M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la rentrée 2013, plus d’un million de jeunes étaient engagés dans la voie professionnelle, du CAP au baccalauréat professionnel : un peu moins de 700 000 par la voie scolaire, dans l’un des 1 600 lycées professionnels, auxquels s’ajoutaient plus de 300 000 apprentis.
Madame la ministre, voilà quelques semaines, vous avez profité de la manifestation organisée pour fêter les trente ans des baccalauréats professionnels pour mettre en exergue les points forts du lycée professionnel, soulignant à cette occasion que celui-ci offre une formation particulièrement performante, tout comme l’apprentissage. C’est pourquoi nous devons avoir de grandes ambitions pour ces deux types de formations enseignées en alternance.
Les lycées professionnels représentent une voie de réussite. En effet, chaque année, un bachelier sur trois est formé dans ces établissements. Par ailleurs, 80 % des élèves admis au bac pro et 27 % des bacheliers professionnels trouvent un emploi dans les trois mois suivant leur réussite à ce diplôme.
Cela dit, dans le cadre de la mission d’information sur l’orientation, que Guy-Dominique Kennel et moi-même menons actuellement, la problématique de l’enseignement professionnel revient régulièrement. Trop souvent encore, l’orientation des jeunes vers la filière professionnelle est mal perçue, mal défendue, peu recherchée. Cette orientation est trop fréquemment subie plutôt que choisie par les élèves et leurs familles. Pourtant, quand l’offre de formation en apprentissage paraît insuffisante, les jeunes sont heureux de revenir en lycée professionnel. Il convient de le remarquer, de nombreux responsables d’entreprise sont partenaires des lycées professionnels, ce qui marque bien l’ancrage du professionnel dans le tissu de l’entreprise.
À la suite de la réforme de la voie professionnelle engagée en 2009, l’orientation en fin de classe de troisième se fait désormais soit vers un baccalauréat professionnel en trois ans – au lieu de quatre ans auparavant – dès la seconde professionnelle, soit vers un CAP en deux ans, repositionné comme parcours d’accès à une première qualification après l’extinction des BEP en 2012.
Depuis la rentrée 2009, l’accès au baccalauréat professionnel en trois ans après une classe de troisième est ouvert en contrat d’apprentissage. Comme pour les jeunes sous statut scolaire, un parcours en quatre ans vers le niveau IV demeure, puisque, à l’issue d’un contrat de deux ans en CAP, les jeunes peuvent poursuivre leur formation pour obtenir un baccalauréat professionnel. Ils peuvent également préparer un brevet professionnel dans le cadre d’un contrat d’apprentissage de deux ans. Ce diplôme national atteste l’acquisition d’une haute qualification dans l’exercice d’une activité professionnelle.
Dans le cadre du débat sur l’avenir des lycées professionnels, il paraît bien évidemment nécessaire d’aborder plusieurs sujets : le devenir des formations actuelles et le développement des nouvelles formations ; la durée de la formation ; la place réservée aux savoirs généraux ; la concurrence de l’apprentissage, en particulier pour le versement de la taxe d’apprentissage ; les modalités de certification des diplômes de la voie professionnelle ; le volume nécessaire de l’offre de formation et les capacités d’accueil sur l’ensemble du territoire ; l’intégration dans des projets Erasmus et l’ouverture à l’international.
Il est certain que les cartes des formations doivent évoluer et que certaines filières doivent être développées. Je pense en particulier aux services à la personne, aux métiers de vendeurs, d’aides-soignants, d’infirmiers, de cadres administratifs, à ceux de la sécurité – tous ces métiers qui, comme l’indique une étude de France Stratégie, seront les plus porteurs d’emplois d’ici à 2020.
Madame la ministre, ce qui nous importe, c’est la réussite des jeunes. Tous les jeunes qui souhaitent se former en alternance doivent pouvoir le faire. Dans cette perspective, nous sommes persuadés que l’enseignement professionnel public sous statut scolaire, donc le lycée professionnel, doit continuer à occuper une place prépondérante dans notre système éducatif. Il convient par conséquent de rendre les lycées professionnels de plus en plus performants.
C’est pourquoi les mesures annoncées par le Président de la République, le 18 janvier dernier, à l’occasion de son discours sur l’emploi, sont les bienvenues : l’éducation nationale va créer « 500 formations nouvelles en alternance, ciblées sur les métiers pour lesquels nous savons qu’il y aura de forts besoins dans les années à venir » ; 1 000 postes d’enseignants seront créés et affectés à ces formations dès 2017.
En outre, des jumelages entre collèges d’une part, lycées professionnels et CFA, centres de formations d’apprentis, sont prévus, afin de faciliter l’insertion des jeunes.
Si le baccalauréat professionnel présente un bon taux de réussite – plus de 80 % en 2015 –, le pourcentage des jeunes en situation de décrochage scolaire qui sont issus du lycée professionnel demeure malgré tout très élevé : ceux-ci représentent aujourd’hui un tiers des décrocheurs, avec, certes, des écarts importants entre académies.
Ces décrochages posent un problème majeur au système éducatif : ils touchent en effet la population scolaire la plus fragile. Afin de les éviter, et pour faire en sorte que l’orientation en filière professionnelle soit réellement choisie par le jeune en formation, vous proposez, madame la ministre, la création d’une période d’essai en seconde professionnelle.
Ainsi, à partir de la rentrée 2016, les élèves auront la possibilité de changer d’orientation jusqu’aux vacances de la Toussaint. Un nouveau tour d’orientation sur AFFELNET aura lieu à ce moment-là, et les conseils de classe pourront valider la demande de réorientation de chaque jeune qui le souhaitera. Nous pensons que c’est là une bonne façon de donner une chance supplémentaire à la réussite de l’orientation des nouveaux lycéens.
Par ailleurs, la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école de la République retient l’objectif d’une « valorisation de l’enseignement professionnel ». Cette ambition s’appuie sur la création des campus des métiers et des qualifications et sur la promotion de la démarche qualité dans l’enseignement professionnel, en particulier dans les lycées labellisés « lycées des métiers ». À cet égard, le concept de lycée des métiers, concrétisé par un label délivré par le recteur pour une durée de cinq ans en référence à un cahier des charges national précis, connaît un développement important.
Les trente et un campus des métiers et des qualifications, pôles de formation d’excellence labellisés et spécialisés par filière économique, incarnent aujourd’hui une dynamique partenariale et territoriale au service du développement économique et des parcours des jeunes.
Au-delà du bac pro, il faut aussi envisager une poursuite d’études valorisante pour ces bacheliers. Les sections de techniciens supérieurs, qui donnent accès au BTS, le brevet de technicien supérieur, apparaissent comme la meilleure voie de réussite des bacheliers professionnels ; mais cette voie demeure fragile. On constate en effet un processus de sortie précoce, en cours de formation, qu’il faut prendre garde à ne pas laisser se développer.
En conclusion, je souhaite souligner l’importance de la formation professionnelle dans le contexte social et économique que nous connaissons. Certes, le lycée professionnel se heurte à de nombreuses difficultés, rappelées par différents orateurs. Des moyens supplémentaires, notamment, sont nécessaires pour en améliorer l’attractivité, le fonctionnement et les débouchés dans le monde professionnel.
Toutefois, ces difficultés sont inhérentes à la vitalité démographique de la France,…
Mme Maryvonne Blondin. Bien sûr !
M. Jacques-Bernard Magner. … en comparaison avec la situation de nombreux pays, européens notamment, en particulier avec celle de nos voisins allemands, qui sont souvent cités en exemple.
En France, nous avons la ressource humaine, le vivier de jeunes que d’autres pays recherchent, et dont ils compensent le manque par l’accueil de populations C’est là une chance pour l’avenir de nos métiers, ainsi que pour l’accès de nos jeunes à l’emploi.
Le lycée professionnel, avec ses trente années d’expérience et de progrès successifs, doit prendre, en la matière, toute sa place. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2015 a été celle des trente ans du baccalauréat professionnel, appelé communément « bac pro ». Aujourd’hui, un tiers des jeunes scolarisés deviennent des bacheliers professionnels, et un peu moins de la moitié d’entre eux s’inscrivent en BTS ou à l’université. La finalité de ce baccalauréat professionnel reste floue.
La réforme de ce diplôme en 2009, permettant l’alignement de la durée du cursus sur celle des deux autres baccalauréats, général et technologique, fit passer celle-ci à trois ans. L’objectif de cette généralisation était bien que l’ensemble des baccalauréats aient la même valeur, et ainsi que le baccalauréat professionnel puisse donner les mêmes droits d’accès à l’enseignement supérieur.
Cette réforme a suscité de nombreuses critiques. Dénoncée comme menée dans la précipitation, sans réelle concertation, elle avait même échappé au Parlement. Nombreuses sont les voix s’élevant toujours aujourd’hui pour souligner la grande disparité des taux de réussite et invoquer notamment la situation précaire des élèves ayant le plus de difficultés.
En 2012, la réforme aurait permis d’augmenter de 80 % le nombre de bacheliers professionnels, alors que, en 2013, au moment de l’achèvement de la réforme, le nombre de candidats a fortement diminué. S’agissant du taux de réussite, on a pu constater une baisse pendant plus de trois années consécutives.
La diversité des filières professionnelles de l’éducation nationale, du tertiaire à l’industrie, entraîne le développement d’une pluralité de baccalauréats professionnels.
Votre récente annonce, madame la ministre, de créations de postes, permettant l’ouverture de 500 nouvelles formations, va plutôt dans le bon sens. Il conviendra cependant de bien identifier les gisements d’emploi, pour définir des formations adaptées au futur marché du travail.
Le baccalauréat professionnel constitue, selon nous, un outil positif, permettant de délivrer un titre de bachelier, dont la symbolique est très forte. Aujourd’hui, 80 % d’une classe d’âge arrive au niveau du baccalauréat. Si le baccalauréat professionnel a longtemps été dévalorisé, envisagé comme l’issue destinée à ceux qui ne pouvaient prétendre à un autre baccalauréat, technique ou général, son image évolue désormais.
Au nombre des autres annonces, madame la ministre, la création de jumelages entre collèges, lycées professionnels et centres de formation des apprentis nous semble une piste à explorer. Elle pourrait permettre un rapprochement des formations et la diffusion d’une meilleure image du diplôme en cause. Rappelons qu’il est question non pas d’opposer baccalauréat professionnel et apprentissage, mais plutôt de souligner leur complémentarité.
La valorisation du savoir-faire professionnel est en constant progrès. Il est ainsi prouvé, toujours davantage, que ce diplôme est un formidable outil d’acquisition d’un futur métier, en vertu notamment des nombreuses périodes professionnelles qui jalonnent la formation du bachelier. Du chemin reste néanmoins à parcourir.
Malgré les bonnes intentions concernant les possibilités de poursuites d’études, le système du baccalauréat professionnel a dévié pour devenir une impasse en termes de cursus. Le candidat Hollande avait pourtant estimé que « les jeunes et les personnels de l’enseignement professionnel ont été particulièrement malmenés », et dénoncé en particulier les « orientations imposées ». Ces annonces laissaient présager la mise en place d’un dispositif ambitieux.
Aujourd’hui, cependant, la situation n’est pas satisfaisante.
La loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République n’a pas suffisamment valorisé l’enseignement professionnel.
L’ambition du renforcement de l’accompagnement des élèves dans l’élaboration de leur projet d’orientation et la valorisation de tous leurs acquis et compétences était pourtant présente dans le texte. Le parcours Avenir, généralisé de la sixième à la terminale à la rentrée 2015, représente, aux yeux du Gouvernement, un outil privilégié permettant d’atteindre cette ambition.
Vos annonces relatives à l’introduction d’une plus grande souplesse dans la procédure d’orientation nous semblent intéressantes, madame la ministre. Attention toutefois à ce que cette « période d’essai » ne devienne, dans les faits, une énième usine à gaz, qui rendrait compliqués les changements d’orientation !
Des difficultés existent en effet.
L’accès des bacheliers professionnels aux formations supérieures reste un parcours du combattant qui, lorsqu’il est mal préparé, crée trop souvent des décrocheurs. Le taux de réussite de ces bacheliers reste en effet trop faible par rapport à celui des autres bacheliers, plus habitués aux méthodes de travail qu’il est nécessaire de maîtriser, notamment à l’université.
Les effets de ces échecs sont souvent dévastateurs. Pourtant, de plus en plus de bacheliers professionnels souhaitent accéder à l’enseignement supérieur. Des pistes – réserver des places aux bacheliers professionnels au sein des IUT, les instituts universitaires de technologie, par exemple – sont à explorer.
Une orientation non choisie et l’absence de passerelles entre les différentes formations sont souvent désignées comme responsables des échecs.
Diverses questions se posent, notamment celle des objectifs que nous souhaitons poursuivre – le bac pro constitue-t-il une voie vers l’enseignement supérieur ou la garantie d’une insertion sur le marché de l’emploi ? –, mais aussi, corrélativement, celles des quotas dans les BTS ou les IUT, de l’orientation active ou même de l’aménagement, de nouveau, d’un parcours en quatre ans pour les plus fragiles.
La question des outils dont nous nous doterons pour permettre la réussite de ces élèves doit également être soulevée.
Il convient aujourd’hui de valoriser ce diplôme du baccalauréat professionnel et de souligner le travail remarquable effectué par les professionnels qui, sur le terrain, forment au quotidien nombre de jeunes qui entreront demain sur le marché de l’emploi avec les connaissances nécessaires.
Changeons l’image stigmatisante de ce diplôme, parfois associée à l’idée selon laquelle les compétences pratiques sont réservées aux élèves ayant des difficultés scolaires. Il n’en est rien : nombre de jeunes bacheliers professionnels nous le prouvent chaque jour.
En conclusion, trois impératifs s’imposent à nous : le développement de connaissances et de compétences, la possibilité, pour les bacheliers professionnels, de poursuivre des études plus longues, et, pour notre jeunesse talentueuse, un réel accès à l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trente ans après la création du baccalauréat professionnel, concomitante de la fixation par notre ancien collègue Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’éducation nationale, de l’objectif des 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, nous constatons une nette élévation du niveau de qualification de notre jeunesse.
En 1985, seuls 37 % des jeunes atteignaient le niveau du baccalauréat, la France étant à ce titre en retard par rapport à des pays tels que l’Allemagne ou le Japon.
Le bac pro a largement contribué à ce que cet objectif des 80 % soit atteint – alors que le chômage touche actuellement un jeune sur quatre dans notre pays, il s’agissait d’une nécessité impérieuse. Ainsi, un tiers des bacheliers sont issus de la voie professionnelle.
Ce baccalauréat permet aux élèves d’acquérir des compétences hautement qualifiées et de bénéficier d’une insertion rapide dans le monde du travail, tout en leur ouvrant la possibilité de poursuivre des études supérieures, bien que cela ne soit pas sa vocation première.
Ce savant dosage entre enseignements théoriques et pratiques complète utilement l’éventail des formations de l’enseignement secondaire.
Quel bilan peut-on dresser ? Parmi les bacheliers professionnels, 60 % s’insèrent directement sur le marché du travail, ce qui prouve que les formations sont globalement adaptées aux besoins économiques de notre pays.
Cependant, s’arrêter à la lecture de ces chiffres revient à ignorer qu’il existe de grandes disparités selon les spécialités. Certaines d’entre elles attirent plus qu’elles ne le devraient, alors qu’elles conduisent à des impasses ; d’autres sont désertées, bien que les débouchés soient assurés. Mais cette situation n’est pas caractéristique du seul enseignement professionnel. Elle est très révélatrice des problèmes d’orientation qui persistent à tous les niveaux.
La réflexion sur les évolutions de l’emploi, des métiers et des compétences doit être engagée.
Le diplôme, s’il garantit un meilleur taux d’insertion, devient de plus en plus une condition nécessaire, mais non suffisante.
Ce qui nous fait défaut aujourd’hui, c’est bien la vision prospective qui prévalait en 1985, lors de l’examen de la loi de programme sur l’enseignement technologique et professionnel.
Une mission avait été confiée à Daniel Bloch, alors président de l’Institut national polytechnique de Grenoble, afin de définir des objectifs sur le long terme. Cette perspective est toujours indispensable pour adapter la formation de notre jeunesse aux besoins économiques du pays.
S’agissant de la poursuite des études dans l’enseignement supérieur, les résultats des bacheliers professionnels sont préoccupants.
La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a instauré un système de quotas afin de leur réserver un certain nombre de places dans les sections de technicien supérieur, largement prisées par les bacheliers de la voie générale.
Or, lorsqu’ils se retrouvent en première année de licence à l’université, les bacheliers professionnels sont quasi systématiquement en situation d’échec. On retrouve ainsi dans le supérieur toutes les difficultés scolaires qui n’ont pas pu être réglées auparavant, et qui ont déterminé l’orientation de l’élève à chaque étape de son parcours.
Les quotas ne suffisent pas. Il faut créer un véritable accompagnement. Qu’en est-il de la volonté du Gouvernement d’améliorer le continuum entre le lycée professionnel et l’université ?
Le décrochage scolaire concerne surtout les élèves de la voie professionnelle, et même si ce phénomène n’est pas uniquement imputable à la réforme du baccalauréat professionnel de 2009 qui a fait passer la durée de formation de quatre ans à trois ans, cette diminution y a largement contribué, le taux de réussite ayant baissé d’environ six points. Nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont bien expliqué les effets négatifs de l’absence de remise à niveau de ce point de vue.
Nous mesurons combien il est difficile d’évoquer la valorisation de la voie professionnelle, lorsqu’elle concerne presque exclusivement ceux qui subissent successivement des exclusions en raison de leurs mauvais résultats, c’est-à-dire les jeunes que l’éducation nationale n’a pas pu ou su soutenir.
Nous ne pourrons faire de la filière professionnelle une « voie d’égale dignité » que si nous traitons les difficultés scolaires en amont pour aboutir à une orientation choisie plutôt que subie, une orientation qui ne soit pas la somme des déterminismes sociaux et géographiques qui font que notre système éducatif est encore l’un des plus inégalitaires des pays de l’OCDE. Une mission d’information sur l’orientation, conduite par Jacques-Bernard Magner et à laquelle je participe, vous adressera, je l’espère, madame la ministre, des propositions applicables, pour que la vision des parents, des enseignants et, surtout, des élèves change et pour que nous mettions en avant tous les points positifs de la voie professionnelle.
Certes, notre système éducatif est confronté au défi de la quantité, le nombre de lycéens ayant presque doublé au cours de ces trente dernières années. Si nous accueillons très favorablement les progrès réalisés en matière de démocratisation du savoir, les inégalités demeurent. La division entre « ceux qui possèdent sans travailler et ceux qui travaillent sans posséder », que l’école reproduit et à laquelle Ferdinand Buisson cherchait à mettre fin au début du XXe siècle, subsiste.
Les résultats scolaires et l’orientation des élèves restent encore trop souvent corrélés au milieu familial. À parcours scolaire de qualité égale, les enfants de cadres et d’ouvriers ne sont pas orientés de la même manière. Or c’est bien sur le mérite et sur le talent que doivent se fonder l’orientation et le cursus, dans la voie générale ou professionnelle, des enfants de la République.
J’espère, madame la ministre, que vous nous présenterez des propositions concrètes. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – MM. Jacques Legendre et Jean-Claude Carle applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Abate et le groupe CRC ont souhaité qu’un débat s’ouvre à l’occasion du trentième anniversaire de la création du baccalauréat professionnel. Ils ont eu raison, car un tel débat est utile.
De même, la commission de la culture, voilà huit ans, avait souhaité célébrer un autre anniversaire : le deux centième anniversaire du baccalauréat. Nous avions alors mis sur pied un groupe de travail dressant un état des lieux de ce « monument national », selon la formule d’un ancien ministre de l’éducation, véritable pierre angulaire de notre système éducatif, qui couronne l’ensemble de la scolarité primaire et secondaire et ouvre les portes de l’enseignement supérieur ou de la vie active.
En tant que rapporteur, j’expliquais alors comment la diversification des filières du baccalauréat et le souhait de donner une place nouvelle à la formation professionnelle avaient conduit à la création du baccalauréat professionnel en 1986.
Le gouvernement d’alors s’engageait à mener 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat. Créer une filière professionnelle à côté de la filière générale devait évidemment l’aider à atteindre cet objectif.
Si le nombre de candidats au baccalauréat augmenta massivement dans les dix années qui suivirent, non seulement dans la voie professionnelle, mais aussi dans la voie générale, le chiffre de 80 % de jeunes accédant au baccalauréat n’a jamais été atteint.
Je citerai à cet égard les données de 2006 : seulement 64 % environ d’une génération obtient le baccalauréat, dont un peu plus de 34 % le baccalauréat général, 17 % le baccalauréat technologique, et 12,3 % le baccalauréat professionnel.
La plupart des élèves qui n’accèdent pas au baccalauréat ont quitté le système scolaire après la troisième ou ont été orientés vers l’une des filières professionnelles sans l’avoir choisi. De nombreux abandons sont constatés lors de la préparation au baccalauréat professionnel : ils concernent de trop nombreux élèves.
Nous constatons ainsi les limites du dispositif. En France, l’inégal accès d’une génération au baccalauréat traduit un net dysfonctionnement du système d’orientation et une certaine incapacité à surmonter les inégalités scolaires. Le baccalauréat professionnel souffre en effet d’une hiérarchie tacite dans la valeur des filières d’enseignement. C’est ce qu’il faut changer !
Aujourd’hui, la question de l’orientation n’est réellement posée qu’en troisième, pour les seuls élèves ayant des difficultés scolaires et ne pouvant poursuivre dans la voie générale. L’orientation repose alors sur l’échec, c’est une orientation par défaut. Ce phénomène est dénoncé depuis longtemps, mais il faut bien constater qu’il persiste.
M. Jacques Grosperrin. Absolument !
M. Jacques Legendre. L’élève qui peut rester dans le cursus « normal » ne se posera jamais la question de savoir s’il aurait pu être attiré par une formation professionnelle. Il n’en a d’ailleurs pas l’occasion, puisqu’il n’a presque jamais été mis en contact avec l’univers professionnel. Cela accentue les inégalités sociales dont notre pays est justement accusé par l’étude PISA, la voie professionnelle n’attirant pas les enfants issus des milieux les plus favorisés.
Ce sont les raisons pour lesquelles mon rapport appelait à une réforme de l’orientation, afin que celle-ci soit réellement choisie par l’élève, en accord avec ses goûts et ses capacités. Il convient d’effectuer un réel travail sur les représentations, afin que l’élève ne se trouve pas prisonnier d’un imaginaire collectif. J’oserai dire qu’il faudrait que les orienteurs aient eux-mêmes une vraie connaissance de la vie professionnelle pour pouvoir en parler véritablement aux orientés.
M. Jean-Claude Carle. Élémentaire !
M. Jacques Legendre. Pour que l’orientation ait un sens, il faut que le collège devienne l’antichambre des études générales, technologiques et professionnelles, ce qui signifie que ces trois dimensions doivent être présentes dans la scolarité de tout collégien.
Des efforts ont été réalisés en ce sens – je pense au parcours de découverte des métiers et des formations, transformé en parcours Avenir par la majorité actuelle –, mais il faut bien évidemment aller plus loin et transformer radicalement la manière dont l’orientation est envisagée dans notre pays.
J’estime également que, pour lutter contre la hiérarchisation des filières au sein du baccalauréat, il faut assurer l’enseignement d’un tronc commun valant pour les trois voies. Chaque bachelier devrait acquérir certaines connaissances et compétences, la méthodologie pour y parvenir pouvant être adaptée à chacune des trois filières.
Nous devons avoir une équation présente à l’esprit : une bonne insertion professionnelle, ce sont des connaissances générales suffisantes, une qualification professionnelle attestée obtenue à l’issue de la formation, mais aussi un début d’expérience professionnelle pendant la scolarité.
Je souhaite développer un autre point à propos de la manière dont le baccalauréat professionnel a évolué : il s’agit de la confusion qui règne sur ses objectifs, de plus en plus de jeunes ayant tendance à vouloir ensuite poursuivre des études supérieures.
Effectivement, le baccalauréat est par tradition le premier grade de l’enseignement supérieur. Il permet donc à des bacheliers professionnels de s’engager dans des études supérieures qui ne sont pourtant pas la finalité de leur filière, puisque les baccalauréats professionnels sont d’abord destinés à une insertion rapide dans le monde du travail.
Ainsi, près d’un bachelier professionnel sur trois fait ce choix. Cependant, on le sait, environ la moitié d’entre eux vont sortir de l’enseignement supérieur sans diplôme. Un tel parcours se traduit, selon le Centre d’études et de recherche sur les qualifications, le CEREQ, par un taux de chômage supérieur de 3,2 % à celui qui aurait été le leur s’ils étaient entrés directement sur le marché du travail.
Je trouverais donc utile, madame la ministre, de sensibiliser en amont les bacheliers professionnels souhaitant s’engager dans des études longues aux difficultés qu’ils risquent de rencontrer. Il s’agit, encore une fois, du rôle de l’orientation, qui devrait prévoir, par exemple, un entretien personnalisé avant tout choix définitif.
J’estime que le caractère de filière courte du baccalauréat professionnel ne doit pas empêcher le jeune de reprendre une formation par la suite. Il s’agit d’une autre proposition figurant dans mon rapport.
Il faudrait, à l’avenir, que l’État s’engage à assurer au jeune qui a choisi, après le baccalauréat professionnel, d’entrer dans la vie active la possibilité de reprendre une formation – certains dispositifs de formation sont prévus à cet effet. L’engagement de l’État serait important, afin que chacun sache qu’il ne sera pas jugé toute sa vie en fonction du niveau atteint lorsqu’il a quitté le système scolaire pour entrer dans la vie professionnelle.
Tels sont, madame la ministre, les points que je souhaitais souligner. Le scandale absolu, inacceptable, ce sont les dizaines de milliers d’élèves qui sortent du système scolaire sans connaissances générales suffisantes et sans qualification professionnelle. L’apprentissage, l’alternance, l’enseignement technique ne sont pas en concurrence ; ils sont complémentaires. Puisse le Gouvernement le comprendre et appeler, dans ce domaine, à la mobilisation de tous au service de la jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l’UDI-UC, du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)