Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Madame la présidente, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier M. le ministre de la défense et ses services du dossier extrêmement précis qu’ils nous ont fait parvenir il y a déjà quelques semaines. Cela aide à y voir plus clair ceux d’entre nous qui ne sont pas membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Sur le fond du débat, à la lumière des tragiques événements qui ont touché, qui touchent et qui – il faut le craindre – toucheront notre pays, il semblerait que les plus hautes autorités de l’État aient enfin pris conscience de l’urgence de la situation pour notre politique de défense.
Bien sûr, monsieur le ministre, vous n’avez pas attendu la survenance de ces odieux attentats islamistes pour proposer un renforcement de nos capacités ou, plus exactement, la fin de la diminution engagée par vos prédécesseurs sous la pression budgétaire imposée par l’Union européenne.
Nous connaissons tous ici votre souci pour nos forces armées. Pourtant, jusque récemment, vos propositions s’étaient fracassées sur le mur de la rigueur budgétaire. Il est triste qu’il faille des événements dramatiques pour faire bouger les lignes, alors que tous les indicateurs sont depuis longtemps dans le rouge ! Il convient de noter que, lors des travaux sur le Livre blanc qui ont abouti à la loi de programmation militaire dont vous nous proposez la réactualisation, les militaires avaient déjà fait part non seulement du besoin urgent de modernisation des équipements, mais surtout de la dangerosité pour notre outil de défense de la diminution drastique des effectifs. Ils n’ont pas été écoutés et l’on s’aperçoit aujourd’hui qu’ils avaient raison.
Fort de cette prise de conscience, vous proposez de diminuer la baisse des effectifs ; mais une baisse de la baisse, ce n’est pas malheureusement pas une hausse !
Le dernier front, et non le moindre, sur lequel nos forces armées sont engagées est l’opération Sentinelle. Je tiens ici à rendre hommage à toutes les unités qui remplissent cette mission, certes importante, mais, il faut le reconnaître, peu exaltante pour nos soldats.
Pour ce qui est des finances, qui restent le nerf de la guerre, vous nous proposez une augmentation du budget programmé de 3,8 milliards d’euros sur la période 2015-2019. Toutefois, malgré l’urgence de la situation actuelle, 2,5 milliards d’euros ne sont programmés que pour après 2017 : en fait, vous reportez l’effort sur la future majorité.
Je n’ai malheureusement pas le temps d’entrer dans le détail des équipements à remplacer, à moderniser et à acquérir pour nos trois armées. En un mot, malgré quelques garanties, nous sommes extrêmement inquiets sur le niveau d’équipement de nos forces. Or, comme le soulignait le général de Villiers devant nos collègues de l’Assemblée nationale, 20 % des équipements terrestres de retour du Sahel sont irrécupérables. Ce fait ne semble pas être pris en compte dans ce texte. Il ne faudrait pas que le coefficient « vraie vie » utilisé dans une partie de nos armées devienne une clé de lecture incontournable pour comprendre les lois de programmation militaire.
Certes, l’armée française fait l’admiration de nos alliés par sa force de débrouillardise, mais ce n’est pas digne d’une grande puissance !
Je voudrais évoquer brièvement la création des associations professionnelles de miliaires. Outre le fait que je doute de la pertinence de telles associations, les différents conseils de la fonction militaire permettaient déjà aux chefs d’avoir un accès libre et direct à tous les échelons de la hiérarchie.
De fait, cette mesure est un nouveau signe de notre soumission à des instances clairement supranationales. Quand donc la France retrouvera-t-elle sa pleine et entière souveraineté ? Là est la vraie question, surtout lorsque ses armées, qui relèvent d’une fonction régalienne par excellence, en sont victimes !
J’imagine que ma conclusion ne vous surprendra pas, monsieur le ministre. Cette actualisation va dans le bon sens, mais nous sommes encore très loin du compte s’agissant tant des équipements que des effectifs. Nous préconisons, pour notre part, de garantir dans la Constitution que 2 % du PIB sont affectés à notre défense.
Nous comptons sur votre pugnacité pour veiller à ce que les crédits promis dans cette loi soient effectivement inscrits, et non pas soumis à des aléas, comme ce fut le cas dans le budget de 2015. Nous espérons surtout que vous continuerez à faire montre de pédagogie auprès de vos collègues, afin qu’ils comprennent enfin l’importance qu’il y a à doter nos armées des moyens nécessaires à leurs missions de protection de la France, de ses intérêts et de nos concitoyens !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a vingt mois, le Parlement adoptait la LPM, considérant qu’elle était la moins mauvaise possible dans le cadre budgétaire donné.
Nous avions alors souligné les faiblesses du texte. Permettez-moi de les rappeler : nouvelle réduction du format des effectifs et des équipements, format réduit que nous avions alors qualifié de «juste insuffisant » ; incertitudes sur les REX – ressources exceptionnelles –, qui représentent une part importante du budget de la défense, notamment pour les équipements ; faiblesse, que nous assumions, des crédits OPEX – opérations extérieures –, un amendement sénatorial ayant toutefois permis la prise en charge des dépassements au niveau interministériel ; exportations hypothétiques de matériel militaire, s’agissant notamment du Rafale ; insuffisance des commandes de pièces de rechange et de munitions ; enfin, reports de charges trop élevés chaque année.
Compte tenu de ces inquiétudes, le Sénat avait adopté, dans l’intérêt de la défense, une panoplie d’amendements visant à sécuriser les ressources et permettre la réalisation de la programmation, notamment grâce aux mesures suivantes : compensation par des cessions d’actifs ou des crédits budgétaires si les REX n’étaient pas au rendez-vous à temps et au niveau prévu ; sécurisation en cas de non-export ; contrôle sur pièces et sur place, auquel nous avons d’ailleurs recouru ; enfin, clause de revoyure avant la fin de l’année 2015 – nous y sommes !
Force est aujourd’hui de constater que nos inquiétudes étaient fondées. Avec cette actualisation, vous apportez, monsieur le ministre, une grande partie des réponses que nous attendions. C’était d’autant plus nécessaire que, en moins de deux ans, notre environnement a terriblement évolué avec la crise en Ukraine, la montée exponentielle de Daech et du terrorisme, ainsi que l’explosion du nombre de migrants arrivant par la Méditerranée.
La part la plus importante des ressources budgétaires que vous avez obtenue sert à financer la moindre déflation des effectifs : 18 750 postes n’ont pas été supprimés. Nous saluons cet effort, même s’il est largement absorbé par l’opération Sentinelle.
Des moyens sont prévus pour le maintien en condition opérationnelle et l’entretien programmé des matériels ainsi que pour lancer ou accélérer des programmes d’équipement, qui sont nécessaires à nos forces. Bravo ! Signalons toutefois que cela est surtout possible grâce aux économies réalisées du fait de la bonne évolution des indices économiques tels que l’inflation ou le coût des carburants. Attention à un renversement de tendance !
Constatant que les « REX fréquences », les recettes exceptionnelles attendues de la cession de fréquences hertziennes, n’étaient pas au rendez-vous, vous avez obtenu, monsieur le ministre, après un long bras de fer avec Bercy, un arbitrage du Président de la République, afin que l’essentiel de ces ressources soit rebudgétisé à partir de 2015 : c’est bien !
Enfin, les ventes à l’export, notamment du Rafale, sont au rendez-vous. À cet égard, permettez-moi de féliciter l’ensemble de « l’équipe France », qui a permis ces succès.
Nous sommes satisfaits de ces orientations, ainsi que de l’évolution à la baisse du report de charges.
Je voudrais néanmoins vous faire part de deux sujets de préoccupation : d’une part, la soudure entre les prévisions de la LPM initiale et la présente actualisation ; d’autre part, le coût direct, dès cette année, de l’opération Sentinelle, qui s’élève à environ 1 million d’euros par jour.
Le Gouvernement ne nous laisse pas espérer l’examen d’un collectif budgétaire d’ici à la fin de l’année. C’est pourquoi nous avons besoin d’être rassurés sur la levée anticipée de la réserve de précaution et sur un décret d’avance dans les derniers jours de 2015.
Comme je viens de l’indiquer, l’actualisation va dans le bon sens et permet de lancer ou de confirmer les programmes majeurs. Je n’y reviens donc pas, préférant m’attarder sur neuf points, qui me semblent essentiels.
Premièrement, la moindre déflation des effectifs permet de consentir un effort supplémentaire en matière de cybersécurité et de renseignement, de combler des manques dans l’armée de l’air et la marine et, surtout, de porter la capacité opérationnelle de l’armée de terre de 66 000 à 77 000 hommes .
Deuxièmement, je salue la création d’une brigade d’aérocombat, avec sept hélicoptères Tigre HAD supplémentaires, qui seront livrés avant la fin de l’année 2017, et la livraison de six hélicoptères NH90, qui a été avancée parce que ceux-ci sont indispensables pour remplacer les vieux Puma.
Je salue également l’effort réalisé pour assurer la réorganisation générale du maintien en condition opérationnelle du parc d’hélicoptères, avec des lots de pièces de rechange, des lots de projection, le recrutement de maintenanciers et une nouvelle contractualisation avec les industriels. Nous avions attiré votre attention, monsieur le ministre, sur ces carences, et nous sommes satisfaits que vous les ayez prises en compte.
Troisièmement, je me félicite des ventes à l’export du Rafale et, surtout, de la confirmation que la prévision initiale de livraison de cet appareil pour l’armée de l’air et la marine serait tenue, avec, notamment, l’arrivée d’un deuxième escadron de Rafale à vocation nucléaire.
Quatrièmement, compte tenu du vieillissement et du manque de disponibilité des C 160 et C 130, je note la modernisation de certains C 130 et l’armement de deux d’entre eux pour les forces spéciales, ainsi que l’étude de l’achat de quatre C 130, d’occasion ou neufs. Ne perdons pas de temps, monsieur le ministre, et adressons a letter of request à nos amis américains !
Cinquièmement, les douze MRTT seront enfin commandés, dont trois seront livrés d’ici à 2019. Permettez-moi de souligner que, il y a quelques mois, j’avais formulé cette demande par le biais d’un amendement et que vous vous y étiez opposé, monsieur le ministre.
Sixièmement, je dirai un mot du projet Cognac 2016-2017, qui prévoit de moderniser la formation et de différencier l’entraînement des pilotes de chasse. À cet égard, je rappelle que la décision a été approuvée lors d’un comité ministériel d’investissement il y a un an. Ne perdons pas de temps ! Ce projet, qui permet la manœuvre des effectifs et des implantations de l’armée de l’air, devrait permettre de réaliser des économies à hauteur de 150 millions d’euros par an.
Septièmement, les grandes commandes marines sont confirmées, avec quinze frégates de premier rang. La livraison de cinq frégates de taille intermédiaire a été avancée pour répondre à nos besoins et à des possibilités à l’export.
Huitièmement, j’évoquerai les forces spéciales. Permettez-moi de saluer l’intervention de nos forces spéciales au Sahel, et j’ai une pensée particulière pour les deux soldats blessés dimanche dernier, dont un gravement, qui ont été rapatriés hier soir.
Deux des quatre C 130 qui vont être achetés seront affectés aux forces spéciales ; ils disposent d’une capacité de ravitaillement en vol d’hélicoptères.
Par ailleurs, j’insiste une nouvelle fois sur le renouvellement nécessaire des véhicules de patrouille lourds et légers. Monsieur le ministre, tenons les délais !
Neuvièmement, notre effort en matière de missiles doit être poursuivi. Cela vaut pour le missile moyenne portée, le missile anti-navire léger, la rénovation à mi-vie des missiles Scalp, auxquels il faut ajouter la nécessaire augmentation des capacités du système SAMP/T pour nos armées et l’export. C’est ce que l’on appelle le programme B1NT.
En conclusion, je veux dire à cette tribune que cette actualisation correspond, en partie, à nos demandes, même si nous aurions aimé que l’effort soit plus important encore pour faire face aux menaces actuelles et que les crédits soient moins étalés dans le temps. Mais, comme nos amis de Bercy préfèrent les lois de finances annuelles ou triennales aux lois de programmation, qui ne sont pas normatives, nous avons adopté en commission un certain nombre d’amendements pour sécuriser et pérenniser les ressources.
Permettez-moi de formuler deux dernières remarques.
Nous sommes tous persuadés que l’opération Sentinelle, telle qu’elle est aujourd’hui mise en œuvre, doit évoluer vers plus de souplesse et de réactivité, au lieu d’être statique. Le Gouvernement et les armées doivent réfléchir à « un cadre doctrinal pour l’emploi des troupes sur le territoire national ». Nous avons demandé que ces travaux soient présentés au Parlement avant la fin de l’année.
Dans le droit fil de cette demande, nous saluons la volonté de faire évoluer la réserve opérationnelle en effectifs et en réactivité. Mais c’est plus facile à dire qu’à réaliser, monsieur le ministre, notamment vis-à-vis des employeurs privés et publics !
Enfin, certains évoquent la création d’une « Garde nationale » à la française. Méfions-nous des fausses bonnes idées ! Compte tenu des budgets limités, cela se ferait obligatoirement au détriment des crédits de la défense et aboutirait, de fait, à une armée à deux vitesses.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, les satisfactions l’emportent, mais la vigilance demeure. Dans ces conditions, je voterai, comme l’ensemble du groupe Les Républicains, ce projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 tel qu’il est issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an et sept mois après l’adoption de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019, nous devons examiner un projet de loi permettant de l’actualiser.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de rendre un hommage solennel à nos soldats qui, en France et à l’étranger, honorent notre pays. Il n’est pas un débat sur la défense où nous ne saluions leur courage et leur professionnalisme. De fait, ils méritent que nous dépassions le stade de la parole pour passer aux actes. Sachons leur donner les moyens de remplir leurs missions dans des conditions dignes de leur engagement.
C’est la première fois que nous procédons à une telle actualisation, au demeurant prévue à l’article 6 de la loi précitée. Cet exercice ne doit pas être pris à la légère. Je veux rappeler ici que le ministère de la défense, ses hommes et ses femmes ainsi que notre outil de défense doivent bénéficier d’une prévision à long terme. Ce principe vaut tant pour les ressources humaines et que pour l’équipement.
Je ne reviendrai pas en détail sur les dix-huit mois qui viennent de s’écouler ; le moins que l’on puisse en dire est qu’ils ont été intenses ! Je retiendrai simplement deux éléments importants, avant de m’exprimer ultérieurement sur les articles.
Premièrement, engager le plus tôt possible des crédits sincères pour nos armées est une exigence à laquelle nous ne pouvons déroger si nous voulons satisfaire aux ambitions qui sont les nôtres sur la scène internationale. Les tergiversations auxquelles ont donné lieu, au printemps dernier, les sociétés de projet l’ont prouvé ; le sujet est désormais clos, et nous nous en réjouissons.
Deuxièmement, je veux attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les engagements et la mobilisation de nos forces au regard du contexte sécuritaire international et national.
Depuis le début de notre engagement au Mali, puis dans la bande sahélo-saharienne, il est plus qu’évident que ces opérations ont vocation à durer, contrairement à ce qu’avait initialement annoncé le Président de la République.
Cela dit, il est impératif de prendre en compte la dualité des enjeux de ces OPEX. Nous ne remettons nullement en cause le prolongement de l’opération Barkhane face aux risques d’expansion du terrorisme dans toute l’Afrique, mais il faut bien comprendre que cet engagement implique des investissements humains et capacitaires importants. Faute de moyens, les risques peuvent être très lourds pour les hommes sur le terrain.
D’abord, le prolongement de ces OPEX nécessite de pouvoir assurer un turnover, avec des hommes suffisamment entraînés mais aussi, il ne faut pas le négliger, suffisamment reposés, et cela même si nous engageons des retraits progressifs de Centrafrique.
Ensuite, cette action nous conduit à adopter une véritable politique de maintien en condition opérationnelle. Le vieillissement ainsi que l’usure des matériels et des équipements sont fortement accélérés par une faible disponibilité, accélération encore renforcée par la multiplication des théâtres d’engagement, par les conditions extrêmes liées aux conditions climatiques et par un état d’usage avancé, ce qui réduit la marge de régénération et augmente à terme les coûts.
L’attrition des matériels est telle qu’elle peut altérer nos capacités opérationnelles et a un impact important sur les conditions d’entraînement.
Le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, déclarait le 21 mai dernier : « Sans moyens financiers supplémentaires pour régénérer ces matériels, et compte tenu de leur âge, le maintien du niveau d’engagement actuel se traduirait à court terme par une diminution rapide de plusieurs parcs, dont ceux des avions de transport tactique et de patrouille maritime, des hélicoptères de manœuvre et des véhicules blindés. Sans moyens financiers supplémentaires pour l’entretien des matériels, nous mettons en danger notre personnel. »
De fait, monsieur le ministre, nous ne pouvons que nous féliciter de voir que, sur toute la période, 88 milliards d’euros seront consacrés aux équipements, auxquels s’ajoutent 500 millions d’euros qui seront uniquement dédiés à la régénération des matériels. Ces efforts témoignent de la prise en compte de cette priorité ; c’est une excellente nouvelle.
Par ailleurs, j’évoquerai la diminution des déflations en termes de ressources humaines.
La réduction nette des effectifs ne portera que sur 6 918 postes, et non plus sur les 33 000 prévus, dont 10 000 étaient imputables à la loi de programmation. Ce retour en arrière est une sage décision, qui repose aussi sur la réalité. Du reste, nous savions tous déjà, à l’époque, que ces suppressions de postes n’étaient pas tenables. La politique de gestion des ressources humaines et l’objectif d’efficacité imposent une prévision à long terme. Celle-ci ne souffre aucun revirement trop brutal, sous peine de déstabiliser l’institution et d’altérer directement nos capacités d’engagement.
La hausse de crédits prévue dans ce projet de loi sera largement consacrée au financement d’une masse salariale qui doit, elle aussi, être proportionnelle à nos besoins.
En tant que membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous saluons les hausses de crédits et l’affectation de ces derniers. Néanmoins, ce qui prime pour nous, c’est une sanctuarisation effective et une programmation sincère. Sur ce point, le travail de nos deux collègues Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Legge, qui est exemplaire et doit être pris en compte, nous conduira à émettre un vote favorable. Les clauses de sauvegarde intégrées au texte sont primordiales. Les garanties et la sanctuarisation réelle des crédits sont les gages d’un soutien concret à nos armées.
L’une des forces de la Haute Assemblée, c’est, me semble-t-il, d’améliorer et de renforcer ce qui peut l’être et de favoriser la responsabilité collective. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.
M. Jeanny Lorgeoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux qui m’ont précédé à cette tribune ayant parfaitement détaillé le contenu et les enjeux de la révision qui nous est proposée, je serai peut-être plus utile au débat en tentant, modestement, de dégager la signification profonde de ce texte.
Parce que s’il s’agit de la France, de la défense du territoire, du combat sans merci contre le terrorisme, c’est-à-dire contre les ténèbres obscurantistes, le Président de la République et le Gouvernement se devaient de renforcer notre dispositif militaire. C’est chose faite avec la présente actualisation de la LPM. Nous les félicitions d’avoir clairement tranché, ce qui, convenons-en, n’était pas aisé. Toutefois, quand la boussole de l’Histoire s’affole, l’armature de l’État est le rempart de la Nation !
En votant cette révision, qui a le grand mérite de réaffirmer le cap, d’élargir le sillon déjà tracé, nous disons notre volonté de voir la France assumer son rang et son destin ; nous disons que, devant la montée des périls, devant la bascule géostratégique qui se déroule sous nos yeux de l’Atlantique jusqu’à la mer de Chine, devant la territorialisation en cours des espaces maritimes, devant l’exacerbation des paroxysmes moyen-orientaux – ai-je besoin de mentionner les poudrières de l’Irak, de la Syrie, de Gaza, du Yémen et de l’Iran ? –, devant l’intensification des trafics et fanatismes qui assassinent l’Afrique – alors qu’elle est une partie de notre avenir – en son milieu sahélien, de Bamako à Mogadiscio et d’Abuja à Benghazi, la France reste lucide et courageuse. Elle ne baisse pas la garde. Elle développe force et vigueur. Elle se bat pour des valeurs, au nom des Nations unies. Elle se bat aussi pour notre peuple, et pour ce que nous sommes.
Cette révision de la LPM peut apparaître, aux yeux de certains, comme un épisode budgétaire ou comptable connu des seuls initiés, comme une rustine, un simple rattrapage, face un étiage financier considéré hier comme inéluctable et mis en œuvre naguère, déjà sous l’impulsion de Bercy. Eh bien non ! Cette révision à la hausse de 3,8 milliards d'euros – excusez du peu ! – est un choix majeur, un signal lancé, un étendard brandi, une volonté affichée dans la mollesse ambiante de notre Europe empêtrée dans la dégradation des finances publiques. Elle est l’affirmation de notre engagement et de notre indépendance.
Comme le monde évolue sans cesse, le ministre de la défense modernise chaque jour, sur son établi, le dispositif dont il a la charge. Glanant et guignant ses crédits, les affermissant, dans un cadre régalien, il se donne les moyens de protéger le territoire ; il réinjecte des financements pour maintenir et rénover des matériels usés et relancer l’entraînement ; il arrête quasiment l’hémorragie des effectifs, tout en reventilant les souplesses acquises sur des môles de compétences opérationnelles de premier ordre ; mieux, il investit d’une manière très importante dans le renseignement et la cyberdéfense, ayant depuis longtemps compris qu’à la mécanique se substituait graduellement l’informatique ; au surplus, surmontant l’extraordinaire complexité des chassés-croisés d’informations recueillies et d’écoutes tous azimuts – c’est un euphémisme ! –, il fait prévaloir la qualité de l’analyse – discerner pour mieux cerner – sur le ratissage d’un large filet et recrute des experts de très haut niveau ; il investit dans des matériels nécessairement très complexes et très performants – acquisition d’un troisième satellite d’observation optique, de drones Reaper et de charges utiles de renseignement électromagnétique – pour améliorer notre connaissance intime de la menace.
Par ailleurs, la loi sur le renseignement, récemment adoptée, définit le cadre de la politique clairement affichée par le Gouvernement.
Celui-ci se met ainsi en position d’affronter l’ennemi, l’ennemi invisible, l’ennemi mobile, l’ennemi sans visage qui frappe, torture, égorge.
À travers cette révision de la LPM, la France envoie aussi un signal à nos amis européens : loin de désarmer, il faut au contraire maintenir, solidifier, fortifier, renforcer notre armée et, si possible, nos budgets militaires. La France envoie un autre message : la paix, chèrement acquise, se gagne dans le double mouvement articulé d’une diplomatie dynamique d’équilibre – nous le voyons avec Laurent Fabius – et de l’affirmation militaire – nous le voyons avec Jean-Yves Le Drian. La France envoie également le message selon lequel rien ne vaut sans la liberté d’être.
En effet, que signifierait une Europe rabougrie, vieillissante, engoncée dans son confort – fût-il relatif et inégalitaire –, rétive à l’altérité, vivant dans l’autarcie protectrice que confère le bouclier nucléaire français – voilà sa vocation –, cependant qu’à nos portes cognent de pauvres malheureux ? Non, notre rempart n’est pas un mur. Notre rempart, c’est notre sécurité. Notre rempart, c’est notre défense. Notre rempart, c’est notre République. L’Histoire, dans sa transparence glaciaire, montre que si l’on oublie cette simple vérité, le pays peut le payer un jour très cher, voire de sa liberté.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jeanny Lorgeoux. J’en termine, madame la présidente.
En attendant que l’Europe redevienne allante, prospère et solidaire, la révision de la loi relative à la programmation militaire vient à point nommé.
Je remercie tous les orateurs de s’être élevés, dans leurs interventions, au-dessus des querelles subalternes. Réunissons-nous, mes chers collègues, autour de ce bon projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jacques Gautier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans un contexte fort différent de celui de la fin 2013 que nous procédons à l’actualisation de la loi de programmation militaire. Force est de constater qu’une sous-évaluation importante des besoins avait alors prévalu. L’exercice d’actualisation était donc indispensable.
Évidemment, le contexte sécuritaire s’est fortement tendu avec les attentats de Paris, les exactions de Daech et leurs retombées sur toute la région, mais ces éléments étaient déjà en germe à la fin 2013. Nous avions d'ailleurs été nombreux à nous inquiéter de la diminution drastique des moyens de notre défense.
À cet égard, le tout récent vol de détonateurs et d’explosifs sur le site militaire de Miramas soulève de nombreuses questions.
Plutôt que de réagir au coup par coup, crise après crise, il importe de renforcer notre capacité de résilience. Déployer 7 000 militaires sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle, pourquoi pas ? Mais nous savons tous que, face aux menaces, c’est très insuffisant. Il faut développer la vigilance, en particulier en matière de renseignement. Il importe, pour cela, d’impliquer au maximum les citoyens dans la défense de notre sécurité et de nos valeurs. Nombreux sont ceux qui souhaitent pouvoir s’associer à cette cause. Nous ne pouvons pas laisser retomber l’élan du 11 janvier !
Notre pays dispose déjà, depuis des décennies, de structures pour canaliser cette envie d’engagement : ce sont les réserves.
Représentant le Sénat au Conseil supérieur de la réserve militaire et travaillant depuis de longues années sur ces questions, je salue la volonté de passer de 28 000 à 40 000 réservistes relevant du ministère de la défense. Cet objectif de 40 000 réservistes, qui figurait dans la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, n’avait pas été repris en 2013. Je me réjouis donc de sa réaffirmation, tout en m’interrogeant sur les moyens qui permettront de l’atteindre.
L’article 13 du projet de loi facilite la mobilisation des réservistes en réduisant les délais de préavis à l’employeur et en augmentant le nombre de jours annuels d’activité accomplis pendant le temps de travail. Ces dispositions viennent opportunément compléter la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure, élaborée à partir du rapport rédigé par Michel Boutant et moi-même. Cette loi prévoyait nombre de leviers pour une montée en puissance des réserves, mais il aura fallu près de quatre ans pour que les décrets d’application paraissent enfin.
La tentation est toujours de créer de nouveaux outils plutôt que de valoriser les outils existants. Le Président de la République a ainsi demandé une mission sur la création d’une réserve citoyenne, alors que celle-ci a été instituée il y a plus de quinze ans !
Une réelle confusion peut naître de la coexistence de dispositifs disparates réunis sous le nom de « réserve citoyenne », surtout si l’articulation et le mode de tutelle de ces dispositifs ne sont pas clarifiés. L’emploi de l’expression « réserve citoyenne » pour désigner des intervenants non enseignants dans les écoles brouille la communication, alors même que les réserves ont besoin d’une image plus claire et plus professionnelle pour recruter plus largement dans la société civile. En outre, il semblerait que la réserve citoyenne de l’éducation nationale soit moins un levier pour mobiliser de nouveaux volontaires qu’un label apposé sur des dispositifs déjà existants. Il aurait donc été préférable de choisir une autre appellation.
Un problème similaire se pose d’ailleurs avec la prétendue création d’un service militaire volontaire, qui ne serait que la transposition en métropole du dispositif de service militaire adapté créé en 1961 pour l’outre-mer. La création, en 2005, de l’Établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE, visait déjà à réaliser cette transposition pour mieux réinsérer des jeunes éloignés de l’emploi. Quelle serait l’articulation entre les deux dispositifs et avec le service civique ? Peut-être une agence nationale de la réserve citoyenne pourrait-elle utilement chapeauter l’ensemble des dispositifs.
Le principe de la mobilisation de la société civile au service de la sécurité et des valeurs de la Nation est essentiel. Ne le galvaudons pas ! Monsieur le ministre, je compte sur vous pour y veiller en réaffirmant la prééminence de la défense dans ce domaine.
Le besoin de clarté n’est pas contradictoire avec la pluralité des missions, loin de là. Il est très utile que des réservistes citoyens puissent intervenir dans les écoles de France. Je plaide pour qu’ils puissent également contribuer au rayonnement de la francophonie à l’étranger. La réserve citoyenne pourrait être un acteur clé de notre diplomatie économique et de notre politique d’influence. Si le présent projet de loi insiste sur l’élargissement du recrutement des réservistes dans la société civile, il méconnaît le besoin de favoriser un tel recrutement parmi les Français de l’étranger. J’ai déposé des amendements pour y remédier.
Enfin, en France comme à l’international, il est essentiel de renforcer les partenariats avec les entreprises, afin que celles-ci voient l’implication de leurs salariés dans la réserve comme un atout et non comme une contrainte. Trop de réservistes préfèrent aujourd’hui dissimuler leur engagement à leur employeur. Il importe de réfléchir à un moyen de rendre le dispositif plus attractif, pour les entreprises comme pour les salariés.
La réserve citoyenne pourrait aussi permettre de mobiliser des bénévoles sur un large éventail de missions d’intérêt général, bien au-delà des seules situations de crise, que ce soit au bénéfice d’équipes de sécurité civile, de services de de cyberdéfense, d’établissements scolaires, de collectivités territoriales ou en appui d’associations.
Les réserves ont un rôle considérable à jouer, tant par leur action en faveur du lien entre l’armée et la Nation que pour le trésor de compétences qu’elles permettent de mobiliser à moindres frais. C’est un progrès qu’elles soient dûment mentionnées dans ce projet de loi actualisant la LPM, mais il importe que des moyens matériels suffisants suivent effectivement ces annonces. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)