M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, le budget de la mission « Santé » de l’État, qui atteint 1,257 milliard d’euros, est sans commune mesure avec le montant des prestations de protection sociale, évaluées, pour 2014, en France, à près de 689 milliards d’euros, dont 244 milliards d’euros pour la santé.
Reconnaissons toutefois que les objectifs ne sont pas les mêmes. La mission « Santé » a un périmètre bien plus limité, l’essentiel des actions sanitaires relevant des lois de financement de la sécurité sociale.
Le projet de loi de finances pour 2016 tend à prévoir une augmentation de 4,7 % des crédits de la mission « Santé » par rapport à 2015. Le déséquilibre dans l’affectation des budgets entre les deux programmes de la mission est de plus en plus criant. Les crédits du programme 204 diminuent de 2,4 %, tandis que ceux du programme 183 augmentent de 10 %. Ces évolutions s’expliquent principalement par l’accroissement des dépenses d’AME. J’y reviendrai.
Tout d’abord, le programme 204 se caractérise par un maître mot : la rationalisation. Ce programme devra faire face à une baisse de crédits de 9 millions d’euros par rapport à 2015 pour financer, à titre principal ou complémentaire, huit opérateurs sanitaires de l’État. Il s’agit d’un effort important, car il fait suite à une diminution de 4,4 % des crédits en 2015. Plus de 100 équivalents temps plein seront supprimés sur la période couvant les années 2015 et 2016.
Dans une période de redressement des comptes publics, chacun doit faire sa part. Toutefois, si les efforts demandés aux agences sanitaires devaient s’ancrer à un tel niveau dans la durée, il serait à craindre que celles-ci ne soient plus à même d’assurer leurs missions.
J’en veux pour preuve le cas de l’ANSM, qui représente 40 % du budget du programme et se trouve dans une situation précaire. Créée en 2012, l’agence a vu le nombre de ses missions substantiellement augmenter. Elle doit être plus productive, mais les moyens pour répondre à un tel objectif n’ont pas suivi. Pis, depuis 2012, l’État n’a cessé d’amputer son fonds de roulement, preuve que le Gouvernement ne sait plus où chercher les économies, sans se risquer à des réformes courageuses, et pénalise les bons gestionnaires !
Les professionnels du médicament se plaignent des délais de l’ANSM, notamment s’agissant du traitement des demandes d’autorisation de mise sur le marché. Notre industrie pharmaceutique, l’un des fleurons de notre pays, doit pouvoir compter sur une agence nationale solide, réactive et modernisée pour perdurer et, surtout, maintenir sa place sur le marché national et au niveau européen.
La rationalisation demandée par le Gouvernement aux agences sanitaires passe aussi par des fusions. Il est vrai que le nombre d’agences publiques n’a cessé de se multiplier au cours des dernières décennies, ce que nous avons été plusieurs à critiquer.
Le projet de loi santé tend à prévoir, dans son article 42, la fusion de trois agences sanitaires centrées sur la prévention. L’INPES, l’INVS et l’EPRUS vont donner naissance à l’Agence nationale de santé publique. Espérons que, à terme, les synergies s’opèrent pour gagner en efficacité, car je regrette l’érosion des crédits de prévention alloués au niveau national, notamment concernant les maladies chroniques et la qualité de vie des malades. Cette mesure entre en contradiction avec les annonces gouvernementales inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou dans le projet de loi santé. Or chacun sait que la prévention réduit les dépenses de soins à long terme. Aujourd’hui, le nombre de patients en affection de longue durée se multiplie.
Par ailleurs, le budget du programme 183 semble devenu incontrôlable. Les crédits consacrés à l’AME progresseront de 10 % en 2016. Nous pourrions nous dire que cette forte hausse permettra de partir sur un budget sincère, n’appelant pas de rectificatif… Rien n’est moins vrai !
Comme l’indique notre rapporteur spécial, Francis Delattre – que je félicite, ainsi que ma collègue de la commission des affaires sociales, Corinne Imbert, de leur travail et de la clarté de leur exposé –, la prévision actualisée de dépenses d’AME pour 2015 est d’ores et déjà supérieure de près de 20 millions d’euros aux 744 millions d’euros de crédits inscrits pour ce dispositif en 2016. Dès lors, comment imaginer que le programme 183 ne sera pas sous-budgétisé ?
Depuis l’entrée en vigueur du dispositif, en 2001, les dépenses d’AME ont crû chaque année à un rythme soutenu. Ainsi, entre 2002 et 2015, les dépenses d’AME de droit commun sont passées de 377 millions d’euros à plus de 750 millions d’euros, soit une progression de près de 100 %.
Derrière le problème financier de la sous-budgétisation de l’AME, se cache en réalité la question du fonctionnement même de ce dispositif. Le droit de timbre de 30 euros a été supprimé en 2012. Je ne discuterai pas de l’opportunité de le rétablir, d’autant plus que faire payer une fois 30 euros ne permettra pas de financer le dispositif et ne dissuadera pas spécialement d’y avoir recours.
Dans la continuité des propos tenus par mon collègue Vincent Delahaye à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, l’instauration d’un ticket modérateur pour chaque prestation, permettant d’accéder à un panier de soins défini limitativement, serait une voie à approfondir.
Nous sommes en revanche réservés sur la proposition du rapporteur spécial Francis Delattre. Ce dernier suggère de diminuer de 200 millions d’euros les crédits de l’AME pour tirer les conséquences d’un article du projet de loi sur le droit des étrangers, tendant à remplacer l’AME par une aide médicale d’urgence. Nous aurons l’occasion d’expliquer plus en détail notre position lors de l’examen de cette proposition.
Nous sommes aujourd’hui dans une impasse avec un budget de l’AME en constante augmentation et en constante sous-évaluation. Le Gouvernement doit agir et clarifier ses positions, notamment en présentant un budget sincère, mais il doit avant tout mettre en place un système de contrôle et d’évaluation. Par exemple – ma collègue Corinne Imbert y a fait référence –, il serait souhaitable d’obtenir un accès aux informations contenues dans la base Réseau mondial visas 2 du ministère des affaires étrangères.
Enfin, il est regrettable de constater, une fois de plus, à l’instar de la Cour des comptes, que « pour faire face à l’insuffisance récurrente des crédits AME, toutes les autres lignes budgétaires du programme sont progressivement réduites, voire annulées ». Je veux citer en exemple l’annulation de la dotation de l’État au FIVA en 2014 et sa sous-budgétisation en 2015. Il est nécessaire que l’État s’engage plus fortement, en 2016, en faveur des victimes de l’amiante. Il ne doit pas laisser la seule branche AT-MP assumer cette charge.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas, en l’état, les crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
(Mme Jacqueline Gourault remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion du budget de la mission « Santé » de ce projet de loi de finances doit être menée, à notre avis, en parallèle avec l’examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé.
Alors que le Gouvernement a fortement communiqué sur les objectifs ambitieux contenus dans ce projet de loi en matière de prévention, l’augmentation du budget de la mission « Santé » est limitée à 4,7 %. Certes, ce taux dépasse le curseur des 3 % imposé par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, mais nous ne pouvons que regretter vivement les réductions de budget induites sur certaines actions.
Le Gouvernement a mis en avant les mesures de prévention destinées à lutter contre l’obésité et le cancer. En réalité, ces moyens supplémentaires ont été retirés à d’autres dispositifs. Ainsi, les crédits de l’action n° 12, Accès à la santé et éducation à la santé, ont diminué de 5 %, ceux de l’action n° 13, Prévention des risques infectieux et des risques liés aux soins, de 13,6 %, ceux de l’action n° 14, Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades, de 13,3 % par rapport à 2015.
En définitive, il s’agit d’un transfert de crédits, qui ne répond pas aux besoins de prévention, car, malheureusement, les enveloppes restent contraintes.
Dans le champ de l’accès à la santé et de l’éducation à la santé, par exemple, comment voulez-vous agir concrètement en amont des maladies si vous réduisez les moyens consacrés à l’éducation à la santé, premier pas vers une action globale en faveur de la prévention ?
L’accès et l’éducation à la santé permettent de prévenir les comportements à risque et de réduire leurs conséquences. Ces dispositifs s’adressent à tous les publics, y compris, et de manière prioritaire, aux populations les plus précaires. Pour notre groupe, une politique ambitieuse en matière de prévention ne peut reposer que sur une augmentation des moyens.
De même, comment voulez-vous lutter pour la « prévention des risques infectieux et des risques liés aux soins » en réduisant les moyens qui y sont consacrés de 8,3 millions d’euros ? D’autant que l’on constate une baisse de la vigilance dans les pratiques liées aux transmissions du VIH, des infections sexuellement transmissibles et des hépatites.
Madame la secrétaire d'État, je veux ici attirer votre attention sur la mise en œuvre d’un plan d’échange des seringues à l’intérieur des prisons, dont il n’est pas question dans cette mission, alors qu’il s’agit bien de santé publique !
Enfin, comment pouvez-vous réduire de 13 % les crédits de l’action Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades, alors même que vous indiquez que, « touchant près de 15 millions de personnes, ces maladies chroniques sont à l’origine de 60 % des décès, dont la moitié avant l’âge de 70 ans » et que, « à ce titre, elles constituent un défi pour le système de santé tant sur le plan financier que dans l’organisation des soins » ?
Le choix du Gouvernement consiste à opérer un recentrage des moyens destinés aux actions de prévention autour de la gratuité des examens de dépistage des femmes, la prévention de l’obésité chez les enfants à risque, la prise en charge intégrale du parcours de contraception des mineures.
Nous soutenons les choix que vous faites et les publics qui sont ciblés, mais nous déplorons que ces choix se fassent au détriment d’autres secteurs, alors que la prévention a toujours été le parent pauvre de la politique de santé publique. En outre, dans le projet de loi relatif à la santé, vous avez mis les centres de santé au cœur des politiques de santé publique, mais il s’agit maintenant de leur accorder les moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions.
Plus généralement, il faut agir sur les conditions de vie, de travail, l’information au système de santé, réduire les barrières financières, agir sur les déterminants de santé pour mener une politique de prévention à la hauteur des besoins. Nous en sommes malheureusement encore très loin.
S’agissant du programme « Protection maladie », dont 60 % des crédits sont destinés à l’aide médicale de l’État, nous devons augmenter les moyens pour les populations réfugiées. Vous l’aurez deviné, mes chers collègues, nous sommes en total désaccord avec l’amendement de la commission des finances : ce n’est pas un scoop !
L’État doit intervenir pour prendre en charge les soins sans distinction d’origine et de nationalité des malades, car il est de notre devoir de les soigner et d’éviter les risques d’épidémie. Nous refusons toute politique qui discrimine, exclut, oppose les populations entre elles, notamment parmi les plus pauvres et les plus fragiles.
Enfin, le projet de loi relatif à la santé, qui est actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, prévoit la réorganisation des établissements publics et entraîne une diminution de 3,1 % des subventions pour charge de service public allouées aux opérateurs sanitaires.
Cette diminution des crédits prévue en 2016 s’ajoute à la réduction de 4,4 % des dotations allouées en 2015. C’est d’autant plus paradoxal qu’il est dans les intentions du projet de loi d’améliorer le contrôle, notamment à la suite du scandale du Mediator.
En clair, vous demandez aux agences de faire plus avec moins de moyens ! Vous ne pouvez indéfiniment prétendre améliorer la transparence et la démocratie sanitaire si, dans le même temps, vous réduisez les effectifs et les subventions pour effectuer les contrôles. Membre du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, je sais les difficultés rencontrées.
Vous faites de la prévention du cancer du sein chez les femmes une priorité, mais, en parallèle, vous réduisez la subvention annuelle de l’Institut national du cancer de 6,5 millions d’euros. Comment voulez-vous améliorer la recherche dans ces conditions ? Je crois que le Gouvernement a une vision budgétaire à court terme qui, au fond, remet en cause la santé publique pour l’avenir.
Naturellement, il est difficile de dresser en si peu de temps le bilan d’une mission qui touche à de nombreux secteurs. Toutefois, avant de conclure, je veux souligner que notre groupe, malgré les critiques que j’ai formulées par ailleurs, est favorable à l’article 62 quinquies qui est rattaché aux crédits de cette mission : les associations représentant les victimes de l’amiante demandaient depuis de nombreuses années que celles-ci ne soient pas obligées de rembourser les sommes perçues indûment en raison de l’instabilité des règles d’indemnisation.
Mes chers collègues, nous jugeons les moyens de la mission « Santé » largement insuffisants et nous sommes choqués qu’en cette période de crise, d’afflux de populations chassées par les guerres ou le réchauffement climatique, le Sénat puisse proposer une diminution des crédits destinés à l’aide médicale de l’État.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre les crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson.
Mme Catherine Génisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, en préambule de mon intervention sur la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2016, je veux remercier avec respect toute la communauté soignante, qui, lors des odieux attentats du 13 novembre dernier, a accompli ses missions avec un investissement exemplaire.
Nous sommes fiers de la médecine en France, de celles et de ceux qui la servent, quels que soient leurs fonctions, leur mode d’exercice et leur lieu d’exercice. Rien ne sera plus comme avant ; il y a désormais un avant et un après-13 novembre. En tant qu’élus de la nation, nous nous devons de mesurer notre responsabilité. Le débat politique doit évidemment reprendre ses droits, car il est le fondement de la démocratie.
Lors de la réunion de la commission, notre rapporteur n’a pas souhaité donner un avis positif sur la mission « Santé » du budget 2016, en raison, en particulier, du programme 183 sur les crédits de financement de l’aide médicale de l’État. De ce fait, les sénateurs socialistes de la commission ont émis un avis négatif sur son rapport. Selon la règle mathématique « moins par moins égale plus », je ne perds pas espoir que notre débat devienne positif…
En tout état de cause, le groupe socialiste du Sénat accompagne le Gouvernement et émet un avis positif sur les crédits de la mission « Santé ». En effet, avec 1,26 milliard d’euros, ces crédits sont en hausse de 4,7 % par rapport à 2015. Si certains peuvent considérer cela comme insuffisant, l’augmentation est substantielle dans un contexte d’encadrement budgétaire.
Deux programmes placés sous l’autorité de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé se répartissent ces crédits : 44 % sont consacrés aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et à l’offre de soins – le programme 204 –, et 56 % à l’aide médicale de l’État – le programme 183.
La mission « Santé », dans le cadre de sa programmation pluriannuelle, s’inscrit dans une politique globale de santé et vise trois grands objectifs : développer la politique de prévention, assurer la sécurité sanitaire et organiser une offre de soins de qualité de façon égale et adaptée entre nos concitoyens et entre les territoires.
L’année 2016 sera marquée par une réorganisation des agences sanitaires, avec la création de l’Agence nationale de santé publique. Cette nouvelle agence, en regroupant l’ensemble des missions jusqu’alors dévolues à trois opérateurs – l’Institut national de veille sanitaire, l’InVS, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, et l’Établissement de préparation et de réponses aux urgences sanitaires, l’EPRUS –, doit permettre de développer une action plus efficace en matière de santé publique et d’améliorer la réponse aux risques sanitaires. Le groupe socialiste du Sénat approuve cette création et sera attentif à sa bonne mise en œuvre.
Mme la rapporteur pour avis, même si nous ne partageons pas sa vision globale sur la mission « Santé », fait des analyses intéressantes sur les difficultés rencontrées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, la subvention à cette agence représentant à elle seule 40 % du montant total du programme 204.
Nous serons attentifs aux évolutions touchant cette jeune agence, tant il semble qu’elle rencontre des difficultés d’organisation et de fonctionnement, comme l’ont mis en évidence la Cour des comptes en 2014 et l’Inspection générale des affaires sociales en 2015.
Après avoir souligné la qualité et l’intérêt du rapport de Mme Imbert sur certains aspects, j’en viens à ce qui nous oppose principalement sur cette mission, à savoir l’aide médicale de l’État, puisque c’est sur ce point précis que notre rapporteur justifie le vote négatif de la majorité sénatoriale.
Il me paraît important de faire un rapide rappel historique au sujet de l’AME, tant celle-ci alimente nombre de fantasmes et de contrevérités.
L’aide médicale de l’État, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est entrée en vigueur le 1er janvier 2000 et est octroyée sous de strictes conditions que je ne rappellerai pas, M. le rapporteur spécial les ayant déclinées. Toutefois, il faut savoir que l’aide médicale de l’État n’est pas née avec la réforme créant la couverture maladie universelle, en 1999 : les étrangers ont toujours été couverts par l’aide médicale depuis sa création au XIXe siècle, en 1893. Ce qui a changé en 1999, c’est que l’aide médicale est passée d’un système de couverture santé des démunis à un système de couverture santé des seuls étrangers démunis sans titre de séjour.
Les étrangers en situation irrégulière ont bénéficié de la couverture santé de droit commun dans des conditions identiques aux Français, soit en tant que personnes démunies, et ce depuis 1893, soit en tant que travailleurs, aucun titre de séjour n’étant demandé pour être affilié à la sécurité sociale de sa création en 1945 à 1993. C’est la réforme dite « Pasqua » de 1993 sur l’immigration qui a exclu les « sans-papiers » de toute prestation sociale, à l’exception de l’aide médicale.
Le dispositif de l’aide médicale de l’État a connu de nombreux aménagements. Ainsi, en 2007, ont été mises en œuvre des mesures destinées à en améliorer la gestion : création expérimentale d’un titre sécurisé, extension du dispositif du tiers payant contre génériques, contrôle médical étendu aux bénéficiaires de l’AME.
Malgré l’opposition de la gauche, plusieurs mesures remettant dangereusement en cause ce dispositif ont été votées en 2011 : restriction du panier de soins aux seuls actes dont le service médical est important ou modéré, ce qui est bien difficile à déterminer, création d’un ticket d’entrée annuel par adulte bénéficiaire de l’AME.
Conformément à l’engagement du Président de la République François Hollande, la gauche a supprimé, en 2012, le droit de timbre et l’obligation d’obtenir un agrément préalable pour la délivrance de soins hospitaliers programmés coûteux, les centres communaux et intercommunaux d’action sociale et les associations agréées pouvant de nouveau constituer les dossiers.
Parallèlement, la modification du mode de tarification à l’hôpital public des bénéficiaires de l’aide a permis, en 2012, de réaliser une économie de 25 % par rapport à ce qu’auraient coûté les séjours selon l’ancienne tarification. L’instauration du droit de timbre n’avait en réalité permis qu’une dégradation de l’état de santé des personnes concernées du fait du report des soins.
J’ai souhaité faire ce rapide rappel historique pour la sérénité de nos débats. Je veux, mes chers collègues, insister sur le fait que, pendant longtemps, l’hôpital a associé une fonction d’hospitalité à une fonction soins pour les plus démunis. D’ailleurs – Alain Milon ne me démentira pas –, le centre hospitalier universitaire de Lille s’appelait la Cité hospitalière.
Je veux également rappeler l’action entreprise par Xavier Emmanuelli avec le SAMU social, sous la présidence de Jacques Chirac, assurant l’hospitalité pour les plus démunis en lien avec les actions des collectivités locales, essentiellement les municipalités et les départements, l’hôpital se recentrant plus spécifiquement sur sa fonction soins.
L’aide médicale de l’État a un coût budgétaire important, je n’en disconviens pas : 744 millions d’euros, en progression de 9,9 % par rapport aux crédits initialement alloués. Toutefois, c’est une dépense totalement légitime, au titre de l’humanisme, de la solidarité, mais aussi en termes de santé publique.
Je suis très concernée par ce sujet, étant élue d’un département, le Pas-de-Calais, qui connaît une crise très importante dans l’accueil des migrants. Je puis vous garantir que ceux d’entre eux qui souhaitent bénéficier de l’aide médicale de l’État ne sont pas des fraudeurs.
S’il faut être attentif à la fraude – le Gouvernement l’est, comme nous le sommes tous collectivement –, je veux insister sur ce constat : dans les cas de détournement, il y a deux protagonistes, à savoir ceux qui le sollicitent et ceux qui en permettent la réalisation.
En conclusion, je veux dire une nouvelle fois que le groupe socialiste du Sénat votera les crédits de la mission « Santé » du budget 2016. Dans le contexte très particulier que nous vivons, il me paraît important de nous retrouver sur l’essentiel, à savoir nos valeurs humanistes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteur pour avis, au moment où l’Assemblée nationale vote le projet de loi relatif à la santé, je tenais à exprimer, au nom de mon groupe, notre étonnement face à l’entêtement du Gouvernement, qui s’obstine à faire voter un texte qui fait toujours l’unanimité des professionnels de santé contre lui.
De notre point de vue, ce texte aurait mérité de faire l’objet d’un moratoire, d’autant plus que la mesure la plus emblématique qu’est le tiers payant généralisé et obligatoire ne doit être appliquée qu’en 2017. L’urgence était donc d’entendre les professionnels et non de persister dans une voie qui mettra à mal l’équilibre entre les deux piliers de notre système de santé, à savoir la médecine publique et la médecine libérale.
J’en viens à l’examen des crédits dévolus à la mission « Santé », qui peuvent paraître bien dérisoires comparés à ceux du projet de loi de financement de la sécurité sociale, alors qu’ils n’en sont pas moins importants, puisqu’ils traitent à la fois de la prévention, de la sécurité sanitaire et de l’aide médicale d’État.
Toutefois, force est de constater que, à l’image du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le projet de loi de finances pour 2016 manque de souffle, notamment en matière de prévention.
Certes, le projet de loi relatif à la santé contient des mesures sur le renforcement de la lutte contre la consommation excessive d’alcool, en particulier chez les plus jeunes, sur l’information des jeunes adultes en ce qui concerne l’examen de santé gratuit, sur la signalétique nutritionnelle sur les emballages alimentaires, mesures que nous avons d’ailleurs approuvées.
J’appelle néanmoins votre attention, mes chers collègues, sur les crédits de l’action Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades », du programme 204. Cette action baisse de plus de 13 % par rapport à la loi de finances initiale de 2015, pour être dotée de 54,3 millions d’euros. Elle contribue, en termes de volume, davantage aux efforts d’économies que toutes les autres actions de ce programme réunies. Pourtant, les mesures liées à l’accompagnement des personnes atteintes de maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson, devraient être à mon sens l’une des priorités. Là encore, le Gouvernement manque d’ambition.
Cette mission manque également de propositions de réformes, tout particulièrement s’agissant de l’aide médicale d’État. Ce sujet récurrent mérite que nous l’abordions de manière sereine. Nous nous retrouvons tous pour affirmer que ce dispositif est nécessaire en matière de santé publique. Toutefois, il n’est pas raisonnable de se contenter, à chaque projet de loi de finances, d’approuver une augmentation substantielle des crédits dédiés à l’AME.
M. le rapporteur spécial a très bien décrit la situation. Dans le rapport sur le projet de loi de finances pour 2015, le recensement des dispositifs existants dans d’autres pays européens est riche d’enseignements ; je retiendrai les deux suivants.
Tout d'abord, sur une sélection de douze pays, seuls trois – la France, la Belgique et l’Italie – autorisent l’accès à des soins de santé sans frais au-delà des services d’urgence, sous certaines conditions.
Ensuite, l’AME, telle qu’elle existe en France, se distingue par son caractère très large de l’accès aux soins gratuits. L’Espagne, qui disposait jusqu’à une date très récente d’un dispositif proche de celui qui existe en France, a revu drastiquement les conditions d’accès aux soins gratuits pour ces populations en 2012, principalement en réponse à la crise financière affectant le pays.