M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur le rapporteur.
M. Christian Cambon, rapporteur. Certes, tout n’est pas parfait... Pourtant, comme nous l’avons fait pour la Grèce, nous devons être aux côtés du Maroc, non pour le condamner, mais pour l’accompagner sur le chemin menant vers davantage de justice, de démocratie et de sécurité dans cette région du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, finalement, on ne mesure la valeur des choses qu’une fois qu’on les a perdues. Ainsi ne s’est-on jamais autant rendu compte de l’importance de la coopération avec le Maroc que lorsque celle-ci s’est arrêtée.
On l’a compris à l’écoute des interventions de M. le secrétaire d’État et de M. le rapporteur, la présente convention vient clore une brouille diplomatique assez sérieuse entre la France et le Maroc, laquelle a beaucoup pénalisé les relations entre nos deux pays et, au-delà, la sécurité globale de ce pourtour de la Méditerranée si touché par le terrorisme.
La Tunisie connaît une transition démocratique difficile, la Libye est plongée dans le chaos et, dans le Sahel et plus au sud encore, le terrorisme prolifère. Lorsque nous avons coprésidé, avec André Reichardt, la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, nous avons pu constater combien nous étions concernés par les problèmes du pourtour de la Méditerranée, notamment ceux liés au terrorisme.
Trois organisations terroristes majeures sévissent au sud de l’Europe : l’État islamique en Libye, AQMI dans le Maghreb et Boko Haram au Nigeria. Que faire sans le soutien des services marocains ? Cette situation, nous l’avons connue pendant plus d’un an.
Les attentats de Paris nous ont rappelé la nécessité de ces coopérations. Il est indéniable que nous avons besoin du Maroc pour parvenir à assurer la sécurité de nos concitoyens. Nous ne pouvons donc que regretter et déplorer les incidents, sur lesquels personne n’a envie de revenir, qui ont altéré nos relations dans le passé, des relations dont nous tournons une nouvelle page avec cette convention.
La France et le Maroc entretiennent des relations étroites depuis plusieurs décennies, et notre pays semble être le principal bénéficiaire du régime existant d’entraide judiciaire. En effet, depuis 1998, plus de 990 demandes d’entraides ont été adressées au Maroc par la France. Du côté marocain, sur la même période, nous en avons enregistré seulement 77.
Au-delà du péril terroriste, qui est une réalité, il existe entre la France et le Maroc des flux criminels alimentés par des trafics en tous genres, notamment celui de produits stupéfiants. Il est fondamental de lutter contre ces flux qui sévissent du côté français, et il est tout aussi fondamental pour le Maroc de lutter contre ces trafics. L’échange d’informations à tous les niveaux est une nécessité absolue, comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises.
Je souscris aux félicitations adressées par M. le rapporteur, également président du groupe d’amitié France-Maroc. Nous avons bien compris à l’écoute de son exposé toute l’affection qu’il porte à ce pays, une affection constructive puisqu’elle a permis de maintenir des relations entre nos deux nations. C’est le moment de rappeler le rôle de la diplomatie parlementaire, si importante pour maintenir un lien lorsque plus rien ne fonctionne. Elle continue en effet à exister dans des conditions diplomatiquement difficiles et il convient de lui en rendre hommage.
Au demeurant, l’échange d’informations est encore le meilleur moyen de parvenir à une collaboration effective. Certes, ce texte est sûrement perfectible, mais il a le mérite d’exister. Il illustre également la bonne santé de nos relations bilatérales.
Parfois, nous hésitons entre nos valeurs et nos intérêts. De ce point de vue, ce texte assure un parfait équilibre et, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, les inquiétudes des associations des droits de l’homme n’ont pas lieu d’être : nos principes étant respectés, tout comme nos valeurs, nos intérêts le sont tout autant. Cette convention semble donc excellente. C’est pourquoi le groupe UDI-UC la votera.
Je conclurai en insistant sur le caractère exemplaire du délai de ratification de cette convention. Très modestement, je souhaite encourager vos services, monsieur le secrétaire d’État, à profiter de l’été, que j’espère paisible, pour se pencher sur les conventions qui se trouvent encore dans vos tiroirs et qui n’ont pas encore fait l’objet d’une ratification. Il s’agit de leur éviter le classement vertical auquel la saison se prête. (Sourires.)
Je pense notamment à une convention d’entraide sur le terrorisme avec la Turquie en matière de sécurité, signée voilà fort longtemps, sur laquelle un rapporteur a été désigné à l'Assemblée nationale en 2012 – j’ai moi-même été nommée rapporteur la même année au Sénat. Ce texte n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour des travaux du Parlement. Pourtant, en ce moment, les questions de sécurité avec la Turquie sont au moins aussi essentielles que celles avec le Maroc. Je profite donc de l’occasion qui m’est donnée pour vous rappeler que cette convention est actuellement en panne sèche à l'Assemblée nationale. Je compte beaucoup sur votre diligence pour la réactiver avant la rentrée parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis vise à ajouter un article 23 bis à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale qui lie la France et le Maroc. La première version de cette convention date de 1957 et couvre la coopération aussi bien civile que pénale. Renouvelée en 2008, la convention comporte non seulement des éléments assez traditionnels, mais également des dispositifs spécifiques sur lesquels je reviendrai.
L’article 23 bis vient apporter une réponse diplomatique, politique et juridique, mettant un terme à une année entière de fortes crispations entre la France et le Maroc. M. le rapporteur ayant rappelé les faits à l’origine de cette situation, je me contenterai de souligner que, au Maroc, la stupeur fut d’autant plus aiguë que Rabat, partenaire stratégique dans la région, apportait un soutien sans faille à notre intervention militaire au Mali. Ces faits ont été vécus par les autorités marocaines comme un outrage. Je veux souligner que l’indignation marocaine, à mon sens parfaitement légitime, a néanmoins été mesurée et maîtrisée. Elle a pris la forme d’une suspension unilatérale et immédiate de toute forme de coopération judiciaire, en matière tant pénale que civile.
À titre d’exemple, pendant une année entière, des Français détenus au Maroc n’ont pu être extradés, provoquant le désarroi des familles. La coopération civile a également été enrayée. C’est d’autant plus problématique que la communauté française au Maroc comme la communauté marocaine en France sont importantes. Enfin, le Maroc n’a plus fourni d’informations à nos services de renseignement. Je ne précise pas davantage le préjudice que cela a pu représenter dans le contexte actuel. Le rétablissement de cette coopération est donc stratégique pour la France.
S’il fallait retenir un aspect positif de cette mésaventure, c’est que nous avons pu mesurer très concrètement tous les enjeux de la coopération franco-marocaine, en réaliser la richesse, l’importance stratégique, la dimension humaine. L’année de brouille a été paradoxalement l’occasion de très nombreux échanges. Je pense notamment à la tenue du premier forum parlementaire franco-marocain. La coopération culturelle en a été galvanisée avec l’organisation de deux événements majeurs, l’un à l’Institut du monde arabe, l’autre au musée du Louvre. Je tiens aussi à signaler le rôle tenu par la diplomatie parlementaire durant ces longs mois et saluer l’action d’Élisabeth Guigou et de Luc Chatel à l’Assemblée nationale et celle du président du groupe d’amitié du Sénat, Christian Cambon, rapporteur de ce texte, qui n’a pas ménagé ses efforts.
La crise s’est enfin dénouée à la fin du mois de janvier 2015, les deux ministres de la justice s’accordant sur le protocole additionnel soumis aujourd’hui à notre ratification. À l’occasion de l’examen de ce texte, je souhaite adresser deux messages.
Le premier s’adresse au Maroc. Sans faire repentance, nous regrettons ces maladresses qui ont été à l’origine de cette brouille. Notre mobilisation aujourd'hui est une preuve réelle d’amitié.
Le second message s’adresse à toutes les organisations de défense des droits de l’homme qui ont bien voulu attirer notre attention sur les éventuelles imperfections du texte.
Nous ne méconnaissons pas l’extraordinaire énergie qu’il faut déployer pour attirer l’attention de l’opinion sur un texte aussi aride que ce protocole. Les grandes associations de défense des droits de l’homme ont une histoire riche en belles batailles. Il ne faudrait pas que cette histoire, qui est dans l’ADN même et dans la mémoire de ces associations, altère l’acuité de leur regard sur les avancées considérables opérées par le Maroc depuis plus d’une décennie.
J’observe parfois des réactions, qui dépassent le strict cadre juridique, qui se nourrissent davantage des blessures du passé que des avancées du présent et qui, surtout, ne tiennent pas compte des promesses de l’avenir. Au rang de ces avancées considérables se trouvent les comités de réconciliation, qui ont permis aux Marocains de tourner la page des années de plomb. Citons aussi le nouveau code de la famille, la Moudawana, beaucoup plus favorable aux femmes. Ces réformes ont été engagées bien avant ce qu’on appelle les « printemps arabes ». Je n’oublie pas non plus la réforme constitutionnelle de 2011, tournant politique et démocratique considérable dans l’histoire de la monarchie marocaine, qui inscrit notamment l’objectif de parité dans la Loi fondamentale.
Très récemment, certains faits divers ayant trait aux mœurs ont fait réagir la société civile marocaine. Cette société civile est aujourd’hui vigilante et mobilisée. Comme partout, des marges de progression existent, mais il serait malhonnête de ne pas reconnaître les évolutions positives en matière de protection des droits. Il nous faut réellement mesurer et saluer la rapidité des avancées dans une région qui doit faire face à de nombreux défis. Il y a un Maroc nouveau. Ce protocole doit être lu non avec les lunettes d’un passé révolu, mais à l’aune de toutes les promesses marocaines.
L’article 23 bis a un cadre bien défini. Le paragraphe 2 crée une obligation d’information dans le cas d’une plainte concernant des faits commis dans le territoire de l’une des parties par un ressortissant de l’autre partie. Néanmoins, monsieur le secrétaire d'État, je relève une fragilité dans la rédaction du paragraphe 4, lequel vise ceux qui ont la nationalité de l’une et de l’autre partie. Vous venez d’en préciser les modalités d’application. Il faut donc rappeler, comme l’a fait M. le rapporteur en commission, que cet accord ne s’inscrit que dans le cadre des conventions internationales. Cela permettra d’en rassurer plus d’un.
Mes chers collègues, nous soutenons cet accord pour de nombreuses raisons.
Ce texte ne contient pas de procédure de subsidiarité. Il est conforme aux engagements internationaux de la France. Il est fidèle au principe de la compétence universelle, auquel nous sommes tous attachés. Il facilite l’information du juge initialement saisi. Il est respectueux des principes d’indépendance et de pleine souveraineté du juge français. Le juge français n’est pas dessaisi au profit du juge marocain, contrairement à ce qui a été dit. Il peut désormais recueillir des observations auprès du juge de l’autre partie. Le droit à un recours effectif des victimes est assuré. Le juge pourra s’appuyer sur des éléments d’information supplémentaires, souvent difficiles à obtenir pour des faits commis à l’étranger.
Vous l’aurez compris, je vous invite à voter cette convention et à ouvrir ainsi une nouvelle ère, faite de respect mutuel, entre la France et le Maroc. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire entre la France et le Maroc que nous sommes amenés à ratifier ce soir a pour vocation de réconcilier nos deux pays après une année de brouille diplomatique. Notre collègue Christian Cambon a rappelé le contexte particulier et l’origine de cette crise. Le fait qui l’a provoquée n’est en effet pas anodin.
Au mois de février 2014, une juge d’instruction française a souhaité auditionner le principal responsable des services de renseignement marocains, de passage en France, qui était sous le coup de plusieurs plaintes pour torture. Elle a ainsi fait directement remettre cette convocation à la résidence de l’ambassadeur du Maroc. Cet acte de justice, sans doute maladroit, mais qui est une preuve de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs en France, a provoqué une très vive réaction au Maroc.
La suspension de la coopération judiciaire a entraîné un gel de toutes les procédures : le transfèrement de prisonniers, les affaires familiales ainsi que les échanges d’informations entre nos services de renseignement. Les dirigeants marocains ont en outre exigé une remise à plat des règles régissant notre entraide judiciaire.
Cette affaire est en quelque sorte exemplaire de ce que peut être la confrontation entre le respect des grands principes qui régissent notre régime républicain, son système judiciaire et la réalité concrète des relations que nous entretenons avec d’autres pays.
Cet arrêt complet de la coopération judiciaire a avant tout porté un préjudice très grave à nos deux populations, qui ont été les premières à en souffrir, mais nos relations ont aussi été gravement affectées avec un pays qui est l’un de nos alliés dans cette région et avec lequel nous entretenons des liens historiques et culturels très étroits.
Dès lors, comment sortir de ce blocage ? C’est là que se pose la question de l’équilibre à trouver entre le respect des principes de notre droit national et de nos engagements internationaux. À cet égard, le groupe CRC a été très attentif aux critiques émises par un ensemble d’associations – Amnesty International, l’ACAT, la Ligue des droits de l’homme – et la Commission nationale consultative des droits de l’homme à la suite des ambiguïtés qu’elles ont relevées dans le texte.
Est ainsi dénoncée l’obligation d’information réciproque entre nos services judiciaires qu’instaure le protocole additionnel. Cette disposition semble contradictoire avec notre principe du secret de l’enquête et de l’instruction.
Est également critiqué le fait que « l’autorité judiciaire saisie détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité judiciaire de l’autre partie ou sa clôture ». C’est précisément sur ce point que les réticences du groupe CRC sur ce texte sont les plus fortes.
Nous pensons que, sur le fond, cet accord favoriserait de facto l’impunité des responsables marocains suspectés de graves violations des droits humains. D’une certaine façon, on abandonne ainsi les intérêts des victimes à la raison d’État d’un pays ami.
Aussi, compte tenu des risques liés à la rédaction de ce protocole d’accord et du fait que les progrès du régime marocain en matière de respect des droits de l’homme et des droits de la défense demeurent insuffisants, le groupe CRC ne peut approuver le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale.
Approuver ce protocole reviendrait à envoyer un bien triste message : cela signifierait que la France renonce à poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves.
Enfin, voter contre ce projet de loi, c’est soutenir nos amis marocains qui se battent pour le respect des droits humains, des droits sociaux et politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Maroc fait partie de ces pays avec lesquels nous entretenons une relation particulière et fidèle, parce que l’histoire nous a un temps rassemblés. Tous les orateurs l’ont rappelé, nous entretenons des liens d’amitié très denses avec ce pays, et le choix du roi Mohammed VI d’effectuer en France sa première visite d’État à l’étranger en mars 2000 témoigne d’un attachement réciproque entre nos deux pays.
Depuis les années quatre-vingt-dix, le dialogue politique entre la France et le Maroc est constant et du même niveau que celui qui existe avec nos partenaires européens. Le regrettable incident qui s’est produit en 2014 ne pouvait pas remettre en cause les relations bilatérales entre nos deux pays, lesquelles ont d’ailleurs repris dans les meilleures conditions depuis le début de l’année.
Au-delà des initiatives diplomatiques, cette entente est naturellement fondée sur des échanges concrets, dans les domaines tant économiques que culturels. Sans détailler l’ensemble de nos intérêts communs, je rappelle que la France est le premier partenaire commercial du Maroc. Quant à nos échanges culturels, ils reposent en partie sur un réseau très actif d’enseignement du français au Maroc.
C’est dans ce contexte que la France et le Maroc ont décidé d’approfondir leur coopération judiciaire en signant un protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire du 18 avril 2008. Ce protocole, signé le 6 février 2015, marque la reprise de notre coopération judiciaire, laquelle constitue un volet fondamental de nos relations bilatérales au regard de la question terroriste, même si, bien sûr, le protocole concerne la criminalité dans un sens plus large. Malheureusement, le Maroc, comme la France, fait face à la menace terroriste. Plusieurs attentats sanglants ont en effet frappé ce pays, en 2003 à Casablanca, puis en 2011 au cœur de Marrakech, sur la célèbre place Djemaa El-Fna.
Les récents et dramatiques événements survenus en Tunisie invitent plus que jamais à des contacts rapprochés et à une coopération exemplaire avec tous les pays du Maghreb afin de tenter d’endiguer le fléau du terrorisme.
En outre, le phénomène de radicalisation s’intensifie des deux côtés de la Méditerranée. Ainsi, 1 500 personnes auraient quitté la France pour rejoindre des groupes terroristes en Syrie et en Irak, tandis qu’elles seraient environ 2 000 à avoir fait la même démarche depuis le Maroc.
Parce que la communauté française au Maroc compte près de 48 000 personnes établies de façon permanente et la communauté marocaine en France pas moins d’un million et demi de personnes, l’entraide judiciaire est une nécessité évidente. Elle est d’ailleurs très ancienne puisque la première convention d’entraide judiciaire date de 1957. Son volet pénal, vous le savez, a été modernisé dans la convention du 18 avril 2008.
Le protocole additionnel, comme cela a été dit, prévoit de favoriser les échanges d’information en amont et au cours des procédures d’entraide judiciaire, notamment dans les cas d’affaires portant sur des faits commis sur le territoire de l’autre partie et susceptibles d’impliquer des ressortissants de cette dernière. Comme l’a indiqué M. le rapporteur, ce texte n’est pas parfait, mais il a le mérite de répondre à l’évolution dynamique des demandes d’entraide judiciaire, celles de la France étant bien plus nombreuses.
Il n’a échappé à personne que des associations se sont émues de plusieurs imprécisions rédactionnelles de ce protocole susceptibles d’entraîner des abus. Ces associations s’inquiètent notamment de l’obligation d’information immédiate entre les parties, de la remise en cause de la compétence universelle, ou quasi universelle, ou encore du fait que la convention s’applique « aux individus possédant la nationalité de l’une ou l’autre partie ». Vous l’avez démontré minutieusement, monsieur le rapporteur, certains engagements internationaux signés par les deux parties peuvent constituer des verrous dans la mesure où le dispositif d’information et d’échange s’inscrit dans le cadre de ces conventions internationales.
Quant à la crainte du dessaisissement, elle n’est pas fondée dans la mesure où le juge initialement saisi d’une affaire a la possibilité de poursuivre son enquête.
Enfin, vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, que le texte s’appliquait bien aux binationaux, ce qui devrait aussi rassurer les associations.
Au-delà du contenu technique du texte, il faut aborder de façon plus globale cette coopération judiciaire. Il nous faut notamment l’appréhender sous l’angle des réformes que le Maroc a récemment entreprises pour rénover son cadre institutionnel et le rendre plus démocratique et plus transparent. Je pense à la nouvelle Constitution de 2011, laquelle prévoit que le Royaume s’engage à « protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l’Homme et du droit international humanitaire ».
Si le Maroc peut certes encore accomplir des progrès, force est de constater qu’il a depuis longtemps atteint une maturité politique au sein du monde arabe qui en fait un partenaire incontournable dans le contexte de multiplication des crises et des menaces pesant au sud de la Méditerranée. Nous devons donc poursuivre avec ce pays un dialogue ouvert et fondé sur la confiance.
Notre groupe votera en très grande majorité cette convention, en espérant, en cette période estivale, que le soleil continuera à briller sur nos relations comme dans le ciel bleu du Maroc ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc s’inscrit dans un contexte particulier, ainsi que notre rapporteur Christian Cambon l’a bien expliqué.
Pour ma part, je rappellerai quelques éléments importants qui doivent nous inciter à regarder sereinement l’avenir.
Nos deux pays entretiennent une relation d’amitié privilégiée, qui se traduit par une coopération très active dans les domaines économique, culturel et sécuritaire. L’importance historique des communautés française au Maroc et marocaine en France renforce ces liens précieux.
Une série d’incidents diplomatiques a abouti à la suspension de notre coopération en matière pénale et judiciaire, comme cela a été rappelé. Cette situation était dommageable et paradoxale à un moment où la géopolitique expose nos deux pays aux mêmes défis, chacun cherchant à atteindre, à son niveau, un objectif commun. Chacun sait que la paix est une priorité, dans une région qui paie chèrement sa transition démocratique. Dans ce contexte, nos deux pays œuvrent pour le rétablissement de l’équilibre politique régional.
Au moment où les soldats français se battent dans la bande sahélo-saharienne, la diplomatie marocaine redouble d’efforts pour réunir les parlements libyens rivaux et tenter de former un gouvernement d’union nationale.
Le Maroc, comme la France, a fait la dramatique expérience du terrorisme. À Paris ou à Rabat, on fait le même constat : des jeunes s’engagent dans le djihad, en Syrie et en Irak. De part et d’autre, les responsables politiques sont confrontés au retour des djihadistes sur leur territoire.
En mars dernier, le roi du Maroc a inauguré le premier institut de formation des imams. C’est un signal important pour la communauté musulmane, qui pâtit de l’imposture – je n’hésite pas à le dire – de faux prédicateurs, mais c’est aussi un signe très fort en faveur de la laïcité adressé aux terroristes qui détournent l’islam. Former des imams, c’est rappeler que les religions ne peuvent pas se soustraire aux lois des États.
Nos deux pays ont une stratégie globale consistant à contrôler, à surveiller les réseaux terroristes, à réprimer les auteurs des attentats et à lutter contre l’embrigadement des personnes, notamment par le biais d’internet.
En 2013, a été créé le « G4 ». Il réunit les ministres de l’intérieur français, espagnol, marocain et portugais sur les questions de sécurité, l’objectif étant de renforcer la coopération technique et opérationnelle entre les services de renseignement.
De fait, alors que nos deux pays sont fortement engagés dans la lutte contre le terrorisme, nos relations diplomatiques ne pouvaient rester en l’état. Les services de renseignement et les services judiciaires doivent et veulent de nouveau travailler ensemble et échanger de façon permanente et sereine. Ce protocole est un premier pas vers une coopération judiciaire et pénale renforcée et modernisée. Le premier objectif est de parvenir à un traitement plus efficace et plus rapide des affaires pénales mettant en cause des ressortissants, grâce à un meilleur échange d’informations entre les deux justices.
Les ONG et d’autres défenseurs de droits ont émis des réserves sur les modifications prévues par ce protocole. Ils étaient sans doute dans leur rôle. Leur audition par le rapporteur, M. Cambon, a permis de lever les points d’inquiétudes.
Le protocole prévoit l’insertion dans la convention de 2008 d’un nouvel article qui ne remet pas en cause la compétence universelle. S’il fait primer l’exercice de la compétence territoriale sur la compétence universelle, il ne crée pas une procédure de subsidiarité obligatoire. Il n’y aura donc pas de dessaisissement automatique du juge français ni de renonciation à la compétence universelle. En dernier ressort, le magistrat saisi décidera souverainement soit de clôturer l’affaire, soit de la renvoyer à l’autorité judiciaire de l’autre partie, soit de continuer les poursuites. Mais rien n’obligera le juge à se dessaisir.
De la même façon, le mécanisme de « renvoi » évoqué dans le protocole ne constitue pas un transfert de compétence dès lors que l’autorité judiciaire saisie ne renonce pas à l’exercice de son droit de poursuivre.
Par ailleurs, le réexamen régulier par le ministère de la justice des procédures faisant l’objet d’une dénonciation officielle est un gage d’assurance.
Enfin, tant que la procédure n’est pas close, la victime continuera de disposer des recours juridictionnels habituels, liés à la procédure engagée en France.
Certes, le protocole permet au juge français, dans un souci d’efficacité, de transférer le traitement d’une affaire à l’autorité judiciaire marocaine, mais pensez-vous que nos magistrats renonceront à leur compétence ? Pour ma part, je ne le pense pas.
Avant de conclure, mes chers collègues, permettez-moi de partager avec vous mon sentiment. Le Royaume du Maroc et la France ont des relations que nous devons protéger, sans que cela nous exempte de faire preuve d’esprit critique, à condition, toutefois, de nous montrer constructifs. La diplomatie, comme l’amitié, doit reposer sur la confiance. Nous devons être solidaires de ce qu’a accompli le Maroc, notamment de ses progrès en matière de défense des droits de l’homme. Le processus issu de la révision constitutionnelle de 2011, dont nous avons parlé, est un acte symbolique et une promesse qui acte les printemps arabes. Alors plutôt que de camper dans l’impatience, sachons, par notre présence vigilante, plus que par des exigences péremptoires, encourager les évolutions positives.
La majorité de notre groupe votera ce texte, car il permettra à deux pays non seulement de renforcer une amitié privilégiée, mais aussi de renouer avec la sincérité et la confiance.
Je tiens enfin à saluer ici les efforts et le travail de longue haleine de Christian Cambon et du président du Sénat. Si les sénateurs ne sont pas des ambassadeurs, leur connaissance des dossiers et leur finesse d’approche peuvent être précieuses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)