Mme Brigitte Gonthier-Maurin. En France le cannabis est prohibé depuis 1970, avec au maximum un an de prison et 3 750 euros d’amende, comme le prévoit l’article L. 3421-1 du code de la santé publique. Dans la pratique, si l’emprisonnement pour usage est exceptionnel, les amendes, elles, perdurent. La police verbalise, alors que sa mission principale est normalement de se concentrer sur le trafic.
Je ne citerai pas de nouveau les chiffres de consommation qui viennent d’être rappelés par plusieurs de mes collègues, mais je réclame des politiques de prévention plus efficaces vis-à-vis des jeunes, via des outils pédagogiques plus percutants sur les effets du cannabis, et valorisant les pratiques réduisant les risques.
Les sénateurs de notre groupe défendent, vous l’aurez compris, une consommation responsable et maîtrisée. Le problème, comme nous venons de le voir, tient à ce que l’on refuse de mener un véritable débat public renseigné sur ce sujet, ce qui permettrait d’envisager les actions les plus efficaces et de dépasser les débats que nous venons d’avoir en mettant fin à la confusion entre légalisation et dépénalisation.
Les Français sont pour la dépénalisation. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, si 78 % d’entre eux sont contre la vente libre du cannabis, six sur dix, contre trois sur dix en 2008, estiment que l’on pourrait autoriser l’usage de cannabis sous certaines conditions : seulement pour les personnes majeures et en dehors de la conduite automobile.
Mes chers collègues, au travers de cet amendement, notre groupe vous propose de dépénaliser la consommation de cannabis. N’est-ce pas là au fond le meilleur moyen de faire reculer les trafics dans les quartiers et par là même les violences et règlements de compte liés à la conquête d’un marché juteux ?
Mme la présidente. L'amendement n° 839 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 8 bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 4 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal est complétée par un article 222-43-… ainsi rédigé :
« Art. 222-43-… – Ne peuvent donner lieu aux poursuites pénales prévues au premier alinéa de l’article 222-35, au premier alinéa de l’article 222-37 et à l’article 222-40 la production, la fabrication, le transport, la détention, l’acquisition ou l’usage illicites de cannabis dans le cadre d’un usage contrôlé du cannabis thérapeutique. »
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Le présent amendement vise à dépénaliser l’usage contrôlé du cannabis thérapeutique. Comme plusieurs études scientifiques l’ont montré, celui-ci possède en effet une efficacité significative lorsqu’il est utilisé en complément de thérapeutiques ou comme substitution à d’autres traitements médicaux. À ce titre, le cannabis a de nombreuses propriétés médicales, parmi lesquelles des propriétés antidouleur, anti-spasmes, anti-vomitives et stimulantes pour l’appétit.
Le 8 janvier 2014 l’ANSM, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, a autorisé la mise sur le marché du Sativex. Ce médicament à base de cannabis est un spray buccal, utilisé chez certains patients atteints de sclérose en plaques.
Il me semble nécessaire d’avancer sur ce sujet. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, corapporteur. Concernant l’amendement n° 715, qui vise à dépénaliser l’usage du cannabis, je rappelle que nous avons rejeté il y a quelques semaines une proposition de loi présentée par Mme Benbassa et le groupe écologiste qui proposait justement de légaliser le cannabis.
Mme Annie David. Non, à le dépénaliser !
M. Alain Milon, corapporteur. La légalisation et la dépénalisation, c’est la même chose... (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Annie David. Pas du tout !
M. Alain Milon, corapporteur. Vous avez raison, ma chère collègue, c’est pire ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Dans le cadre de nos débats sur cette proposition de loi, nous nous étions référés à des rapports selon lesquels le cannabis avait un effet destructeur sur les cellules de notre cerveau.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement, ne serait-ce qu’en raison des considérables désastres cérébraux provoqués par la consommation de cannabis, en particulier chez les jeunes. Nous ne voulons pas être responsables de cette situation, comme nos collègues ayant autorisé la cigarette il y a quelques dizaines d’années sont responsables des effets que cette décision a entraînés.
L’amendement n° 839 rectifié est quelque peu différent, puisqu’il vise à dépénaliser l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques.
Madame Archimbaud, l’utilisation du cannabis thérapeutique est admise par certains États, mais il ne saurait être question d’en faire un produit d’automédication. Il est en effet préférable de laisser les instances sanitaires compétentes évaluer l’intérêt thérapeutique des médicaments contenant du tétrahydrocannabinol, ou THC. Et dès lors qu’un médicament contenant du THC sera autorisé et prescrit, les personnes l’utilisant ne courront aucun risque d’être pénalisées.
La commission émet donc également un avis défavorable sur l’amendement n° 839 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 715 de Mme David ; je ne reviens pas sur les explications que j’ai déjà données.
S’agissant de l’amendement défendu par Mme Archimbaud, qui vise le cannabis thérapeutique, le débat est ouvert. J’ai autorisé voilà deux ans environ la possibilité de mettre sur le marché un médicament à base de cannabis, sur prescription médicale, notamment pour lutter contre des douleurs ne pouvant être traitées, en particulier chez les patients atteints de sclérose en plaques.
L’autorisation de mise sur le marché a été accordée, le processus de fixation du prix de ce médicament est engagé et je souhaite que les négociations aboutissent le plus rapidement possible, dans l’intérêt des patients. À cet égard, il appartiendra à chacun d’assumer ses responsabilités.
Compte tenu de cette perspective, je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
En effet, le Gouvernement ne soutient pas l’idée qu’on puisse avoir accès en « libre-service » à du cannabis, comme c’est possible notamment dans certains États américains, le consommateur décidant lui-même de son usage thérapeutique ou non.
Mme la présidente. Madame Archimbaud, l'amendement n° 839 rectifié est-il maintenu ?
Mme Aline Archimbaud. Je vous remercie de vos explications, madame la ministre. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment claire tout à l’heure, mais je précise que mon amendement fait référence à « un usage contrôlé du cannabis thérapeutique ». Nous visons donc une utilisation totalement encadrée par les médecins, dans des situations de souffrance bien précises, auxquelles certains d’entre vous, mes chers collègues, ont sans doute déjà été confrontés.
M. Alain Vasselle. Votre amendement est satisfait !
Mme Aline Archimbaud. Notre idée est que les médecins aient la possibilité légale de recourir au cannabis à usage thérapeutique, qu’ils ne soient pas hors-la-loi ce faisant. Nous leur faisons toute confiance pour apprécier s’il est possible de soulager, ou non, leur patient par ce moyen. En outre, les décrets d’application pourraient préciser les règles d’usage.
Pour moi, il n’est pas question que ce cannabis soit placé en « libre-service » ; je parle bien d’un usage thérapeutique encadré. Compte tenu de ces explications, je maintiens mon amendement, madame la présidente.
M. Alain Vasselle. Mais l’amendement est satisfait !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 839 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 8 bis
Le chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 3411-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3411-5-1. – Les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie assurent, pour les personnes ayant une consommation à risque, un usage nocif ou présentant une dépendance aux substances psychoactives ainsi que pour leur entourage, des missions de prise en charge médicale, psychologique, sociale et éducative et de réduction des risques. Ils assurent également une mission de prévention des pratiques addictives. » – (Adopté.)
Article 9
(Non modifié)
I. – À titre expérimental et pour une durée maximale de six ans à compter de la date d’ouverture du premier espace, les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue mentionnés à l’article L. 3411-8 du code de la santé publique, désignés par arrêté du ministre chargé de la santé après avis du directeur général de l’agence régionale de santé, ouvrent, dans des locaux distincts de ceux habituellement utilisés dans le cadre des autres missions, une salle de consommation à moindre risque, qui est un espace de réduction des risques par usage supervisé, dans le respect d’un cahier des charges national arrêté par le ministre chargé de la santé.
II. – Ces espaces sont destinés à accueillir des majeurs usagers de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants qui souhaitent bénéficier de conseils en réduction de risques dans le cadre d’usages supervisés mentionnés à l’article L. 3411-7 du même code. Dans ces espaces, ces usagers sont uniquement autorisés à détenir les produits destinés à leur consommation personnelle et à les consommer sur place dans le respect des conditions fixées dans le cahier des charges mentionné au I du présent article et sous la supervision d’une équipe pluridisciplinaire comprenant des professionnels de santé et du secteur médico-social, également chargée de faciliter leur accès aux soins.
La personne qui détient pour son seul usage personnel et consomme des stupéfiants à l’intérieur d’une salle de consommation à moindre risque créée en application du présent article ne peut être poursuivie pour usage illicite et détention illicite de stupéfiants.
Le professionnel intervenant à l’intérieur de la salle de consommation à moindre risque et qui agit conformément à sa mission de supervision ne peut être poursuivi pour complicité d’usage illicite de stupéfiants et pour facilitation de l’usage illicite de stupéfiants.
III. – Les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue mentionnés au I adressent chaque année un rapport sur le déroulement de l’expérimentation au directeur général de l’agence régionale de santé dans le ressort de laquelle ils sont implantés, au maire de la commune et au ministre chargé de la santé.
IV. – Dans un délai de six mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation, portant notamment sur son impact sur la santé publique et sur la réduction des nuisances dans l’espace public.
V. – Les articles L. 313-1-1 et L. 313-3 à L. 313-6 du code de l’action sociale et des familles ne s’appliquent pas aux projets de mise en place d’une salle de consommation à moindre risque mentionnée au I.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l'article.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cet article crée et définit le mode de fonctionnement de salles de shoot, appelées pudiquement « salles de consommation à moindre risque ».
Je tiens à rappeler que ces salles seront créées dans des locaux distincts des centres d’accueil et d’accompagnement. Déjà, il existe une véritable imprécision autour du lieu d’implantation de ces locaux et de leur financement, à un moment où les établissements de santé publics manquent cruellement de moyens, en particulier humains.
Le texte prévoit que ces salles accueilleront uniquement des usagers de stupéfiants majeurs. Dès lors, on peut s’interroger sur le sort réservé aux mineurs. J’aurais préféré la mise en œuvre de mesures novatrices pour lutter contre la drogue dans les établissements scolaires, la création de dispositifs imaginatifs d’information et de prévention !
Dans ces salles, les toxicomanes apporteront leur drogue et la consommeront sur place, tout cela sous la supervision, donc sous la responsabilité, d’une équipe pluridisciplinaire.
On crée là une zone d’immunité qui s’étendra mécaniquement au trajet nécessaire à la personne pour se rendre dans cette salle. Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur le fait que ces gens auront dans leur poche de la drogue, la transporteront, par exemple, dans le tramway. Interpellés par la police, ils pourront invoquer leur immunité en expliquant qu’ils se rendent à la salle de shoot. Je vous laisse imaginer la situation… C’est insupportable !
Cela pose de multiples problèmes juridiques, liés notamment au transport de la drogue. Dans ma commune, des contrôles sont régulièrement effectués dans les tramways. Dans une situation similaire, nous-mêmes, parlementaires, ne serions pas protégés par notre immunité, s’agissant d’un flagrant délit !
Ce serait faire preuve d’angélisme que de ne pas imaginer que le périmètre de la salle de shoot, où la police n’interviendra pas, servira aux toxicomanes et aux dealers de lieu de contact.
Étendue aux professionnels travaillant au sein de la salle et facilitant ainsi l’usage illicite de stupéfiants – la loi de 1970 n’est pas abrogée –, l’immunité prévue dans le texte sera-t-elle toujours opposable en cas d’incidents graves pouvant conduire à la mort ? Je ne le pense pas, au contraire.
Si vous pensez que les familles ne porteront pas plainte contre le personnel d’encadrement, c’est que vraiment vous ne percevez pas l’évolution de la société ! Aucun membre du corps médical, lors des opérations les plus périlleuses, ne bénéficie d’une telle protection.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que je suis tout à fait opposé à cet article. J’y reviendrai lors de l’examen de mon amendement de suppression de l’article. Il ne s’agit pas d’agiter les peurs face à un véritable problème de santé publique, mais de débattre, en conscience, sur les conséquences de notre vote d’aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l'article.
M. Roger Karoutchi. Je comprends les préoccupations de la commission et les difficultés que soulève cette question. Certes, il est proposé d’adosser ces centres à une structure hospitalière, solution toujours préférable aux salles de shoot dont on nous avait annoncé la création plus ou moins ex nihilo dans les rues de Paris ou ailleurs.
Je veux dire au président Milon, avec toute l’estime que je lui porte, que je suis très gêné. Bien sûr, comme je viens de le rappeler, ces centres seraient adossés à une structure hospitalière. Toutefois, comme vient de le dire Jean-Pierre Grand, autoriser à transporter les produits en question, sincèrement, je trouve cela pour le moins compliqué à gérer et extrêmement embarrassant.
Pardonnez-moi de prendre le cas de l’Île-de-France : on sait bien ce qu’est la situation dans notre région, on sait bien ce qu’est la situation à Paris, on sait bien ce qu’a été l’opposition des élus de Paris et de l’Île-de-France, et pas seulement ceux de droite, à la création d’une salle de shoot.
L’intégration de cette salle à une structure hospitalière, c’est une chose, mais, comme l’a dit Jean-Pierre Grand, que certains puissent se promener dans le métro, dans le RER ou ailleurs avec de la drogue sur eux, sincèrement, ce n’est pas fait pour rassurer le citoyen lambda.
Je comprends très bien que l’on ne peut pas non plus ne rien faire, ne rien tenter, et je mesure, encore une fois, toute la difficulté de cette question. Je ne suis pas médecin, je ne suis pas directeur d’hôpital ; néanmoins, j’aurais préféré que l’on trouvât une méthode permettant de traiter ces cas au sein des hôpitaux, en évitant que les usagers de ces centres n’y viennent et n’en repartent avec leurs produits sur eux, car j’y suis très réticent.
C’est avec beaucoup d’humilité que je dis au président Milon que je voterai les amendements de suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Avec l’article 9, nous sommes dans la continuité d’une action menée par le Gouvernement avec courage, qui tend à accompagner la réduction des risques chez les usagers de drogues.
Rappelons-le, la politique de réduction des risques est l’un des succès les plus marquants pour la santé publique dans notre pays. C’est grâce à elle, notamment, que la proportion d’usagers de drogues contaminées par le VIH est passée de 30 % dans les années quatre-vingt-dix à 10 % en 2011, lesquels ne représentent plus que 1 % des diagnostics de séropositivité. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Une politique, donc, qui se place du côté de la santé, de la thérapeutique plutôt que du répressif, qui laisse les personnes livrées à elle-même et qui n’apporte, toutes les expériences l’indiquent, aucune solution concrète et durable, ni du point de vue de la santé ni du point de vue de la préservation de l’ordre et de la salubrité publics.
Cette approche propose de vivre avec les drogues tout en réduisant les risques sanitaires qui leur sont associés. Les salles de consommation à moindre risque dont il est question avec cet article sont des lieux qui sont établis afin d’améliorer la santé des usagers de drogues et de mettre fin aux « scènes ouvertes », ces pratiques d’injection visibles dans l’espace public.
L’expérience d’autres pays montre largement le bien-fondé de ces lieux, tout comme l’acceptation avec le temps des riverains et des forces de l’ordre, lorsqu’ils sont associés au processus de concertation locale, notamment.
Les usagers de ces lieux, de par l’accompagnement qui est organisé d’un point de vue tant social que sanitaire, peuvent, outre y apprendre les bons réflexes de prévention en santé, être soutenus dans leur démarche de sortie du fléau de l’addiction.
C’est pour toutes ces raisons que le groupe socialiste soutient fermement cette mesure et ne votera pas les amendements tendant à la supprimer ou à en réduire la portée.
Nous remercions les rapporteurs du soutien qu’ils apportent au dispositif en reconnaissant sa nécessité et son efficacité.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 153 rectifié est présenté par MM. Barbier, Mézard, Arnell, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Requier et Vall.
L'amendement n° 296 est présenté par M. Grand.
L'amendement n° 502 est présenté par M. Lemoyne.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier, pour présenter l’amendement n° 153 rectifié.
M. Gilbert Barbier. Il est des situations où la perception des choses varie en fonction des convictions personnelles.
Dans les débats précédents, madame la ministre, à l’occasion de l’examen de deux amendements, vous avez voulu culpabiliser une majorité de sénateurs qui ne partageaient pas vos vues en matière de lutte contre l’alcoolisme ou le tabagisme.
En revanche, aujourd’hui, vous entendez nous convaincre des bienfaits pour la santé publique de l’ouverture de salles d’injection supervisée.
Avec Serge Blisko, François Pillet et Françoise Branget, nous avons rendu voilà quatre ans un rapport sur la toxicomanie rédigé à la demande de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST. Je m’inspire de ses conclusions pour tenter de convaincre notre assemblée de la nocivité de cette décision pour la santé publique.
Compte tenu du temps qui m’est imparti, je m’en tiendrai au volet sanitaire pour répondre aux arguments avancés par les défenseurs de cette proposition
La réduction des risques ? Certes, cela peut éventuellement limiter les risques de surdosages ou d’autres urgences.
Concernant la contamination, il est avéré que les utilisateurs de ces centres à l’étranger – pour rédiger ce rapport, nous avons observé ce qui se passait hors de nos frontières – sont non pas des primoconsommateurs, mais malheureusement des personnes multirécidivistes et déjà porteuses de différentes affections transmissibles.
L’expertise collective menée en juillet 2010 par l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, conclut qu’il est difficile de quantifier de manière fiable les résultats de ces centres en matière de réduction des risques, les usagers ayant recours aux autres dispositifs de réduction qui concernent cette population. L’expertise conclut qu’il est tout à fait malaisé d’isoler l’impact de ces centres.
Autre argument : les centres conduiraient à une amélioration de l’accès aux soins. Là encore, l’étude menée tant à Vancouver qu’à Genève avance que seulement 0,4 % des visites conduisent à un accès effectif aux soins.
Je rappelle l’affirmation de Xavier Emmanuelli, président fondateur du SAMU social : « Je précise que les salles d’injection constituent une perversité. »
Je rappelle les conclusions de l’Académie de médecine, qui affirme qu’une démarche médicale ne peut consister à favoriser l’administration de la drogue qui suscite une addiction.
Je rappelle également que cette proposition a fait l’objet d’une condamnation sévère de l’Organe international de contrôle de stupéfiants, chargé de surveiller l’application des traités internationaux relatifs aux contrôles des drogués.
Je ne m’attarderai pas sur l’acceptation plus qu’incertaine de ces centres par la population – c’est un autre problème –, du message ambigu délivré vis-à-vis des non-consommateurs, mais aussi de toutes ces personnes dépendantes qui envisagent de rompre avec leur addiction.
Mme la présidente. Mon cher collègue, je me vois obligée de vous interrompre, car vous avez épuisé votre temps de parole ; j’en suis désolée.
Je rappelle à chacun que le temps de présentation d’un amendement est désormais de deux minutes et trente secondes.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour présenter l’amendement n° 296.
M. Jean-Pierre Grand. Par cet article, le Gouvernement souhaite passer outre la décision du Conseil d’État d’octobre 2013 qui a considéré que l’ouverture d’une salle de shoot, telle qu’elle est prévue à Paris, n’était pas conforme à la loi de 1970 sur les stupéfiants. Il vient donc modifier la loi pour permettre l’expérimentation de ces salles, qualifiées pudiquement de « salles de consommation à moindre risque ».
Or les consommateurs réguliers de drogue dure sont des êtres humains gravement malades, que l’on doit avant tout soigner et sevrer. L'État n'a pas pour mission d'entretenir et de financer cette addiction mortelle.
Les salles de shoot ne soignent pas et ne sèvrent pas. Elles banalisent, facilitent l'usage des drogues dures. Elles rassurent artificiellement le toxicomane, ce qui fait dire à l'association Drug Free Australia que le risque est trente-six fois plus important d'avoir une overdose dans une salle de shoot que dans « la rue » (Mme la ministre le conteste.), même si ce point reste à démontrer.
On peut aussi observer que les salles de shoot, en sécurisant la personne, peuvent inciter à plus de prises régulières et parfois même à franchir la porte pour la première injection.
En Australie, comme en Amérique du Nord, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, en Espagne et en Norvège, ces expériences font dire à un journaliste, dans son enquête, que le bilan mondial est plutôt négatif ; en tout cas, il n'est pas positif. Au reste, si ces expériences étaient aussi probantes que certains le laissent croire, l’Allemagne, depuis près de vingt ans qu’elle a mis en œuvre ce dispositif, aurait multiplié les salles de shoot. Or elle ne le fait pas.
Enfin, en France, les lois de la République précisent que la vente, la détention et l'usage de la drogue sont interdits. Qui peut trouver normal que l’on s'en affranchisse dans un « périmètre sacré » pour les toxicomanes et mécaniquement pour les dealers ? Dans ce périmètre aux abords des salles de shoot, la police ne pourra remplir sa mission, qui est de faire fuir les toxicomanes, de les arrêter et de les punir.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour présenter l'amendement n° 502.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous nous attaquons à un sujet important, et j’avoue qu’il est très difficile de prendre la parole après les explications de Gilbert Barbier, tant son expérience, le rapport qu’il a produit et la synthèse qu’il en a tirée sont éclairants et ô combien intéressants.
Hier, Mme la secrétaire d’État Ségolène Neuville déclarait, un peu maladroitement, que les votes émis dans cet hémicycle constituaient des signaux envoyés à la société. Quel signal adresserait-on en adoptant cet article prévoyant la mise en place, sous couvert expérimental, mais tout de même durant six ans, de ces salles de consommation ?
Je ne veux aucunement nier la nécessité d’instaurer une politique de lutte contre cette addiction en faveur de celles et de ceux qui se droguent, vivant loin des regards et souvent en rupture totale avec la société : ils ont vraiment besoin d’être aidés pour s’en sortir.
Deux philosophies s’affrontent en la matière. Pour ma part, je suis favorable au déploiement de mesures complémentaires pour accompagner les toxicomanes vers le sevrage, plutôt que d’entretenir cette dépendance.
Comme solution de rechange, nous pourrions renforcer les moyens conventionnels des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues, les CAARUD, créés par la loi de 2004, et aller plus loin, notamment pour entrer en contact avec les cas les plus lourds, en développant par exemple des maraudes et en favorisant les prises en charge médicalisées.
Comme je le lisais dans le rapport d’information sur les toxicomanies de MM. Gilbert Barbier et Serge Blisko, la référence aux communautés thérapeutiques qui ont été mises en place en certains endroits permet d’apporter des réponses d’une autre nature.
À mon sens, l’article 9 pose plusieurs problèmes, de fond comme de forme, avec une étude d’impact trop lapidaire. L’Académie nationale de médecine a fait part de ses réticences concernant un tel dispositif, qui risque de susciter des difficultés liées à l’ordre public, ainsi que l’a évoqué Jean-Pierre Grand.
Pour toutes ces raisons, je plaide en faveur de l’adoption de ces amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, corapporteur. Je ne reviendrai pas sur le débat que nous avons mené au sein de la commission des affaires sociales, mais j’entends bien les arguments de M. Roger Karoutchi sur les problèmes de sécurité.
Je suis plus circonspect concernant l’immunité qu’a évoquée M. Grand. En effet, si celle-ci s’appliquait aux utilisateurs de drogue, elle ne serait effective que dans le cadre de la salle de shoot, et pas obligatoirement à l’extérieur de ce local.
M. Jean-Pierre Grand. Personne ne s’y rendra, alors !
M. Alain Milon, corapporteur. Je ne vous ai pas interrompu, mon cher collègue ; je vous remercie d’en faire de même avec moi.
Les problèmes de sécurité, tels qu’ils ont été évoqués, existent à l’extérieur et perdureront si vous refusez cette proposition sans en formuler d’autres pour favoriser des rencontres entre ceux qui consomment de la drogue et des personnels désireux de les aider à sortir de cette situation.
La création de salles de shoot n’est pas une idée nouvelle, puisqu’elle a déjà été présentée voilà quelques années par Mme Bachelot-Narquin,…