M. Yvon Collin. C’est sûr !
M. Jean-Claude Requier. Voilà pourquoi il est essentiel de poursuivre le dialogue avec la Russie, comme l’a toujours préconisé le groupe du RDSE.
M. Yves Pozzo di Borgo. Bravo !
M. Jean-Claude Requier. En effet, nous souhaitons que l’Union européenne définisse collectivement une stratégie diplomatique efficace, durable et sûre avec la Russie, loin des postures de la guerre froide.
Cette vision suppose une certaine souplesse, dont le Conseil européen devrait, à mon sens, faire preuve pour aborder les sanctions.
Certes, on peut comprendre qu’une certaine fermeté soit affichée par les grands dirigeants à l’issue du G7. Mais l’Union européenne doit également garder une attitude ouverte et indépendante. Elle doit rassembler son camp sur une ligne compatible avec ses intérêts, et non sous la pression des États-Unis. Ces derniers, nous le savons, sont favorables à un durcissement des sanctions plutôt qu’à un statu quo. Mais les intérêts des États-Unis sont-ils systématiquement les nôtres ? Cela demanderait vérification. (M. Yvon Collin acquiesce.)
Aussi, avant d’aller au-delà, il faut tenir compte du délai fixé à la fin de l’année pour tirer le bilan de la bonne application des accords de Minsk II.
Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que la France défendra cette position mesurée. Comme l’ont rappelé nos collègues de la commission des affaires européennes dans leur rapport d’étape consacré aux relations entre l’Union européenne et la Russie sous le régime des sanctions, il faut « sortir de la méfiance réciproque » et « renouer avec une approche coopérative ».
Il ne s’agit pas de faire plaisir à la Russie. Mais, qu’on le veuille ou non, c’est un pays qui compte et c’est notre allié dans d’autres combats difficiles que nous avons à mener. Je pense en particulier à la lutte contre le terrorisme international, qui sera également à l’ordre du jour du Conseil européen.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Les attaques qui ont eu lieu à Bruxelles, Paris et Copenhague ont accéléré la politique européenne en matière de lutte contre le terrorisme depuis le début de l’année.
Une récente enquête menée au sein de l’Union européenne a démontré que les Européens considéraient de plus en plus le terrorisme et l’extrémisme religieux comme les principaux défis pour la sécurité de l’Union. Afin de répondre à leurs attentes, l’Union européenne a présenté au mois d’avril dernier son programme en matière de sécurité pour les années 2015 à 2020. Ce programme vise le terrorisme, la criminalité organisée et la cybercriminalité.
Quelques-uns de nos collègues du Parlement européen ont jugé la stratégie européenne plutôt sécuritaire. Toutefois, le programme a été, dans l'ensemble, bien accueilli : il présente des avancées intéressantes. Je pense à la création, au sein d’Europol, d’un centre de lutte contre le terrorisme mettant en commun les ressources et l’expertise disponibles des pays membres de l’Union.
On peut également noter la création du pôle européen de connaissances, destiné à traiter la question de la radicalisation et des filières djihadistes qui affectent particulièrement la France.
Ces mesures, et bien d’autres vont dans le sens du décloisonnement des polices et des systèmes judiciaires. Elles sont dans l’esprit de la proposition de résolution européenne adoptée par le Sénat le 1er avril dernier, un texte que le RDSE a approuvé. Nous sommes pour une approche très coopérative tant que les droits fondamentaux sont respectés et que les libertés publiques sont assurées.
Toutefois, comme je l’avais déjà fait lors du débat préalable au Conseil européen des 12 et 13 février, je rappelle que la politique de lutte contre le terrorisme passe aussi par une approche commune des risques extérieurs. Or la France se trouve souvent esseulée parmi les membres de l’Union européenne quand il s’agit de s’engager fortement sur les théâtres régionaux alors que l’addition des vingt-huit armées de l’Union en ferait la deuxième plus grande armée au monde après la Chine !
L’Europe de la défense est trop incantatoire, alors que les enjeux de sécurité se multiplient sur notre territoire, mais aussi à nos frontières. On ne peut pas à la fois rester inactifs dans les conflits qui se déroulent au Proche-Orient et déplorer la pression migratoire qui s’accentue aux portes de l’Europe.
J’en viens ainsi à un autre point de l’agenda européen, la question des migrants. Si l’Espagne, l’Italie et la Grèce sont les trois pays qui vivent plus particulièrement au quotidien le drame des migrants traversant la Méditerranée, nous sommes tous émus par cette tragédie sans fin, qui a déjà coûté la vie à des milliers de personnes.
Nous sommes surtout tous conscients que la réponse doit venir de l’Europe entière. Pour autant, on ne peut pas faire n’importe quoi, n’importe comment, et instaurer des quotas de migrants ! Sur quels critères ? De deux choses l’une : soit on a droit à l’asile, soit on doit faire l’objet d’une procédure de reconduite à la frontière !
Sans nier la tradition d’accueil et d’humanisme d’une majorité de pays européens, il serait souhaitable que la Commission fasse de meilleures propositions dans son plan d’action pour l’immigration et l’asile ou mette en avant des mesures compatibles avec les principes fondamentaux du droit d’asile.
Ainsi, il me semblerait préférable de renforcer les moyens de FRONTEX, qu’il s’agisse de ses forces navales ou de l’agence en général, afin de lui permettre, par exemple, de recruter des officiers de liaison dans les pays de départ, comme cela vient d’être fait en Turquie.
Mes chers collègues, dans ce dossier, la solidarité doit être pleine et entière. Quelles que soient les difficultés économiques que traversent les pays de l’Union européenne, chacun d’entre eux représente un « eldorado » pour des milliers de gens poussés hors de chez eux par la guerre et la misère.
J’en viens à l’un des autres grands sujets qui seront débattus la semaine prochaine à Bruxelles : les recommandations du Conseil pour aider les pays de l’Union européenne à surmonter les freins à la croissance.
Bien entendu, les marges de manœuvre restent très réduites dans ce contexte de reprise portée par les vents arrière que sont la baisse des prix du pétrole et un taux de change favorable à l’euro.
Il nous faut donc trouver l’équilibre entre la nécessaire consolidation des finances publiques par un programme de stabilité et le souci de ne pas étouffer ce début de croissance par une politique budgétaire trop restrictive.
Plus que la France, c’est la Grèce qui focalise l’attention du Conseil européen. Comme vous le savez, mes chers collègues, les négociations avec son gouvernement butent en partie sur la réforme des retraites et la hausse de la TVA. L’accord sur un excédent budgétaire primaire de 1 % cette année pourrait peut-être débloquer la situation.
En attendant, à l’instar de la plupart des Européens convaincus, le groupe RDSE ne souhaite pas un Grexit, pour reprendre le jargon en vogue.
Mes chers collègues, tels sont les éléments dont nous souhaitions vous faire part dans un débat qui aurait sans doute mérité plus de temps, compte tenu de l’ordre du jour très chargé du prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne traverse une période trouble, entre sortie de crise difficile et montée des tensions internationales à nos frontières.
La volonté de combattre ces troubles domine l’ordre du jour de la réunion des 25 et 26 juin prochains, au détriment, peut-être, d’une réflexion indispensable sur la nécessité d’une stratégie européenne.
Les questions économiques constituant le deuxième point inscrit à l’ordre du jour, je souhaiterais mettre en avant les profondes lignes de faille qui sous-tendent notre économie continentale.
Au-delà même de cette crise, dont notre continent peine encore à sortir, les inégalités se creusent : l’Europe représente 6 % de la population mondiale, dispose de 22 % de la richesse mondiale, et engage 50 % des dépenses sociales du monde.
Le corollaire de ces inégalités est le creusement d’importantes disparités de développement, qui expliquent largement les carences actuelles de l’économie européenne.
Le financement de cet effort est abandonné à la seule charge des États et pèse sur nos entreprises comme sur l’emploi. En France, malgré un taux de chômage élevé, près de 55 % des TPE n’ont pas d’employé. Des réformes de flexibilité, concernant en particulier le SMIC, pourraient peut-être conduire à la création de nombreux emplois.
Nous avons collectivement besoin de réformes sur le continent. Le projet de loi Macron a beau impressionner par le nombre de ses articles, il n’en demeure pas moins un collage de mesures, certes sympathiques à l’occasion, mais dont l’effet d’entraînement économique demeure très faible. La libéralisation des autocars ou la réforme du tarif des notaires ne suffira pas à contrebalancer Apple, Google ou cette « Uberisation » de l’économie en Europe.
Je m’adresse à votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État : afin de mener de nouveau une politique industrielle ambitieuse, la France doit impérativement opérer à court terme trois à quatre grandes réformes structurelles visant à l’adapter à la réalité d’une économie globalisée. Il faut réformer les retraites, l’État, le temps de travail et rendre le code du travail moins obèse !
M. Yves Pozzo di Borgo. Nous devons impérativement nous libérer des marges de manœuvre, opérer une substitution entre dépenses d’investissement et dépenses de redistribution, afin de préparer notre avenir européen. Avec 57 % du PIB consacré à la dépense publique, dont la moitié, soit plus de 1 000 milliards d’euros pour la seule sécurité sociale, il devient évident que nous gérons plus l’urgence du présent que les enjeux de l’avenir.
Une telle évolution est d’autant plus nécessaire que nos besoins en matière de sécurité et de défense vont s’accroître dans les années à venir. Les tensions aux frontières de l’Union se multiplient, en Ukraine, en Syrie, en Irak, en Libye, en Méditerranée, sans parler du terrorisme international ! L’effort de défense sera aussi, et surtout, un effort financier, au moins durant les prochaines années.
Le cadre sécuritaire de l’Europe a profondément changé en douze ans. Aussi, il faut aller plus loin qu’une simple actualisation de la stratégie 2003. Nous avons besoin d’un Livre blanc européen de la sécurité et de la défense. Le document qui vient d’être publié en anglais, aujourd’hui, sur le site de la Commission européenne en tient un peu lieu.
Quand allons-nous construire une défense européenne, si ce n’est aujourd’hui, avec toutes les tensions que traversent le monde et l’Europe ? Pourquoi, alors que la France est la première puissance militaire européenne, ne prenons-nous pas l’initiative d’une coopération structurée permanente avec une dizaine de pays, dont le Royaume-Uni ? Le traité de Lisbonne nous le permet !
Une telle action ne serait pas contradictoire avec l’état d’esprit ayant prévalu lors de l’accord de Saint-Malo entre Jacques Chirac et Tony Blair, qui préconisait une solidarité et une coopération plus étroites entre l’OTAN et l’Union européenne.
Il serait important de bâtir très vite un agenda positif sur la cyberdéfense ou la guerre hybride et de faire reconnaître notre contribution au renforcement de la sécurité des alliés ; je pourrais évoquer la base industrielle et technologique de la défense, la BITDE, et les projets capacitaires européens.
Prenons l’exemple de l’Ukraine, qui constitue un cancer entre l’Europe et la Russie depuis longtemps. Les tensions qui traversent ce pays sont graves, mais les accords de Minsk, et je salue l’action du Président de la République à cet égard, offrent un gage de stabilité en tant qu’ils fixent une ligne rouge à ne pas franchir, du côté tant des rebelles que du gouvernement.
À ce titre, il faut veiller à ce que ces accords soient respectés. Or il est impossible de faire respecter Minsk sans une relation saine et franche avec la Russie. On ne saurait donc faire de la Russie le facteur unique de troubles dans la région sans alimenter à notre tour les tensions à l’Est. Je regrette que le Parlement européen ait voté contre le partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie mercredi dernier.
Au demeurant, la relation avec la Russie est incontournable dans la gestion des crises syro-irakienne et libyenne. Sans l’appui de la Russie, une intervention sous l’égide du chapitre VII de la Charte des Nations unies est impossible. Nous savons pourtant tous qu’aucun État européen ne prendra le risque d’une intervention solitaire, sans l’appui du Conseil de sécurité de l’ONU.
Je souhaite également dire un mot sur la crise migratoire en Méditerranée. Au mois de février dernier, monsieur le secrétaire d’État, je vous avais alerté dans ce même hémicycle contre le danger de voir la Libye se changer en bombe migratoire. Cette situation présente également un risque terroriste pour l’Europe. En effet, comme M. le ministre de la défense l’a rappelé devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 200 kilomètres de côtes libyennes sont contrôlés par Daesh !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Eh oui !
M. Yves Pozzo di Borgo. Nous savons pourtant très bien que l’Italie seule ne pourra pas juguler le flot de l’immigration clandestine et qu’un simple renforcement des patrouilles ou des moyens de FRONTEX sera insuffisant à canaliser ces flux.
Au demeurant, la population africaine pourrait atteindre 2 milliards d’habitants à l’horizon 2050, dont une large majorité de jeunes individus dynamiques et créatifs, qui seront attirés par l’Europe. Nous ne pourrons pas assumer la charge de la maîtrise de tels flux à destination de notre continent sans des solutions innovantes en relation avec les gouvernements africains. Quelles propositions le Président de la République fera-t-il en ce sens au prochain Conseil européen ?
La sortie de la Grèce de la zone euro poserait un véritable problème. Ce Grexit entraînerait l’effondrement de la drachme, une augmentation de la dette, une difficulté d’accès aux marchés extérieurs et une explosion de l’inflation. En plus, ce serait un coup de canif porté à la notion de solidarité, qui est inhérente au projet européen.
Par ailleurs, que font l’Union européenne et la BCE vis-à-vis de Goldman Sachs, qui porte une responsabilité profonde dans la situation ? Cette banque a échangé de la dette grecque à un taux fictif en 2001 et a aidé la Grèce à maquiller ses comptes ! Il s’agit tout de même d’une extraordinaire tricherie ! Les Américains n’ont pas eu les mêmes pudeurs lorsqu’ils ont infligé une amende de plus de 6 milliards d’euros à BNP Paribas, et pour une peccadille par rapport à ce qui s’est passé en Grèce ! Pourquoi l’Europe reste-t-elle inactive ? Est-ce parce que M. Draghi vient de Goldman Sachs ? Lui-même affirme qu’il n’entretient plus de liens avec cette banque ! Les chefs d’États européens devraient prendre une initiative.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. Il n’est pas admissible que Goldman Sachs puisse poursuivre ses activités en portant une telle responsabilité dans la situation grecque !
Enfin, le projet de référendum sur l’appartenance à l’Union européenne du Royaume-Uni laisse entrevoir les prémices d’un grand détricotage européen, que je ne souhaite pas.
La demande britannique et la tentation du Brexit cachent une interrogation latente : quelle Europe voulons-nous ?
Faut-il, comme le propose l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, reconnaître sans ambiguïté l’existence de deux projets en Europe ? Nous aurions ainsi un projet d’intégration monétaire, budgétaire et fiscale intéressant seulement les États membres de la zone euro – le Royaume-Uni n’en fait pas partie, et personne ne songe à l’y convier – et un projet de remise en état de l’Europe à vingt-huit, grand espace de liberté commerciale ayant un impérieux besoin d’être limité et rénové.
C’est ce deuxième projet qui déterminera la réponse au référendum britannique. Or les mesures à prendre avaient déjà été envisagées dans le projet de Constitution pour l’Europe, un texte approuvé par le Royaume-Uni en 2004 et que le Premier ministre de l’époque, Tony Blair, avait annoncé vouloir soumettre à référendum.
Telles sont les principales observations et questions que le groupe UDI-UC entendait formuler en préparation du prochain Conseil européen, dont nous souhaitons que la France soit un acteur important. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
11
Clôture du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
M. le président. Mes chers collègues, il est quinze heures dix ; je déclare clos le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Il va être procédé au dépouillement.
12
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renseignement est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
13
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015 (suite)
M. le président. Nous reprenons le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques mois, l’Europe découvre en Méditerranée une situation humanitaire tragique, qui a déjà causé des centaines de victimes.
Je dis : « découvre », mais je devrais plutôt dire : « feint de découvrir ». Depuis des années, ce sont des flots de migrants poussés par les désordres du monde qui arrivent, dans des conditions déplorables, sur les côtes de l’Union européenne.
Plus de 100 000 migrants et réfugiés seraient arrivés en Europe depuis le début de l’année 2015, via la Méditerranée. Cette situation soulève de nombreuses questions.
Tant que leur course désespérée finissait discrètement sur la petite île de Lampedusa, aujourd’hui à saturation, l’Union européenne se contentait de gérer a minima, laissant à l’Italie la plus grande partie de la charge du sauvetage, à travers l’opération Mare Nostrum.
Semblant prendre conscience des enjeux, et sous la pression de l’Italie, l’Union européenne a lancé l’opération Triton, pilotée par l’agence européenne FRONTEX.
Je relève d’emblée le manque d’ambition et de moyens de cette mission, censée être commune. Nous avons déjà évoqué dans cet hémicycle, lors des débats sur la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme, les difficultés et l’insuffisance des moyens de ladite agence, dont le budget global correspond à celui de Mare Nostrum.
Dans le cadre de Triton, notre marine nationale, qui doit par ailleurs faire face à ses propres contraintes opérationnelles, maintient en permanence un patrouilleur de haute mer chargé du contrôle des frontières et du recueil de migrants, qui sont pour le moment dirigés vers des ports italiens.
Le premier navire français, qui a recueilli plusieurs centaines de naufragés au mois de mai dernier, a été relevé par l’aviso Commandant Ducuing. Preuve de la tension sur les matériels et de la multiplication des missions, ce navire est, dans le même temps, mobilisé par le plan de contrôle européen de la pêche au thon rouge en Méditerranée. Malgré le professionnalisme des personnels engagés, est-ce un gage d’efficacité d’avoir deux missions assurées par un seul navire ?
De plus, la France effectue les patrouilles de haute mer avec des bâtiments anciens, qui datent souvent de plus de trente ans. Par conséquent, la moindre avarie risque d’engendrer des « trous capacitaires », alors que la livraison de patrouilleurs hauturiers de dernière génération du programme de bâtiments de surveillance et d’intervention maritime, dit programme BATSIMAR, n’est pas attendue avant 2024. Je le rappelle, en plus des missions de souveraineté sur notre zone économique exclusive, la France participe avec ce type de navires aux opérations européennes de surveillance de l’immigration illicite et de lutte contre la piraterie, ainsi qu’à la lutte contre le terrorisme dans l’océan Indien.
Monsieur le secrétaire d’État, face à la multiplication des opérations, souvent décidées dans l’urgence même si elles sont justifiées, et au renouvellement lent des matériels, il existe bien un risque de remise en cause de notre capacité de participation à ces missions internationales. Dès lors, le Gouvernement compte-t-il avancer quelques acquisitions de navires ?
Comme pour le terrorisme, les solutions au trafic de migrants résident largement dans la coopération accrue entre les organisations Europol, FRONTEX et Eurojust. Encore faudra-t-il que celles-ci puissent agir. Les annonces récentes vont dans le bon sens, à condition d’être suivies par des actes. La France doit y veiller.
Par ailleurs, les projets de destruction des bases des trafiquants, peut-être par des opérations spéciales, ne seront d’aucun effet durable sur le trafic, qui nécessite seulement au sol des structures légères et quelques bateaux, sauf à maintenir sur les réseaux une pression constante : action en justice ou saisie des avoirs.
Peu de pays européens sont capables, comme la France, de mener la collecte de renseignement et d’engager de telles actions ciblées, dont le coût est élevé. Cela a été souligné par d’autres orateurs, la charge de la sécurité ne repose que sur quelques États.
Par ailleurs, la Méditerranée doit rester une zone d’attention particulière pour la sécurité en Europe. Chaque jour, que ce soit dans des embarcations go fast ou dans des navires de plaisance ou de commerce, d’importantes quantités de stupéfiants remontent par voie maritime d’Afrique du Nord vers nos côtes et inondent le marché européen. Là aussi, quelques États s’endettent pour renforcer leurs dispositifs de lutte, tandis que les narcotrafiquants s’enrichissent et peuvent réinvestir dans l’économie légale. Une grande partie de cette drogue provient du trafic transméditerranéen.
Monsieur le secrétaire d’État, la Méditerranée a plus que jamais besoin d’une politique européenne renforcée contre le narcotrafic international, qui représente une menace pour les États membres de l’Union européenne.
Au-delà, il y a lieu de mener pour l’avenir une réflexion sur les missions de lutte contre l’immigration illégale, le narcotrafic ou la pollution, qui prennent une importance grandissante. Ces missions devraient conduire à une plus large mutualisation et intégration des moyens. Pourquoi ne pas avancer sur la question d’un corps européen de garde-côtes – il pourrait s’agir d’une nouvelle fonction communautaire – face à ces nouveaux enjeux sécuritaires, dans un contexte budgétaire contraint pour les États membres ?
Dans de nombreux domaines, faute de vision stratégique et politique claire, l’Europe traite les problèmes lorsqu’ils se présentent. Le terrorisme ou la crise des migrants en Méditerranée en constituent de tragiques illustrations. La sécurité est longtemps restée une préoccupation secondaire de l’Union européenne, qui est entièrement tournée vers le développement économique et l’extension à l’Est. Mais le monde a changé dans l’environnement immédiat de l’Europe sans que l’Union prenne toute la mesure de ces nouvelles menaces.
Ce modus operandi reporte de fait l’essentiel de la charge vers ceux des États, dont le nôtre, qui ont fait le choix de maintenir un outil de sécurité à la hauteur des enjeux du XXIe siècle. Que représente alors la contribution financière d’un État dans une opération ponctuelle, rapportée au coût d’acquisition et d’entretien permanent de navires, de satellites, de radars ou de drones, que supportent d’autres États ?
L’exemple français montre combien il demeure important de pouvoir disposer, au profit de tous, d’une armée mobilisable tantôt sur terre et dans les airs pour combattre le terrorisme, tantôt sur mer pour lutter contre la piraterie ou le trafic d’êtres humains.
Il me semble dès lors plus que temps de songer à une autre répartition des rôles et des charges pour protéger l’Europe.
En Méditerranée comme ailleurs, les efforts sécuritaires ne représentent qu’un volet des mesures à envisager. La coopération économique et politique et le dialogue sont autant d’instruments à promouvoir avec les pays du voisinage, bien qu’il s’agisse de dispositifs difficiles à mettre en œuvre, et dont les effets se mesureront sur le long terme.
À mon sens, nous ne pourrons pas non plus faire l’économie d’une réflexion approfondie sur la politique migratoire de l’Union européenne ; nous voyons bien les interrogations qu’elle suscite dans les opinions publiques des États membres.
Monsieur le secrétaire d’État, au regard de son expérience et de ses capacités, la France doit être en pointe sur ces sujets et de peser de tout son poids, notamment lors du prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour le groupe socialiste et républicain.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen des 25 et 26 juin prochains sera l’occasion d’établir un premier bilan de l’action de la nouvelle Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker.
L’actualité qu’elle a dû gérer a été particulièrement lourde, et elle l’est encore ces jours-ci. Quels enseignements majeurs doit-on tirer de ce premier semestre de gouvernance en matière économique et institutionnelle ? Quelles options prioritaires doit-on consolider pour l’avenir ? Ce sera le thème dominant de mon intervention.
J’aborderai d’abord le plan Juncker, qui s’attache, nous le savons, à créer de la relance en Europe.
Cela a été maintes fois rappelé, c’est le manque de compréhension des mécanismes à l’œuvre dans l’apparition de la crise qui a conduit en 2010 les États membres de la zone euro à décider de se concentrer exclusivement sur la baisse des déficits et des dettes publiques. Le plan Juncker se démarque de cette posture et marque la prévalence de la vision française de la relance européenne, portée par le Président de la République, François Hollande.
Le plan d’investissement est l’un des premiers projets majeurs sur lequel un accord vient d’être conclu, pour la création du Fonds européen d’investissement stratégique, le FEIS.
Assis sur un système de garanties, ce fonds est appelé à monter en puissance sur deux ans. D’ailleurs, ce matin, je lisais dans le Quotidien du Peuple…
M. Simon Sutour. Bonne lecture ! (Sourires.)
M. François Marc. … que la Chine envisageait d’investir des sommes importantes dans ce plan européen.
Nous le savons, il ne sera pas simple d’évaluer l’efficacité du FEIS. Il y aura lieu d’identifier ses effets multiplicateurs réels. Je suis en tout cas de ceux qui souhaitent que cette première étape se poursuive au travers d’un projet d’investissement « 2.0 » – vous y avez fait référence, monsieur le secrétaire d’État –, avec la mise en place d’une capacité budgétaire propre à la zone euro.
La politique européenne doit par ailleurs être à même de répondre à un besoin de renouveau. Je pense en particulier au « triple A social ».
Faut-il le rappeler, 23,5 millions d’Européens, dont 5 millions de jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans, sont actuellement sans emploi ? De ce point de vue, le FEIS doit permettre à l’Union européenne d’atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé en 2012 dans sa stratégie UE 2020, à savoir un taux d’emploi de 75 % au moins.
Il est regrettable que la mise en œuvre du « triple A social » se révèle si laborieuse. Quand on sait que le projet européen est en demande de renouveau, des avancées sociales concrètes seraient pourtant un outil puissant de cohésion sociale, porteur de sens pour les populations.
Nous devons avancer sur la base d’une approche intégrée s’agissant de l’Union économique et monétaire. Pour être forte, l’Europe doit être capable de pouvoir indiquer le cap. Il y a un réel besoin de stratégie européenne. Dans cette perspective, comment rendre optimale la gouvernance économique ?
La question est déterminante. La manière dont sera opéré ce renforcement de l’Union économique et monétaire sera révélatrice de la capacité des États membres à aller vers plus d’intégration en matière institutionnelle, sociale, budgétaire et financière.
Pour une relance de l’Europe, le système a besoin de solidarité. Je suis de ceux qui pensent qu’il existe une corrélation entre l’importance des inégalités et la faiblesse du taux de croissance. La solidarité sera un levier puissant de relance européenne. Pour cela, l’Europe doit désormais faire montre de confiance mutuelle.
Cela doit conduire à une authentique coordination des politiques économiques des États membres. On devrait pouvoir élaborer la politique budgétaire et économique de chaque pays à partir d’une analyse globale européenne, et non l’inverse. Une telle option a été mise en avant depuis l’automne 2014, notamment par la Commission européenne, dans le cadre d’un processus de semestre européen, partiellement rénové par la production d’indicateurs économiques et, surtout, sociaux. Que l’Europe passe d’une logique de bâton à une logique de dialogue peut à tous égards susciter un regain d’optimisme.
À mon sens, cette réorientation du modèle de développement européen doit d’abord se faire à traités constants. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, et nous vous soutenons sur ce point.
Les élans extrémistes sont tels que l’Europe prendrait un risque immense à vouloir remettre à plat son fonctionnement dans ce contexte troublé. Il nous semble que les traités existants renferment de nombreux leviers d’action encore inexploités, comme la possibilité des coopérations renforcées.
Face au risque d’implosion dû à ce que les économistes qualifient de « stagnation séculaire », l’Europe et la zone euro ne disposent que de peu de temps pour agir. Alors, comment améliorer la qualité de la décision économique coordonnée au plan européen ?
Premièrement, à mes yeux, un véritable budget de la zone euro s’impose. La question, aujourd’hui bien connue, des ressources propres devra être arbitrée. Il y va de la force de frappe contracyclique de l’Europe.
Deuxièmement, l’Union bancaire doit être parachevée. Il reste beaucoup à faire sur ce point.
Troisièmement, nos bases d’imposition des sociétés doivent être harmonisées. À cet égard, j’attends beaucoup de la rencontre qui se tient demain. Un signal fort doit être adressé sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés dans l’Union européenne, l’ACCIS. D’ailleurs, cet exemple démontre qu’il est tout à fait possible d’activer le pilier fiscal à traités constants. Dans le même esprit, je souhaite qu’une coopération renforcée opportune permette de faire avancer le dossier de la taxe sur les transactions financières.
Quatrièmement, il faut définir un socle social et une protection de base des travailleurs. Je viens d’évoquer le « triple A social ».
Cinquièmement, le contrôle démocratique de la gouvernance doit être renforcé, en particulier avec une meilleure place aux parlements nationaux.
Sixièmement, nous devons recréer de la simplicité et de la cohérence. Comment la décision économique peut-elle être porteuse de sens et mobilisatrice quand on sait que, parfois, seuls quelques experts maîtrisent l’intégralité des règles ?
Septièmement, il est nécessaire d’intégrer une part de souplesse pour prendre en ligne de compte les aléas du réel.
La zone euro a l’avantage d’être un espace économique relativement stable. Il est maintenant indispensable de doter l’Union économique et monétaire d’un pilier politique. Le temps des solutions bricolées à la dernière minute doit laisser la place à un projet ambitieux et courageux.
Les dossiers « chauds » du moment ne peuvent pas nous laisser indifférents. Sur fond d’un dialogue difficile avec le Royaume-Uni, les avis divergent quant à la capacité de l’Europe à s’engager aujourd’hui dans un renforcement de la zone euro. Les uns souhaitent geler tout projet d’intégration plus poussée de cette zone ; les autres soutiennent au contraire son intégration accrue, selon le principe de l’Europe différenciée.
Quoi qu’il en soit, il me paraît souhaitable d’en finir avec les « sommets de la dernière chance ». Pour cette raison, notre groupe réfute toute idée d’abandon politique. Nous soutenons le message d’un intérêt général européen supérieur qui serait envoyé aux marchés.
Dans le cadre des négociations actuelles, notre gouvernement, fidèle à ses positions, doit défendre la solidarité européenne et promouvoir pour la Grèce une option politique de sortie de crise qui soit à la fois équilibrée dans les exigences manifestées à l’égard du peuple grec et porteuse d’espoir pour le renouveau économique du pays. La Commission européenne estimait ce lundi qu’il y a « de la marge pour discuter d’un package juste et progressif ». C’est le souhait que nous pouvons ici formuler.
En tout état de cause, monsieur le secrétaire d’État, le groupe socialiste et républicain vous suivra dans l’ensemble des actions que vous souhaitez entreprendre et dans la détermination que vous avez manifestée en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)