M. Michel Delebarre. Bien !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis 1959, la France et l’Allemagne sont liées par une convention fiscale en vue d’éviter les doubles impositions et d’établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.
Ce texte a été modifié trois fois, par trois avenants datant respectivement de 1969, 1989 et 2001.
Le présent projet de loi vise à autoriser l’approbation du quatrième avenant à cette convention, signé le 31 mars 2015 à Berlin et dont l’objet est de sécuriser et de clarifier, en particulier, la situation fiscale des salariés qui habitent la zone frontalière française et exercent leur activité dans la zone allemande et, surtout, celle des résidents de France percevant des pensions de retraite versées par l’Allemagne, au titre des assurances sociales légales allemandes.
Entre 50 000 et 70 000 « retraités d’Allemagne » vivant en France sont concernés par ces mesures, dont près de 30 000 résident en Alsace.
Le manque à gagner fiscal qui en résultera pour chaque État fera l’objet d’une compensation financière. Le premier versement par la France à l’Allemagne, qui aura lieu l’année suivant l’entrée en vigueur de l’avenant, est fixé à 22 millions d’euros. Il compensera la perte subie par les services fiscaux allemands sur les pensions de retraite versées à des personnes ayant travaillé sur son territoire et qui, à partir de 2017, paieront leurs impôts uniquement en France.
En tant qu’élu alsacien je ne peux, à l’instar de mon collègue du Bas-Rhin, que saluer cette démarche de clarification et de simplification fiscales.
Monsieur le secrétaire d'État, je peux vous assurer que ce texte est très attendu, notamment localement, par toutes les personnes qui ont eu affaire ces dernières années à un imbroglio juridique et administratif insensé.
En effet, la législation allemande a pendant longtemps exonéré les pensions versées à des non-résidents. Pour se mettre en conformité avec une décision du tribunal constitutionnel de Karlsruhe de 2002, l’Allemagne a modifié sa réglementation en 2005. Mais c’est seulement à partir de 2009 que les résidents français percevant des pensions allemandes ont commencé à recevoir des avis d’imposition de la part des services fiscaux allemands… Autant vous dire qu’ils n’y ont rien compris !
Depuis quelques années, c’est donc une double imposition que ces retraités se sont vu appliquer, en plus de modalités de gestion complexes.
Mes chers collègues, économiquement, une double imposition n’est pas acceptable ! Ses effets ne sont évidemment pas négligeables sur le budget des personnes concernées, qui, rappelons-le, sont retraitées.
Aussi, même si ce texte constitue indéniablement une avancée, permettez-moi de regretter qu’il vienne si tard et, surtout, qu’il ne règle pas la situation de celles et de ceux qui se verront encore réclamer par l’Allemagne, tout au long de l’année - et même au-delà, car le travail a à peine commencé du côté des services allemands -, des arriérés d’impôts pour des pensions perçues depuis 2009. Pour nos retraités frontaliers, ça tombe toujours comme à Gravelotte !
En effet, en 2016, les retraités devront encore établir une déclaration auprès des services fiscaux allemands et payer leur impôt dans le pays voisin. Ce n’est qu’en 2017 que ce problème sensible sera véritablement assaini, puisque c’est à cette date seulement que les bénéficiaires d’une retraite allemande vivant en France pourront déclarer leurs revenus et paieront leurs impôts en France.
Certes, je n’ignore pas qu’une convention fiscale du type de celle du 21 juillet 1959 peut difficilement être rétroactive. Mais, compte tenu des grandes difficultés que connaissent ces retraités du fait de l’application de cette convention modifiée désormais, il aurait été bon qu’une solution puisse être trouvée pour une application immédiate.
Certes, les élus alsaciens, notamment ceux qui, comme moi, sont membres du conseil régional, se sont naturellement attelés à résoudre cette question dès 2010. Ainsi, en 2013, un tournant décisif a pu s’opérer avec la mise en place d’une « task force retraite », composée d’agents et créée sous l’impulsion de la région Alsace. Depuis 2013, cette task force met à la disposition des retraités un véritable service d’assistance, pour les aider à répondre aux diverses demandes de l’administration fiscale allemande, bien entendu rédigées en langue allemande, à laquelle je répète qu’ils ne comprennent rien. Tout le monde ne parle pas l’allemand, même en Alsace, et je puis témoigner, pour les avoir eus au téléphone, que certains travailleurs frontaliers vivent à Pau ou encore à Carcassonne !
Au reste, le siège du service fiscal allemand demandeur ne se trouve pas sur le Rhin, mais dans le nord de l’Allemagne… Pour s’y déplacer, bonjour !
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’espère que vous mesurez maintenant les difficultés que certains retraités ou conjoints de retraités décédés peuvent rencontrer pour répondre aux demandes qui leur sont adressées.
Pour autant, était-ce bien aux élus régionaux d’assurer ce travail d’information à la place des États concernés ? Pour l’avenir – peu importe le passé –, il me paraît nécessaire que ce soit l’administration fiscale qui réalise elle-même l’information sur une nouvelle disposition de ce type. Monsieur le secrétaire d'État, nous comptons vraiment sur l’État français pour s’en charger chaque fois qu’une modification intervient !
Surtout, considérant que le public concerné par la modification de l’article 13 de la convention, opérée par l’article 6 de l’avenant, est en grande majorité composé de retraités et de personnes âgées, voire très âgées, il est à redouter que bon nombre de ces personnes ne seront pas totalement informées à temps des modalités déclaratives des revenus d’origine allemande.
Il serait d’ailleurs utile que, à l’échelle locale, une coopération des administrations fiscales soit vraiment organisée, voire qu’un pôle de compétence franco-allemand sur les questions fiscales soit créé. Ce pôle pourrait notamment avoir pour missions d’organiser des rencontres régulières entre les autorités fiscales – cela ne semble véritablement pas être le cas pour le moment –, d’identifier les problèmes dans le domaine fiscal et tout simplement de les faire remonter aux instances compétentes de chaque pays.
Que de difficultés avons-nous effectivement rencontrées, nous, les élus, pour sensibiliser les autorités fiscales aux problèmes que nous avons enregistrés par milliers ! Monsieur le secrétaire d'État, le travail quotidien de la task force et des structures d’information et de conseil en matière d’impôts, de sécurité sociale et de travail pour les transfrontaliers que constituent les Infobest a permis de repérer de manière précise des manques cruciaux sur le sujet.
Sans chercher à être exhaustif, je veux en citer trois. Tout d’abord, les centres des impôts français et allemands pourraient coopérer plus – ils ne semblent le faire actuellement que de manière très ponctuelle. Ensuite, les centres des impôts, quels qu’ils soient, sont dépassés par les questions de fiscalité internationale, qu’on le veuille ou non. Enfin, il n’existe quasiment pas d’informations fiscales précises dans la langue du voisin…
Aussi souhaitons que cet avenant soit le point de départ de discussions permettant de résoudre les différents points juridiques et fiscaux encore en suspens entre l’Allemagne et la France, que les auditions larges menées par le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale ont permis de mettre en exergue.
Enfin, je veux profiter de mon intervention à cette tribune pour redire toute l’importance des liens entre la France et l’Allemagne, notamment en zone frontalière, comme en Alsace, et pour me féliciter de toutes les avancées législatives qui permettent plus de fluidité entre nos deux pays.
En conclusion, ce texte n’appelle naturellement pas d’opposition. Il a d’ailleurs été adopté par l’Assemblée nationale sans discussion et notre commission des finances l’a adopté sans modification. Aussi, tout en souhaitant que nos observations soient prises en compte dans le détail, j’invite chacun à le soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’avenant à la convention fiscale franco-allemande dont ce projet de loi autorise la ratification, permet, notamment, de sécuriser la situation fiscale des salariés habitant la zone frontalière française et exerçant leurs activités en Allemagne et celle des personnes qui résident en France et perçoivent des pensions de retraite au titre des assurances sociales allemandes.
Je n’évoquerai, dans ma brève intervention, que la situation des titulaires de pensions allemandes résidant en France, puisque c’est une difficulté qui m’a fréquemment été soumise.
En effet, je suis plusieurs dossiers depuis qu’une décision du tribunal constitutionnel de Karlsruhe en 2002 a conduit l’Allemagne à modifier sa législation en 2005.
Depuis, les pensions de retraite versées par le système allemand aux retraités résidant en France sont assujetties à l’impôt sur le revenu allemand. Vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, ce sont environ 70 000 retraités du système allemand qui sont concernés par cette nouvelle mesure induisant une imposition plus lourde, ces non-résidents en Allemagne ne pouvant bénéficier des abattements auxquels ils auraient eu droit en France.
Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous féliciter de la signature de cet avenant à la convention fiscale, qui doit tout à la fois apporter simplification et clarification à la situation de nombre de retraités.
Je tiens également à saluer l’examen rapide de ce texte par le Parlement, ce qui permettra une application dès 2016.
Cela étant, il importe de rappeler que, l’administration allemande n’ayant commencé à exiger le paiement de cet impôt que depuis 2010 – ou 2009, selon certains de mes collègues –, les réclamations des arriérés sur cinq années ou plus demeurent extrêmement problématiques. Elles sont d’autant moins acceptées qu’elles correspondent à des sommes très importantes eu égard aux revenus des personnes concernées.
Cette situation met en lumière le manque de communication patent entre les services de retraite, les services fiscaux allemands et les contribuables concernés : les retraités allemands pensaient en toute bonne foi que le prélèvement était opéré à la source et les Français faisaient, quant à eux, une déclaration particulière, en France, sur un formulaire prévu à cet effet.
Si donc cet avenant est extrêmement bienvenu, je forme le vœu qu’un fructueux dialogue se poursuive entre nos deux pays, car d’autres difficultés fiscales demeurent, telle la double imposition des pensions alimentaires, partiellement assujetties à l’impôt en Allemagne et totalement en France.
Je terminerai en évoquant la situation dramatique de plusieurs dizaines d’employés d’un sous-traitant français d’Airbus à qui l’administration fiscale allemande réclame une centaine de milliers d’euros chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je remercie l’ensemble des intervenants de leur soutien à l’approbation de cette convention.
Je voudrais apporter quelques précisions aux remarques, toutes aussi légitimes les unes que les autres, qui m’ont été adressées.
Monsieur le rapporteur général, vous vous interrogez sur les fiducies. L’article unique de la convention vise les cessions d’actions, de parts ou de droits portant sur des biens immobiliers. Or l’analyse juridique que nous faisons du terme « droits » s’entend des participations y compris dans des trusts ou dans des fiducies. Je pense que vous voilà rassuré.
Beaucoup d’entre vous ont souligné la longueur de la procédure. J’avais envie de dire, avec l’accent de M. Requier (Sourires.) : jetzt langt’s mir aber ! Autrement dit, maintenant, ça suffit ! Il était effectivement temps que les choses aboutissent.
Les intervenants alsaciens se sont succédé à la tribune. Le calendrier n’a probablement pas permis à des Mosellans d’être présents aujourd’hui – je suis né en Moselle et je connais bien cette question des travailleurs et des retraités frontaliers, même si la situation des Luxembourgeois m’est plus familière. J’ai toujours eu à connaître de ces questions et j’avoue avoir modestement contribué à régler le problème, même si cela a pris trop de temps, j’en conviens.
Comment régulariser le passé ? Monsieur Reichardt, vous avez évoqué des difficultés. Je tiens toutefois à préciser qu’il n’y a pas de double imposition, puisque les contribuables peuvent faire valoir l’impôt payé dans un pays pour le déduire de l’impôt dû dans l’autre pays. Cela induit de la complexité administrative et des problèmes temporels, que personne ne nie - cela devrait d’ailleurs vous conduire à approuver la retenue à la source…
En effet, la convention s’appliquant au 1er janvier 2016, elle concernera bien les revenus perçus en 2016, mais les impôts seront à régler en 2017.
Pour régler ces questions de temporalité, l’idéal aurait été qu’une convergence fiscale complète puisse voir le jour en Europe, ce qui, à mon avis, n’est pas pour demain ni même pour après-demain…
Pour autant, nos services s’efforcent d’accompagner et de contacter leurs homologues allemands. Je connais également l’activité des associations de frontaliers et des élus pour informer et accompagner les personnes qui connaissent ces difficultés.
L’essentiel est d’éviter les doubles impositions. À l’avenir, les difficultés administratives disparaîtront. Il restera à gérer le passé.
Nous allons examiner dans quelques instants un avenant à une convention entre la France et le Luxembourg où il sera également question d’éviter les doubles impositions. Je note d’ailleurs que, conformément à leurs intitulés, la plupart des conventions fiscales – j’en ai regardé quelques-unes, pour différentes raisons – visent à éviter les doubles impositions. Pour ma part, je plaide pour un changement de vocabulaire : nous devrions conclure des conventions destinées à éviter non seulement les doubles impositions, mais aussi la non-imposition. Nous pourrions les intituler, par exemple, « conventions visant à régler les relations fiscales entre les pays »…
Je l’ai dit, nous avons le devoir, au-delà de ces progrès très importants et très attendus par les populations, d’établir des conventions plus conformes aux modèles, aux standards en cours d’élaboration.
Malheureusement, la gestion temporelle de ce type de relations est toujours un souci. Mais vous pouvez compter sur l’engagement du Gouvernement à poursuivre l’ensemble de ces travaux. Nous assurerons le maximum de publicité sur la mise en œuvre de cette convention et j’imagine que chacun, avec ses compétences et dans le rôle qui est le sien, pourra également assurer la diffusion des informations nécessaires afin que tout le monde puisse utiliser les dispositions que – c’est tout du moins ce que j’ai cru comprendre – vous allez adopter, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 21 juillet 1959 entre la République française et la République fédérale d’Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières, modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention du 21 juillet 1959 entre la République française et la République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières, modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001, signé à Berlin le 31 mars 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
M. le président. Je constate que le projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
9
Convention fiscale avec le Grand-Duché de Luxembourg (Première lecture)
Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation du quatrième avenant à la convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (projet n° 250, texte de la commission n° 261, rapport n° 260).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 5 septembre 2014, qui vous est soumis aujourd’hui, est un pas important dans la lutte contre l’optimisation.
En effet, il met fin à une situation dans laquelle des investisseurs intervenant depuis le Luxembourg pouvaient réaliser des plus-values immobilières en France sans pour autant s’acquitter de la moindre fiscalité sur ces gains.
C’est une situation bien évidemment inacceptable, emblématique de pratiques ciblées, au niveau international, que le projet BEPS, pour Base Erosion and Profit Shifting, entend interrompre.
Une première étape a été franchie en 2006, avec la signature d’un avenant permettant à la France d’imposer les plus-values et revenus sur des immeubles situés sur son territoire et détenus par des sociétés luxembourgeoises, ce qui a mis fin à une partie des situations de double exonération.
En revanche, il n’a pas été alors possible d’obtenir le même changement pour les cessions de biens détenus par l’intermédiaire de sociétés « à prépondérance immobilière ». Une lacune a donc subsisté.
Depuis lors, il apparaît que cette faille est utilisée par certains opérateurs pour continuer d’échapper à toute imposition. La France a donc maintenu et appuyé encore davantage sa demande visant à compléter l’avenant de 2006 en l’étendant aux immeubles détenus indirectement.
Le Luxembourg a finalement donné son accord lors d’une réunion ministérielle à Paris, le 16 mai 2014. Les négociations ont ensuite abouti à une signature le 5 septembre suivant.
Pour garantir la meilleure protection contre les abus, l’avenant ainsi obtenu couvre, outre les sociétés à prépondérance immobilière, tout type de structure-écran, notamment les trusts.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à le ratifier. Il portera un coup d’arrêt aux montages qui, dans ce secteur de l’immobilier, s’appuient sur de telles situations de sous-imposition.
Pour autant, là encore, l’urgence de mettre fin en priorité à cette situation extrêmement dommageable dans le secteur immobilier, caractérisée par cette non-imposition, ne nous empêche pas de constater que la convention fiscale avec le Luxembourg, qui elle date de 1958, doit faire l’objet d’une renégociation plus large.
Outre le besoin d’adapter le texte à l’évolution des relations économiques bilatérales – et elles sont très nombreuses - et du cadre juridique des deux États, le principal enjeu de ce chantier sera, pour nous, de travailler à l’insertion d’un ensemble de mécanismes anti-abus, en ligne avec les nouveaux standards du projet international majeur que constitue le BEPS.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, comme l’a rappelé à l’instant M. Eckert, la France et le Luxembourg sont liés depuis 1958 par une convention tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, convention déjà modifiée par trois avenants.
Nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner le projet de loi autorisant l’approbation du quatrième avenant à cette convention qui vise à mettre fin à une situation de double exonération ancienne.
En principe, les plus-values immobilières de source française font l’objet d’un prélèvement au tiers, en application de l’article 244 bis A du code général des impôts.
Toutefois, en raison d’une interprétation contradictoire de la convention franco-luxembourgeoise par les juridictions des deux pays, les plus-values immobilières réalisées en France par des sociétés luxembourgeoises sont totalement exonérées d’imposition, et ce depuis plus de vingt ans.
Cette situation de double exonération a donné lieu à des montages particulièrement préjudiciables pour les finances publiques - les médias s’en sont d’ailleurs parfois fait l’écho.
Pour ne prendre qu’un exemple concernant très directement le patrimoine immobilier de l’État, la perte de recettes liée à la non-imposition des plus-values dans l’affaire dite de « l’Imprimerie nationale » est estimée à 40 millions d’euros – un contentieux est toutefois en cours.
Un précédent avenant, signé en 2006, a permis à la France de récupérer son droit d’imposer les plus-values immobilières en cas de détention directe des immeubles.
Toutefois, le Luxembourg avait refusé d’appliquer ces nouvelles dispositions aux cessions de parts de sociétés à prépondérance immobilière, contrairement à ce que souhaitait la France. Aussi un recours accru à des schémas d’optimisation fiscale reposant sur l’interposition de sociétés à prépondérance immobilière a-t-il été observé, ces schémas permettant d’échapper à toute imposition.
Dès 2011, une nouvelle négociation a donc été engagée entre la France et le Luxembourg, qui a finalement abouti le 5 septembre 2014 à la signature d’un nouvel avenant à la convention.
Le présent avenant permet enfin de revenir sur l’absence totale d’imposition des plus-values immobilières, en transposant aux sociétés à prépondérance immobilière le principe de l’imposition dans le pays de situation de l’immeuble.
Aux termes de l’article 2 de l’avenant, les cessions jusqu’à présent exonérées de toute imposition ne pourront toutefois être taxées par la France qu’à compter du 1er janvier 2017, sous réserve d’une ratification conjointe avant le 30 novembre 2016.
Même si la France avait notifié sa ratification avant le 30 novembre 2015, une imposition des cessions effectuées à compter du 1er janvier 2016 n’aurait pas été possible, la ratification de l’avenant par le Luxembourg étant intervenue le 7 décembre 2015.
L’administration fiscale pourra toutefois mobiliser l’arme contentieuse en cas de réorganisation interne dont le seul objectif serait de faire échec à l’application des nouvelles dispositions prévues par le présent avenant, comme elle l’avait déjà fait avec succès après l’avenant de 2006.
En réalité, ce sont moins les délais d’entrée en vigueur du présent avenant qui me préoccupent que le maintien d’une fiscalité trop clémente pour les véhicules d’investissement immobilier.
Ces dernières années, la France a introduit dans plusieurs conventions fiscales une clause spécifique concernant les véhicules d’investissement immobilier, qui bénéficient, sous certaines conditions, d’une exonération d’impôt sur les sociétés en contrepartie d’une obligation de distribution des résultats. Il s’agit principalement des sociétés d’investissement immobilier cotées, les SIIC, et des organismes de placement collectif immobilier, les OPCI, prenant la forme de sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable, ou SPPICAV.
Cette clause prévoit que les distributions de dividendes effectuées par ces véhicules d’investissement immobilier peuvent être imposées à la source, sans restriction, par l’État d’établissement du véhicule. En France, vous le savez, le taux de retenue à la source applicable est ainsi de 30 %.
Une telle clause est notamment prévue par l’avenant à la convention franco-allemande que nous venons d’examiner. À l’inverse, le présent avenant ne comporte aucune clause spécifique concernant les véhicules d’investissement immobilier, comme l’ont d’ailleurs souligné de nombreux cabinets d’audit.
Or, en application des dispositions existantes de la convention, les véhicules d’investissement immobilier bénéficient d’une fiscalité particulièrement favorable.
Le deuxième paragraphe de l’article 8 prévoit la possibilité d’une retenue à la source en France, mais son taux est limité à 5 %, si la société luxembourgeoise détient au moins 25 % de la société française, et à 15 % dans les autres cas. En l’absence de clause spécifique, ces dispositions sont applicables aux dividendes distribués par les véhicules d’investissement immobilier.
Pour prendre un exemple concret, les dividendes versés par un OPCI français détenu à 25 % au moins par une société luxembourgeoise sont taxés à 5 % seulement en France et peuvent être indéfiniment exonérés d’imposition au Luxembourg…
Pour le Gouvernement, l’urgence de la mesure à prendre sur la non-imposition des plus-values immobilières commandait de réviser rapidement la convention sur ce seul point et de renvoyer les autres demandes de la France à une révision plus générale de la convention, comme convenu par les deux pays lors de la signature de l’avenant.
Toutefois, le Gouvernement nous a indiqué qu’il s’agissait d’un chantier très lourd, qui prendra certainement du temps, même s’il peut être facilité par l’évolution récente de la position du Luxembourg en matière de coopération administrative et de transparence fiscale.
Compte tenu de ces délais, il aurait sans doute été préférable de traiter l’ensemble du chapitre immobilier à l’occasion de l’examen du présent avenant.
Sous cette réserve majeure, la commission des finances vous propose toutefois, mes chers collègues, d’adopter le projet de loi sans modification, dans la mesure où il constitue indéniablement un pas dans la bonne direction. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE. –M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Décidément, en cette fin de session, nous voyageons ! (Sourires.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte de l’accord qui est soumis à notre examen est étonnamment court si on le compare à celui d’autres accords fiscaux. Il n’en revêt pas moins une importance majeure.
En effet, en introduisant, dans la convention fiscale qui nous lie au Luxembourg, une disposition prévoyant l’imposition, dans l’État de situation des immeubles, des gains résultant de la cession de participations dans des sociétés à prépondérance immobilière, il permettra de mettre un terme au développement de schémas d’optimisation via la création d’entités intermédiaires résidant au Luxembourg.
Dans la mesure où toute une industrie avait fleuri avec ce type de montages depuis plusieurs années, nous nous réjouissons que ce texte soit aujourd'hui soumis à notre examen. On peut toutefois se demander s’il n’existe pas d’autres types de schémas d’optimisation sur lesquels on devrait peut-être agir. On connaît en effet la fécondité de nos financiers en la matière. Pour autant, ne disposant de preuve d’aucune sorte, je n’en dirai pas plus.
La modernisation de la convention fiscale est d’autant plus opportune qu’elle tient compte des travaux de l’OCDE relatifs à la lutte contre l’érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices, qui ont abouti à l’accord BEPS. En effet, l’avenant couvre non seulement les gains réalisés sur des actions, mais aussi ceux qui résultent de l’aliénation d’intérêts dans d’autres entités n’émettant pas ce type de titres. Tel est notamment le cas des fiducies, que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur.
Cet accord est symptomatique du changement de cap engagé par le Luxembourg au cours des dernières années, et plus particulièrement depuis l’entrée en fonction du gouvernement Bettel. Alors qu’il a longtemps figuré parmi les États les moins coopératifs de l’Union européenne, le Grand-Duché tourne progressivement le dos à l’optimisation fiscale, ce dont nous nous réjouissons.
Sur le plan bilatéral, la signature, en 2009, du troisième avenant à la convention fiscale avait marqué un premier tournant. Conformément aux standards de l’OCDE, il permet à la France d’obtenir de nombreux renseignements de la part des autorités fiscales luxembourgeoises.
Un autre signe de changement a été la signature, en 2014, d’un accord dit « FATCA » avec les États-Unis, qui entrera en vigueur dans les prochains mois.
Sur le plan européen, le Luxembourg, à l’instar de l’Autriche, a levé son veto concernant l’adoption de la version révisée de la directive sur la fiscalité de l’épargne. Celle-ci a d’ailleurs été abrogée le mois dernier pour ne pas faire doublon avec le standard global de l’OCDE sur l’échange automatique d’informations. Nos voisins ont ainsi accepté de renoncer au secret bancaire à compter du 1er janvier 2017. Après la Suisse, le Luxembourg ! Bien que le chemin soit long et difficile, nous progressons. Un tel revirement était inimaginable voilà encore quelques années.
Le scandale dit « LuxLeaks » et la pression internationale ne sont sans doute pas étrangers au changement d’attitude des autorités luxembourgeoises. Peut-être faut-il y voir la volonté du Grand-Duché de s’acheter une conduite…
Par ailleurs, en matière de coopération, je note que le Luxembourg n’est pas encore complètement en ligne : le Grand-Duché n’a pas encore fait connaître sa position sur le projet de liste européenne des juridictions non coopératives ; il ne participe pas à la coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières et, à ma connaissance, il n’a pas beaucoup avancé sur la proposition relative à une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, l’ACCIS, que nous souhaitons relancer au niveau européen.
Malgré ces éléments, qui tempèrent notre optimisme pour ce qui concerne le Luxembourg, le présent avenant n’en demeure pas moins un très bon accord, dont notre groupe votera l’approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. - M. Jean-Claude Requier applaudit également.)