M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vais tâcher d’être plus convaincant que précédemment. Je m’applique, croyez-le bien, mes chers collègues. (Mme Laurence Cohen sourit.)
Si j’ai souscrit à l’allongement de la durée de maintien à domicile d’une personne assignée à résidence, c’est en considération du fait qu’inscrire une telle durée maximale dans la loi n’emportait pas obligation pour de porter la durée de l’astreinte à douze heures dans tous les cas de figure !
La personne peut en effet être astreinte à demeurer dans le lieu fixé deux heures, quatre heures, huit heures, dix heures ou bien douze heures.
Mme Éliane Assassi. Oui, douze heures !
M. Philippe Bas, rapporteur. Cette mesure nous permet d’accorder un pouvoir d’appréciation plus grand à l’autorité de police. Celle-ci pourra ainsi déterminer quelles sont les meilleures conditions pour assurer la surveillance d’une personne dont le comportement pourrait constituer une menace.
C’est la raison pour laquelle, sans toutefois recommander de fixer systématiquement la durée du maintien à domicile à douze heures, il me semble utile de le rendre possible.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
Mme Éliane Assassi. Ah ? (Sourires.)
M. Daniel Raoul. Au cas où on en aurait douté !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans le texte initial du Gouvernement figurait la durée de huit heures que vous évoquez, monsieur Favier. Par conséquent, je ne peux pas être choqué par votre proposition.
Depuis lors, un débat a eu lieu à l’Assemblée nationale lors duquel un amendement a été présenté par un parlementaire de la majorité gouvernementale – pour être tout à fait transparent. Après une longue discussion, nous sommes parvenus à un point d’équilibre qui correspond au texte sur lequel le Sénat est amené à se prononcer en cet instant.
Rétablir une durée d’astreinte de huit heures reviendrait à remettre en cause le point d’équilibre entre l’exigence de liberté et l’exigence de vigilance ou de sécurité que nous avions trouvé au terme du long débat que j’évoquais.
Dès lors que nous avons accepté cet équilibre, il ne serait pas convenable que je vienne vous dire aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons changé d’avis, en l’espace de vingt-quatre heures.
Si l’on veut que cette loi recueille l’approbation d’un maximum de parlementaires, il faut que les engagements pris dans une assemblée soient respectés dans l’autre assemblée et que l’on parvienne à conserver le bon équilibre. Or, à l’issue de la discussion et de la réflexion, cet équilibre des douze heures nous apparaît comme le bon !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est donc pas la peine d’en discuter !
M. le président. Monsieur Favier, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?
M. Christian Favier. Sans vouloir prolonger inutilement les débats, je crois que notre assemblée a également un rôle à jouer, monsieur le ministre.
Les députés ont certes toute légitimité pour formuler des propositions d’amélioration du texte, je l’entends bien, mais nous avons aussi notre rôle à jouer.
Si certains d’entre nous ont un avis à donner sur les différents sujets abordés dans ce texte – c’est le cas de notre groupe –, nous pensons que le Sénat doit aussi pouvoir les laisser s’exprimer dans le sens qu’ils souhaitent.
C’est la raison pour laquelle nous maintenons évidemment notre amendement.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 13, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Cette interdiction est levée dès qu’elle n’est plus nécessaire ou en cas de levée de l’assignation à résidence.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Un régime d’exception mérite une attention toute particulière, au nom de la protection de nos libertés fondamentales, des équilibres structurels de notre État de droit et du principe de la séparation des pouvoirs.
Les dispositions sur l’assignation à résidence prévues par le présent projet de loi s’accompagnent d’une mesure d’interdiction de contact – direct ou indirect – avec certaines personnes. Dans le projet de loi initial, cette interdiction était levée à l’issue de l’assignation à résidence, simultanément. Or la modification introduite par l’Assemblée nationale permet précisément de maintenir cette interdiction après la levée de l’assignation à résidence.
Nous proposons donc de revenir au texte initial du projet de loi, qui nous semble plus équilibré et plus protecteur des libertés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement, car elle estime que l’équilibre trouvé à l’Assemblée nationale est satisfaisant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Beaufils, l'amendement n° 7 est-il maintenu ?
Mme Marie-France Beaufils. Oui, je le maintiens, monsieur le président. Comme vient de le dire notre collègue Laurence Cohen, lorsque l’on vote un tel texte, on sait que cela ne vaut pas seulement pour trois mois.
M. Daniel Raoul. Ah bon ?
Mme Marie-France Beaufils. Il faut toujours se projeter vers l’avenir, mon cher collègue.
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 13
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Dans le cas d’une prorogation de l’état d’urgence pour une durée de trois mois, la personne assignée à résidence est présentée au juge des libertés et de la détention, à l’expiration d’un délai de trente jours.
« Après audition de l’intéressé, le juge des libertés et de la détention décide de la prolongation ou non de l’assignation à résidence, et des obligations imposées à l’intéressé lors de cette prolongation.
« Cette prolongation peut être autorisée à deux reprises pour une durée de trente jours.
« Les décisions du juge des libertés et de la détention sont susceptibles de recours devant le premier président de la cour d’appel, ou son délégué, qui statue dans le délai de quarante-huit heures.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit de transposer à l’assignation à résidence les dispositions prévues aux articles L. 122-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : le juge administratif est le garant de la légalité de l’assignation à résidence, quand le juge judiciaire est le garant des libertés, en application de l’article 66 de la Constitution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. S’agissant d’une mesure de police administrative, il nous semble que le plus efficace pour y mettre fin est de déposer un recours devant la juridiction administrative, sur le fondement de son illégalité.
Nous n’avons donc pas besoin d’en passer par ce type de procédure.
Mme Éliane Assassi. Qui existe pourtant !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Assassi, je pense que vous vous souvenez de nos discussions sur les mesures de police administrative lors de l’examen de la loi relative au renseignement. (Mme Éliane Assassi opine.)
Un débat nous opposait alors sur le fait de savoir si le contrôle des mesures de police administrative par le juge administratif – dont c’est le rôle – était contraire à l’article 66 de la Constitution.
Le Gouvernement n’a pas changé de position, car c’est l’état du droit en France : lorsqu’il s’agit de mesures de police administrative, la meilleure garantie dont dispose le citoyen est de saisir, en référé, le juge administratif, qui peut alors statuer en quarante-huit heures.
Or cette garantie existe dans le cadre des dispositions du présent texte. La préoccupation que vous formulez, madame la sénatrice, se trouve de ce fait entièrement satisfaite.
Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Madame Assassi, l'amendement n° 10 est-il maintenu ?
Mme Éliane Assassi. Oui, je le maintiens.
M. le président. L’amendement n° 4, déposé par M. Louis Nègre, n’est pas soutenu.
La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote sur l'article.
M. Alain Richard. Je ne peux que voter cet article 4, surtout au terme des échanges qui viennent de se dérouler et qui ont amplement éclairé le sujet.
Ce que je tiens simplement à souligner pour les collègues qui s’interrogent sur l’utilité de la révision constitutionnelle qu’a proposée le Président de la République lundi, c’est qu’une bonne partie des échanges que nous venons d’avoir sur le fond montrent que la loi de 1955 contient des dispositions qui relèvent sur certains points de la Constitution.
Par conséquent, il est logique que nous travaillions à ce qui deviendra le texte du deuxième alinéa de l’article 36 de la Constitution, le premier alinéa de cet article correspondant à l’état de siège.
En effet, si l’on veut proposer, par exemple, que le Parlement dispose de droits spécifiques à l’égard du Gouvernement pendant cette période d’état d’urgence, il faut savoir que cette disposition ne pourrait figurer que dans la Constitution !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Comme l’a souligné ma collègue Marie-France Beaufils, à situation exceptionnelle, réaction exceptionnelle ! C’est d’ailleurs ce qui a conduit notre groupe à voter l’article 1er de ce projet de loi, article tendant à prolonger l’état d’urgence.
Toutefois, nous ne souhaitons pas voir s’instaurer une situation d’exception et, de ce point de vue, nous sommes inquiets.
Sous couvert de lutte antiterroriste, ce même projet de loi nous présente en effet des modifications d’envergure de la loi du 3 avril 1955 – cela a déjà été souligné -, tout particulièrement au travers de cet article 4 : assignation à résidence, augmentation du quantum de la peine, modification des mesures tendant à dissoudre des associations ou groupements suspects d’atteinte grave à l’ordre public.
En outre, et nous le regrettons vivement, les modifications apportées par la commission des lois de l’Assemblée nationale, avec l’assentiment du président de la commission des lois du Sénat, tout en contournant d’une certaine manière le débat parlementaire, renchérissent pour toujours plus de sécurité.
Ces mesures nous posent question quant à leur aspect attentatoire à nos libertés publiques et requièrent toute notre vigilance.
Nous avons présenté plusieurs amendements : ils ont tous été rejetés. Je pense notamment à ce que nous proposions sur la saisine du Conseil constitutionnel – pourtant un minimum en matière de contrôle.
Mais il n’y a pas que sur les travées du groupe communiste, républicain et citoyen que l’on s’inquiète de l’information du Parlement et de l’absence de contrôle démocratique, mes chers collègues. À l’Assemblée nationale, un parlementaire d’une autre sensibilité que la nôtre – l’UDI, pour ne pas la nommer – a proposé une commission de contrôle. Son amendement a également été rejeté !
Donc, toutes ces dispositions nous interrogent vraiment.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut un contrôle démocratique de toutes ces mesures d’urgence. C’est pourquoi, et ce sera ma conclusion, nous ne voterons pas cet article 4.
M. Philippe Dallier. On s’en serait douté !
Mme Éliane Assassi. C’est mieux en le disant !
Mme Laurence Cohen. Pour finir tout à fait, permettez-moi de citer Patrick Chamoiseau : « La sécurité absolue n’existe que dans les fictions totalitaires, le déshumain glacial, jamais dans les démocraties ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Cette explication vaut pour l’ensemble du texte, mais les propos de Mme Cohen m’amènent à réagir dès à présent.
Depuis quelques jours, certains cherchent à opposer les notions de sécurité et de liberté, et des phrases circulant sur internet sont reprises dans les journaux. Ainsi Mme Éliane Assassi a-t-elle voulu citer Benjamin Franklin.
Mme Éliane Assassi. Je l’ai cité !
M. Jean-Claude Lenoir. Je dois dire que la citation n’était pas exacte, et le contexte dans lequel une phrase s’en rapprochant a été formulée n’est pas celui que nous connaissons aujourd'hui.
En réalité, la phrase en question n’a pas été prononcée par l’un des pères de la Constitution américaine de 1787 dans le cadre des travaux préalables à l’élaboration de ce grand texte. C’est en 1755 que Benjamin Franklin, à propos d’un conflit très local entre fermiers, a eu ces mots – assez différents de ceux qui ont été repris : « Ceux qui peuvent renoncer à une liberté fondamentale au profit d’une petite sécurité temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité ».
En l’occurrence, je ne pense pas porter atteinte à une liberté fondamentale en votant ce texte, et je ne crois pas qu’il s’agisse d’une « petite sécurité temporaire » ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.
M. René Vandierendonck. Je tiens à saluer, très modestement, la façon dont les présidents des deux commissions des lois ont travaillé.
L’apport de l’Assemblée nationale me paraît tout à fait fondamental. Pour la première fois dans l’histoire de la mise en œuvre de l’état d’urgence sous la Ve République – nous en sommes à la sixième reprise –, le Gouvernement accepte un contrôle au long cours des conditions dans lesquelles cette mesure temporaire se met en place.
Je voulais souligner, monsieur le président de la commission des lois, les positions très fortes que vous avez prises, ce que M. Jean-Jacques Urvoas a eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître. On sait très bien que certains, à l’Assemblée nationale, envisageaient de remettre en cause la séparation entre police administrative et police judiciaire.
Constatons donc, monsieur le président, que, dans cette affaire, le bicaméralisme a plutôt bien fonctionné !
M. le président. Mais j’en étais certain, mon cher collègue !
La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote sur l'article.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tout à fait respectueux du droit d’amendement, mais nous mesurons l’importance de cet article 4, tel qu’il a été adopté par la commission des lois, un article fondamental dans un texte d’une telle portée. Nous parlons de dispositifs d’urgence, destinés à lutter contre le terrorisme et à assurer la sécurité des personnes. C’est indispensable !
Je m’associerai à cette prise de conscience collective en votant l’article 4, conformément au travail de la commission des lois.
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour explication de vote.
Mme Hermeline Malherbe. Mon explication de vote vaudra, plus généralement, pour l’ensemble du projet de loi, monsieur le président.
Je lisais ce matin dans un journal, au sujet de ce texte : « Jamais les Français n’ont semblé à ce point prêts à voir leurs libertés rognées au nom de la lutte contre le terrorisme ».
Je crois, au contraire, que les Français sont attachés plus que jamais à leurs libertés : liberté d’aller et venir, liberté de travailler, liberté de se divertir, au stade comme au spectacle, donc liberté de se rassembler. Pour cela, il est nécessaire que les Français se sentent, que nous nous sentions tous en sécurité. Nous ne sommes pas libres si nous avons peur, peur de sortir ou peur de l’autre, quel qu’il soit.
S’il est important de se poser la question des libertés, aujourd'hui, contrairement à ce que l’on entend parfois, on ne constate aucune droitisation de la réponse.
C’est à l’inquiétude de nos concitoyens face à l’atteinte aux libertés perpétrée par les terroristes que la réponse est donnée, une réponse à la fois ferme et responsable, et qui s’inscrit dans notre République, à la fois démocratique et laïque.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui exige de nous, parlementaires, sang-froid et sens des responsabilités.
Ainsi, je souhaite rappeler l’insertion dans la loi de 1955, sur l’initiative d’un député socialiste, d’un article 4-1 tendant justement à insister sur les mécanismes de la démocratie parlementaire. J’en profite aussi pour évoquer l’alinéa 35 du présent article 4, qui, issu d’une initiative du groupe radical à l’Assemblée nationale, traite de l’apologie des actes terroristes via internet.
J’étais hier dans mon département, à la rencontre de jeunes - apprentis, lycéens, étudiants –, à la rencontre d’acteurs socio-économiques. J’étais, ce matin même, avec les maires et les parlementaires des Pyrénées-Orientales, qui avaient répondu nombreux à l’invitation de Mme la préfète. Je suis d’autant plus convaincue que c’est en votant ce projet de loi que nous pouvons le mieux préserver les libertés de l’ensemble de nos concitoyens, notre art de vivre, notre art de vivre ensemble.
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. L’examen de cet article 4 nous a conduits à largement évoquer les notions de dérive sécuritaire et de restriction des libertés. Pour ma part, je tiens à remercier M. le ministre, ainsi que tous ceux d’entre nous, mes chers collègues, qui vont voter ce texte, car j’ai le sentiment que ce dernier nous redonne au contraire de la liberté.
On recense dans mon département un certain nombre de jeunes – quarante, précisément - qui reviennent de Syrie. Ces jeunes sont bien connus ; ils détiennent des armes, nous le savons. Mais, jusqu’à présent, en l’absence de faits concordants et graves, ils avaient été laissés en liberté. Avec un texte plus précis à notre disposition, nous allons probablement pouvoir les retirer de la circulation. Et c’est précisément en leur ôtant cette liberté de circulation que nous aurons, nous, plus de liberté pour circuler !
Voilà pourquoi je tiens à remercier M. le ministre et tous les collègues qui soutiennent le texte : enfin, on va pouvoir circuler dans un certain nombre de nos quartiers, autour d’Orléans ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote, toujours sur l’article 4.
Mme Anne-Catherine Loisier. Comme la plupart de mes collègues, je voterai cet article 4. Néanmoins, monsieur le ministre de l’intérieur, vous savez qu’un certain nombre de questions demeurent, notamment sur la place, dans cette procédure d’état d’urgence, des services armés des douanes, présents sur terre, air et mer.
J’espère que vous aurez l’occasion de nous apporter plus de précisions, car ces services jouent un rôle essentiel dans les dispositifs étendus et dans la coordination nationale des actions entreprises, compte tenu de la situation de notre pays.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je souhaite intervenir à ce stade du débat, en tant que sénateur de Paris, vivant depuis trente-cinq ans dans les quartiers qui ont été touchés, pour souligner à quel point les expressions publiques du Premier ministre et du procureur de la République, en mettant sur les faits des mots justes, précis, professionnels, au moment même où tout et n’importe quoi circulait sur les réseaux sociaux, ont été de nature à créer cohésion et confiance.
Cette loi est attendue, mes chers collègues, mais la question de l’urgence a toujours suscité le même débat chez les républicains : comment assure-t-on la sécurité et la protection des plus faibles - les autres ont parfois les moyens de se protéger autrement que par la puissance publique -, comme condition de l’exercice de la liberté ?
L’Assemblée nationale, en écartant toute disposition susceptible de se traduire par un contrôle de la presse et des médias, n’a pas alimenté ce débat, et c’est tout à l’honneur du Parlement.
Pour montrer à quel point la défense de la liberté de nos concitoyens passe par la défense de leur sécurité, projetons-nous un an en arrière : c’est par l’attaque de ce qui symbolise le plus la liberté d’expression, c’est-à-dire la liberté de la presse au travers de Charlie Hebdo, que tout a commencé !
La prorogation de l’état d’urgence et les mesures qui nous sont proposées dans ce cadre visent précisément à défendre cette liberté d’expression. Imaginez un pays faisant face à la situation que nous venons de connaître, dans lequel l’ensemble des personnalités publiques, des créateurs et des artistes, mais aussi des journalistes s’autocensureraient par crainte de représailles…
Ces mesures, j’y insiste, préservent cette liberté d’expression et de création dont notre pays a besoin.
Mme Sophie Primas. Quelle volte-face !
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
(Suppression maintenue)
Article 6
(Non modifié)
L’article 15 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 précitée est ainsi rétabli :
« Art. 15. – La présente loi, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, est applicable sur l’ensemble du territoire de la République. » – (Adopté.)
Article 7
(Non modifié)
Le 3° des b et c, le 2° du d et le 3° des e, f et g de l’article 17 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 précitée sont abrogés. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour notre pays, pour les valeurs qu’il incarne, pour nos concitoyens, qui attendent de notre part, après ces événements dramatiques, une réaction sécuritaire forte, le groupe Les Républicains votera ce texte. Ce n’est pas une surprise,…
M. Jean Desessard. Effectivement !
M. François-Noël Buffet. … mais je tenais à le dire clairement.
J’adresse, au nom de notre groupe, mes remerciements aux présidents de deux commissions des lois de nos assemblées : je parle bien sûr de notre collègue Philippe Bas, ici présent, mais également de son homologue de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas. Tous deux ont su trouver les équilibres nécessaires à la modification de la loi de 1955, et, comme le débat l’a révélé cet après-midi, en assurer la sécurité juridique.
Je redis aussi au nom de notre groupe notre admiration et adresse nos remerciements les plus sincères à l’ensemble des services qui sont aujourd’hui engagés – comme ils l’ont été et le seront toujours –, non seulement nos services de police, de renseignement et de santé, mais également nos militaires. Qu’ils sachent qu’ils peuvent compter sur nous !
Monsieur le ministre, le Parlement va dans quelques instants vous donner des pouvoirs importants pour continuer ce combat.
Winston Churchill, en 1941, s’adressait en ces termes au Président Roosevelt : « Donnez-nous les outils, nous finirons le travail. » Monsieur le ministre, il faut maintenant continuer le travail, sans faiblesse – sans aucune faiblesse –, pour traquer ceux qui nous ont attaqués, pour les combattre, pour les anéantir.
Avec fermeté et détermination, nous serons évidemment à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, j’ai présidé dans cette maison une commission d’enquête sur la lutte contre les réseaux djihadistes, et je sais à quel point votre tâche est difficile. Je voulais donc joindre mes félicitations et mon soutien à ceux qui vous ont déjà été exprimés dans cet hémicycle.
J’ajouterai que le terrorisme, cela n’arrive pas qu’aux autres ! En effet, aujourd’hui même, les perquisitions menées à Alençon et à la Ferté-Macé ont permis de trouver des armes en lien avec un certain nombre d’opérations terroristes, dont l’initiateur présumé, Fabien Clain, est activement recherché par toutes les polices.
Ces mesures de l’état d’urgence que nous nous apprêtons à voter sont d’autant plus importantes qu’elles donnent les moyens d’agir à nos services, et ils ont toute notre confiance. Le travail ne fait que continuer. J’attends avec beaucoup d’impatience le débat budgétaire imminent, qui va nous permettre de vous donner, monsieur le ministre, les moyens financiers nécessaires à cette action.
Ces moyens financiers, nous les réclamions déjà l’année dernière, nous n’avons d’ailleurs pas cessé de les réclamer tout au long des travaux de notre commission d’enquête, pour que nos services disposent des moyens suffisants, en hommes et en matériels, leur permettant d’assurer cette mission extrêmement difficile face à un ennemi polymorphe. Car nous sommes dans une guerre de l’obus et du blindage : à mesure que nous prenons des moyens, notre ennemi se fait de plus en plus malin pour y parer.
L’ensemble de notre groupe votera évidemment ces mesures d’urgence, en sachant pertinemment combien la situation est délicate et à quel point notre soutien est nécessaire.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France traverse une épreuve que je vis, comme vous, douloureusement.
À cette occasion, je m’incline solennellement devant les victimes et leurs familles.
Je rends hommage au courage de nos forces de sécurité, au dévouement de nos équipes médicales. Je sais que de lourdes responsabilités pèsent sur les épaules de notre exécutif et que les Français doivent être protégés et rassurés.
Toutefois, si la sécurité est la première de nos libertés, elle n’est pas la seule. Comme l’ont rappelé Robert Badinter, Maître Henri Leclerc, la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.), l’État de droit n’est pas un État de faiblesse.
Nul affaiblissement, même provisoire, de l’autorité judiciaire n’est sans danger pour nos libertés.
Si exceptionnelle que paraisse la situation, justifie-t-elle la mise en place d’un régime d’exception, annonçant en outre d’autres changements préoccupants, telle la révision en urgence de notre Constitution ? Notre droit ne dispose-t-il pas déjà de dispositifs suffisants ?
N’arrivera-t-il rien, dans les mois à venir, qui justifierait, aux yeux de certains, une prorogation indéfinie de cet état d’urgence ?
C’est au nom de l’esprit même de notre démocratie que je veux faire entendre ici une voix simplement différente. Je doute, peut-être comme d’autres parlementaires, de la légitimité et de l’efficacité d’un si long état d’urgence. Ce doute, j’ai décidé de l’exprimer publiquement.
Acceptez que l’historienne que je suis ne puisse oublier les dérives de l’état d’urgence des années 1961-1963. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous n’en sommes heureusement pas là. Je n’en crois pas moins nécessaire de lancer une mise en garde.
Je ne voterai pas ce projet de loi ; je m’abstiendrai, tandis que neuf de mes collègues écologistes le voteront. J’espère que le sens que je donne à ce vote est désormais clair pour chacun.