M. Alain Bertrand. Je partage bien entendu l’avis de M. le ministre sur cet amendement.
Je veux m’adresser à mes collègues du groupe communiste, républicain et citoyen. Le rapport Duron, qui est bien fait, préconise de fusionner parfois les transports express régionaux et les trains d’équilibre du territoire, les TET. Je défends le train, bien sûr, car si nous ne maintenons pas les TET, il n’y aura plus rien à certains endroits, mais il y a quand même des comportements extraordinaires de la part de la SNCF.
En Lozère, quand la ligne fret du Cévenol a été ouverte à la concurrence, les compagnies privées se sont mises à transporter des trains complets de bois !
Cette semaine, avec la présidente du conseil général, Sophie Pantel, nouvellement élue – je vous rappelle que c’est le seul conseil général qui est passé de droite à gauche –, nous avons rencontré le directeur régional de la SNCF, dont je tairai le nom, qui nous a répété qu’il n’y avait pas assez de voyageurs sur le Cévenol.
M. Jean-Pierre Bosino. Quand on veut tuer son chien…
M. Alain Bertrand. Mais il faut savoir que ce train n’est indiqué nulle part, et qu’il n’y a plus d’agents dans les gares ; donc personne ne peut savoir qu’il existe ! De surcroît, il n’y a plus de contrôleurs dans les trains, donc même quand il y a des passagers, on ne peut pas les comptabiliser, surtout qu’ils ne paient pas… (Rires.)
Savez-vous ce que nous a répondu le directeur régional de la SNCF ? Il nous a dit qu’il allait étudier le problème pour que le Cévenol, qui relie Clermont-Ferrand à Nîmes – et autrefois à Marseille – soit affiché sur les bornes électroniques dans toute la France, tout en précisant que cela serait difficile, eu égard à la nature du système informatique centralisé à Paris.
Monsieur le ministre, sachez qu’il est impossible de prendre le Cévenol en 2015 !
Je suis sûr que M. Vidalies regardera ce cas avec perspicacité, car le problème ne concerne pas seulement la SNCF, l’État intervenant pour participer au financement des TET. Certes, nous ne pouvons pas maintenir les trains qui circulent à vide en permanence, dans beaucoup d’endroits, mais il faut que nous restions vigilants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Monsieur Maurey, dans votre comparaison avec l’Allemagne, vous oubliez de préciser que les pouvoirs publics allemands n’ont pas laissé à la Deutsche Bahn, la DB, sa dette initiale. La compagnie s’est donc trouvée dans des conditions un peu différentes de celles de la SNCF…
Quant à ce que vient d’évoquer notre collègue Alain Bertrand, vous ne me ferez pas croire que les concurrents vont se positionner sur une ligne qui n’est pas rentable.
Votre explication ne prend pas en compte l’ensemble des données.
M. Hervé Maurey. En Allemagne, des lignes quasiment mortes ont été relancées !
Mme Évelyne Didier. Mais la DB a été renforcée, car on a tout fait pour que l’opérateur principal reste maître chez lui en ouvrant la concurrence sur les TER. Le choix a été différent, mais, surtout, on n’a pas laissé la dette aux opérateurs historiques. Or il ne faut pas oublier que c’est la dette qui plombe aujourd’hui SNCF Mobilités et RFF. En effet, la première paie plus cher les sillons, et RFF peut à peine investir.
Il faut arrêter de faire des comparaisons qui ne sont pas pertinentes…
M. Hervé Maurey. Qui vous gênent, surtout…
Mme Évelyne Didier. Par ailleurs, vous savez très bien que la concurrence va se porter sur les lignes rentables, et pas sur les autres. On aura donc toujours un problème d’aménagement du territoire là où la rentabilité n’est pas au rendez-vous.
Enfin, comme l’a dit notre collègue Alain Bertrand, un train qui n’est pas répertorié dans les listings a peu de chances d’être emprunté. C’est un peu comme pour les bureaux de poste : comme on réduit le nombre d’heures d’ouverture, les gens viennent moins, car c’est moins pratique, donc on réduit encore les heures… On connaît cette manière de tuer le service public ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17 et 77.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er quinquies.
(L'article 1er quinquies est adopté.)
Article 2
I. – Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la troisième partie du code des transports est complété par une section 3 ainsi rédigée :
« Section 3
« Services librement organisés
« Sous-section 1
« Ouverture et modification des services
« Art. L. 3111-17. – (Non modifié) Les entreprises de transport public routier de personnes établies sur le territoire national peuvent assurer des services réguliers interurbains.
« Art. L. 3111-17-1. – Tout service assurant une liaison dont deux arrêts sont distants de 200 kilomètres ou moins fait l’objet d’une déclaration auprès de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, préalablement à son ouverture. L’autorité publie sans délai cette déclaration.
« Une autorité organisatrice de transport peut, après avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, dans les conditions définies à l’article L. 3111-18, interdire ou limiter les services mentionnés au premier alinéa du présent article lorsqu’ils sont exécutés entre des arrêts dont la liaison est assurée sans correspondance par un service régulier de transport qu’elle organise et qu’ils portent, seuls ou dans leur ensemble, une atteinte substantielle à l’équilibre économique de la ligne ou des lignes de service public de transport susceptibles d’être concurrencées ou à l’équilibre économique du contrat de service public de transport concerné.
« Art. L. 3111-18. – I (Non modifié). – L’autorité organisatrice de transport saisit l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières de son projet d’interdiction ou de limitation du service dans un délai de deux mois à compter de la publication de la déclaration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 3111-17-1. Sa saisine est motivée et rendue publique.
« L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières émet un avis sur le projet d’interdiction ou de limitation du service de l’autorité organisatrice de transport dans un délai de deux mois à compter de la réception de la saisine. L’autorité de régulation peut décider de prolonger d’un mois ce délai, par décision motivée. À défaut d’avis rendu dans ces délais, l’avis est réputé favorable.
« Lorsqu’elle estime qu’il est nécessaire de limiter un service, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières propose à l’autorité organisatrice de transport la mise en place à cet effet de règles objectives, transparentes et non discriminatoires.
« II (Non modifié). – Le cas échéant, l’autorité organisatrice de transport publie sa décision d’interdiction ou de limitation dans un délai d’une semaine à compter de la publication de l’avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, en se conformant à cet avis.
« Art. L. 3111-18-1. – En l’absence de saisine de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières par une autorité organisatrice de transport, un service mentionné au premier alinéa de l’article L. 3111-17-1 peut être assuré à l’issue du délai de deux mois mentionné au premier alinéa du I de l’article L. 3111-18.
« En cas de saisine de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, le service peut être assuré à l’issue du délai d’une semaine mentionné au II de l’article L. 3111-18, dans le respect de la décision d’interdiction ou de limitation de l’autorité organisatrice de transport.
« Toutefois, si la liaison est déjà assurée par un ou plusieurs services librement organisés, la modification d’un service existant ou la création d’un nouveau service peut intervenir dès publication de la déclaration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 3111-17-1, le cas échéant dans le respect des décisions d’interdiction ou de limitation portant sur cette liaison et sans préjudice de leur modification suivant la procédure prévue aux articles L. 3111-17-1 et L. 3111-18.
« Art. L. 3111-19. – Pour l’application de la présente section, sont considérés comme des services interurbains :
« 1° Les services qui ne sont pas intégralement inclus dans le ressort territorial d’une autorité organisatrice de la mobilité, au sens de l’article L. 1231-1 ;
« 2° Les services exécutés dans la région d’Île-de-France sur une distance supérieure à un seuil fixé par décret.
« Sous-section 2
« Dispositions relatives à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières
« Art. L. 3111-20 (Non modifié). – L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières concourt, dans le secteur des services réguliers interurbains de transport routier de personnes, par l’exercice des compétences qui lui sont confiées en application de la présente sous-section, au bon fonctionnement du marché et, en particulier, du service public, au bénéfice des usagers et des clients des services de transport routier et ferroviaire.
« Art. L. 3111-21 (Non modifié). – L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières établit chaque année un rapport portant sur les services de transport public routier de personnes librement organisés. Ce rapport, détaillé à l’échelle de chaque région française, rend compte des investigations menées par l’autorité, effectue le bilan des interdictions et des limitations décidées en vue d’assurer la complémentarité de ces services avec les services publics et évalue l’offre globale de transports interurbains existante.
« Il comporte toutes recommandations utiles. Il est adressé au Gouvernement et au Parlement.
« Art. L. 3111-21-1. – L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières peut recueillir des données, procéder à des expertises et mener des études et toutes actions d’information nécessaires dans le secteur des services réguliers interurbains de transport routier de personnes. Elle peut notamment, par une décision motivée, imposer la transmission régulière d’informations par les entreprises de transport public routier de personnes et par les entreprises intervenant dans le secteur des services réguliers interurbains de transport routier de personnes.
« À cette fin, les entreprises de transport public routier de personnes et les autres entreprises intervenant dans le secteur des services réguliers interurbains de transport routier de personnes sont tenues de lui fournir les informations statistiques concernant l’utilisation, la fréquentation, les zones desservies, les services délivrés et les modalités d’accès aux services proposés.
« Art. L. 3111-22 à L. 3111-24. – (Supprimés)
« Sous-section 3
« Modalités d’application
« Art. L. 3111-25(Non modifié). – Les modalités d’application de la présente section sont précisées par décret en Conseil d’État. »
II. – (Non modifié)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Monsieur le ministre, après de nombreux échanges sur cette question du seuil glissant à 100 kilomètres ou 200 kilomètres, je voudrais vous faire part de mon incompréhension face à la volonté que vous avez exprimée de rétablir coûte que coûte un seuil glissant à 100 kilomètres, alors que le Sénat l’avait fixé à 200 kilomètres, tout en précisant bien qu’il s’agissait aussi d’un seuil glissant, et non d’un seuil fixe.
Je rappelle que c’est l’Autorité de la concurrence qui a préconisé la fixation d’un tel seuil glissant, après avoir mesuré jusqu’à quelle distance la concurrence entre les modes ferroviaire et routier est la plus forte.
Il s’agit donc d’une mesure importante pour protéger les services ferroviaires, largement subventionnés par l’État et par les régions. L’enjeu, vous le voyez, monsieur le ministre, est autant écologique qu’économique : en choisissant de rétablir de nouveau un seuil de 100 kilomètres, comme l’a fait l’Assemblée nationale, vous ferez d’office diminuer d’au moins 50 millions d’euros par an les recettes commerciales des trains d’équilibre du territoire, ce qui reviendra à accélérer leur chute, alors que le rapport Duron vient d’en souligner les difficultés. Et je ne parle pas des trains express régionaux...
Il s’agit donc d’une mesure importante, qui, en même temps, j’y insiste, a un effet très limité sur la portée de la réforme : d’après l’étude d’impact, seuls 7 % des trajets réalisés par autocar seront inférieurs à 200 kilomètres ! Autant dire que la fixation du seuil à 100 kilomètres serait une mesure purement symbolique.
D’ailleurs, notre collègue Gilles Savary, rapporteur du volet « mobilité » à l’Assemblée nationale, avait lui-même indiqué en première lecture que ce seuil pouvait être discuté. Je tiens à rappeler que, de notre côté, nous nous sommes efforcés de nous rapprocher de la position de l’Assemblée nationale en acceptant l’ensemble de ses modifications sur cet article à l’exception du seuil glissant de 100 kilomètres, y compris le rétablissement de l’avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER.
J’espère donc que ces éléments vous feront mieux comprendre la position du Sénat sur ce point. Peut-être même la prendrez-vous en considération, l’un des atouts du bicamérisme étant de pouvoir faire évoluer la position des uns et des autres.
Mme la présidente. L'amendement n° 79, présenté par Mmes Assassi, Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Nous estimons que la libéralisation totale du transport par autocar permettra aux grands groupes de transport, dont la SNCF, avec sa filiale iDBUS, d’ouvrir librement des lignes de transport collectif régulier non urbain par autocar, en concurrence avec les services existants, qu’il s’agisse des TER, des TET ou des TGV.
Ce phénomène risque d’affecter le service public de transport ferroviaire de voyageurs en supprimant des lignes et des dessertes, au mépris de l’aménagement du territoire. Les petites villes, les villes moyennes et certains départements déjà fortement pénalisés par la fuite en avant dans la mise en concurrence des territoires risquent dès lors de voir leur situation s’aggraver.
Monsieur le ministre, vous nous répétez que cette libéralisation va créer des dizaines de milliers d’emplois, mais on ne sait toujours pas combien, ni combien d’emplois seront supprimés dans le monde ferroviaire à la suite de ces créations de lignes d’autocar.
Nous ne pensons pas, pour notre part, qu’il soit pertinent de faire entièrement confiance au secteur privé, qui est animé par la seule recherche du profit, pour répondre aux exigences d’un aménagement équilibré du territoire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. L’avis est défavorable. Nous avons déjà eu ce débat en première lecture.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 63 est présenté par Mme Lienemann.
L'amendement n° 82 est présenté par Mmes Assassi, Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 3111-17. – Les entreprises de transport public routier de personnes établies sur le territoire national qui ont passé avec l'État une convention à durée déterminée dans les conditions prévues aux articles L. 1221-3 à L. 1221-6 peuvent assurer des services réguliers inter-régionaux. Ces conventions sont soumises à l'avis préalable des régions et départements concernés.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 63.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Personnellement, je suis défavorable à la libéralisation, mais, à partir du moment où elle a lieu, il me paraît tout à fait essentiel que les transports par autocar soient organisés dans le cadre d’un service public, au moyen de conventions passées avec les régions et départements concernés, afin de s’assurer que l’ouverture de ces lignes ne constitue pas une concurrence déloyale pour le transport ferroviaire.
Nous avions déjà eu ce débat en première lecture, et j’en rappelle les termes : M. le ministre souhaite favoriser le transport par autocar, car il y aurait de moins en moins de passagers dans les trains. Or, selon l’analyse du président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, les lignes de train sont de moins en moins utilisées, car les trains ne sont pas modernisés, les haltes sont mal organisées et le confort et la sécurité sont insuffisants. Par ailleurs, toujours selon le président de cette autorité, si l’État ne modernise pas les TET en même temps qu’il libéralise le transport par autocar, cela risque d’être assez mortifère pour le train.
Entre-temps, le rapport Duron n’a fait que confirmer ce diagnostic. Il est manifeste que l’investissement vers les TET n’est pas la priorité, car cela coûterait trop cher. Aussi, tout le monde se réjouit de voir se développer la concurrence des lignes d’autocar. Je n’ai jamais été hostile à ce mode de transport dans certains cas, même si je privilégie toujours le train, mais son développement doit se faire dans le cadre de schémas et de conventions de service public. Il ne faudrait pas que l’on en vienne à imposer une concurrence sur des lignes rentables, tandis que les lignes non rentables seraient réservées au service public.
Tel est l’objet de ma proposition réformiste pour organiser les lignes d’autocar quand elles sont incontournables.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour présenter l’amendement n° 82.
Mme Christine Prunaud. Cet amendement s’inscrit dans le même esprit que celui qui a inspiré les interventions d’Évelyne Didier et de Marie-Noëlle Lienemann.
Je me suis déjà exprimée en première lecture sur ce point. Monsieur le ministre, votre projet de loi dérégule le transport par autocar pour le développer considérablement au détriment du transport ferroviaire. Or, vous l’avez mentionné en première lecture, la possibilité d’ouvrir une ligne d’autocar subventionnée en recourant à une délégation de service public existe déjà, c’est un fait, principalement dans les zones rurales que nous sommes nombreux à représenter dans cet hémicycle.
Ce système fonctionne de manière satisfaisante, il nous semble conforme aux principes de la décentralisation et à la responsabilité de l’État, garant de l’unité et de l’équilibre de notre territoire. Je ne vois donc pas l’utilité qu’il y aurait à ouvrir ce secteur à la concurrence, à moins qu’il s’agisse de faire plaisir aux acteurs du marché.
Cet après-midi, dans la discussion générale, vous avez avancé l’argument de la création d’emplois. Ce raisonnement est également utilisé pour défendre d’autres business, mais il ne tient plus, car la SNCF peut, elle aussi, créer des emplois. Il suffirait, pour cela, de restaurer notre maillage ferroviaire exceptionnel, mais très souvent dégradé. Nous pouvons le constater en province, où des lignes transversales pourraient être développées : en Bretagne ou dans le Limousin, le trajet d’un point A à un point B s’apparente souvent à un parcours du combattant. Voilà un sujet sur lequel nous devrions travailler !
De plus, la mise en concurrence des lignes publiques avec le secteur privé ne se fera pas dans des conditions équitables. En effet, le principe de péréquation entre les lignes ou, sur une même ligne, entre les trajets ne s’applique qu’au service public.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. La commission spéciale a rendu un avis défavorable sur ces deux amendements qui remettent en cause la libéralisation du transport par autocar prévue à l’article 2.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. L’avis du Gouvernement est défavorable. Je souhaite cependant répondre aux différents arguments invoqués.
Tout d’abord, je maintiens que les créations d’emplois sont un argument fort. Je vous renvoie à l’analyse de France Stratégie qui évalue à 22 000 les créations d’emplois directs. Bien que j’aie toujours été prudent en matière de chiffrage, je vous cite cette référence, puisque vous en demandez une. Il existe un réel potentiel d’activité, je l’ai dit à plusieurs reprises, et la comparaison avec les chiffres de l’Espagne, de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, trois pays voisins, le montre : on passe de 100 000 passagers chez nous à plusieurs millions de passagers chez eux, entre 3 millions et 30 millions selon les pays que je viens de citer.
Cette activité a donc un fort potentiel de développement, non pas en concurrence avec le rail, mais en complément de celui-ci, parce que nous allons organiser la multimodalité et l’intermodalité.
Ensuite, il s’agit d’ouvrir et de simplifier la possibilité de créer des lignes privées de transport. C’est surtout sur ce point que porte mon désaccord avec les auteurs de ces deux amendements. Pour reprendre une métaphore déjà utilisée en première lecture, nous cherchons à favoriser la création de restaurants et vous me répondez qu’il faut pouvoir ouvrir des cantines scolaires.
M. Jean-Pierre Bosino. Les cantines scolaires n’existent plus ! Il faut dire « restaurants scolaires » ! (Sourires.)
M. Emmanuel Macron, ministre. Il est d’ores et déjà possible de créer des transports conventionnés, ce n’est pas interdit, de nombreux départements le font. En revanche, il ne faut pas que cette seule possibilité existe. L’ouverture de lignes privées en parallèle doit être plus simple, dans la limite des 100 kilomètres « glissants ». Il ne faut donc pas revenir en deçà du droit existant.
Nous cherchons à donner la possibilité à l’initiative privée de se développer, parce que nous pensons qu’un marché existe. Certaines lignes seront rentables, d’autres non. Rien n’empêche une collectivité locale de subventionner une ligne non rentable – elles sont déjà nombreuses à le faire. Certains départements ont généralisé ce principe et y consacrent des moyens importants : il ne s’agit pas de remettre en cause leur action, sur des lignes qui ne seront pas concurrencées par le secteur privé puisqu’elles ne sont pas rentables.
Par ailleurs, vous voulez interdire l’émergence d’autres formes de mobilité qui peuvent être rentables pour un acteur privé. Sur ce point, je ne partage pas votre philosophie et je dois même avouer que je ne la comprends pas ! En effet, ces nouvelles liaisons ne remettront absolument pas en cause ce qui existe aujourd’hui, sauf à considérer que l’on subventionnerait des lignes qui pourraient exister sans subvention ! Si le service rendu par les lignes privées est aussi bon que celui offert par les lignes actuelles, ce sera un gain pour l’ensemble de nos concitoyens.
Enfin, pour ce qui est du seuil « glissant » de 100 kilomètres que la commission spéciale veut relever à 200 kilomètres, nous ne règlerons pas ce soir notre désaccord, madame la rapporteur. Je veux que cette réforme marche : le Gouvernement défend un seuil glissant à 100 kilomètres, qui permet de couvrir des distances supérieures à 100 kilomètres ; si vous passez à 200 kilomètres glissants, vous fixez une condition encore plus contraignante, qui permettra d’ouvrir librement des lignes entre les capitales régionales, mais pas entre villes moyennes, ce qui me paraît regrettable. Vous limitez ainsi l’efficacité de la réforme.
Si j’établis une comparaison avec ce qui existe dans les autres pays européens, je constate que l’Allemagne a fixé un critère d’une heure de trajet, ce qui correspond à peu près aux 100 kilomètres glissants que nous avons retenus. Cet élément de comparaison devrait être de nature à vous rassurer. Je tiendrai bon sur ces 100 kilomètres glissants, qui correspondent à une position plus ouverte que celle des 100 kilomètres fixes initialement retenus.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 63 et 82.
Mme Laurence Cohen. Quand on échange des arguments, il faut être précis. Les chiffres que vous avancez, monsieur le ministre, me laissent dubitative. Selon vous, les créations de lignes d’autocar permettraient de créer 22 000 emplois, ce qui me paraît curieux. Combien de lignes d’autocar seront ainsi ouvertes, avec combien de chauffeurs ?
Les chiffres annoncés me semblent légèrement fantaisistes, d’autant plus que la création de lignes d’autocars – qui vont prendre la place des trains, même si on ne le dit pas ! – entraînera la fermeture de lignes de chemin de fer, et donc des suppressions d’emplois.
En outre, je suis en total désaccord avec la comparaison que M. le ministre a de nouveau utilisée. Il nous dit – j’espère que je ne caricature pas ses propos – qu’il veut construire des restaurants et que nous réclamons des cantines scolaires. J’ai besoin d’explications : le service public est-il assimilé aux cantines scolaires, expression péjorative dans la bouche de M. le ministre, quand les restaurants, c’est-à-dire le nec plus ultra, correspondraient aux lignes d’autocar ?
Je suis d’autant plus en désaccord avec cette comparaison qu’il me semble que nous sommes en train de préparer la COP21, c’est-à-dire de nous battre pour un environnement beaucoup plus sain. J’aimerais que l’on me démontre que les autocars sont moins polluants que les trains. Pour remplacer un train qui peut transporter 300 personnes, combien d’autocars faut-il mettre en place ?
M. Didier Guillaume. Il n’y a pas de trains grandes lignes en Ardèche !
Mme Laurence Cohen. Enfin, il ne faut pas caricaturer nos propos : nous ne demandons pas l’interdiction des autocars, puisque certaines régions ne sont accessibles qu’aux autocars, mais ce n’est pas le sujet de ce débat.
Nous sommes donc en total désaccord avec les propos tenus par M. le ministre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le ministre, vous dites que vous ne comprenez pas notre raisonnement, mais je comprends trop bien le vôtre !
Il s’agit du vieux débat sur la place des services publics dans notre pays. En 1936, déjà, Léon Blum devait défendre les nouveaux services publics contre ceux qui voulaient tout déréguler. Depuis cette époque, on nous explique qu’il faut laisser toute liberté à l’initiative privée et que le secteur public n’a qu’à s’occuper de ce qui n’est pas rentable. Vous le dites vous-même, monsieur le ministre, les départements n’ont qu’à subventionner les lignes qui ne sont pas rentables !
Je rappelle d’abord que les lignes que vous ouvrez à la concurrence ne sont pas toujours départementales ni régionales et qu’elles peuvent être nationales.
Ensuite, le principe du service public, c’est l’intégration dans une même structure de ce qui est rentable et de ce qui ne l’est pas. Si l’on passe une convention de service public, les lignes rentables contribuent au financement des lignes non rentables, que l’on choisisse le train ou l’autocar – pour ma part, je privilégie toujours le train…