Mme Marie-Christine Blandin. Quand Rachel Carson écrivit Printemps silencieux en 1962, quand Jean Dorst publia Avant que Nature meure, ils subirent tous deux les railleries des tenants d’un productivisme débridé. Qui aurait alors pu croire que, en 2016, le Sénat débattrait de façon constructive d’un projet de loi sur la biodiversité et autoriserait la ratification du protocole de Nagoya ?
Pour cela, il aura fallu le travail documenté et continu des ONG et même de militants radicaux comme Paul Watson, qui comparait hier notre humanité aux passagers d’un vaisseau dont l’équipage et les soutiers représenteraient toutes les autres espèces et serviraient à les nourrir ; peu à peu, les passagers prendraient la place de l’équipage, l’empêcheraient de travailler et jetteraient même des matelots par-dessus bord.
M. Bruno Sido. C’est Calais !
Mme Marie-Christine Blandin. Capitaine-rapporteur Bignon, nous l’avons bien vu, vous avez eu fort à faire pour tenir la barre la semaine dernière !
Il aura fallu des films comme Terra, de Yann Arthus-Bertrand, ou Les Saisons, de Jacques Perrin, qui montrent qu’il suffit de comprendre pour se mobiliser. Pour cela, il nous faut des scientifiques – avec une gratitude particulière pour ceux du Muséum –, dont le texte favorisera à la fois la récolte des données et leur mise à disposition du public.
Il aura fallu des méthodes nouvelles, comme le Grenelle de l’environnement, car on ne mobilise pas en faveur de la biodiversité en jouant les uns contre les autres.
Il aura fallu la volonté politique d’agir du Gouvernement, car la démocratie est mise à mal quand les débats n’ont pas de suite. Il aura fallu un travail inédit et de la volonté pour effacer les ordonnances et rendre au Parlement tout son rôle.
Sans ignorer les incertitudes, à commencer par celles qui pèsent sur les moyens qui seront alloués à l’Agence française pour la biodiversité, les écologistes se félicitent des avancées contenues dans le projet de loi en provenance de toutes les travées.
M. Alain Bertrand. Ah !
Mme Marie-Christine Blandin. Le bilan est pourtant contrasté.
Comment ne pas se réjouir de la reconnaissance du préjudice écologique, de l’action de groupe en matière d’environnement, de l’obligation d’autorisation pour les activités en haute mer ?
Les contributions des écologistes ont précisé que dans, « éviter, réduire, compenser », il s’agit d’abord d’éviter, que compenser demandera des garanties financières du maître d’ouvrage et fera l’objet de mesures correctives en cas de non-succès.
Dans la Stratégie nationale pour la biodiversité, nous avons inscrit l’assurance de plans d’action opérationnels ou de mesures de protection renforcées pour les espèces « en danger critique » ou « en danger », afin de garantir leur restauration.
Nous avons élargi la possibilité des échanges de semences, empêché collectivement la brevetabilité des matières biologiques issues de gènes natifs, garanti la restitution aux communautés d’habitants des savoirs obtenus à partir des variétés et espèces qu’elles ont depuis longtemps identifiées et utilisées et dont certains souhaitent pourtant prendre les ressources génétiques. Nous avons aussi formalisé quelques méthodes de dialogue avec ces communautés.
L’outre-mer a bénéficié d’une attention exceptionnelle, ce qui est juste pour la biodiversité.
En revanche, il y a eu des moments difficiles : celui où le Sénat a fait du mot « usage » un synonyme de « chasse », celui où le symbole fort d’un objectif de « non-régression » a été sacrifié, celui où l’on a inversé la logique en passant de « réserve sans chasse sauf autorisation » à « réserve avec chasse sauf interdiction », ceux, enfin, où l’on a convié l’Europe – comme toujours, au mauvais moment – pour empêcher l’interdiction des pesticides, dont les néonicotinoïdes, lesquels seront encadrés mais non supprimés, et pour empêcher la culture de végétaux issus de mutagénèse et résistants aux herbicides. On oublie pourtant de la convier lorsqu’elle nous demande d’interdire la chasse à la glu…
Il y eut aussi des frustrations, ou des victoires difficiles, chaque fois que le rapporteur ou la ministre recadrait les débats, arguant que ce n’était pas « le bon projet de loi ».
Il y eut donc des refus. Nous voulions valoriser par étiquetage les huîtres nées en mer, mais le texte « n’est pas un projet de loi sur la consommation ». Nous voulions épargner les mammifères en période de reproduction, mais le texte « n’est pas un projet de loi sur la chasse ». Nous voulions protéger les arbres des petites parcelles privées, mais « on ne touche pas au code civil ».
Et il y eut des victoires sur le fil : la bonne tenue d’un registre des utilisateurs de produits phytosanitaires, bien que le texte ne soit pas un projet de loi agricole, la fin du privilège que constitue la faible taxation de l’huile de palme, laquelle ravage nos artères et le territoire des orangs-outans, bien que le texte ne soit pas un projet de loi de finances.
Eh oui, ce n’est qu’un projet de loi sur la biodiversité, mais les causes de la régression de celle-ci justifient pourtant des modifications dans tous les codes : artificialisation, confiscation du vivant sélectionné au point de menacer le bien commun, sur-prédation. Heureusement, le texte étant un projet de loi sur les paysages, la reconnaissance patrimoniale des alignements d’arbres a été votée.
En revanche, bien que le texte ne soit pas non plus un projet de loi sur la pêche, nous avons assisté, malgré le vibrant plaidoyer de la ministre et les solides arguments du rapporteur, au sinistre retour du chalutage en eaux profondes. Il s’agit là d’une véritable régression pour la biodiversité, mortifère pour les fonds marins, destructrice pour les stocks et, à terme, suicidaire pour les pêcheurs eux-mêmes. Je rappelle au passage que cette forme de pêche est très consommatrice d’énergie et qu’elle conduit à mettre sur les étals les espèces de poissons les plus chargées en mercure. Bon appétit ! Ce fut sans doute le coup de canif le plus blessant dans ce projet de loi pour la biodiversité.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes encore en période de vœux : en termes de calendrier, nous souhaitons que ce texte revienne au Sénat le plus vite possible ; pour l’avenir, nous souhaitons que des moyens étoffés et pérennes soient attribués à l’Agence française pour la biodiversité ; pour les océans et pour les pêcheurs, nous souhaitons que l’on en revienne à la version initiale du texte, qui prévoyait la fin du chalutage en eaux profondes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi sur la biodiversité n’est qu’un pan de la politique nationale que nous devons conduire en matière d’environnement. La preuve en est : ont été insérées dans ce texte un certain nombre de dispositions – je pense à l’huile de palme ou aux produits phytosanitaires – qui n’ont qu’un rapport très lointain avec la biodiversité. (Protestations sur les travées du groupe écologiste.)
Mme Jacqueline Gourault. Ah bon ?
M. Jean Louis Masson. En tout cas, un rapport relativement lointain… D’autres mesures auraient encore pu être ajoutées.
Cela étant, je me félicite des dispositions qui ont été votées, car elles constituent globalement des avancées, ce qui nous change de certaines mesures prises par le Gouvernement. Je pense par exemple à l’abandon de l’écotaxe, qui est une catastrophe en matière d’environnement. Je ne comprends pas qu’un ministre de l’environnement puisse prendre des décisions aussi aberrantes que celle-ci.
La biodiversité est certes un élément important qu’il faut protéger, mais il faut aussi être cohérent dans notre action et reconnaître – ce que Mme le ministre de l’environnement ne fait pas toujours – que nous devons être exemplaires par rapport aux autres pays, parfois sous-développés, notamment en Afrique ou en Asie, auxquels nous prétendons régulièrement donner des leçons de protection des animaux. Nous expliquons aux pays africains qu’il faut protéger les rhinocéros, les lions, les éléphants… Ces pays font ce qu’ils peuvent pour protéger leur biodiversité, mais souvent ils peuvent peu, leurs moyens étant malheureusement insuffisants.
Or, nous qui avons des moyens, nous sommes parfois vis-à-vis de la biodiversité extrêmement en retrait. Mme le ministre de l’environnement traîne les pieds pour défendre les ours dans les Pyrénées, pour défendre les loups, alors que nous avons les moyens économiques et financiers de mettre en place un certain nombre d’actions. Si nous ne sommes pas capables de défendre deux espèces de mammifères qui sont à mon sens moins importantes que des éléphants, des lions ou des tigres, comment, nous, pays européens développés, pouvons-nous prétendre donner des leçons à des pays africains dans lesquels les gens se battent simplement pour avoir à manger ?
M. le président. Il va falloir conclure !
M. Jean Louis Masson. J’en termine, monsieur le président.
Les lois sur la biodiversité ne doivent pas être détournées. Une chose m’inquiète de plus en plus : certains écologistes détournent ces lois pour se battre dans un but tout à fait différent,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Dominique Bailly. Oui, c’est fini !
M. Jean Louis Masson. … comme on le voit avec le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. (Marques d’impatience sur de nombreuses travées.) En se servant de trois ou quatre espèces menacées, ils dévoient en fait les lois sur la biodiversité.
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall, pour le groupe du RDSE.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’avais prévu de commencer mon propos par une remarque qui, de fait, tombe à plat, en disant qu’il est des moments où la politique prend la mesure de sa responsabilité envers les générations futures et est capable de consensus. Évidemment, je ne pouvais pas imaginer que cette phrase ferait suite à l’intervention que vient de faire M. Jean Louis Masson…
Au terme de cette première lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, je tiens à saluer le travail accompli sur ce texte, d’abord par mon compatriote Philippe Martin, ancien ministre, qui en a été à l’origine, et l’esprit coconstructif, comme l’a souligné Mme la ministre à plusieurs reprises, qui a prévalu tout au long des travaux, inspirés et parrainés par de grands noms du monde scientifique ; ont été cités Hubert Reeves, Jean-Marie Pelt et d’autres.
La ministre a constamment été à l’écoute des parlementaires pour améliorer le présent projet de loi. Nos collègues députés ont enrichi le texte et la commission du développement durable, son rapporteur, M. Jérôme Bignon – comme cela a déjà été souligné –, son président, M. Hervé Maurey, et les rapporteurs pour avis, Mmes Sophie Primas et Françoise Férat, ont fait un travail remarquable.
Dans le projet de loi sont inscrits des progrès notables et réalistes que nous souhaitons voir maintenus au cours de la navette. Nous avons reçu un courrier de Mme la ministre qui nous assure que le travail du Sénat sera respecté, nous l’espérons, par l’Assemblée nationale. Ainsi, je me réjouis de voir consacrés la reconnaissance du préjudice écologique pur et le principe de sa réparation, résultant de la proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau, adoptée à l’unanimité par notre assemblée.
Est également bienvenue la modification du délai de prescription des délits de pollution des eaux marines et fluviales, désormais calculé à partir de la découverte du dommage et non du fait générateur.
Je tiens particulièrement à souligner l’extension de l’exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques, pour l’obtention des végétaux et des animaux, à leurs parties et composantes génétiques par l’adoption d’un amendement que vous avions proposé, à l’instar d’autres groupes, ainsi que la limitation de la protection conférée à ces brevets ou encore l’interdiction de protéger par un certificat d’obtention végétale les semences non reproductibles. Il s’agit avant tout de prévenir les contournements des dispositions relatives à la propriété intellectuelle par certaines grandes firmes, qui entravent l’accès de tous aux ressources naturelles et constituent un frein à l’innovation. Ces pratiques inadmissibles, cautionnées par l’office européen des brevets, pénalisent nos agriculteurs, qui ne peuvent user librement de certaines semences. L’action de la France auprès de l’Union européenne devra être poursuivie.
En matière de gouvernance, les missions de l’Agence française pour la biodiversité ont été précisées. La composition de son conseil d’administration garantit une meilleure souplesse grâce à la mise en place de collèges. Mon collègue Guillaume Arnell, animateur du pôle « développement durable » de la collectivité de Saint-Martin, avait fortement insisté sur l’indispensable représentation de tous les territoires ultramarins en raison de la richesse et de la spécificité de leur biodiversité. À ce titre, nous ne pouvons qu’être satisfaits du maintien de la représentation de chaque bassin écosystémique au sein de l’Agence.
Nous avons, par ailleurs, procédé à la ratification du protocole de Nagoya, qui met en place un dispositif d’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, dont la traduction figure à l’article 18 du projet de loi.
La définition de la « nouvelle utilisation » d’une ressource à des fins commerciales, soumise à autorisation, a été précisée pour en renforcer la sécurité juridique auprès des utilisateurs. En outre, le plafond des contributions financières versées par ces derniers a été baissé à 1 %, au lieu de 5 %, du chiffre d’affaires annuel hors taxes conformément à un amendement que nous avions déposé.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Raymond Vall. Le progrès et l’innovation doivent être encouragés. Ce pourcentage nous paraît, par conséquent, plus proportionné.
En matière de simplification, les zones prioritaires pour la biodiversité qui figuraient à l’article 34 ont été supprimées par le Sénat en commission, évitant ainsi la multiplication des zonages qui ajoutaient une complexité dont l’utilité nous paraissait contestable.
En ce qui concerne les produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes, notre hémicycle a adopté une position que je considère, pour ma part, équilibrée. Elle tient compte de la récente étude de l’ANSES, qui nous alerte sur les effets néfastes pour les pollinisateurs dans le cadre de certains usages encore autorisés, en dépit du moratoire adopté sur trois substances. Un arrêté du ministre de l’agriculture viendra encadrer les conditions d’utilisation des néonicotinoïdes pour tenir compte de cette étude, mais aussi des conséquences sur la production agricole. Nous le savons, cette action est peut-être insuffisante ; elle devra être poursuivie auprès des instances européennes.
Enfin, le groupe du RDSE exprime très majoritairement sa satisfaction sur les dispositions relatives à la chasse et à la pêche de loisirs. Je me réjouis notamment de l’adoption d’un amendement pour permettre le maintien des associations communales de chasse agréées en cas de fusion de communes. (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Et nous nous réjouissons de l’avis favorable donné sur cet amendement par Mme la ministre, ce qui préjuge d’un très probable maintien lors de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Nous savons du reste que nos collègues du RDSE et notre collègue député Joël Giraud y veilleront.
Si les avancées sont réelles, je regrette, pour ma part, que les comités départementaux pour la biodiversité n’aient pas été créés ou encore, sur le principe de prévention, la suppression de l’objectif « pas de perte nette ».
Enfin, quatorze de nos amendements ont été retenus en séance publique et d’autres ont été satisfaits au cours de la discussion.
Le groupe du RDSE votera unanimement en faveur du présent projet de loi. La nature, dans la richesse de sa diversité, est une source d’enseignement et d’innovation : le biomimétisme et la bio-inspiration sont les meilleures pistes de développement durable pour les entreprises du génie écologique, qui feront de la France un modèle d’excellence environnementale pour la croissance verte et bleue. Peut-être avons-nous pris conscience, aujourd'hui, des paroles du chef Seattle, qui, en 1854, disait : « Ce n’est pas l’homme qui a tissé la trame de la vie : il en est seulement un fil. Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à lui-même ». (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous achevons aujourd’hui l’examen en première lecture d’un texte qui, après l’impulsion donnée par le Grenelle de l’environnement, apporte sa contribution à l’inversion de la courbe de la fragilisation de la biodiversité. Néanmoins, avec un décalage de près de deux ans entre son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale et son examen par le Sénat, il m’est également arrivé de douter du caractère prioritaire de ce texte pour le Gouvernement…
Je commencerai par une remarque d’ordre général. L’importance de la préservation de la biodiversité ne fait de doute pour personne. Il s’agit d’un enjeu capital pour la survie de l’homme et celle de notre planète. Il existe aujourd'hui un consensus pour considérer que, au-delà de son apport fondamental à l’environnement, la biodiversité contribue à l’économie, à l’attractivité du territoire et offre une matière première essentielle favorisant l’innovation, notamment en matière agricole. Il est donc indispensable de lutter contre l’érosion de la biodiversité, et cet enjeu est loin d’être secondaire pour la France, où existe, tant en métropole qu’outre-mer, une réserve considérable de biodiversité.
Ainsi, tout au long de l’examen de ce texte, la préoccupation constante de notre groupe a été de favoriser la préservation de la biodiversité tout en l’articulant avec les contraintes, mais aussi les opportunités liées au développement économique.
Deux principes ont guidé notre démarche.
Nous avons décidé de ne pas adopter, dans la précipitation, des dispositions dont l’impact n’aurait pas été sérieusement mesuré. Car, pour répondre à l’intention proclamée par la ministre de l’écologie, passer d’une « écologie punitive » à une « écologie positive » nécessite d’être attentif aux conséquences de nos décisions.
Nous avons privilégié une approche constructive avec l’ensemble des acteurs de la biodiversité pour éviter une confrontation dogmatique qui aboutit invariablement à des blocages. Aussi, cette stratégie des « petits pas »…
Un sénateur du groupe Les Républicains. Ils sont considérables !
M. Hubert Falco. Énormes !
Mme Sophie Primas. … est peut-être plus lente, mais elle est plus efficace et plus solide que la logique antagoniste qui a trop longtemps prévalu dans nos débats ainsi qu’à l’Assemblée nationale.
Dans cette perspective, notre groupe a été l’origine d’améliorations substantielles de ce texte.
Nous nous félicitons de l’insertion par notre rapporteur, Jérôme Bignon, de la proposition de loi du président de notre groupe, Bruno Retailleau, sur le préjudice écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce texte avait été voté à l’unanimité par le Sénat.
Nous nous félicitons également de la ratification, sur l’initiative de notre rapporteur, du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages. Ce mécanisme met en œuvre le droit des États à protéger leur patrimoine, pour lutter notamment contre la biopiraterie et l’appropriation abusive de ressources collectives.
Toutefois, à l’issue de ce premier examen, des craintes subsistent pour les acteurs économiques autour de la notion de « nouvelle utilisation » et des risques de distorsion de concurrence déloyale au niveau international. Nous appelons de nos vœux à une réflexion sur ces sujets en deuxième lecture.
Concernant les secteurs de la chasse et de la pêche, nous nous sommes mobilisés avec le groupe d’études, tout particulièrement son président, Jean-Noël Cardoux, afin de rappeler le rôle essentiel des chasseurs et des pêcheurs, premières vigies de la biodiversité. Nous nous réjouissons de la suppression de dispositions provocatrices qui n’avaient pas leur place dans le projet de loi et menaient à des confrontations inutiles. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Ce texte ne doit pas constituer un plaidoyer pro ou anti-chasse et pêche ! Il doit se reposer sur ces acteurs incontournables pour administrer, dans la confiance et la responsabilité, la biodiversité.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
Mme Sophie Primas. C’est d’ailleurs ce que prévoit l’article 38, qui permet par exemple de confier à un comité des pêches la gestion d’une réserve naturelle.
En ce qui concerne le secteur agricole, notre groupe s’est positionné avec force afin de rassurer une profession particulièrement inquiète. En effet, le monde agricole, exaspéré et fragilisé par les crises, découragé par les contraintes toujours plus nombreuses, ne doit pas être la cible de ce projet de loi, sans quoi, ce dernier sera totalement rejeté, y compris par nous !
Ainsi, dans le texte, pour sauver les espèces protégées, une approche partenariale a été préférée à la mise en place d’un nouveau zonage, engendrant la suppression des « zones prioritaires de biodiversité ». Les obligations réelles environnementales ont été sécurisées et encadrées juridiquement.
Les problématiques de compensation ont fait l’objet d’un large débat, même s’il reste un travail important à engager sur ce thème entre les deux lectures. La compensation ne peut pas être financiarisée, elle doit néanmoins être repensée pour corriger ses effets secondaires, notamment sur la consommation des terres agricoles, premier support de la biodiversité.
Nous tenons aussi à saluer la reconnaissance de l’activité humaine, en particulier de l’élevage, dans les paysages. Cette disposition constitue un signal certain adressé à une activité qui traverse aujourd’hui d’importantes difficultés.
Sur la question sensible des néonicotinoïdes, le Sénat a réaffirmé dans sa très grande majorité le rôle de l’ANSES et a adopté, dans sa sagesse, un amendement déposé par notre collègue Nicole Bonnefoy. Celui-ci permettra au ministère de l’agriculture de prendre un arrêté sur les conditions d’utilisation des néonicotinoïdes, au regard de l’avis de l’ANSES publié opportunément le 7 janvier 2016, tout en prenant en compte les conséquences sur la production agricole. À ce sujet, je tiens à le rappeler, l’ANSES ne préconise en aucun cas l’interdiction des néonicotinoïdes, mais émet des réserves sur leurs conditions d’utilisation sur certaines cultures et à certaines périodes. Au-delà du débat législatif, nous pourrions donc considérer qu’il appartient désormais à l’Agence d’intégrer les conclusions de son avis dans ses critères d’autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires.
Enfin, et plus largement, le projet de loi est désormais épuré de mesures d’affichage de portée limitée, telles que l’obligation faite aux futurs centres commerciaux d’intégrer sur leur toiture des procédés de production d’énergies renouvelables ou des systèmes de végétalisation. Le Sénat a ainsi rempli son rôle en privilégiant l’obligation de résultat à l’obligation de moyens et en ne complexifiant pas des dispositifs par ailleurs déjà adoptés dans la loi ALUR ou la loi relative à la transition énergétique.
Néanmoins, un certain nombre de points nécessitent d’être retravaillés pour la seconde lecture et d’autres suscitent de vives réactions.
L’Agence française pour la biodiversité est conceptuellement une bonne idée, permettant de mutualiser les services et de définir une stratégie nationale de la biodiversité cohérente et partagée par tous les acteurs. Toutefois, nous opposons deux réserves.
La première concerne les modalités de son financement. En effet, sans moyen supplémentaire, la perspective de voir les budgets de chaque agence mutualisés dans un budget unique fait craindre un dévoiement du principe de fléchage des ressources, qui veut par exemple que « l’eau paye l’eau ». C’est d’ailleurs vraisemblablement ce qui a inquiété l’ONCFS.
La seconde réserve a trait à l’organisation territoriale.
Le principe de solidarité écologique est également une source d’inquiétudes pour les acteurs économiques. Il devra indiscutablement faire l’objet d’une expertise juridique plus poussée afin d’éviter les dérives trop souvent observées du principe de précaution.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Sophie Primas. Enfin, je tiens à exprimer, au nom de mon groupe, notre opposition totale à la disposition visant à créer une action de groupe spécifique pour les dommages environnementaux. Cet amendement, adopté par ailleurs contre l’avis du rapporteur et du Gouvernement, ouvre un champ d’application beaucoup trop large et exposerait les acteurs économiques à une insécurité juridique permanente.
Pour conclure (Marques d’impatience sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.), je dirai que nous avons un avis favorable à l’issue de cette première lecture mais que nous serons très attentifs à la seconde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour le groupe UDI-UC.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme d’un débat que nous attendions depuis trop longtemps, le texte de loi que nous nous apprêtons à voter a abouti à un étrange compromis, qui satisfait des objectifs parfois contradictoires.
La biodiversité, ou « fraction du vivant sur la planète », est la condition de notre existence. Elle permet l’évolution et la résilience. De telles connaissances scientifiques sont aujourd’hui très abouties et doivent nous éclairer dans notre rôle de législateur. Or ce texte de loi respecte parfois la science, parfois les traditions.
Nous avons à plusieurs reprises été étonnés par la virulence de certaines oppositions, sur un sujet qui est pourtant scientifiquement bien étayé, comme si la biodiversité était une question de société. Il n’en demeure pas moins qu’aucune position n’est illégitime, car les transitions invoquées sont lourdes de conséquences économiques et sociales. J’entends les interrogations sur l’environnement, qui bloquerait nos projets et notre croissance. J’entends aussi ceux qui nous expliquent que, si nous étions si vertueux et si nous surtransposions véritablement les directives, nous n’aurions pas autant de contentieux avec l’Union européenne. J’entends surtout que, là où l’État devrait nous accompagner, il est trop souvent procédurier, et c’est bien le vrai sujet. Les débats ont donc été vifs, et c’est normal.
Monsieur Poher, vous vous êtes ému que l’on parle de la chasse, mais nous avons plus que jamais besoin de la chasse quand les équilibres naturels sont perturbés.