Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous allez avoir des problèmes, monsieur le président de la commission… (Sourires.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La commission a par ailleurs souhaité limiter dans le temps l’adhésion au groupe afin d’éviter de trop longues incertitudes pour les entreprises ou pour les institutions qui pourraient être visées.
Enfin, la commission a été favorable à l’interdiction de tout démarchage juridique.
Nous avons donc approuvé un grand nombre d’amendements visant à cantonner l’action de groupe et à prévenir toute dérive.
Nous en avons accepté d’autres en matière de discrimination, comme le refus de donner au ministère public la possibilité d’intervenir en dehors du champ pénal, c'est-à-dire dans le champ de la réparation civile par l’équivalent de l’action de groupe.
C’est aussi, s’agissant des discriminations au travail, le fait de réserver aux seuls syndicats la possibilité d’agir, pour éviter les discriminations à l’intérieur d’une entreprise, sans permettre à des associations de procéder à de telles actions de groupe au sein de ces mêmes entreprises.
Enfin, un élément extrêmement important est l’entrée en vigueur des dispositions relatives à l’action de groupe. La commission a émis un avis favorable sur une disposition qui renvoie d’ailleurs à ce que le Gouvernement avait lui-même proposé : les poursuites au titre de l’action de groupe ne seront possibles que pour des manquements aux obligations de la personne morale visée par la lutte contre les discriminations qui surviendraient après l’entrée en vigueur de la loi, et non pas rétroactivement.
C’est pourquoi, me tournant vers vous, madame Gruny, je vous indique qu’il existe deux voies possibles. La première consiste à exclure absolument l’action de groupe, mais, ce faisant, à nous priver peut-être de moyens d’améliorer la lutte contre les discriminations, et elle nous tient à cœur. La seconde consiste à examiner d’autres amendements, dont certains sont d’ailleurs signés de vous, qui permettraient de bien circonscrire cette action de groupe et de dégager un bon compromis.
C’est la raison pour laquelle, à la suite de notre excellent rapporteur, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement de suppression, ainsi que ceux que vous avez déposés sur d’autres articles. Cela permettra d’examiner d’autres amendements, que vous ou d’autres collègues avez déposés, encadrant l’action de groupe et évitant les dérives que nous craignons tous.
Tels sont, chère collègue, les arguments que je voulais développer. Toutefois, si les autres amendements que vous ou d’autres collègues avez déposés n’étaient pas adoptés, il vous resterait toujours le recours de repousser les différents articles que vous jugeriez insuffisamment amendés ; dans ce cas, la commission comprendrait très bien votre motivation.
M. le président. Madame Gruny, l’amendement n° 68 rectifié est-il maintenu ?
Mme Pascale Gruny. Après les explications du président de la commission des lois, je ne peux que le retirer, monsieur le président.
Les entreprises ont besoin d’entendre que nous travaillons à leur sécurité et à l’élaboration de textes stables ; la loi Hamon n’a qu’un an à peine, nous n’avons que peu de recul sur ses effets, et on revient déjà sur l’action de groupe. Or les class actions ont fait énormément de dégâts dans les entreprises ; leur arrivée en France fait donc peur.
J’ai déposé, par cohérence, des amendements de suppression de tous les articles concernant le socle commun. Je les retirerai au fur et à mesure de leur examen sans reprendre plus longuement la parole.
Je retire donc mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 68 rectifié est retiré.
L’amendement n° 36 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Guérini, Castelli, Collin et Fortassin, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° L’action ouverte sur le fondement du chapitre III du titre II du livre IV du code de la consommation.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Le socle processuel prévu par les articles 19 à 42 relatifs à l’action de groupe doit s’appliquer à l’action collective en matière de consommation et de concurrence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. L’action de groupe en matière de consommation répond à un régime particulier. On ne peut la renvoyer ainsi de manière abstraite au socle commun procédural, sans modifier tout ce régime.
Notre avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a été adoptée, elle est en application et nous sommes en train d’en évaluer les effets, comme cela a été rappelé.
Nous souhaitons donc que les choses restent en l’état pour ce qui concerne la consommation. Le socle procédural prévu dans ce texte concerne les discriminations et une partie du champ du travail, ainsi que, au fur et à mesure, les autres matières devant en relever, comme la santé, puisque le projet de loi relatif à la santé est en cours d’adoption.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je rejoins le sentiment de notre collègue Jacques Mézard. Dans la justice du XXIe siècle – c’est d’ailleurs l’occasion de souligner la démarche gouvernementale –, l’action de groupe doit être un moyen d’agir y compris devant les juridictions administratives, et doit être déclinée dans différents domaines. Il serait utile que le socle procédural s’applique un jour à la santé et à la consommation.
Certes, il est extrêmement compliqué de le décider dans l’immédiat, car cela impliquerait de revoir l’ensemble du droit applicable, mais je souhaite qu’un jour le socle soit véritablement commun, ce qui sera tout de même beaucoup plus simple pour les praticiens.
M. le président. Monsieur Mézard, l’amendement n° 36 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 36 rectifié est retiré.
L’amendement n° 179, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° L’action ouverte sur le fondement de l’article 225-1 du code pénal.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Il s’agit, par cet amendement, d’harmoniser et de compléter la liste des motifs de discrimination qui peuvent fonder une action de groupe devant le juge judiciaire, par renvoi aux dispositions de l’article 225-1 du code pénal.
Ainsi, une action de groupe pourrait être ouverte sur le fondement d’autres motifs de discrimination que ceux qui sont prévus par le projet de loi, lequel renvoie à la liste des motifs de discrimination mentionnés dans la loi du 27 mai 2008. La liste de l’article 225-1 du code pénal est plus large.
De cette façon, l’amendement permettrait d’étendre l’action de groupe notamment aux personnes victimes de discriminations liées à leur état de santé. On peut citer, par exemple, les personnes atteintes du sida ou d’un cancer, très souvent victimes de discriminations en raison de leur maladie.
Ces discriminations portent préjudice à un nombre considérable de personnes. C’est pourquoi l’action de groupe doit pouvoir être introduite sur le fondement de ces autres motifs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. Cet amendement vise à étendre le champ de l’action de groupe à la lutte contre les discriminations mentionnées dans le code pénal. La modification proposée manque toutefois son objectif faute de définir à quoi correspond l’action ouverte sur le fondement de l’article 225-1 du code pénal.
La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’entends votre préoccupation, madame la sénatrice, et je la crois fondée. Néanmoins, la formulation retenue par la commission – je parle sous le contrôle de M. le rapporteur –, selon laquelle les discriminations concernées sont visées par les dispositions législatives en vigueur, me semble couvrir tous les cas.
M. Yves Détraigne, rapporteur. En effet !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tous les cas prévus dans le code pénal sont donc déjà couverts. Par conséquent, puisque votre préoccupation est satisfaite, madame Benbassa, je vous demande de retirer cet amendement.
M. le président. Madame Benbassa, l’amendement n° 179 est-il maintenu ?
Mme Esther Benbassa. Pardon de vous contredire, madame la garde des sceaux, mais je ne crois pas que ma préoccupation soit satisfaite !
La discrimination à l’embauche fondée sur l’état de santé de la personne ne figure pas dans le projet de loi. Je peux bien sûr me tromper – je ne connais pas les codes ni les articles du présent projet de loi par cœur –, mais il conviendrait peut-être de vérifier…
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Votre préoccupation mérite en effet qu’on l’examine de près et que l’on se soucie de ces cas.
Néanmoins, que sommes-nous en train de faire ? Nous établissons un socle procédural. M. Bigot rappelait précédemment qu’il existe en droit différentes matières. Ce qui nous semble utile, et que nous parvenons à faire enfin avec ce socle commun, c’est l’unification de notre droit, qui est aujourd’hui très segmenté : c’est mieux pour le justiciable, c’est mieux pour la société, et c’est donc mieux aussi pour l’institution judiciaire.
Cela étant posé, nous avons des codes différents et des règles qui en relèvent. Ainsi, nous avons un code de la santé et, malgré un socle procédural commun, pour certaines spécificités, il faudra se référer à ce code. Toutefois, cela restera beaucoup plus simple et plus cohérent que d’avoir une action de groupe relative à la santé, une autre relative à l’environnement, une au travail, et ainsi de suite. Ce socle permettre une utile harmonisation et, d’une façon générale, il sera suffisant. Dans certains cas, cependant, il sera nécessaire de revenir au code pour plus de précisions.
J’en reviens à votre amendement. Tout d’abord, la discrimination doit être établie. Or, même si, en général, il s’agit de préjudices sériels – j’évoquais hier le procès du Mediator ou celui des prothèses mammaires –, la victime est isolée. L’action de groupe a au moins deux vertus : elle permet de rassembler des actions qui resteraient sinon individuelles et elle facilite l’administration de la preuve.
Vous souhaitez que soit prise en compte la discrimination que subirait une personne fragilisée par une maladie, sur le fondement de son apparence ou d’une autre source d’information. C’est couvert par la loi, madame la sénatrice. Reste à apporter la preuve de la discrimination, et l’action de groupe facilitera la tâche des personnes qui s’estiment victimes.
Vous donnez un exemple de discrimination, mais il est possible qu’il en existe dix ou quinze ! Ce dont nous devons nous assurer, c’est que la loi prévoie bien tous les cas de discrimination. À cet égard, la formulation retenue par la commission me paraît meilleure.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur. Je veux confirmer que la rédaction de la commission vise déjà l’ensemble des cas de discrimination reconnus dans la loi française. Il me semble donc que l’amendement est satisfait.
M. le président. Je mets aux voix l’article 19.
(L’article 19 est adopté.)
Article 19 bis (nouveau)
Sauf disposition contraire, l’action de groupe est introduite et régie selon les règles prévues par le code de procédure civile.
M. le président. L’amendement n° 93 rectifié, présenté par Mme Gruny, MM. Retailleau, Kennel et Trillard, Mme Hummel, MM. Commeinhes et Lefèvre, Mme Micouleau, MM. Laufoaulu, Bizet, Gilles et Doligé, Mmes Des Esgaulx et Cayeux, MM. Grand et Pellevat, Mme Canayer, M. Lenoir, Mme Di Folco, M. Buffet, Mme Procaccia, MM. Vaspart et Bouchet, Mmes Deroche et Mélot, M. Frassa, Mme Giudicelli, M. Pierre, Mme Imbert, M. Mandelli, Mme Troendlé, M. Houel, Mme Morhet-Richaud, MM. Savin, Darnaud et Genest, Mme Lopez, M. Vasselle, Mme Deseyne et M. Saugey, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 93 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 19 bis.
(L’article 19 bis est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 71 amendements au cours de la journée ; il en reste 153.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 5 novembre 2015, à dix heures trente, à quatorze heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications (n° 109, 2015-2016) ;
Rapport de M. Joël Guerriau, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 132, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 133, 2015-2016).
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales ;
Rapport de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 129, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 130, 2015-2016).
Proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale (n° 492, 2014-2015) ;
Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission des lois (n° 117, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 118, 2015-2016).
Suite du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle (procédure accélérée) (n° 661, 2014-2015) ;
Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois (n° 121, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 122, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 5 novembre 2015, à zéro heure trente.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART