M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l’amendement n° 731.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je souscris aux arguments que viennent d’avancer Mme la ministre et mes collègues.
J’insiste sur le fait que, pour une femme, la décision de pratiquer une IVG n’est jamais un acte banal et n’est jamais prise à la légère. Au contraire, cette décision est prise en toute responsabilité. Le délai de réflexion obligatoire peut même compliquer la situation, compte tenu des difficultés d’accès à l’IVG que l’on connaît ; au fond, je le ressens pour ma part comme l’expression de la tentation toujours présente, quoi que l’on en dise, de remettre en cause ce droit si important pour les femmes.
Notre groupe soutient donc ces amendements identiques présentés par différents groupes.
M. le président. L’amendement n° 860 rectifié ter n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour présenter l’amendement n° 1113.
Mme Aline Archimbaud. Nous défendons le même amendement, pour les mêmes raisons.
Quand une femme prend une telle décision, douloureuse, grave, quand elle l’a mûrement réfléchie, le plus souvent accompagnée de professionnels extrêmement compétents, il faut respecter cette décision. Imposer un délai de réflexion est une forme de retour en arrière. On sait combien la bataille pour la légalisation de l’IVG en France a été dure et a exigé du courage, il y a des décennies. On ne va pas revenir en arrière !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, corapporteur. Ces amendements identiques visent à rétablir l’article 17 bis, inséré par l’Assemblée nationale en commission, contre l’avis du Gouvernement à l’époque. Notre commission des affaires sociales a souhaité sa suppression. Comme cela a été dit, l’article 17 bis tendait à supprimer le délai de réflexion de sept jours avant la réalisation d’une IVG.
Je veux revenir sur les raisons qui justifient le choix de la commission : il s’agit d’un désaccord avec la méthode retenue pour la discussion d’un sujet de cette importance, sans préjuger du débat de fond sur la question.
Nous considérons qu’il est parfaitement légitime de s’interroger sur les aménagements qu’il convient d’apporter au délai de sept jours. Cependant, comme le Gouvernement lui-même l’a affirmé devant l’Assemblée nationale, par la voix de la ministre Marisol Touraine, la question qui nous est posée ne peut recevoir de réponse évidente.
Permettez-moi en effet de rappeler les arguments développés par le Gouvernement au moment de la discussion en commission de l’amendement qui allait devenir l’article 17 bis :
« L’accès concret à l’IVG doit bien entendu être garanti. C’est en tout cas l’objectif du plan que j’ai présenté le 17 janvier dernier. […]
« La suppression du délai de réflexion ne fait pas partie des mesures que j’ai proposées, et je ne suis pas sûre qu’elle soit de nature à faciliter l’accès au droit dont nous parlons. Certaines situations particulières, j’en ai conscience, peuvent exiger une accélération de la procédure ; ainsi, lorsque la grossesse est à un stade avancé, le délai est d’ores et déjà raccourci.
« On peut aussi envisager un raccourcissement du délai dans les cas d’IVG pratiquées par voie médicamenteuse, autorisées pendant les cinq premières semaines de la grossesse. Dans la plupart des cas, cependant, le délai de réflexion est utile. Doit-il rester fixé à sept jours ? La question peut être posée ; mais, en tout état de cause, je suis défavorable à sa suppression, car la décision qui est en jeu, si elle est un droit absolu, est évidemment tout sauf banale. »
Notre commission approuve la position adoptée alors par Mme la ministre : la question des aménagements à apporter ou non à ce principe peut se poser, et les enjeux ne sont pas minces. Autrement dit, la question du délai de réflexion est une difficile et mérite selon nous de faire l’objet d’un examen approfondi. Or il nous semble que discuter du maintien ou non du délai de réflexion par la voie d’amendements ne permet pas de réunir les conditions d’un tel examen, contrairement à ce que permettrait une discussion dans le cadre d’un texte spécifiquement consacré à cette question.
Je suis personnellement en plein accord avec les arguments développés par Mme la ministre devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Je voudrais ajouter que la suppression brutale de ce délai ne me semble pas logique.
On aurait pu envisager, par exemple, que le médecin puisse proposer, sans obligation, un délai de réflexion dans les cas où ce délai lui paraît utile : nous aurions pu accepter une telle proposition. Nombre de médecins disent également que, dans le cadre du délai de réflexion actuellement imposé, certaines femmes reviennent les voir pour leur dire qu’elles renoncent à l’IVG.
Mme Dominique Gillot. Évidemment !
M. Alain Milon, corapporteur. C’est bien la preuve que ce délai de réflexion est parfois utile. Puisque tel est le cas, on pourrait préciser que le délai de réflexion est laissé au libre choix de la femme, ou tout simplement indiquer que le médecin peut en proposer un.
Mme Nicole Bricq. Il fallait déposer un amendement !
M. Alain Milon, corapporteur. Nous n’avons pas déposé d’amendement, parce que nous estimons que cette question doit faire l’objet d’un débat national préalable à l’examen d’un texte spécifique. Elle ne saurait être tranchée au détour d’un amendement adopté par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale à deux heures du matin.
Mme Nicole Bricq. Il est seize heures quarante-cinq et nous sommes au Sénat !
M. Alain Milon, corapporteur. Quoi qu’il en soit, nous sommes défavorables à la méthode retenue, mais pas forcément au contenu de la disposition adoptée. Nous serions plutôt favorables, en fait, à la proposition d’un délai de réflexion, plutôt qu’à un délai obligatoire.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous souhaitons en revenir au texte initial de la loi Veil, quitte à réexaminer la question lors de l’examen d’un projet de loi ou d’une proposition de loi spécifique, après un débat national avec l’ensemble des acteurs.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Je veux revenir sur la procédure et sur la manière dont ma propre réflexion a évolué, car vous auriez pu également citer les propos que j’ai tenus en séance publique à l’Assemblée nationale, monsieur le corapporteur.
Lorsque j’ai présenté le plan pour faciliter l’accès à l’IVG, à la mi-janvier 2015 – je ne me souviens plus de la date exacte, peu importe –, le 11 janvier n’était pas loin.
Aussi, je me suis interrogée et je m’en suis ouverte au Premier ministre : au moment où la France est divisée, déchirée par des événements extérieurs, mais où elle essaie de se rassembler, est-il opportun de donner le sentiment – j’insiste sur cette expression – que nous utiliserions ce mouvement de consensus existant dans le pays pour faire passer des mesures sur des sujets qui appellent des débats ?
La question était de savoir non pas si l’on pouvait parler d’IVG au moment où la France était confrontée au terrorisme, car la réponse était évidemment positive, mais si nous ne risquions pas un procès d’intention. En effet, je craignais que l’on ne nous reproche de nous servir de l’unanimité régnant dans le pays pour avancer sur un sujet sensible, tel que l’était aussi le mariage pour tous – d’ailleurs, on a revu les mêmes acteurs à l’Assemblée nationale –, et faire passer des mesures dont les Français ne voudraient pas.
Je ne dis pas que les choses se seraient forcément passées ainsi, mais, en tout cas, nous n’avons pas voulu prendre ce risque. Aussi, j’ai expressément indiqué, lors de la présentation du plan en janvier 2015, que la mesure de réduction du délai de réflexion que j’avais envisagée n’y figurait plus.
Lorsque je suis arrivée devant l’Assemblée nationale, j’avais dans l’idée, après en avoir débattu en amont avec les parlementaires, que nous allions proposer une mesure relative à la réduction ou la suppression du délai dans le cadre du débat, avec la volonté de discuter de ces deux options.
J’étais moi-même, je l’avoue, hésitante, mais nous avons le droit d’évoluer. Voyez-vous, monsieur Milon, j’estime que c’est toute la grandeur du débat parlementaire. Contrairement à ce que vous dites, c’est non pas à la sauvette, à deux heures du matin, mais à la suite de longs débats à l’Assemblée nationale, tant en commission qu’en séance, que ma position a évolué.
En ce qui me concerne, au départ, j’étais presque favorable au maintien d’un délai symbolique, de 24 heures ou 36 heures, pour qu’il soit dit qu’il y avait un moment de réflexion, si court soit-il. Il m’a été rétorqué qu’un tel moment symbolique ne changerait rien dans la pratique. C’était simplement une façon de dire qu’un temps de réflexion était prévu, mais les femmes sont responsables et capables de prendre leur décision.
J’ai été convaincue et je me suis retrouvée sans argument pour justifier un délai d’un jour ou de deux, plutôt que la suppression du délai de réflexion. Moi qui avais toujours pensé, évidemment, que les femmes pouvaient prendre leurs décisions en pleine responsabilité, je me suis dit qu’il n’y avait aucune raison de maintenir un délai de réflexion, dès lors que cela introduit un doute sur la capacité de décision des femmes.
Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le président de la commission. Vous avez repris mes propos lors de la réunion de commission, qui ne constitue qu’un temps du débat parlementaire ; vous auriez pu en reprendre d’autres, prononcés lors d’étapes ultérieures de la procédure.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, madame la ministre, et j’ai relu les débats. Force est de constater que, en séance publique, vous avez été soumise à une pression très forte de la majorité à l’Assemblée nationale,…
Mme Nicole Bricq. Elle est capable d’y résister !
M. Gilbert Barbier. … alors que, peut-être, au fond de vous-même, vous étiez au départ favorable à une simple modification de ce délai de réflexion. C’est du moins ce que vous aviez exprimé devant la commission. Je veux bien que vous mettiez en avant les événements du mois de janvier dernier, mais je pense que vous avez surtout cédé à une pression de votre majorité à l’Assemblée nationale. (Oh ! sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mes chers collègues, relisez les débats, qui ont été très longs.
Mme Annie David. Il faudrait savoir ! Le président de la commission vient de dire que la décision avait été prise à la sauvette !
Mme Nicole Bricq. Soyez de bonne foi, monsieur Barbier !
M. Gilbert Barbier. Mais je suis de bonne foi ! J’ai relu les textes, car il s’agit un moment important. L’IVG n’est pas un acte banal. Il faut reprendre les propos de Mme Veil, que vous convoquez maintenant à vos côtés, après l’avoir suffisamment combattue dans d’autres domaines.
Mme Nicole Bricq. Nous l’avons soutenue !
M. Gilbert Barbier. Une partie de la gauche l’a soutenue !
Madame la ministre, vous n’êtes pas sans savoir que l’organisation d’une IVG pose des problèmes pratiques. Si vous supprimez totalement le délai de réflexion, les femmes consultant leur médecin vont exiger, puisqu’elles estimeront qu’elles n’ont plus besoin de délai de réflexion, que l’on pratique en une seule séance l’IVG, ce qui n’est pas possible. Matériellement, c’est très difficile, et éthiquement, ce n’est pas souhaitable.
Effectivement, un certain nombre de femmes ont la possibilité de décider, et il n’est pas question, dans le délai de réflexion, de faire changer d’avis la femme qui a décidé une IVG. Toutefois, il faut bien dire qu’il est impossible d’organiser l’IVG en une seule séance, au cours de laquelle le médecin devrait obéir aussitôt.
Mme Laurence Cohen. Personne ne dit cela !
M. Gilbert Barbier. Si ! S’il n’y a plus de délai de réflexion, il faudra sans doute s’organiser pour pratiquer immédiatement l’IVG.
Je pense que Mme la ministre avait une position personnelle quelque peu différente, qu’elle a exprimée devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.
Je n’ai pas d’objection à ce que le délai soit réduit à 3 ou 4 jours. Je ne me souviens d’ailleurs plus pourquoi il avait été fixé initialement à une semaine. Néanmoins, à mon avis, ce n’est pas le fait de donner un petit délai de réflexion qui fera perdre des chances aux femmes.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. J’accepte complètement le débat, mais à partir du moment où il s’inscrit dans le cadre du problème qui est le nôtre, à savoir légiférer pour supprimer le délai de réflexion. C’est bien un principe de responsabilité qui est en jeu. Or à mes yeux, celui-ci ne se partage pas.
Ce n’est pas un problème de temps : il s’agit de reconnaître que la femme, comme l’homme, a une responsabilité pleine et entière. Quand on se dit libéral, comme certains d’entre vous, mes chers collègues, on l’est tout le temps, y compris dans l’affirmation de ce principe de responsabilité, qui renvoie au libre arbitre.
Mon grand âge me permet de me souvenir de débats anciens, du temps où nous vivions sous le joug de la loi de 1920. Je l’admets, monsieur le président de la commission, nous ne pensons pas comme vous sur le fond, car nous rejetons cette culpabilité dans laquelle on a toujours tendance à enfermer les femmes ayant recours à des avortements : « Tu as péché, tu dois payer ! » C’est toujours la même chose ! Ce n’est pas un problème de jours : c’est une question de fond qui nous sépare.
Monsieur Milon, il est faux de dire que la mesure a été votée à la sauvette à deux heures du matin. De toute façon, beaucoup de séances de nos assemblées ont lieu la nuit. Or je ne sache pas qu’on légifère en pleine responsabilité le jour et pas la nuit. Votre argument ne tient pas bien la route de la réflexion critique ! Le débat a été long à l’Assemblée nationale, et Mme la ministre vient de nous dire que ce débat lui avait justement permis d’évoluer.
Monsieur Barbier, vous avancez que Mme la ministre aurait cédé sous la pression. Non ! Je crois que c’est lui faire offense que de dire cela. Elle a montré ces derniers jours, mais également lors du débat sur la fin de vie, qu’elle était capable de résister et d’affirmer ses convictions quand elle n’était pas d’accord avec des amendements.
Enfin, puisque l’on cite souvent Mme Veil, je voudrais tout de même rappeler au Sénat, notamment à la majorité, que M. Neuwirth, qui a aussi eu beaucoup de courage, avant Mme Veil, au moment du débat sur la contraception, a été député, mais aussi sénateur. Faisons-lui honneur aujourd’hui en votant ces amendements !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote.
Mme Dominique Gillot. Je pense qu’il est important de ramener le débat à sa juste mesure. À un moment de la discussion – c’était hier, me semble-t-il – Mme Génisson remarquait que nous avions tendance à déraper d’un débat sanitaire vers un débat idéologique.
Aujourd’hui, tout le monde peut se rendre compte que la pratique de l’IVG a beaucoup évolué depuis son autorisation. Vouloir absolument maintenir les femmes dans une dépendance, un état de minorité, une incapacité à décider en connaissance de cause de ce qui est juste et bon pour elles, en vertu d’une autorisation de la loi, revient à les infantiliser.
Les arguments développés sont empreints d’une forme d’idéologie qui vise à revenir sur un acquis essentiel pour la liberté des femmes.
Je voterai avec beaucoup de conviction l’amendement du Gouvernement tendant à rétablir le texte supprimant ce délai dit « de réflexion ». Ne nous y trompons pas, la réflexion qui conduit une femme à venir solliciter l’IVG a été menée en amont ! Les femmes n’ont pas besoin de ce délai imposé, qui laisse la porte ouverte à des interventions qu’elles ne souhaitent pas forcément.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Certes, il est important de s’exprimer sur cet amendement, mais le temps que nous lui consacrons me semble démesuré. Nous parlons d’un droit acquis !
J’ai réagi aux propos de Catherine Génisson en évoquant la lutte des femmes, parce que tout acquis, notamment de cet ordre-là, se fait par la conjonction de la lutte et de l’action de femmes et d’hommes politiques qui concrétisent, par la loi, dans les hémicycles, les conquêtes obtenues.
Dans ce débat, certains avancent des prétextes. Je ne vois pas d’autres cas où il est demandé à une partie de la population de réfléchir pendant un temps donné à un acte qui la regarde. Finalement, on demande en substance aux femmes si elles sont vraiment sûres de prendre la bonne décision en recourant à une IVG.
Mes collègues sont toutes intervenues – il est vrai qu’il s’agissait d’une majorité de femmes – pour pointer une remise en cause du droit des femmes. En effet, c’est une façon de dire indirectement que nous sommes des êtres mineurs, qui devraient être sous tutelle. Mais sous tutelle de qui ?
Mme Dominique Gillot. Des médecins !
M. Gilbert Barbier. De la loi !
Mme Laurence Cohen. Franchement, je ne sais pas s’il s’agit des médecins. Je ne le crois pas, même, car il y a des médecins qui ne partagent pas cette position.
Je vois plutôt une manifestation de l’ordre patriarcal dans cette volonté de nous laisser un délai de réflexion pour bien peser le pour et le contre.
Toutefois, il ne s’agit pas d’un acte anodin ! Les femmes sont capables de décider sans besoin d’un délai de réflexion, dicté en général par une poignée d’hommes, même si ceux-ci n’ont pas l’exclusivité, qui décide à la place des femmes.
Aussi, à mon sens, il est temps de voter avec enthousiasme ces amendements proposés non seulement par Mme la ministre de la santé, mais aussi par les représentants de plusieurs groupes politiques qui soutiennent cette avancée. Votons-les sans tergiverser !
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. Au nom de la délégation aux droits des femmes, je veux dire que j’apprécie tout particulièrement la tenue de ce débat, en tout cas jusqu’à présent. (M. Gilbert Barbier s’exclame.) Monsieur Barbier, je vous en prie, je viens justement de me féliciter de la qualité du débat de fond et de l’absence de dérapage, car cela n’a pas toujours été les cas dans d’autres hémicycles…
J’ai bien entendu les propos de M. le président de la commission, qui, avec beaucoup de prudence, a rappelé que nous traitions effectivement d’un sujet douloureux, mais qu’il avait des interrogations sur la méthode.
Je voudrais le rassurer sur ce point : cette suppression figurait déjà parmi les 34 recommandations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Par ailleurs, nous avons nous-mêmes, au sein de la délégation, organisé une table ronde et auditionné plus de dix représentants et responsables, dont certains, d’ailleurs, ne sont pas spécialement favorables à l’IVG. Ces travaux nous ont conduits à conclure que la suppression de ce délai était souhaitable pour plusieurs raisons.
Premièrement, il ne faut pas considérer que la démarche sera facilitée. On ne frappe pas comme cela à la porte du médecin, qui, tout d’un coup, va pratiquer une IVG. Il y a d’abord un premier rendez-vous, avant de pratiquer l’intervention. Il est impossible, en termes de délais, de pratiquer une IVG du jour au lendemain.
Deuxièmement, soyez tout de même un peu conscients que, comme toutes les femmes l’ont dit ici, le simple fait d’aller frapper à la porte du médecin, de franchir ce pas, est déjà un choix ! Il me semble que les femmes sont capables de décider ce qui est nécessaire pour elles.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. Je soutiendrai, bien sûr, l’amendement présenté par Mme la ministre, auquel j’adhère. Je fais partie moi aussi de l’ancienne génération et je me souviens très bien de toutes les luttes menées par les femmes, bien avant la loi Veil.
Je voudrais rappeler que les femmes n’ont eu le droit de vote qu’en 1945 et qu’il leur a fallu attendre 1975 pour avoir l’autorisation d’avorter grâce à la loi présentée par Mme Veil.
Ce qui est proposé par Mme la ministre, c’est en fait le choix. C’est la femme qui choisit, parce que c’est de son corps qu’il s’agit et que celui-ci lui appartient. Ce qui paraît très important et qui vient d’être dit, c’est que le simple fait d’aller frapper à la porte du médecin montre qu’elle a déjà choisi. Y a-t-il vraiment besoin d’un délai de réflexion ? Je n’en suis pas sûre.
De plus, je pense que nous sommes des femmes, sinon « libérées » – je n’aime pas ce mot –, du moins suffisamment libres dans notre tête pour savoir ce nous voulons. Avoir un enfant, c’est une grosse responsabilité. Je me souviens du slogan des manifestations qui avaient lieu dans les années soixante-dix : « Un enfant si je veux et quand je veux ».
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Tout d'abord, madame la ministre, je voudrais vous remercier et saluer l’humanité avec laquelle vous avez décrit l’évolution de votre position sur le sujet qui nous occupe.
Ensuite, vous l’avez très bien dit, la femme est responsable.
Enfin, quand une femme rencontre son médecin pour solliciter une interruption volontaire de grossesse, celui-ci pratique bien évidemment un examen somatique pour apprécier la situation médicale de sa patiente. Néanmoins, il y a aussi un échange, ce qu’on appelle le colloque singulier, au cours duquel on peut tout se dire et tout se dit !
Si le médecin sent la femme hésitante ou s’il sent que sa décision n’est pas complètement acquise, il peut parfaitement proposer un délai. Toutefois, ce dernier devrait être non plus inscrit dans la loi, car cette question relève de la responsabilité de la femme qui sollicite du médecin une intervention. Elle appartient à la relation entre la femme et le médecin.
Il me paraît donc tout à fait opportun de voter l’amendement qui nous est proposé par le Gouvernement et par beaucoup d’entre nous pour supprimer ce délai de réflexion.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, corapporteur.
M. Alain Milon, corapporteur. Je disais tout à l’heure que j’aurais souhaité que le délai de réflexion ne soit pas imposé à la femme, mais que, au moins, il puisse lui être proposé.
Mes chers collègues, je voudrais simplement vous rappeler un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 11 mars 2010, selon lequel, pour tout acte chirurgical, le chirurgien doit donner un temps de réflexion suffisamment long au patient. Je crois d'ailleurs qu’il va falloir mentionner ce point quelque part dans le texte pour nous prémunir contre des problèmes juridiques.
Aux termes de l’arrêt précité, la Cour de cassation exige que le médecin propose un temps de réflexion pour tout acte chirurgical, et une IVG entre bien dans cette catégorie. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mmes Laurence Cohen et Annie David. M. Barbier a parlé d’« acte instrumental » !
M. Alain Milon, corapporteur. Il n’en demeure pas moins que c’est un acte chirurgical !
Je le répète, la première chambre civile de la Cour de cassation exige que le chirurgien laisse, pour tout acte chirurgical, un temps de réflexion suffisamment long au patient.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié quater, 468, 640, 731 et 1113.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 257 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 178 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 17 bis est rétabli dans cette rédaction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)
Article additionnel après l'article 17 bis
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par Mmes Laborde, Billon et Blondin, M. Bonnecarrère, Mme Bouchoux, M. Castelli, Mme Cohen, M. Détraigne, Mmes Gatel et Gonthier-Maurin, MM. Guérini, Guerriau, L. Hervé et Houpert, Mmes Jouanno et Jouve, M. Kern, Mmes Malherbe et Morin-Desailly et M. Requier, est ainsi libellé :
Après l’article17 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 2212-10, il est inséré un article L. 2212-10-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2212-10-…. – Les articles L. 2212-1 à L. 2212-10 sont applicables à l’interruption volontaire de grossesse pratiquée pour motif médical visée à l’article L. 2213-1, à condition que cette interruption soit pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse. » ;
2° L’article L. 2213-2 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les articles L. 2212-1 à L. 2212-11 sont applicables à l’interruption volontaire de grossesse pratiquée pour motif médical à condition que cette interruption soit pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse. »
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Cet amendement, dont les dispositions s’inscrivent dans la même logique que les amendements précédents, vise à éviter les difficultés qui contraindraient certaines femmes à ne pouvoir procéder à une interruption volontaire de grossesse faute d’avoir respecté les délais.
Aujourd'hui, quand une procédure de diagnostic anténatal a été engagée, il arrive parfois que des femmes se voient refuser de pratiquer une interruption volontaire de grossesse au motif qu’il faudrait l’avis d’une équipe pluridisciplinaire – une exigence qui n’est pas complètement conforme au droit, puisque la loi d’août 2014 a déjà modifié le code de la santé publique afin de supprimer la condition de détresse.
Il ne semble pas logique de conserver ce principe d’un avis d’une équipe pluridisciplinaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, corapporteur. Cet amendement vise à réaffirmer le droit pour une femme qui a bénéficié d’un diagnostic anténatal et dont la grossesse n’a pas dépassé douze semaines d’accéder à une interruption volontaire de grossesse.
Il est clair et indéniable que les situations auxquelles les auteurs de l’amendement font référence sont choquantes et que ces pratiques font peu de cas des exigences déontologiques qui s’imposent aux professionnels de santé. À partir du moment où le délai de douze semaines n’a pas été dépassé, ce sont les dispositions de droit commun qui s’appliquent et non celles qui concernent l’interruption volontaire de grossesse pour motif médical. L’avis de l’équipe pluridisciplinaire n’est donc pas requis.
L’article L. 2212-1 du code de la santé publique est clair : la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin une IVG, laquelle ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la douzième semaine. Aucune justification n’est nécessaire.
J'ajoute que, en vertu de la clause de conscience prévue par le code de la santé publique, un médecin n’est jamais tenu de pratiquer l’interruption volontaire de grossesse, mais il doit informer sans délai la patiente de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention.
Le problème que le présent amendement vise à résoudre est donc une difficulté pratique, due à une méconnaissance ou à une mauvaise interprétation de la loi. Vouloir faire dans la loi elle-même un rappel des dispositions législatives applicables ne nous semble pas être une bonne méthode. Le problème relève manifestement d’une circulaire, qui rappellerait le droit en vigueur.
Pour toutes ces raisons, même si nous comprenons bien la situation et ne la trouvons pas normale, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° 7 rectifié.