M. Jean-Pierre Sueur. Bravo ! C’était très littéraire !
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au moment d’entamer – enfin ! –, près d’un an déjà après son examen à l’Assemblée nationale, la discussion du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, je me dois tout de même d’exprimer quelques craintes quant à la nature du débat qui nous attend.
Nous pouvons en effet toujours redouter que, au-delà des discours généreux et généraux sur l’importance de la biodiversité, de possibles coalitions entre tenants d’une agriculture toujours plus shootée aux produits phytosanitaires, porte-voix des défenseurs du droit de chasser sans contrainte et défenseurs de grandes infrastructures qui font marcher le BTP ne transforment le Sénat en caisse de résonance de cette petite musique « L’environnement, cela commence à bien faire », ici reprise en chœur. Toutefois, le pire n’est pas non plus certain. C’est pourquoi je rends ici hommage au rapporteur Jérôme Bignon et à l’ensemble de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable présidée par Hervé Maurey d’avoir su travailler ensemble et pu améliorer un texte sans le détricoter.
Madame la ministre, il faut beaucoup d’abnégation pour tenter d’apprendre à ce pays à acquérir une approche raisonnable des questions de protection de la nature, tant la France, plus que d’autres pays, semble rechigner à considérer la biodiversité comme un enjeu majeur de politique publique au point de nier les conséquences désastreuses d’un effondrement de cette biodiversité, socle pourtant de notre alimentation, de notre santé et, bien sûr, de notre climat. Pour illustrer ce constat, il n’est qu’à comparer la situation de l’ours en France et dans les pays voisins – Italie ou Espagne – où il est un étendard des campagnes de promotion touristique.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. En Californie !
M. Ronan Dantec. Presque partout en Europe, les populations de plantigrades sont plutôt en progression : 7 % de plus en sept ans dans l’Union européenne. En Grèce, un tracé d’autoroute a même été modifié pour les préserver ! Pourtant, en France, cet été, deux ours bruns mâles se sont frottés désespérément aux arbres, ont laissé leur odeur un peu partout, en espérant rencontrer des femelles qui n’existent malheureusement plus dans l’ouest des Pyrénées. (Mouvements divers sur plusieurs travées.)
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Le mariage pour tous va tout régler ! (Sourires.)
M. Ronan Dantec. Ainsi, nous allons débattre d’une loi sur l’enjeu majeur de la préservation de la biodiversité et de la faune sauvage, alors que la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, n’est pas capable de relâcher deux ourses, de trouver en son sein le minimum de consensus pour préserver son plus grand carnivore, laissant littéralement crever de solitude ses derniers plantigrades.
C’est dans ce contexte particulier que ce texte tente de se frayer un chemin, dans un pays où certains considèrent encore possible de défendre la chasse à la glu au nom de je ne sais quelle tradition historique ou culturelle. Je suis presque même surpris que nous n’ayons pas eu un amendement sur le retour des pièges à mâchoires… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Provocations inutiles !
M. Ronan Dantec. Pour préserver et reconquérir la biodiversité en France, nous savons pourtant globalement quels sont les enjeux. Il faut préserver le territoire, éviter la perte du sol, trop facilement artificialisé, fragmenté par des infrastructures, les mitages et les étalements d’urbanisation. Je regrette d’ailleurs – il en a été question en commission – que le principe de la protection des sols n’ait pas été plus fortement réaffirmé dans le projet de loi.
La cohérence globale de la trame verte et bleue et des continuités écologiques est justement l’un des véritables progrès apportés ces dernières années à la gestion de la biodiversité en France. Le schéma régional de cohérence écologique et le schéma régional d’aménagement du territoire, avec son caractère prescriptif, constituent de réelles avancées dans les textes que nous avons adoptés l’année dernière. On ne peut donc que s’inquiéter aujourd’hui de certaines déclarations, comme celle de Xavier Bertrand, nouveau président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, de remettre en cause le SRCE, outil pourtant clef de préservation de la biodiversité.
Nous le voyons bien, le combat n’est pas encore totalement gagné et nous pouvons toujours nourrir quelques inquiétudes pour l’avenir. Espérons que, cette fois, avec une vision plus globale et partagée – ce sera bien l’un des rôles de l’Agence française pour la biodiversité –, nous réussirons à gagner définitivement cette bataille culturelle, tant certaines avancées restent encore fragiles. Dans cette optique se pose évidemment la question des moyens, qu’Évelyne Didier a longuement évoquée. Se pose aussi celle des mutualisations : alors que nous reconnaissons tous qu’il faut améliorer l’action publique, nous continuons à garder différentes polices de l’environnement réparties dans différentes agences, quand le sens de l’action publique imposerait de n’en avoir qu’une seule.
Dans les combats qui restent à mener, la question de la compensation est aussi centrale. Nous savons que, pour certains aménageurs, les principes « éviter, réduire, compenser » se transforment en « surtout éviter et réduire toute mesure de compensation ». Ce projet de loi devra tendre vers une obligation de résultat en termes d’équivalence écologique. J’espère que le débat au Sénat permettra d’avancer sur ce point et de définir des mesures de suivi et de contrôle efficientes, l’enjeu étant bien d’éviter au maximum d’avoir à compenser.
Je ne reviens pas sur les autres enjeux. Joël Labbé reviendra sur les agressions chimiques, notamment la question des néonicotinoïdes. La non-privatisation des ressources naturelles, le refus de la brevetabilité à tout-va spoliant les communautés traditionnelles de leur savoir-faire constituent aussi un enjeu important, Marie-Christine Blandin aura l’occasion de proposer des amendements d’encadrement lors de la discussion des articles.
Mes chers collègues, le projet de loi comporte plusieurs avancées. À cet égard, je remercie Mme la ministre de son écoute, qui a déjà permis à l’Assemblée nationale d’intégrer des amendements d’importance. Toutefois, ce texte est imparfait pour atteindre l’enjeu qui est de stopper la perte du vivant dans notre pays, y compris dans les territoires ultramarins, et de trouver l’équilibre entre activités humaines et préservation des écosystèmes. Nous n’avons pourtant pas le choix. Si nous ne trouvons pas cet équilibre, c’est bien notre avenir que nous menaçons.
Peu de débats disent autant la difficulté de se dégager du court terme, voire parfois de la prochaine échéance électorale. La commission du développement durable, je l’ai dit, a souvent été capable d’améliorer le texte et d’appréhender ce long terme. Essayons donc de poursuivre dans cette voie et évitons de laisser plus longtemps deux ours célibataires se morfondre dans les Pyrénées françaises ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la biodiversité doit bien évidemment être un souci permanent, car, sans elle, nous en sommes tous convaincus, plus de vie humaine ! Toutefois, un développement durable de nos sociétés doit envisager la biodiversité dans sa globalité : les usages doivent être vus non pas uniquement comme un problème, mais aussi comme une partie de la solution, car les utilisateurs de la ressource ont indéniablement un intérêt à la conserver.
Si ce texte vise à reconquérir la biodiversité, il est aussi une nouvelle fois le révélateur d’une contradiction majeure. Il tente en effet de répondre à des bouleversements engendrés par votre modèle économique ultralibéral et mondialiste, mais, plutôt que de remettre en cause ce modèle, vous préférez essayer d’en limiter les effets pervers. Vous tentez de vous attaquer aux conséquences, sans jamais vous attaquer aux causes, les Verts ou écolos autoproclamés, mondialistes assumés, se faisant ainsi les alliés objectifs des transnationales, dont la priorité ne sera jamais que d’accumuler des milliards de profits au mépris de tout respect écologique.
Face à ce sans-frontiérisme ennemi de l’équilibre écologique, le protectionnisme intelligent que nous proposons est un moyen de limiter l’envahissement de nos marchés par des produits fabriqués dans des pays qui ne respectent aucune norme, pas même et surtout pas des normes environnementales.
Dans ces conditions, comment pouvons-nous débattre la main sur le cœur de la « reconquête de la biodiversité » et, dans le même temps, continuer à négocier, ou plutôt à se faire tordre le bras, pour signer le traité transatlantique dit « TAFTA », dont les objectifs sont diamétralement opposés à ceux qu’affiche ce texte ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pour respecter la biodiversité, soyons donc pragmatiques : instaurons un patriotisme économique et écologique en revenant à la proximité. Produisons et consommons local ! Je ne prendrai que l’exemple des quinze millions de repas servis chaque année dans les lycées de ma région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Voilà un marché qui doit être alimenté par un réseau de producteurs locaux. L’Europe, pour une fois, nous le permet. Qu’attendons-nous pour saisir cette opportunité, qui servira autant l’emploi que l’environnement ? Nul doute que notre super résistant niçois y pourvoira…
Permettez-moi également de relever sur un autre sujet environnemental l’incohérence du Gouvernement ! Madame la ministre, comment pouvez-vous nous présenter un texte qui vise à reconquérir la biodiversité, alors que, dans le même temps, le Premier ministre justifie l’autorisation de polluer davantage ce site remarquable que sont les calanques marseillaises après avoir accepté le rejet d’effluents liquides hautement toxiques par la société Alteo, laquelle a pratiqué le chantage à l’emploi pour masquer sa coupable inertie ? Même si c’est contre votre gré, vous mettez ainsi en péril la biodiversité marine dans ce joyau naturel, mais également l’emploi de nombreux professionnels de la pêche.
Puisqu’on est dans le Sud, il me faut dire un mot d’une tradition millénaire qui a failli faire les frais de l’idéologie sectaire des écologistes,…
M. Joël Labbé. Ça suffit !
M. Stéphane Ravier. … plus préoccupée par la destruction de notre identité que par la préservation de la biodiversité. Je parle bien évidemment de la si mal nommée « chasse à la glu » ; si mal nommée, car l’action est non pas de chasser, mais de capturer des oiseaux vivants afin d’en faire des appelants.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. C’est vrai !
M. Stéphane Ravier. Une chasse, plutôt une technique, très encadrée, ultra-réglementée dans le temps et dans son fonctionnement, avec un carnet de capture contrôlé et un nombre total d’oiseaux capturés sur une saison de trois mois – durée dérisoire – qui n’a bien sûr rien à voir avec la disparition des 400 millions d’oiseaux qui ont été évoqués. Il s’agit ici d’une transmission de notre identité, et il faut tout l’acharnement idéologique de quelques ayatollahs verdoyants (Exclamations sur plusieurs travées) pour vouloir faire table rase de cette tradition. Je me félicite que la commission ait supprimé cette interdiction.
Oui, les chasseurs et surtout les chasseurs traditionnels sont les principaux alliés de toute personne se réclamant de la défense de l’environnement ! Un chasseur à la glu, héritier d’une tradition millénaire, qui vit au contact de la nature, me semble bien plus soucieux et expert de la biodiversité qu’un écolo-bobo qui n’a jamais connu de marais que le Marais parisien ! (Vives exclamations sur de nombreuses travées.)
M. Joël Labbé. Oh !
M. Michel Raison. Populisme !
M. Stéphane Ravier. Notre cohérence nous pousse à proposer une réelle écologie débarrassée de tout écologisme, et nous refusons ainsi la soumission aux firmes agrochimiques. Ainsi, comme nous l’avions fait voilà quelques mois, nous réitérons notre soutien à l’interdiction des néonicotinoïdes, et nous regrettons que la commission ait supprimé cette interdiction.
Pour conclure, je voudrais dire que nous soutenons bien évidemment la reconquête de la biodiversité et nous reprenons, pour résumer l’action qui doit être menée, les propos du Saint-Père dans son encyclique Laudato si’ (Exclamations sur plusieurs travées.),…
M. François Grosdidier. Lisez aussi celle sur les migrants !
M. Stéphane Ravier. … abondamment citée au moment de la COP 21 : « Une stratégie de changement réel exige de repenser la totalité des processus, puisqu’il ne suffit pas d’inclure des considérations écologiques superficielles pendant qu’on ne remet pas en cause la logique sous-jacente à la logique actuelle. »
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je m’exprimerai sur un autre ton…
Le Sénat examine aujourd’hui un projet de loi crucial et attendu relatif à la protection de notre biodiversité et à la simplification de sa gouvernance. Dans la lignée des engagements internationaux contraignants fournis par les États à l’issue de la 21e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies contre le changement climatique, la COP 21, notre gouvernement érige une nouvelle fois les enjeux environnementaux au premier rang de ses priorités.
Au mois d’août dernier, l’ONG Global Footprint Network, créatrice du concept d’« empreinte écologique », célébrait amèrement ce qu’elle a nommé « le jour du dépassement », date de l’année à laquelle l’ensemble des ressources renouvelables de la planète disponibles pour une année ont été entièrement consommées. Au-delà de cette date, fixée en 2015 au 13 août, notre humanité vivrait ainsi « à crédit », puisant pour les quatre mois restants ses besoins en ressources dans des réserves non renouvelables. Ce décalage entre nos besoins et les possibilités de notre planète font encourir l’épuisement des ressources et, par voie de conséquence, la dégradation de notre biodiversité. Le constat est donc le suivant : il faudrait aujourd’hui à l’humanité une planète et demie pour absorber l’ensemble de ses besoins. À ce rythme, il lui en faudra deux d’ici à 2030. Avec ces quelques chiffres, nous prenons la mesure de l’ampleur du défi qui s’ouvre devant nous et qui devient de jour en jour plus urgent.
Nous le savons, la France possède un patrimoine naturel extrêmement riche. Elle est le deuxième espace maritime du monde et possède, grâce aux outre-mer, une biodiversité marine d’exception. Elle est aussi le seul pays européen à posséder une triple façade maritime. Pour autant, et comme le souligne notre collègue Jérôme Bignon dans son excellent rapport, elle est le cinquième pays du monde hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées.
Comme nous l’ont rappelé les nombreuses personnes auditionnées cette année, cette richesse commune est particulièrement menacée par la surexploitation, la destruction des habitats naturels, la pollution ou l’introduction d’espèces envahissantes. Nous sommes vulnérables non seulement à l’érosion croissante de nos réserves, mais aussi à la dégradation des écosystèmes et au dérèglement climatique.
Cette responsabilité est globale, elle dépasse le cadre de notre pays, voire de notre continent : à l’échelle de la planète, ce sont 30 % des espèces mondiales qui sont menacées de disparition d’ici à 2050. Dans les territoires ultramarins, qui abritent plus de 90 % de la faune invertébrée et des plantes spécifiques à la France, ce sont plus de 15 % des espèces qui sont en danger.
Actant l’urgence du défi à relever, la France, par la voix de son gouvernement, amorce un tournant majeur en matière de prise de conscience environnementale, comme en témoignent les aboutissements contraignants de la conférence de Paris pour le climat. Le présent projet de loi vient former, avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, un dispositif législatif ambitieux en faveur de l’avènement d’un modèle économique et social plus respectueux de notre planète.
En tentant de fournir des alternatives concrètes à nos modes actuels de production et de consommation, ces deux textes nous permettent de mettre en œuvre dans les meilleures conditions une transition écologique. Ils ont vocation à faire de la France un modèle d’excellence environnementale pour la croissance verte et bleue. Je salue donc un texte transversal liant le concept de biodiversité à un ensemble d’enjeux globaux, à commencer par le changement climatique et la croissance économique.
Il n’est nul besoin de le rappeler, la préservation de notre biodiversité conditionne nos possibilités futures d’approvisionnement en ressources naturelles, particulièrement en matières premières. Elle ne se limite pas à une volonté, certes importante, de préservation des espaces naturels et des espèces vivantes, car la détérioration de nos écosystèmes menace également notre accès à l’eau potable, aux matières premières alimentaires et, à terme, notre bien-être. La biodiversité est également un vivier pour la recherche et l’innovation, avec potentiellement, à la clé, des emplois et des activités durables. En somme, la conservation de notre biodiversité est un maillon indispensable du processus économique et social de transition écologique.
Le présent projet de loi tente ainsi de faire face à un enjeu clé en matière de biodiversité, celui de la gouvernance. Nous saluons à ce titre la création d’un interlocuteur unique doté de moyens considérables, l’Agence française pour la biodiversité, destinée à porter d’une seule voix la stratégie nationale pour la biodiversité. Nous rappelons néanmoins les nécessités de consolider le périmètre de ses missions et de lui assurer un réel pouvoir de décision.
La protection de la biodiversité est un devoir auquel nul ne peut se soustraire, ni les instances gouvernementales, ni les associations, ni les citoyens. La genèse d’une instance inclusive et participative, le Comité national de la biodiversité, est à nos yeux également positive.
En ma qualité d’animateur du pôle « développement durable » de ma collectivité, j’insiste fortement sur l’indispensable représentation de tous les territoires d’outre-mer dans ces deux instances, ces territoires abritant une part considérable de la biodiversité de notre pays.
Compte tenu de la richesse que représentent les territoires ultramarins, la prise de conscience les concernant doit être plus forte. En effet, leur biodiversité est confrontée quotidiennement aux aléas du climat et de l’activité humaine.
La dégradation des mangroves nous rend plus vulnérables aux catastrophes naturelles. Les dégâts causés à Saint-Martin par les ouragans Luis et Marilyn en 1995, plus récemment par Gonzalo, nous l’ont amèrement rappelé.
Dans un autre registre, la prolifération des algues sargasses sur nos littoraux et l’arrivée d’espèces invasives dans nos eaux, tel le poisson-lion, sont autant de menaces pour la préservation de notre biodiversité.
Nos îles, isolées, sont également fortement exposées à l’acidité accrue de nos eaux et à la montée du niveau des mers.
Le groupe du RDSE, conscient de la nécessité de simplifier la gouvernance des politiques en faveur de la biodiversité, salue l’initiative de ce texte. La richesse de nos écosystèmes est un atout social, économique et environnemental pour notre pays. Il est de notre devoir de parlementaires de sensibiliser sans relâche nos concitoyens à l’urgence de ces problématiques.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons pouvoir approuver le plus largement possible ce texte mardi prochain. Son adoption dépendra bien évidemment de nos travaux et de nos échanges cette semaine dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout texte ayant trait à la biodiversité est à l’origine en général d’antagonismes parfois irréconciliables, reposant sur une vision plus philosophique que scientifique de l’homme. Deux sujets suscitent néanmoins un assez grand consensus : la création de l’Agence française de la biodiversité et l’application du protocole de Nagoya, sur lesquelles le Sénat comme l’Assemblée nationale travaillent de longue date.
La création de l’Agence française de la biodiversité est une formidable occasion de mettre en commun notre immense potentiel d’expertise. La France compte dans ce domaine des scientifiques absolument remarquables. La création de cette agence, la fameuse agence de la nature, était un engagement du Grenelle de l’environnement – il s’agissait de l’engagement n° 78. En qualité de secrétaire d’État à l’écologie, j’avais commencé à travailler sur ce projet, mais je n’ai pas exercé mes fonctions aussi longtemps que cela était prévu…
Comme un certain nombre de mes collègues, je regrette que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ne puisse pas être complètement partie intégrante de cette agence. Les chasseurs le disent pourtant souvent : ils sont des connaisseurs de la biodiversité. J’imagine que nous parviendrons à progresser sur ce point.
La transcription dans notre droit du protocole de Nagoya est aussi absolument fondamentale. Ce protocole, à la négociation duquel nous avons participé en 2010, cher Jérôme Bignon, est une belle réussite des Nations unies. Il contient deux principes, qui, s’ils peuvent paraître anodins, sont absolument fondamentaux.
Le premier, c’est la reconnaissance de la contribution de la biodiversité au développement économique. Ainsi, de 25 % à 50 % de nos médicaments sont issus des ressources génétiques, ce qui représente un marché supérieur à 640 milliards de dollars.
Le second principe, c’est la patrimonialité de la biodiversité. Les peuples qui contribuent à découvrir, à entretenir, à protéger ces ressources et la biodiversité doivent bénéficier d’une partie des richesses économiques à la création desquelles ils participent. J’imagine que des discussions auront lieu sur l’équilibre entre la concertation avec les peuples autochtones et le droit de la propriété intellectuelle.
Vous l’avez évidemment compris, j’adhère à ce texte, qui s’inscrit dans le cadre de mes convictions. Y a-t-il plus beau sujet qu’un débat sur le vivant sur la planète et dans les océans ? La biodiversité, c’est en effet très simple : c’est le vivant sur la planète et dans les océans.
Un débat, ici, au Sénat, avec de grands scientifiques, comme Gilles Bœuf, Hubert Reeves, Christophe Aubel ou Jean-Marie Pelt, si ce dernier ne nous avait malheureusement pas quittés, aurait d’ailleurs été utile pour battre en brèche la traduction trop rapide de Darwin selon laquelle l’homme serait étranger à une nature par essence hostile et sauvage. Regardons l’histoire : depuis 3,9 milliards d’années, c'est-à-dire depuis le début de la vie sur Terre, la vie se construit selon le principe de l’associativité. Des protocellules aux métazoaires, puis à l’apparition de la sexualité, le principe dominant est celui de l’association des cellules pour créer une entité nouvelle dont les qualités sont supérieures à la seule addition des entités qui la compose.
L’homme n’est pas étranger à la nature. Vous êtes tous ici, mes chers collègues, comme je vous le dis fréquemment, une ode à la biodiversité. Vous avez dans votre corps dix fois plus de cellules non humaines que de cellules humaines. C’est ce qui contribue à vous maintenir en vie.
Bien évidemment, tout est lié. C’est pour cela que l’on peut s’inquiéter de la disparition des espèces. Les scientifiques évoquent une sixième extinction des espèces. Je vous rappelle que, lors de la plus importante d’entre elles, la troisième, 96 % de toute forme de vie avait disparu de la Terre. Nous nous devons donc d’agir !
Il a été question aujourd'hui de la nécessité de parvenir à un équilibre dans le texte. En réalité, le déséquilibre est total, compte tenu de la rapidité à laquelle disparaît la biodiversité. Il n’est pourtant pas si compliqué d’agir, les scientifiques ayant clairement identifié les causes de disparition de la biodiversité : la disparition des habitats des espèces, la surexploitation des espèces, leur dissémination anarchique et enfin les changements climatiques.
J’entends bien la difficulté de traduire concrètement les principes sur le terrain, mais le présent texte contient des principes très importants, auxquels je suis favorable, comme la solidarité écologique et la clarification de la compensation. Pour ma part, j’aurais aimé qu’on conserve le principe de non-perte de biodiversité, ou à tout le moins cet objectif. Ces principes sont nécessaires.
De même, je suis favorable à l’interdiction du chalutage profond, dont on connaît les effets dévastateurs.
Je suis favorable également à l’interdiction des néonicotinoïdes, dont nous reparlerons. Il nous faudra trouver un équilibre en termes de calendrier pour interdire ce type de produits.
Je suis aussi favorable à la suppression des méthodes cruelles de chasse. Nous connaissons aujourd'hui la sensibilité animale. Autant la chasse est nécessaire puisque les équilibres naturels ne fonctionnent plus – les grands prédateurs ont aujourd'hui disparu –, autant certaines méthodes de chasse, comme la chasse à la glu, me laissent perplexe. (Exclamations sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Ravier. Allez sur le terrain, vous verrez ce qu’il en est !
Mme Chantal Jouanno. Je vous invite à vous pencher sur la réalité de cette pratique !
Mes chers collègues, vous connaissez mes convictions, elles n’ont pas changé. Notre débat et nos oppositions sont nécessaires, mais je vous invite, au lieu de faire de la politique, à écouter ce que disent les scientifiques. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre temps n’a que des incertitudes géopolitiques, économiques ou politiques à nous proposer. Toutefois, l’accord de Paris sur le climat intervenu le 12 décembre 2015 constitue une accalmie et suscite un large consensus auprès de nos concitoyens. Voilà enfin un grand sujet de notre temps dont gouvernements et sociétés civiles semblent s’être emparés avec vigueur. À l’issue d’un travail considérable, notre excellent rapporteur, Jérôme Bignon, a su rendre le texte qui nous est aujourd'hui proposé équilibré et donc applicable.
Ce chantier d’une ampleur exceptionnelle doit participer à l’édification d’un nouveau modèle économique, énergétique et écologique. C’est finalement tout notre modèle actuel de développement qu’il faut questionner. Je partage ce postulat de départ sans réserve, d’autant plus aisément que je ne fais pas mien les discours culpabilisants tournés vers le passé.
La poursuite du progrès technique et une croissance purement extensive nous ont conduits à cette sorte d’adolescence technologique dans laquelle nous nous trouvons et dont il convient de sortir pour s’engager résolument dans un nouveau mode de gestion de notre planète. Telle est la raison d’être de ces deux grands textes que sont la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont la Haute Assemblée est aujourd'hui saisie.
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dont j’ai eu l’honneur d’être l’un des rapporteurs, visait déjà à adapter notre économie aux nouvelles contingences climatiques et énergétiques. Nous introduisions une nouvelle vision, un nouveau paradigme qui bousculait les traditionnelles visions antérieures, voire un certain nombre de lobbies.
Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages est pour moi complémentaire de la loi relative à la transition énergétique. Il participe lui aussi, depuis les lois Grenelle, à la nouvelle grande politique publique en matière d’écologie que nous appelons de nos vœux, compte tenu de la dégradation accélérée et dramatique de notre « maison commune », pour reprendre l’expression tant du pape François que d’Hubert Reeves.
Le rapport publié le 19 juin dernier par les experts des plus prestigieuses universités américaines - Stanford, Princeton ou Berkeley - évoque désormais le risque d’une sixième extinction de masse. C’est, pour moi, et cela devrait l’être pour nous tous, une alerte rouge majeure !
La maison est donc bien en feu : de grâce, ne regardons pas ailleurs ! Il s’agit effectivement de reconquête. Saint-Exupéry avait très bien décrit notre situation : « On n’hérite pas de la terre de nos ancêtres, on l’emprunte à nos enfants. » C’est notre responsabilité humaine, morale et politique qui est engagée.
Je voudrais donc me féliciter de la substance de ce texte à travers plusieurs exemples. Je pense d’abord à la réforme de la gouvernance, avec un nouveau système d’accès et de partage des avantages. Le texte s’attaque également au nouveau périmètre des parcs naturels régionaux. Enfin, le projet de loi institue les contrats d’obligations environnementales, de même qu’il entend favoriser le développement des activités en mer.
Ce projet de loi est donc manifestement ambitieux. Pour autant, son architecture est-elle cohérente ? Je ne ferai pas grief au Gouvernement sur ce point, mais je serai critique sur nombre d’articles additionnels qui sont venus parasiter ce projet de loi. Ces articles, introduits à l’Assemblée nationale par des membres de la majorité, mais qui ne sont pas le fait du Gouvernement, ont affaibli le texte en rompant avec son architecture initiale. Je pense notamment à l’article 74 visant à interdire la publicité sur les monuments historiques à l’occasion de travaux et aux centaines d’amendements apparus ces derniers jours, qui ne peuvent que porter atteinte à la qualité du travail parlementaire.
Pour la bonne compréhension politique de ce texte, on peut regretter ces ajouts qui confirment l’adage : « le mieux est l’ennemi du bien ». C’est parce que ces articles venaient mettre à mal un équilibre précaire que je salue les initiatives de notre rapporteur, qui a souhaité rendre à ce texte sa clarté originelle et son équilibre. Le projet de loi a donc retrouvé son architecture initiale.
S’agissant des choix structurants, je m’autorise là encore quelques remarques. En matière de gouvernance de la biodiversité, ce texte commet une omission importante, car il ne fait qu’effleurer la réforme de la police de l’environnement, qui est un sujet très sensible.
S’agissant ensuite du système d’accès et de partage des avantages, dit APA, découlant de l’utilisation de ressources génétiques, il s’agit de mettre en œuvre le protocole de Nagoya qui a été signé par la France le 20 septembre 2011, tel que cela a été rappelé.
Malheureusement, le texte soumis à notre examen ne lève pas encore toutes les inquiétudes. Sur ce point, il nous faut à nouveau être plus clairs. Ce dispositif doit s’appliquer aux nouvelles utilisations qui peuvent être faites d’une ressource génétique. Cependant, ce dispositif ne doit souffrir d’aucune ambiguïté sur son éventuel caractère rétroactif. Or tel n’est pas le cas pour l’instant.
Pour conclure, je voudrais évoquer l’article 33 et les obligations environnementales.
Ici encore, nous saluons l’action de notre rapporteur, qui est venu sécuriser un dispositif qui pouvait, dans sa première mouture, se retourner contre la profession agricole, première concernée par celui-ci - profession qui traverse une passe difficile, rappelons-le, qu’il faut aider et accompagner, plutôt que sanctionner.
Ce contrat, car il s’agit d’un contrat, ne pourra pas s’imposer aux agriculteurs. Ils seront libres de consentir ou non à ces obligations environnementales. Cependant, je compte sur leurs compétences, leurs connaissances du terrain et l’amour qu’ils portent à la nature pour définir des politiques ambitieuses de reconquête de la biodiversité dont les Français seront fiers. Nous nous rapprochons ainsi de l’écologie incitative que vous prônez, madame la ministre, à juste raison.
Dernier dispositif que je souhaitais évoquer : l’article 69 et la nouvelle politique sur les sites inscrits au titre du code de l’environnement.
Pour le dire très simplement, je crois que c’est une erreur que notre collègue et rapporteur Jérôme Bignon est venu corriger en modifiant les critères de cette rationalisation excessive et en réinstaurant la possibilité d’inscrire de nouveaux sites.
Je dois à la vérité confesser que j’étais circonspect à la lecture du texte transmis par l’Assemblée nationale. Nous étions passés d’un texte rationnel et ambitieux à un texte parfois insécurisant pour les acteurs économiques, voire à un texte brouillon, un peu à l’image de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte que le Sénat avait bien modifiée en son temps. Aujourd’hui, avec les modifications envisagées par le rapporteur, le texte retrouve son équilibre et toute sa force pédagogique et pragmatique. En conséquence, je peux à nouveau émettre un vote favorable sur un projet de loi ô combien nécessaire pour les générations futures et l’avenir de la planète. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)