M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme nous l’avions déjà dit lors des débats en première lecture, cette proposition de loi nous inquiète à plus d’un titre, en premier lieu parce qu’elle mêle lutte contre le terrorisme et lutte contre la fraude.
Nous ne pouvons accepter que l’on instrumentalise une émotion et une inquiétude tout à fait légitimes pour privatiser l’exercice des pouvoirs régaliens de l’État en transférant des missions de maintien de l’ordre public de la police et de la gendarmerie nationale aux personnels de sécurité de la SNCF et de la RATP.
Nous ne pouvons accepter la banalisation des transferts de compétences et le glissement progressif vers un régime de prestation marchande des services de sécurité.
Les agents des entreprises de transport ne sont pas des policiers. Cette proposition de loi oublie la spécificité de la mission de sûreté confiée à ces personnels, c’est-à-dire assurer la sécurité des infrastructures, ainsi que la fluidité et la continuité de la circulation.
Sur ce point, la proposition de loi est muette ; rien n’est dit sur la nécessité de renforcer les investissements dans le matériel roulant, par exemple, ou la rénovation des infrastructures.
Non seulement l’État ne se donne plus les moyens d’assurer un service public de transport à la hauteur des enjeux de mobilité durable, mais il ne se donne plus, aujourd’hui, ceux d’entretenir une force publique répondant à la demande des citoyens. Devant cette évolution, comment pouvons-nous continuer à affirmer que l’État a le monopole de la contrainte légitime ?
Après des heures de débats, les moyens coercitifs ont été renforcés et les sanctions multipliées.
Ainsi, le délit de fraude d’habitude sera puni d’une peine d’emprisonnement de six mois et de 7 500 euros d’amende et sera constitué dès cinq contraventions pour avoir voyagé sans titre de transport, au lieu de dix actuellement.
La peine prévue en cas de déclaration d’une fausse adresse ou identité est également alourdie : deux mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende seront désormais encourus, en lieu et place de la seule peine d’amende aujourd’hui applicable.
Le fait de ne pas se tenir à la disposition d’un agent de l’exploitant sera puni d’une peine de deux mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
En revanche, rien sur un renforcement de la présence humaine dans les gares, dans les points d’accueil et sur les quais ! À cet égard, faut-il rappeler que la commission mixte paritaire a décidé d’introduire un nouveau délit, à l’article 13, visant les personnes qui avertiraient de la présence de contrôleurs ? Ce nouveau délit sera constitué quel que soit le « moyen » de diffusion de l’avertissement et « quel qu’en soit le support » – SMS, tweet, message privé sur Facebook, e-mail… –, et puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Encore une fois, l’argument sécuritaire est mis en avant pour « permettre aux contrôleurs d’intercepter d’éventuels terroristes qui pourraient être avertis de leur présence ». Je vous avoue, monsieur le secrétaire d’État, que cette mesure me laisse sans voix et n’est pas sans m’en rappeler une autre, que je n’expliciterai pas ici mais que, en son temps, toute la gauche avait combattue.
M. François Bonhomme, rapporteur. C’était un autre temps !
Mme Éliane Assassi. C’est un sujet sérieux, monsieur le rapporteur. Vous ne vous étiez pas mobilisé contre le délit de solidarité ; nous, si !
Enfin, rappelons que ces dispositions interviennent dans un contexte où le tarif « solidarité transport » est partiellement remis en cause en Île-de-France. En effet, la nouvelle majorité du conseil régional a voté, en janvier, une baisse de 25 % de sa subvention au syndicat des transports d’Île-de-France, en visant spécifiquement, dans sa décision, les bénéficiaires de l’aide médicale d’État, qui sont en situation irrégulière.
Le texte qui nous est soumis renforce, de manière démesurée, les sanctions d’infractions qui relèvent non seulement de la délinquance ordinaire, mais surtout de la délinquance de misère.
Nous le savons tous pour peu que nous les prenions au quotidien, ce qui est mon cas, dans les transports collectifs, les sentiments sont exacerbés : sentiment d’insécurité, impatience, énervement, qui croissent au rythme des dysfonctionnements, malheureusement très nombreux du fait d’un manque d’investissements dans les réseaux.
Nous vous le répétons : pour lutter contre la fraude, c’est avant tout de personnel dont nous avons besoin, d’un personnel identifié et présent. Or tant à la RATP qu’à la SNCF, le constat est le même : il y a une tendance globale à la baisse des effectifs de contrôleurs et d’agents de vente, d’accueil et de la sûreté ferroviaire pour la SNCF.
C’est le tout-répressif qui a été choisi au travers de ce texte, au détriment d’une politique préventive cohérente. Nos concitoyens sont aujourd’hui las des gesticulations diverses et variées qui, sous couvert de la nécessaire lutte contre le terrorisme, masquent les véritables questions et enjeux.
Il est nécessaire d’assurer une présence préventive et dissuasive pour lutter contre le sentiment d’insécurité, mais aussi contre celui d’impunité.
Il est également nécessaire de mettre en place une politique tarifaire ambitieuse. À cet égard, je vous renvoie à nos propositions d’instaurer un taux réduit de TVA pour les transports ou d’étendre le versement transport, ce qui permettrait de financer non seulement la sécurité, mais aussi la régénération et le développement des réseaux.
Malgré le rétablissement de l’article 14 relatif au harcèlement sexiste, qui ne fait, cela dit, que reprendre le droit positif, nous ne pourrons voter en faveur de l’adoption de ce texte qui marchandise la sécurité et crée des clivages et une suspicion généralisée au sein des personnels. Il soulève en outre, monsieur le secrétaire d’État, de sérieuses interrogations quant à la garantie des libertés publiques et à la responsabilité de l’État dans l’exercice de ses pouvoirs régaliens.
En fait, ce texte ne vise qu’à assurer la rentabilité des compagnies de transport, en leur permettant de pratiquer une politique antifraude agressive et attentatoire aux libertés, qui aggravera les tensions et le climat anxiogène d’insécurité générale dans lequel notre pays est plongé. Il ne peut recevoir notre assentiment. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi avait pour principal objet, au départ, la lutte contre la fraude dans les transports terrestres, en particulier ferroviaires. Elle s’inspirait d’ailleurs largement de la proposition de loi de Valérie Pécresse, reprise au Sénat dès juin 2015, bien avant donc l’examen de ce texte, par notre éminent collègue Michel Houel.
L’attentat déjoué dans le Thalys le 21 août dernier a malheureusement démontré la nécessité impérieuse d’adopter très rapidement des mesures supplémentaires pour renforcer la sécurité dans les transports publics.
Notre pays est en guerre contre le terrorisme. En tant que parlementaires, il nous revient d’adapter, sans tarder, la législation face à la persistance de la menace.
C’est donc devant un double défi que nous nous trouvons placés : celui des incivilités et de la fraude massive, d’une part ; celui de la vulnérabilité du transport collectif de personnes, d’autre part.
Sur le premier point, je tiens à rappeler que la fraude dans les transports publics coûte à la collectivité de l’ordre de 500 millions d’euros par an !
Chers collègues, il faut savoir que, aujourd’hui, seulement 10 % des amendes sont réellement payées. Cela tient au fait que les fraudeurs donnent de fausses adresses ou identités et que, légalement, les contrôleurs n’ont aucun moyen de les obliger à prouver leur identité. C’est la France !
Le rapport de la Cour des comptes de février 2016 intitulé La lutte contre la fraude dans les transports urbains en Île-de-France est sans appel. On y dénonce « un échec collectif ». La sévérité des termes employés par la Cour des comptes s’explique par l’ampleur du phénomène et, parallèlement, par l’absence quasi totale de résultats concrets dans la lutte contre cette fraude.
Ce coût financier, qui porte une atteinte directe au service public, est aussi inadmissible qu’incompréhensible. Son montant correspond à la moitié des investissements réalisés par le syndicat des transports d’Île-de-France en 2015 pour moderniser les transports dans la région capitale, dont la Cour des comptes a fortement souligné le « sous-investissement persistant ».
Mme Éliane Assassi. Si ce n’était que ça…
M. Louis Nègre. Il s’agit donc d’une perte de moyens considérable, de près d’un demi-milliard d’euros chaque année.
N’oublions pas, en outre, que ce qui n’est pas payé par les fraudeurs l’est par les contribuables, qui subissent ainsi une double peine.
M. Louis Nègre. Cette inversion des rôles est scandaleuse et totalement anormale !
M. François Bonhomme, rapporteur. Absolument !
M. Louis Nègre. Dans le même temps, bien que les transports soient souvent, déjà, la première ligne de dépenses budgétaires des collectivités, ces dernières manquent cruellement des moyens nécessaires pour faire face à la demande, ne serait-ce que pour développer les transports du quotidien, utilisés en priorité par les couches les plus modestes de la population !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas à cause de la fraude !
M. Louis Nègre. C’est dire que ce texte était très attendu, tant par les autorités responsables de transports, c’est-à-dire nos collègues élus, que par les opérateurs.
Je me réjouis donc que nous ayons pu trouver avec l’Assemblée nationale, sur ce point de principe, un accord en commission mixte paritaire.
Nous avons également trouvé un accord pour lutter contre ce phénomène – incroyable mais vrai – des « mutuelles de fraudeurs », que j’avais dénoncé, le 9 octobre dernier, lors du Comité national de la sécurité dans les transports en commun. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’ailleurs d’avoir réactivé cette instance. L’existence de ces « mutuelles », inconnues ailleurs, montre que la France est incontestablement un pays étrange…
Cela étant, je m’attarderai plus longuement sur le traitement du délit de « fraude d’habitude », qui lui n’a pas fait consensus.
Nos concitoyens sont-ils conscients que la législation actuelle fixe le seuil pour la constitution du délit de fraude à plus de dix infractions par an et par opérateur ?
Prenons l’exemple d’un fraudeur sur le réseau de l’Île-de-France : il pourra, sans commettre de délit, cumuler dans la même année dix contraventions pour la SNCF, dix pour la RATP et dix pour le réseau de bus OPTILE, soit trente infractions en tout en une seule année civile ! Au-delà, pour être verbalisé, encore faudra-t-il qu’il puisse être identifié, ce qui s’avérait, jusqu’à ce jour, mission impossible ou presque pour les contrôleurs…
On voit bien qu’il ne s’agit pas de créer un climat anxiogène ou agressif, mais tout simplement de restaurer le civisme !
Je n’ai pas trouvé, dans le monde, un autre pays avec une législation aussi permissive, qui autorise de facto une telle dérive des valeurs civiques. La France est décidément un pays très singulier…
La proposition de loi initiale prévoyait déjà d’abaisser le nombre de contraventions requis pour constituer le délit de fraude d’habitude de dix à cinq. Le Sénat, grâce à l’adoption de l’amendement de mon éminent collègue Karoutchi, avait durci le texte, en ramenant le seuil de cinq à trois contraventions.
La commission mixte paritaire a préféré, dans un souci d’équilibre, revenir au chiffre de cinq contraventions,…
M. Louis Nègre. … mais, à titre personnel, je trouve cela regrettable.
Dès 2014, après mon élection en tant que président du groupement des autorités responsables de transports, le GART, j’avais proposé au conseil d’administration, qui réunit des élus de tous bords politiques, l’abaissement du seuil pour la constitution du délit de fraude d’habitude de dix infractions à trois. Cette mesure avait été adoptée à une très forte majorité. Pour ma part, je pense que chacun doit prendre ses responsabilités.
Les arguments avancés, relatifs à l’impossibilité supposée, pour la SNCF, de traiter l’ensemble des dossiers ou à une éventuelle censure du Conseil constitutionnel, ne me paraissent pas opérants.
Comment le Conseil constitutionnel saurait-il considérer qu’il est normal que l’on puisse impunément frauder trente fois dans l’année ! Ce n’est permis dans aucun autre pays ! C’est une atteinte aux valeurs civiques essentielles qui fondent la cité. Quant au traitement des dossiers, je suis persuadé que, avec de la bonne volonté et en mobilisant un certain nombre de personnels de la SNCF, il pourrait être assuré.
Mes chers collègues, lutter contre la fraude est d’abord un impératif social et civique.
Nous ne devons plus accepter que des dizaines, des centaines de milliers de personnes se dispensent de participer au financement d’un service public dont elles sont, en tant qu’usagers, les premières à bénéficier.
Lutter contre la fraude est aussi un impératif économique.
Stopper une telle hémorragie financière, c’est se donner les moyens de réaliser les investissements nécessaires pour offrir des transports de qualité aux usagers.
Au-delà même de telles considérations, la fraude suscite un sentiment d’impunité chez les fraudeurs et d’exaspération chez les usagers honnêtes, exaspération à laquelle nous, les politiques, devrions être plus attentifs.
La fraude est donc le symbole même de l’injustice, car ce sont les usagers honnêtes et les contribuables qui payent pour les fraudeurs. En tant que parlementaires, nous sommes le législateur. Pour ma part, je ne souhaite pas que le renoncement à des valeurs civiques élémentaires prospère au sein de notre République. C’est pourquoi je pense que nous devons être fermes !
Le second volet de cette proposition de loi concerne un sujet tout aussi fondamental : la sécurité des passagers.
Les transports en commun rythment la vie d’un grand nombre de nos concitoyens. Au-delà de la lutte contre la fraude, assurer leur sécurité doit être l’une de nos priorités absolues.
Tout d’abord, l’article 1er ter prévoit, sur l’initiative de notre collègue Alain Fouché, que les agents des services internes de la sécurité de la SNCF et de la RATP pourront utiliser des caméras-piétons pour sécuriser leurs interventions.
Je trouve que c’est une excellente mesure ! J’ai l’occasion de l’expérimenter sur le terrain, à Cagnes-sur-Mer, depuis des années, avec ma police municipale. Le dispositif s’est révélé extrêmement efficace pour lutter contre la petite et moyenne délinquance. Son emploi a aussi pour conséquence très positive de sécuriser les agents qui ont à intervenir.
Je souhaite donc que le cadre normatif qui sera fixé après l’expérimentation ne soit pas complètement déconnecté du réel, comme c’est le cas d’ordinaire. Sur le terrain, les caméras-piétons fleurissent désormais sur les casques des skieurs, des cyclistes ou des motocyclistes, sans aucune contrainte particulière.
En outre, pour plus d’efficacité, une nouvelle disposition permettra la transmission en temps réel d’images de vidéoprotection aux forces de l’ordre par les opérateurs. Cela me semble aussi être une mesure positive.
L’article 5, quant à lui, adapte les règles de compétence territoriale des procureurs de la République au transport ferroviaire pour les rendre plus opérationnelles. Une telle mesure apparaît particulièrement bienvenue, pragmatique et réaliste.
Le texte étend également les pouvoirs des polices municipales en matière de police des transports, mais dans un cadre clairement identifié.
Par ailleurs, au Sénat, nous avons veillé à ce que, en cas de contrat d’objectif départemental de sûreté dans les transports, le financement d’actions ou de services relevant de la compétence exclusive de l’État reste bien évidemment à la charge de celui-ci.
Cette proposition de loi fait évoluer significativement notre législation : à ce jour, seuls les agents de police peuvent demander la production de papiers d’identité, les contrôleurs n’en ayant quant à eux pas le droit.
Désormais, à la suite de l’adoption de notre amendement, les passagers auront l’obligation d’être porteurs d’un document attestant de leur identité lorsqu’ils ne disposeront pas d’un titre de transport valable.
De plus, la proposition de loi prévoit que les entreprises de transport pourront subordonner le voyage de leurs passagers à la détention d’un titre de transport nominatif. C’est une avancée significative pour lutter contre l’insécurité dans les transports.
Dans le même esprit, nous avons ouvert la possibilité aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP de procéder à l’inspection visuelle des bagages, à leur fouille, ainsi qu’à des palpations de sécurité, et d’interdire l’accès au train si la personne refuse ce contrôle.
Nous avons également élargi les cas de dispense du port de la tenue professionnelle pour ces agents, ce qui permettra d’accroître leur efficacité sur le terrain.
En ce qui concerne le recrutement et l’affectation de personnels sur des postes sensibles, un nouveau moyen est donné aux employeurs : des enquêtes administratives pourront être diligentées avant l’embauche et ensuite.
De plus, à l’instar des municipalités, les employeurs pourront disposer d’une information sur la validité du permis de conduire de leurs conducteurs professionnels. Jusqu’à aujourd'hui, étrangement, ce n’était pas le cas.
Enfin, comme l’ont rappelé les orateurs précédents, l’article 14 vise à lutter contre les violences à caractère sexiste faites aux femmes dans les transports. Un bilan annuel sera produit.
Toutes ces mesures répondent à la demande forte de sécurité que nos concitoyens expriment à juste titre. Nous espérons qu’elles entreront rapidement en application.
Cette proposition de loi, ainsi complétée et améliorée par la Haute Assemblée, grâce notamment à nos excellents rapporteurs François Bonhomme et Alain Fouché, recueille notre assentiment.
En conséquence, le groupe Les Républicains, assumant ses responsabilités envers les Français, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs entame donc la dernière étape de son parcours législatif.
La commission mixte paritaire, dont nous examinons les conclusions aujourd’hui, s’est accordée sur un texte commun, alors que les deux chambres s’étaient prononcées en faveur de textes sensiblement différents.
Les contours de la proposition de loi ont varié à chaque étape de la discussion parlementaire. Sans parler des dispositions adoptées conformes en première lecture, l’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas eu de difficulté à se retrouver sur plusieurs articles. Par ailleurs, de nombreux articles ont vu leur rédaction améliorée au cours de la navette, et les garanties prévues ont été renforcées. Enfin, la commission mixte paritaire est parvenue à un équilibre s’agissant des articles cristallisant les points de divergence majeurs entre l’Assemblée et le Sénat, ce qui a permis d’aboutir à la rédaction d’un texte commun.
Cette proposition de loi était attendue. D’abord préparée par notre collègue député Gilles Savary et relative à la lutte contre la fraude, elle a été transformée et complétée après les tristes événements du 13 novembre dernier. Il fallait apporter de multiples sécurisations dans les transports publics. Nous avons pu le lire dans la presse et l’entendre à l’occasion de diverses rencontres, l’esprit de ce texte concorde avec de multiples attentes. La fraude conduisant souvent à commettre de graves incivilités, il était nécessaire de compléter l’arsenal législatif permettant de lutter contre.
Je me réjouis que l’article 14, qui a connu une vie mouvementée entre l’Assemblée nationale, le Sénat et la commission mixte paritaire, ait en définitive été intégré dans la version finale. Avec d’autres, j’avais plaidé, en première lecture, pour que l’on traite de la lutte contre le harcèlement sexiste dans les transports. Le Sénat avait supprimé, contre notre avis, cet article, au motif qu’une telle disposition n’était pas de nature normative ou relevait, à tout le moins, du pouvoir réglementaire. Notre amendement visant au rétablissement de cet article avait alors été rejeté au titre de l’article 41 de la Constitution.
La suppression de l’article 14 présentait l’inconvénient d’écarter le sujet des harcèlements sexistes sans proposer d’alternative. Par ailleurs, cela constituait un paradoxe, au moment où le Gouvernement se mobilise fortement sur ce sujet, jusqu’alors ignoré. Il a en effet lancé, au mois de juillet 2015, un plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun, sur la base d’un rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.
La position initiale du Sénat a été très mal perçue et a suscité une très forte réprobation publique, alors même que 100 % des femmes ont été victimes de violences ou de harcèlement dans les transports publics.
J’ai en mémoire un mail qui m’interpellait en ces termes : « Par votre fonction, vous représentez ces femmes et vous avez le devoir de les protéger. Refuser une mesure qui pourrait améliorer cette situation, c’est refuser de protéger les femmes et donner un sentiment d’impunité aux hommes qui commettent ce type de violence. Ignorer ces femmes, c’est aussi se détourner de la moitié de la population que vous représentez. C’est une honte ! »
Je me félicite bien entendu que les débats en commission mixte paritaire aient permis d’aboutir au rétablissement de l’article, en définissant deux axes d’action.
Premièrement, le dispositif se fonde sur l’article L. 1632-1 du code des transports, qui dispose que les autorités organisatrices de transports et le STIF concourent, chacun pour ce qui le concerne, aux actions de prévention de la délinquance et de sécurisation des personnels et des usagers dans les transports.
Deuxièmement, il complète l’article L. 2251-1 du code des transports, qui définit le rôle de la surveillance générale, la SUGE, et du groupe de protection et de sécurisation des réseaux, le GPSR, en matière de sécurité des personnes et des biens, afin de prévoir que la prévention des violences et des atteintes à caractère sexiste dans les transports publics est un axe prioritaire de leur action.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des articles. Cela a été très bien fait par notre rapporteur.
Toutefois, je me dois de souligner l’importance du rétablissement de l’article 6 ter, supprimé par le Sénat, puisqu’il introduit une obligation pour tous les opérateurs de transports urbains d’assurer la sûreté de leur réseau, où qu’il se situe sur le territoire national. Il ressort des travaux de la commission mixte paritaire une rédaction de l’article 6 ter « millimétrée », qui donne la possibilité à tous les réseaux de transports en commun de se doter d’un service de sécurité interne, tout en prenant en compte les interrogations du Sénat sur la portée de la convention liant le préfet, les autorités organisatrices de transports et les exploitants.
Au final, on peut considérer que le Parlement est parvenu à élaborer un texte équilibré, qui ajoute sa pierre à la sécurité des Français après la seconde prorogation de l’état d’urgence par la représentation nationale et avant l’examen par le Sénat du projet de loi constitutionnelle de protection de la nation, la réforme pénale en cours d’examen à l’Assemblée nationale et le projet de loi en cours de préparation qui viendra parachever la loi de 1955 sur l’état d’urgence.
Comme l’a indiqué mon collègue Jean-Claude Leroy, le groupe socialiste votera donc en faveur de l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je voudrais d’abord remercier l’ensemble des orateurs de leur contribution, qu’ils se soient ou non exprimés en faveur du texte.
Je ne comptais pas reprendre la parole, mais certains propos tenus par M. Nègre m’amènent à réagir.
Il est faux d’affirmer que le droit positif permet aujourd’hui de commettre impunément trente infractions, tous réseaux de transport en commun cumulés ! Aucun texte ne dispose que les infractions sont comptabilisées de façon distincte selon qu’elles sont commises sur le réseau de la RATP ou sur celui de la SNCF, par exemple. Cela ne correspond pas au droit positif ! Il convient d’être extrêmement précis en la matière : toutes les infractions seront prises en compte, et s’il y a, dans la pratique, des difficultés à faire respecter le droit, c’est l’honneur du Parlement et du Gouvernement que de mettre la pratique et le droit en accord. Cela est beaucoup plus constructif que d’imaginer, en partant de la pratique, que le droit permettrait, sans encourir de sanction, de cumuler les infractions sur les différents réseaux : ce n’est nullement le cas, contrairement à ce que vos propos tendent à donner à croire, monsieur Nègre.
Par ailleurs, vous avez affirmé qu’il aurait été préférable de fixer à trois infractions le seuil pour la constitution du délit de fraude d’habitude. Vous ne pouvez pas vous exonérer du problème de la constitutionnalité d’une telle disposition ! Ce n’est pas un hasard si le Gouvernement et une majorité de parlementaires se sont accordés pour retenir le seuil de cinq infractions : si nous le fixions en deçà, un certain nombre d’éléments nous font craindre que, demain, une question prioritaire de constitutionnalité n’entraîne la censure d’une telle disposition.
Nous avons donc décidé, en responsabilité, de fixer le seuil à cinq infractions : nous avons la quasi-certitude que, ainsi, le dispositif sera efficace, sans encourir un risque constitutionnel dont on ne peut faire abstraction dans ce débat, monsieur Nègre, sauf à faire preuve de légèreté.
Enfin, que les choses soient claires : il n’y a aucune tolérance à la fraude. Le fait d’emprunter un réseau de transports en commun sans payer est sanctionné dès la première infraction. Nous parlons ici du délit de fraude d’habitude, ce qui n’est pas la même chose. Il faut être précis dans le choix des mots et des arguments que l’on emploie, pour éviter qu’ils soient mal interprétés. Chacun doit bien comprendre quel est le sens du travail accompli par les parlementaires et le Gouvernement pour parvenir à ce texte. Tel est l’esprit dans lequel je tenais à faire cette mise au point. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)