M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.
M. Roland Courteau. L’article 2 du présent texte consacre la reconnaissance de la biodiversité et précise notamment les principes d’action préventive résumés dans le triptyque éviter- réduire- compenser, cet ERC qui se voit ainsi inscrit dans notre droit.
Cet article introduit aussi un nouveau principe, celui de solidarité écologique, qui implique de prendre en compte dans toute prise de décision publique ayant une incidence sur l’environnement les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés.
J’apprécie surtout que le texte pose l’obligation de compensation comme moyen ultime, après l’évitement et la réduction du dommage, de préservation de la biodiversité. L’objectif d’absence de perte nette de biodiversité est, selon moi, essentiel.
De fait, la meilleure des compensations écologiques est celle qui n’a pas lieu d’être, disait à raison Jacques Weber. En effet, mieux vaut éviter de détruire que d’être obligé de réparer : c’est d’ailleurs ce que faisait remarquer la mission Économie de la biodiversité.
Le problème est que les activités humaines ne parviennent pas toujours à éviter les impacts. Il convient donc de chercher à les éviter au maximum et, si cela n’est pas possible, à les réduire au minimum, mais il convient, si nécessaire, de les compenser. Cette compensation est donc bien l’un des moyens nous permettant d’aboutir à l’absence de perte de biodiversité.
Je reste convaincu que plus l’exigence de restauration écologique sera forte, plus la compensation aura un coût important, et plus les entreprises seront alors incitées à éviter et à réduire leurs impacts.
Voilà pourquoi ces dispositions me paraissent essentielles. Voilà pourquoi cet article me paraît important. Voilà pourquoi il serait maladroit de condamner par principe la compensation, dernière étape et moyen ultime d’une démarche plus large, qui vise d’abord à éviter et à réduire les impacts.
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.
M. François Grosdidier. L’article 2, tel que rédigé par la commission, rappelle que la biodiversité est un patrimoine commun qui génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage. Il rappelle aussi la responsabilité de tous, et notamment de ceux qui l’exploitent – les exploitants sont légitimes, à la différence des exploiteurs, là est toute la nuance – ; pour autant, la biodiversité n’appartient pas à certains, mais constitue un bien commun.
Très justement, cet article rappelle la nécessité d’éviter les atteintes à l’environnement, de les réduire et, en dernier lieu – si l’on évite à tout prix, alors on ne fait plus rien –, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ou réduites.
L’article 2 pose le principe de responsabilité, qui me tient à cœur comme il devrait tenir à cœur de tous les membres de ma famille politique, qui le revendique dans tous les domaines. J’évoquais déjà ce principe au sujet de l’article 1er.
Je voudrais à cet égard, monsieur le rapporteur, vous féliciter quelque peu en avance pour l’article 2 bis, qui aménage enfin le principe de responsabilité environnementale et l’intègre au code civil. Il reprend les dispositions d’une proposition de loi de Bruno Retailleau que nous avions adoptée à l’unanimité en mai 2013, mais que l’actuelle majorité de l’Assemblée nationale n’a manifestement jamais voulu adopter. Mme la garde des sceaux voulait accaparer le sujet, promettant de s’y dévouer, mais n’a jamais conclu ses travaux.
Il est temps selon moi d’intégrer la notion de « préjudice écologique » dans le code civil : c’est ce que fait l’article 2 bis, qui donnera son effectivité à la responsabilité environnementale introduite à l’article 2.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié quater est présenté par M. Cardoux, Mme Cayeux, M. Vasselle, Mme Canayer, MM. Gilles, Pointereau, Milon, Mouiller et Panunzi, Mme Gruny, M. Kennel, Mme Lopez, MM. Bouchet, Laufoaulu, D. Laurent, Trillard, César, Mayet, Lemoyne, Cornu, Morisset et Laménie, Mmes Micouleau et Primas, M. Commeinhes, Mme Giudicelli, M. Charon, Mme Lamure, MM. Vaspart, Doligé, J.P. Fournier, Poniatowski, Genest, Danesi, Grand, Bizet, Pillet, Pellevat, Pinton, de Nicolaÿ, Revet, Lefèvre, B. Fournier, Longuet, Pintat, Vial et Darnaud, Mme Morhet-Richaud, MM. Allizard, Delattre, Masclet, P. Leroy et Lenoir, Mme Deseyne et MM. A. Marc, Dassault, Chasseing, Raison, Gremillet, Luche, Houpert, Savary, Médevielle, Guerriau, D. Dubois et Gournac.
L’amendement n° 79 rectifié ter est présenté par MM. Bérit-Débat, Patriat et Carrère, Mmes Cartron et D. Michel, MM. Vaugrenard, Camani, Labazée, Roux et Manable, Mmes Jourda, Herviaux et Bataille, MM. Montaugé, Lalande, Jeansannetas, Lorgeoux, J.C. Leroy, Chiron et Courteau, Mme Riocreux et MM. Mazuir, Madrelle, Cazeau et Raynal.
L’amendement n° 528 rectifié est présenté par MM. Bertrand, Amiel, Arnell, Barbier, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l'alinéa 6
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…°Après la première phrase du premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Elles prennent en compte les valeurs intrinsèques ainsi que les différentes valeurs d'usage de la biodiversité reconnues par la société. » ;
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié quater.
M. Jean-Noël Cardoux. Nous sommes là dans un débat assez technique concernant la composition de la biodiversité et la prise en compte de certaines valeurs.
Je ne répéterai pas l’objet de l’amendement, qui fait référence aux données objectives actuellement en vigueur, telles que la définition patrimoniale de la diversité qui figure dans le code de l’environnement et la définition de la valeur intrinsèque qu’est la biodiversité à l’égard d’elle-même.
En revanche, un certain nombre d’activités humaines constituent des valeurs d’usage. On est là au cœur du problème que j’ai évoqué dans mon propos liminaire : il faut comprendre que les paisibles activités humaines d’utilisation des choses de la nature font partie de la biodiversité. Ces activités sont rapidement définies dans l’objet de l’amendement : elles comprennent, bien évidemment, la chasse et la pêche, mais aussi la cueillette, la randonnée, l’alimentation ou encore l’énergie.
Je vous ferai grâce des détails de tout ce qui peut se transmettre depuis des siècles, de génération en génération. Je ne parlerai pas de la chasse : notre collègue Jean-Louis Carrère y a décrit en détail des techniques extrêmement précises. Je mentionnerai en revanche certaines médecines naturelles, l’utilisation d’herbes, certaines techniques de pêche, certaines techniques culinaires et gastronomiques, enfin certaines approches météorologiques qui sont des usages ancestraux…
Il faut pouvoir prendre en compte l’ensemble de ces usages.
Je ne comprends pas, sur ce point, la position de notre rapporteur. La commission a adopté un amendement de M. Dantec selon lequel le patrimoine commun de la nation génère des systèmes écosystémiques et des valeurs d’usage : nous sommes d’accord sur ce point. J’ai lu attentivement le rapport : le rapporteur nous y explique que, si les systèmes écosystémiques, c’est-à-dire ce qu’apporte la biodiversité elle-même, ou encore la relation des éléments naturels, faune et flore, entre eux, relèvent bien de ce texte, les valeurs d’usage que je viens de définir doivent quant à elles être fléchées par le code rural.
Je ne comprends pas cette nuance. En effet, nous définissons la biodiversité de façon novatrice. Il faudrait donc à mon sens, dès lors que cet amendement du groupe écologiste a été adopté par la commission, que les valeurs d’usage, dans toute leur diversité, se rajoutent aux valeurs patrimoniales et aux valeurs intrinsèques de la biodiversité.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour présenter l’amendement n° 79 rectifié ter.
M. Claude Bérit-Débat. Cet amendement est identique au précédent. Ce n’est pas le fruit du hasard : tous deux sont portés par le groupe d’études Chasse et pêche du Sénat. Les signataires de mon amendement partagent les arguments développés par M. Cardoux. En effet, au-delà de la dimension patrimoniale de la biodiversité, il importe à nos yeux de mentionner ici les valeurs d’usage, qui comprennent la chasse et la pêche, mais vont au-delà.
J’espère que cet amendement sera voté par l’ensemble des membres de cette assemblée.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 528 rectifié.
M. Guillaume Arnell. Relisons l’article L. 110–1 du code de l’environnement : « Les espaces, les ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques font partie du patrimoine commun de la nation. »
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a apporté une précision utile en reconnaissant expressément que ce patrimoine « génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage ».
En effet, la biodiversité, par l’ensemble des services qu’elle rend, a une valeur inestimable ; plusieurs études, notamment le rapport de Bernard Chevassus-au-Louis, ont tenté de les « monétariser ».
Deux des trois catégories de valeurs de la biodiversité ont été consacrées dans notre droit : sa valeur intrinsèque et sa valeur patrimoniale. Ce projet de loi est l’occasion de consacrer les valeurs d’usage que sont, par exemple, l’alimentation, la chasse, la pêche ou encore l’énergie.
Cet amendement a pour objet de préciser que les mesures prises en faveur de la biodiversité doivent prendre en compte ces valeurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques, qui ont déjà été déposés en commission et rejetés. Ils me semblent d’ailleurs satisfaits par un amendement adopté en commission, qui inscrit de façon équilibrée dans ce projet de loi que le patrimoine commun de la nation génère des valeurs d’usage et des services écosystémiques.
J’ajoute, au risque de paraître insistant, que nous en sommes à l’article L. 110-1, soit le premier article du code de l’environnement, qui pose les grands principes du droit de l’environnement et affirme que la restauration, la protection et la mise en état des espaces et milieux naturels sont d’intérêt général.
Alors que nous ne cessons de réclamer des simplifications et des textes clairs, de vouloir que nos compatriotes comprennent ce que nous voulons dire dans les lois que nous faisons, nous ne pouvons nous empêcher – moi le premier – de tout compliquer et d’en rajouter. Ce faisant, nous créons de l’imprécision, de la complexité et des sources de contentieux. Nous nous prenons les pieds dans le tapis et tombons dans le travers même que nous combattons.
Je suis donc extrêmement prudent : nous rédigeons ici un article du code de l’environnement, pas un arrêté préfectoral !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. J’ai écouté avec beaucoup d’attention l’avis de la commission. Avec toute l’amitié que j’ai pour le rapporteur, je me permets de lui faire remarquer que, si le texte issu des travaux de la commission précise que ce patrimoine « génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage », il ne s’agit là que d’un constat, et nous ne pouvons nous en contenter. C’est pourquoi ces amendements identiques défendus notamment par M. Cardoux visent à aller beaucoup plus loin, en prévoyant non pas le seul constat mais bien la prise en compte de ces usages, laquelle devient un élément opposable à tous ceux qui, d’aventure, voudraient faire en sorte que cela passe par pertes et profits.
Je comprends très bien que le rapporteur ne veuille pas surcharger le texte. Pour autant, je pense qu’il faut adopter ces amendements identiques et laisser à la commission mixte paritaire le soin de trouver une rédaction permettant d’intégrer à la fois ce qui est souhaité par la commission et ce qui est souhaité très majoritairement par les deux tiers, les trois quarts, voire les quatre cinquièmes des membres de la Haute Assemblée.
Rien ne s’oppose à ce que nous adoptions ces amendements identiques dès maintenant. Ce sera un signal fort témoignant que les valeurs d’usage doivent être prises en compte dans le cadre de ce texte, parce qu’il s’agit d’un élément essentiel de la biodiversité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. Je remercie Alain Vasselle d’avoir parfaitement explicité la démarche des signataires de ces amendements identiques, qui font référence à l'amendement de Ronan Dantec. On constate que le patrimoine commun génère des valeurs écosystémiques et des valeurs d’usage, mais, comme l’a souligné Alain Vasselle, nulle part il n’est mentionné que l’on prend en compte ces mêmes valeurs d’usage dans la défense de la biodiversité. Nous voulons donc que cette précision soit apportée.
Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple simple, voire simpliste, hors de notre pays – pardonnez-moi, cher collègue Raison, je vais faire de la mondialisation ! (Sourires.) En Amazonie, on découvre parfois des populations indigènes qui, vivant en autarcie, étaient jusque-là inconnues. Ces populations, qui sont très marginales, utilisent la biodiversité et en font partie, parce qu’elles ont des méthodes de vie très naturelles.
Si je suis la logique de l’amendement de Ronan Dantec, ces populations font partie de la biodiversité et on le constate. Cependant, il faut aller plus loin et les défendre. Si ce principe avait été appliqué, on ne les aurait pas chassées des territoires où elles vivaient depuis si longtemps, pour faire de la déforestation. Maintenant que le principe est posé que le patrimoine commun contient des services écosystémiques et des valeurs d’usage, nous devons nous engager à défendre ces dernières.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.
M. Daniel Dubois. L’article L. 110-1 du code de l’environnement met en avant le principe du développement durable, principe qui prend en compte l’environnement, le social, mais également l’activité économique. Je crains d’ailleurs fort que la réécriture de l’alinéa 6, qui met en œuvre la solidarité écologique, ne sous-entende une primauté de l’écologie par rapport à l’activité humaine.
L’adoption de ces amendements identiques est donc importante, puisqu’elle permettra d’inscrire les usages dans le texte de façon positive et non pas comme un simple constat.
Voilà pourquoi j’ai cosigné l’amendement n° 1 rectifié quater et je le voterai.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Jusqu’à présent, sur ces amendements identiques, j’étais d’avis que le groupe CRC s’abstienne. Toutefois, après avoir entendu les explications de la commission et les différentes interventions, je prends conscience que l’on est en train de confondre l’outil et son utilisation, alors que c’est tout à fait différent. Pour définir un marteau, on donne sa description, on précise comment il est constitué, mais on ne mentionne pas, dans le même temps, tout ce que l’on peut faire avec cet outil. Outil et utilisation sont deux notions différentes.
L’explication du rapporteur est tout à fait juste. Mes chers collègues, vous êtes en train de vouloir imposer dans un texte une façon d’utiliser la biodiversité, parce que vous voulez tout verrouiller. Pour ma part, je ne crois pas que ce soit de bonne politique, car nous en sommes à la définition de ce qu’est la biodiversité. Il ne faut pas mélanger cette définition avec les usages.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je relis l’alinéa 2 de l’article 2 dans la rédaction proposée : « Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage. » Comment justifier une telle rédaction à nos concitoyens ? C’est un pur constat ! J’ai l’impression que l’on enfonce une porte ouverte !
Ce qui importe à nos concitoyens, c’est de faire en sorte que les habitudes qui découlent des usages soient prises en compte. Madame la ministre, il va bien falloir faire accepter à nos concitoyens cette loi à laquelle vous tenez tant, si nous voulons qu’elle soit respectée et, avec elle, la nature, qui est notre souci à tous.
Mme Évelyne Didier. Nos concitoyens ont compris ! Nous, nous sommes en retard !
M. René-Paul Savary. Il nous appartient d’expliquer à nos concitoyens que ce patrimoine est extraordinaire. Pour ce faire, un certain nombre de concessions s’imposent. Il faut insister sur le fait que les usages pourront continuer dans les années à venir, car ils ne vont pas à l’encontre de la biodiversité.
C’est la raison pour laquelle on pourrait compléter l’alinéa 2 de l’article 2, qui me semble trop générique, en précisant par sous-amendement que ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage « qu’il est nécessaire de prendre en compte ». Ainsi, nous résumons bien les enjeux et nous soulignons que les usages sont bien pris en compte dans ce texte.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. J’ai écouté attentivement les différentes interventions, notamment l’explication d’Alain Vasselle. Certes, l’article L. 110-1 fait le constat que ce patrimoine « génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage », mais le texte ne s’arrête pas là et tout ce que vous voulez ajouter, mes chers collègues, s’y trouve déjà : « Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable. »
Vous ne pouvez pas nous faire le procès de proposer un texte sec. Ce n’est pas vrai !
Par ailleurs, je ne comprends pas très bien ce qu’est une « valeur intrinsèque » et j’aimerais bien que l’on m’en donne un exemple précis et pratique.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié quater, 79 rectifié ter et 528 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la fin du 1°, les mots : « à un coût économiquement acceptable » sont supprimés ;
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Nous avions présenté cet amendement en commission et prévenu que nous le défendrions de nouveau en séance, malgré le sort qui risquait de lui être réservé.
Le principe de précaution est un principe fondamental du droit de l’environnement depuis qu’il a été posé dans la déclaration de Rio.
Or, depuis plusieurs années, ce principe est contesté, attaqué et même parfois presque détourné au motif qu’il constituerait un frein inutile à la recherche et développement et conduirait à l’inaction. Il a été démontré que c’était totalement faux ; une proposition de loi a même été déposée et débattue sur ce sujet.
Nous considérons, dix ans après l’adoption de la Charte de l’environnement, qu’il serait opportun que ce projet de loi, qui entreprend par ailleurs – nous venons de le voir - un travail de définition important concernant les principes fondamentaux du droit de l’environnement, revienne sur les contours du principe de précaution. Il convient en effet de retrouver plus précisément l’esprit de la déclaration de Rio, qui énonce clairement qu’« en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ».
La législation française, par le biais de la loi Barnier de 1995, a complété la définition de Rio par les notions de « réaction proportionnée » et de « coût économiquement acceptable ». Aujourd’hui, c’est cette définition qui est reprise à l’article L. 110-1 du code de l’environnement.
Nous proposons de supprimer la notion de « coût économique acceptable », qui laisse entendre non seulement que le principe de précaution est soumis, lui aussi, à des considérants financiers et que c’est ce qui doit primer, mais aussi que son application pourrait être écartée au regard du coût de sa mise en œuvre. Compte tenu des pressions fortes et de la volonté inébranlable du monde économique libéral de remettre en cause ce principe, nous estimons qu’une telle définition fragilise le principe de précaution.
Nous suggérons donc d’en revenir à une définition du principe de précaution qui lui donne plus de force, conformément à l’ambition de ce projet de loi, dont les promoteurs souhaitent donner les moyens aux pouvoirs publics de mieux protéger la biodiversité. Le principe de précaution en est l’un des outils.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Pour en être membre, Mme Didier sait bien que la commission a émis un avis défavorable, et j’en suis désolé, sur cet amendement qui tend à modifier la définition du principe de précaution figurant à l’article L. 110-1 du code de l’environnement en supprimant la notion de « coût économiquement acceptable ».
Ce principe, vous l’avez rappelé, a été introduit dans notre droit par la loi relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite « loi Barnier ». Il s’agit ici d’un principe procédural interprété comme tel par les juges afin d’encadrer l’exercice des pouvoirs de l’administration.
Un juste équilibre a été trouvé. Je ne pense pas utile de rouvrir les débats sur le principe de précaution à ce stade de notre discussion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 320, présenté par M. Dantec, Mme Blandin, M. Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Ce principe implique d’éviter les atteintes significatives à l’environnement et à défaut, de les réduire. Par dérogation au principe de prévention, pour les atteintes à la biodiversité qui n’ont pu être évitées ou réduites, des mesures de compensation doivent être prises en dernier lieu pour les réparer.
« Les mesures de compensation doivent être additionnelles, respecter l’équivalence écologique et être effectives pendant toute la durée des impacts. Leur réalisation est soumise à une obligation de résultat. » ;
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Cet amendement tend à proposer une nouvelle rédaction de l’alinéa 8, qui porte sur le principe éviter-réduire-compenser, afin que la compensation ne soit pas placée sur le même plan que les mesures d’évitement et de réduction.
La compensation doit clairement apparaître comme une dérogation au principe d’action préventive. Il s’agit là de l’un des grands débats que suscite le présent projet de loi.
La compensation vise non pas à empêcher la réalisation du dommage, mais bien à apporter une contrepartie à des dommages considérés comme inévitables. Elle se rapproche en ce sens davantage d’une déclinaison du principe pollueur-payeur. C’est d’ailleurs la solution retenue par le droit de l’Union européenne pour les sites Natura 2000 dans l’article 16 c de la directive 92/43/CEE. Les atteintes et, partant, les mesures compensatoires y sont définies explicitement comme des dérogations aux obligations de conservation.
En proposant que les mesures de compensation soient additionnelles, qu’elles respectent l’équivalence écologique et qu’elles soient effectives pendant toute la durée des impacts, en prévoyant en outre une obligation de résultat, nous nous inscrivons dans la logique européenne.
M. le président. L'amendement n° 531 rectifié, présenté par MM. Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mme Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer le mot
significatives
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’axe Mézard-Dantec continue ! (Rires.)
Cet amendement est semblable au précédent.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 225 rectifié est présenté par Mme Billon, MM. D. Dubois et Luche, Mme Loisier et MM. L.Hervé, Guerriau, Cadic, Longeot, Lasserre et Roche.
L'amendement n° 329 rectifié est présenté par M. Revet, Mme Lamure, M. Lenoir, Mme Canayer et M. D. Laurent.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 8
Après le mot :
compenser
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
, lorsque cela est possible, les atteintes notables qui n’ont pu être évitées et suffisamment réduites. » ;
La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 225 rectifié.
Mme Annick Billon. Les nouveaux principes ajoutés au code de l’environnement étant peu clairs, voire incohérents par rapport au droit existant, les risques d’insécurité juridique pour les entreprises actrices de la biodiversité ne sont pas négligeables.
Plus précisément, l’article R. 122-4, 7°, du code de l’environnement définissant déjà le mécanisme de compensation, on voit bien que la notion de compensation peut connaître des acceptions, des interprétations et des applications très diverses.
Tout en contribuant à préserver la biodiversité, nous devons protéger les projets d’aménagement acceptés contre toute insécurité juridique. Les trois dimensions environnementale, économique et sociale du développement durable doivent être respectées.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour présenter l'amendement n° 329 rectifié.
Mme Élisabeth Lamure. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission est défavorable à ces quatre amendements en discussion commune.
L’amendement n° 320 vise à réécrire le principe d’action préventive que nous avons déjà précisé en commission. Il tend à bien indiquer que les mesures relevant du dernier volet du triptyque ERC, à savoir les mesures de compensation, n’interviennent qu’en dernier lieu de manière additionnelle et respectent l’équivalence écologique et que, en outre, les mesures de compensation sont soumises à une obligation de résultat.
La finalité de cet amendement ne me paraît pas évidente. En effet, la notion de compensation est en soi déjà une obligation de résultat. Par ailleurs, si un organisme comme l’AFB s’occupe, lorsqu’elle sera créée, de la compensation, la progression sera rapide.
Enfin, il ne me paraît pas nécessaire de préciser que les mesures de compensation sont additionnelles. Le texte prévoit déjà qu’elles interviennent « en dernier lieu ».
La commission est également défavorable à l’amendement n° 531 rectifié, qui vise à supprimer une disposition adoptée en commission sur l’initiative de M. Pointereau. En effet, le principe ERC s’applique pour éviter les atteintes les plus importantes à l’environnement, afin de ne pas devenir un principe trop contraignant ou bloquant.
Enfin, la commission est défavorable aux amendements identiques nos 225 rectifié et 329 rectifié, qui tendent à préciser le principe d’action préventive défini à l’alinéa 8 de l’article 2 en ajoutant qu’il implique d’éviter les atteintes significatives à l’environnement ; à défaut, de les réduire ; enfin, en dernier lieu, de compenser « lorsque cela est possible », les atteintes « notables » qui n’ont pu être évitées et « suffisamment » réduites.
Il tend donc à prévoir d’atténuer le dernier volet du triptyque éviter-réduire-compenser en introduisant l’idée que la compensation n’est pas obligatoire, puisqu’elle ne vise que les atteintes « notables » et qui n’ont pas pu être « suffisamment » réduites.
Je rappelle que la définition que nous avons adoptée en commission a été proposée par nos collègues Michel Raison, Daniel Gremillet et Jean-Jacques Lasserre. S’il était adopté, cet amendement aboutirait en réalité à tuer l’idée même de compensation. La compensation est unique, on ne peut pas plus ou moins compenser ou compenser davantage.