Mme la présidente. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. André Reichardt. On nous dit que le fonctionnement de cette fondation est entravé par des dysfonctionnements, mais la responsabilité en incombe, en fait, à la multiplicité des courants qui traversent la communauté musulmane française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en mars dernier, le Sénat a publié un rapport de sa délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et une étude de législation comparée consacrés au financement des lieux de culte, notamment par les collectivités locales. Dans ces documents, sont analysées à juste titre les conséquences pratiques qui résultent du principe général d’interdiction du financement public des lieux de culte, conformément à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
Selon différents sondages, 60 % des élus seraient favorables au financement public des lieux de cultes existants, même si 49° % d’entre eux jugent que les dépenses représenteraient une lourde charge pour les communes. Aussi notre débat d’aujourd’hui doit-il s’articuler autour du respect de chacune et de chacun et de ses croyances, afin de répondre au mieux aux difficultés rencontrées par les collectivités territoriales et par nos collègues maires dans leur commune.
En effet, les célébrations du centenaire de la loi de 1905 avaient témoigné de l’attachement de nos concitoyens aux enjeux de la laïcité pour toutes et tous, quelles que soient leur origine ou leurs croyances. Notre modèle de laïcité garantit la liberté des cultes, et surtout le droit de croire ou de ne pas croire. Toutefois, comme on le souligne dans les documents que j’ai cités, il est nécessaire de répondre aujourd’hui aux nouveaux enjeux de notre société et d’accompagner le mieux possible ces changements. Ainsi, certains aménagements pourraient être apportés au corpus des textes – loi de 1905, dispositions du code général des collectivités territoriales, du code de l’urbanisme ou du code général des impôts – qui régissent l’exercice des cultes et leurs relations avec les pouvoirs publics.
Ces recommandations sont, pour la plupart, reprises par la délégation. Citons, par exemple, la nécessité de préciser, par une circulaire du ministère de l’intérieur, les dépenses pouvant être engagées par les communes, ainsi que les aides dont elles peuvent disposer pour conserver le patrimoine religieux, afin d’apporter une meilleure information aux élus sur ce sujet. Il conviendrait également de permettre aux maires d’accueillir sereinement l’implantation des édifices cultuels dans le cadre du plan local d’urbanisme, grâce à un zonage adapté. Enfin, le dernier exemple que je pourrais citer concerne la reconversion des lieux de culte, sur laquelle le rapport contient d’intéressantes propositions.
Dans un tel contexte de flou juridique, nous devons rechercher une meilleure adaptation du droit des cultes à l’évolution de notre société, de manière à donner tout son sens et sa portée à la liberté de religion. En effet, notre droit donne plusieurs définitions pour réaffirmer la laïcité.
Notre Constitution, tout d’abord, dispose, dans son article premier, que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », tout en ajoutant : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
Ensuite, le Conseil d’État souligne dans ses différents rapports que la laïcité doit, à tout le moins, se décliner en trois principes : la neutralité de l’État, la liberté religieuse et le respect du pluralisme.
Avec ce débat, notre volonté ne doit pas être d’ajouter une énième définition ou une nouvelle interprétation des grands principes. La loi de séparation qui est appliquée de nos jours ne s’apparente plus à celle qui a été publiée au Journal officiel en 1905. En effet, notre vision de la pratique du fait religieux n’est plus la même.
Envisager l’actualisation de cette loi ne paraît donc pas illégitime, si celle-ci s’effectue sans choix partisan et dans le respect de chacun. L’envisager apparaît d’autant plus opportun que la diversification du paysage religieux hexagonal pose, en termes renouvelés, la question de l’égalité du traitement entre les cultes. Que penser du principe selon lequel la République « respecte toutes les croyances », dès lors que certains fidèles rencontrent de réelles difficultés pour pratiquer leur culte ?
Ce constat nous amène à nous poser cinq questions essentielles en la matière : la question immobilière, au cœur des préoccupations des représentants de tous les cultes et des maires ; la question de la sauvegarde de notre patrimoine religieux, bien souvent à la charge des communes, dont les budgets sont exsangues ; la question législative, puisque, malgré l’interdiction du financement public des cultes, les collectivités territoriales peuvent contribuer à aider les religions en matière de construction et d’entretiens d’édifices culturels ; la question du statut des associations cultuelles, issues de la loi du 9 décembre 1905 qui, sans être le seul support juridique, constitue à bien des égards le droit commun pour la plupart d’entre elles ; enfin, la question du pluralisme des situations selon les territoires – je pense notamment à nos amis de l’Est, de l’Alsace et de la Moselle, pour lesquels les enjeux sont tout autres, car liés à leur statut concordataire.
Plus concrètement, dans ces trois départements, la gestion par les collectivités locales des édifices et des personnels religieux est prégnante. Les lieux de culte – catholiques, protestants ou juifs – appartiennent soit aux collectivités territoriales, soit aux congrégations religieuses. Toutefois, les premières doivent se substituer obligatoirement aux secondes en cas de défaillance financière. On pourrait aussi évoquer la situation de nos amis ultramarins, en particulier celle de la Guyane.
Cela dit, à l’instar des élus communistes et républicains de la Moselle, nous pensons que des évolutions sont souhaitables en la matière. Je rappelle ici, par exemple, la proposition de loi de Patrick Abate et des élus de mon groupe tendant à l’abolition du délit de blasphème, encore en vigueur dans ce département.
Je rappelle, comme mes collègues et amis de Moselle, que la liberté de conscience n’est pas forcément liée aux financements des églises. Au contraire, la République qui finance, c’est aussi la République qui contrôle. En même temps, l’attachement au principe de laïcité n’exclut pas la préoccupation d’une plus grande équité dans le traitement de tous les cultes.
Quoi qu’il en soit, nous ne sommes plus au XIXe siècle, quand la politique concernant le fait religieux participait de la politique concernant l’ordre et la tranquillité publics.
Nous sommes plutôt favorables au renforcement des possibilités d’intervention des collectivités territoriales qui souhaitent développer une politique de proximité avec l’ensemble de leur population. Par ailleurs, nous pourrions améliorer la sécurité juridique des maires, bien souvent sous-informés sur ces questions.
Tous les termes de notre débat de ce jour doivent viser un seul objectif : la réaffirmation de nos principes républicains et de notre devise, qui implique le respect des croyances de chacun. Dans le cas contraire, le risque serait grand de voir des valeurs faisant l’objet d’un certain consensus perdre de leur force et de leur rayonnement, faute d’une adaptation à notre monde contemporain des règles qui les entourent.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les communes, comme le rappelle notre collègue Hervé Maurey dans son rapport d’information, sont les premières interlocutrices des religions dans notre pays.
Le travail juridique très précis du rapporteur nous permet de mieux appréhender la diversité des situations en France. En effet, depuis la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, la société française, tout comme le paysage religieux, a fortement évolué.
Les maires se heurtent aujourd’hui à de nombreuses difficultés pour appréhender les contours de la laïcité et en assurer le respect au quotidien, notamment pour ce qui relève du financement des cultes. L’entretien des nombreux bâtiments religieux mis à la charge des collectivités territoriales ou les réponses à donner aux projets de construction de nouveaux lieux de culte sont des sujets régulièrement abordés par les élus de nos territoires.
Si le principe est l’interdiction du financement public, la loi et la jurisprudence autorisent les collectivités à apporter aux associations cultuelles différentes aides telles que le bail emphytéotique administratif, la garantie d’emprunt ou la mise à disposition de locaux. Quelle que soit la nature de ces aides, il est impératif de garantir la transparence du financement des lieux de culte. Actuellement, beaucoup de fantasmes et quelques réalités ennuyeuses imposent aux pouvoirs publics, aux élus et aux organismes représentatifs des différents cultes, dans leur diversité, de travailler ensemble pour avancer sur la voie de cette transparence.
Dans ce contexte, les élus de mon département, les Alpes-Maritimes, font preuve de volontarisme. Ils sont à l’écoute des besoins cultuels des différentes communautés religieuses, mais ils demeurent confrontés à au moins quatre problèmes récurrents.
Premièrement, le lien ténu existant entre associations culturelles et associations cultuelles nécessite une clarification de la structure qui porte le projet – relève-t-elle de la loi de 1901 ou de la loi de 1905 ?
Deuxièmement, les maires s’interrogent sur l’origine du financement d’une construction. Ainsi, à Nice, nous avons été amenés à solliciter officiellement le Premier ministre pour connaître l’origine d’un financement mal identifié provenant de l’étranger, celui du centre En-Nour, situé dans le quartier de Nice-La Plaine, dans le canton où j’ai été élue pour siéger au conseil départemental, dont je suis aussi vice-présidente. Ainsi, la mairie de Nice a adressé un courrier au Premier ministre, afin que ses services enquêtent sur l’origine du financement, non contrôlé et non identifié.
Troisièmement, les élus ont des difficultés à disposer d’interlocuteurs reconnus par les pouvoirs publics afin de pouvoir mener à bien des discussions constructives et conduire un projet cohérent sur un territoire donné. C’est notamment tout le débat sur la représentation de l’islam de France.
Quatrièmement, enfin, les élus sont confrontés à la création de lieux de culte dans des locaux détournés de leur vocation. Je pense plus particulièrement aux caves, aux parkings, à certains commerces ou même à des salles communales réservées par des associations culturelles qui s’orientent davantage vers des activités cultuelles.
En tant que présidente de Côte d’Azur Habitat, premier bailleur social des Alpes-Maritimes et cinquième bailleur de France, je rencontre quotidiennement des situations de transgression de la loi. Nous avons connaissance d’au moins deux lieux de culte improvisés dans le périmètre de notre patrimoine, sans compter ceux qui échappent à tout contrôle…
Ces lieux de culte improvisés entraînent, pour les collectivités, des problèmes de sécurité, de droit, de voisinage ou encore de radicalisation. En outre, ils ne sont pas prévus pour accueillir des personnes et ne répondent donc pas aux normes des établissements recevant du public prévues par le code de l’urbanisme. La sécurité des personnes qui se réunissent et des biens est donc directement engagée.
Sur le problème spécifique du financement, l’État doit garantir la plus grande transparence possible, tout en respectant le principe de loi de 1905.
À ce propos, je partage les propositions de notre collègue François Baroin, président de l’Association des maires de France, l’AMF, qui s’est dit opposé au financement de la construction des lieux de culte par les mairies et les associations, mais qui souhaite la surveillance du financement de ces constructions.
D'ailleurs, je serai très attentive aux conclusions du groupe de travail que l’AMF a constitué sur les questions relatives à la laïcité dans l’objectif d’arrêter un document de référence sur lequel les maires et les présidents d’intercommunalité pourraient s’appuyer pour mieux faire face aux réalités.
Je ne saurais terminer sur le sujet des lieux de culte sans évoquer la situation désastreuse des chrétiens d’Orient, qui assistent à la destruction de leurs édifices religieux, mais qui sont surtout persécutés, et dans des conditions effroyables.
La France doit les soutenir, en les accueillant sur son territoire, dans nos communes, pour les protéger, mais aussi et surtout en leur permettant de rester libres en Orient, où il nous faut défendre la diversité religieuse et cultuelle : c’est notre histoire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, avant d’entrer dans le vif du sujet et de réagir aux différents propos qui ont été tenus, de vous remercier pour l’organisation de ce débat, respectueux et presque consensuel, et, bien sûr, de saluer M. Maurey pour la qualité du rapport qu’il a produit. Cette qualité explique sans doute celle de notre débat d’aujourd'hui : c’est souvent le document initial qui donne le ton !
Il est important que les membres du Gouvernement et les élus de la Nation puissent échanger de manière apaisée et constructive sur un sujet aussi essentiel que le financement des lieux de culte par les collectivités territoriales de France.
Il est important que, sur de telles questions, qui touchent à l’un des principes fondateurs de notre République, la laïcité, nous puissions débattre du fond, en évitant les polémiques.
Il est important que nous puissions coopérer, pour dessiner, ensemble, des solutions aux enjeux posés à nos élus locaux.
Il est important que nous puissions réfléchir, sans controverses inutiles, à la façon dont nous pouvons, dans le respect de ce grand principe qu’est la laïcité, garantir à nos concitoyens pratiquants de pouvoir exercer leur culte dans de bonnes conditions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez rappelé, la laïcité est l’une des spécificités du vivre ensemble dans notre pays. Elle constitue, depuis plus d’un siècle, un principe de concorde non négligeable, qui a pour objectif d’unir les citoyens, par-delà leurs différences et autour des valeurs républicaines : la liberté, qui vise à protéger la liberté de conscience de chacun ; l’égalité, qui garantit à tous, indépendamment des croyances, des non-croyances ou de la religion de chacun, de pouvoir bénéficier des mêmes droits et des mêmes services publics ; la fraternité, qui permet à toutes les religions de coexister et à tous les citoyens de cohabiter dans la tolérance et le respect mutuel. Les différents intervenants l’ont rappelé, sur la base d’exemples tirés de leurs expériences locales.
Dans une société fracturée, où le lien social se distend, où l’intolérance grandit, la laïcité est un principe dont il nous faut réaffirmer le sens et la portée. En effet, c’est le meilleur moyen de lutter contre ceux qui, aujourd’hui, l’instrumentalisent à des fins de stigmatisation. C’est aussi le meilleur moyen - vous l’avez presque tous dit - de lutter contre ceux qui utilisent la religion et parfois la laïcité elle-même, comme autant de prétextes au rejet de l’autre.
La laïcité, c’est d’abord la neutralité de l’État à l’égard de tous les cultes.
L’État ne reconnaît et ne soutient aucun culte, ni financièrement ni symboliquement. Il se doit d’offrir à toutes les personnes, sur l’ensemble de notre territoire, un service public impartial, indépendant de toute institution religieuse – c’est clair ! – et d’assurer l’égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction, quelle que soit leur religion.
La laïcité, c’est aussi l’obligation pour l’État de garantir la liberté de culte - c’est, au fond, le cœur de votre sujet - et de s’assurer que nul ne peut être inquiété pour sa croyance ou pour son incroyance. L’État se doit de sanctionner toute discrimination intervenue à raison d’une opinion religieuse.
Mais, je le répète, l’État se doit également de permettre à chacun de pratiquer son culte dans des conditions décentes, comme vous l’avez presque tous rappelé. Et, sur ce point, qui concerne très directement nos collectivités territoriales, des progrès sont nécessaires.
Concernant les lieux de culte, la loi du 9 décembre 1905 dispose que la République ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Naturellement, je n’oublie pas que l’une de nos régions de France a, de ce point de vue, un statut particulier.
Pour les lieux de culte dont les collectivités publiques ont été reconnues propriétaires en 1905, les associations cultuelles bénéficient d’une mise à disposition. Elles sont responsables de toutes les charges, à l’exception des « dépenses nécessaires » à l’entretien et à la conservation, auxquelles les collectivités sont autorisées à participer – ce n’est pas un détail.
Ces dépenses nécessaires sont strictement définies. Ainsi, ne sont pas considérés comme des « dépenses nécessaires » les travaux d’embellissement et d’agrandissement ou l’achat de meubles. En revanche, la réfection partielle d’un édifice cultuel est considérée comme une dépense d’entretien et les collectivités territoriales peuvent participer à la construction d’un nouveau lieu de culte si celle-ci est moins coûteuse que la restauration d’un édifice.
Depuis la loi de 1905, et face aux évolutions de notre société, quelques tempéraments ont été apportés à la règle de non-subventionnement, au travers de plusieurs décisions d’assemblée du Conseil d’État - certains ont cité ces décisions fondatrices -, afin de permettre la construction de nouveaux édifices cultuels. Ainsi, un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice de culte ouvert au public et une commune peut garantir un emprunt contracté par une association cultuelle pour la construction d’un édifice du culte. Nous reviendrons sur cette notion de garantie.
Cependant, du fait de notre histoire et de nos dynamiques territoriales, dont vous avez fait, monsieur Maurey, une très juste analyse, les lieux de culte sont aujourd’hui inégalement répartis sur notre territoire, ne permettant pas toujours de répondre aux besoins de toutes les religions, en particulier aux besoins nouveaux apparus dans les communes comportant des populations de confessions diverses et qu’ont très bien décrits certains d’entre vous – dans la région Nord - Pas-de-Calais ou dans le département des Alpes-Maritimes, pour ne citer que ces exemples.
Interroger ces besoins nouveaux, qui ne trouvent pas toujours de réponse claire dans la loi ou dans la jurisprudence, et réfléchir aux réponses que les communes peuvent y apporter, c’est le nœud du problème que nous devons résoudre aujourd'hui. C’est ce qui a justifié la rédaction du rapport de M. Maurey et c’est également l’une des préoccupations majeures du Gouvernement.
Monsieur Maurey, nous partageons votre questionnement. Reste à partager les réponses…
C’est parce que ces questions nouvelles sont une préoccupation majeure du Gouvernement qu’un groupe de travail, composé de responsables religieux, de représentants de l’Association des maires de France et des services concernés au sein du ministère de l’intérieur et des ministères chargés du logement et de la jeunesse, va être mis en place pour formuler des propositions sur le sujet du financement des lieux de culte par les collectivités territoriales. Pour les membres de ce groupe de travail, le rapport de M. Maurey et le compte rendu du débat d’aujourd'hui constitueront sans doute des documents de travail de première importance. Les sujets seront sériés et les frontières, étanches.
Le groupe de travail aura vocation, monsieur Maurey, à répondre à l’une des difficultés que vous avez identifiées dans votre rapport, celle du déficit d’information, en proposant les voies et les moyens de répondre à ce besoin d’information légitimement exprimé par les élus.
Ainsi, conformément à l’esprit de vos deux premières recommandations, il réfléchira à un outil permettant de donner à tous les maires de France les clefs pour appliquer la circulaire du 29 juillet 2011, laquelle détaille les possibilités de dépenses de conservation et d’entretien des édifices de culte, sur le fondement des dernières jurisprudences.
Les autres recommandations formulées dans le rapport m’inspirent trois remarques, que certains d’entre vous ont d'ailleurs déjà formulées.
Les recommandations nos 6 et 7 ne sont pas envisageables : il est des portes qu’il ne faut pas ouvrir. Peut-être en serez-vous chagriné, monsieur le rapporteur, mais je pense que vous comprendrez largement nos motivations.
Ainsi, la recommandation n° 7, qui préconise, notamment, un contrôle de l’origine des fonds par un commissaire aux comptes, et que certains ont reprise aujourd'hui, n’est pas constitutionnelle. J’aurais voulu pouvoir y souscrire, mais elle n’est pas conciliable avec le principe de liberté pour les cultes de construire les édifices dont ils ont besoin, sans que cela concerne nécessairement la puissance publique.
Néanmoins, sur cette question intéressante, rien n’empêche de réfléchir à une évolution vers plus de transparence, en évitant cependant toute stigmatisation. J’ai relevé des propos qui n’ont pas lieu d’être dans un débat comme le nôtre, notamment s’agissant de tel pourcentage sur l’origine de tels fonds. Il est dangereux d’avancer des choses que l’on ne peut pas prouver ! Ce n’est pas l’objet de mon intervention, mais je pourrais vous montrer à quel point ces propos sont dénués de fondement scientifique, à supposer même qu’ils reposent sur une quelconque observation empirique…
Je rappelle ici que tous les fonds versés en liquide donnent lieu à vérification, de manière à éviter toute transaction directe de la part des entreprises, ce qui, en droit, constitue un délit. Il est possible de vérifier l’origine des fonds qui, via telle ou telle fondation, participent à la construction d’un édifice religieux, quel qu’il soit d'ailleurs – cela concerne toutes les religions. En tout état de cause, il ne faudrait pas qu’un tel dispositif conduise à des stigmatisations.
La sixième proposition ne semble pas – il y aura sans doute débat – réellement de nature à simplifier les choses. Vous questionnez la distinction entre cultuel et culturel. Parfois très difficile à établir, cette distinction s’accommode mal d’une interprétation figée.
Il est donc préférable, nous semble-t-il, de privilégier, comme aujourd’hui, le cas par cas sur la base de la circulaire du 29 juillet 2011. C’est plus simple et, à mon avis, plus efficace.
Deux de vos propositions – les troisième et quatrième – ouvrent des pistes intéressantes. Cependant, le Gouvernement, avant d’envisager de telles mesures, souhaite réfléchir à des solutions dans le cadre de la législation existante. Des réflexions seront engagées sur ce sujet. Il s’agit de questions justes auxquelles nous allons essayer de répondre sans ouvrir la porte de la loi.
La cinquième proposition, relative à l’intégration, au sein des PLU, de zones susceptibles d’accueillir des édifices cultuels, semble, elle, de nature à favoriser l’implantation d’édifices cultuels là où ils sont nécessaires. Le Gouvernement va y travailler.
J’ai entendu les remarques des uns et des autres sur les effets négatifs que pourrait induire l’adoption d’une telle proposition, notamment celles de M. Vandierendonck. Nous allons regarder comment cela pourrait se faire, quels seraient les modalités de mise en œuvre, les avantages comme les inconvénients, avant de trancher. Je pense que c’est la sagesse.
Une réunion, présidée par le Premier ministre, devrait se tenir le plus vite possible pour aborder l’ensemble de ces questions en considération du travail que vous avez réalisé. Des mesures plus précises seront documentées, pesées au trébuchet de la loi et de notre volonté de rechercher une société apaisée.
À n’en pas douter, les échanges riches que nous avons eus aujourd’hui viendront alimenter la réflexion. Donnez-nous un peu de temps pour examiner chacune de vos interventions.
Nous devons également réfléchir à d’autres sujets, lesquels, je le sais, vous intéressent. Je pense, par exemple, à la récurrente question funéraire. J’ai la conviction que nous n’avons pas la réponse parfaite. Aujourd’hui, nous essayons de trouver des solutions très empiriques, alors que d’autres pistes de réflexion existent. C'est la raison pour laquelle il me semble important de mettre ces questions à l’ordre du jour de nos travaux.
À la suite de la réunion dont j’ai parlé, j’espère que nous pourrons continuer à travailler ensemble sur cette question des financements des lieux de culte en dépassant toutes les postures et en gardant à l’esprit la raison d’être du principe de laïcité.
Ce que nous offre ce principe, peu de pays l’ont. Il peut éviter bien des déséquilibres à une société qui se fracture. Il s’agit d’un point d’équilibre fort, d’un élément fédérateur de tous les citoyens. Le principe de laïcité – et le principe de concorde qui l’accompagne – est sans doute ce qui fait que nos sociétés tiennent mieux que d’autres.
De telles questions réclament que nous avancions de manière prudente et constructive, sans stigmatiser personne. Je ne peux, à cet égard, que déplorer certaines citations qui, parfois, servent à montrer du doigt les uns pour conforter les autres, alors que nous devrions apprendre aux uns, notamment aux plus jeunes, à respecter les autres.
Mais nous avons un autre ennemi, je veux parler des réseaux sociaux, grande source d’échanges, mais aussi facteur de fractures bien plus graves.
Les élus de la Nation doivent faire de la laïcité un ciment commun, un vecteur d’éducation - au sens vrai du terme – en même temps qu’un vecteur de culture.
C’est de cette manière que nous pourrons avancer avec nos voisins européens, dont peu, très peu disposent d’une constitution laïque. C’est aussi de cette manière que nous pourrons tendre la main à nos amis d’outre-Méditerranée, notamment. Car, oui, la laïcité peut devenir l’élément majeur des modèles de société du XXIe siècle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir initié ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte ».