M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes régulièrement amenés à examiner des propositions de loi à caractère mémoriel. Le plus souvent, le groupe du RDSE adhère à l’esprit qui anime ces démarches visant à souder la communauté nationale.
En effet, la transmission de la mémoire est consubstantielle à la conception française de la Nation. Les sacrifices consentis hier par nos anciens se prolongent aujourd’hui au travers de la liberté transmise aux générations suivantes. Il est donc primordial de rappeler aux plus jeunes le prix de ces engagements passés fondés sur la solidarité et le sacrifice.
La commémoration des événements qui ont bouleversé l’histoire de la France est le vecteur privilégié de la transmission de la mémoire collective.
En tant qu’élus, nous sommes bien entendu tous très attachés à ces moments de recueillement, qui nous rassemblent autour du monde combattant. Pour qu’ils conservent une visibilité, ils ne doivent cependant pas se multiplier au-delà du raisonnable.
Aussi, mon groupe n’est pas favorable à l’accumulation des jours de mémoire et à l’intervention permanente du législateur dans le champ mémoriel. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire au cours d’autres débats et partageons en cela la crainte de « boulimie commémorative » exprimée par l’historien Pierre Nora.
Mes chers collègues, comme vous le savez, ce ne sont pas moins de treize commémorations nationales qui figurent déjà dans notre calendrier, auxquelles il faut ajouter les manifestations liées aux grands anniversaires. Trop de rendez-vous risquent d’affaiblir la mémoire collective en la dispersant ou en la segmentant, ce qui serait évidemment contre-productif.
Si trop d’impôt tue l’impôt, si trop de réglementations affaiblissent la réglementation, trop de commémorations gomment la commémoration et favorisent l’indifférence !
M. Jacques-Bernard Magner. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Certes, j’en conviens, le texte qui nous est soumis aujourd’hui aborde le sujet sous un angle particulier, celui de la sensibilisation des jeunes aux enjeux de la mémoire combattante.
Comme le rappelle notre collègue Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi, il est vrai que les cérémonies nationales actuelles ne rassemblent souvent plus que des élus et des anciens combattants autour du monument aux morts.
M. Yvon Collin. C’est vrai !
M. Jean-Claude Requier. Nous pouvons tous le constater localement, même si de nombreuses initiatives émanant des élus et des enseignants existent partout sur le territoire pour associer les jeunes aux jours de mémoire. On peut donc partager l’objectif visé par l’auteur du texte.
Toutefois, la présente proposition de loi appelle plusieurs réserves sur la forme.
Tout d’abord, sur le plan juridique, comme le rapporteur l’a souligné, le texte empiète sur le domaine réglementaire. De plus, le manque de clarté du dispositif risquerait de rendre celui-ci inopérant.
Ensuite, la proposition de loi crée une injonction contraignante à l’égard des professeurs, alors que leur rôle réside en premier lieu dans la transmission du savoir et non directement dans l’entretien de la mémoire nationale. (M. Vincent Delahaye s’exclame.)
Enfin, le choix de fixer la date de cette journée au mois de mai alourdit davantage une période déjà occupée le 8 mai par la commémoration de la victoire de 1945 et, depuis 2013, par la journée nationale de la Résistance fixée le 27 mai.
Dans ces conditions, ce texte ne paraît pas opportun. Cependant, il nous invite à réfléchir aux moyens d’impliquer davantage les jeunes à l’histoire de notre pays et aux valeurs de la République.
L’éducation nationale est déjà engagée dans la politique de mémoire nationale au travers de différentes initiatives. Je citerai la mission pour le centenaire de la Première Guerre mondiale qui a engendré différents projets partout en France à l’intention des jeunes. Les professeurs sont le plus souvent très réceptifs à l’égard de tout ce qui permet de concilier pédagogie et travail de mémoire.
C’est pourquoi il faudrait encourager et développer l’existant autrement que par les seules notes de service du ministère.
Mes chers collègues, il faut aussi rechercher ailleurs qu’au sein de l’éducation nationale la voie d’une sensibilisation plus générale des jeunes aux valeurs républicaines.
Je pense en particulier à deux dispositifs que le Président de la République souhaite renforcer. D’une part, il a annoncé lundi dernier son souhait d’allonger la journée défense et citoyenneté. Dès lors, pourquoi ne pas prévoir une journée dédiée à la mémoire collective dans ce nouveau cadre ?
D’autre part, le chef de l’État a indiqué vouloir étendre le service civique à la moitié d’une classe d’âge d’ici à 2018 et à tous les jeunes à compter de 2020.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Le RDSE, et plus particulièrement notre collègue Yvon Collin, est à l’origine de la loi sur le service civique. Il se félicite de cette annonce, puisqu’il demande la généralisation de cet engagement depuis longtemps !
Rendu obligatoire, le service civique serait l’occasion de sensibiliser les jeunes Français à l’histoire et aux valeurs de la République.
En attendant, mes chers collègues, le RDSE n’est pas favorable à la proposition de loi dans la rédaction qui nous est proposée, car elle ne fait pas consensus. En revanche, il approuve à l’unanimité la motion tendant au renvoi en commission. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail de qualité mené par M. le rapporteur de la commission de la culture du Sénat.
Aborder les sujets relatifs à la mémoire est une tâche noble et ardue. Néanmoins, la question principale qui se pose aujourd’hui me semble être celle de la meilleure manière de commémorer. Cette question ne peut se satisfaire d’approches partisanes et implique le rassemblement de tous.
À cet instant, je voudrais dire un mot sur le contexte de nos travaux.
Depuis plusieurs mois, la France traverse une période de crise mettant à l’épreuve la République et ses valeurs. Près de cent cinquante civils ont péri dans des attentats, des centaines pansent encore leurs blessures, et nos soldats continuent de combattre le terrorisme au Sahel comme au Levant.
Dans ces épreuves, c’est vers la Nation que nombre de Français se tournent. Chacun d’entre eux se félicite de l’engagement des services de l’État, au premier rang desquels figurent militaires, policiers, gendarmes, pompiers et services de santé. C’est donc dans un contexte inédit et dans un pays sous le choc que nous examinons la présente proposition de loi.
Spontanément, chacun d’entre nous peut adhérer au texte présenté, car toute initiative au bénéfice de la jeunesse et visant à la fois à honorer la mémoire et à diffuser les valeurs républicaines mérite d’être examinée et développée.
Lors de l’examen du budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », j’ai moi-même appelé à une plus grande mobilisation de l’éducation nationale pour la transmission de la mémoire et de notre histoire nationale, notamment au travers des commémorations dédiées aux anciens combattants.
Chez les jeunes, il existe une attente et un besoin de rassemblement. Ceux-ci doivent pouvoir exprimer leur appartenance à la République et à une communauté de valeurs qui font la France.
Toutefois, au-delà des grands principes que nous partageons tous, le texte proposé aujourd’hui pourrait être contre-productif. Prenons garde : l’émotion a trop souvent guidé l’action des pouvoirs publics et du législateur sur ces sujets.
Comment transmettre ce passé français, une histoire riche en événements tragiques et en faits glorieux, dans une époque marquée par l’instantanéité en toute chose et par l’information en continu ? Faut-il une nouvelle loi ?
La multiplication des lois mémorielles et l’instauration d’un grand nombre de journées de commémoration ont fini – je le crois – par brouiller le message républicain et parfois même par cliver la Nation au lieu de la rassembler.
Les Français sont de moins en moins sensibles aux commémorations. En réalité, en 2016, les efforts devraient davantage porter sur la compréhension et la signification des commémorations que sur les actes de célébration.
De la même façon, j’ai pu constater que les associations d’anciens combattants manquaient parfois de bénévoles pour gérer les questions administratives, participer aux commémorations ou porter la parole dans les écoles. J’y vois un manque de solidarité vis-à-vis de ceux qui se sont sacrifiés pour la Nation, mais aussi une difficulté à assurer le passage de témoin entre les générations.
Nous sommes une fois de plus devant le paradoxe très bien décrit par Paul Ricœur dans son livre La mémoire, l’histoire, l’oubli, publié en 2000. Ainsi, en quelque sorte, nous conjuguons dénigrement de notre histoire nationale et goût prononcé pour l’inflation commémorative.
Mes chers collègues, il est impératif que les jours de souvenir renouent avec le rôle fédérateur que leur multiplication dilue. Cela correspond d’ailleurs à la conclusion des travaux de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques en 2008, laquelle estimait que de telles journées étaient « trop nombreuses » et de nature à « affaiblir la mémoire collective ».
Par conséquent, une journée dédiée à la mémoire de plus, même au sein de la seule institution scolaire, me semble inadaptée. Nous n’avons pas forcément besoin de nouvelles lois mais il nous faut revenir aux fondamentaux.
En outre, quel bénéfice collectif tirer d’opérations ponctuelles et limitées ? L’apprentissage de la citoyenneté et les initiatives pour la mémoire ne peuvent être réservés à une classe ou à un niveau scolaire. Enfin, après l’hypothétique journée pour la mémoire combattante, le sacrifice et les valeurs, quid du reste de l’année ? Ce travail doit s’inscrire dans la durée et la progressivité.
Puisqu’il s’agit d’objectifs pédagogiques avec l’école pour support, la place à accorder à ces sujets dans les programmes scolaires doit être plus grande. Il doit en être de même pour les enseignements de l’histoire et de l’éducation civique. Devant vous, je regrette d’ailleurs que les programmes aient largement fait place à la repentance et à l’interprétation politique qui a parfois pris le pas sur la présentation historique.
Une nation qui veut aller de l’avant et construire un avenir plus apaisé ne peut se complaire dans la haine d’elle-même et le ressassement de ses pages les plus sombres. Mes chers collègues, la France a souvent été un modèle pour le monde, ne l’oublions pas !
Depuis des années, nos armées sont engagées dans un combat contre le terrorisme global. Aussi, j’estime que nos enfants doivent le savoir, en étudier le contexte, et comprendre l’action de ceux qui ont pris part aux opérations, aujourd’hui comme hier, plutôt que de n’y penser qu’une fois par an.
Pour conclure, je tiens à remercier les auteurs de la proposition de loi, laquelle a le grand mérite de nous permettre de nous interroger sur cette question si importante.
Cependant, la voie législative ne me semble pas appropriée et notre groupe reste dubitatif quant à la pertinence de ce texte. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’adoption de la motion tendant au renvoi en commission.
J’ajoute que ce sujet mérite incontestablement d’être approfondi.
Je pense que la commission de la culture saura poursuivre ce travail, pourquoi pas en concertation avec le groupe d’études qui, au Sénat, s’occupe de la question des anciens combattants.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Pascal Allizard. En effet, lorsque l’on constate la lente dégradation du sentiment d’appartenance à la Nation, les atteintes à certains principes fondamentaux comme la laïcité, voire, parfois, les incivilités dont la multiplication fragilise notre vivre-ensemble, on mesure combien la tâche est immense et requiert, là encore, toute notre mobilisation.
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Allizard. Je conclus, monsieur le président.
Enfin, comme le rappelait le président Gérard Larcher dans son rapport intitulé La nation française, un héritage en partage, il paraît vraiment impératif de mieux valoriser l’engagement républicain sous toutes ses formes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Puissent les commémorations des deux guerres s’achever par la résurrection du peuple d’ombre […] ». Comme le déplorait André Malraux, le retour aux limbes de notre histoire est avant tout l’oubli et l’abandon de ceux par qui nous sommes ici.
Il est donc absolument essentiel, dans le cadre d’une politique mémorielle efficace, de rappeler les heures de lumière, mais aussi les temps sombres de notre histoire.
De ce point de vue, n’avons-nous pas à nous interroger sur l’usage qui est fait de nos cérémonies solennelles ?
Ces cérémonies ont longtemps eu pour vocation de créer une unité nationale, lorsque celle-ci était encore fragile et fugace, nos frontières en perpétuel mouvement.
Cet objectif peut-il être le même aujourd’hui ? Je ne le pense pas.
Quand bien même l’unité de la Nation serait l’objectif de nos commémorations, y parviendraient-elles ? Qu’elles soient respectées, du moins en apparence, et une unité superficielle est créée. Qu’elles soient perturbées, même de manière mineure, et une polémique traverse la communauté nationale de part en part.
Interrogeons-nous ! L’instauration à outrance d’hommages nationaux, minutes de silence et autres cérémonies solennelles atteint-elle sa cible ?
Je repère, pour ma part, deux écueils.
Premièrement, par trop souvent imposées et péremptoires, ces cérémonies ne sont que trop rarement comprises et exécutées sans retour critique.
Deuxièmement, leur multiplication tend à créer une réelle confusion sur les événements passés et à diluer un message pourtant essentiel.
D’ailleurs, permettez-moi de m’étonner que nous débattions aujourd’hui d’un texte visant à instaurer une énième journée de commémoration alors même que son exposé des motifs rappelle le nombre déjà élevé de telles journées.
Le contexte que nous connaissons, fait de montée des extrémismes de tout bord, impose une action sobre et efficace, non pas péremptoire, mais constructive et coconstruite. Nous extraire de l’émotion est la condition sine qua non à la compréhension des événements, de leurs tenants et de leurs aboutissants.
Au devoir de mémoire, je préfère donc les termes de réflexe du souvenir, de compréhension et d’enseignement pour l’avenir.
C’est, je crois, l’enjeu majeur de la pratique mémorielle, comme le préconisait la contribution de mon collègue Patrick Abate, à l’occasion du rapport d’enquête sur les valeurs républicaines à l’école.
En effet, l’école a son rôle dans la formation de la conscience mémorielle.
Parce que nous sommes issus du courant philosophique et politique des Lumières, nous voulons croire en une institution scolaire qui permette l’émancipation de la jeunesse par la raison et le savoir, et son intégration dans notre société.
Celle-ci est le fruit d’un passé, parfois glorieux, parfois honteux. Il semble essentiel de revenir sur l’ensemble de ces moments pour permettre à la jeunesse de notre pays de maîtriser les tenants et les aboutissants qui structurent, aujourd’hui, notre nation.
Les réformes portant sur les programmes scolaires et la formation des enseignants doivent donner aux professionnels l’ensemble des outils nécessaires à la transmission des valeurs de la République, non pas comme un étendard porté aveuglement, mais plutôt comme une prise de conscience de ses bienfaits, du bien-vivre ensemble. Dans ce cadre, l’instauration de rites républicains peut paraître dérisoire et ne constituer qu’un vernis destiné à rapidement craquer.
Malheureusement, le texte que nous examinons aujourd’hui contribue, à nos yeux, à cette dynamique de politique d’affichage, plutôt que d’être partie intégrante d’un travail en profondeur.
Nous préférons que soit privilégiée une revalorisation de l’enseignement de l’histoire, trop souvent maltraitée, mais aussi de l’éducation civique. C’est par cette formation transversale que nous donnerons aux jeunes les outils d’une compréhension critique de notre passé.
À ce titre, nous resterons vigilants quant au contenu des programmes issus de la réflexion du Conseil supérieur des programmes, où siègent nos collègues Marie-Christine Blandin et Jacques-Bernard Magner.
Bien évidemment, les initiatives citoyennes et pédagogiques comme le concours national de la Résistance et de la déportation sont à saluer, mais elles ne pourront jamais supplanter un enseignement régulier de l’histoire et des valeurs républicaines.
Par ailleurs, il suffit de regarder rapidement les programmes appliqués actuellement pour voir que la pratique mémorielle y est bien présente à tous les niveaux scolaires, dont les classes visées par la proposition de loi.
Ainsi, les élèves de CM2 étudient l’émergence des Lumières, la Révolution, les XIXe et XXe siècles ou encore la construction européenne et le mouvement de décolonisation. Ces éléments sont repris en cinquième, avec un focus sur la construction de l’État. Enfin, les classes de seconde approfondissent ces notions et revoient la citoyenneté antique ou encore la période médiévale.
De fait, les enseignants délivrent déjà l’enseignement que la proposition de loi cherche à transmettre, à la condition, bien évidemment, qu’ils puissent exercer dans de bonnes conditions, ce qui n’est pas toujours le cas !
Vous l’aurez certainement compris, mes chers collègues, nous ne pourrons que voter contre cette proposition de loi, qui dresse un constat sujet à caution et ne prévoit aucune solution pertinente pour améliorer la pratique mémorielle.
J’aimerais, une fois n’est pas coutume, terminer mon intervention par une citation d’un ancien Président de la République qui, s’il a été un adversaire politique, a su faire preuve de grandeur le 16 juillet 1995.
« Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays.
« Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur […] de ces journées de larmes et de honte.
« Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions.
[…]
« Quand souffle l’esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l’exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d’une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais. »
Mes chers collègues, vous aurez reconnu ici les propos de Jacques Chirac. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Roland Courteau et Jean-Louis Carrère ainsi que Mme Marie-Christine Blandin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi instaurant dans nos écoles un jour de mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française me laisse sceptique.
Elle me laisse sceptique quant à sa portée réelle.
L’éminent historien Pierre Nora, déjà cité, rappelait récemment que « toute commémoration est une transformation de l’événement passé au service des besoins du présent. Il en a toujours été ainsi. »
Cette proposition de loi est donc motivée par le constat que chacun peut faire depuis un an et que nous avions oublié depuis la fin de la guerre d’Algérie, à savoir que l’histoire est tragique.
Ce texte semble aussi motivé par le constat que, pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, des Français tuent d’autres Français.
En conséquence, cette journée de mémoire a pour objectif subliminal de réintroduire le roman national dans l’école, mais à dose homéopathique, à raison d’un jour dans le primaire, un jour au collège et un jour au lycée. L’intention est louable, mais un jour de mémoire tous les trois ou quatre ans, c’est la perle perdue dans le champ de ruines qu’est devenu l’enseignement de l’histoire de France dans nos établissements scolaires (M. Alain Néri opine.) et même, à bien des égards, dans nos universités.
Cette proposition de loi me laisse sceptique car elle traite timidement la conséquence - une mémoire collective affaiblie –, à défaut de s’attaquer à la cause - les programmes d’enseignement de l’histoire.
Comme Jeanne d’Arc a bouté les Anglais hors de France, notre Ve République, devenue libérale et libertaire, a progressivement bouté le roman national hors de l’enseignement de l’histoire.
Cette déconstruction a commencé dès les années soixante-dix. Depuis lors, que les ministres soient de gauche ou de droite, les manuels d’histoire ont de moins en moins vocation à former des citoyens et l’éducation n’a plus de « nationale » que le nom !
On a donc jeté par-dessus bord, ou mis à fond de cale, les pages glorieuses de notre roman national.
L’exemple est venu d’en haut. C’est ainsi que le Premier ministre de la France s’est bien gardé d’aller à Austerlitz, pour y célébrer le bicentenaire de la dernière grande victoire offensive que l’armée française a remportée, seule et contre tous.
Pourquoi n’y est-il pas allé ? Parce qu’un petit groupe de pression le lui a interdit, au motif que Napoléon a réintroduit l’esclavage dans les îles. Quel lien avec Austerlitz ? Aucun !
Il ne faut donc pas s’étonner que l’anachronisme, c’est-à-dire le jugement porté sur les événements historiques avec nos opinions d’aujourd’hui, se retrouve dans l’enseignement de l’histoire, à tous les niveaux.
Notre époque n’aime pas les héros historiques. Les moments de grandeur de l’histoire de France sont devenus tabous, car ils sont à l’exact opposé des valeurs marchandes du libéralisme.
En conséquence, notre époque aime les victimes. Elle recherche des coupables et les livre aux juges impitoyables d’internet.
Dans ces conditions, je ne vois pas comment ce nouveau jour de mémoire parviendra à sensibiliser les jeunes « aux sacrifices de leurs anciens ».
Le héros, celui qui s’est sacrifié pour une cause qui le dépassait, est devenu ringard car l’heure est à la repentance pour les fautes qu’auraient commises nos ancêtres. Il n’y a plus qu’au Maroc que l’œuvre du général Lyautey est encore reconnue.
À la repentance, s’ajoutent le relativisme et l’universalisme. Le royaume des Zoulous se retrouve quasiment au même niveau que le royaume de France, qui a fait notre pays. (M. le rapporteur sourit)
Dans ces conditions, comment la jeunesse de France peut-elle être fière de son pays, de sa langue, de sa culture et d’une civilisation qui est la fille de la religion chrétienne et des Lumières ? (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
Ernest Renan écrivait en 1882 : « L’existence d’une nation est […] un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de la vie ».
Ce plébiscite de tous les jours n’est plus l’objectif assigné à l’enseignement de l’histoire. Au contraire, les professeurs ont été progressivement amenés, par des gouvernements de tous les bords politiques, à enseigner l’histoire dans cette novlangue politiquement correcte, qui affaiblit les valeurs et les principes ayant cimenté la République et la Nation.
Avec un enseignement de l’histoire authentiquement républicain, nous ne connaîtrions pas aujourd’hui ce problème dramatique de l’affaiblissement de la mémoire collective et nous n’aurions pas besoin d’instaurer une journée de mémoire. Une journée parmi tant d’autres, qui participent déjà à la concurrence mémorielle.
Seul un enseignement de l’histoire revenu aux fondamentaux permettra à notre jeunesse de connaître le lien étroit entre l’histoire et la citoyenneté, dont la mémoire n’est qu’une composante.
En conclusion, et comme l’a écrit fort justement le président du Sénat, Gérard Larcher, la nation française est un héritage en partage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Mme Sophie Primas applaudit.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui rassemblés pour évoquer le devoir de mémoire et sa mise en œuvre auprès des jeunes.
L’intention de l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Vincent Delahaye, est louable et répond à un enjeu d’unité nationale.
Depuis plusieurs années, le devoir de mémoire est invoqué de manière récurrente et insistante par les associations, par les plus hautes autorités de l’État. Il est régulièrement inscrit dans la loi.
L’injonction au devoir de mémoire renvoie au motif légitime de la crainte de voir la mémoire submergée par l’oubli. C’est aussi garder la conscience juste et présente des événements du passé. Le passé se conjugue toujours au présent, mais il faut être vigilant pour que ce devoir de mémoire ne devienne pas pesant pour nos jeunes générations, qui ont aujourd’hui la responsabilité d’en entretenir le souvenir.
Toutefois, sans le remettre en cause, je me permets de manifester une certaine réticence face à la multiplication de cet exercice.
Plusieurs arguments viennent étayer cette position.
Je considère que l’histoire ne peut pas être absorbée par la mémoire. Quand l’histoire est une science, fondée sur la compréhension et l’interprétation, le savoir et la mise à distance, la mémoire, elle, repose plutôt sur l’affect, le vécu. Elle se maintient lorsque les gens revivent, réactualisent et transmettent ce vécu aux jeunes générations. Elle est donc nécessairement parcellaire et partielle. L’histoire est universelle, pas la mémoire. Un « devoir d’histoire » s’impose par lui-même, pas un devoir de mémoire, qui repose avant tout, selon moi, sur l’engagement de ceux qui transmettent l’histoire, la mémoire, notamment les anciens combattants.
La mémoire doit être aussi couplée avec la citoyenneté : chaque acte de la vie quotidienne doit être un acte de citoyenneté et participe en cela à notre devoir du souvenir de notre histoire.
Les commémorations et les échanges avec les anciens prennent ici tout leur sens et toute leur consistance. Ils permettent aux plus jeunes de prendre toute la mesure de l’engagement dans un contexte précis.
D’un point de vue pratique, les commémorations en France sont déjà très nombreuses. Comme le soulignait le rapport Kaspi de 2008, auquel a fait référence Claude Kern, on comptait douze commémorations publiques ou nationales en 2008 ; il y en a deux de plus aujourd’hui.
L’auteur du rapport poursuivait en expliquant que cette multiplication des commémorations entraînait une désaffection et une incompréhension de la part d’une très grande majorité de la population, affaiblissait la mémoire collective et encourageait des particularismes allant à l’encontre de l’unité nationale.
Enfin, si l’école est le lieu approprié pour la transmission de la connaissance, elle peut aussi mettre en œuvre des actions pédagogiques autour du devoir de mémoire à la condition qu’il y ait un engagement volontaire des enseignants, et cela autour d’un projet d’école construit. L’imposer nuira selon moi à la qualité des actions autour du devoir de mémoire et aura des effets inverses à ceux qui sont recherchés.
Plutôt que d’imposer un jour supplémentaire, je pense qu’il est plus opportun d’encourager les initiatives locales. Il appartient à chaque collectivité territoriale d’adapter aux particularités de chaque territoire l’organisation, si elle le souhaite, de journées de la mémoire qui associeraient élèves et anciens combattants, comme cela se fait déjà.
Les messages sont d’autant plus marquants pour les jeunes qu’ils peuvent être reliés à leur histoire, à celle de leur commune, voire à celle de leur famille. (M. Alain Néri s’exclame.)
Bien que l’enjeu soit fondamental de savoir se souvenir de notre passé pour construire notre futur, il n’apparaît pas opportun aujourd’hui d’adopter un texte dont les effets sont limités et les contours encore trop imprécis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel et M. Alain Néri applaudissent également.)