M. Georges Labazée. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par Mmes David, Assassi, Beaufils, Cohen et Prunaud et MM. Billout, Bosino et Watrin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 1110-5-1, il est inséré un article L. 1110-5-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-… – Toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique, ou la plaçant dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant une mort rapide et sans douleur. Cet acte peut être accompli par la personne elle-même ou par le médecin qu’elle a choisi. » ;
2° Après l’article L. 1111-10, il est inséré un article L. 1111-10-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-10-… – Le médecin, saisi d’une demande d’assistance médicalisée pour mourir, saisit dans les meilleurs délais un confrère indépendant pour s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle se trouve la personne concernée. Ils vérifient, à l’occasion d’un entretien avec la personne malade, le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa demande.
« Ils informent la personne malade des possibilités qui lui sont offertes de bénéficier des dispositifs de soins palliatifs compatibles avec sa situation.
« Dans un délai maximum de huit jours suivant la première rencontre commune de la personne malade, les médecins lui remettent, en présence de sa personne de confiance, un rapport faisant état de leurs conclusions sur l’état de santé de l’intéressé.
« Si les conclusions des médecins attestent, au regard des données acquises de la science, que l’état de santé de la personne malade est incurable, que sa demande est libre, éclairée et réfléchie et qu’ils constatent à l’occasion de la remise de leurs conclusions que l’intéressé persiste, en présence de sa personne de confiance, dans sa demande, alors, le médecin doit respecter la volonté de la personne malade.
« L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.
« L’acte d’assistance médicalisée pour mourir est réalisé sous le contrôle du médecin choisi ou de premier recours qui a reçu la demande de l’intéressé et a accepté de l’accompagner dans sa démarche et ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date de confirmation de sa demande.
« Toutefois, si la personne malade en fait la demande, et que les médecins précités estiment que la dégradation de l’état de santé de la personne intéressée le justifie, ce délai peut être abrégé ; la personne peut à tout moment révoquer sa demande.
« Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical de la personne. » ;
3° Après l’article L. 1111-4, il est inséré un article L. 1111-4-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-4-… – Les professionnels de santé ne sont pas tenus d’apporter leur concours à la mise en œuvre d’une assistance médicalisée à mourir.
« Le refus du professionnel de santé est notifié sans délai à l’auteur de cette demande ou, le cas échéant, à sa personne de confiance. Afin d’éviter que son refus n’ait pour conséquence de priver d’effet cette demande, il est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible d’y déférer. » ;
4° La section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie est complétée par un article L. 1111-13-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-13-... - Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats auxquels elle était partie la personne dont la mort résulte d’une assistance médicalisée pour mourir, mise en œuvre selon les conditions et procédures prescrites par le présent code. Toute clause contraire est réputée non écrite. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Mes chers collègues, cet amendement est issu de la proposition de loi de mon ami Guy Fischer, dont Gilbert Barbier a évoqué la mémoire ce matin. J’avais moi-même cosigné ce texte, issu des réflexions menées entre 2010 et 2011 par le groupe de travail de la commission des affaires sociales du Sénat : vous le constatez, voilà quelque temps que cette commission se consacre à ce sujet très important !
En s’inspirant des propositions de loi émanant de parlementaires de différents groupes, non seulement de celui auquel j’appartiens, le groupe communiste républicain et citoyen, mais aussi, à l’époque, du groupe socialiste et du groupe UMP, cette instance de travail avait formulé des propositions pour permettre et encadrer le recours à l’assistance médicalisée à mourir.
Le texte, adopté en commission, avait été rejeté en séance publique. Il traite pourtant d’un problème crucial et porte sur un sujet qui fait consensus auprès de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Ce constat vient d’être rappelé : plus de 90 % des Français se disent favorables à l’euthanasie et 86 % souhaitent que la nouvelle loi dédiée à la fin de vie légalise l’euthanasie active.
En effet, en la matière, nous sommes face à une évolution naturelle s’inscrivant dans la continuité des transformations des pratiques médicales auxquelles nous avons assisté au cours des dernières années. Le témoignage de notre collègue Olivier Cadic vient le confirmer.
Il s’agit, quand on est placé dans un état de dépendance que l’on estime incompatible avec sa dignité, de pouvoir demander une assistance médicalisée pour mourir. C’est le droit de mourir quand on le souhaite, où on le souhaite et comme on le souhaite, entouré de celles et ceux que l’on aime ; le droit de mettre fin à une maladie incurable, ou à des souffrances physiques ou psychiques insupportables ; le droit, aussi, de mourir chez soi, je le répète, entouré des siens.
Bien entendu, ce recours doit être encadré, limité aux personnes majeures qui en ont fait la demande. Les garde-fous nécessaires sont prévus pour empêcher les dérives : informations relatives aux soins palliatifs, délai de réflexion, vérification du caractère libre et éclairé du choix du patient, etc.
De plus, nous proposons d’introduire une clause de conscience, par laquelle le médecin peut refuser de pratiquer l’acte d’assistance pour mourir. Dans ce cas, il est prévu que le praticien oriente le patient vers un confrère ou une consœur à même de pratiquer l’acte.
Ce droit a déjà été ouvert par plusieurs de nos voisins européens – la Belgique et les Pays-Bas, par exemple. Or il n’a entraîné ni baisse des moyens alloués aux soins palliatifs ni hausse des pratiques d’euthanasie active. Cela prouve qu’en encadrant ce droit il est possible d’éviter d’éventuelles dérives.
M. le président. L'amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Godefroy, Labazée et Daudigny, Mmes Bataille et Campion, MM. Cazeau et Duran, Mme Guillemot, M. Filleul, Mme Lienemann, MM. Lorgeoux et Leconte, Mmes Lepage et Monier, MM. Madec, Poher et Raoul, Mmes Riocreux, Schillinger et Tocqueville et MM. Vaugrenard, Yung et Courteau, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Après l’article L. 1110-5-2, il est inséré un article L. 1110-5-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-2-1. - Toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, qui s'est vue proposer l'ensemble des soins palliatifs auxquels elle a droit, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré une mort rapide et sans douleur. Cet acte peut être accompli par la personne elle-même ou par le médecin qu'elle a choisi. Le médecin doit avoir la conviction que la demande de la personne est totalement libre, éclairée, réfléchie et qu'il n'existe aucune solution acceptable par elle-même dans sa situation. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement, comme les précédents, tend à aller plus loin que les dispositions du présent texte en créant une véritable aide active à mourir. À cette fin, il vise à instaurer, pour les personnes majeures, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable leur infligeant une souffrance qui ne peut être apaisée, et qu’elles jugent insupportable, un droit à bénéficier d’une véritable aide active pour mourir.
À quelques mots près, le texte de cet amendement reprend le dispositif de la proposition de loi déposée ici, au Sénat, par des élus appartenant à presque tous les groupes de la Haute Assemblée.
Je tiens à insister plus précisément sur deux points.
Premièrement, ce dispositif doit être strictement encadré. Il s’agit évidemment d’un droit, d’une liberté, d’une faculté, et en aucun cas d’une obligation. Le médecin doit avoir la conviction que la demande de la personne est formulée de manière totalement libre, éclairée et réfléchie, et qu’il n’existe aucune autre solution acceptable par elle-même dans sa situation. Bien entendu, les médecins auront toujours la faculté d’exercer leur clause de conscience.
Deuxièmement, l’aide active pour mourir ne s’oppose ni à la sédation terminale ni, surtout, aux soins palliatifs. Au contraire, elle les complète. Elle ne ferait que donner un choix supplémentaire aux personnes en souffrance qui vivent leurs derniers moments.
À cet égard, il s’agit d’un amendement d’empathie et de fraternité, qui laisse les personnes malades décider elles-mêmes si elles préfèrent vivre leurs derniers moments dans la conscience ou dans l’inconscience ; qui les laisse choisir elles-mêmes ce qu’elles estiment être digne pour elles ; qui leur assure qu’elles ne seront pas contraintes de subir la douleur.
Si j’ai déposé cet amendement, avec un certain nombre de mes collègues, c’est parce que toutes ces possibilités sont sollicitées par les personnes en fin de vie. Il y va de notre rôle de législateur de les entendre.
J’entends parfois dire que l’on ne fait pas des textes pour les minorités. Je suis persuadé, au contraire, que le législateur se grandit en tenant compte des minorités et en apportant des réponses aux questions qu’elles soulèvent.
Ma position se fonde sur la conviction qu’il n’appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux hommes de religion ni aux techniciens chargés des machines qui maintiennent artificiellement en vie de décider ; seule devrait compter la volonté du patient.
Refuser cette liberté à ceux qui la demandent, c’est ajouter de la souffrance à la souffrance !
Je reviendrai sur ces questions en explication de vote. Toutefois, je tiens d’ores et déjà à réagir aux propos que vient de tenir Annie David : dans les pays qui nous entourent, et qui sont loin d’être des contrées barbares – la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suisse –, auxquels il faut ajouter, aux États-Unis, aujourd’hui l’Oregon, demain la Californie, ces dispositions s’appliquent dans de très bonnes conditions. On n’a pas observé d’augmentation des actes d’euthanasie. Plus généralement, aucune dérive n’a été constatée.
Nous ferions bien de nous inspirer de ces modèles, pour aller beaucoup plus loin.
Au reste, ces exemples devraient être à même de rassurer M. Philippe Bas. (Exclamations au banc des commissions.) En effet, si les craintes qu’il exprime étaient justifiées, nous n’aurions pas eu à déposer ces amendements ! (Mme Stéphanie Riocreux et M. Olivier Cadic applaudissent.)
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par Mmes Bouchoux, Archimbaud, Benbassa et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Après l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1110-5-... ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5... – Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir.
« La demande du patient est immédiatement étudiée par un collège de trois médecins afin d’en vérifier le caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite et de s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle se trouve l’intéressé.
« Si le patient confirme sa volonté de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir au moins quarante-huit heures après sa demande initiale, alors sa volonté doit être respectée.
« Dans un délai maximal de quatre jours après la confirmation de la demande par le patient, l’assistance médicalisée active à mourir est pratiquée, selon la volonté du patient, soit par le patient lui-même en présence du médecin, soit par le médecin. L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.
« L’ensemble de la procédure suivie est inscrite dans le dossier médical du patient. »
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Cet amendement, dont les dispositions s’inscrivent dans la continuité des six précédents, vise à répondre à une attente très importante de la population française : 96 % de nos concitoyens souhaitent en effet la mise en place d’une aide active à mourir.
Il s’agit là d’un combat précédemment engagé, sur ces travées, par des élus issus de différentes familles politiques. Pour les écologistes, Jean Desessard et Marie-Christine Blandin l’ont repris ici, dès leur arrivée au Sénat.
Nous pensons, très humblement mais très fermement, que, sur ce point, il y a déconnexion entre l’attente de la population, qui se fait jour au cours des réunions publiques, et la sociologie actuelle du Sénat. (M. Olivier Cadic approuve. – M. Daniel Chasseing proteste.) Ce n’est pas émettre un jugement que de le dire !
Il y a quelques instants, l’amendement du Gouvernement qui prévoyait une consolidation de la loi Leonetti n’a recueilli qu’une dizaine de votes. Nous devons admettre que le Sénat est comme il est, avec les nombreuses réserves qu’il exprime.
Mes chers collègues, depuis le début de ce débat, on entend beaucoup d’interventions commençant par ces mots : « Moi, en tant que juriste » ou « Moi, en tant que médecin »…
Je souhaite véritablement que l’on sorte de cette posture. On ne fait pas la loi pour les médecins, même s’il convient de faciliter leurs conditions d’exercice ; on ne fait pas plus la loi pour le plaisir des juristes : la loi est au service de l’intérêt général, de tous les citoyens, de toutes les citoyennes, y compris des plus vulnérables, lesquels, sur cette question précise, ont de très grandes attentes.
Mais force nous est, hélas ! d’être réalistes. Aussi, ce que nous proposons, c’est que l’on puisse mettre en œuvre l’aide active à mourir.
Neuf des membres du groupe écologiste en sont ardemment convaincus : bien encadré sur le plan médical, à l’instar de ce qui se fait dans une dizaine de pays, bien surveillé, bien expliqué aux proches avec toute la pédagogie nécessaire, ce dispositif n’est pas du tout la fin d’un monde que certains nous annoncent, mais, au contraire, un geste de fraternité pour ceux qui le demandent, dans les conditions qu’ils ont souhaitées.
J’en suis persuadée, dans quelques années, un tel texte sera voté dans cet hémicycle, et je l’appelle de mes vœux.
J’espère sincèrement que l’on pourra instaurer une assistance médicalisée à mourir, même s’il faut parallèlement « désenclaver » cette question qui, loin de n’intéresser que le monde médical, nous concerne tous ! (MM. Jean-Pierre Godefroy et Olivier Cadic applaudissent.)
M. Georges Labazée. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Mes chers collègues, je ne reprendrai pas un à un ces divers amendements, étant donné qu’ils relèvent tous de la même philosophie.
Bien entendu, je pourrais balayer l’ensemble de ces dispositions en les déclarant hors sujet, au motif que cette proposition de loi est destinée aux personnes en fin de vie. Mais je ne souhaite pas répondre de cette manière aux auteurs de ces amendements. Aussi, sans aller trop dans les détails, je souhaite réagir à quelques-uns des propos que j’ai entendus.
Tout d’abord, je reviendrai sur le dernier argument qui a été invoqué – c’est peut-être celui qui, à titre personnel, me choque le plus.
Bien entendu, les lois ne sont pas faites uniquement pour les médecins ou pour les juristes. Elles sont faites pour tout le monde. (Mme Corinne Bouchoux approuve.) C’est particulièrement vrai de cette proposition de loi puisque, par définition, nous allons tous mourir.
On peut, naturellement, invoquer la fraternité. Mais, de grâce, n’opposons pas la fraternité de ceux qui sont pour l’euthanasie, et la fraternité de ceux – j’en fais partie – qui sont contre. Le choix de se battre contre la douleur à travers la sédation profonde et continue – c’est la solution que je m’efforce de défendre depuis que nos travaux ont débuté, il y a de nombreuses semaines – relève de la même démarche de fraternité.
Ensuite, je tiens à répondre sur le sujet des sondages.
Plusieurs d’entre vous ont en effet cité les résultats d’un sondage faisant apparaître que 90 %, 95 % ou 96 % des Français sont favorables à une aide active à mourir. Encore faut-il savoir quelle était la question posée.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Michel Amiel, corapporteur. On a peu ou prou demandé aux sondés : souhaitez-vous achever votre vie dans des douleurs abominables, ou bien préférez-vous mourir sans douleur ? Il est évident que les personnes interrogées répondent préférer la première solution !
Pardonnez-moi d’évoquer mon cas personnel, mais, en trente-cinq ans d’exercice de la médecine, alors que j’ai accompagné des dizaines de patients jusqu’au bout, on ne m’a adressé que trois vraies demandes d’euthanasie active. Pourquoi aussi peu ? Parce que la psychologie change complètement en fin de vie. Quand on est bien portant, on souhaite a priori éviter à tout prix la souffrance en fin de vie, mais je puis vous assurer que, au seuil de la mort, les demandes ne sont plus les mêmes. Je peux le dire d’expérience, ainsi que bon nombre de mes confrères.
En fait, ce que les gens craignent, c’est l’agonie. L’euthanasie est une solution que je qualifierai d’« expéditive ». Les travaux de Philippe Ariès sur l’évolution des mentalités à l’égard de la mort depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours montrent bien que la mort est aujourd’hui complètement rejetée, que l’on cherche à la reléguer, à la masquer. D’ailleurs, on ne meurt plus chez soi que dans 25 % des cas ; on meurt le plus souvent à l’hôpital, parfois en service de réanimation, totalement coupé de l’affection des siens. Ce n’est pas que la réanimation permettrait de soulager une quelconque souffrance : tout simplement, bon nombre de professionnels de santé ne sont pas prêts à accompagner les patients jusqu’au bout.
C’est donc non pas la mort qui fait peur, mais l’agonie. Un sociologue anglo-saxon parle de pornographic death, considérant que la mort a pris une dimension pornographique. On préfère en effet aller mourir en des lieux où « les choses se passent bien ». Les familles elles-mêmes le demandent : « docteur, qu’il ne souffre pas », et surtout : « épargnez-moi la souffrance de l’agonie ».
Mon opposition à la solution expéditive que constitue l’euthanasie relève non pas de convictions philosophiques ou religieuses, mais de la pratique, de l’humanité et aussi, j’ose le dire, de la fraternité.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, on meurt mal en France. Si la qualité des soins palliatifs était du niveau que l’on peut attendre dans un pays comme le nôtre, je suis persuadé que le problème de l’euthanasie ne se poserait plus du tout de la même manière.
Enfin, j’ai entendu évoquer des « maladies incurables ». Je ne sais pas ce que recouvre cette notion. Il y a un siècle, le diagnostic de tuberculose équivalait à une condamnation à mort, comme en témoigne l’œuvre de Thomas Mann ; ce n’est plus vrai aujourd’hui.
Bien évidemment, je respecte tout à fait la position des auteurs de ces amendements, mais j’émets un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à l’ensemble de ces amendements. C’est un cadre différent qui a été adopté.
Néanmoins, je ne partage pas l’argumentation du rapporteur : ces amendements ne visent pas à imposer quoi que ce soit. Leurs auteurs entendent simplement offrir une possibilité, une liberté.
À ce stade, nous parlons de manière indifférenciée de stratégies alternatives à celle qui sous-tend le texte. Or, pour ma part, je ne mets pas sur le même plan aide active à mourir, assistance au suicide ou euthanasie active. On pourrait parfaitement considérer qu’une loi permette l’euthanasie active, tout en excluant l’assistance au suicide, ou l’inverse. C’est pourquoi les résultats des sondages doivent selon moi être lus avec une certaine prudence, dans la mesure où ils expriment avant tout la demande d’un accompagnement, d’un soutien plus actif, d’une action résolue contre la douleur.
Certains de nos concitoyens souhaitent que nous allions plus loin que ce que prévoit cette proposition de loi, mais tous ne défendent pas, pour autant, les mêmes positions. Par exemple, si l’on plaide pour la démédicalisation de la fin de vie, on s’éloigne de l’euthanasie, qui suppose par définition l’intervention d’un médecin. On peut être en faveur d’une aide active à mourir sans prôner le recours à l’euthanasie. On ne peut pas préjuger de ce que serait la position de la société française sur un texte différent de celui dont nous discutons.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l’amendement n° 1 rectifié.
M. Jean-Pierre Godefroy. Si le rapporteur avait tenu d’emblée les mêmes propos, cela m’aurait incité à ne pas voter le texte, contrairement à ce que je m’apprête à faire !
Monsieur le rapporteur, certains de vos arguments sont tout de même sujets à caution ! La fraternité, selon nous, c’est de permettre l’ensemble des solutions, d’ouvrir toutes les possibilités : les soins palliatifs, la sédation profonde, l’aide active à mourir.
Le texte, tel qu’il est aujourd’hui, ne réglera pas tous les problèmes. Certains, malheureusement, continueront à partir à l’étranger pour y finir leur vie dignement.
Mme Corinne Bouchoux. Il faut en avoir les moyens !
M. Jean-Pierre Godefroy. Comme sur d’autres sujets que je n’évoquerai pas ici, il existe une ségrégation par l’argent, qui perdurera. Ceux qui n’ont pas les moyens de se rendre en Suisse seront privés de la possibilité de bénéficier de l’aide active à mourir.
Je regrette vivement que l’on ne puisse pas avancer davantage. Nous aurions pu voter un très important texte de société, dont je suis convaincu qu’il est attendu par les Français, et pas seulement pour les raisons que vous avez exprimées, monsieur le rapporteur. Il est essentiel de pouvoir choisir : le corps, l’esprit, le cerveau d’un être humain sont inaliénables. Chacun doit pouvoir décider comment il finira sa vie, s’il partira conscient ou inconscient, s’il fera ou non un dernier bilan ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je souscris tout à fait aux propos de M. Godefroy.
Monsieur le rapporteur, il est évident que, dans les derniers instants, en situation de complète dépendance, on ne demande plus à partir. Nous parlons ici de gens pleinement conscients qui, justement, ne veulent pas se retrouver dans la situation que vous avez décrite, où ils ne seraient plus en état de dire « stop ! ».
Vous évoquez la fraternité, mais je vous parle aussi de liberté. Seriez-vous contre la liberté ? Je ne le crois pas !
Le grand texte qui autorisera l’aide active à mourir, l’interruption volontaire de la vie, nous l’attendons, madame la ministre ! (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. À mon tour, je souscris aux propos de Jean-Pierre Godefroy, qui a su trouver les mots justes.
Monsieur le rapporteur, la commission est parvenue à un consensus. Or vous avez employé des termes qui m’ont quelque peu choquée, notamment lorsque vous avez qualifié l’euthanasie de « méthode expéditive ». Par ailleurs, vous refusez que l’on parle de maladies incurables, en invoquant l’exemple de la tuberculose. Il est évident que nous ne visons ici que les maladies aujourd’hui incurables ! On ne va pas en établir une liste !
M. Michel Amiel, corapporteur. Nous sommes d’accord !
Mme Annie David. Votre position est tout à fait respectable, mais vos arguments ne me semblent pas pertinents.
Il convient de respecter la volonté de chacun. Pour cela, il faut ouvrir des droits nouveaux, comme le demandent une partie de nos concitoyens. Vous dites, monsieur Amiel, n’avoir été confronté qu’à trois demandes d’euthanasie active dans votre vie antérieure de médecin : ce sont tout de même trois cas ; que répondre à de telles requêtes ? Avec ce texte, vous auriez pu, en toute légalité, faire ce que vos patients vous demandaient ou les orienter vers une consœur ou un confrère acceptant de le faire.
Il ne s’agit évidemment pas de rendre l’euthanasie obligatoire pour toute personne parvenue au dernier stade d’une maladie incurable ! Il s’agit d’offrir une liberté de choix.
Nous connaissons tous des cas douloureux. Ainsi, je me trouvais à Paris tandis qu’une personne chère mourait à Grenoble. Ce sont des moments difficiles… J’aurais aimé que les choses se passent dans de meilleures conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Olivier Cadic applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. Une autre orientation a été retenue pour l’élaboration de ce texte. Souvenons-nous des nombreuses attaques contre le suicide assisté et l’euthanasie.
Bien sûr, il faut laisser à chacun la liberté de choisir. D’ailleurs, le texte s’inscrit dans le respect des directives anticipées. N’y a-t-il pas une possibilité d’exprimer le souhait de bénéficier d’un suicide assisté ? Que ferait le médecin en ce cas ? Pour ma part, je prône le respect de la volonté du patient et des directives qu’il a laissées. Le débat est complexe, mais il faut souligner qu’il ne s’est pas orienté de cette façon en commission, bien que tous les sujets aient été mis sur la table. Certains ont affirmé que les Français n’étaient pas prêts à entendre parler d’euthanasie ou de suicide assisté, mais il s’agit d’une vraie question.