M. le président. L'amendement n° 39, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Cet amendement vise à supprimer l’article 26, car cet article renvoie à une ordonnance le soin de déterminer le régime d’accès et de partage applicable aux ressources agricoles non couvertes par le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, le TIRPAA.
En commission, M. le rapporteur avait donné un avis défavorable à un amendement similaire, tout en soulignant que le renvoi à une ordonnance n’était pas satisfaisant. Il nous semble en effet que le recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution devrait rester marginal. Par ailleurs, il nous semblait possible de prévoir dans le présent projet de loi un article reprenant les termes de la réglementation négociée avec tous les acteurs.
Cela étant, nous aurions été jusqu’à accepter de voter cet article si nous avions pu disposer d’une plus grande visibilité. Voilà près d’un an que le projet de loi est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale : il n’aurait donc pas été déraisonnable de demander à obtenir au moins le projet d’ordonnance !
Madame la ministre, nous vous avons questionnée sur le sujet. Au cours d’un échange en amont de l’examen de ce texte, vous nous avez indiqué que vous souhaitiez effectivement que les projets d’ordonnance et de décrets figurent dans le projet de loi. Nous nous attendions donc à ce que ce soit le cas. Or cela ne l’est pas !
Dans ces conditions, sur des sujets aussi sensibles et importants, nous vous demandons, madame la ministre, de bien vouloir supprimer les ordonnances prévues, car elles reviennent en définitive à écarter le Parlement de ses missions de réflexion et d’élaboration de la loi. Je vous remercie de nous donner votre éclairage sur cette demande.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Mes chers collègues, personne ne fera grief dans cet hémicycle à Mme la ministre de ne pas avoir réalisé un travail considérable pour faire en sorte que les droits du Parlement soient respectés.
Madame la ministre, vous avez notamment œuvré pour faire disparaître toutes les demandes d’habilitation qui figuraient dans le texte, soit en les supprimant définitivement, soit en mettant le texte même de ces habilitations sur la table, de sorte que nous puissions continuer à travailler sur leur contenu au cours des deux lectures et que nous puissions – en lien avec le Gouvernement – les rendre conformes aux attentes du Parlement.
Personne ne pourra non plus faire grief au ministère de l’écologie de prévoir une ordonnance qui est de la responsabilité du ministère de l’agriculture. Mes chers collègues, c’est en effet le ministre de l’agriculture qui devrait prendre cette ordonnance !
Mme Évelyne Didier. Monsieur le rapporteur, avez-vous remarqué que M. Le Foll n’était pas là ? (Sourires.)
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Oui, cela ne m’a pas échappé ! (Nouveaux sourires.)
Toutefois, si nous supprimons cette demande de légiférer par ordonnance, M. le ministre de l’agriculture n’aura pas l’occasion de voir que nous attendons de lui qu’il légifère sur le sujet. À l’inverse, si ces ordonnances restent dans le texte, nous aurons peut-être plus de chances d’obtenir satisfaction auprès du ministère de l’agriculture.
Je fais partie de ceux qui avaient attiré l’attention de Mme la ministre sur le fait que le texte contenait trop de renvois à des ordonnances. Néanmoins, dans le cas présent, je trouve qu’il faut savoir reconnaître qu’une loi d’habilitation peut parfois être utile.
Comme tous les ministres ne peuvent être au banc du Gouvernement en même temps, laisser une demande d’habilitation dans un projet de loi est un bon moyen de leur signaler que l’on attend d’eux qu’ils prennent des dispositions de façon urgente, en l’occurrence ici, pour compléter un dispositif qui serait utile pour l’agriculture.
De mon point de vue, et sans vouloir vous être désagréable, madame Didier, la suppression de cet article n’est pas une bonne idée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Je partage tout à fait les considérations qu’a exprimées à l’instant Mme Didier. Madame la sénatrice, croyez bien que j’ai déjà demandé à M. le ministre de l’agriculture de se hâter de rédiger un texte que l’on aurait pu intégrer dans le projet de loi au travers d’un amendement du Gouvernement.
Je partage donc votre point de vue. J’indique du reste qu’il s’agit également de l’avis exprimé par la commission à l’issue de ses travaux. En effet, c’est à la suite de ces travaux et des observations qui ont été formulées à cette occasion que j’ai pris conscience qu’il était absolument anormal de demander au Parlement de se défaire de ses responsabilités.
De mon côté, comme M. le rapporteur vient de le rappeler, j’ai fait en sorte qu’il n’y ait plus de demandes d’habilitation par ordonnances.
Dans le cas d’espèce, l’article 26 prévoit un texte qu’il revient au ministère de l’agriculture de rédiger. Ce texte est très important : s’il ne figurait pas dans le projet de loi final, les compétences dont le ministère a la responsabilité n’entreraient pas dans le champ d’application de la loi.
Madame la sénatrice, votre amendement me semble très utile, parce qu’il tend à contribuer à mettre la pression sur le Gouvernement pour qu’il rédige ce texte rapidement. Je vous propose de modifier la rédaction de cet article, de telle sorte que nous puissions exiger que le texte attendu soit rédigé avant l’examen du projet de loi en deuxième lecture au Sénat. Il serait alors intégré dans le projet de loi avant son adoption.
Dans sa rédaction actuelle, l’article 26 prévoit que les ordonnances prévues soient prises dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi. Toutefois, chacun sait ce que cela signifie ! Il n’y a aucune raison d’attendre dix-huit mois, alors que le texte est en gestation depuis plus de deux ans.
Pour ma part, je considère que le texte devrait être présenté au Sénat au plus tard lors de la deuxième lecture. En attendant, madame Didier, je vous prie de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Madame Didier, l'amendement n° 39 est-il maintenu ?
Mme Évelyne Didier. Si nous trouvions un moyen de faire figurer le texte des ordonnances dans le projet de loi, j’accepterais bien entendu de retirer mon amendement.
Madame la ministre, j’entends tout à fait vos propos. En effet, on ne peut pas vous suspecter de ne pas avoir fait tout ce qui était en votre pouvoir pour que le texte contienne le moins possible de décrets et d’ordonnances. Dont acte ! J’espère maintenant que le ministre de l’agriculture entendra.
En tout cas, si nous sommes nombreux à réclamer ce texte et cette explication pour la deuxième lecture, cela me convient.
Je serai donc pleinement rassurée d’entendre mes collègues des autres groupes s’associer à cette demande, car si, in fine, nous nous trouvons toujours au même stade au moment de la deuxième lecture, je considérerai avoir été, d’une certaine façon, abusée. Ce n’est évidemment pas ce que je souhaite !
Par conséquent, je veux bien faire un geste, mais c’est à la condition que la demande soit réellement partagée sur les travées. Qu’en pensez-vous, mes chers collègues ?…
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. S’il la supprime, le Parlement ne pourra plus rétablir l’habilitation par la suite, car il ne peut se dessaisir de sa compétence.
Mme Évelyne Didier. Nous sommes d’accord !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je le précise, car tout le monde n’a peut-être pas le même degré de compréhension.
Par ailleurs, au nom du principe de l’entonnoir, nous ne pourrons pas réintroduire en deuxième lecture, au niveau du Sénat, une disposition qui aura disparu.
Il faut garder en tête ces deux éléments.
Mme Évelyne Didier. Je retire mon amendement, monsieur le président. J’aurais juste aimé entendre mes collègues, mais ils ne s’expriment pas !
M. le président. Je ne puis les forcer à le faire, ma chère collègue ! (Sourires.)
L'amendement n° 39 est retiré.
L'amendement n° 142, présenté par Mme Blandin, MM. Dantec, Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
définies en application du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, et notamment de ses articles 6 et 9 concernant l’utilisation durable des ressources phytogénétiques par leur culture agricole, leur valorisation sur le marché, les droits des agriculteurs d’accéder à ces ressources pour leurs cultures agricoles et leurs droits de conserver, utiliser, échanger et vendre leurs semences
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. En retirant son amendement, Mme Didier me permet de présenter cet amendement n° 142, mais tous deux sont inspirés par le même principe de précaution.
Nous déplorons également de devoir attendre des contenus mystères qui tomberaient par voie d’ordonnance, alors même que le Parlement est fondé à déterminer ces critères. Mon amendement ne tend pas à supprimer l’article, mais il vise à préciser le contenu de la future ordonnance, ce qui est tout de même curieux si l’on considère que, par essence, une autorisation à légiférer par ordonnance dessaisit le Parlement de sa compétence.
Il s’agit de rappeler au ministre de l’agriculture – c’est bien lui que la question concerne – que l’ensemble des dispositions du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, dit « TIRPAA », doivent être prises en compte dans les ordonnances et textes d’application, y compris celles qui concernent le partage des avantages, l’accès des agriculteurs aux ressources, leurs contributions à l’utilisation durable et les droits en découlant. Comme vous le savez, mes chers collègues, le TIRPAA est en suspens depuis son approbation par le Parlement en 2005.
J’en profite pour signaler à Mme la ministre qu’elle peut trouver dans cet amendement le support nécessaire pour inclure dans le texte les mesures de délais que, comme le lui rappelait M. le président, elle ne pouvait intégrer à l’amendement précédemment examiné, du fait des menaces de suppression de l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir que l’ordonnance sur l’accès et l’utilisation des ressources génétiques agricoles devra appliquer le TIRPAA. Or l’ordonnance n’a pas pour but la mise en application du TIRPAA ; elle tend à protéger les ressources agricoles qui n’y seraient pas soumises.
Nous sommes donc dans une application extrêmement indirecte, et je crois que ce serait faire un abus de langage que de parler d’une application stricto sensu du TIRPAA. En fait, on va faire en sorte que ce qui n’y est pas y entre ! Certes, la démarche intellectuelle est tout à fait compréhensible : vous nous dites, madame Blandin, que ces ressources agricoles doivent en quelque sorte « devenir TIRPAA ». Toutefois, pour qu’elles le deviennent, il faut qu’elles entrent dans le cadre de l’accord !
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 26.
(L'article 26 est adopté.)
Article 26 bis
(Supprimé)
Article additionnel après l'article 26 bis
M. le président. L'amendement n° 671, présenté par M. Bignon, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est ainsi libellé :
Est autorisée la ratification du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la convention sur la diversité biologique, signé par la France le 20 septembre 2011.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. L’intégration de cet article additionnel après l’article 26 bis a été examinée, tout à l’heure, juste après le déjeuner, en commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Il n’est pas utile que je développe l’objet de cet amendement. Le point important, me semble-t-il, c’est que cette initiative parlementaire, imaginée dans le courant de nos réflexions, est le fruit de l’important travail accompli par l’Assemblée nationale – nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais nous le reconnaissons – et complété par nos soins.
Nous avons pensé que ce travail, la démarche engagée par notre pays pour être pionnier dans cette reconquête de la biodiversité, venant en complément de tout ce que la France met déjà en œuvre sur le plan diplomatique, que ce soit dans ce domaine ou en faveur de la transition énergétique, nous inscrivait dans un processus extrêmement ambitieux. Cela nous permettait, même si l’ensemble du travail n’est pas terminé, d’autoriser sans plus attendre le Gouvernement, conformément aux compétences du Parlement, à ratifier le protocole de Nagoya.
Chacun dans cet hémicycle comprendra l’importance de ce moment pour tous ceux qui, par le passé, ont négocié le protocole de Nagoya au nom de la France et pour tous ceux qui font en sorte qu’il prenne vie. C’est aussi, pour notre pays, l’occasion d’adopter des positions exemplaires sur l’ensemble de ces sujets, en lien, bien évidemment, avec les conclusions positives de la récente conférence de Paris sur le climat.
C’est donc une petite pierre, mais elle a toute son importance dans la construction collective du grand édifice de la reconquête de la biodiversité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de cet amendement intervient effectivement à un moment crucial de notre débat et, dirai-je, il a une portée historique.
Nous venons d’adopter le titre IV, titre majeur de ce projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Vous venez de décider des conditions efficaces de lutte contre la biopiraterie, du partage équitable des ressources, de la dignité des hommes et des femmes qui sont à l’origine de ces ressources et à qui vous avez donné le droit d’exercer un certain contrôle et d’être respectés.
C’est l’application même du protocole de Nagoya ! Vous avez d’ailleurs été nombreux, à l’instar du Gouvernement, à expliquer au cours du débat que les amendements présentés visaient à adapter et appliquer ce protocole.
Je voudrais, en quelques mots, en rappeler l’historique. La première étape a été l’adoption, en 1992, lors du sommet de la Terre de Rio de Janeiro, de la convention sur la diversité biologique.
Pour la première fois, un objectif international consistant à assurer un partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées a été instauré. Ainsi, la convention sur la diversité biologique a-t-elle affirmé, d’une part, la souveraineté des États sur leurs ressources naturelles, dont les ressources génétiques, et, d’autre part, les droits des communautés d’habitants sur leurs propres connaissances traditionnelles, étant rappelé que nous venons d’adopter toute une série de dispositions allant dans le sens de ces deux orientations.
Cette souveraineté des États, désormais bien articulée avec les droits des communautés, se traduit par deux principes clefs.
Le premier est le principe du consentement préalable en connaissance de cause, que toute personne souhaitant accéder à une ressource génétique ou à une connaissance traditionnelle se devra désormais d’obtenir. Il y a là une avancée considérable.
Le second est le principe du partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces ressources.
C’est sur ces fondements que le protocole de Nagoya, visant à compléter et préciser la convention sur la diversité biologique, a été adopté en 2010.
En particulier, afin de mettre les parties prenantes sur un pied d’égalité, dans un esprit partenarial, le protocole de Nagoya précise que le partage des avantages doit faire l’objet de conditions convenues d’un commun accord. Rien n’est donc imposé à personne, à part l’objectif à atteindre : les États, les communautés d’habitants, les chercheurs et les entreprises doivent se mettent d’accord sur les modalités de partage des avantages justes et équitables. Vous venez précisément, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter les principes législatifs sur lesquels ce partage devra désormais s’appuyer.
La France a signé le protocole de Nagoya en 2011. En 2014, l’Union européenne, ainsi que l’Espagne, la Hongrie et le Danemark ont rejoint les cinquante premières parties à le ratifier. Le protocole est ainsi entré en vigueur au niveau international, sans la France, et il est temps que celle-ci le ratifie.
Tout d’abord, comme nous l’avons vu, la France est un pays de tout premier plan pour sa biodiversité. Trois dispositifs similaires sont déjà en vigueur sur son territoire, puisque le parc amazonien de Guyane, la Polynésie française et le sud de la Nouvelle-Calédonie ont mis en œuvre des dispositions analogues avant l’heure.
Comme nous l’avons vu, le titre IV du projet de loi s’en inspire et vise à harmoniser à l’échelle nationale, dans le respect des compétences des collectivités ultramarines, les savoir-faire ainsi acquis.
À cet égard, il est tout à fait judicieux que la France soit en mesure de ratifier le protocole de Nagoya avant la treizième conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, dite « COP13 », qui se tiendra au Mexique en décembre 2016, juste après la conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la COP21, et au moment de l’adoption, par la représentation nationale, du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Par ailleurs, cette ratification permet à la France d’honorer ses engagements vis-à-vis de l’Union européenne, puisque le règlement européen demande aux États membres de mettre en place les dispositions opérationnelles de lutte contre la biopiraterie.
La France rejoint ainsi un vaste mouvement international. D’autres pays très riches en biodiversité réglementent déjà l’accès à leurs ressources génétiques. Nos voisins européens, du moins certains d’entre eux, ayant compris l’intérêt de ce dispositif innovant, ont déjà ratifié le protocole de Nagoya.
C’est pourquoi je remercie vraiment votre commission et votre rapporteur de vous donner l’occasion de permettre à la France de franchir une étape essentielle – la ratification du protocole de Nagoya –, et ce en parfaite cohérence avec les dispositions que vous venez d’adopter, visant à appliquer ledit protocole.
Nous obtenons ainsi un dispositif opérationnel complet, mettant la France en situation de montrer qu’elle a entendu ce qui s’est dit à la COP21 et de bien préparer la COP13 sur la biodiversité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 26 bis.
TITRE V
ESPACES NATURELS ET PROTECTION DES ESPÈCES
Articles additionnels avant le chapitre Ier
M. le président. L'amendement n° 367, présenté par Mme Archimbaud, M. Gattolin, Mme Blandin, MM. Dantec, Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Avant le chapitre Ier du titre V
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le chapitre III du titre III de la première partie du livre Ier du code général des impôts est complété par une section … ainsi rédigée :
« Section …
« Taxe additionnelle à la taxe spéciale sur les huiles
« Art. … – I. – Il est institué une contribution additionnelle à la taxe spéciale prévue à l’article 1609 vicies sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah effectivement destinées, en l’état ou après incorporation dans tous produits, à l’alimentation humaine.
« II. – Le taux de la taxe additionnelle est fixé à 300 € par tonne en 2017, 500 € en 2018, 700 € en 2019 et 900 € à partir de 2020. Ce tarif est relevé au 1er janvier de chaque année à compter du 1er janvier 2021. À cet effet, les taux de la taxe additionnelle sont révisés chaque année au mois de décembre, par arrêté du ministre chargé du budget publié au Journal officiel, en fonction de l’évolution prévisionnelle en moyenne annuelle pour l’année suivante des prix à la consommation de tous les ménages hors les prix du tabac. Les évolutions prévisionnelles prises en compte sont celles qui figurent au rapport économique, social et financier annexé au dernier projet de loi de finances de l’année.
« III. – A. – La contribution est due à raison des huiles mentionnées au I ou des produits alimentaires les incorporant par leurs fabricants établis en France, leurs importateurs et les personnes qui en réalisent en France des acquisitions intracommunautaires, sur toutes les quantités livrées ou incorporées à titre onéreux ou gratuit.
« B. – Sont également redevables de la contribution les personnes qui, dans le cadre de leur activité commerciale, incorporent, pour les produits destinés à l’alimentation de leurs clients, les huiles mentionnées au I.
« IV. – Pour les produits alimentaires, la taxation est effectuée selon la quantité d’huiles visées au I entrant dans leur composition.
« V. – Les huiles visées au I ou les produits alimentaires les incorporant exportés de France continentale et de Corse, qui font l’objet d’une livraison exonérée en vertu du I de l’article 262 ter ou d’une livraison dans un lieu situé dans un autre État membre de l’Union européenne en application de l’article 258 A, ne sont pas soumis à la contribution.
« VI. – La contribution est établie et recouvrée selon les modalités, ainsi que sous les sûretés, garanties et sanctions applicables aux taxes sur le chiffre d’affaires.
« Sont toutefois fixées par décret les mesures particulières et prescriptions d’ordre comptable notamment, nécessaires pour que la contribution ne frappe que les huiles effectivement destinées à l’alimentation humaine, pour qu’elle ne soit perçue qu’une seule fois, et pour qu’elle ne soit pas supportée en cas d’exportation, de livraison exonérée en vertu du I de l’article 262 ter ou de livraison dans un lieu situé dans un autre État membre de l’Union européenne en application de l’article 258 A.
« VII. – Le produit de cette taxe est affecté au fonds mentionné à l’article L. 135-1 du code de la sécurité sociale. »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Je présente ici le fruit d’un travail acharné que notre collègue de la commission des affaires sociales, Aline Archimbaud, mène depuis des années sur un thème cher à ses yeux : les excès de l’huile de palme.
L’huile de palme est présente dans de nombreux produits alimentaires de consommation courante. Elle est privilégiée par les industriels pour son faible coût de production, mais aussi pour la plasticité qu’elle apporte à de nombreuses pâtes alimentaires.
L’usage de l’huile de palme repose maintenant non pas sur une culture artisanale, longtemps banale sur plusieurs continents, mais sur une culture industrielle du palmier à huile, qui accapare de plus en plus de territoires, provoque la destruction de forêts et la disparition de nombreux écosystèmes, met gravement en danger un nombre significatif de primates dont la survie sur la planète est aux limites du possible, enfin menace même les moyens de subsistance de paysans locaux.
En plus sont utilisés des pesticides très puissants comme le paraquat, qui est interdit en Europe depuis 2007 et dont la toxicité est telle que des paysans l’utilisaient comme moyen pour se suicider le plus rapidement possible. Il ne cause pas de dégâts qu’à la culture du palmier : dans nos artères, il provoque des désordres très graves de la composition du sang, ainsi que des maladies cardiovasculaires, et il est lourdement soupçonné d’aggraver de la maladie d’Alzheimer.
Comment la France peut-elle s’engager ? Certes, il y a le libre marché et la concurrence des industriels, mais notre pays pourrait au moins ne pas encourager cette dérive. Or, si on se penche sur la fiscalité, on constate que l’huile de palme est le moins taxé des corps gras. C’est à croire qu’on veut la favoriser !
Nous proposons donc une sortie en douceur de cette erreur par l’instauration d’une taxe additionnelle qui ira croissant pour laisser le temps aux industriels de se reconvertir et d’adopter d’autres sources de matières grasses.
La consommation va de 700 grammes à 4,5 kilogrammes par an et par habitant, ce qui n’est tout de même pas anecdotique. Comme nous ne pouvons créer ex nihilo un fonds, le produit de cette taxe sera affecté au fonds mentionnés à l’article L. 135-1 du code de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. C’est un avis défavorable, monsieur le président. (Oh ! sur les mêmes travées.) Je suis désolé de vous décevoir, mes chers collègues…
Cet amendement vise à créer la taxe additionnelle sur les huiles de palme appelée dans le langage courant la « taxe Nutella ». Malgré les enjeux environnementaux posés dans certains pays par la culture du palmier à huile, que vous avez à juste titre rappelés, madame Blandin, les enjeux sanitaires et financiers d’une telle proposition ne sauraient, au sens de la commission, être examinés dans le cadre du présent projet de loi.
J’ajoute que nos collègues Yves Daudigny et Catherine Deroche avaient souligné, dans un rapport d’information de 2014, l’efficacité très incertaine des taxes comportementales.
Mme Évelyne Didier. On le fait pour le diesel et pour l’essence !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Enfin, le Sénat a déjà examiné ce sujet à plusieurs reprises et a encore récemment décidé de rejeter cette disposition lors de ses travaux sur le projet de loi de modernisation de notre système de santé.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée – je n’en dirai pas plus… (Rires sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. La taxation de l’huile de palme est un sujet récurrent.
M. le rapporteur l’a rappelé, Yves Daudigny et moi-même avions commis un rapport sur la fiscalité comportementale. Nous avions relevé les importants écarts – ils sont le fruit de l’histoire – entre les taxations actuelles sur les différentes huiles, quelles que soient leur type de production et leur composition, notamment en acides gras saturés, et nous avions préconisé une harmonisation.
En revanche, nous nous sommes toujours opposés à une taxation spécifique à l’huile de palme, rappelant que celle-ci n’est pas un produit toxique. Ses « qualités » nutritionnelles la rendent certes riche en acides gras saturés, mais c’est le cas d’autres produits, comme le beurre. La cibler particulièrement n’était à nos yeux ni envisageable ni très cohérent, d’autant que des efforts ont été accomplis en matière de culture de l’huile de palme.
Les industriels qui utilisent ce produit – je ne pense pas seulement aux producteurs de la pâte à tartiner bien connue –, parce qu’il est facile à utiliser et qu’ils ne retrouvent pas ailleurs ses qualités, sont ainsi souvent engagés dans une démarche d’achat d’huile de palme produite dans des conditions beaucoup plus favorables à l’environnement qu’elles ont pu l’être autrefois.
Notre groupe s’est donc toujours opposé à cette taxation, et nous continuerons à nous y opposer.