Mme la présidente. L’amendement n° 414, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. J’adhère pleinement à la volonté exprimée au travers de cet article d’assurer une rémunération équilibrée de la valeur pour les auteurs et les artistes dans l’environnement numérique.
Néanmoins, le dispositif envisagé d’un droit à rémunération au titre du référencement des œuvres par les moteurs de recherche soulève d’importantes questions au regard de l’état actuel du droit européen, qui fixe un cadre restrictif en la matière. En particulier, la Cour de justice de l’Union européenne considère, depuis un arrêt du 13 février 2014, que les ayants droit ne peuvent s’opposer à la création d’un lien hypertextuel dès lors que celui-ci pointe vers une ressource librement accessible sur internet.
C’est donc au niveau européen que le problème doit être posé, ce que je fais d’ailleurs avec détermination, et j’ai suivi attentivement les projets en matière de droit des éditeurs de presse, qui soulevaient d’importants enjeux. Surtout, j’ai réussi à mettre le sujet du partage de la valeur et du rôle des intermédiaires techniques à l’ordre du jour du débat européen, notamment grâce au rapport que m’a remis Pierre Sirinelli.
Dans sa communication du 9 décembre dernier, la Commission européenne a exprimé sa volonté de déterminer si l’utilisation en ligne des œuvres protégées par le droit d’auteur est dûment autorisée et rémunérée au moyen de licences. Dans ce contexte, la Commission se penchera en particulier sur le rôle des services d’agrégation d’actualité.
La France est ainsi très mobilisée actuellement pour faire évoluer le droit européen qui fixe le cadre législatif. Vous pouvez aussi compter, vous le savez, sur mon engagement total dans ce chantier. D’où cet amendement, qui vise à supprimer le régime de rémunération pour le référencement des arts visuels.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Selon moi, il ne faut pas supprimer cet article.
C’est un sujet important, vous l’avez dit, madame la ministre, qui rejoint une grande préoccupation des photographes, lesquels assistent à la captation de leurs œuvres. Il faut maintenir cet article, que la commission a jugé important de faire figurer au sein de ce projet de loi. La situation des photographes et des autres auteurs d’art graphiques et plastiques est marquée par une précarité croissante ; il était indispensable de l’évoquer, et la commission a adopté cette mesure.
Vous mettez en avant, madame la ministre, un risque de contradiction entre ce dispositif et le droit européen, en particulier la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne de 2014.
Nous avons lu tous les arrêts en question, et la solution retenue par la Cour soulève tout de même quelques questions. En effet, l’arrêt cité évoque seulement la question des liens hypertextuels et il concernait un lien vers un article de presse. Peut-on transposer cette jurisprudence à la pratique des vignettes stockées sur les serveurs du moteur de recherche ou au stockage des photographies en format non réduit mises à la disposition du public hors de tout contexte ?
À ce stade, il paraît important d’approfondir davantage la question, mais nous ne pouvons pas abandonner ainsi tout un pan de la création. J’admets la possibilité que notre mesure soit fragile, mais, au fond, les arrêts de la Cour de justice européenne sont assez spécifiques et on pourrait peut-être élargir le champ.
Aujourd’hui, les auteurs, notamment les photographes, ont besoin d’un engagement politique fort de notre part. C’est pourquoi la commission souhaite conserver l’article 10 quater. Elle a donc émis un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Pour qu’il n’y ait aucune méprise, je souhaite préciser que je suis extrêmement attachée à tous les travaux de réflexion que nous menons actuellement autour de la rémunération des artistes des arts visuels, qui pose effectivement des problèmes de répartition de la valeur, comme dans bien des industries touchées par la révolution numérique. Que l’on ne s’y trompe pas, l’objet de cet amendement était de discuter des modalités de la rémunération de ces artistes, non du principe de leur rémunération décente.
Je profite de cette prise de parole pour répondre à l’intervention de Mme Sylvie Robert à propos du Conseil national des arts visuels. Effectivement, vous le savez, j’ai annoncé en Arles la création d’un Conseil national de la photographie, qui doit être mis en place très prochainement. Toutefois, vous avez raison, la mise en place d’un Conseil national des arts visuels, plus général qu’un conseil ne concernant que la photographie, serait une avancée majeure pour ce secteur.
Cela permettrait de donner un cadre aux relations entre l’État et les organisations professionnelles du secteur et à celles des organisations professionnelles d’artistes auteurs avec les diffuseurs. En outre, elle favoriserait la structuration du secteur, dont la nécessité est de plus en plus évidente au regard de la paupérisation d’une grande partie des artistes auteurs et des difficultés à avancer sur des sujets majeurs, comme la réforme de la formation professionnelle ou les problèmes rencontrés par les différents acteurs du conseil de gestion de l’Assurance formation des activités du spectacle, l’AFDAS.
Le secteur des arts graphiques et plastiques est plus faiblement structuré que celui du spectacle vivant, nous le savons ; il lui manque une instance permanente de concertation avec l’État et avec les collectivités sur l’ensemble de ces sujets, qui sont articulés entre eux. C’est pourquoi je propose d’y travailler avec vous, madame la sénatrice, pour avancer sur ce chantier.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.
M. Claude Kern. L’article 10 quater, tel qu’il a été rédigé par la commission de la culture du Sénat, apporte l’espoir de pouvoir bénéficier de la valeur créée par les images référencées par les moteurs de recherche. Il apporte aussi l’espoir d’un changement de paradigme et d’une nouvelle économie d’internet, plus équitable pour les créateurs d’images.
Il garantit également la rémunération des auteurs et le renouvellement d’une création libre et diversifiée. Aussi, attaché à ces valeurs et à la diversité culturelle, je ne voterai pas pour l’amendement de suppression du Gouvernement. En effet, il faut envoyer un signal fort de soutien à la démarche de Mme la ministre à l’échelon européen. En revanche, je voterai en faveur de l’amendement rédactionnel de M. le rapporteur.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. J’ai également une divergence de vues avec le Gouvernement. Je ne suis pas d’accord avec la suppression de cet article, madame la ministre, parce que, ayant auditionné pendant deux ans des personnes du secteur des arts plastiques pour mon rapport sur la création, j’ai pu mesurer à quel point on méconnaît, même quand on est un parlementaire suivant les affaires culturelles, la situation sociale catastrophique de ce secteur.
Une majorité de ces personnes vit sous le seuil de pauvreté. Quand on va voir les œuvres d’un grand peintre, on s’imagine que celui-ci vit bien, mais, sur tous nos territoires, dans de petites villes, il existe des artistes dans une situation catastrophique, certes parce qu’ils n’ont pas d’organisations structurées et puissantes pour défendre leurs droits, mais aussi parce que la protection sociale dans ce domaine est en retard.
Dès lors, si nous pouvons aider… Par exemple, un focus politique inséré dans cette loi représenterait une partie de l’aide que nous pouvons apporter. La création d’aujourd’hui repose, en grande partie, sur ces artistes. Il y a sans doute les photographes – on en parle plus parce que c’est moderne –, mais il faut prendre en compte l’ensemble des arts plastiques.
En outre, l’une de nos propositions a été évincée de notre discussion en séance par le recours à l’article 41 de la Constitution, parce que la création d’un Conseil national des arts visuels relève du domaine réglementaire ; je veux appeler l’attention de tous sur ce point. Le pouvoir de décider qu’une telle mesure relève du domaine réglementaire, sans qu’on puisse même en discuter en séance, me semble exorbitant. Je me permets d’aborder cette question, parce qu’elle est connexe. Il ne faudrait pas abuser de l’article 41 au point d’éliminer certains débats !
Puisque notre amendement a été invalidé, il ne restera plus grand-chose si cet article aussi est supprimé. Nous voulons nous montrer attentifs à ce secteur dans cette loi et je sais que la ministre, qui a fait des annonces à Arles, y est aussi attentive. Nous l’aidons à l’être encore plus en lui disant que cette suppression ne serait pas opportune.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Nous ne sommes pas favorables à la suppression de cet article, raison pour laquelle nous ne voterons en faveur de l’amendement du Gouvernement.
J’en profite pour formuler une remarque concernant l’argument selon lequel cet article risquerait d’être contradictoire avec les règles européennes, argument souvent invoqué à l’occasion d’initiatives que nous prenons. Mes chers collègues, je vous invite à réfléchir à ce problème, qui se pose de manière récurrente.
Jusqu’à preuve du contraire, les directives européennes ne tombent pas du ciel : elles sont le fruit de décisions politiques ! Nous ne pouvons pas – vous ne pouvez pas, devrais-je dire, car je m’adresse ici à ceux dont les partis les votent au Parlement européen –, d’un côté, produire régulièrement des directives, et, de l’autre, buter sur ces règles quand nous réfléchissions, ici, à la manière de faire progresser les droits !
Il faudrait tout de même que nous cherchions un jour à inverser l’ordre des choses. La Commission européenne va-t-elle durablement empêcher l’ensemble des États européens de se pencher avec audace sur le problème que pose Google dans toute l’Europe, alors que l’envie d’avancer sur ce point est manifeste dans tous les pays ?
Le législateur, en France comme dans les autres pays européens, ne doit pas se laisser arrêter par l’argument des considérations. Cela permettra d’inverser progressivement la logique qui nous a conduits à nous dessaisir d’une partie de nos prérogatives, sur des bases particulièrement problématiques, puisque c’est la même Commission européenne qui nous explique que nous devons valider un accord dérogatoire au droit social obtenu avec la Grande-Bretagne au terme de négociations avec David Cameron et qui, si on la laisse faire, nous empêchera d’avancer dans des domaines comme ceux dont nous discutons aujourd'hui !
Je voulais formuler cette remarque à la faveur de cet amendement, parce que c’est un problème que nous rencontrons tous ici de plus en plus souvent, et pas seulement en matière culturelle.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Madame la ministre, vous nous dites que le Gouvernement n’est pas satisfait de la situation créée par la directive de 2000 et qu’il souhaite faire avancer les choses. C’est aussi ce que veut le Parlement !
À cet égard, je trouve que le signal par lequel vous nous demandez de retirer ce qui est l’affirmation de notre volonté de voir la situation évoluer est un peu particulier. Ce que nous voulons, c’est appuyer l’action que vous pourrez mener au niveau européen pour faire bouger les choses ! Ce n’est donc pas le moment de mettre sous le boisseau notre propre volonté sur ces sujets.
Dès lors, je ne peux pas moi non plus voter en faveur de l’amendement du Gouvernement.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Bien évidemment, j’irai dans le même sens que mes collègues.
Au-delà du signal qu’il donne aux arts visuels, je trouve que cet article est très équilibré. Au reste, je trouve assez étonnant que l’on veuille supprimer cette disposition au nom de l’arrêt Svensson, aux termes duquel les liens hypertextes ne sont pas soumis aux dispositions sur le droit d’auteur.
En effet, rien aujourd'hui ne permet d’assimiler des photos ou des dessins à un lien hypertexte ! Sinon, n’importe quelle œuvre en ligne pourrait, de la même manière, devenir un lien hypertexte cliquable. C’est presque toute la législation sur l’application du droit d’auteur en ligne qui pourrait être remis en cause !
Pour toutes ces raisons, nous ne sommes bien sûr pas favorables à la suppression de l’article 10 quater.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Comme M. le rapporteur l’a fort aimablement rappelé, il s’agit d’un sujet qui nous tient particulièrement à cœur.
En tout état de cause, l’argumentaire qui nous a été fourni par le Gouvernement nous semble procéder d’une interprétation extrêmement abusive de l’arrêt Svensson. Par conséquent, madame la ministre, soit il s’agit d’un malentendu, et celui-ci pourra donc être levé, soit il s’agit d’une voie dans laquelle vous voulez vous engager, auquel cas nous ne pourrons absolument pas vous soutenir – même si, sur d’autres points, nous vous soutenons.
En effet, ce que cache votre amendement, c’est tout simplement le consentement à une spoliation des photographes et des artistes. Les membres de la Haute Assemblée ne sauraient consentir à une telle mesure !
Par ailleurs, pour rebondir sur une remarque formelle qui a été formulée tout à l'heure, j’estime que nous devrions réfléchir sereinement à la façon extrêmement énergique dont l’article 41 de la Constitution semble appliqué.
Je veux rappeler que cette disposition n’est pas le pendant de l’article 40, qui permet d’opposer l’augmentation de la dépense publique dès le premier euro engagé. L’article 41 prévoit simplement que le Gouvernement ou le président de l’assemblée saisie peut opposer l’irrecevabilité lorsque la disposition relève du domaine réglementaire. Il s’agit bien d’une possibilité, qui n’a aucun caractère automatique !
J’aimerais donc que, pour la suite de nos travaux, l’article 41 ne soit pas dégainé de façon systématique. Il pourrait être utilisé avec un peu plus de modération, surtout lorsque le dispositif en cause permet de poser des questions extrêmement importantes en séance.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux de nouveau préciser les choses.
Évidemment, je partage l’objectif d’assurer une meilleure rémunération de l’exploitation numérique des œuvres des arts visuels. Vous le savez, puisque j’ai eu l’occasion de m’exprimer à de nombreuses reprises sur ce sujet. En particulier, voilà trois ans que je me bats pour que les intermédiaires, qui référencent les moteurs de recherche, puissent être associés au financement de la création, ainsi qu’à la participation aux charges publiques des pays dans lesquels ils réalisent des bénéfices.
Cependant, en l’état, cet article ne me paraît pas compatible avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : une telle disposition serait écartée par la Commission européenne si nous devions la lui notifier.
Néanmoins, je trouve que le débat qu’a ouvert la discussion de cet amendement est très intéressant. Il me semble que nous partageons tous l’objectif d’assurer une meilleure rémunération des auteurs pour leurs œuvres.
J’estime que nous devons aussi être attentifs à ce qui s’est produit dans les pays voisins, notamment en Allemagne, qui a souhaité introduire un droit similaire ou un droit voisin sur l’utilisation de liens hypertextes renvoyant à des articles de presse. Ce n’est pas exactement le sujet qui nous occupe ce soir, mais la démarche était assez proche, puisqu’il s’agissait aussi d’une question de répartition de la valeur à partir de contenus ou d’objets mis en ligne par des tiers.
On voit bien les difficultés que rencontre aujourd'hui l’Allemagne ou l’Espagne, qui a elle aussi essayé d’introduire des dispositions du même type, pour tirer des ressources des droits voisins que leur législation a mis en place. (M. Pierre Laurent s’exclame.)
Je suis tout à fait d’accord pour réfléchir à ces questions, qui me semblent absolument indispensables pour garantir un meilleur partage de la valeur à l’avenir. Cet amendement visait justement à réfléchir aux modalités de partage les plus efficaces possible. Il ne faudrait pas, en effet, que nous mettions en place un dispositif qui ne soit pas compatible avec le droit européen : il ne pourrait malheureusement pas être mis en œuvre, et nous n’en tirerions aucune ressource pour nos artistes.
Avançons donc de conserve pour trouver le dispositif le meilleur et le plus efficace possible !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Il semble que nous partagions tous le même objectif. J’en fais crédit à chacun de mes collègues !
Quand j’ai commencé à défendre les photographes, le ministre en charge s’appelait Jean-Jacques Aillagon. Depuis lors, on a vu défiler du monde…
Quand j’ai déposé ma proposition de loi pour défendre les photographes, le ministre s’appelait Frédéric Mitterrand.
Mme Françoise Férat, rapporteur. C’était hier ! (Sourires.)
Mme Marie-Christine Blandin. Depuis lors, on a encore vu défiler du monde !
Aujourd'hui, madame la ministre, vous nous dites que, depuis trois ans, vous travaillez avec acharnement et que vous vous êtes largement exprimée sur le sujet. Certes, vous vous êtes beaucoup exprimée, mais les aides à la presse n’ont pas changé ! Elles ont abondé des titres éditeurs, tandis que les photographes n’ont rien vu passer.
Le nombre de photographes disposant d’une carte de presse a été laminé. Dans les zones de combat, les photographes ne peuvent même pas présenter une carte de presse pour franchir les checkpoints, parce qu’ils ne sont plus salariés !
Les appareils numériques coûtent dix fois plus cher que ne coûtaient, autrefois, les appareils argentiques, sans parler de la rénovation de la conservation des stocks. Les photographes ne s’en sortent plus. On ne les aide qu’avec des paroles ! Alors, aujourd'hui, madame la ministre, non, nous ne vous suivrons pas sur la suppression de cet article, même si celui-ci chiffonne l’Europe. Il va falloir passer aux actes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. L'amendement n° 497, présenté par M. Leleux, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Remplacer les mots :
décret pris pour l'application du chapitre VI du titre III du livre Ier de la première partie du code de la propriété intellectuelle
par les mots :
décret en Conseil d'État mentionné au dernier alinéa de l'article L. 136-2, tel qu'il résulte du I du présent article
La parole est à M. le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10 quater, modifié.
(L'article 10 quater est adopté.)
Article 10 quinquies (nouveau)
L’article 27 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi modifié :
1° Le 3° est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les mots : « d’œuvres cinématographiques et », sont insérés les mots : « , pour au moins 60 % indépendante à leur égard, d’œuvres » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Cette contribution est à hauteur de 60 % indépendante à l’égard de l’éditeur de services. » ;
2° La première phrase du 4° est supprimée.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Nous abordons un sujet qui, ces dernières semaines, a suscité beaucoup de commentaires, notamment dans le monde de l’audiovisuel. Il me semble important que nous ayons un débat approfondi à son propos.
En adoptant ses amendements sur la production audiovisuelle, notre commission a d’abord voulu rappeler l’antériorité de sa réflexion sur ce sujet. Dès 2013, un rapport d’un groupe de travail, conduit par notre ancien collègue Jean-Pierre Plancade,…
Mme Françoise Laborde. Exact !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. … appelait à une restructuration du marché de la production audiovisuelle et proposait même de porter à 50 % le niveau de la part de production dépendante.
La première avancée consécutive à ce rapport a pris la forme d’une modification de l’article 71-1 de la loi du 30 septembre 1986, adoptée dans le cadre de la loi du 15 novembre 2013 et relative aux parts de coproduction et aux mandats de commercialisation. Dix-huit mois – j’y insiste – après la publication de la loi, un décret d’application a été publié le 27 avril 2015, mais celui-ci ne respectait pas complètement l’esprit de l’amendement déposé, à l’époque, par Jean-Pierre Plancade.
Depuis lors, madame la ministre, vous avez annoncé, en janvier 2015, un « acte II » de l’évolution des rapports entre diffuseurs et producteurs. Cette annonce n’a malheureusement pas eu de suite.
À la demande de Mme la présidente de la commission de la culture et dans le cadre de mon rapport, j’ai organisé, le 17 décembre dernier, au Sénat, deux tables rondes, l’une avec les producteurs indépendants et l’autre avec les diffuseurs – je précise que tous les membres de la commission y étaient conviés. Ces échanges ont montré que toutes les parties avaient bien conscience de la nécessité d’adapter les règles régissant leurs rapports. Toutefois, il fallait une initiative pour obliger les uns et les autres à se parler.
Plusieurs de mes interlocuteurs m’ont expliqué, depuis lors, que l’intention de notre commission de proposer des évolutions sur la réglementation de la production n’avait pas été sans effet sur la conclusion des accords entre France Télévisions et les producteurs indépendants ou sur son accélération.
Cette initiative du Sénat est donc utile et légitime.
M. Bruno Retailleau. Bravo !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Les dirigeants des trois groupes privés de télévision – TF1, M6 et Canal+ – que vous avez reçus lundi, madame la ministre, soutiennent cette démarche. Les producteurs indépendants, que je rencontre depuis dix jours, la comprennent de mieux en mieux quand je leur rappelle notre attachement à la production indépendante.
Comme je le répète chaque fois que l’on me demande mon avis, un accord interprofessionnel serait préférable à des dispositions législatives, mais l’intervention du législateur doit demeurer une solution en cas d’échec de la négociation.
En déposant des amendements tendant à des rédactions différentes, nos collègues David Assouline et Philippe Bonnecarrère ont à la fois légitimé l’initiative prise par le Parlement dans ce domaine et proposé des pistes de modification, qui pourront nous être utiles en deuxième lecture.
Comme je l’ai annoncé hier aux représentants du SPECT, le syndicat de producteurs et créateurs d’émissions de télévision, que j’ai reçus de nouveau, je proposerai aux représentants des diffuseurs et des producteurs de participer à une nouvelle table ronde au printemps prochain, afin d’ajuster nos dispositifs, le cas échéant.
Je ne doute pas qu’un compromis, absolument nécessaire si nous souhaitons conserver des groupes capables d’affronter le monde de l’audiovisuel dans les années à venir, notamment dans le cadre européen, recueillera un large assentiment du Sénat si aucun accord interprofessionnel n’est intervenu d’ici là.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 328 est présenté par le Gouvernement.
L'amendement n° 438 rectifié est présenté par Mmes Laborde et Jouve et M. Mézard.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 328.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Avec votre permission, madame la présidente, en sus de cet amendement n° 328, j’évoquerai également les amendements nos 330 à l’article 10 sexies, 331 à l’article 10 septies et 332 à l’article 10 octies, qui ont pour objet de supprimer les quatre articles introduits par votre commission à la suite de l’amendement présenté par M. le rapporteur.
À chaque fois, notre volonté de suppression repose sur le même raisonnement : premièrement, ces dispositions modifiant la loi de 1986 sur l’audiovisuel n’ont pas leur place dans ce projet de loi, comme j’ai eu l’occasion de le dire voilà quelques instants ; deuxièmement, elles empiètent sur les compétences du pouvoir réglementaire ; troisièmement, leur mise en œuvre déséquilibrerait les relations entre producteurs et diffuseurs.
Nous avons la chance de disposer, en France, d’un paysage extrêmement diversifié, avec de grandes entreprises de production et de plus petites sociétés, des producteurs indépendants ou non, ce qui conduit à une production audiovisuelle extrêmement dynamique qui nous est enviée dans beaucoup d’autres pays. Pour l’essentiel, nous devons cette diversité au décret pris par Mme Tasca, à l’époque où celle-ci était en charge du secteur audiovisuel.
Comme je l’ai dit, cet article n’a pas de lien, même indirect, avec l’objet du projet de loi. Il s’insère dans le chapitre II, relatif au partage et à la transparence des rémunérations dans les secteurs de la création artistique. Je me suis déjà exprimée en ce sens à propos d’un amendement du groupe socialiste et républicain. Je le redis : le Gouvernement n’est pas favorable à l’introduction, dans ce texte, de modifications de la loi de 1986 sur l’audiovisuel.
Ensuite, sur le plan juridique, cette question ne relève pas du domaine de la loi. Cette dernière fixe les grands principes, tels que celui d’une contribution des éditeurs de services à la production d’œuvres audiovisuelles. En revanche, le décret vient en préciser l’ampleur en fixant les différents taux.
Enfin et surtout, une divergence de fond nous oppose au texte issu des travaux votre commission à la suite de l’adoption d’un amendement de votre rapporteur. Cette divergence porte tant sur les modalités des évolutions nécessaires que sur leur ampleur.
Sur les modalités, je souhaite rappeler la méthode qui est la mienne et que j’ai appliquée avec succès tant dans le domaine de la musique que dans celui du cinéma ou du livre.
Mon rôle est de définir les objectifs de réforme et d’inciter ensuite les professionnels à s’en saisir et à négocier. C’est mon rôle d’accompagner la négociation et de la traduire ensuite dans les dispositions réglementaires et, le cas échéant, législatives nécessaires. Dans le domaine des relations entre producteurs et diffuseurs, j’ai clairement indiqué que la situation actuelle devait évoluer.
Le paysage de la production se structure fortement, notamment sur l’initiative d’acteurs internationaux. Dans le même temps, les diffuseurs français sont soumis à une concurrence exacerbée de la part, entre autres, d’acteurs internationaux non régulés, dans un contexte d’atonie du marché publicitaire français.
Je souhaite des évolutions pour donner plus de flexibilité aux diffuseurs dans le respect de la production indépendante. Je l’ai dit à plusieurs reprises aux uns comme aux autres et j’ai engagé les travaux qui étaient nécessaires pour mettre tout le monde autour de la table. Ces évolutions sont en cours, afin de mieux partager le risque. Je tiens d’ailleurs à souligner le succès des négociations sur la transparence, qui ont abouti à un accord que nous signerons la semaine prochaine.
Les négociations se sont engagées voilà plusieurs mois. Elles ont connu une avancée décisive avec l’accord conclu entre France Télévisions et les producteurs, en décembre dernier, qui renforce les possibilités d’investissement du groupe audiovisuel public au travers de sa propre filiale de production, lui donne plus de marges de manœuvre pour exploiter ses œuvres, notamment de manière non linéaire, et, dans le même temps, préserve le cœur de l’investissement dans la production indépendante.
Voilà un exemple typique d’accord gagnant-gagnant dont les principales stipulations seront reprises dans le cahier des charges de France Télévisions.
Sur ce modèle, des discussions se sont engagées entre les chaînes privées et les producteurs. Elles doivent aboutir, dans le courant du premier trimestre, à des assouplissements que le Gouvernement pourra traduire dans la réglementation. Je le redis, à défaut d’accord, le Gouvernement prendra ses responsabilités.
Je comprends votre impatience, monsieur le rapporteur, mais je souhaite que vous mesuriez que nous risquons, aujourd’hui, d’interrompre ce processus de discussion engagé sur tous les sujets de l’équilibre producteurs-diffuseurs.
Il n’est donc pas opportun de légiférer en la matière et de mettre fin, de manière aussi abrupte, à l’ensemble des négociations professionnelles en cours ou à venir.
En effet, si elle était adoptée par la représentation nationale, la rédaction de ces articles figerait les relations entre producteurs et diffuseurs et entraînerait un déséquilibre en fixant un taux unique là où la réglementation module la part indépendante, notamment en fonction du niveau d’investissement – très variable – des chaînes.
Cette solution ne permettait plus d’aller au-delà du taux de 60 %, qui serait gravé dans le marbre de la loi, ce qui bouleverserait l’économie des relations entre diffuseurs et producteurs audiovisuels. France Télévisions, par exemple, consacre aujourd’hui quelque 95 % de sa contribution à la production audiovisuelle indépendante. Ce sera bientôt 75 %, en vertu de l’accord qui a été signé, et non 60 % comme vous le prévoyez.
Cet amendement me semble d’autant plus irrecevable qu’il doit être analysé au regard des dispositions de l’article 10 sexies, lequel supprime la fixation par le Conseil supérieur de l’audiovisuel de la durée des droits acquis par les éditeurs de services auprès des producteurs audiovisuels au sein des conventions qu’il conclut avec ces derniers.
Le mécanisme de fixation de la durée des droits par le CSA a été introduit en 2009 pour permettre la mise en œuvre des accords professionnels conclus en 2008 entre éditeurs et producteurs. Il s’agissait de permettre aux différentes chaînes de négocier avec les producteurs des droits adaptés à leurs besoins.
La fixation de ces droits par décret dans la part indépendante de la contribution a été supprimée et renvoyée aux conventions conclues par le CSA, qui tiennent compte des accords professionnels négociés en la matière.
Ce dispositif très équilibré a un double mérite : il est souple pour les diffuseurs et il protège les producteurs, ce qui permet de laisser toute sa place à la négociation interprofessionnelle. Cette négociation est aussi équilibrée en ce qu’elle associe diffuseurs, d'une part, et organisations professionnelles de producteurs, d'autre part.
Supprimer tout encadrement de la durée des droits pour le renvoyer à une négociation de gré à gré fragiliserait considérablement la situation des producteurs. Je vous proposerai de revenir sur ces dispositions au travers de l’amendement n° 330.
L’article 10 septies prévoit de fixer à 60 % la part de production indépendante au sein de l’obligation de contribution des éditeurs de services du câble, du satellite et de l’ADSL à la production audiovisuelle.
Il en va de même de l’amendement n° 332 visant à supprimer la détermination par la loi de la part maximale qu’une chaîne de télévision peut détenir dans un producteur indépendant. Passer de 15 % aujourd’hui à une notion de contrôle au sens du code du commerce provoquerait un bouleversement structurel majeur qui n’a pas été analysé. En toute hypothèse, ce débat doit avoir lieu au sein de la filière, avant d’être repris par le pouvoir réglementaire.
Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de bien vouloir adopter l’amendement n° 328, ainsi que les amendements nos 330 à l’article 10 sexies, 331 à l’article 10 septies et 332 à l’article 10 octies.