Mme la présidente. L'amendement n° 139 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 57
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Il garantit à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement un accès direct, complet et permanent aux renseignements collectés.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’une question importante. En effet, l’article L. 822-1 du code de la sécurité intérieure confie au Premier ministre le soin d’organiser la traçabilité de l’exécution des techniques de renseignement autorisées et de définir les modalités de la centralisation des renseignements collectés.
Le présent amendement vise à prolonger les missions du Premier ministre afin d’éviter tout recul par rapport à la législation existante, qui garantit à la CNCIS un accès direct et permanent aux données collectées.
Je sais que plusieurs personnes, qui ont déjà été citées, considèrent que la centralisation des données constitue une garantie solide au regard de l’effectivité du contrôle.
Nous nous sommes enquis de cette question auprès de différents interlocuteurs, et nous avons eu l’occasion d’en parler avec vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur. Vous avez fait valoir que l’état actuel des nombreuses et complexes techniques de renseignement rendait peut-être difficile d’envisager la centralisation en un seul lieu de l’ensemble des données, comme cela est fait aujourd’hui sous l’autorité du groupement interministériel de contrôle, le GIC.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons élaboré cet amendement pour prendre en compte cette réalité. Nous comprenons tout à fait qu’on ne puisse centraliser un grand nombre de données qui, par nature, sont diverses et dispersées.
Toutefois, si cela est bien le cas, il nous apparaît absolument nécessaire d’inscrire noir sur blanc dans la loi que la CNCTR dispose d’un accès direct, complet et permanent aux données collectées, c’est-à-dire sans intermédiaire, exhaustif et 365 jours par an, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Nous avons déjà eu ce débat en commission. Vous avez alors considéré, monsieur le rapporteur, qu’au moins deux de ces adjectifs figuraient déjà dans le texte. Je voudrais avoir l’assurance que le troisième, à savoir « complet », y figure aussi. Si tel n’était pas le cas, il faudrait à mes yeux l’introduire. En effet, il est très important, pour la garantie de l’effectivité du contrôle, que la CNCTR puisse disposer d’un accès direct, complet et permanent aux données collectées.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 51.
Quant à l’amendement n° 139 rectifié, monsieur Sueur, la CNCTR est dotée de presque tous les pouvoirs que vous voulez lui donner, mais ils sont prévus à l’alinéa 118, aux termes duquel cette instance dispose d’un accès permanent et direct à l’ensemble des informations recueillies. Je suis tout à fait d’accord pour ajouter, par voie d’amendement, l’adjectif « complet », mais à cet alinéa 118, et non après l’alinéa 57, comme vous le proposez. Le début de l’alinéa 118 sera alors ainsi rédigé : « 2° Dispose d’un accès permanent, complet et direct aux relevés,… »
Au bénéfice de cet engagement, peut-être accepterez-vous de retirer votre amendement, mon cher collègue ?
Mme la présidente. Monsieur Sueur, l’amendement n° 139 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je fais confiance à M. le rapporteur et je retire l’amendement. Il est à nos yeux essentiel que l’adjectif « complet » figure également dans la loi.
Mme la présidente. L'amendement n° 139 rectifié est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 51 ?
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 52 rectifié, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 59 à 62
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 822-2. – I. – Les renseignements collectés par la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement autorisée en application du chapitre Ier du présent titre sont détruits à l’issue d’une durée de trente jours à compter de leur recueil et dans un délai maximal de trois mois après leur première exploitation.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La question de la durée de conservation des renseignements collectés dans le cadre de l’exécution d’une technique de renseignement est l’un des nombreux points sensibles de ce texte.
Cette question ne doit pas être examinée du seul point de vue technique et opérationnel des services. Il convient d’abord de prendre en considération les atteintes qui pourraient être portées au respect de la vie privée et aux droits et libertés fondamentaux de nos concitoyens.
Les renseignements collectés peuvent être de nature diverse, et on pourrait être enclin à leur appliquer un régime particulier en fonction de considérations techniques liées à leur forme ou aux moyens nécessaires à leur obtention. Cela aboutirait donc à établir un régime différencié selon la technique concernée.
Il est vrai, par exemple, que les interceptions de communications, les données de connexion, les captations d’images ou les données informatiques ne sont pas obtenues de la même façon ni par les mêmes moyens. Mais il n’en reste pas moins que, quels que soient leur nature et leur mode d’obtention, il s’agit toujours de renseignements d’ordre privé.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons fixer par la loi, et non par décret, comme cela était prévu dans le projet de loi initial, heureusement modifié par l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat, un régime unique de durée de conservation pour l’ensemble des cas de figure : les données devraient être détruites à l’issue d’une période de trente jours à compter de leur collecte et dans un délai maximal de trois mois après leur première exploitation.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 72 rectifié bis est présenté par M. Hyest.
L'amendement n° 141 rectifié est présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Alinéa 60
Remplacer le mot :
Trente
par le mot :
Dix
II. - Alinéa 61
Remplacer les mots :
Six mois
par les mots :
Quatre-vingt-dix jours
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 72 rectifié bis.
M. Jean-Jacques Hyest. La question des délais de conservation des données n’est pas nouvelle. Le Gouvernement avait pensé l’esquiver, en renvoyant à un décret…
Lors de l’élaboration de la loi de 1991, le Gouvernement avait proposé que les enregistrements réalisés à l’occasion des interceptions de sécurité soient détruits à l’expiration d’un délai de trente jours ; le Parlement a décidé de fixer le délai à dix jours.
Le Gouvernement a formulé la même proposition à l’occasion de la discussion de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Nous avons eu un débat de fond sur ce point. Pourquoi pas trois mois, six mois, cinq ans, tant qu’on y est ? Plus le délai est long, mieux c’est, semble-t-il…
Comme je l’ai déjà indiqué, la restriction de la durée d’utilisation des données collectées fait partie des garanties offertes aux citoyens. Si les données ne sont pas exploitées, il ne sert à rien de les conserver indéfiniment. On nous objecte que l’on manque de traducteurs, de ceci ou de cela… Or le dispositif, avec un délai de dix jours, fonctionne sans problème depuis 1991. Pourquoi porterait-on aujourd'hui le délai à trente jours ?
L’Assemblée nationale a accepté la durée de trente jours, bien sûr ! Les services de renseignement ont de la mémoire et de la persévérance : tout le monde finit par se laisser convaincre ! Mais moi, j’ai encore plus de mémoire qu’eux ! C’est un amendement que j’avais déposé, en 1991, qui a fixé le délai à dix jours. Cela fonctionne très bien ainsi depuis cette date : pourquoi donc changer ? Quels arguments pouvez-vous avancer, monsieur le ministre, alors même que l’on va octroyer plus de moyens aux services de renseignement ? Je ne comprends pas cette position du Gouvernement, l’étude d’impact n’expliquant rien.
Du moins est-il heureux, monsieur le rapporteur, que nous ayons prévu que le délai courra à partir du recueil des données, et non de leur première exploitation ! (M. le rapporteur opine.) Sinon, nous étions complètement refaits ! Il est même incroyable que l’on ait osé proposer de prendre pour point de départ la première exploitation des renseignements !
Pour toutes ces raisons, la Haute Assemblée s’honorerait de maintenir, en dépit des sollicitations, la position qui est la sienne depuis de très nombreuses années. Il s’agit là d’une question importante ! Si les données sont conservées indéfiniment après leur première exploitation, on ne pourra jamais être sûr qu’elles ne serviront pas à d’autres fins.
Limiter strictement les délais de conservation des données constitue une garantie fondamentale pour les citoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 141 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Que l’on me permette de faire observer que, en fait, la position de M. Hyest a évolué sur cette question des délais. En effet, concernant les métadonnées, notre collègue avait d’abord déposé un amendement visant à faire passer le délai de trois ans à deux ans, avant d’en revenir à trois ans, ce qui correspondait à la position du groupe socialiste.
Je me souviens moi aussi de la loi de 1991 : j’avais l’honneur d’appartenir au gouvernement de l’époque, en tant que secrétaire d’État. Je me souviens également des débats sur la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, dont Jean-Jacques Hyest et Alain Richard furent les corapporteurs.
Nous sommes bien sûr très attentifs à cette question sensible du délai de conservation des données. Nous écouterons avec intérêt les explications de M. le ministre. Nous nous trouvons dans l’état d’esprit de parlementaires désireux d’aboutir en commission mixte paritaire, ce qui suppose l’adoption de solutions acceptables par les uns et les autres…
Mme la présidente. L'amendement n° 142 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mme Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 60
Remplacer le mot :
Trente
par le mot :
Vingt
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’un amendement de repli.
Mme la présidente. L'amendement n° 55, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 60, 61 et 62
Remplacer les mots :
de leur recueil
par les mots :
de la première exploitation et dans un délai maximal de trois mois après leur recueil
La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Nous avons précédemment proposé une unification des régimes de conservation, quelles que soient les données ou les informations traitées.
Cependant, le caractère exceptionnel des mesures de surveillance, dont la mise en œuvre aboutit à la collecte de renseignements très divers, nécessite et justifie aussi que l’on prévoie des durées de conservation raisonnables. Nous entendons par là que les services doivent pouvoir accomplir efficacement leur travail, mais que les citoyens doivent eux avoir la garantie que les renseignements les concernant ne soient pas conservés pendant une durée excessive.
L’une des difficultés, pour définir cette durée de conservation, tient évidemment à la fixation d’un point de départ. Pour notre part, nous pensons qu’il serait judicieux d’établir à trente jours la limite de conservation des renseignements après leur première exploitation, afin d’inciter les services à utiliser le plus rapidement possible les renseignements collectés.
En effet, comme l’a très justement fait remarquer l’un de nos collègues, dans un domaine où la réactivité est primordiale, un renseignement qui n’est pas traité rapidement se périme. En revanche, il ne sert à rien de conserver des données inexploitées, sauf, éventuellement, à les accumuler pour les utiliser à d’autres fins. C’est pourquoi il convient également de fixer une limite de temps à partir de la date de la collecte.
Une telle disposition pourrait inciter les services à ne pas conserver trop longtemps des données inexploitées ou insuffisamment exploitées. Dans ce cas, la durée de conservation ne pourrait excéder trois mois.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 52 rectifié.
Concernant les amendements identiques nos 72 rectifié bis et 141 rectifié, je dois rendre compte des réflexions de la commission.
La commission est unanime à considérer que le délai de conservation des données doit être aussi court que possible, s’agissant de procédures dérogatoires au droit commun, qui portent atteinte au secret de la vie privée et, éventuellement, à un certain nombre de libertés. C'est la raison pour laquelle la commission a veillé à ce que le délai courre non pas à partir de l’exploitation des informations, qui peut avoir lieu plusieurs semaines après leur collecte, mais à compter de cette dernière, ce qui permet de fixer un point de départ certain. C’est un élément très important.
Par ailleurs, la commission a raccourci un certain nombre de délais par rapport à ce que prévoyait le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Il faut observer que si l’exploitation des données tarde, cela donne le sentiment que la demande d’autorisation de les recueillir n’était pas aussi justifiée que l’on pouvait le croire.
Cela étant, qui peut dire, dans l’absolu, quel est le délai idéal ? En ce qui me concerne, je ne me sens pas totalement qualifié pour affirmer sans hésitation qu’il convient de fixer le délai de conservation à dix, vingt ou trente jours. De ce point de vue, il est essentiel que le Gouvernement nous donne son propre sentiment sur les conditions matérielles devant être réunies pour exploiter les données, tout en sachant que la commission souhaite que les délais soient aussi courts que possible. Nous attendons donc d’entendre l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 72 rectifié bis, 141 rectifié et 142 rectifié.
Enfin, la commission est défavorable à l’amendement n° 55.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous touchons là à une question extrêmement importante où des préoccupations de natures différentes semblent s’opposer les unes aux autres et nourrissent le débat.
Certains sénateurs, comme Jean-Jacques Hyest ou Jean-Pierre Sueur, ainsi que ceux qui – j’en suis convaincu – les rejoignent dans cette argumentation, considèrent que la durée de conservation des interceptions de sécurité et autres données de connexion constitue un élément de la protection des libertés. Le raisonnement développé par Jean-Jacques Hyest et Jean-Pierre Sueur, deux sénateurs qui connaissent bien ces sujets, repose sur une argumentation assez simple : plus la durée de conservation des interceptions de sécurité est courte, plus la protection des libertés individuelles est garantie.
Si cette argumentation a sa propre cohérence, son propre sens et sa propre force, elle se heurte cependant à quelques problèmes concrets, qui résultent de la véritable nature de l’activité opérationnelle des services de renseignement, qui font face à un niveau de menace très élevé. Pour illustrer cette confrontation, j’évoquerai des situations qui montrent que la question de la durée de conservation ne peut être appréhendée au travers du seul prisme des amendements en discussion. D’autres considérations entrent, aujourd’hui, en ligne de compte.
Ainsi, au cours d’enquêtes judiciarisées, nous avons constaté que des individus, empêchés de commettre les actes funestes auxquels ils se préparaient, et qui en apparence agissaient seuls, ont en réalité bénéficié de l’aide d’un ensemble de complices qui, tout en participant à des opérations à caractère terroriste, n’étaient pas toujours tous conscients de la nature des actions auxquelles ils participaient.
Sans en révéler le contenu, je prendrai l’exemple de l’une de ces enquêtes, en évoquant uniquement les éléments déjà rendus publics : dans l’affaire concernant M. Coulibaly, nous savons que des complices ont été mobilisés pour procéder, d’abord, à l’achat et à la vente de véhicules, puis avec l’argent obtenu à l’achat et à la vente d’armes. Or ces individus présents dans l’entourage de M. Coulibaly n’avaient pas nécessairement conscience qu’en se livrant à de tels trafics ils contribuaient à l’accomplissement d’un acte terroriste.
De surcroît, les services de renseignement sont parfois confrontés à des situations où les interceptions de sécurité concernent des communications dans une langue rare, ce qui entraîne, tout d’abord, la mobilisation de moyens de traduction importants. Cela implique, ensuite, que la traduction puisse faire l’objet d’interprétations complexes, notamment lorsque sont utilisées des données cryptées. Par ailleurs, des interceptions ultérieures peuvent révéler d’autres éléments nécessitant que l’on revienne sur le contenu de l’interception initiale.
De telles enquêtes sont très souvent complexes à traiter, y compris en matière de police administrative, de sorte que si l’on réduisait le délai de conservation des interceptions de sécurité, comme vous le proposez, la perte en ligne opérationnelle serait très significative !
J’ai déjà développé cette argumentation, de façon extrêmement précise, à l’occasion de l’examen de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, alors que le Parlement, fidèle aux propos que Jean-Jacques Hyest avait développés en 1991, a tenu – en particulier, Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, je m’en souviens – le même discours qu’aujourd’hui.
Or, depuis cette date, j’ai constaté qu’à côté de ces principes il y avait une réalité !
M. Roger Karoutchi. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. En acceptant le principe d’une durée de conservation de trente jours, le Conseil d’État a cherché à rendre compatibles les principes et la réalité. Cela correspond à notre démarche !
Considérons que le délai de trente jours, non pas à compter de l’exploitation des données, mais de leur recueil,…
M. Jean-Jacques Hyest. Il s’agit d’une nuance tout de même importante !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Hyest, je vais être très clair à ce sujet : nous sommes favorables à un délai de trente jours à compter du recueil des interceptions et non de leur exploitation !
Je propose que nous retenions cette durée-là, parce qu’elle est de nature à protéger les individus – le Conseil d’État a d’ailleurs considéré qu’il s’agissait d’une durée satisfaisante – et à nous permettre d’accomplir correctement notre travail. En effet, depuis 1991, le travail de renseignement a beaucoup évolué et le niveau de menace est désormais très élevé.
Par ailleurs, je suis convaincu que si nous ne retenions pas une telle durée, nous nous retrouverions dans des situations qui poseraient problème. Il serait alors trop tard ! Dans cette hypothèse, on dira que le Parlement, lorsqu’il a eu à trancher le sujet de la conservation des données, a agi dans un sens qui n’était pas nécessairement le bon !
Pour autant, comme je l’ai souligné, je reconnais la pertinence de la question que vous soulevez. C’est pourquoi je m’efforce d’y répondre avec précision. Il faut, en effet, faire attention, car il s’agit d’un problème délicat.
Il en est ainsi également pour les autres durées de conservation, comme celle relative aux contenus, images ou fichiers, ou encore celle concernant les données de connexion. Pour cette dernière, alors que le projet de loi initial prévoyait un délai de conservation de cinq ans, la commission souhaiterait qu’il s’établisse à trois ans et le Gouvernement préfèrerait qu’il soit de quatre ans. Sans entrer de nouveau dans le détail des différents délais de conservation, il est important de trouver le bon équilibre !
En définitive, compte tenu du raisonnement que je viens de développer, qui consiste à montrer que les principes et les contraintes opérationnelles doivent être conciliés pour trouver une durée adéquate de conservation des interceptions, je ne peux être favorable à ces amendements. J’ajoute, dans l’hypothèse où vous retiendriez une durée de dix jours, que les difficultés seraient grandes ! Je préfère donc en alerter le Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Il est assez rare que je prenne la parole dans cet hémicycle pour soutenir le Gouvernement. Toutefois, dans le cas qui nous intéresse, je suis un peu sceptique face aux interventions de mes collègues.
Monsieur le ministre, j’ai eu l’occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises au début de l’année, à la suite des événements qui ont frappé notre pays. Considérer et continuer d’affirmer dans cet hémicycle que nous nous trouvons dans une situation normale, semblable à celle que l’on connaissait il y a sept ou huit mois, en novembre 2014, lorsque se sont déroulés les débats au Sénat sur la loi relative au terrorisme, ou à celle que nous connaissions il y a plus de vingt ans – pardonnez-moi, monsieur Hyest –, n’est pas juste ! Nous sommes dans une situation d’exception !
On ne peut pas écouter le Premier ministre et les divers dirigeants politiques de gauche ou de droite déclarer que la France est en guerre, puis dire au ministre chargé d’assurer la sécurité du pays : tant pis s’il y a un problème après le délai de dix jours, par exemple le douzième ou le quinzième jour !
Si je reconnais – et je le dis volontiers à M. Hyest – que fixer le délai de conservation des interceptions de sécurité à compter de leur exploitation pose un problème, car un temps extrêmement long – plusieurs mois peut-être – peut s’écouler entre le recueil des données et leur exploitation, je crois, en revanche, que le délai de trente jours est raisonnable ! Le Conseil d’État l’accepte d’ailleurs…
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. Roger Karoutchi. Mais si, monsieur Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest. On n’a pas demandé l’avis du Conseil d’État !
M. Roger Karoutchi. Si, le Conseil d’État l’accepte, et je ne doute pas qu’il soit plus sévère que nous ! Les parlementaires détiennent désormais une véritable responsabilité politique sur le sujet !
Je ne suis pas un soutien du Gouvernement, mais je me vois mal dire à nos services de renseignement que si leur enquête n’a pas abouti au bout de dix jours, c’est bien dommage pour eux, qu’on va supprimer les interceptions et que si un problème survient le quinzième ou le vingtième jour, ils seront responsables !
De deux choses l'une : soit nous considérons que toute la nation est mobilisée et, en conséquence, nous faisons confiance aux institutions de la République pour nous défendre ; soit nous continuons à mettre en place un système qui crée des difficultés et nous met en danger ! Dans la deuxième hypothèse, on aura beau jeu d’affirmer que l’on a défendu la République ! Mais quelle République ? Qui la menace en vérité ? S’agit-il des institutions qui ont besoin de trente jours pour exploiter des données ou de ceux qui commettent des attentats ? N’inversons pas les rôles en chargeant ceux qui défendent la République plutôt que ceux qui la mettent en cause !
Je ne voterai donc pas en faveur d’amendements qui tendent à réduire le délai de conservation des interceptions de sécurité à dix jours.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les propos de M. Karoutchi correspondent à la nature de la menace qui pèse sur la République. Nous avons déjà eu ce débat hier. Je le répète : les services de renseignement ne sont pas des services entièrement à part, mais sont des services à part entière, ceux qui les composent sont habités de la volonté de protéger les Français, et nous nous situons à un niveau élevé de menace.
Monsieur Jean-Jacques Hyest, le délai de conservation de trente jours fixé pour les interceptions de sécurité a bien été considéré par le Conseil d’État comme tout à fait conforme aux principes de notre droit, dans la mesure où ce délai figurait dans le texte initial du Gouvernement, lui-même soumis au Conseil d’État et validé par celui-ci.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l’amendement n° 52 rectifié.
Mme Nathalie Goulet. Certes, le débat est légitime. Je soutiendrai cependant le Gouvernement sur cette question. Nous avons vu à de très nombreuses reprises, lors d’enquêtes récentes, et des plus douloureuses, que les choses sont rarement simples.
Dès lors que le délai de trente jours court à compter du recueil et non de l’exploitation des communications, on évite une perte de temps en ligne, puisque disparaît ainsi le délai qui sépare le moment de la collecte et le moment de l’exploitation.
En l’état, le délai de trente jours à compter du recueil des interceptions me semble raisonnable, d’autant que les événements qui ont concerné la France récemment ont montré que nous n’avons pas nécessairement affaire à des loups solitaires. Il importe, par conséquent, de pouvoir recouper et conserver les données.
J’ai écouté attentivement notre collègue Roger Karoutchi : évidemment, on peut être sensible à l’idée d’un raccourcissement du délai, mais la réalité nous conduit à maintenir le délai de trente jours, afin de tenir compte, notamment, du problème des communications dans une langue rare et du temps nécessaire pour exploiter l’intégralité des données. Il est important de garantir davantage de sécurité à une époque où, reconnaissons-le, nous en manquons un peu.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Sans entrer dans une polémique avec le ministre, le projet de loi initial renvoyait la durée de conservation des interceptions de sécurité et des données de connexion à un décret en Conseil d’État, afin d’éviter tout débat !
Mes chers collègues, on mélange deux choses : l’exploitation des renseignements et la durée d’autorisation. Une personne peut parfaitement être écoutée pendant quatre mois ! Ici, il n’est question que de l’exploitation des productions. L’exemple du ministre n’est pas approprié. Dans l’affaire Coulibaly, nous n’avons appris les faits que lors de l’enquête judiciaire et non grâce au travail des services de renseignement ! Autrement, les attentats auraient peut-être pu être évités !
Quoi qu’il en soit, la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, a gagné, je retire mon amendement ! (Exclamations.)