M. le président. C’est une excellente suggestion, mon cher collègue ! L’année prochaine, nous essaierons de rendre compte de ce sujet par un schéma ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. Certains schémas sont compliqués !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous prie d’excuser l’absence de Corinne Bouchoux, retenue par un problème familial, qui aurait dû intervenir ce matin au nom du groupe écologiste.
« L’exemplarité, c’est [...] des lois bien écrites et rapidement mises en œuvre. » Le groupe écologiste partage ces propos tenus par le Président de la République le 20 janvier dernier. Force est de constater un décalage entre les paroles et les actes. C'est la raison pour laquelle je me réjouis de la tenue de ce débat, qui permet de faire un point sur nos travaux.
Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi de profiter de cette intervention pour faire un bilan d’étape sur les quatre lois écologistes définitivement adoptées, dont l’application n’est malheureusement pas satisfaisante.
Premièrement, les membres du groupe écologiste, en particulier Marie-Christine Blandin, souhaitent savoir quand la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte sera réellement mise en œuvre. Certes, les décrets ont été pris, mais personne ne s’y conforme, contrairement à ce qu’a affirmé Jean-Jacques Filleul il y a quelques instants.
Cette loi prévoit deux avancées majeures.
D’une part, elle crée une Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement chargée de veiller aux règles déontologiques s’appliquant à l’expertise scientifique et technique et aux procédures d’enregistrement des alertes en matière de santé publique et d’environnement. Monsieur le secrétaire d'État, quand cette commission verra-t-elle le jour ? Une mission de préfiguration devait être mise en place en amont : nous l’attendons toujours.
D’autre part, les travailleurs ont désormais la possibilité de lancer des alertes en matière de santé et d’environnement. À l’heure actuelle, tout salarié qui constate dans l’entreprise un risque grave pour la santé publique ou l’environnement doit en avertir sans délai son employeur et cette alerte doit être consignée sur un registre spécial. Or de nombreuses entreprises ne disposent pas d’un tel registre. Un réel travail d’information devrait être effectué par les services de l’État pour résoudre ce problème. Monsieur le secrétaire d'État, j’attire votre attention sur cette question.
Deuxièmement, s’agissant de la loi du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques, aucune des mesures réglementaires prévues n’a été prise par le Gouvernement. Certes, me rétorquerez-vous, pour les délais d’application, nous sommes sous la barre des six mois et il n’y a pas de quoi s’inquiéter, puisque les décrets sont en cours de rédaction. Je veux bien le croire. Pourtant, nous sommes préoccupés. En effet, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques prévoit des « ajustements » de la définition des points atypiques – par exemple, les zones du territoire où l’exposition aux ondes est la plus forte – et sur la régulation de la publicité sur les téléphones portables... Nous veillerons à ce que le Gouvernement ne revienne pas sur des sujets qui ont fait consensus lors de l’examen de cette loi dont, je le rappelle, nous sommes à l’origine.
Troisièmement, la loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le développement de l’utilisation des produits de bio-contrôle et à faible risque avant le 31 décembre 2014. Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous indiquer à M. Labbé et à l’ensemble du groupe écologiste l’état d’avancée de ce rapport ?
Quatrièmement enfin, je finirai sur une note optimiste (Marques de satisfaction.) en évoquant la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, qui prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse – indicateurs d’inégalités, de qualité de vie, etc. Nous ne manquerons pas de demander un débat parlementaire sur ce rapport et sommes tout à fait confiants sur le fait que ce document sera bien remis au Parlement le mardi 6 octobre prochain.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie par avance des réponses que vous pourrez apporter à nos interrogations. Je conclurai par cette remarque de notre collègue Claude Bérit-Débat : « À quoi bon faire des lois, si elles doivent rester lettre morte en tout ou partie ? » (M. Joël Labbé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le philosophe anglais John Locke le considérait déjà : « Il n’est pas toujours nécessaire de faire des lois, mais il est toujours nécessaire de faire exécuter celles qui ont été faites. » L’autorité, la légitimité et, dès lors, l’efficacité de l’action de la loi – donc de l’État – en dépendent !
À l’heure où tant de nos concitoyens rejettent la politique et ceux qui la font, nous ne pouvons plus nous permettre d’écart. Les élus de tous bords politiques, qui sont nos relais dans les régions, les départements et les communes, sont désespérés de devoir justifier aux Français qu’ils représentent à quel point le système actuel ne permet pas, dans les faits, de poursuivre l’intérêt général. Ne pas appliquer la loi, faute de directives réglementaires et de moyens humains, institutionnels ou matériels, c’est rompre le lien qui nous unit au peuple que nous représentons et risquer de connaître un rejet du système démocratique en lui-même.
Certes, l’effectivité des lois est la seule garantie de la stabilité et de la sécurité juridiques, voire de l’équilibre entre le législatif et l’exécutif, mais c’est bien plus le préalable nécessaire à la restauration de la confiance des citoyens dans la loi et dans la politique en général.
Au-delà de notre crédibilité, c’est bien du respect des principes républicains qu’il est question. La première condition de l’égalité républicaine est l’effectivité de la loi. Elle doit être une priorité et constituer la base de toute notre action législative.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous invite à toujours vous poser les questions suivantes, lorsque vous pensez la loi et que vous la faites naître. La loi est-elle applicable ? Si tel n’est pas le cas, pourquoi ? Où sont les blocages ? Comment les résoudre ? Une fois la loi promulguée, il faut également vous demander si elle est bien appliquée, si les effets attendus sont vérifiés dans les faits, sur le terrain, pourquoi elle ne l’est éventuellement pas et quelles sont les mesures à prendre pour qu’elle le soit.
Force est de constater une fois encore que nous ne nous sommes pas suffisamment posé ces questions. Entre le 1er juillet 2012 et le 30 décembre 2014 en effet, seules 59 % des dispositions nécessitant décret d’application ont été exécutées. Si nous avons réalisé de grands progrès ces dernières années, le taux d’exécution des dispositions appelant décret d’application est en chute libre depuis 2012.
En 2011, 80 % des textes promulgués ont reçu application. C’était déjà insuffisant, mais, depuis, plus d’un tiers des textes ne trouvent pas application. Ainsi, à ce jour, la loi du 24 décembre 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A dont nous avons tant parlé n’est toujours pas applicable. Il nous faut nous ressaisir. À l’aune d’un objectif de 100 % des lois appliquées pour une confiance renouvelée, nous avons encore du travail !
Au-delà de l’effectivité de l’application des lois, le débat porte également sur le délai de cette exécution. Si le Gouvernement affiche l’ambition de publier tous les décrets d’application six mois maximum après la promulgation de la loi, il faut constater, là encore, que l’objectif n’est toujours pas atteint. Le schéma législatif, déjà illisible, devient insupportable et injuste pour nos concitoyens, qui ont parfois nourri des espérances légitimes. Or celles-ci n’ont que peu de chances de devenir réalité tant le retard dans l’application des lois est important et le rattrapage lent et difficile.
L’inflation législative est une réalité. Elle devient même un fléau. Ne nous trompons pas de combat toutefois : ce n’est pas la production de normes qu’il faut accuser, car elle n’est que la traduction de la complexification de notre société.
Le fléau, c’est la piètre qualité et l’utilité contestable de certaines lois et de certains décrets d’application. Des élus de tous bords politiques nous interpellent fréquemment sur la complexité de certains décrets d’application, qui sont même parfois contraires à l’objet de la loi. Où est la cohérence lorsque le législateur est obligé de modifier une loi pour la mettre en conformité avec les circulaires préfectorales d’application, alors qu’avaient été prises, sur la base de ces circulaires, des mesures sur lesquelles il n’était pas possible de revenir ?
Le problème n’est pas que nos lois sont lourdes ; c’est qu’elles sont aujourd’hui à la fois lourdes et imprécises. Voilà le véritable fléau !
Ces constats que nous dressons depuis plusieurs années doivent trouver une réponse. Les études d’impact devaient garantir une certaine qualité aux nombreuses lois que nous votons. Tel n’est pas le cas. Ces études, rédigées par les services gouvernementaux, ne sont ni suffisamment larges dans leur champ d’analyse ni suffisamment approfondies. Le 1er juillet 2014, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs réduit les études d’impact à un rôle strictement formel. Dès lors, peu importe qu’elles soient imprécises et n’apportent aucune information supplémentaire aux parlementaires chargés de voter la loi.
Quant aux nombreux rapports exigés du Gouvernement, ils sont autant de temps perdu, alors que ce temps pourrait être consacré à la rédaction des décrets d’application, donc à l’application réelle de la loi.
Dans ces conditions, que faut-il faire sinon, évidemment, mieux préparer les lois, effectuer des études d’impact indépendantes et approfondies, renoncer à donner priorité au contrôle de l’exécution au détriment de l’exécution elle-même ?
L’application des lois est un enjeu trop important pour ne donner lieu qu’à un débat annuel. Elle doit devenir une priorité de notre action au quotidien.
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail effectué par Claude Bérit-Débat avant de me livrer à une réflexion générale sur le sens de ce travail.
Nous avons toujours considéré que le contrôle de l’application par l’exécutif des lois que nous élaborons était un combat tout à fait crucial. Il est crucial par nature, mais il l’est également compte tenu de la situation particulière dans laquelle se trouve notre pays.
Nous savons, en effet, par les contacts que nous avons avec nos concitoyens, mais également grâce aux études d’opinion de toutes sortes, que les élites sont aujourd'hui regardées avec une grande défiance par les Français. C’est vrai des élites politiques, mais également de toutes les autres, qu’elles soient médiatiques, économiques ou syndicales, ces dernières étant pourtant censées être plus proches des citoyens. Les parlementaires, qui ont la charge de représenter le peuple, subissent cette défiance.
Certes, il est très noble de faire la loi. Mais si nos concitoyens ont un doute sur l’utilité concrète de ce travail, s’ils ne voient pas qu’il a des effets immédiats sur leur vie quotidienne, leur défiance en est accrue et peut se transformer en rejet. Il est fondamental que nous soyons vigilants sur l’application des lois, ce sujet n’étant pas une simple question technique ou pratique.
Le Sénat a été précurseur dans ce domaine, bien avant même la réforme constitutionnelle qui a renforcé le rôle de contrôle des parlementaires. Le contrôle de l’application des lois a été la marque de fabrique de notre assemblée dès 1970.
Jean-Pierre Bel a eu raison, lorsqu’il est devenu président du Sénat, de proposer la création d’une commission dédiée au contrôle de l’application des lois. Le but était non pas de déposséder les commissions – elles ont la prérogative d’effectuer ce travail au quotidien et elles disposent des moyens correspondants –, mais de créer un centre de ressources, d’impulsion et de synergie. Il s’agissait de mettre en commun les actions des commissions, de leur servir d’appui et de faire « rayonner » le travail trop souvent méconnu qu’elles réalisaient en matière de contrôle de l’application des lois, le Sénat étant par nature, du fait de sa place au sein de nos institutions, plus discret dans l’arène parlementaire.
La commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a marqué des points – et cela va bien évidemment au-delà de ma personne –, car elle a placé cette question au cœur du débat, y compris institutionnel. Tous ceux qui s’intéressent à cette question, qu’il s’agisse des juristes, notamment les constitutionnalistes, ou des milieux universitaires, ont été très attentifs au travail que nous avons effectué et nous ont rendu grâce de cette attention particulière.
La décision a été prise de restituer entièrement le contrôle de l’application des lois aux commissions. Or, du fait de l’inflation législative, les commissions, en tout cas celles dont la charge de travail est la plus lourde – on sait qu’il existe des disparités de ce point de vue –, ont une telle tâche pour produire la loi qu’elles ne peuvent pas aujourd'hui, compte tenu des moyens dont elles disposent, se consacrer complètement et de manière aussi efficace au contrôle.
Pour ma part, j’estime que la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois apportait un appui qui fait défaut aujourd'hui. J’aurais d’ailleurs aimé qu’un débat ait eu lieu et qu’un bilan de son action ait été dressé avant de décider de sa suppression. Je ne peux donc que prendre acte des félicitations qui me sont aujourd'hui adressées, car je ne doute pas de leur sincérité ; j’aurais néanmoins préféré, plutôt que des hommages, que cette commission ne soit pas dissoute afin que nous puissions poursuivre le travail que nous avons mené tous ensemble. Car je rappelle qu’aucun groupe n’a jamais remis en cause l’utilité de cette commission, dont la suppression m’a paru brutale et, en tout cas, pas totalement justifiée.
Cela étant dit, les choses continuent d’avancer puisqu’un rapport d’information dressant un bilan annuel de l’application des lois a été fait. Je constate d’ailleurs qu’il s’inscrit dans la continuité des travaux de la commission puisqu’il met en avant des éléments qu’elle avait elle-même pointés.
Les problèmes sont connus. Le taux d’application des lois est de 65 %. Je relève d’ailleurs que vous vous êtes trompé, monsieur Luche : aucune « chute libre » n’a été constatée depuis 2012. Cette date doit avoir une valeur symbolique pour vous : depuis cette année-là, tout va bien entendu très mal dans notre pays ! Vous n’avez pas dû bien regarder les chiffres, car la tendance n’a pas varié depuis 2010, année qui a constitué un tournant.
Durant la décennie précédente, la situation était catastrophique, avec un taux d’application des lois qui oscillait entre 15 % et 30 %. Il s’établit aujourd'hui à 65 %. Le gouvernement Fillon a donné une impulsion, pas dès son arrivée au pouvoir, mais en 2009-2010, avec de véritables directives. Il a ainsi prévu que les décrets d’application des lois devaient être pris dans un délai maximal de six mois et institué l’intervention en conseil des ministres du ministre chargé des relations avec le Parlement.
Un ministre de l’époque m’a raconté sa manière informelle de procéder, avec des petits cartons passés à ses collègues autour de la table du conseil pour leur demander de signer tel décret en retard. Le gouvernement actuel a mis en œuvre une procédure plus institutionnalisée : un état des lieux est effectué tous les mois en conseil des ministres, ce qui permet d’exercer une certaine pression et de maintenir la cadence.
Le taux de 65 % est bien sûr insatisfaisant ; le seul taux acceptable serait 100 %. Cela étant dit, il ne faut pas oublier que ce taux correspond à celui des décrets publiés dans le délai maximal de six mois. Ce taux dépasse 80 % si l’on prend l’ensemble de la législature, ce qui est convenable.
Toutefois, des disparités sont constatées. Ainsi le taux d’application des lois relevant de la commission de la culture est-il de 90 %. Ce résultat s’explique non pas parce que ces lois sont plus faciles à faire exécuter, mais parce que cette commission est saisie d’un nombre plus restreint de textes. En revanche, les lois soumises à la commission des affaires économiques étant plus nombreuses, plus bavardes et beaucoup plus longues, le ministère chargé des décrets d’application rencontre bien évidemment davantage de difficultés. Il faut essayer de réduire ces disparités.
De même, certains des problèmes que j’avais relevés lorsque je présidais la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois subsistent, même s’il n’en est pas fait état dans le rapport d’information dont nous débattons aujourd'hui. Le taux d’application des lois d’initiative gouvernementale est plus élevé que celui des lois d’origine parlementaire. En tant que parlementaires, nous ne pouvons accepter cette disparité, d’autant qu’on ne peut pas dire que le Parlement est au centre de notre système institutionnel et qu’il dispose d’énormément de prérogatives – je rappelle que la grande majorité des lois est d’origine gouvernementale. Nous demandons donc qu’un effort soit fait à l’avenir.
J’avais également remarqué que cette disparité était aussi vraie concernant les amendements d’origine parlementaire et que le taux d’application des amendements parlementaires d’origine sénatoriale était, en outre, plus faible que celui des amendements adoptés à l’Assemblée nationale. J’aimerais savoir si cette tendance se confirme, car je n’ai pas trouvé d’informations sur ce sujet dans le rapport. Je pense toutefois que la situation n’a pas dû beaucoup changer.
Par ailleurs, permettez-moi de faire une observation sur les rapports. Sur cette question, je ne m’adresse pas au Gouvernement, car j’estime que, en tant que parlementaires, nous devons prendre nos responsabilités. Nous ne cessons de réclamer des rapports. Lorsque nous voulons aborder un sujet mais que nous ne savons pas comment le traduire dans la loi, ou lorsque nous savons que ce que nous proposons n’est pas acceptable par le Gouvernement, nous lui demandons un rapport. On critique le Gouvernement car il ne les fournit pas ; mais pourquoi faudrait-il consacrer tant d’énergie, mobiliser tant de fonctionnaires pour les préparer, sachant qu’ensuite ils sont très peu utilisés par les commissions et par les parlementaires ? Je le redis, prenons nos responsabilités, mes chers collègues !
On dit également de certaines lois qu’elles sont bavardes. Il y a là un piège qui est lié à nos institutions. En effet, dans le système de la Ve République, l’essentiel des lois est d’origine gouvernementale. Il faut en prendre acte et justifier notre rôle. Après leur passage au Parlement, les lois ne « sortent » pas dans le même état : elles ont été modifiées par les apports des assemblées. Or il est plus facile de procéder à des ajouts qu’à des remplacements. La longueur d’un texte est donc souvent doublée à l’issue de la navette parlementaire, les deux assemblées souhaitant imprimer leur marque. C’est ainsi qu’un texte contenant initialement 30 articles peut finalement en compter 200 ! J’en appelle également à la responsabilité collective sur ce sujet.
Pour résoudre ce problème, il faut se rappeler que l’essentiel des lois proviennent du Gouvernement et que nous sommes là pour les amender et y intégrer nos apports : il faudrait peut-être associer les parlementaires à l’élaboration de la loi plus en amont afin qu’ils y trouvent leurs marques, ce qui permettrait certainement de diminuer les ajouts faits en séance et, partant, le volume des textes. Les questions essentielles seraient ainsi traitées plus tôt.
Je voudrais aborder maintenant un point sur lequel on ne peut, me semble-t-il, noter d’avancées, même si une prise de conscience a eu lieu. Nous avons très peu de moyens pour mener notre travail de contrôle comparé aux autres parlements étrangers – sans même parler du Sénat américain. Or l’Assemblée nationale et le Sénat font souvent le même travail, les mêmes rapports, les mêmes contrôles ! Des fonctionnaires y travaillent dans les deux assemblées, et les parlementaires y consacrent beaucoup de temps. Pourquoi les deux assemblées ne rationaliseraient-elles pas leur action de contrôle en effectuant un travail en commun ? Je vous rappelle qu’il s’agit des mêmes lois, qui ont été votées par les deux chambres.
Il faut donc prendre des initiatives sur cette question ; j’en avais proposé. On aurait pu envisager des réunions régulières de la commission d’évaluation de l’Assemblée nationale et de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ; on pourrait organiser des réunions inter-commissions, par exemple entre la commission des lois du Sénat et celle de l’Assemblée nationale.
Je conclus en rappelant que le Sénat a pris conscience du problème. En outre, les gouvernements successifs ont plutôt progressé sur ce point. Nous allons donc dans le bon sens.
Toutefois, il s’agit d’un enjeu important, qui rejoint l’action du Gouvernement, et en particulier de M. Thierry Mandon, pour réduire les normes. Tout cela contribue à rendre plus crédible l’action publique. Les études d’impact témoignent également de cette volonté de légiférer au plus juste. Il est nécessaire que nous ayons tous conscience de l’objectif : légiférer moins mais légiférer mieux ! C’est l’affaire du Gouvernement, mais c’est aussi la nôtre. Nous devons remettre en question nombre d’habitudes afin de renforcer notre rôle essentiel de contrôle.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le vice-président, cher ami Claude Bérit-Débat, mesdames, messieurs les présidents de commissions, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’accueillir pour ce débat sur l’application des lois, débat qui constitue désormais une tradition du mois de juin pour le Sénat comme pour le Gouvernement.
Avant toute chose, je tiens à saluer la qualité du travail accompli par les commissions permanentes du Sénat et par M. Claude Bérit-Débat. Vous avez su cultiver et préserver l’expertise que le Sénat a développée depuis 1971 en matière d’application des lois.
Comme cela a été rappelé par nombre d’entre vous, l’application des lois est un sujet de préoccupation constante pour le Gouvernement et un droit important du Parlement.
En effet, loin d’être une question technique, la publication des décrets d’application est un enjeu politique et démocratique. Enjeu politique, car, en élaborant un décret, nous devons respecter, faire valoir et « mettre en musique » l’intention du législateur. Enjeu démocratique, car une loi qui ne produit pas ses effets porte atteinte à la crédibilité de la parole publique, et donc à la confiance des citoyens envers leurs représentants.
L’application des lois comporte aussi, pour le Gouvernement, un enjeu d’efficacité et de réciprocité dans ses relations avec les parlementaires. Nous demandons parfois aux assemblées de légiférer assez vite, pour relancer l’activité économique, pour lutter contre le chômage, pour assurer la sécurité de la population. Le moins que nous puissions faire, c’est de demander à l’administration d’être rapide et efficace dans l’élaboration des décrets d’application.
Dans cet objectif, le Président de la République et le Premier ministre ont décidé, dès la fin de l’année 2014, une mobilisation du Gouvernement pour la publication des décrets d’application.
Cette action commence à porter ses fruits : en un an, le taux global d’application des lois a augmenté de presque dix points, alors même que le « stock » de mesures à prendre ne cessait de croître.
Ces éléments témoignent de l’importance que le Gouvernement accorde à l’application des lois, mais je suis conscient qu’ils ne sont pas suffisants pour répondre aux questions très précises qui m’ont été posées au cours de la matinée. Je vais tenter, dans toute la mesure du possible, d’apporter des réponses claires et circonstanciées à chacun des orateurs.
Monsieur Bérit-Débat, vous avez évoqué le faible taux de remise des rapports du Gouvernement au Parlement, et vous n’avez pas été le seul. Il est indéniable que le Gouvernement doit faire des efforts pour mieux respecter ses engagements, notamment en ce qui concerne les rapports dits « de l’article 67 », dont le taux de remise est inférieur à 50 %.
Pour autant, je suis persuadé que, comme plusieurs d’entre vous l’ont signalé, les demandes de rapport sont trop nombreuses, car elles sont détournées de leur finalité première : vous l’avez dit, certains rapports visent non pas à solliciter l’expertise de l’administration, mais à exprimer un mouvement d’humeur ou à surmonter une irrecevabilité financière.
Nous sommes donc touchés par une véritable profusion de rapports : depuis juin 2012, ce ne sont pas moins de 280 nouvelles obligations de dépôt de rapports qui ont été adoptées !
En conséquence, nous avons, me semble-t-il, collectivement intérêt à « recentrer » la demande de rapport sur les sujets les plus sensibles et les plus complexes. S’ils étaient mieux ciblés, les rapports auraient davantage d’utilité pour les parlementaires ; symétriquement, si les demandes étaient moins foisonnantes, les administrations respecteraient plus facilement les délais impartis et leurs travaux seraient probablement de meilleure qualité.
Monsieur Houel, vous avez évoqué la loi ALUR, aujourd’hui applicable à 31 %. Je n’ai pas bien compris si vous souhaitez véritablement une accélération de l’application, ou si vous interrogiez surtout sur la pertinence de celle-ci…
Le débat politique est toujours ouvert. Pour faire progresser le taux d’application, nous avons pris le parti de soutenir le ministère du logement, qui fait preuve d’une mobilisation exemplaire pour améliorer la situation. Des moyens supplémentaires et temporaires seront déployés et les consultations obligatoires seront conduites dans des délais très resserrés. Grâce à ces actions, cent mesures devraient pouvoir entrer en vigueur d’ici à la fin de l’année 2015, ce qui portera le taux d’application de la loi ALUR à environ 75 %.
Vous avez également cité la loi relative à l’économie sociale et solidaire et la loi relative à la consommation. Pour ces deux textes, des progrès importants ont été réalisés en peu de temps : depuis le 31 mars, leur taux d’application a augmenté de plus de dix points. Le progrès est encore plus net pour la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : en mars, elle n’était applicable qu’à 26 % ; en juin, elle l’est à 68 %.
Monsieur le président Raffarin, vous avez dressé un bilan positif de l’application des lois relevant de votre commission, et je vous en remercie.
Vous déploriez toutefois, à juste titre, que le rapport d’application de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale n’ait pas été remis au Sénat dans les temps. Néanmoins, comme vous l’avez indiqué, ce rapport a été transmis aux deux assemblées il y a une dizaine de jours.
Monsieur le président Milon, vous avez évoqué le compte personnel de prévention de la pénibilité. Le Sénat débattra de ce dispositif lors de l’examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, dont l’un des articles vise à simplifier le dispositif de déclaration des critères de pénibilité et à apporter davantage de souplesse aux entreprises. Là aussi, après avoir réfléchi et dialogué, nous modifierons la première rédaction de la loi afin de satisfaire tous les acteurs économiques et sociaux et de leur apporter des garanties.
Je tiens également à vous apporter des précisions sur la mise en œuvre de la loi de décembre 2013 autorisant l’expérimentation des maisons de naissance : après de longues consultations, un projet de décret a été transmis au Conseil d’État au mois de mai. La loi sera donc intégralement applicable au plus tard au mois de juillet.
Enfin, vous m’avez interrogé sur la mise en œuvre de la loi de bioéthique de juillet 2011, et notamment sur un arrêté qui ne vous semble pas conforme à la volonté du législateur. Il y a peut-être ici une confusion : l’arrêté de février 2015 que vous citez vise à définir les conditions d’application non pas de l’article 28, mais de l’article 30 de la loi. L’article 28 doit, lui aussi, faire l’objet d’un arrêté, mais la loi prévoit que ce texte est « pris sur proposition de l’Agence de biomédecine ». Nous sommes encore dans l’attente de cette proposition, qui devrait nous être adressée à la fin de l’année 2015.
Madame la présidente Morin-Desailly, vous avez cité les lois adoptées en 2013 en matière d’éducation.
Dans ce domaine, les perspectives sont encourageantes : la loi pour la refondation de l’école de la République est aujourd’hui applicable à 92 % et il ne manque plus qu’une seule mesure pour atteindre les 100 %. Je ne souhaite pas nourrir une polémique qui nous emmènerait sur un terrain éloigné de l’application des lois à strictement parler ; je constate cependant que cette loi a été adoptée il y a bientôt deux ans et que les derniers décrets publiés ont été soumis à la concertation pendant plusieurs mois, ce qui induit peut-être une certaine lenteur. Là aussi, on s’interroge pour savoir si c’est la publication des décrets ou leur non-publication qui pose question.
Quant à la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, également promulguée en juillet 2013, elle sera intégralement applicable cet été : les deux décrets que vous avez cités, qui portent respectivement sur les critères d’attribution de logements sociaux aux étudiants et sur la passation de contrats avec des institutions étrangères ou internationales, devraient être publiés au mois de juillet. Je partage tout à fait votre impatience sur ce point.
Monsieur Filleul, je vous remercie d’avoir mis en avant les bonnes performances du Gouvernement pour l’application de deux textes : la loi sur les lanceurs d’alerte d’avril 2013 – le décret est publié, même si, comme Mme Benbassa le rappelait, les membres de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement n’ont pas encore été nommés – et la loi de juillet 2014 sur la protection des navires.
Vous avez aussi évoqué un texte pour lequel notre bilan est moins satisfaisant : il s’agit de la loi d’août 2014 portant réforme ferroviaire. Ce texte est aujourd’hui applicable à 52 %, mais ce taux devrait rapidement progresser. En particulier, deux textes importants seront publiés avant la rentrée 2015, à savoir le décret relatif aux modalités de transfert du domaine public ferroviaire et le décret sur la contribution locale temporaire – un sujet que vous connaissez bien. En revanche, plusieurs dispositions de la loi ferroviaire n’entreront en vigueur qu’en 2016, si bien que les décrets correspondants ne devraient pas être publiés à court terme : tel est notamment le cas pour le « décret socle » que vous avez évoqué.
Madame la présidente André, vous avez tout d’abord cité la loi de séparation des activités bancaires de juillet 2013, qui est aujourd’hui applicable à 79 %. Une dizaine de mesures manquent encore à l’appel ; parmi elles, cinq sont « bloquées » en raison d’une modification du droit communautaire. Comme vous l’avez vous-même souligné, le droit de l’Union européenne est mouvant et engendre une « législation à durée déterminée » !
Vous avez également évoqué la révision des valeurs locatives. Pour mettre en œuvre cette réforme, nous avons besoin de disposer de simulations fiables. Dès cet été, grâce au travail des commissions intercommunales des impôts, nous disposerons d’éléments stabilisés qui nous permettront d’évaluer les conséquences de cette révision sur les territoires et sur les professionnels.
Monsieur le président Bas, vous m’avez tout d’abord interrogé sur la mise en application de la réforme pénale d’août 2014 et sur le décret relatif aux transactions pénales, dont vous avez rappelé l’importance. Après avoir mené des concertations approfondies avec les agents concernés, le ministère de la justice s’est engagé à finaliser ce texte à l’été 2015 ; il devrait donc être publié très prochainement.
Vous avez ensuite évoqué la loi de modernisation de l’action publique territoriale de janvier 2014, dite loi MAPTAM, aujourd’hui applicable à 50 %.
Comme vous le relevez, ce taux n’est pas satisfaisant, mais il s’explique pour partie par le fait que le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République viendra modifier plusieurs dispositifs issus de la loi MAPTAM. Vous en avez pris la pleine mesure récemment, me semble-t-il. Onze mesures d’application sur dix-huit sont ainsi « gelées » dans l’attente d’une modification de leur base législative. Les sept décrets restants sont en cours de finalisation et seront publiés dans les prochaines semaines. En particulier, je peux vous indiquer que le Conseil d’État a rendu son avis sur le décret prévu par l’article 58 de la loi à la fin du mois de mai 2015 ; la publication de ce texte est donc imminente.
Monsieur Abate, vous avez affirmé que les initiatives parlementaires étaient moins bien appliquées que les initiatives gouvernementales. Or les statistiques les plus récentes démentent légèrement cette analyse : les lois issues de propositions de loi ont en effet un taux d’application de 77 %, contre 63 % pour celles issues de projets de loi. Comme vous le constatez, le Gouvernement accorde une attention toute particulière aux textes initiés par les parlementaires, même si je comprends bien entendu que vous restiez vigilant.
Vous avez également estimé que le recours à la procédure accélérée était devenu trop fréquent. Ce sujet n’a qu’un lien indirect avec l’application des lois ; toutefois, lorsque la procédure accélérée est engagée, je reconnais que le Parlement peut être soumis à des délais resserrés. Il est donc en droit d’attendre du Gouvernement qu’il travaille, lui aussi, d’une manière encore plus rapide et efficace qu’à l’habitude. Je vous confirme que nous nous efforçons de respecter cette logique. Pour preuve, je voudrais citer un chiffre : les lois qui ont été examinées en procédure normale sont, en moyenne, applicables à 57 % ; celles qui l’ont été en procédure accélérée ont un taux d’application de 77 %.
En ce qui concerne le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui nous intéresse tous, nous ferons en sorte que les principaux décrets opérationnels soient publiés en même temps que la loi. Le Gouvernement, singulièrement M. le ministre de l’économie, entend faciliter l’inscription rapide des dispositions de ce texte dans la réalité de la vie économique du pays.
Monsieur Requier, vous avez fait état des difficultés d’application de la loi du 17 octobre 2013 créant le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales, le CNEN. Vous soulignez que le décret d’application publié en avril 2014 a mis en place des conditions de saisine trop restrictives, qui iraient à l’encontre de l’intention du législateur. Une proposition de loi a été adoptée par votre assemblée à la fin du mois de mai, sur l’initiative du groupe UDI-UC, pour surmonter ce problème. À cette occasion, le Gouvernement s’est engagé, par la voix de mon collègue André Vallini, à modifier le décret de 2014 pour redonner sa portée initiale à la loi. Comme M. Vallini vous l’a indiqué, nous allons mener très rapidement une concertation avec le CNEN ; sur cette base, nous rédigerons une nouvelle version du décret qui garantira la pleine effectivité du pouvoir de saisine des élus locaux.
Madame Benbassa, vous avez fait le point sur la mise en application des quatre lois adoptées grâce à des initiatives du groupe écologiste. Comme je l’indiquais à l’instant, les décrets nécessaires à l’application de la loi sur les lanceurs d’alerte ont été publiés entre mars et décembre 2014 : ce texte est donc applicable à 100 %. Et comme je vous l’ai laissé entendre, je reviendrai vers vous prochainement pour prévoir sa mise en œuvre concrète, notamment en ce qui concerne les nominations au sein de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement.
Pour la loi relative aux ondes électromagnétiques, vous vous inquiétez de plusieurs amendements adoptés par le Sénat lors de l’examen du projet de loi relatif à la croissance, à l’activité et à l’égalité des chances économiques, amendements qui vous semblent remettre en cause l’équilibre du dispositif. Sans vouloir préjuger de l’issue des discussions parlementaires en cours, je vous confirme qu’un décret viendra préciser la définition des « points atypiques » pour éviter toute insécurité juridique, et que la publication de ce décret sera précédée d’une vaste concertation – celle-ci ne sera pas non plus éternelle, afin de ne pas sombrer dans une contradiction permanente !
Vous avez également attiré mon attention sur le rapport prévu par l’article 3 de la loi sur les produits phytosanitaires, qui ne vous a pas été remis dans les temps. Je vais saisir Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, ainsi que le M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, pour leur demander que ce document vous soit transmis dans les plus brefs délais.
Monsieur Luche, vous avez déploré que les lois, devenues trop « bavardes », viennent empiéter sur le domaine du règlement. Je ne peux que rejoindre ce constat, mais je dois aussi souligner que la responsabilité de cette situation est, malheureusement, partagée entre le Gouvernement et le Parlement. Certes, les projets de loi atteignent parfois un degré de précision excessif, ce qui augmente inutilement leur volume, dégrade leur lisibilité et rend plus difficile leur éventuelle adaptation ultérieure. Pour autant, il n’est pas rare que les amendements déposés par les parlementaires viennent encore alourdir la rédaction des textes.
Le Gouvernement et les Assemblées doivent mener une réflexion commune pour éviter, à l’avenir, de surcharger la loi et pour redonner au domaine réglementaire son juste périmètre.