Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l'article 8.
Je rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble du projet de loi, dans la mesure où tous les articles qui le composent auraient été supprimés.
Or, en application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit sur l’ensemble du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014.
En conséquence, l’article 8 va être mis aux voix par scrutin public.
Personne ne demande la parole ?...
Il va être procédé au scrutin public dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 222 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 130 |
Contre | 206 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. On n’est pas passé loin !
Mme la présidente. Mes chers collègues, les neuf articles du projet de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 n’est pas adopté.
8
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Mme la présidente. La commission des finances a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014, actuellement en cours d’examen.
Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
9
Accord France–États-Unis d’Amérique relatif à l’indemnisation de victimes de la Shoah
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (projet n° 554, texte de la commission n° 585, rapport n° 584).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et les États-Unis visant à indemniser certaines victimes de la Shoah, déportées depuis la France pendant l’Occupation.
Cet accord signé le 8 décembre 2014 par les gouvernements français et américain répond à deux impératifs essentiels, qui se situent évidemment sur des plans différents.
Tout d’abord, il met en œuvre une mesure de justice au bénéfice des victimes de la déportation depuis la France qui sont exclues du régime d’indemnisation mis en place par notre pays.
Ensuite, il prévient à la fois de sérieux risques contentieux, auxquels la SNCF faisait face devant des tribunaux américains, et des initiatives législatives de nature à nuire à ses activités aux États-Unis et, plus largement, à sa réputation à l’étranger.
Cet accord est, de ce fait, de nature technique et juridique et vise concrètement à atteindre ces deux objectifs, sur lesquels je voudrais revenir.
Il importe de rappeler que l’indemnisation des victimes de la déportation repose sur le régime des pensions d’invalidité établi en 1948, lequel est ouvert à nos compatriotes et aux ressortissants de quatre pays en application d’accords bilatéraux conclus après-guerre. Toutefois, un nombre important de survivants de la déportation, du fait de leur nationalité, ne pouvaient en demander le bénéfice.
Les contentieux engagés aux États-Unis ont révélé une situation depuis l’origine inéquitable, à laquelle il appartenait à la France de remédier. L’accord soumis à votre approbation aujourd’hui vise ainsi à répondre à cet impératif d’équité à l’égard de ces survivants de la déportation depuis la France, qu’ils soient de nationalité américaine ou d’une autre nationalité.
Cet accord, comme l’a souligné le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, Harlem Désir, à l’Assemblée nationale, ne relève ni dans son esprit ni dans sa lettre d’un accord portant « réparation de guerre ».
Il a été négocié, à notre initiative, avec l’intention de parachever l’édifice français d’indemnisation des victimes de la Shoah, pris en charge par le Gouvernement français depuis la fin de la guerre.
Il s’agit d’un accord visant à mettre en œuvre des réparations individuelles répondant à une inégalité de traitement de certaines victimes de la déportation au regard du régime français de pensions d’invalidité des victimes civiles de guerre.
Les bénéficiaires exclusifs du futur fonds d’indemnisation qui devrait être créé en application de cet accord seront des survivants de la déportation, de nationalité américaine ou d’une autre nationalité, non couverts par notre régime, ou leurs ayants droit pour ceux qui sont décédés après-guerre.
Le choix de la création d’un fonds d’indemnisation, plutôt que d’une extension du régime de pensions d’invalidité, s’est imposé notamment afin de garantir un accès facilité à l’indemnisation pour les victimes, compte tenu de leur âge.
J’insiste sur le fait que ce fonds sera intégralement et exclusivement dédié aux victimes de la déportation, et constitue une réponse définitive à toute demande d’indemnisation.
Je précise que ce fonds de 60 millions de dollars sera versé depuis le programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale », faisant partie de la mission interministérielle « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », qui est un budget des services du Premier ministre.
Cette démarche d’équité engagée par la France et le résultat obtenu ont été salués par les organisations représentatives des institutions juives de France comme étant le meilleur compromis possible, soixante-dix ans après la fin de la guerre.
Le second impératif auquel répond cet accord est d’ordre juridique et judiciaire. En raison d’un défaut d’indemnisation, des recours ont été introduits devant des tribunaux américains contre la SNCF au titre de son rôle dans les déportations. Il convenait donc, pour le Gouvernement français, d’obtenir, par cet accord, des garanties permettant de clore définitivement tous différends et contentieux relatifs à la déportation depuis la France.
Cet accord institue, dans ce cadre, des garanties juridiques qui vont au-delà des clauses généralement consenties par nos partenaires.
Ces garanties s’appliqueront, en effet, non seulement aux recours devant les juridictions américaines, mais aussi à toute initiative législative, qu’elle soit issue du Gouvernement fédéral, des États fédérés ou des autorités locales.
Cette dernière garantie représente une innovation majeure obtenue par la France.
Aux termes de l’obligation internationale posée par cet accord, les autorités américaines s’engagent à s’opposer, par tout moyen, à tout recours introduit devant la justice américaine et à toute initiative législative, nationale ou locale, visant la France à ce titre. Je rappelle que nos partenaires ont toujours respecté les engagements pris en termes de garanties juridiques dans des accords internationaux.
Je veux dire ici clairement, en réponse aux doutes qui ont pu être exprimés sur l’effectivité des garanties juridiques prévues par cet accord, qu’aucun traité ou convention internationale ne saurait empêcher des plaignants de saisir des tribunaux, aux États-Unis ou ailleurs.
Il en va autrement des garanties obtenues par le Gouvernement dans le cadre de cet accord : elles seules permettront d’assurer le rejet de tout recours introduit devant la justice américaine et de toute initiative législative visant la France ou ses entreprises.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de cet accord, c’est l’édifice progressivement mis en place en France depuis la fin de la guerre pour l’indemnisation des victimes de la Shoah que le Gouvernement a souhaité compléter, en réparant une injustice et en prévenant une insécurité juridique. Cet accord ne vient en aucune manière mettre en cause ou récrire l’histoire. Par-delà sa portée fortement symbolique, il s’agit donc d’un accord très technique et concret.
Le Gouvernement a néanmoins conscience que ce sujet très grave est extrêmement sensible. Le ministre des affaires étrangères et du développement international, M. Laurent Fabius, a de ce fait souhaité répondre aux objections soulevées lors de l’examen de cet accord en commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, s’agissant des références au « Gouvernement de Vichy ».
Le ministre, comme il s’y était engagé, a fait saisir les autorités américaines d’une demande de suppression de cette mention dans le texte pour lui substituer les termes de l’ordonnance de 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine, qui visent, comme l’exposé des motifs, « l’autorité de fait se disant “gouvernement de l’État français” ». Il a présenté cette solution à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 11 juin dernier.
Cette demande, qui a été mise en œuvre sous forme d’échange de notes diplomatiques entre les deux gouvernements français et américain, en application de l’article 79 de la convention de Vienne sur le droit des traités, vous a été transmise. Cela confirme l’engagement du Gouvernement de procéder à la rectification des termes de l’accord sur ce point. Le texte publié au Journal officiel sera, par conséquent, celui de l’accord ainsi modifié.
Cette démarche de nature exceptionnelle tend à répondre aux objections soulevées au cours des discussions parlementaires qui ne mettaient pas en cause le principe de l’indemnisation ou les objectifs de l’accord.
Parce que cet accord répond à un double impératif de justice comme de garantie juridique, le Gouvernement souhaite que cette démarche suscite un large consensus et puisse être mise en œuvre rapidement.
Telles sont, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français, qui fait l’objet du projet de loi que le Gouvernement vous demande d’approuver aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous nous apprêtons à voter aujourd’hui n’est pas anodin : il a suscité, dans la presse et à l'Assemblée nationale, un certain nombre de réactions, parfois négatives, et beaucoup d’interrogations.
À la lecture des comptes rendus des débats à l’Assemblée nationale, j’ai éprouvé une grande perplexité, et même été un peu choquée, comme l’a exprimé Josette Durrieu en commission, devant la marchandisation de cette période de l’histoire, moi qui suis issue d’une famille dont tous les membres ont été déportés à la suite de la rafle du Vél’ d’Hiv, le 16 juillet 1942.
C’est dans cet esprit que j’ai sollicité l’honneur d’être rapporteur de ce texte, pour mieux comprendre ce qui s’était passé à l'Assemblée nationale. Contrairement aux députés, nous avons mené des auditions, qui m’ont permis d’y voir plus clair dans ce dossier.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez rappelé les étapes de la négociation de l’accord. Pour ma part, je tenterai d’apporter au Sénat quelques éclaircissements complémentaires.
Tout d’abord, cet accord ouvre-t-il une nouvelle série d’indemnisations pour les victimes juives de la Shoah, créant par là même une inégalité entre les différentes catégories de déportés et leurs ayants droit ?
Cette idée d’opérer un classement des déportés est assez insupportable. Nous connaissons tous, dans nos départements, des anciens combattants, des pupilles de la nation qui sont eux aussi concernés par cette période. Charles Revet ne me contredira pas.
La réponse à cette première question est négative. Il s’agit en réalité du dernier acte d’une période particulièrement sombre de notre histoire. La liste des dispositifs d’indemnisation existants figure dans le rapport : celui que nous nous apprêtons à approuver aujourd'hui la complète de façon définitive.
Il s’agit d’indemniser un petit nombre de déportés juifs partis de France et n’ayant jamais été indemnisés. Quelle que soit l’ancienneté des faits, notre droit, comme le droit international, reconnaît le droit à réparation, même tardive. C'est un droit universel et opposable.
Ce fonds sera-t-il le dernier ? Oui. Il présente un caractère particulièrement original et innovant : les États-Unis géreront ce fonds à leurs frais pour l’ensemble des victimes n’ayant pas déjà été indemnisées – j’insiste sur ce point, car il risque de susciter des questions dans nos départements –, quelle que soit leur nationalité, à l’exception des ressortissants des quatre pays, mentionnés dans le rapport, avec lesquels des accords bilatéraux ont été conclus.
Il s’agit donc d’un accord pour solde de tout compte par le biais d’un fonds international qui dégage de façon définitive la France, ses démembrements et la SNCF de toute recherche en responsabilité.
La SNCF est-elle dès lors garantie contre tout recours et action sur le sol américain ? La réponse est positive : cette garantie vaudra non seulement sur le sol américain, mais partout ailleurs dans le monde, dès lors que le fait générateur est la déportation de victimes de la Shoah depuis la France.
De ce fait, les procédures en cours et pendantes devant les tribunaux américains feront l’objet d’un désistement d’actions et d’instances, et les projets de loi déposés devant le Congrès ou autres instances devront être retirés ou se verront opposer le veto du Président des États-Unis.
La SNCF, dès lors blanchie des accusations hâtivement portées contre elle, pourra aussitôt retrouver droit de cité dans les appels d’offres internationaux et reprendre sa place dans la compétition pour un certain nombre de marchés.
À ce stade, je voudrais faire un commentaire.
Nous sommes là face aux effets pervers des class actions américaines : des avocats ont démarché des victimes en vue de les inciter à engager des procédures, ce qui a provoqué un effet « boule de neige ». Un certain nombre de congressmen ont déposé des projets de loi, ce qui a entraîné les conséquences que nous connaissons.
Il n’est d’ailleurs pas douteux qu’outre le préjudice commercial extrêmement important subi par la SNCF, les indemnisations prononcées par les tribunaux américains risqueraient d’être autrement plus élevées que la somme allouée au fonds d’indemnisation dont la création est prévue par cet accord : il n’est qu’à se souvenir du montant de l’amende infligée récemment à BNP-Paribas, dans un tout autre domaine.
Dans ce contexte où le souvenir d’une page sombre de notre histoire se mêle à des considérations commerciales, nous sommes en présence d’un accord transactionnel, qui comporte points faibles et avantages.
Devant cette équation, j’ai souhaité rappeler, durant les auditions et dans l’annexe 10 du rapport, le rôle extrêmement important des cheminots de la SNCF dans la Résistance,…
M. Charles Revet. Très bien ! Il faut le faire !
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. … notamment lors de la bataille du rail. Il ne pouvait être passé sous silence. J’ai également tenu à joindre au rapport une lettre – en anglais, car nous n’avons malheureusement pas eu le temps de la faire traduire en français – que Serge Klarsfeld a adressée au Congrès. Dans ce document très important, il explique que les accusations portées contre la SNCF sont malvenues, hâtives, maladroites et, pour tout dire, inexactes. Mon rapport comporte aussi un chapitre sur le travail mémoriel accompli par la SNCF dans les gares.
Tout cela contribue à faire connaître l’histoire telle qu’elle s’est passée, pour faire pièce à la vision déformée des faits qui a cours de l’autre côté de l’Atlantique. À cet égard, que le témoignage de Serge Klarsfeld soit rédigé en anglais est peut-être une bonne chose.
Vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement a fait le nécessaire pour corriger la version initiale de l’accord, hâtivement rédigée, faisant mention du « Gouvernement de Vichy », contre laquelle notre collègue Claude Malhuret s’était élevé en commission.
Reste une dépense de 50 millions d’euros pour solde de tout compte. Dans ce dossier, la communauté juive de France n’était nullement demandeur. La dotation du fonds est inscrite au budget des anciens combattants, mais sur une ligne particulière dédiée à la réparation des spoliations. Les anciens combattants, dont beaucoup ont lutté contre le nazisme, ne seront donc pas pénalisés par la création de ce fonds : les choses sont absolument claires.
L’ensemble des incertitudes qui m’avaient conduite à m’abstenir sur ce texte en commission ayant été levées sans ambiguïté, j’invite le Sénat à adopter ce projet de loi, qui, je le répète, parachèvera notre régime d’indemnisation et mettra un point final au contentieux tout à fait injuste engagé contre la SNCF. (Applaudissements sur diverses travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accord entre la France et les États-Unis sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer cet après-midi porte sur un sujet très sensible et éminemment tragique, puisqu’il traite des conséquences de l’extermination d’hommes et de femmes par l’Allemagne hitlérienne.
Malheureusement, je le dis d’emblée, les raisons qui ont motivé la négociation de cet accord et les modalités de son application nous inspirent un réel sentiment de malaise.
Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit d’indemniser les ayants droit de déportés juifs depuis la France vers les camps d’extermination nazis.
Cet accord, signé l’an dernier à Washington après une année de négociations, prévoit essentiellement la mise en place d’un fonds ad hoc doté de 60 millions de dollars, alimenté par la France et dont la particularité est d’être administré par le département d’État américain.
Ce fonds, qui est pour nous Français une véritable curiosité, est destiné à indemniser des personnes qui n’ont pu l’être au titre du droit français, qu’elles soient de nationalité américaine ou de toute autre nationalité.
Pour comprendre le processus qui a abouti à cet accord, il est nécessaire de le resituer dans son contexte, bien particulier.
Malgré les mesures de réparation mises en place depuis de longues années par les autorités françaises, certains déportés survivants ou, plus souvent, des ayants droit de déportés n’ont pas eu accès, du fait de leur nationalité, au régime de pensions d’invalidité ou à des compensations versées par d’autres États ou institutions.
On peut comprendre que cette situation ait suscité une grande amertume. C’est ce qui explique sans doute que, à partir des années 2000, un certain nombre de personnes, notamment par l’entremise de class actions, aient tenté d’obtenir des réparations devant les juridictions américaines. C’est là qu’a interféré un élément douteux : plusieurs projets de loi ont été déposés devant le Congrès en vue de permettre aux juridictions américaines de poursuivre des entreprises ayant joué un rôle actif dans le transport des victimes de la déportation, à défaut de pouvoir poursuivre l’État français.
Disons-le très franchement, c’est dans ce contexte créé de toutes pièces que la SNCF a, de fait, été empêchée de soumissionner à plusieurs appels d’offres de transport ferroviaire aux États-Unis.
C’est pour régler ce problème et mettre fin à une situation malsaine qui parasitait les relations bilatérales qu’une solution a été trouvée sous la forme d’un accord intergouvernemental, c’est-à-dire dans un cadre négocié et non contentieux.
J’ai voulu préciser cette situation particulière pour souligner l’ambiguïté de certaines questions liées à la signature de cet accord.
Ainsi, soixante-dix ans après les événements, il est tout à fait contestable de reprendre la question de l’indemnisation des déportés par le biais de l’invocation de prétendues responsabilités de la SNCF dans leur transport, en occultant d’ailleurs au passage le rôle déterminant joué par de nombreux cheminots dans la Résistance.
Par ailleurs, en instaurant un traitement différencié des déportés, on les catégorise, voire on les hiérarchise : comment interpréter ce refus d’une application universelle de l’indemnisation ? Pour quelles raisons souligne-t-on ainsi les différences entre les déportés juifs, les déportés politiques, les déportés à raison de leur religion ou de leur orientation sexuelle, ou bien encore d’autres déportés raciaux, comme les Tziganes ?
En outre, compte tenu du penchant connu de la société américaine à « judiciariser » tous les sujets, ce mode de traitement, loin de régler véritablement un problème, risque au contraire d’ouvrir la voie à d’autres contentieux.
La lucidité ne peut que nous inciter à estimer que cette marchandisation, par le biais de la justice, repose sur l’instrumentalisation d’un tragique moment de notre histoire, avec, en arrière-plan, l’intention avérée de protéger des intérêts économiques sur le territoire des États-Unis.
Enfin, comment ne pas considérer qu’il y a là l’exercice d’une forme de chantage pour faire approuver un accord tendant à mettre un terme aux procédures contre la SNCF ?
Que l’on comprenne bien la position de notre groupe : il n’est bien entendu aucunement question pour nous de remettre en cause des indemnisations légitimes.
Néanmoins, les ambiguïtés de certains points de l’accord et le malaise que nous éprouvons eu égard aux diverses motivations qui ont conduit à sa signature ont amené le groupe CRC à décider de ne pas prendre part au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, l’accord entre la France et les États-Unis en vue de l’indemnisation des victimes de la Shoah déportées depuis la France et non couvertes par des programmes français intervient, cela a été dit, dans un contexte difficile et sensible.
Au nom du groupe Les Républicains du Sénat, je tiens à rappeler que la France, dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a mis en place des régimes d’indemnisation en faveur des victimes de la guerre, parmi lesquelles les victimes de la déportation. Depuis lors, ces régimes d’indemnisation ont évolué et ont été progressivement étendus, notamment par le biais du décret du 13 juillet 2000 concernant les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ou de celui du 27 juillet 2004 visant à reconnaître les souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale.
En outre, la France a signé des conventions de réciprocité permettant l’indemnisation de victimes étrangères de faits de guerre survenus en France entre 1939 et 1945, ayant la nationalité du pays cosignataire.
Cet après-midi, nous souhaitons réaffirmer que, sur le sujet, la France n’a pas fui ses responsabilités ; le discours prononcé en 1995 par le président Jacques Chirac lors de la commémoration de la rafle du Vél’ d’Hiv en témoigne.
Toutefois, il nous faut reconnaître que, dans la législation actuelle, il n’existe pas de régime spécifique pour les victimes de la Shoah, surtout avec cette dénomination. Il est également vrai que des victimes sont exclues des dispositifs d’indemnisation parce qu’elles n’ont pas la nationalité française.
Un accord spécifique avec les États-Unis existe bien, mais ses modalités concernent des organismes privés, et non les entités publiques de l’État français. L’accord s’est appliqué en effet aux banques et aux institutions financières ayant exercé une activité en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, les avoirs bancaires bloqués à la suite de la mise en œuvre de législations antisémites par le gouvernement de Vichy et les autorités allemandes ont été restitués à leurs détenteurs ou aux ayants droit de ceux-ci.
Alors, pourquoi conclure un tel accord aujourd'hui ?
Depuis les années 2000, la France a dû faire face à une multiplication des contentieux relatifs à sa responsabilité à l’égard des victimes de la Shoah déportées depuis son territoire, notamment par le biais d’entités françaises publiques ou privées ayant pu jouer un rôle dans le transport des déportés. Les différentes tentatives de poursuites contre la SNCF constituent un élément capital motivant pour partie la conclusion de cet accord. Il est clair que ces contentieux nuisent à la mise en œuvre de la stratégie de développement de la SNCF aux États-Unis, où cette entreprise réalise un chiffre d’affaires de 850 millions d’euros.
Le risque financier lié à ces conflits judiciaires est d’autant plus important que les plaintes peuvent prendre la forme de class actions et que les coûts des procédures sont très élevés.
Cet accord répond donc, reconnaissons-le, à un double objectif : indemniser des victimes n’ayant pu l’être auparavant et instaurer une paix juridique durable entre les deux pays.
Rappelons que la loi américaine ne fait pas de distinction entre les gouvernements étrangers, leurs administrations et leurs entreprises, actuelles ou passées, qui sont désignées sous le terme de « démembrements ». Toutefois, les entreprises étrangères bénéficient d’une immunité de juridiction grâce au Foreign Sovereign Immunities Act de 1976, le FSIA.
Nous savons que c’est la rédaction de cet accord, en particulier celle de son article 1er, désignant les parties, qui a suscité de vives réactions de tous les groupes lors de son examen, tant à l’Assemblée nationale qu’en commission au Sénat. La mention du « Gouvernement de Vichy » sera donc remplacée, comme l’ont indiqué M. le secrétaire d’État et Mme le rapporteur, par celle de l’« autorité de fait se disant “gouvernement de l’État français” », formulation reprise de l’ordonnance du 9 août 1944. Cette modification est rendue possible par l’article 79 de la convention de Vienne relative au droit des traités.
Je voudrais maintenant appeler votre attention, mes chers collègues, sur les points de l’accord qui constituent des garanties importantes pour la France.
Il s’agit, tout d’abord, de la mise en place d’un mécanisme exclusif d’indemnisation pour les survivants de la déportation ou pour leurs ayants droit, sous réserve qu’ils n’aient déjà bénéficié de programmes d’indemnisation en lien avec la déportation.
Il s’agit, ensuite, de l’instauration d’une obligation contraignante pour les autorités américaines, visant à protéger l’immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements au titre du FSIA. Cet engagement est réaffirmé à l’article 5 de l’accord ; c’est une bonne chose, car cela implique que le Gouvernement américain s’engage à s’opposer à tout recours devant les tribunaux, à toute initiative juridique ou législative prise à tout niveau de gouvernement. Cela mettra un terme aux procédures législatives récurrentes depuis 2005 : après chaque renouvellement du Congrès, un projet de loi bipartisan est déposé au Sénat et à la Chambre des représentants, tendant à retirer à la SNCF le bénéfice de l’immunité de juridiction des États, pour que les recours contre elle puissent aboutir devant une juridiction américaine.
Enfin, en ce qui concerne les modalités d’indemnisation, il sera créé un fonds d’indemnisation doté de 60 millions de dollars, abondé par la France et géré unilatéralement par le Gouvernement des États-Unis. En réalité, ce fonds constituera le moyen définitif, global et exclusif de répondre à toute demande formulée au titre de la déportation liée à la Shoah. Son bénéfice sera assorti de clauses très précises. Ainsi, les victimes qui auront été indemnisées devront renoncer à toute procédure contre la France ou ses démembrements. En outre, l’accord prévoit un suivi dans le temps, permettant qu’aucun demandeur ne reçoive de paiement indu.
Cet accord représente une avancée sincère à l’égard des victimes. En outre, il nous semble que le temps est venu de clôturer, dans l’apaisement, un cycle de contentieux qui altèrent les relations entre nos deux pays.