Mme Évelyne Didier. Tout à fait !
M. Ronan Dantec. Le monde du dérèglement climatique est un monde de migrations massives et de foyers terroristes ; soyons-en bien conscients.
La COP 21 peut être l’occasion, pour le monde civilisé, de venir témoigner, à travers ses dirigeants, de son soutien à un pays meurtri. Mais, s’ils ont pris la totale mesure de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, ces dirigeants viendront d’abord à Paris avec des propositions réévaluées de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour leur propre pays, assorties d’engagements de financement crédibles en vue d’accompagner le développement, la promotion de l’accès à l’énergie et de l’éducation.
En effet, disons-le avec force, c’est bien le sous-développement et la faiblesse des systèmes éducatifs qui sont le terreau de l’obscurantisme, de ces sentiments d’injustice que des forces terroristes manipulent au bénéfice de leur fanatisme barbare.
Au demeurant, sur cette question du financement, nous ne pouvons qu’être déçus et inquiets des très faibles avancées du G20, qui augurent mal des négociations de la COP 21 sur ce point. Or, sans crédibilité des propositions des pays riches sur le financement du développement et de l’adaptation, on s’expose à un véritable risque d’absence totale d’accord à Paris.
Mme Évelyne Didier. C’est juste !
M. Ronan Dantec. Je me tourne vers Hervé Maurey, qui nous représente à l’Union internationale des parlementaires, l’UIP : c’est peut-être le message urgent que les parlementaires du monde entier doivent transmettre à leurs gouvernements, pour les remobiliser sur cette question du financement.
On ne peut répondre aux enjeux climatiques sans s’appuyer sur les dynamiques des acteurs non étatiques –associations, entreprises, collectivités territoriales, etc. C’est l’une des forces de la COP 21 que de rappeler, à travers l’agenda des solutions, que l’action concrète est le socle de la réponse au défi climatique. Lors du sommet de Lyon, nous avons mis sur la table un engagement des collectivités territoriales du monde de réduire leurs émissions de carbone à hauteur de 1,5 gigatonne avant 2020 : ce n’est pas rien !
Madame la secrétaire d’État, nous sommes, je vous l’avoue, inquiets quant au maintien, à l’occasion de la COP 21, de cette dynamique. Bien entendu, nous comprenons les impératifs de sécurité qui s’imposent aujourd’hui aux autorités françaises, mais ils ne doivent pas empêcher que s’exprime la volonté d’agir. Nous sommes à la disposition du Gouvernement pour étudier quel est le bon équilibre à trouver entre l’engagement des États et les dynamiques des acteurs non étatiques, si nous voulons rendre crédible un scénario de stabilisation du climat.
Dans le même esprit, il faut des avancées réelles quant au rôle des collectivités territoriales. Celles-ci doivent être associées à la gouvernance du climat, même si le cadre de base des COP est celui de la négociation entre États. Il faut faciliter l’accès aux financements pour les collectivités territoriales, notamment celles du Sud. Ce sont là des enjeux majeurs des négociations qui se tiendront à Paris.
Ce soir, la tour Eiffel scintille en bleu, blanc, rouge. Dans quelques jours, elle sera de nouveau aux couleurs de la COP et de la défense du climat, notre précieux bien commun. On la présente aujourd’hui comme un phare dans la nuit de l’obscurantisme. Demain, alimentée en énergies renouvelables, elle devra éclairer la voie pour un monde stoppant le dérèglement climatique et stabilisant par là même un XXIe siècle qui ne doit pas se résoudre au tragique. Demain, nous devrons dire avec force que coopération et responsabilités individuelles et collectives sont nos moteurs pour donner tout son sens au si beau mot de fraternité ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en amont de la tenue, à Paris, de la vingt et unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le Sénat s’est mobilisé autour de la question du réchauffement climatique dans toutes ses dimensions.
Je salue cette initiative, à laquelle j’ai pris part en tant que rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ».
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
M. Yvon Collin. À l’issue des interventions des représentants des différentes commissions et délégations sollicitées, nous avons pu mesurer combien le défi climatique est un défi de tous les instants, pour tous les acteurs de tous les territoires.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne doit pas seulement miser sur les grandes rencontres internationales, même si, bien entendu, ces rendez-vous sont incontournables pour fixer un cap et donner une portée universelle à cette cause.
À cet égard, la conférence de Paris est très attendue, car les précédentes, en particulier celles de Copenhague, de Cancún et de Durban, ont abouti à une impasse.
Cette fois-ci, les vents sont, si j’ose dire, plus favorables. La diplomatie climatique, activée notamment par la France, semble faire avancer les choses. Avec 155 pays ayant d’ores et déjà formulé leur contribution pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, on s’approche d’un accord impliquant de véritables engagements.
Encore faudrait-il que l’addition de toutes ces bonnes volontés nous conduise à un réchauffement proche de 2°C d’ici à 2050, ce qui n’est pas encore acquis à ce stade.
En attendant, si nous avons besoin de cet élan mondial sur le papier, ainsi que du fonds de 100 milliards de dollars pour aider les pays les plus vulnérables à effectuer leur transition écologique, la réponse au défi climatique doit également s’élaborer au plus près du terrain.
Cela a été dit : 50 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont liées à des décisions locales. La proposition de résolution soumise à notre examen prend pleinement la mesure de cette réalité. Son intitulé rappelle la nécessité d’affirmer le rôle des territoires pour la réussite de la COP 21. Ce niveau d’action est d’autant plus pertinent que, dans la plupart des pays développés, les collectivités locales n’ont pas attendu le résultat des grands rendez-vous internationaux pour mettre en œuvre des politiques d’atténuation et d’adaptation.
En France, nous connaissons tous, dans nos régions, dans nos départements, dans nos villes, des exemples de réalisations concrètes et souvent efficaces en matière de développement durable. En effet, de bonnes pratiques se sont progressivement généralisées en matière de transports, de tri des déchets ou encore de chauffage urbain. L’innovation technologique offre à toutes les collectivités des outils pour adapter les gestes de la vie quotidienne à l’impératif environnemental. Parallèlement, le cadre institutionnel favorise les progrès, grâce, notamment, à l’intercommunalité, qui permet de mutualiser les moyens.
J’ajouterai que les élus n’ont pas besoin d’être « verdis » pour prendre leurs responsabilités. (M. Jacques Mézard acquiesce.) Nous, radicaux de gauche, en savons quelque chose : nous avons eu la chance de compter parmi nous un précurseur de l’écologie politique, Michel Crépeau.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Yvon Collin. Dans son ouvrage L’Avenir en face, Michel Crépeau écrivait que « les urbanistes de l’an 2000 vont devoir songer à des cités reconstruites sur la base d’unités de quartiers au sein desquelles on puisse se déplacer à pied en cinq ou dix minutes et où l’on trouvera regroupées les différentes activités nécessaires à la vie ». Il décrivait ainsi les éco-quartiers et éco-cités. Ce sont des modèles urbanistiques très aboutis sur le plan environnemental, qui représentent manifestement l’avenir. Il conviendrait de les développer davantage, comme l’ont fait très largement, et depuis longtemps, les pays d’Europe du Nord. Il est vrai, toutefois, qu’il s’agit là de projets coûteux, nécessitant que l’État appuie les collectivités territoriales, dont les capacités d’investissement s’amenuisent depuis le début de la crise des finances locales. Mon excellente collègue Françoise Laborde l’a rappelé il y a quelques instants : le défi climatique est aussi un défi de l’investissement.
M. Jean-Claude Requier. Exact !
M. Yvon Collin. Pour y répondre, les collectivités locales doivent disposer d’une certaine visibilité budgétaire, ce que ne permet pas la baisse continuelle des dotations de l’État. Nous reviendrons sans doute sur cette question lors des prochains débats budgétaires.
Mes chers collègues, la France, forte de ses dynamiques territoriales, offre un paysage urbain et rural de plus en plus tourné vers la durabilité. C’est également ce modèle de responsabilité locale que nous devons promouvoir dans les grandes négociations internationales.
En conclusion, les membres du RDSE voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UDI-UC. – M. Jacques Gillot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril et nous sommes tous responsables.
« Il est temps, je crois, d’ouvrir les yeux. Sur tous les continents, les signaux d’alerte s’allument. […] Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie.
« Notre responsabilité collective est engagée. Responsabilité première des pays développés, première par l’histoire, première par la puissance, première par le niveau de leur consommation. Si l’humanité entière se comportait comme les pays du Nord, il faudrait deux planètes supplémentaires pour faire face à nos besoins ! […]
« Dix ans après Rio, nous n’avons pas de quoi être fiers. »
Ainsi s’exprimait Jacques Chirac à Johannesburg, en 2002. Par la charte de l’environnement, il intégra le droit environnemental à la Constitution.
Au-delà des grands principes, nous pensions, cinq ans plus tard, franchir une étape décisive, celle des travaux pratiques et de la transformation du réel, avec le Grenelle de l’environnement. J’y ai cru, comme beaucoup d’entre nous. Le bilan est certes en demi-teinte, mais il reste à ce jour inégalé.
En 2007, Nicolas Sarkozy annonçait « l’acte fondateur d’une nouvelle politique, d’un New Deal écologique en France, en Europe et dans le monde ». Séduit, Al Gore plaidait pour un « Grenelle mondial ».
En conclusion du Grenelle, Nicolas Sarkozy appelait à « une révolution dans nos façons de penser et de décider, dans nos comportements, dans nos politiques, nos objectifs et nos critères ».
Il annonçait que toutes – oui, toutes ! – les décisions publiques seraient arbitrées en intégrant leur coût environnemental.
Il annonçait une révolution dans le bâtiment par la mise en place de nouvelles normes et d’un programme de rénovation thermique : promesse tenue.
Il annonçait des investissements massifs dans les transports : promesse tenue par lui mais abandonnée par son successeur, avec l’abrogation de l’écotaxe poids lourds.
Il annonçait la taxe carbone ou taxe climat énergie, décidée par lui mais censurée par le Conseil constitutionnel.
Il annonçait le traitement du problème du dumping environnemental européen : promesse non tenue.
Il annonçait l’instauration du bonus-malus écologique pour les voitures : promesse tenue avec une grande efficacité, mais limitée au CO2 sans tenir compte des particules.
Il annonçait la diminution de l’usage des pesticides : promesse non tenue.
Il annonçait le respect du principe de précaution : promesse tenue jusqu’à présent.
Il annonçait la multiplication par cinq des crédits dévolus à la veille environnementale : promesse non tenue.
Je n’ose rappeler l’idée de prélever 1 % des bénéfices des entreprises du CAC 40 au profit d’une fondation pour le climat et la biodiversité. Quand un tel pourcentage est alloué à des œuvres, c’est parfois pour soutenir des actions environnementales, mais c’est aussi et surtout pour alimenter un lobbying puissant et polymorphe afin de nier la réalité et de permettre aux pollueurs de gagner du temps et de l’argent. (M. Joël Labbé applaudit.)
Certaines forces ont courbé l’échine, dans les années 2000, lorsque la prise de conscience écologique s’est généralisée. Elles se sont redressées à la première occasion, dès la survenance de la crise financière, devenue ensuite économique et sociale. Elles prennent également prétexte de la crise géopolitique et sécuritaire, comme si le dérèglement climatique n’allait pas provoquer demain les pires drames : inondations, désertification, famines, migrations…
Ces crises, ainsi peut-être que l’impopularité du pouvoir ou le scepticisme généralisé et le complotisme émergent, forment un terreau fertile pour le climato-scepticisme. Je parlerais d’ailleurs plutôt de « climato-négationnisme », car il exprime non pas le doute, mais bien la certitude que l’homme est étranger aux causes du réchauffement, si tant est que celui-ci soit réel, et que, même dans cette hypothèse, le changement climatique pourrait être favorable à l’humanité ! Cette thèse sert d’alibi à l’irresponsabilité de tous et à la cupidité de quelques-uns.
Les prises de position les plus fantaisistes contre la « pensée unique » acquièrent subitement une crédibilité et une légitimité égales à celles des conclusions des travaux d’un millier de scientifiques éminents réunis au sein du GIEC. Les réflexions de comptoir prévalent sur les thèses scientifiques.
Rassemblez des éléments épars, des anecdotes, des conclusions hâtives et définitives fondées sur des raccourcis. Ajoutez des slogans bien sentis, flattant le consumérisme, exaltant cet orgueil qui nous porte à croire que nous nous en tirerons toujours, cultivant la paranoïa et le complotisme, inversant l’accusation contre les lobbies de l’énergie fossile, qui subitement servent l’intérêt général, l’environnement et la santé. (M. Joël Labbé approuve.) Faites signer le tout par un présentateur météo d’une radio périphérique ou, mieux, d’une télévision de service public – chacun sait que l’étiquette « vu à la télé » fait acheter ou gober n’importe quoi –, et vous réussissez une opération de communication qui réduit à néant les cinq rapports du GIEC !
Dans ce contexte de climato-négationnisme malintentionné et intéressé, de climato-scepticisme mal inspiré mais pouvant être sincère, l’initiative du Sénat est particulièrement bienvenue.
Je tiens à rendre hommage à Jérôme Bignon, président du groupe de travail, au sein duquel j’ai l’honneur de représenter la commission des lois, ainsi qu’aux présidents des commissions et des délégations qui s’y sont associés, avec l’encouragement du président Larcher.
Il importait que le Sénat prenne position à propos de cet enjeu vital pour l’humanité. Il s’agit non pas d’instituer une vérité officielle, mais de prendre une position politique, au sens le plus noble du terme, sur une réalité objective, constatée scientifiquement.
La proposition de résolution rappelle que, pour rester en deçà de 2°C de réchauffement de la température, il faut réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 40 % à 70 % d’ici à 2050 et d’atteindre un niveau d’émissions proche de zéro à la fin du siècle.
Les sujets sont innombrables ; le Sénat en a traité un grand nombre à travers le travail des commissions, des délégations, des groupes d’amitié. Il a mis en exergue l’apport décisif des collectivités territoriales, qui pensent global et agissent local.
Ce sommet peut seul répondre à deux questions essentielles : celles du prix du carbone et du Fonds vert pour le climat.
Dans une économie de marché, c’est le prix qui fait la décision individuelle et la somme des décisions individuelles qui fait le comportement collectif.
Pour changer les modes de production, il faut intégrer les coûts environnementaux au prix de revient. Non, chère Évelyne Didier, il ne s’agit pas d’instaurer un droit à polluer, car il existe déjà aujourd’hui ! (Mme Évelyne Didier sourit.) Il s’agit de créer une obligation de payer pour sa pollution, afin de la limiter et de la réparer.
Pour ne pas pénaliser la compétitivité des plus vertueux, il faut que cette obligation soit mise en place à l’échelle mondiale, comme l’a souligné, à juste titre, la commission des affaires économiques. La tarification doit être assez élevée pour être incitative et dissuasive, et pas seulement symbolique. Elle doit concerner l’industrie, mais aussi les transports, notamment aériens et maritimes.
L’autre enjeu mondial est le Fonds vert pour le climat. Les pays du Sud ont un droit au développement, mais s’ils l’exercent comme nous, le dérèglement s’emballera au préjudice de tous. Nous devons aider le Sud à se développer selon d’autres modalités que les nôtres.
Le Fonds vert pour le climat devait être alimenté, entre 2009 et 2020, à hauteur de 100 milliards de dollars par an. La commission des finances indique que des promesses de dons à hauteur de seulement 10 milliards de dollars ont été faites pour la période 2015-2018, dont 1 milliard par la France. En outre, 42 % seulement des sommes promises ont effectivement donné lieu à la prise d’engagements. Nous ne tenons pas nos promesses !
L’enjeu de la COP 21 est d’abord de concrétiser les promesses des COP antérieures. Jacques Chirac disait : « Dix ans après Rio, nous n’avons pas de quoi être fiers. » Treize ans après Johannesburg, nous pourrions avoir honte, collectivement, mondialement, sans que cela exonère aucun d’entre nous, individuellement, ni aucune nation, de sa responsabilité.
L’accueil de la COP 21 par la France nous oblige davantage. Cette conférence représente la dernière chance, avant bien des complications. Plus nous attendrons pour agir, plus il sera difficile de simplement limiter le dérèglement climatique et de nous y adapter.
La COP 21 s’inscrit également dans le contexte de la guerre déclarée par Daech : ni guerre civile, ni guerre de religion, ni guerre d’État à État, mais guerre d’un nouveau type, guerre contre l’humanité d’une organisation terroriste qui sème ses graines dans les terreaux en déshérence. Après avoir éradiqué militairement les graines du mal, il faudra traiter ces terreaux. La priorité du combat contre le terrorisme n’efface donc pas celle de la lutte contre le réchauffement climatique. Elles sont complémentaires et pourraient même, demain, s’interpénétrer.
La COP 21 réunira les dirigeants mondiaux autour d’enjeux mondiaux, qui donnent le vertige à l’humanité, car celle-ci a dans les mains, pour la première fois de son histoire et sans toujours en avoir conscience, les instruments de sa destruction ou de sa survie. Si l’analyse scientifique relève du GIEC, la décision politique relève de la COP, des gouvernements et des parlements.
En plus de fournir un travail de fond, le Sénat a réuni les autorités morales et religieuses. Celles-ci nous rappellent à notre devoir à l’égard de l’environnement, non pas comme une fin en soi, mais comme la matrice de l’humanité. Christian Krieger écrit ainsi : « Le défi climatique est le rendez-vous de l’humain avec son humanité. » Cette proposition de résolution traduit notre détermination à honorer ce rendez-vous ! (Applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion de cette proposition de résolution voulue par le président du Sénat nous offre une belle occasion de réaffirmer ce que nous attendons de la COP 21.
Notre parti politique, dont le fondateur fut un des acteurs clés du Grenelle de l’environnement, est très attaché à la réussite de cette négociation. Nous souhaitons donc au Gouvernement de rencontrer un plein succès, non par altruisme à son égard, mais par amour pour nos enfants : nous ne voulons pas qu’ils souffrent des conséquences du chaos que nous avons créé.
Les dérèglements climatiques représentent un chaos annoncé. Alors que le monde est confronté à une poussée démographique sans précédent, nous connaissons déjà leurs conséquences : pertes de rendements agricoles, acidification des océans, stress hydrique, épidémies, déplacés environnementaux, etc. La liste est malheureusement longue.
Par cette résolution, nous voulons rappeler avec force qu’il ne suffira pas que la COP 21 débouche sur l’adoption d’un texte pour qu’elle soit un succès. C’est la vingt et unième conférence sur le climat, et les émissions de gaz à effet de serre augmentent toujours plus vite…
Sans engagement financier clair, il n’y aura pas de succès, comme l’ont souligné tous les intervenants. Nous avons besoin de 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2020 : cela représente moins de 0,1 % du montant des transactions financières, soit une goutte d’eau à l’échelle du monde.
La réalisation du projet de Jean-Louis Borloo d’électrification de l’Afrique avec une énergie propre nécessite 5 milliards de dollars par an d’argent public, c’est-à-dire seulement la moitié du budget de l’Île-de-France.
En réalité, le problème fondamental n’est donc pas la disponibilité des fonds, mais bien le manque de volonté.
Par ailleurs, il n’y aura pas de succès de la COP 21 sans la reconnaissance d’un nouveau modèle et de nouveaux principes de développement. L’environnement a été considéré jusqu’à présent comme une sorte d’outil de production ; or la planète ne se recycle pas comme une vieille machine, et l’environnement n’est pas un immense outil que nous pouvons utiliser jusqu’à épuisement. Ronan Dantec l’a rappelé avec malice : il n’y aura pas d’évolution climatique favorable dans notre système économique sans outils économiques forts, tels qu’un prix du carbone ou la fin des subventions et des dépenses fiscales en faveur des énergies fossiles. (M. Ronan Dantec acquiesce.) Ces deux points figurent dans la proposition de résolution, et j’imagine que le prochain projet de loi de finances contiendra des dispositions claires à ce sujet !
La reconnaissance des territoires est un troisième principe auquel nous sommes tous attachés.
Les négociations sur le climat ont commencé en réalité en 1979. La solution viendra non pas d’une armée de brillants cerveaux, mais bien de la créativité des territoires et de leur capacité d’expérimentation. Elle viendra de ces petits villages où ont été inventées les coopératives énergétiques, des communautés de femmes qui ont créé les fours solaires.
Cette nouvelle négociation doit pleinement reconnaître la libre expérimentation des territoires. Je suis vraiment heureuse de constater que ce principe a été inscrit à l’unanimité dans cette proposition de résolution, alors que les amendements que j’ai pu défendre en ce sens dans le passé n’ont jamais recueilli plus de trente voix. J’en déduis donc qu’ils seront adoptés à l’unanimité la prochaine fois ! (Mme Évelyne Didier sourit.)
Enfin, madame la secrétaire d’État, je crains que nous n’ayons pas tiré les enseignements des échecs précédents en ce qui concerne les modalités de négociation. La conférence de Copenhague s’était conclue par un engagement clair pour la mise en place d’un Fonds vert pour le climat, point qui est aujourd’hui en discussion dans le projet de texte…
Il nous apparaît à tous que les acteurs clés de la lutte contre les changements climatiques, à savoir les territoires, les ONG, les acteurs économiques, la société civile, sont totalement absents de la négociation. Nous-mêmes, parlementaires engagés, si nous avons le droit de nous promener dans les couloirs de la COP 21, nous ne sommes pas du tout parties à la négociation.
Les textes ne sont disponibles qu’une fois qu’ils ont été négociés, seulement en anglais, sur le site internet, sachant que les parties entre parenthèses ne font pas consensus.
La France aurait pu, me semble-t-il, promouvoir l’idée d’une négociation « 2.0 », avec un accès au texte en open source, une meilleure visibilité des discussions et, surtout, un droit de parole de la société civile beaucoup mieux pris en compte. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas. Or je doute de la capacité des États à apporter aujourd’hui des solutions durables en matière de lutte contre le changement climatique. Ce sont les territoires, les citoyens, les acteurs économiques, les acteurs associatifs qui les feront émerger demain.
Ce point constitue mon seul regret. Il n’a pas été inscrit dans la proposition de résolution parce que tel n’était pas son objet, mais je doute que la négociation puisse déboucher sur un franc succès sans prise en compte de cette nouvelle dimension. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.
M. Jacques Cornano. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, devant le Parlement réuni en Congrès, le Président de la République a réaffirmé le maintien de la COP 21, malgré les événements dramatiques de ces derniers jours. Cela est heureux, car la tenue de cette conférence répond à une nécessité.
Lors de ce sommet, les pays du monde entier se tiendront debout ensemble, à Paris, pour réaffirmer que non seulement ils veulent vivre ensemble dans un monde libre et démocratique, mais qu’en plus ils veulent « bien vivre ensemble », pleinement conscients de la nécessité d’agir contre le réchauffement climatique.
En préparation de la conférence de Paris, le Sénat, sur l’initiative, que je salue, du président Larcher, s’est mobilisé afin de contribuer activement à la réflexion et aux négociations.
Cette mobilisation a pris de nombreuses formes, et la commission de l’aménagement du territoire et développement durable a été chargée de la coordination des différents travaux menés par les commissions et les délégations du Sénat.
Ainsi, prenant acte du caractère transversal de cette problématique, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en accord avec la délégation à l’outre-mer, a mis en place un groupe de travail et confié à mon collègue Jérôme Bignon et à moi-même la rédaction d’un rapport relatif à la biodiversité des outre-mer face aux enjeux du changement climatique.
Nous avons sélectionné six thématiques afin de donner une visibilité propre aux DROM-TOM, les départements et régions d’outre-mer, dans le débat sur les conséquences du changement climatique : la préservation de la biodiversité ; la promotion des énergies renouvelables ; la gestion de la ressource en eau, qui est en voie de raréfaction ; la prévention et la gestion des risques ; l’éducation du public au développement durable ; la définition d’un modèle agricole robuste et résilient.
Nous espérons que les conclusions du rapport nourriront la proposition de résolution discutée ce soir. Nous l’avons en effet dit et répété : les outre-mer ne doivent pas être les oubliés de ce débat. La biodiversité ultramarine constitue 80 % du patrimoine naturel français, et les DROM-TOM représentent une superficie de 11,035 millions de kilomètres carrés ; grâce à eux, la France possède la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde après les États-Unis d’Amérique.
Notre rapport a privilégié une approche territoriale, en adéquation avec la mission constitutionnelle du Sénat. Nous avons concentré notre réflexion sur l’adaptation des politiques publiques menées dans nos outre-mer aux dérèglements et au réchauffement climatiques, tout en mettant l’accent sur les projets innovants ou emblématiques dont nous avons eu connaissance.
Le modèle linéaire – extraire, produire, consommer, jeter – touche nécessairement à sa fin ; il est donc impératif de lui substituer une économie circulaire fondée sur le principe selon lequel les déchets des uns peuvent devenir la matière première des autres.
La valorisation énergétique des déchets constitue l’un des volets de l’économie circulaire, car elle offre notamment des énergies de substitution aux énergies fossiles – nous l’avons constaté, avec mes collègues, à Saint-Barthélemy – et pourrait donc contribuer de manière très significative aux objectifs de réduction des émissions de CO2. En effet, une tonne de déchets ménagers peut produire 700 kilowattheures d’électricité. Ce chiffre donne toute la mesure du potentiel de cette source d’énergie.
La COP 21 doit s’inscrire dans un mouvement structurel de transformation de nos modèles de production et de consommation. Dans cette perspective, et en dépit de leur grande vulnérabilité, liée à une exposition particulièrement élevée aux risques naturels et aux conséquences du changement climatique, nos territoires ultramarins constituent une chance immense pour la France. Ils donnent à notre pays l’opportunité d’apporter une contribution majeure aux recherches et aux expérimentations menées en matière de lutte contre le changement climatique et d’adaptation à ces évolutions.
Les domaines concernés sont nombreux. Je citerai, au chapitre de ces recherches et expérimentations, l’adoption de modèles agricoles plus résilients ; le développement du jardin créole, cher aux docteurs Henry Joseph, du laboratoire Phytobôkaz, et Harry Ozier-Lafontaine, de l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique – ce type de jardins permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre – ; la promotion des énergies renouvelables, solaires ou marines ; la valorisation des déchets, notamment par la gestion de la biomasse ; le développement des recherches en matière de phytopharmacopée, l’exemple des algues sargasses étant probant – les conclusions du groupe de travail mis en place pour étudier les solutions de valorisation des sargasses démontrent l’étendue de leur potentiel, en particulier en pharmacologie et pour l’industrie cosmétique – ; le lancement d’études sur l’adaptation des espèces végétales ou animales au changement climatique ; la mise en place de dispositifs de sauvegarde des populations et de réseaux d’aide régionale lors de catastrophes naturelles. Encore cette liste n’est-elle pas exhaustive.
Les projets innovants et les réalisations foisonnent dans nos outre-mer ; nous les avons mis en exergue dans notre rapport, qui est le fruit d’une étude attentive des politiques publiques menées en matière de coopération décentralisée.
Notre groupe de travail, profitant des contributions des meilleurs experts, a pu identifier la problématique première, celle de la sauvegarde et de la valorisation des biodiversités ultramarines comme le défi climatique central des outre-mer.
Mais rien ne pourra se faire, en la matière, sans respect de la diversité culturelle : les Ultramarins connaissent bien et respectent leurs territoires ; nous ne réussirons à impliquer fortement les populations locales qu’en commençant par les sensibiliser. La dimension éducative, dans cette affaire, est donc de première importance.
Je me permettrai, pour conclure, de reprendre les termes de l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution, qui formule parfaitement les choses : « La COP 21 est le moment de mettre toute l’humanité en marche pour sa survie, États, citoyens, sociétés civiles et territoires. »
Fort du rapport que Jérôme Bignon et moi-même avons présenté, je peux l’affirmer devant vous : les outre-mer sont en ordre de bataille pour relever le défi climatique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et de l'UDI-UC. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)