apporter au texte adopté par l’Assemblée nationale certaines inflexions, sans pour autant remettre en cause le cœur du projet de loi, qui est de rationaliser les réseaux consulaires pour leur donner davantage d’efficacité dans l’accompagnement économique.
Ces modifications s’inscrivaient dans une philosophie simple à énoncer : à l’heure où chacun peut constater la paupérisation économique des zones rurales de notre pays, il est indispensable de prévoir les conditions d’un maillage effectif de l’ensemble du territoire national par le réseau des CCI, afin que l’appui de proximité aux entreprises, qui est la raison d’être des CCI, ne soit pas remis en cause par des regroupements de structures dictés, pour l’essentiel, par la diminution drastique du financement public des chambres depuis plusieurs années. Cela est encore plus nécessaire aujourd’hui, compte tenu de la superficie des nouvelles régions instituées depuis le 1er janvier dernier. À cet égard, le Sénat avait pris en compte le fait que l’élargissement des territoires régionaux impliquait la présence, à l’échelon départemental, de structures à même d’assurer cet indispensable lien de proximité entre les institutions consulaires et les entreprises.
C’est la raison pour laquelle le Sénat a imposé, en première lecture, la présence, dans chaque département, d’une chambre territoriale ou, à défaut, d’une délégation de la chambre régionale, lorsqu’il n’existe aucune structure de niveau infrarégional.
Par ailleurs, le Sénat avait précisé le texte adopté par l’Assemblée nationale sur deux points.
D’une part, il avait souhaité lever toute incertitude quant à l’impossibilité de remettre en cause, contre leur gré, le statut des chambres territoriales de Seine-et-Marne et de l’Essonne, afin de préserver l’équilibre découlant de la loi du 23 juillet 2010.
D’autre part, il avait entendu ne conférer un caractère juridiquement opposable qu’aux schémas directeurs adoptés par les chambres après l’entrée en vigueur de la présente loi.
Enfin, le Sénat avait voulu que l’action de solidarité financière entre les chambres prenne véritablement en considération la situation des chambres en difficulté situées en zones hyper-rurales. Il a donc fléché vers ces chambres 50 % du montant du fonds de solidarité créé par la loi de finances pour 2016.
Cherchant à concilier les positions du Sénat avec celles de l’Assemblée nationale, les membres de la commission mixte paritaire ont tenté de parvenir à un texte commun.
Un vote est intervenu, qui n’a pas été unanime. Une courte majorité s’est dégagée en commission mixte paritaire pour adopter une rédaction qui, je le dis très clairement, ne convient pas à une partie de notre assemblée. Dura lex, sed lex !
En effet, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire répond seulement partiellement aux attentes du Sénat.
Sur la pérennisation de la situation particulière des chambres territoriales de Seine-et-Marne et de l’Essonne, la commission mixte paritaire, dans sa sagesse, a repris le texte du Sénat. En revanche, elle a supprimé l’article 1er ter relatif à l’entrée en vigueur différée du caractère contraignant des schémas directeurs, sujet de contentieux sur lequel je vous interrogerai ultérieurement, madame la secrétaire d’État.
Sur deux points importants, une rédaction de compromis a été adoptée par la commission mixte paritaire, qui a entendu certains des arguments défendus par les représentants du Sénat.
Tout d’abord, à l’article 1er ter, le principe d’un fléchage d’une partie du fonds de péréquation des chambres a été maintenu par la commission mixte paritaire, mais avec deux atténuations : d’une part, ce fléchage concerne désormais non seulement les chambres situées en zones hyper-rurales, mais également les chambres des départements d’outre-mer ; d’autre part, la quotité « réservée » à ces chambres est fixée à 25 % seulement du montant du fonds. En outre, a été prévu explicitement un reversement au fonds des sommes qui n’auraient pas été utilisées par les chambres bénéficiaires.
Ensuite, à l’article 1er, l’exigence d’une chambre territoriale par département a été, hélas, supprimée.
M. Éric Doligé. C’est scandaleux !
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. En lieu et place, le texte qui vous est proposé prévoit que les schémas directeurs devront tenir compte « du maintien des services de proximité d’appui aux entreprises dans les départements et les bassins économiques ».
Cette disposition implique la présence, dans chaque département, d’une implantation du réseau, sans pour autant que celle-ci prenne la forme d’un établissement public : ce pourra donc être une simple « antenne », sans personnalité juridique, qui sera présente dans certains départements, et pas nécessairement une chambre territoriale.
En définitive, pour certains départements, juridiquement, l’interlocuteur consulaire ne sera plus implanté sur leur propre territoire, mais sur celui d’un autre département de la région.
Sur ce point, c’est donc une version dégradée de la position du Sénat qui a été retenue par la commission mixte paritaire, ce que je regrette à titre personnel.
Néanmoins, en ma qualité de vice-président de la commission mixte paritaire, suppléant aujourd’hui son rapporteur pour le Sénat, notre collègue Michel Houel, je ne peux qu’inviter le Sénat à adopter le texte issu de ses travaux.
M’exprimant désormais à titre personnel, je vous poserai, madame la secrétaire d’État, la question que j’ai annoncée et dont je m’étais permis de vous communiquer le texte au préalable afin que vous ne soyez pas prise de court.
Comme vous le savez, la commission mixte paritaire a adopté un texte de compromis qui recèle une ambiguïté essentielle quant aux conditions de son entrée en vigueur et à son application aux situations en cours.
Avant de se prononcer sur ce texte, une partie, sans doute majoritaire, de notre assemblée souhaiterait entendre votre réponse : il convient que cette ambiguïté soit levée pour qu’elle puisse déterminer son vote.
Je souhaite vous interroger sur les effets de la suppression de l’article 1er ter, qui avait été introduit par le Sénat et qui précisait les conditions de l’entrée en vigueur des dispositions du projet de loi, spécialement de celle relative au caractère contraignant désormais attaché aux schémas directeurs. Cette disposition nous était apparue importante pour déterminer les effets juridiques immédiats de la réforme. Cette précision ayant été supprimée, la question n’est pas résolue et se pose avec acuité.
Afin de pouvoir émettre un vote pleinement éclairé, je vous la pose solennellement : le caractère contraignant donné aux schémas directeurs par l’article 1er du projet de loi sera-t-il, oui ou non, applicable aux schémas directeurs qui, dans certaines régions, ont d’ores et déjà été adoptés sous l’empire du droit antérieur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi est un texte attendu par les réseaux consulaires des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat.
Si vous le votez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte leur permettra de disposer de tous les outils nécessaires pour mener à bien leur réorganisation avant les élections prévues pour la fin de cette année, avec pour objectif final de mieux servir encore les acteurs économiques qui font la vitalité de nos territoires.
Je me réjouis qu’un accord ait été trouvé au sein de la commission mixte paritaire, et je salue les sénateurs qui ont œuvré dans ce sens.
Les discussions ont permis d’aboutir à un texte équilibré, qui a d’ailleurs été adopté par l’Assemblée nationale le 17 février dernier.
Ce texte est équilibré parce qu’il respecte les grands principes devant guider la réforme, à savoir le libre choix pour les chambres consulaires de définir une organisation adaptée aux besoins des entreprises sur leur territoire, mais aussi la mise en place de mécanismes incitant les réseaux à concrétiser rapidement leurs réorganisations.
Ce texte est équilibré parce qu’il intègre un certain nombre de propositions parlementaires, faisant notamment suite aux amendements adoptés par le Sénat.
Concernant l’article 1er du projet de loi, des compromis ont été trouvés en commission mixte paritaire sur trois points portant sur les CCI.
Tout d’abord, les futurs schémas directeurs pourront tenir compte du maintien de services de proximité dans les départements et les bassins économiques.
Ensuite, le sort des schémas directeurs adoptés avant la loi est clarifié. La loi ne concerne que les schémas directeurs qui seront adoptés après sa publication. Elle ne confère pas de caractère opposable aux schémas adoptés antérieurement. Cela lève donc, monsieur le rapporteur, l’ambiguïté que vous évoquiez : pour ces derniers, c’est le droit antérieur qui s’applique.
Enfin, concernant le fonds de modernisation, de rationalisation et de solidarité financière, chaque CCI de région devra répartir au moins un quart du montant de ce fonds entre les CCI territoriales dont le ressort comprend une proportion substantielle de communes ou de groupements de communes classés en zone de revitalisation rurale et les chambres des régions et départements d’outre-mer. Cette disposition doit permettre un meilleur ciblage des moyens sur des projets structurants et sur les CCI en difficulté, conformément à l’objectif de solidarité fixé à ce fonds.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les réseaux consulaires s’apprêtent à élire de nouvelles équipes, à la fin de cette année 2016. Il nous revient de leur permettre de se réorganiser avant cette échéance.
Je veux bien sûr remercier les membres de la Haute Assemblée pour leurs contributions à ce texte. Les travaux effectués dans le cadre de la commission mixte paritaire ont permis d’enrichir ce dernier et de préciser des points essentiels relatifs au fonds de péréquation ou à la possibilité de maintien de structures consulaires de niveau départemental. Les préoccupations parlementaires ont trouvé, je le crois, une traduction satisfaisante dans le texte, et il vous revient désormais de leur donner une valeur législative.
L’année 2016 doit être une année de transition utile, au terme de laquelle les réseaux auront pu se regrouper et mutualiser leurs services pour pouvoir mener à bien leurs missions en faveur du développement économique de nos territoires. C’est la raison pour laquelle je vous invite à adopter le projet de loi soumis aujourd’hui à vos suffrages.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte vient parachever un processus de régionalisation et de mutualisation des structures des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat entamé en 2005.
Comme je l’avais souligné lors de la première lecture, pour le Morbihan et beaucoup d’autres départements, ce processus de rationalisation et de mutualisation a déjà atteint un stade avancé, permettant des économies d’échelle tout en préservant un maillage territorial fort du territoire, y compris dans les zones rurales.
Ce texte ne pose donc pas de problème majeur à nos yeux et ne vient pas bouleverser les équilibres et la bonne gestion observés ces dernières années.
Les acteurs du territoire sont en revanche beaucoup plus critiques, eu égard au prélèvement sur leur trésorerie effectué sans concertation ou presque lors de la construction du projet de loi de finances, qui a abouti, pour le Morbihan comme pour d’autres départements, à la mise en sommeil de projets pourtant importants pour leur développement économique.
Le Sénat, dans son rôle, a adopté des modifications permettant de mieux protéger et soutenir les territoires ruraux et hyper-ruraux, au travers de deux dispositifs, visant à garantir le maintien de délégations des chambres au sein de chaque département et à réserver une part du montant du fonds de péréquation aux chambres les plus fragiles financièrement, celles qui maintiennent des services dans les territoires hyper-ruraux.
La commission mixte paritaire n’a pas remis en cause ces dispositifs, ce qui a permis un accord. Toutefois, elle a amoindri le dispositif de péréquation, en ne réservant que 25 % du montant du fonds de péréquation aux territoires ruraux.
Notre collègue Alain Bertrand nous a alertés sur une divergence d’interprétation fâcheuse concernant la notion de « proportion substantielle de communes ou de groupements de communes classés en zone de revitalisation rurale ». En effet, CCI France a interprété cette notion au niveau régional en retenant un seuil de 33 % des communes ou groupements de communes situés dans ces zones.
Malheureusement, cette interprétation va à l’encontre de l’esprit qui a présidé à l’adoption de cette mesure. Le Sénat souhaitait consacrer cette part du fonds de péréquation aux territoires les plus en souffrance, à savoir les territoires hyper-ruraux.
Notre collègue Alain Bertrand n’ayant pu être présent ce soir, je tiens à me faire ici l’un de ses interprètes : les territoires hyper-ruraux méritent toute notre attention, car ils sont porteurs d’avenir dans la mesure où nous en prenons soin. (M. Jean-François Longeot applaudit.)
J’espère donc que le Gouvernement prêtera une attention toute particulière à ces territoires fragiles qui ont besoin, plus que d’autres, du soutien des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers. La suite du débat déterminera notre vote sur ce texte, que nous envisageons d’approuver.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on peut regretter le recours à la procédure accélérée pour l’examen du présent texte, car il prive les parlementaires d’une deuxième lecture et de l’occasion de progresser vers une rédaction plus consensuelle.
D’une manière qui n’est pas sans rappeler les débats que nous avons eus lors de l’examen de la loi NOTRe, le présent projet de loi cristallise les divergences sur l’évolution de notre organisation territoriale.
Le titre II, relatif aux chambres de métiers et de l’artisanat, les CMA, faisait consensus. Il a été adopté conforme par le Sénat.
Tel n’est pas le cas du titre Ier relatif aux chambres de commerce et d’industrie. Lors de la première lecture, le Sénat avait adopté plusieurs modifications de nature à préserver un maillage de proximité du réseau de chambres de commerce et d’industrie.
Était ainsi prévu le maintien de délégations départementales en cas de fusion de l’ensemble des chambres territoriales au sein d’une même région. Le texte garantissait la présence d’au moins une chambre de commerce et d’industrie dans chaque département.
L’insertion de l’article 1er bis, grâce à l’adoption d’un amendement de notre collègue Alain Bertrand et de plusieurs membres du groupe RDSE, devait permettre de flécher la moitié au moins des 18 millions d’euros du fonds de péréquation vers les chambres situées en zone de revitalisation rurale. Créé par la loi de finances pour 2016, ce fonds doit, entre autres missions, contribuer à la solidarité financière à laquelle une CCI de région est tenue au titre de sa mission d’animation du réseau des chambres territoriales de sa circonscription prévue dans le code de commerce. Une CCI de région doit ainsi venir en aide à une CCI territoriale confrontée à des difficultés financières ponctuelles.
Enfin, l’article 1er ter préservait la non-opposabilité des schémas directeurs régionaux adoptés avant l’entrée en vigueur du présent projet de loi.
Malheureusement, la commission mixte paritaire est revenue sur ces garanties. L’article 1er ter a été supprimé, ainsi que les ajouts à l’article 1er et le fléchage du fonds de péréquation vers les CCI rurales en difficulté a été abaissé au niveau du quart seulement de son montant, ce qui en limite nécessairement la portée.
Par ailleurs, la rédaction finale de l’article comporte une ambiguïté embarrassante : elle indique que ce fléchage profite aux chambres territoriales dont le ressort comprend une proportion « substantielle » de communes ou groupements de communes classés en zone de revitalisation rurale.
Or cette rédaction a été interprétée dans un sens bien trop large par CCI France. En effet, elle a fixé à 33 % le seuil de cette proportion substantielle. Une simple vérification sur la carte des ZRR montre que près de la moitié des départements sont éligibles au fléchage. Cela conduira inévitablement à un saupoudrage des ressources du fonds et à une dilution du fléchage, alors que la priorité devrait être de soutenir les CCI situées dans les territoires les plus désertifiés. Pour être fidèle à l’esprit du texte, il faudrait que le fléchage concerne les chambres territoriales dont le ressort comprend une majorité de communes ou groupements de communes situés en ZRR, le seuil pouvant même être fixé à 66 %, voire à 75 %.
Madame la secrétaire d'État, notre collègue Alain Bertrand vous a écrit à ce sujet : durant les débats, les membres de la commission mixte paritaire ont bien visé les CCI territoriales des zones hyper-rurales en difficulté financière et juridiquement situées dans les zones de revitalisation rurale, mais en aucun cas une répartition étendue de droit à l’ensemble des ZRR. Avec le seuil particulièrement bas qui a été retenu ultérieurement, le fonds pourrait profiter à des CCI territoriales qui n’en ont pas besoin, tandis que d’autres se trouveraient privées de ressources vitales.
Mes chers collègues, vous le voyez, les réserves que nous formulons sur le texte de la commission mixte paritaire sont importantes. Cette rédaction répond à l’objectif louable de moderniser le réseau des CCI, mais elle comporte le défaut majeur d’opérer cette réorganisation au détriment des territoires les plus isolés, les plus fragiles, ainsi que de l’échelon départemental, qui est le véritable échelon de proximité. Sur le terrain, cette réforme est perçue comme un coup supplémentaire porté à la présence des services publics. L’échelon régional, surtout avec les nouvelles grandes régions, apparaît lointain, abstrait à beaucoup d’acteurs, et surtout sa promotion accélère la désertification contre laquelle nous ne cessons de lutter.
Bien sûr, la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire est meilleure que celle de l’Assemblée nationale, mais elle demeure à nos yeux insuffisante et n’apporte pas toutes les garanties que nous souhaitons, comme le faisait le texte du Sénat.
Madame la secrétaire d'État, nous devons veiller à maintenir un équilibre entre les zones urbaines et les zones rurales. Aujourd’hui, la métropolisation des grandes villes conduit à une concentration toujours plus forte des populations et des activités en leur sein.
Le maintien d’un réseau de CCI de proximité est un élément important du développement économique futur des territoires ruraux. C’est pourquoi les dispositions de ce projet de loi suscitent encore notre inquiétude ; nous attendons de connaître votre réponse. Nous avons besoin de réelles garanties pour pouvoir leur apporter notre entier soutien. (MM. Joël Labbé et Jean-François Longeot applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l’accord qui a été trouvé en commission mixte paritaire le mois dernier est équilibré. Il traduit notre volonté de faire confiance aux acteurs économiques, tout en assumant la responsabilité qui est la nôtre de ne pas ignorer les problématiques des territoires ruraux et de les rassurer. C’est tout le sens de la mise en place du fonds de péréquation, qui a été revalorisé à la demande du Sénat.
Autant les acteurs économiques ont la légitimité nécessaire pour préconiser une organisation économique pertinente, autant nous l’avons pour définir une approche spécifique aux territoires et adaptée à leurs réalités.
Le texte issu des travaux de la CMP sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer va dans ce sens. Il accorde aux réseaux des CCI et des chambres de métiers et de l’artisanat la liberté de développer leur schéma organisationnel stratégique selon les priorités identifiées dans chaque région.
À l’heure où le chômage explose et où le tissu économique de notre pays connaît de grandes difficultés, les acteurs économiques consulaires constituent un levier propre à consolider l’activité, et donc l’emploi. Ils sont en mesure d’identifier les enjeux porteurs, de soutenir les initiatives et les projets, qu’ils connaissent bien, et sont les mieux à même d’ajuster leur propre organisation.
Leur donner cette liberté d’adaptation est à la fois légitime et responsable. Nous qui réclamons quotidiennement, dans cette assemblée, des décisions politiques prises en lien avec les territoires et les acteurs locaux, la simplification dans la gouvernance, la réactivité dans la prise de décision, ne pouvons ignorer la volonté de ces acteurs de terrain, de CCI France, dont les membres ont plébiscité ce texte par deux fois, à hauteur de près de 80 % en assemblée générale et à l’unanimité lors du dernier comité directeur.
À présent, nous le savons, ces acteurs économiques comptent sur une adoption rapide de ce projet de loi pour pouvoir passer à l’action, se réorganiser. Ils ont besoin de réactivité pour avancer, pour faire face à des réalités nouvelles, notamment les réductions budgétaires qui leur sont imposées.
À ceux qui craignent légitimement de voir s’effacer un réseau de proximité, je précise que le texte, déjà dans sa version initiale, mais plus encore dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, permet une présence et des services de proximité adaptés aux projets des territoires.
Il faut le noter, dans la grande majorité des régions, les CCI territoriales ont été maintenues à l’échelon départemental après des concertations régionales. Dans quelques cas, elles ont été supprimées. Les situations sont bien évidemment complexes : elles résultent souvent de considérations locales qui doivent, je pense, être débattues sur le terrain pour que l’on puisse aboutir à un consensus. Cela étant, pour sérieuses qu’elles soient, elles ne doivent pas freiner ou retarder l’élan de la grande majorité des territoires, des CCI et des CMA qui sont prêts et impatients d’aller de l’avant pour accompagner et dynamiser les initiatives économiques locales.
Ce projet de loi est fondé sur le dialogue local et permet, comme je l’ai évoqué, de préserver des services de proximité en cas de disparition de la CCIT. Cette possibilité a été renforcée dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire.
En outre, le texte prévoit de flécher le quart de la somme allouée au fonds de péréquation créé par la loi de finances pour 2016, soit à peu près 4 millions d’euros, vers des CCIT situées en zone de revitalisation rurale, ce qui permettra de faciliter l’organisation de services délocalisés.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, en adoptant le texte auquel a abouti la commission mixte paritaire, vous préserverez ces mesures favorables aux zones rurales et aux services de proximité. Le rejeter ce soir reviendrait à laisser le dernier mot à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire à revenir à une rédaction beaucoup moins favorable à ces territoires ruraux auxquels nous sommes tous attachés.
Pour ces raisons, je vous invite donc à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’avait souligné Jean-Pierre Bosino lors de la première lecture, ce projet de loi contribue à la déconstruction de notre réseau consulaire, engagée il y a déjà plusieurs années sous couvert de rationalisation, de modernisation, de simplification, de mutualisation, des mots qui masquent l’austérité et la réduction de la présence et de la qualité du service public.
Ainsi, depuis près de dix ans, ce réseau manque de soutien. Nous considérons, pour notre part, qu’il est dangereux de poursuivre dans cette voie, au vu de l’importance fondamentale des actions menées par les chambres de commerce et d’industrie auprès des entreprises et des territoires en termes de formation, d’accompagnement ou encore de gestion d’infrastructures.
L’importance de ces missions n’a malheureusement pas freiné l’asphyxie progressive des réseaux consulaires, qui s’est traduite par l’érosion des ressources des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat. Nous l’avions souligné en première lecture, en reprenant les mots du rapporteur.
Au moment où l’on proclame haut et fort que la lutte contre le chômage est prioritaire, le Parlement s’apprête à voter la mise en place de plans de suppression d’emplois concernant 1 750 salariés sous statut. Cette réduction des effectifs est appelée à se poursuivre. Il en est de même pour les CMA, pour lesquelles la taxe pour frais de chambre a baissé de 12,5 % entre 2013 et 2016.
Cette situation est jugée seulement « regrettable », mais ce qualificatif apparaît bien faible au regard des faits ! Il faut noter que, de manière insidieuse, ce texte permettra une nouvelle fois de faire quelques économies, qui risquent, malheureusement, d’entraîner une perte de dynamisme au niveau des départements, ce qui sera préjudiciable à l’emploi et à l’innovation, dont nous avons pourtant tant besoin.
Cette réforme est porteuse d’une centralisation administrative à l’échelon régional, laissant de côté les spécificités de terrain et la proximité, véritables atouts territoriaux à valoriser.
Ainsi, l’organisation administrative et institutionnelle de l’échelon départemental est systématiquement affaiblie au fil des différents projets de loi.
Pour notre part, nous soutenons l’octroi d’un fort pouvoir d’initiative aux chambres de commerce et d’industrie et aux chambres de métiers et de l’artisanat, qui agissent au plus près des besoins et des réalités économiques et sociales.
Malheureusement, la disposition prévoyant de garantir par la loi la présence, dans chaque département, d’au moins une chambre de commerce et d’industrie territoriale ou, à tout le moins, d’une délégation de la chambre de commerce et d’industrie régionale n’a pas été retenue par la commission mixte paritaire. Nous le regrettons vivement !
Vous faites sans doute quelques économies, au détriment du service public et de l’aménagement des territoires, mais à quel prix ! Vous privez d’assise territoriale forte les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat, qui ont toujours œuvré efficacement.
Les restructurations et les regroupements de CCI induits par votre projet de loi ne feront que priver les territoires de relais et d’intervention publique dans le domaine de l’économie.
Aussi ne voterons-nous pas les conclusions de la commission mixte paritaire, par cohérence avec notre vote en première lecture et avec notre hostilité de principe au nouveau découpage des régions.
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici parvenus à la dernière étape du parcours législatif de ce texte relatif à la réforme des réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat.
C’est un texte de compromis, et tous les points de vue ont été pris en compte lors de la réunion de la commission mixte paritaire.
Le Sénat avait souhaité enrichir le projet de loi en adoptant plusieurs mesures, concernant particulièrement les zones rurales. Notre assemblée avait ainsi choisi de rendre obligatoire la présence, dans chaque département, d’une structure du réseau consulaire : une chambre territoriale ou, à défaut, une délégation de la chambre régionale.
Il avait également décidé d’allouer la moitié des sommes du fonds de péréquation pour 2016 aux chambres de commerce situées en zone hyper-rurale. Par ailleurs, il avait été utilement précisé que les schémas directeurs adoptés avant l’entrée en vigueur de la présente loi n’étaient pas opposables.
Enfin – dernière disposition qui diffère du texte de l’Assemblée nationale –, le Sénat avait voulu lever toute ambiguïté sur l’impossibilité de remettre en cause le statut des chambres territoriales de Seine-et-Marne et de l’Essonne. Je précise toutefois que le projet de loi ne remettait pas en cause les dispositions spécifiques déjà prévues par le code de commerce pour les chambres de commerce et d’industrie de ces deux départements.
Néanmoins, nous pouvons nous réjouir, mes chers collègues, que la commission mixte paritaire, la CMP, ait élaboré un texte comprenant un certain nombre d’avancées proposées par la Haute Assemblée, afin d’aboutir à un juste compromis.
Tout d’abord, en ce qui concerne le sujet que je viens d’évoquer, la commission mixte a conservé la clarification supplémentaire souhaitée par le Sénat relative aux deux chambres concernées, afin d’empêcher toute remise en cause de leur statut. S’il était nécessaire de préciser pour rassurer, pourquoi pas ? Mais ne nous plaignons pas ensuite, mes chers collègues, que la loi soit parfois trop bavarde.
J’en viens à un sujet auquel le Sénat accorde une place importante : les CCI en zone rurale. Un amendement présenté et soutenu par notre collègue Alain Bertrand avec force et vigueur ici même et devant la commission mixte paritaire a été repris. Il visait à attribuer la moitié du fonds de péréquation adopté en loi de finances pour 2016 aux CCI hyper-rurales. La CMP a entendu notre souci et conservé ce principe, moyennant quelques ajustements.
Tout d’abord, la proportion du fonds dévolue aux projets portés dans les zones rurales et hyper-rurales est désormais de 25 %, et non plus de 50 %. Ensuite, si ce montant n’est pas utilisé dans sa totalité, le reliquat est reversé au fonds de financement des chambres de commerce et d’industrie de région et de CCI France.
La CMP a modifié le texte adopté par le Sénat sur d’autres points, en particulier à propos des dispositions conduisant à restreindre les choix consulaires à une alternative entre, d’une part, la fusion de toutes les CCIT d’une même région, qui se seraient alors transformées en délégations, et, d’autre part, le maintien ou la création d’au moins une CCIT par département.
Cette disposition était contraire au vœu d’une très forte majorité des CCI – de 76 % d’entre elles –, qui désiraient que soient assouplies les règles relatives à l’évolution de leur organisation territoriale, afin notamment de faciliter les regroupements de chambres et la réduction du nombre d’établissements publics. Cela leur permettait ainsi de se réformer au mieux, dans l’intérêt des territoires et des bassins économiques pertinents. Par ailleurs, les dispositions introduites par le Sénat auraient eu pour conséquence de remettre en cause les réorganisations déjà intervenues ou en cours.
La CMP a donc décidé de ne pas reprendre cette mesure, tout en précisant, pour répondre à certaines inquiétudes légitimes, que les schémas directeurs régionaux définissent le nombre et la circonscription des chambres « en tenant compte […] du maintien des services de proximité d’appui aux entreprises dans les départements et les bassins économiques ».
Enfin, je voudrais revenir sur une disposition adoptée ici qui prévoyait que les schémas directeurs votés par les chambres de commerce et d’industrie de région avant l’entrée en vigueur de la loi n’étaient pas opposables aux chambres de commerce et d’industrie territoriales. Les schémas directeurs adoptés antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi auraient été approuvés et opposables uniquement s’ils tenaient compte des souhaits d’évolution exprimés par les CCIT et s’ils avaient été adoptés à la majorité des deux tiers des membres de la CCIR, conformément à ce que prévoit actuellement le code du commerce.
Cela signifiait que les schémas qui ne respectaient pas ces conditions n’auraient pu être opposables et qu’une fusion non souhaitée par les chambres concernées n’aurait pu avoir lieu. La CMP a décidé de ne pas conserver cette mesure.
Vous connaissez, mes chers collègues, les raisons qui nécessitent une adoption rapide de la réforme de nos chambres de commerce et d’industrie et de nos chambres de métiers et de l’artisanat. Les discussions ont eu lieu ; elles furent intéressantes et parfois longues, mais elles étaient nécessaires et furent utiles pour les acteurs économiques de tous nos territoires.
En conclusion, je voudrais remercier M. Michel Houel, dont la tâche ne fut pas toujours facile. Je pense qu’une forme de confiance vigilante l’a emporté sur la méfiance, et c’était le bon chemin à prendre pour aboutir à ce texte de compromis, que je vous demande de bien vouloir adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objectif du présent projet de loi est d’adapter le réseau des chambres de commerces et d’industrie et celui des chambres de métiers et de l’artisanat à la nouvelle carte des régions, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, ainsi que de renforcer le mouvement de régionalisation de ces réseaux engagé par la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services.
Le Gouvernement souhaitait un vote conforme du texte en première lecture au Sénat, mais les sénateurs ont fait valoir leur droit d’amendement, essentiellement pour défendre les territoires ruraux. Ils ont été en cela quelque peu taquins…
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Taquins et taquines ! (Sourires.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le rapporteur, en grammaire, le masculin l’emporte sur le féminin !
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Sans doute, mais le respect de la parité permet de préciser le rôle de chacun ! (Nouveaux sourires.)
Mme Sophie Primas. Je veux tout d’abord revenir sur les travaux du Sénat en première lecture, au cours desquels les articles relatifs aux CCI ont été enrichis de diverses mesures.
Premièrement, il a été prévu la présence d’une délégation sans personnalité morale de la chambre régionale dans chaque département si l’ensemble des CCI territoriales d’une même région a fusionné en une CCI régionale. En l’absence de fusion, il y aurait ainsi au moins une CCI territoriale dans chaque département. Nous y tenions beaucoup.
Deuxièmement, nous avons décidé de flécher 9 millions d’euros du fonds de péréquation entre les CCI – mis en place par la loi de finances pour 2016 et doté de 18 millions d’euros – vers les CCI comprenant un nombre important de communes classées en zone de revitalisation rurale.
Troisièmement, nous avons prévu la non-opposabilité des schémas régionaux directeurs adoptés avant l’entrée en vigueur de la présente loi.
Quatrièmement, nous avons inséré dans le projet de loi la dérogation accordée à la CCI régionale francilienne, dans le cadre de la fusion des chambres, permettant le maintien des CCI territoriales de la Seine-et-Marne et de l’Essonne, ainsi que leur statut d’établissement public.
Les articles relatifs aux chambres de métiers et de l’artisanat, ainsi que la ratification de l’ordonnance relative aux réseaux et à la nouvelle carte régionale avaient, quant à eux, été adoptés conformes par le Sénat.
En outre, en ce qui concerne les travaux de la CMP, celle-ci a validé certaines dispositions du Sénat, comme le maintien des spécificités d’Île-de-France ou le fléchage d’une partie du fonds de péréquation, mais à hauteur de 25 %, et non de 50 %, vers les CCI de territoires ruraux et d’outre-mer. Néanmoins, elle est revenue sur certains points, dont deux posent problème aux membres du groupe Les Républicains du Sénat.
Le premier concerne la présence des CCI dans les départements. La CMP a prévu que le schéma directeur régional tient compte « du maintien des services de proximité d’appui aux entreprises dans les départements et les bassins économiques ». Le texte ne parle donc plus de délégations ou de maintien de CCI territoriales dans les départements, ce qui constitue, selon nous, un réel recul par rapport au texte du Sénat.
Pourquoi le Sénat avait-il prévu cette disposition ? Principalement parce que, si le processus de « métropolisation » défini par l’INSEE permet de tirer l’économie de la France vers le haut, cette concentration s’est faite au détriment des territoires éloignés des grandes métropoles, des territoires ruraux qui se sentent délaissés, avec une activité économique en déclin et des Français qui se paupérisent. Le président Larcher aime à raconter que, lorsqu’il va sur le terrain dans les territoires ruraux, on lui dit que les sénateurs ne font des textes que pour les grandes villes, mais jamais pour les espaces ruraux.
Le Sénat a donc estimé que, dans sa réorganisation, le réseau consulaire devait particulièrement veiller à sa proximité avec les entreprises de ces territoires – très petites entreprises, petites et moyennes entreprises ou entreprises de taille intermédiaire –, qui y maintiennent une activité et des emplois, et qu’il devait rester un interlocuteur attentif aux porteurs de projets dans ces territoires.
Le second point consiste en la non-opposabilité des schémas régionaux adoptés avant l’entrée en vigueur de la loi. À ce sujet, M. Lenoir a déjà posé une question au Gouvernement…
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Et la réponse a été très claire !
Mme Sophie Primas. Voilà ! Je ne m’appesantis donc pas sur le sujet, puisqu’il a été traité.
En conclusion, je veux bien sûr saluer l’action des réseaux consulaires, chambres de commerce et d’industrie et chambres de métiers et de l’artisanat, sans oublier les chambres d’agriculture, particulièrement d’actualité cette semaine. Elles forment un maillage territorial dense et jouent un rôle important dans l’accompagnement des entreprises, dans la formation et dans l’apprentissage, sujet qui m’est cher et qu’elles traitent remarquablement bien. Elles doivent continuer à jouer un rôle actif dans les territoires ruraux.
C’est pour cette raison, importante pour nous, que le groupe Les Républicains est majoritairement réservé sur les conclusions de la CMP.
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat, adopté par l’Assemblée nationale le 17 février dernier après l’arbitrage de la commission mixte paritaire, est un texte équilibré.
Les compromis ont porté notamment sur les futurs schémas directeurs et sur le fonds de modernisation pour une meilleure prise en compte, aux côtés des zones urbaines, des territoires ruraux. Ainsi peut-on se réjouir que le montant dévolu aux projets portés dans les zones rurales, hyper-rurales et d’outre-mer représente désormais 25 % du fonds de modernisation et de péréquation destiné aux CCI des territoires, soit 4,5 millions d’euros.
La réforme était particulièrement attendue par ces chambres. Elle leur permettra de disposer d’un cadre clair pour mener les changements nécessaires avant les élections consulaires, qui ont déjà fait l’objet d’un report et sont prévues pour la fin de cette année. L’objectif de ce texte, qui a fait dès le départ l’objet d’un consensus au sein des réseaux, est d’achever leur mutation, d’accompagner leur rationalisation et surtout de favoriser leur adaptation à la nouvelle organisation territoriale issue de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ainsi que de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Le renforcement de la régionalisation des réseaux leur donnera plus de lisibilité dans des régions qui exercent désormais la totalité des compétences en matière de développement économique.
Ce texte favorise ainsi une organisation plus cohérente, dans le cadre de partenariats à l’échelle de ces nouvelles régions, sans pour autant négliger les liens essentiels de proximité avec les entreprises. Celles-ci seront désormais des interlocuteurs plus forts, à l’instar de ce que s’est fait dans l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais, qui – je l’avais indiqué – avait confié à la chambre de commerce et d’industrie régionale la délégation entière de la stratégie d’export, l’ensemble des services concernés étant situés dans un même lieu, au siège de la CCIR. Les synergies pourront se poursuivre avec la Picardie, dans le cadre de la nouvelle grande région, tout en maintenant une offre de services de proximité.
Toutefois, il faut rappeler que les regroupements nécessaires entraînent souvent une baisse des effectifs, comme cela a été le cas dans la région que je viens de citer. Nous devons donc redoubler d’attention, j’y insiste, madame la secrétaire d’État, concernant l’impact social sur les agents concernés.
De surcroît, dans cet esprit de vigilance, le rôle des CCI et des CMA sera renforcé par cette nouvelle organisation ; elles devront répondre à des besoins croissants en matière d’emploi, de formation professionnelle, d’enseignement supérieur, de développement durable et de développement à l’international.
Partenaires privilégiés des grandes régions, les chambres consulaires seront plus que jamais des acteurs essentiels du développement économique. Gageons qu’elles contribueront au dynamisme des territoires, en particulier dans les zones rurales, qui en ont bien besoin. Notre groupe approuve donc pleinement le contenu de cette réforme, qui respecte la volonté des CCI et des CMA et qui leur permettra de mener à bien leurs missions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, mes chers collègues, je tiens à rendre hommage à mon tour au travail mené et aux compromis trouvés par nos collègues de la commission mixte paritaire, afin que ce projet de loi puisse répondre aux attentes des CCI des territoires urbains et ruraux.
Je tiens à saluer particulièrement les choix qui ont été opérés pour soutenir et renforcer l’action des CCI situées dans les zones rurales et hyper-rurales, ainsi que dans les territoires d’outre-mer. En effet, comme certains d’entre vous le savent, je suis, en tant que sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, très attachée aux territoires ruraux et attentive aux dispositions qui viennent conforter leur développement et leur attractivité.
En ce sens, je remercie la commission d’avoir tout d’abord, à l’article 1er du texte, redonné aux CCI une grande souplesse et une liberté dans la réorganisation territoriale de leur réseau. Ce principe vient répondre aux besoins de proximité des territoires, en particulier des plus fragiles.
Ces besoins avaient été exprimés par les CCI dans le cadre du présent projet de loi, mais aussi de la réforme territoriale. En effet, lors de la mise en place de la nouvelle carte régionale et des nouveaux seuils intercommunaux, les CCI avaient fait part de leur inquiétude quant à la représentation des territoires ruraux et la prise en compte de leurs spécificités.
Ces inquiétudes, je le crois, ont été entendues, madame la secrétaire d'État, et prises en compte par la commission mixte paritaire. Ainsi, les schémas directeurs régionaux prendront en compte, dans la nouvelle carte consulaire, la nécessité du maintien des services de proximité d’appui aux entreprises dans les départements et les bassins économiques existants.
Dès lors, je ne puis que me réjouir de cette nouvelle disposition, qui vient garantir un maillage des CCI équilibré et équitable sur l’ensemble du territoire national, mais aussi efficace et adapté aux besoins et aux réalités économiques des entreprises et des collectivités.
De cette manière, la crainte d’une suppression abusive des CCI territoriales au détriment des territoires ruraux n’a pas lieu d’être.
Je remercie également la commission d’avoir maintenu le fléchage d’une partie du fonds de modernisation et de péréquation vers les CCI des zones rurales et hyper-rurales et des territoires d’outre-mer. Celles-ci pourront bénéficier de 25 % des 18 millions d’euros du fonds de péréquation, soit 4,5 millions d’euros, qui seront dédiés aux projets portés dans ces zones.
Bien que je regrette que la part prélevée sur le fonds de péréquation ait été ramenée à 25 %, au lieu des 50 % prévus initialement, je soutiens le compromis trouvé par la commission sur ce point et, surtout, le message positif qu’elle envoie aux territoires concernés.
Ce fléchage permettra de renforcer l’accompagnement des CCI auprès des entreprises et des territoires qui ont le plus besoin de se moderniser et d’être attractifs et compétitifs pour vivre.
Plus largement, cette disposition s’inscrit pleinement dans la politique rurale renouvelée et volontariste mise en place par le Gouvernement depuis 2013, au travers des assises de la ruralité qui avaient été conduites, en son temps, par Sylvia Pinel. Cette politique permet de rompre avec la logique d’opposition entre l’urbain et le rural, qui a trop longtemps prévalu. Je vous remercie donc, madame la secrétaire d'État, d’avoir soutenu cette disposition lors des débats sur la loi de finances pour 2016.
Mes chers collègues, en adoptant aujourd'hui le texte proposé par la commission mixte paritaire, nous adressons un nouveau signal sécurisant à nos entreprises et à nos territoires ruraux, qui, grâce au soutien renforcé des CCI, pourront continuer à investir, développer et innover.
En adoptant ce texte, nous répondons aux attentes exprimées par les CCI, tout en apportant les garanties de soutien et d’accompagnement nécessaires au développement économique dans ces territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, procède à un vote unique sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements ayant reçu l’accord du Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat
TITRE IER
CHAMBRES DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE
Article 1er
(Texte de la commission mixte paritaire)
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° L’avant-dernier alinéa de l’article L. 711-1 est ainsi rédigé :
« À l’initiative de la chambre de commerce et d’industrie de région autre que la région d’Île-de-France ou à leur propre initiative, des chambres de commerce et d’industrie territoriales peuvent être réunies en une seule chambre territoriale dans le cadre des schémas directeurs mentionnés au 2° du même article L. 711-8. Elles disparaissent au sein de la nouvelle chambre territoriale ou peuvent devenir des délégations de la chambre territoriale nouvellement formée et ne disposent plus dans ce cas du statut d’établissement public. » ;
2° L’article L. 711-1-1 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, le mot : « Les » est remplacé par les mots : « À l’initiative de la chambre de commerce et d’industrie de région autre que la région d’Île-de-France ou à leur propre initiative, des » ;
b) (Supprimé)
3° L’article L. 711-8 est ainsi modifié :
a) Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Élaborent et votent, à la majorité des deux tiers des membres présents ou représentés, la stratégie régionale et le schéma régional d’organisation des missions opposable aux chambres de commerce et d’industrie de leur circonscription ainsi que, chaque année, à la majorité des membres présents ou représentés, le budget nécessaire à la mise en œuvre de cette stratégie et de ce schéma ; »
b) Le 2° est ainsi modifié :
– après le mot : « directeur », il est inséré le mot : « opposable » ;
– après la première occurrence du mot : « territoriales », il est inséré le mot : « locales » ;
– après la première occurrence du mot « économique, », la fin est ainsi rédigée : « de la viabilité économique et de l’utilité pour leurs ressortissants des chambres territoriales, ainsi que du maintien des services de proximité d’appui aux entreprises dans les départements et les bassins économiques ; »
c) Au 4°, après le mot : « sectoriels », sont insérés les mots : « et avec le schéma régional mentionné au 1° » ;
d) Le 6° est ainsi rédigé :
« 6° Assurent, au bénéfice des chambres de commerce et d’industrie territoriales qui leur sont rattachées, des fonctions d’appui et de soutien ainsi que toute autre mission pouvant faire l’objet d’une mutualisation et figurant dans le schéma régional d’organisation des missions, dans des conditions et des domaines précisés par décret en Conseil d’État ; »
4° À la fin du dernier alinéa du I de l’article L. 711-10, les mots : « une partie des fonctions de soutien mentionnées au 6° de l’article L. 711-8 » sont remplacés par les mots : « tout ou partie des fonctions mentionnées au 6° de l’article L. 711-8, à l’exception de la gestion des agents de droit public sous statut » ;
5° À la seconde phrase de l’article L. 711-13, les mots : « et vice-présidents » sont supprimés ;
6° L’article L. 711-22 est ainsi modifié :
a) Au début, sont ajoutés les mots : « À l’initiative de la chambre de commerce et d’industrie de région ou à sa propre initiative, » ;
b) Les mots : « à sa demande et en conformité avec le » sont remplacés par les mots : « dans le cadre du » ;
7° L’article L. 712-4 est abrogé ;
8° L’article L. 713-12 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa du II, le mot : « soixante » est remplacé par le mot : « cent » ;
b) Le second alinéa du même II est supprimé ;
c) Au premier alinéa du III, le mot : « cent » est remplacé par les mots : « cent vingt » ;
d) Les trois premières phrases du second alinéa du même III sont remplacées par deux phrases ainsi rédigées :
« Chaque chambre de commerce et d’industrie territoriale, locale ou départementale d’Île-de-France est représentée au sein de la chambre de commerce et d’industrie de région à laquelle elle est rattachée à due proportion de son poids économique. Lorsque le nombre de chambres de commerce et d’industrie territoriales, locales ou départementales d’Île-de-France rattachées à une même chambre de commerce et d’industrie de région est égal à deux, il peut être dérogé à cette règle dans des conditions fixées par décret. » ;
9° Au 4° de l’article L. 920-1, les mots : « les articles L. 712-2, L. 712-4 ainsi que » sont remplacés par la référence : « l’article L. 712-2, ».
Article 1er bis
(Texte de la commission mixte paritaire)
Le b du 2 du III de l’article 1600 du code général des impôts est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Le quart au moins de ce montant est destiné à être alloué par les chambres de commerce et d’industrie de région aux chambres de commerce et d’industrie territoriales de leur circonscription dont le périmètre comprend une proportion substantielle de communes ou de groupements de communes classés en zone de revitalisation rurale au titre du II de l’article 1465 A du présent code et aux chambres de commerce et d’industrie des départements et régions d’outre-mer. Si le montant mentionné à la deuxième phrase du présent b n’est pas utilisé dans sa totalité par les chambres de commerce et d’industrie qui en sont destinataires, le reliquat est reversé au fonds de financement des chambres de commerce et d’industrie de région et de CCI France. »
Article 1er ter
(Supprimé)
TITRE II
CHAMBRES DE MÉTIERS ET DE L’ARTISANAT
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
TITRE III
DISPOSITIONS DIVERSES
˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙
Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Madame la secrétaire d'État, j’espère que mon insistance ne vous paraîtra pas déplacée. Peut-être faut-il la mettre sur le compte de la journée très chargée que nous avons passée dans les allées du salon de l’agriculture, où nous avons, d'ailleurs, reçu un accueil particulièrement chaleureux. (Sourires.)
M. Yannick Vaugrenard. Nous aussi !
M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je vous ai posé une question très claire et vous y avez répondu tout aussi clairement. J’ai bien entendu vos propos. Cependant, l’intervention de Yannick Vaugrenard, qui s’est exprimé sur ce qu’il aurait souhaité, sur ce qui a pu être évité, etc., a pu laisser planer un doute, et je voudrais qu’il n’y ait aucune ambiguïté.
Si j’ai bien compris, les dispositions du projet de loi ne s’appliqueront pas aux schémas adoptés antérieurement. En clair, cette loi, une fois qu’elle aura été adoptée, n’aura aucun effet rétroactif. (Mme la secrétaire d'État opine.)
Madame la secrétaire d'État, vous me confirmez par un hochement de la tête que c’est bien ainsi qu’il faut comprendre les choses. J’en prends acte et vous en remercie.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Les chambres de commerce sont très importantes pour les départements ruraux et très ruraux, d'autant que le conseil départemental, vous le savez, mes chers collègues, n’intervient plus dans l’économie.
Dans les communautés de communes hyper-rurales où l’on pratique l’élevage, la population chute. Nous avons besoin que, par leurs interventions de proximité, les chambres de commerce y permettent la création d’emplois non liés à l’agriculture – dans l’artisanat, les PME… –, afin d’y maintenir la vie.
Par conséquent, je regrette que le service public rendu par les CCI dans les territoires ruraux soit mis en difficulté par le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, laquelle a diminué leur dotation à 25 % du fonds de péréquation, alors que le Sénat avait proposé de faire passer cette part à 50 %. Je me suis, d'ailleurs, associé au très bon amendement de mon collègue Alain Bertrand.
S’il y a un avenir dans les zones rurales, celui-ci passera par la création d’entreprises, avec des aides régionales à l’investissement plus fortes et la mise en place de zones de revitalisation rurale pour diminuer les charges, mais aussi via l’animation assurée par les CCI, à condition que ces dernières aient les moyens de monter des dossiers. Les dispositions du présent texte ne le permettront pas, et c’est encore un mauvais coup porté aux territoires ruraux.
Tout à l'heure, ma collègue a affirmé que l’Assemblée nationale voulait supprimer le fléchage à 25 %. Officiellement, tout le monde veut garder les territoires ruraux, mais, au lieu de les aider, on diminue leurs ressources ! C’est l’inverse qu’il faut faire, pour que ces territoires ne se sentent plus abandonnés.
Je voterai donc contre ce texte. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Je veux tout d'abord rassurer notre collègue Jean-Claude Lenoir. Il n'y a pas d’ambiguïté : ce projet de loi n’est pas rétroactif. Les choses sont bien claires.
Comme je l’ai souligné dans mon intervention lorsque j’évoquais le soutien aux zones rurales et hyper-rurales, il me semble que la commission mixte paritaire a véritablement tenu compte du souci exprimé par le Sénat, en particulier par notre collègue Alain Bertrand, à tel point, du reste, que celui-ci en a voté les conclusions.
Je me réjouis que les membres de la Haute Assemblée aient insisté sur cette difficulté, qui avait peut-être été insuffisamment soulignée par nos collègues de l’Assemblée nationale. Ce faisant, notre assemblée représentative des territoires a pleinement joué son rôle.
Je crois véritablement que nous sommes arrivés à un compromis équitable, qui prend en considération la situation des acteurs de terrain et de nos secteurs ruraux. Ainsi, le fléchage de 25 % du fonds de péréquation vers les chambres de commerce et d’industrie des zones rurales et hyper-rurales en difficulté nous a semblé à la hauteur de la situation et des espérances que nous avions exprimées.
Par ailleurs, Mme la rapporteur pour l’Assemblée nationale de la commission mixte paritaire nous a bien assuré que, si le Sénat votait ces conclusions, il était hors de question de revenir sur ce fléchage à 25 %, sur lequel la commission mixte paritaire s’est engagée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Bien entendu, je suivrai la position exprimée tout à l'heure par l’oratrice de l’UDI-UC.
Je veux cependant appeler votre attention, madame la secrétaire d'État, sur la situation du réseau consulaire dans son ensemble, après les réductions de moyens qui ont été décidées à son encontre. Je pense à la ponction dans les réserves dont il disposait, à la réduction de sa capacité de recourir à l’impôt, mais aussi à sa restructuration obligée via des regroupements, qui conduit elle aussi à des plans sociaux.
Or, en ces temps où tout doit absolument être fait pour le développement économique, il est important que l’on puisse s’appuyer sur des réseaux consulaires qui soient forts. Il faut donc que l’on veille, dans les budgets à venir, à ne pas encore réduire les moyens qui leur sont alloués. Très concrètement, pour en avoir discuté avec le président de la chambre régionale mardi matin, je sais que les décisions prises par le passé vont conduire en Bretagne à des plans sociaux assez importants.
Soyons donc attentifs à ne pas prendre des décisions qui contribuent à désertifier encore plus un certain nombre de territoires. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat, dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire.
(Le projet de loi est adopté définitivement.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
11
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 mars 2016 :
À quatorze heures trente :
Proposition de loi tendant à permettre le maintien des communes associées en cas de création d’une commune nouvelle (n° 181, 2015-2016) ;
Rapport de M. François Grosdidier, fait au nom de la commission des lois (n° 432, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 433, 2015-2016).
Proposition de loi visant à augmenter de deux candidats remplaçants la liste des candidats au conseil municipal (n° 591, 2014-2015) ;
Rapport de M. François Grosdidier, fait au nom de la commission des lois (n° 434, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 435, 2015-2016).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq et, éventuellement, le soir : suite de l’ordre du jour de l’après-midi.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD