M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas un argument !
M. François Baroin. Pourquoi continuer de proposer une discussion sur des principes, sachant que les modalités ne seront applicables qu’en 2017 – et nous l’espérons évidemment un peu plus tard – et que toutes les simulations auront alors explosé en plein vol en raison de l’importance du mouvement de la coopération intercommunale ? Le périmètre de la DGF aura changé. Ce sera peine perdue ! Nous allons perdre beaucoup de temps !
J’ai salué l’initiative du Premier ministre qui a entendu le message collectif du Sénat et des associations d’élus, et a reporté l’application de la réforme en 2017. Mais dans mon élan généreux de compliments, j’avais oublié que nous n’avions aucune visibilité au-delà de 2016 ; nous ne disposons d’aucun élément pour les années n+1 ou n+2 ! Par conséquent, nous nous trouvons dans l’incapacité de définir une méthode, des objectifs, dans le cadre d’un calendrier que nous ne maîtrisons pas, pour des plans d’action municipaux ou intercommunaux.
La bonne politique serait probablement de considérer que les principes doivent être discutés en même temps que les modalités d’application. Voilà le message que nous vous adressons, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, et que nous vous prions, avec le respect que nous vous devons, de bien vouloir transmettre au Premier ministre : encore un effort ! Vous avez fait 80 % du chemin ! Puisque nous allons discuter de ces modalités financières, étudions les principes à l’occasion de l’examen d’un seul et même texte au printemps !
Les schémas départementaux de coopération intercommunale seront stabilisés à la fin du mois de février. Ils seront mis en place – une certaine « digestion » est nécessaire – courant mars, nous ouvrant une fenêtre de tir entre les mois de mars et de juin pour examiner raisonnablement et avec responsabilité ce sujet.
Je veux enfin attirer l’attention de la Haute Assemblée sur l’article 72-2 de la Constitution de notre République…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. François Baroin. … qui dispose : « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement […] Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. » Or nous sommes nombreux à considérer que, dès 2016 – il en sera sans doute de même l’année suivante –, la loi de finances remettra en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Nous vous alertons solennellement, ce soir, au cours de ce débat sur la dotation globale de fonctionnement, sur les risques d’asphyxie et de remise en cause d’un principe essentiel dans notre loi fondamentale. Nous prenons donc date ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a évidemment des moments où le temps se suspend, où les controverses politiques ou techniques qui nous animent parfois doivent s’effacer derrière l’indicible, l’inacceptable.
La conférence des présidents avait, de longue date, à quelques heures de l’ouverture prévue du congrès des maires de France, fixé ce rendez-vous. Nous devions parler des dotations attribuées aux collectivités locales, dans le prolongement du rapport Germain-Pires Beaune et dans la perspective immédiate de la discussion, au Sénat, du projet de loi de finances pour 2016.
Les événements qui se sont produits vendredi dernier au Stade de France, cet équipement majeur que nous avions choisi de construire, voilà vingt ans, dans une banlieue meurtrie par la désindustrialisation, et dans les quartiers populaires de l’Est parisien, où se côtoient jeunesse étudiante, jeunesse active et entreprenante, population faubourienne et familles d’origine étrangère, ont modifié l’ordre des choses et conduit au report du congrès des maires.
Il nous reste l’urgence de ce débat qui, d’une certaine manière, anticipe celui qui est relatif au projet de loi de finances.
Il y a un moment où l’évidence des faits impose de modifier les habitudes de pensée et d’action, notamment au plus haut niveau.
Il y a un moment où les discours sur l’excès de la dépense publique, sur la nécessité de tenir nos engagements européens, sur la réduction des déficits publics se heurtent de plein fouet à la réalité.
Comment parler d’excès des dépenses publiques quand on constate que, un jour de grève des médecins contre le projet de loi relatif à la santé, tous les personnels hospitaliers, y compris ceux qui bénéficiaient a priori, en cette fin de semaine, d’un congé, sont venus en masse pour aider les équipes confrontées à l’horreur des attentats ?
Ce sens aigu du service public, qui anime également les pompiers de Paris, les forces de police et de sécurité, il nous faut le saluer dans cette enceinte à sa juste valeur, une valeur essentielle pour la République, pour la France.
Réduction des déficits publics, nous dit-on ? Mais ne va-t-il pas falloir mobiliser des moyens tant pour les opérations extérieures – M. le Premier ministre l’a confirmé cet après-midi –, dont le coût a déjà fortement progressé, que pour la sécurité intérieure du pays ? Ne faut-il pas se poser la question de notre détermination à résoudre les maux dont notre société est frappée, en mobilisant les moyens matériels et humains dont nous disposons, et qui résident autant dans notre police républicaine, une police de qualité, que chez les agents du service public de l’éducation ou ceux du service public de l’emploi qui, dans l’apparente routine du quotidien, accomplissent une tâche immense, et en maintenant une vie associative, riche de ses bénévoles, mais ayant besoin de notre soutien ?
Nous devons nous interroger sur le contexte dans lequel s’est forgée la folie meurtrière de ceux qui ont arrosé à l’arme de guerre les terrasses de restaurants et de cafés parisiens et attaqué à la grenade et au fusil d’assaut l’une des salles de spectacle les plus fréquentées de la capitale.
Les auteurs de ces actes ont, pour la plupart d’entre eux, vécu dans l’une des communes déshéritées de l’agglomération bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean, un faubourg ouvrier de Bruxelles, qui est devenu, au fil de la transformation de la capitale belge en capitale des institutions européennes, un véritable ghetto de la misère, accueillant des populations étrangères de plus en plus pauvres et précarisées dans un univers de désindustrialisation forcenée et de spéculation immobilière galopante. Cette banlieue occupe en effet l’avant-dernière place de toutes les communes de Belgique pour ce qui concerne la modestie des ressources de ses habitants. Quel terreau fertile, on l’imagine, aux idées les plus dangereuses !
Ce détour par la Belgique nous ramène plus encore à la situation de notre pays. Rien ne nous permet en effet de penser que la France est à l’abri de telles difficultés.
Certes, les communes de notre pays sont bien plus nombreuses que les communes belges – celles-ci sont au nombre de 589 –, où les efforts de regroupement plus ou moins consentis ont abouti à la simplification du paysage urbain. Mais nous avons, nous le savons aussi, des territoires urbains et des cantons ruraux qui sont très largement frappés par les difficultés qu’y rencontrent les populations. Désindustrialisation pour les uns, dépérissement pour les autres : tels sont les deux symptômes qui marquent les territoires de l’ensemble du pays, avec l’émergence d’inégalités spatiales et géographiques, conduisant bien souvent à la ségrégation sociale.
Nos villages et nos cantons ruraux comptent sans doute aujourd’hui bien plus d’ouvriers et d’employés que de paysans, et les villes ouvrières ont connu des mutations sensibles de leur population. Les activités productives ont fait place, dans bien des cas, à des activités de services ; la société est ainsi dotée à la fois de ses créateurs, de sa matière grise, comme de ses salariés plus ou moins déclassés, car confinés à des fonctions secondaires.
La dotation globale de fonctionnement pourrait-elle devenir l’instrument de correction de ces inégalités ? Le rétablissement de l’égalité entre les territoires et leurs habitants ne saurait s’opérer avec le seul prélèvement de 36 milliards d’euros en 2015 – 33 milliards en 2016 –, moins de deux points de PIB, que constitue cette dotation, d’autant que celle-ci a subi au fil du temps des modifications, qui rendent sa répartition complexe et opaque.
Créée à l’origine pour compenser des impôts retirés aux collectivités, la DGF a été fortement réduite tout au long des dernières années : réforme et gel de la dotation en 1993, mise sous enveloppe normée en 1995, majoration de dotations compensatrices, retirées aux collectivités locales elles-mêmes, en 2004, gel à la fin des années 2000 et, désormais, mise à contribution pour participer à la réduction des déficits publics. Elle a beaucoup perdu de ses capacités financières : plus de 2,5 milliards d’euros de pouvoir d’achat de 2004 à 2014.
Quant à l’outil de réduction des inégalités spatiales et sociales par excellence, ce ne peut être que l’impôt national ! Ce sont la juste contribution des ménages à raison de leurs possibilités, la juste contribution des entreprises au titre de leurs activités économiques et financières et en fonction de leurs résultats qui restent et demeurent le moyen le plus efficace de lutte contre les inégalités.
La dotation globale de fonctionnement doit donc permettre aux collectivités territoriales de disposer des moyens nécessaires à leur action, à la réponse qu’elles peuvent apporter aux attentes et aux besoins des populations. Une partie de la réponse, devrais-je plutôt dire... En effet, à considérer la seule situation de ma propre ville, que constate-t-on ?
Entre 2001 et 2014 – il faut remonter un peu plus loin dans le temps –, la dotation globale de fonctionnement versée à ma ville est passée de 12 % de ses recettes à moins de 9 % aujourd’hui, quand, dans le même temps, la participation des habitants, impôts et contributions pour service rendu, passait de 25 % à 40 % de ces mêmes recettes de fonctionnement.
La réduction du montant de la DGF notifiée depuis le vote de la loi de programmation des finances publiques a déjà eu des effets récessifs, et il est même probable que ces effets ont coûté plus à la société et à l’économie dans leur ensemble que l’effet induit par la réduction de la dotation. Je pense que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’incidence des réductions des dotations aidera le Gouvernement à mesurer la nocivité de cette mesure non seulement pour les collectivités territoriales, mais aussi pour notre économie et, par voie de conséquence, le budget de l’État.
Lors d’une récente audition, l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques, a considéré que la baisse des dotations à hauteur de 11 milliards d’euros se traduira par une perte de 0,55 % de PIB.
À qui fera-t-on croire que notre économie et nos comptes publics se sont mieux portés en 2014 qu’en 2004, avec un montant de la DGF inférieur à celui d’il y a dix ans ?
La décentralisation est mise à mal depuis déjà un certain nombre d’années avec les transferts sans ressources équivalentes aux nouvelles charges à assumer. Avec cette participation forcée des collectivités territoriales à la réduction des déficits, on atteint un niveau de pression inégalé sur les choix de nos collectivités. Nous vivons en état d’urgence absolue pour retisser le lien social, conforter et consolider le vivre ensemble, donner à la société les premiers éléments qui font d’elle une société et non une confrontation entre les ethnies, les catégories sociales, les classes d’âge, ou encore les différences religieuses.
Le terreau de la démocratie à la française, le ferment sans cesse renouvelé et novateur, tout ce sur quoi nous nous appuyons, c’est l’exercice du pouvoir local, au plus près des habitants et de leurs aspirations. Il est grand temps que la dotation globale de fonctionnement redevienne cet élément du financement de l’action locale, cet outil dont les élus locaux, choisis entre les citoyens par les citoyens eux-mêmes, font usage pour répondre aux besoins du quotidien et pour donner à leurs administrés des perspectives d’avenir.
En France, nous avons la chance de compter plus de 500 000 élus locaux, un demi-million de personnes qui se sentent, à des degrés divers, impliquées dans la vie de leur village, de leur quartier, de leur ville, soucieuses d’y agir dans l’intérêt général. Ces 500 000 élus ne constituent pas, de mon point de vue, ce que certains appellent souvent avec dédain la « classe politique ». Ils accomplissent le plus souvent ce mandat, ce bénévolat, dans le plus parfait anonymat. Ce sont ces premiers acteurs qu’il nous faut mobiliser pour faire reculer dans notre pays les divisions factices appelées à devenir meurtrières, dans le cadre de l’action locale déterminée en faveur de l’école, de la qualité de la vie, de la culture, du sport, et je pourrais citer bien d’autres domaines encore.
Pour ce faire, il convient, dès aujourd’hui, de revenir aussi sur les lois qui vont réduire les départements à une sorte de « super-bureaux » d’aide sociale, dépourvus de moyens dans la mesure où le projet de loi de finances pour 2016 prévoit de transférer 4 milliards d’euros de recettes fiscales vers les régions.
Nous vivons en état d’urgence absolue, une urgence qui nous impose aujourd’hui de tourner le dos à la logique de réduction des déficits publics par la diminution de la dépense publique et, par voie de conséquence, des dotations aux collectivités locales. Nous avons besoin d’une DGF remise d’aplomb pour que les élus locaux disposent des moyens de leur action, de même que nous réclamons un effort particulier pour réformer les finances locales. Mais nous manquons aussi d’argent pour mettre en œuvre des solutions alternatives à l’incarcération des plus jeunes délinquants, répondre à la détresse sociale, mettre en place une véritable politique de la ville audacieuse.
Il n’y a pas de territoires perdus de la République, contrairement à ce qu’affirment certains. D’ailleurs, si tel était le cas, nous n’aurions pas, dans nos banlieues, cette créativité, cette puissante aspiration au changement, cette solidarité qui font pièce à un quotidien qui pousse au repli sur soi et fait perdre toute illusion. C’est au plus près du peuple de ce pays, avec l’implication des élus locaux et des associations dans la vie de la cité que nous trouverons, plus sûrement encore qu’avec le seul renforcement des nécessaires moyens de lutte contre le terrorisme, les outils, les voies et moyens qui donneront sens à la France, à l’égard de tous ceux qui ont l’impression d’avoir été abandonnés.
Élue de terrain dans une ville populaire, plus riche de sa tradition ouvrière et de ses luttes que du fait du revenu ou de la fortune de ses habitants, je ressens au premier chef les aspirations dont je viens de parler, de même que je perçois les incompréhensions et appréhensions face aux choix politiques et budgétaires qui, ces dernières années, n’ont pas fait place au service public.
Aujourd’hui, le Gouvernement propose dans le projet de loi de finances pour 2016 une réforme de la dotation globale de fonctionnement. Nous pouvons apprécier la mise en place d’une dotation de base, demande que nous avons régulièrement défendue et que Jean Germain et moi-même avons portée dans nos départements. Mais le Gouvernement n’a pas entendu, me semble-t-il, les réflexions qui remontent des collectivités elles-mêmes.
La diversité de nos territoires, les obligations qu’ils doivent assumer en fonction de la situation de leurs populations ou de leur réalité géographique n’ont pas retenu son attention.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-France Beaufils. Revoir la dotation globale de fonctionnement au moment où le Gouvernement en réduit l’enveloppe générale rend particulièrement difficile la préparation d’une réforme. Nous pensons vraiment que la réduction des inégalités entre nos territoires, entre les communes, et la mise en place des ressources adaptées en fonction de leurs besoins supposent une ressource qui pourrait s’appuyer sur les richesses financières accumulées sans lien immédiat avec la production.
C’est une ressource qui donnerait véritablement les moyens de repenser l’accompagnement solidaire dont ont besoin les territoires les plus fragiles. C’est pourquoi il convient de se donner le temps de travailler à cette réforme, comme l’avait souhaité le Comité des finances locales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a souhaité maintenir le débat sur la réforme de la DGF, alors même que le congrès des maires auquel ce débat entendait faire écho a été ajourné à la suite des événements tragiques qui ont eu lieu vendredi dernier. Cet échange aurait pu trouver logiquement sa place lors de l’examen de l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016, dont nous commencerons l’examen jeudi prochain.
M. François Baroin. C’est justement ce que nous ne voulions pas !
M. Claude Raynal. Mais, après tout, puisque nous y sommes invités, profitons du débat de ce soir pour confronter nos constats et pour tracer quelques perspectives.
Je ne m’appesantirai sur la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques (M. Albéric de Montgolfier s’exclame.), car la position du groupe socialiste et républicain n’a pas varié depuis l’an dernier : nous aurions souhaité que le rythme de la diminution des dotations soit revu pour tenir compte du caractère très rigide des dépenses des collectivités territoriales. Reste que nous comprenons les engagements de l’État, ainsi que la participation des collectivités territoriales au redressement des finances publiques à hauteur de la part qu’elles représentent dans le budget de la nation.
J’insisterai plutôt sur les contrastes entre les collectivités territoriales, dont les situations sont très variables : certaines peuvent facilement faire face, d’autres non. De là l’acuité particulière qui s’attache, aujourd’hui plus encore qu’hier, à la question de la répartition de la dotation globale de fonctionnement.
La DGF doit donc être réformée. De fait, à droit constant, 465 communes ne percevraient plus de dotation forfaitaire en 2017, et 505 établissements publics de coopération intercommunale plus de dotation d’intercommunalité, en raison de la contribution au redressement des finances publiques. Plus largement, nous avons tous souscrit à l’essentiel des premières conclusions du rapport établi par Mme Pires Beaune et notre regretté collègue Jean Germain, qui ont dressé le constat suivant : « La DGF pâtit d’une architecture peu lisible et d’une répartition inéquitable, qui ne correspond plus à la réalité des charges de fonctionnement des collectivités et des modes de gestion locaux. »
Dès lors, on ne peut que féliciter le Gouvernement d’avoir inscrit à son agenda la réforme de cette dotation,…
M. François Marc. C’est vrai !
M. Claude Raynal. … d’autant plus que, par nature, elle ne saurait faire que des heureux : ceux qui pourraient en bénéficier se feront tout petits de peur qu’elle ne soit modifiée, pendant que ceux qui pourraient y perdre ne manqueront pas de faire valoir tous arguments pour préserver leurs ressources… Encore faut-il ajouter que l’enveloppe globale diminue, tandis qu’augmente la péréquation horizontale via le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, ou FPIC.
En fin de compte, il en va de la réforme de la DGF comme de celle des bases locatives : unanimement souhaitées, elles sont unanimement décriées sitôt que paraissent les premières simulations ! (M. Pierre-Yves Collombat rit.)
M. François Marc. Hélas !
M. Claude Raynal. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016 reprend pour l’essentiel l’architecture de la nouvelle DGF qu’ont proposée Mme Pires Beaune et Jean Germain : une dotation de base, une dotation de centralité et une dotation de ruralité, le tout accompagné d’un dispositif de garantie visant à lisser les effets de la réforme dans le temps.
Il est indéniable que les simulations réalisées sur ce fondement font apparaître quelques dysfonctionnements – c’est du reste leur rôle : certains, simples effets de bord, sont aisément corrigibles, mais d’autres, plus préoccupants, appellent sans doute un travail de révision.
Parmi les effets de bord figure une conséquence du blocage à la baisse de la dotation de base à hauteur de 50 % de son montant, soit 37,50 euros par habitant : certaines communes très riches ne percevant logiquement plus qu’une DGF résiduelle devraient se voir rembourser, aux frais, bien entendu, des autres collectivités territoriales, une part de leurs contributions au redressement des comptes publics de 2014 et 2015. Citons également la suppression en un an de la dotation nationale de péréquation, la DNP, alors que, par le passé, toute sortie d’une dotation de péréquation était toujours étalée sur quatre ans.
Parmi les aspects nécessitant sans doute d’être revisités figure la répartition de la dotation de centralité selon un indice de population porté à la puissance 5 qui ne permet pas de tenir compte de centralités secondaires au sein d’un même EPCI, tout en valorisant anormalement les structures défensives qui entourent celui-ci. Cette même dotation de centralité aurait pu connaître des fluctuations importantes du fait de la nouvelle carte des intercommunalités issue de la mise en œuvre de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, raison pour laquelle le Premier ministre a fort sagement retardé d’un an la mise en application de cette réforme.
Lors donc que nous disposons d’un peu de temps pour affiner cette réforme, peut-être serait-il utile d’en réinterroger quelques attendus. Ainsi, alors que l’enveloppe globale de la dotation diminue, notre priorité ne doit-elle pas être d’en faire une dotation avant tout très fortement péréquatrice, qui corrige les écarts de richesse, notamment économique, entre des communes supportant des charges de même nature ? Dès lors, les transferts réalisés au titre du FPIC ne peuvent-ils pas être gelés et intégrés au calcul de la répartition de la DGF ?
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque nous parlons de la dotation globale de fonctionnement, nous parlons d’une réalité bien différente d’une collectivité territoriale à une autre : ressource majeure, du moins significative, pour nombre d’entre elles, la DGF présente, pour certaines autres, un caractère secondaire, voire insignifiant. Mais nous parlons aussi, au-delà des chiffres, de faits beaucoup plus intimes et personnels ; je veux parler de l’idée que se fait chaque maire de son rapport avec l’État. Songez, mes chers collègues, à la joie ou à l’incompréhension que ressent un maire selon qu’il se sent soutenu ou, quelquefois, abandonné par l’État, et à la déception de celui qui ne perçoit aucune dotation de centralité alors qu’il se bat depuis vingt ans pour convaincre l’État qu’il organise une centralité dans sa commune ! Souvenons-nous que la DGF, ce n’est pas seulement de l’argent ; c’est aussi une dimension du lien qui unit une collectivité territoriale à l’État.
À tous les maires et présidents d’EPCI, nous devons deux choses essentielles : la lisibilité et l’équité. Nous leur en devons aussi une troisième : la rapidité. C’est pourquoi je voterai, à l’instar de nos collègues députés, l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016, malgré ses imperfections, dont j’ai mentionné certaines. Sortons de la posture facile du rejet et choisissons la voie beaucoup plus constructive de l’élaboration collective !
N’est-ce pas d’ailleurs le rôle du Sénat, représentant des collectivités territoriales,…
M. Jacques Mézard. Pour l’instant !
M. Claude Raynal. … que de prendre la responsabilité de proposer au Gouvernement les adaptations qui lui paraissent souhaitables ? N’est-ce pas en particulier celle des membres, comme moi, de la commission des finances ? La Haute Assemblée n’a-t-elle pas là l’occasion de jouer tout son rôle et de discréditer une fois pour toutes l’idée récurrente d’un Haut Conseil des territoires dont nous ne voulons pas ?
M. Pierre-Yves Collombat. C’est une bonne nouvelle !
M. Jacques Mézard. Vous n’avez pas toujours dit cela !
M. Claude Raynal. Mes chers collègues, si nous sommes attachés à un Sénat utile, au service des territoires et des collectivités territoriales qui les font vivre, trêve de postures ! Il est regrettable, par exemple, que le groupe Les Républicains, qui a provoqué l’organisation de ce débat, ait refusé de participer à la mission proposée par le Premier ministre pour définir les grandes orientations de la réforme. Je rappelle en effet que, au départ, la présence d’un parlementaire de ce groupe au côté de Mme Pires Beaune était souhaitée par le Gouvernement.
Mme Sophie Primas. Ardemment !
M. Claude Raynal. Dommage que cette main tendue par l’exécutif n’ait pas été saisie ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Dommage aussi que certains se réjouissent du report de la réforme, alors qu’elle est attendue par nombre de collectivités territoriales, notamment parmi les plus fragiles.
Mes chers collègues, sur ce sujet comme sur bien d’autres, avançons, travaillons, produisons ! C’est ainsi que nous prendrons une part déterminante, au côté de l’État, à la réforme tant attendue de la DGF ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a dix mois, le 13 janvier, nous entamions l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation de la République.
M. Jacques Mézard. Hélas !
M. Ronan Dantec. À l’époque déjà je soulignais le rôle majeur joué par les collectivités territoriales pour le maintien de la cohésion sociale, la lutte contre les exclusions et discriminations et l’approfondissement du vivre ensemble, qui fait le ciment d’une société.
À la fin de cette discussion, je n’avais pu que déplorer qu’elle ait tant mis en évidence la méfiance, pour ne pas dire la défiance, des territoires les uns envers les autres, alors que nous aurions dû rechercher de meilleures coopérations et bâtir des ponts entre les différents acteurs des territoires. Je ne crois pas utile de rappeler la vigueur, et même la violence, de certains propos qui ont été tenus sur les relations que ce soit entre les régions et les départements ou entre les métropoles et les communes rurales. Je regrette encore que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République n’ait pas permis d’avancer en ce qui concerne la péréquation financière et l’autonomie fiscale, voire la réforme des bases fiscales.
Les collectivités territoriales sont, au côté de l’État, le socle de l’action publique partout dans les territoires ; il semble, mes chers collègues, que nous en soyons tous d’accord.
Notre débat fait suite au vote par l’Assemblée nationale, le 20 octobre dernier, d’une baisse de 3,5 milliards d’euros des dotations aux collectivités territoriales dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2016. Le montant de la dotation globale de fonctionnement s’établira donc l’an prochain à 33,1 milliards d’euros. Une diminution supplémentaire de 11 milliards d’euros est prévue entre 2015 et 2017.
Parlons clair : les écologistes s’opposent fermement à ces baisses. En effet, les collectivités territoriales ont besoin de ressources, parce que l’action publique territoriale de proximité est plus nécessaire que jamais en cette période où s’exacerbent les sentiments d’exclusion, de relégation et d’abandon.
Il n’en résulte pas qu’il ne faille pas réaliser des économies. Au demeurant, toutes les collectivités territoriales ou presque se sont lancées dans de telles démarches, traquant les doublons, optimisant leurs dépenses de fonctionnement, renégociant les contrats publics et mutualisant des services. La recherche d’économies est bénéfique lorsqu’elle conduit à une utilisation plus rationnelle de l’argent public et, partant, à des redéploiements de moyens améliorant l’efficacité de l’action publique. La limite, la ligne rouge, ce sont les baisses de crédits qui aboutissent à une diminution du service au public : cela n’est pas acceptable !
Si le maintien d’autres dotations de l’État contrebalance encore pour l’instant la baisse de la DGF dans un certain nombre de communes – je pense en particulier à la dotation de solidarité rurale, la DSR –, l’inquiétude des élus locaux, dont plusieurs orateurs se sont déjà fait l’écho, reste forte, car nous savons que la diminution des dotations va se poursuivre. Le président de l’Association des maires de France l’a souligné avant moi ; je ne puis que souscrire ce soir à une grande partie de son analyse sur ce sujet.
L’Observatoire des finances locales a constaté la baisse des investissements publics locaux que nous redoutions : en 2014, les investissements du bloc communal ont reculé de 9,6 % et ceux des départements de 4,2 %, même si ceux des régions ont augmenté de 2,8 %. La Cour des comptes, dans son rapport du mois d’octobre dernier sur les finances publiques locales, s’est également inquiétée de la diminution des investissements publics locaux, dont nous savons tous qu’ils représentent près de 70 % des investissements publics.
De fait, ce recul de l’investissement local est un coup dur pour l’ensemble de notre économie, déjà très fragile ; il signifie moins d’écoles, moins de centres sociaux et moins de lieux culturels, mais aussi moins d’actions en faveur de la transition énergétique, en particulier de la rénovation des bâtiments et de la production d’énergies renouvelables. Il provoque la baisse de l’activité locale et, par voie de conséquence, celle des recettes fiscales perçues sur les entreprises. En somme, la décision de diminuer les dotations aux collectivités territoriales est à l’origine d’un cercle vicieux qui conduit à la récession.
Elle a en particulier des conséquences très dommageables sur la vie culturelle, qui repose souvent sur de petits budgets, qu’il s’agisse de bibliothèques, de petites salles de concert ou d’autres petits lieux culturels. La réduction des budgets de fonctionnement met très vite à mal ces petites structures et entraîne presque immédiatement des conséquences assez graves sur le plan de l’emploi.
Telle est l’analyse que je partage avec le président de l’Association des maires de France. Toutefois, je n’apporterai pas davantage mon soutien à la majorité sénatoriale ! (Sourires.)