Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre excellent rapporteur, Hervé Maurey, a décrit de façon juste les conditions de l’exercice des cultes en France, et le rôle que jouent les communes dans ce domaine.
Je partage pleinement ses analyses et quasiment toutes ses conclusions, mais je serais allé plus loin,…
Mme Nathalie Goulet. Moi aussi !
M. François Grosdidier. … au risque de briser un tabou au moment le plus défavorable, alors qu’une part grandissante de l’opinion ne raisonne plus, mais réagit de façon épidermique sur la question.
À mon sens, il faut changer les modalités pratiques de la loi de 1905 pour rester conformes à ses principes, auxquels je suis aussi attaché qu’Yvon Collin. En effet, ils sont plus actuels et pertinents que jamais ; ils sont, pour moi, intangibles dans notre République. Néanmoins, certaines des modalités de cette loi sont datées, obsolètes.
Que dit la loi de 1905 ? Pas d’argent public pour les cultes, sauf pour l’entretien des lieux de culte construits avant 1905, soit l’immense majorité des églises catholiques, une part des temples protestants et des synagogues, mais pas d’église évangélique et encore moins de mosquée.
Dans sa grande sagesse - mais la sagesse n’est pas la divination -, le législateur ne pouvait pas anticiper l’émergence des églises évangéliques, et encore moins celle de l’islam, devenu deuxième religion de France.
Il en résulte une inégalité de fait, une inégalité criante, d’autant que la société française a concentré les musulmans dans certains quartiers ou certaines villes. Dans la mienne, ils représentent la moitié de la population.
Lorsque j’ai été élu maire, en 2001, mes administrés musulmans exerçaient leur culte dans une salle trop petite, un ancien commerce racheté par souscription. Ils y priaient, serrés comme des sardines, quand ils n’étaient pas obligés de prier dans la rue. C’était indigne pour eux et insupportable pour les riverains.
Que peut faire un maire devant une telle situation ? Ou il laisse faire, en acceptant, à l’intérieur, la violation de la réglementation sur les établissements recevant du public, et, à l’extérieur, les entraves à la circulation et les troubles à l’ordre public ; ou bien il interdit l’exercice du culte, violant ainsi une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, ou bien encore il offre un local communal et contrevient à la loi de 1905.
J’ai choisi la troisième option, qui me paraissait la seule à être juste. Je crois même que je suis l’unique maire de France à avoir construit une mosquée sur fonds publics, mais je n’ai pu le faire légalement que parce que je suis élu en Moselle, département concordataire. (Mmes Esther Benbassa et Sylvie Goy-Chavent s’exclament.)
Je suis un militant des valeurs portées par la loi de 1905, un militant de la laïcité, et je refuse tout dogmatisme. Je suis farouchement en faveur de la liberté absolue de conscience, de l’égalité et de la fraternité, qui transcende les croyances et les appartenances. Mais, je suis désolée, comment expliquer à nos concitoyens musulmans que, parce qu’ils n’étaient pas là avant la loi de 1905, ils n’auront jamais les mêmes droits que les pratiquants des autres religions dans notre République ? J’entends dire que le financement du culte est une affaire privée et que les pratiquants n’ont qu’à financer leurs lieux de culte. C’est une tartufferie !
La générosité des pratiquants musulmans, comme celle de tous les pratiquants, est réelle, mais, comme ils n’appartiennent pas aux catégories socioprofessionnelles les plus aisées, ils n’auront jamais les moyens de financer des ERP conformes à la réglementation et d’une capacité suffisante.
Le financement privé par les pratiquants en France n’est pas réaliste. Le seul financement privé possible ne peut donc venir que de l’étranger.
Aussi, la République est schizophrène lorsqu’elle demande, à juste titre, à ses citoyens musulmans d’édifier un islam de France, et non un islam en France, mais que, dans le même temps, elles les invitent à chercher le financement des mosquées dans les pays du Golfe et le financement des imams dans ceux du Maghreb.
Mme Nathalie Goulet. Très juste !
M. François Grosdidier. Surtout que la fondation censée recueillir, contrôler et distribuer des dons venus de l’étranger n’a donné aucun résultat, dix ans après sa création, de l’aveu même du ministre de l’intérieur.
La vérité, c’est que beaucoup de maires sont contraints de contourner la loi en mettant à disposition des pratiquants des édifices officiellement culturels et officieusement cultuels. Ces élus sont donc obligés de s’affranchir de la lettre de la loi pour rester conformes à son esprit.
L’État ferme les yeux, sauf quand le juge administratif est saisi.
L’État a eu lui-même recours à cet artifice pour financer la cathédrale d’Évry, bien après 1905.
La laïcité, c’est la neutralité de l’État à l’égard des religions. C’est l’égalité de tous devant la loi, de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. C’est aussi la liberté de culte.
Aujourd’hui, certains, à l’extrême droite, mais aussi, ce que je regrette, dans le camp des républicains, de droite comme de gauche, suggèrent d’interdire à la fois le financement public et le financement étranger, ce qui reviendrait à interdire, de fait, l’exercice du culte musulman en France. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Je n’ignore pas que nous sommes dans une époque dominée par la peur et la confusion, marquée par un rejet de l’islam nourri par l’actualité internationale. La haine de l’autre est aussi renforcée par la crise économique ou sociale, mais les acteurs du débat public confondent à tort, surtout lorsqu’il s’agit des musulmans, communautarisme et simple pratique du culte ou expression de la foi religieuse.
Il n’en demeure pas moins que certains musulmans, pas nécessairement terroristes, doivent parfois être rappelés à l’ordre républicain. La République est, certes, en droit d’exiger d’eux un effort d’intégration, mais elle n’est pas crédible quand elle pose des règles nouvelles en donnant le sentiment du « deux poids, deux mesures ». Elle n’est pas non plus crédible lorsque, exigeant le respect des mêmes devoirs, elle refuse les mêmes droits.
On ne peut pas, au nom de l’Histoire, justifier pour l’éternité une inégalité de traitement dans l’exercice d’un droit fondamental. La République doit traiter tous ses citoyens de la même façon, et elle n’en sera que mieux fondée à imposer à tous les mêmes obligations.
Il faudrait avoir cette audace !
L’islam de France vit dans une grande misère immobilière et intellectuelle, faute d’une formation des imams.
Sur la question immobilière, il faudrait objectivement doubler le nombre de mosquées, même si nous n’allons certainement pas rattraper un retard de soixante-dix ans en deux ans. On ne peut pas non plus demander à l’État d’y contribuer, en pleine crise des finances publiques. Si l’État pouvait continuer à soutenir les communes pour l’entretien des églises et du patrimoine existant, ce serait déjà bien.
Laissons simplement aux maires la liberté de financer des lieux de culte dès lors qu’il y carence de l’offre privée et qu’ils répondent ce faisant aux besoins d’une partie substantielle de la population. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Songez, mes chers collègues, qu’aujourd’hui un maire peut ouvrir un débit de boissons s’il y a carence de l’offre privée, mais qu’il ne peut pas légalement financer un lieu de culte ! (M. Stéphane Ravier s’esclaffe.)
Il s’agirait non pas de créer une obligation pour la commune, mais de lui laisser la liberté de le faire, parce que la commune est la cellule de base de la République et qu’elle constitue le régulateur social par excellence, même si elle est malmenée dans tous les textes législatifs que le Gouvernement nous présente.
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. François Grosdidier. Sur ces questions, qui hystérisent notre société, la commune représente le cadre de la connaissance mutuelle, de la place faite à chacun, du respect des règles communes.
Quand la société devient celle de tous les excès, la commune reste le lieu des équilibres.
La société exacerbe les antagonismes, quand la commune rapproche les individus, qui sont de toute façon condamnés à vivre ensemble.
La République doit davantage s’appuyer sur les communes pour faire vivre et partager ses valeurs au quotidien. Je le crois profondément, le Sénat devrait demander à la République d’avoir l’audace de faire confiance aux maires. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Exclamations ironiques de MM. Stéphane Ravier et David Rachline.)
Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 19 décembre 2002, toutes les formations politiques qui composent le conseil municipal de Roubaix, à l’exception notable du Front national, ont approuvé un schéma directeur d’intervention de la Ville sur les lieux de culte.
Cette délibération-cadre a été l’aboutissement d’un dialogue nourri entre les pouvoirs publics et les associations, cultuelles ou non. En effet, il était important, dans le respect de la laïcité, de prendre acte de la présence de nouvelles religions dans une ville de tissage et de métissage.
Partant de ce constat, il était essentiel que chaque Roubaisien puisse pratiquer le culte qu’il souhaite, et ce dans de bonnes et dignes conditions. C’est l’un des principes forts du vivre ensemble ! (Exclamations de MM. Stéphane Ravier et David Rachline.)
Il importe de dire qu’en tout point ce schéma, qui est toujours en vigueur, s’inscrivait strictement dans le cadre républicain délimité par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, ainsi que par son interprétation par le Conseil d’État, qui a rendu, depuis, cinq importantes décisions d’assemblée le 19 juillet 2011.
Monsieur le rapporteur, cher Hervé Maurey, le groupe socialiste se réjouit, d’une part, que vous ne remettiez pas en cause, dans votre rapport, les équilibres de la loi du 9 décembre 1905, et, d’autre part, que vous soyez resté prudent sur les régimes d’exception d’Alsace-Moselle et d’outre-mer.
Vous proposez un certain nombre d’avancées, en sept recommandations articulées autour de trois axes. Parcourons-les ensemble, si vous le voulez bien.
Les deux premières recommandations concernent l’information des maires. Il s’agirait de les informer, par voie de circulaire du ministère de l’intérieur, dans un souci de sécurité juridique accrue, d’une part, sur les types de dépenses pouvant être engagées au titre de la conservation et de l’entretien des édifices propriétés de la commune, et, d’autre part, sur les possibilités d’aides financières des communes pour des réparations d’édifices cultuels appartenant aux associations cultuelles, ainsi que sur les conditions de mise à disposition de locaux au bénéfice de ces dernières.
Sur ces deux sujets, il faut rappeler que la circulaire du ministre de l’intérieur du 29 juillet 2011, intitulée Édifices du culte : propriété, construction, réparation et entretien, règles d'urbanisme, fiscalité, fait un point relativement précis sur le champ des possibles.
Aller au-delà pose donc nécessairement le problème de la nature de la norme employée. Je préfère une circulaire interprétative, qui conserve la souplesse de l’interprétation de la jurisprudence, à un texte qui viendrait la figer.
Concernant l’amélioration du dialogue entre les collectivités et les associations cultuelles pour permettre l’implantation de nouveaux lieux de culte, le rapport contient trois autres recommandations.
La première recommandation vise à étendre le dispositif des garanties d’emprunt pour la construction d’édifices cultuels à l’ensemble du territoire. Cette proposition impliquerait de modifier la loi, notamment les articles L. 2252-4 et 3231-5 du code général des collectivités territoriales. Cela étant, cette question mérite d’être posée et de faire l’objet d’une investigation complémentaire.
Permettez-moi de vous rappeler la philosophie des décisions d’assemblée rendues par le Conseil d’État en juillet 2011 : soucieux d’éviter le risque de subventions déguisées, le Conseil d’État demandait que la garantie d’emprunt fût effectuée dans l’intérêt général. Je me demande s’il ne faut pas creuser cette piste.
La deuxième recommandation concerne les baux emphytéotiques administratifs.
Je comprends le cheminement de pensée qui vous a conduit à formuler cette proposition, monsieur le rapporteur. Il s’agirait d’autoriser les collectivités territoriales et les associations cultuelles à conclure un bail emphytéotique prévoyant, à l’issue de l’échéance, une option d’achat pour ces associations, afin d’éviter que les communes ne deviennent propriétaires au terme du bail. Vous avez considéré que le fait d’offrir une option d’achat à une association cultuelle à la fin du bail manifestait une volonté de pérenniser l’affectation religieuse du lieu.
Je voudrais, pour ma part, faire valoir un autre argument : la jurisprudence actuelle du Conseil d’État permet que ces baux emphytéotiques soient passés sur des durées non seulement longues mais éventuellement reconductibles, et, de surcroît, à des conditions assez modiques de prix. Le Conseil d’État estime en effet que la contrepartie est précisément le retour dans le patrimoine de la collectivité publique au terme du bail. Cette analyse mérite elle aussi d’être approfondie pour se prémunir contre le risque de subventionnement déguisé.
Je suis donc prudent sur la possibilité de rompre l’équilibre entre la modicité de la redevance et la contrepartie – l’incorporation du bien dans le patrimoine de la collectivité –, même si je conviens que la question mérite d’être posée, monsieur le rapporteur.
J’en viens à la troisième recommandation, sur laquelle vous me pardonnerez de ne pas être en accord avec vous. Vous proposez en effet de permettre, dans le cadre des PLU, de repérer les zones susceptibles d’accueillir l’implantation potentielle d’édifices cultuels.
Dans le Nord - Pas-de-Calais, cette proposition est loin de faire l’unanimité parmi les représentants des cultes quand je les consulte. Je fais observer également que le maire qui ne voudrait pas d’un lieu de culte sur sa commune aurait la possibilité d’exclure d’emblée de son PLU tout zonage de ce type.
Pour ma part, ce que je vois au quotidien, toujours dans ma région du Nord-Pas-de-Calais, ce sont des maires qui exercent leur droit de préemption en vue d’acquérir des biens, et ce précisément pour éviter des implantations de lieux de culte !
Je voudrais attirer votre attention sur un rapport d’information relatif aux discriminations produit par Mme Benbassa et M. Lecerf, dans lequel nos deux collègues se demandaient comment sanctionner le maire qui exerce illégalement son droit de préemption pour empêcher une liberté publique de s’exercer. Cette question, nous aurions intérêt à nous la poser à nouveau aujourd’hui.
La dernière série de recommandations de votre rapport, monsieur Maurey, concerne le contrôle et le renforcement de la transparence.
Vous préconisez tout d’abord un décret en Conseil d’État pour solenniser en quelque sorte « la ligne de partage des eaux » entre le culturel et le cultuel. Je salue votre souci de clarté, mais je pense que cela desservirait la cause que vous entendez défendre. Mieux vaut laisser la souplesse à la jurisprudence sur ces questions.
Votre septième recommandation a trait à la traçabilité des financements. À Roubaix, j’ai essayé d’inciter des associations cultuelles – je les ai même accompagnées sur cette voie - à choisir, dans la loi de 1905, la formule de grande capacité juridique, celle qui donne droit à exonération fiscale et assure la traçabilité des sources de financement. Résultat ? Pas une association, pas une, mes chers collègues - pas d’association cultuelle catholique, pas la moindre pagode, aucun temple protestant, aucune mosquée - n’a accepté la formule en question !
M. Maurey pense régler le problème en prévoyant un contrôle de l’origine des fonds par un commissaire aux comptes. Je crains que ce contrôle, dont je vois bien la finalité, ne soit pas possible dans l’état actuel de la jurisprudence du Conseil d’État s’agissant de l’exercice de la liberté de culte. (M. le rapporteur s’exclame.)
Mais je conclus, mes chers collègues.
Le ministre de l’intérieur a condamné hier avec une extrême fermeté l’agression commise à Carpentras contre une mosquée en construction sur laquelle un coup de feu a été tiré voilà quarante-huit heures. Son communiqué rappelle que la laïcité consiste à assurer la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire et à garantir aux croyants la liberté d’exercer leur culte dans des conditions dignes et paisibles.
Ces paroles font écho à celles de Jaurès, qui demandait d’apaiser la question religieuse pour poser la question sociale.
Je vous donne acte, monsieur le rapporteur, de votre refus d’instrumentaliser la question religieuse à des fins électorales.
M. Martial Bourquin. Il a bien fait !
M. René Vandierendonck. Il y a, hélas ! dans ce registre, des précédents célèbres qui donneraient presque le tournis !
Je vous donne également acte du fait que vous avez construit votre intervention dans le strict respect de la loi de 1905. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport d’information de notre collègue Hervé Maurey Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, thème dont nous débattons aujourd’hui, avait été précédé d’une étude de législation comparée sur la question, laquelle incite à repenser le problème.
La réflexion s’impose d’autant plus que le paysage religieux de la France a largement évolué depuis la fameuse loi de séparation des Églises et de l’État. Il a été modifié, d’une part, avec les progrès d’une sécularisation toujours plus affirmée, d’autre part, avec l’émergence et/ou la visibilité croissante de nouvelles religions, lesquelles n’avaient, de surcroît, pas été intégrées au Concordat.
Nos élus sont régulièrement confrontés dans leurs territoires au problème de la gestion des cultes, y compris à la question, délicate, de leur financement, celui de l’islam, notamment, dont la pratique a pris, dans certaines localités, une ampleur considérable et qui se heurte au manque de lieux de culte.
Dans son rapport, notre collègue Hervé Maurey examine la situation des collectivités territoriales au regard de leur implication dans le financement des lieux de culte et avance des propositions concrètes, sans remettre fondamentalement en question le cadre précis qu’offre la loi de 1905 en la matière pour faciliter les relations entre les pouvoirs publics locaux et les cultes, tout en suggérant d’améliorer les dispositifs existants.
La France est, rappelons-le, le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de musulmans, de juifs et de bouddhistes. D’après un sondage TNS-SOFRES de janvier 2015 sur le financement des lieux de culte, la construction de nouveaux lieux de culte est un enjeu qui concerne non pas toutes les religions, mais aujourd’hui essentiellement le culte musulman. La question émerge dans les communes de plus de 5 000 habitants et elle est le plus souvent posée par la communauté musulmane elle-même.
Face à cette demande, les élus choisissent ou de retarder la prise de décision ou de repousser ces demandes, par crainte des réactions de leurs administrés qui exprimeraient un sentiment de perte d’identité, ou bien encore de recourir à des pratiques cachées ou non officielles qu’il convient assurément, un jour, de normaliser.
Ce rapport dessine des pistes à ne pas négliger. Elles nous intéressent particulièrement après les tragédies de janvier, à un moment où la question de la réorganisation de l’islam a de nouveau été posée. Quid du financement par des pays étrangers de la construction de mosquées en France ? Quid de la nomination à leur tête d’un personnel du culte non formé selon les exigences d’une République à la fois laïque et respectueuse de la pratique des cultes ? Quid des moyens à mettre en œuvre pour tenter d’endiguer les orientations radicales de certaines d’entre elles ?
Selon le sondage TNS-SOFRES déjà cité, 59 % des élus seraient défavorables au financement public des nouveaux lieux de culte au nom du respect de la loi actuelle, du devoir de neutralité, de la défense de l’intérêt général, de l’état des finances publiques locales et de l’existence de mesures et d’aides alternatives, comme le bail emphytéotique, la location de salle, le prêt temporaire de salle ou de terrain.
L’étude comparée de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie, du Royaume-Uni et de la Turquie, qui a précédé ce rapport, fait apparaître, à côté de l’affirmation du principe général de liberté religieuse, une modulation intéressante des types d’intervention publique dans les questions relatives aux lieux de culte, une modulation qui pourrait utilement alimenter et orienter notre réflexion.
Par ailleurs, la France compte actuellement 2 450 mosquées, contre seulement 1 600 en 2004. Cette évolution est sensible, surtout dans les grands bassins de population et en majorité dans la région parisienne : 64 % de ces mosquées auraient une surface inférieure à 150 mètres carrés. Dans l’écrasante majorité des cas, il ne s’agit nullement de mosquées-cathédrales visibles, mais plutôt de lieux de culte de proximité, et j’insiste sur ce point.
Contrairement à ce qui est souvent répété et diffusé pour faire peur, si on lit ce sondage, on voit que ce sont bien les dons des fidèles et non des pays musulmans qui subventionnent le plus grand nombre de mosquées. L’argument contraire n’est donc pas fondé et relève du pur préjugé.
Il n’en est pas moins urgent, ne serait-ce que pour accueillir tous ces jeunes Français retournant à l’islam, de voir le nombre de ces mosquées augmenter et les imams être formés à la théologie, aux valeurs de la République et au prêche en français, capables de concurrencer efficacement, si possible, les soi-disant « prédicateurs » radicaux et les sites internet.
Une vraie réorganisation de l’islam français ne fera pas l’économie de la construction de mosquées. En effet, la mosquée n’est pas seulement un lieu de culte, elle est bien un lieu de socialisation indispensable à l’édification, pour tous ces jeunes, d’un avenir religieux pleinement compatible avec leur citoyenneté française ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme la présidente. En accord avec M. Le Scouarnec, la parole à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, de remercier M. Le Scouarnec d’avoir bien voulu accepter que je m’exprime avant lui. Il me rend service, car je suis attendu pour une série d’auditions décalées.
Je voudrais adresser un autre remerciement à l’intention de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, notamment à son rapporteur, M. Hervé Maurey. La première a initié ce rapport d’information sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, le second l’a rédigé. Ce rapport est très important. Outre sa pertinence, je tiens, comme les intervenants précédents, à en souligner la qualité, cher Hervé Maurey.
Beaucoup de choses ont été dites dans ce débat et je ne souhaite pas les répéter. Je veux simplement insister sur certains aspects qui ont particulièrement retenu mon attention, d’une part, en qualité de parlementaire alsacien attaché, comme il se doit, à la pérennité du droit local alsacien-mosellan et, d’autre part, en qualité d’ancien coprésident, avec ma collègue Nathalie Goulet, de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.
En qualité de parlementaire alsacien, permettez-moi tout d’abord de saluer la précision des connaissances du rapporteur sur la législation particulière en vigueur dans les territoires d’Alsace-Moselle en matière de droit des cultes. Il n’est pas si fréquent, mes chers collègues, qu’un parlementaire non originaire de ces territoires s’approprie à ce point la connaissance du droit local !
Vous ne vous êtes pas limité, monsieur le rapporteur, à relever que le droit local des cultes en Alsace-Moselle autorise le financement des cultes par les collectivités territoriales, puisque la loi de 1905 ne s’y applique pas. Vous avez également souligné que « la législation particulière en vigueur dans les territoires d’Alsace-Moselle permet la prise en compte équitable des communautés religieuses », qu’il s’agisse des cultes dits « statutaires » ou « reconnus » – catholique, réformé, luthérien et juif – ou des cultes non statutaires – évangélique, musulman, bouddhiste.
Dernière observation, remarquable au sens étymologique du mot, vous avez mentionné que la délégation avait pu constater « une absence de remise en cause du statut local des cultes en Alsace-Moselle ». Vous dites même que « cette spécificité du droit local en matière de financement des lieux de culte apparaît en effet aujourd’hui comme une condition essentielle du vivre ensemble dans ces territoires ». De fait, mes chers collègues, telle est bien la réalité sur le terrain !
Je me permets tout au plus de préciser que ce n’est pas tant la spécificité du financement des lieux de culte qui constitue, chez nous, cette condition du vivre ensemble, mais bien la législation cultuelle dans sa globalité, incluant notamment le statut scolaire global. En effet, comme vous le savez, des cours d’enseignement religieux sont obligatoirement proposés dans les écoles, les collèges et les lycées publics de nos trois départements. Même si les possibilités de dispense sont largement utilisées, comme le souligne le rapport, il n’en demeure pas moins que cet enseignement contribue à l’enracinement des valeurs de tolérance et de respect d’autrui que l’on trouve en Alsace et en Moselle.
Au moment où, après les événements tragiques de ce début d’année, les tensions communautaires traversent la société française, je voudrais redire ici qu’il est indispensable que la spécificité de la vie religieuse en Alsace-Moselle soit scrupuleusement respectée et maintenue. C’est pourquoi je n’hésite pas à dire haut et fort mon hostilité personnelle, que partage, j’en suis persuadé, une grande majorité d’Alsaciens, au récent avis formulé par l’Observatoire de la laïcité sur le régime des cultes en Alsace-Moselle.
Selon cet avis, la participation aux cours de religion ne devrait être qu’une simple démarche, réservée à ceux qui en auraient envie.
Mme Jacqueline Gourault. Comme pour le latin et le grec !
M. André Reichardt. À l’instar des plus hautes autorités des cultes statutaires, je voudrais affirmer ici qu’il n’est pire danger, dans le contexte actuel, que l’inculture religieuse et la relégation de la religion dans la sphère privée.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. André Reichardt. L’enseignement religieux joue un rôle très important dans l’apprentissage et la compréhension du monde. J’en veux pour preuve le constat dressé par la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes s’agissant d’un lycée situé dans un quartier sensible de la banlieue de Strasbourg : après les événements du 7 janvier, il n’y a eu aucune difficulté à faire respecter la minute de silence par les 1 400 élèves concernés, parce que, selon le proviseur de ce lycée, ceux-ci ont le loisir d’échanger sur le fait religieux dans les cours qui lui sont consacrés tout au long de l’année.
Ce rappel me permet une transition avec les observations que je souhaitais exprimer en qualité de coprésident de la commission d’enquête. Je tiens à affirmer mon plein accord avec le constat fait de l’opacité qui prévaut concernant la provenance des fonds destinés à la construction d’édifices cultuels, principalement des mosquées. Je suis aussi en accord, monsieur le rapporteur, avec la recommandation visant à obliger tout maître d’ouvrage à présenter un plan de financement certifié lors de la construction d’un édifice cultuel.
Pour ma part, j’irais encore plus loin en me référant à la contribution que le groupe Les Républicains avait produite avec l’UDI en annexe du rapport de la commission d’enquête : nous demandions que les financements des États étrangers transitent effectivement et obligatoirement par la Fondation des œuvres de l’islam de France, créée en 2005 comme un outil pour la construction des lieux de culte musulman.