M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme la présidente. L'amendement n° 138 rectifié, présenté par MM. Raynal, Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 49, dernière phrase
Remplacer les mots :
raisons sérieuses
par les mots :
indices graves et concordants permettant
La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle. (M. Jean-Jacques Hyest proteste.)
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas seulement rédactionnel !
M. Claude Raynal. Il s’agit d’aligner la rédaction du texte sur la terminologie ayant cours en matière de fichage policier.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a longuement délibéré sur chacun de ces amendements.
S’agissant de l’amendement n° 80 rectifié, elle a parfaitement compris la nécessité d’apporter des protections à un certain nombre de professions. Elle a aussi compris tout l’intérêt que M. Mézard porte, à juste titre, à la profession d’avocat, ainsi qu’à un certain nombre d’autres qui concourent à la protection des libertés publiques. C’est le cas, en démocratie, de la profession de journaliste ou, bien entendu, de la fonction de parlementaire ; il n’est nul besoin de s’étendre sur ce point.
L’objet de cet amendement est d’empêcher, même dans le cas où l’on aurait de sérieuses raisons de croire que la personne agit aux ordres d’une puissance étrangère ou dans le cadre d’un groupe terroriste, la mise en œuvre des procédures d’urgence. Dans un tel cas, même dans une situation d’urgence, on interdirait donc par principe la mise en œuvre de la technique de renseignement. En effet, celle-ci deviendrait tout simplement impossible à appliquer si on laissait passer les quelques minutes ou l’heure qui offrent l’occasion de mettre en place la surveillance. Une telle proposition ne peut que susciter l’inquiétude.
Pour que l’article L. 821-5-1 puisse s’appliquer dans le cas où sont concernées des personnes appartenant aux catégories visées, qui doivent effectivement être spécialement protégées en raison de leur fonction ou de leur métier, il faudra qu’existent des raisons sérieuses de croire que la personne agit aux ordres d’une puissance étrangère, ou dans le cadre d’un groupe terroriste ou d’une organisation criminelle : ce niveau d’exigence très élevé constitue une garantie, d’autant que le contrôle de légalité par la CNCTR pourra s’exercer dans des conditions très ouvertes. C’est pourquoi on ne doit tout de même pas exclure a priori la possibilité de mettre en œuvre une technique de renseignement, sauf à refuser à l’autorité chargée d’assurer la protection des Français les moyens de remplir sa mission.
Au bénéfice de ces arguments et de ceux que Mme la garde des sceaux ne manquera sans doute pas d’invoquer, je sollicite le retrait de cet amendement : les professions et la fonction en question doivent être protégées, mais il faut également protéger les intérêts publics susceptibles d’être menacés par des personnes dont on aurait tout lieu de croire qu’elles sont à la solde d’une puissance étrangère.
Concernant l’amendement n° 138 rectifié, monsieur Raynal, l’expression « indices graves et concordants » appartient à la terminologie du code de procédure pénale.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Philippe Bas, rapporteur. Quand un crime ou un délit a été commis et que l’on peut établir des « indices graves et concordants » de la culpabilité d’un individu, celui-ci peut être déféré devant le tribunal, jugé et condamné le cas échéant.
Or, en l’occurrence, nous sommes dans une perspective non pas répressive, mais préventive. Il ne peut y avoir d’indices graves et concordants, puisque aucun crime ou délit n’a été commis : il s’agit précisément d’éviter la commission de tels actes. Le tout est de savoir si cette action de prévention est justifiée. Dans cette optique, l’expression « raisons sérieuses » est plus adaptée.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, mon cher collègue.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mézard, vous me cherchez querelle au sujet du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (Sourires.),…
Mme Éliane Assassi. Mais non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais vous êtes un parlementaire et un président de groupe trop avisé pour ignorer qu’un travail extrêmement important est effectué en amont des débats en séance publique, l’essentiel étant la qualité du texte établi. Or, en la matière, il ne me semble pas que vous ayez de griefs à exprimer envers la Chancellerie.
M. Jacques Mézard. Bien au contraire !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Merci, monsieur Mézard ! Même si vous les chuchotez, ces mots figureront au Journal officiel. (Sourires.)
Vous avez d’autant moins de raisons de me chercher querelle que le Gouvernement, contrairement à la commission, est favorable à l’amendement n° 80 rectifié. Cette disposition est conforme à l’esprit des mesures introduites par le Gouvernement, à l’Assemblée nationale, au sujet de la réunion en formation plénière de la CNCTR pour émettre son avis. Il convient d’apporter toutes garanties en vue de protéger ces professions. Hier, la Haute Assemblée a d’ailleurs adopté, à l’article 3, un amendement du Gouvernement relevant de la même logique.
Concernant l’amendement n° 138 rectifié, je confirme que l’expression « raisons sérieuses » relève de la terminologie classique en matière de police administrative. (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.) Elle implique que les faits soient non pas établis, mais hautement probables. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote sur l’amendement n° 80 rectifié.
M. Jacques Mézard. Madame le garde des sceaux, je ne vous ai nullement cherché querelle ! Je sais avec quelle conviction vous défendez les libertés individuelles, ce dont je suis heureux à la fois pour vous et pour la démocratie. À cet égard, je me réjouis que vous émettiez un avis favorable sur cet excellent amendement. (Sourires.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Avec un tel auteur, il ne pouvait qu’être excellent ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Il faut éviter toute confusion entre police administrative et police judiciaire.
Par ailleurs, en ce qui concerne les parlementaires ou les avocats, les situations évoquées sont hautement hypothétiques, d’autant qu’il est question de recherches menées sur la base de présomptions. Il ne faudrait pas en venir à soupçonner qu’un parlementaire est influencé par une puissance étrangère au motif qu’il appartient à tel ou tel groupe d’amitié… Cet exemple est caricatural, je le reconnais.
Pendant la Grande Guerre, certes, des parlementaires ont pu être inquiétés, en vertu de textes qui n’avaient rien à voir avec ceux que nous connaissons. Le président Clemenceau a subi la censure, qu’il a refusé ensuite d’utiliser, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre d’éminents parlementaires, y compris des membres de son groupe.
Pour autant, que l’on puisse considérer acceptable de recourir à des techniques de renseignement à l’encontre de parlementaires ou d’avocats dans le cadre d’une procédure d’urgence, sur la base de simples supputations, me choque profondément. Il existe, dans notre tradition républicaine, des principes fondamentaux qu’il convient de respecter.
Je me réjouis donc, madame le garde des sceaux, de vous entendre exprimer en ces termes la position du Gouvernement. On ne peut opposer les libertés individuelles à la protection de nos concitoyens, pour des situations qui, je le répète, me semblent essentiellement hypothétiques.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères a longuement débattu de cette question.
Je comprends tout à fait vos remarques, monsieur Mézard, au sujet des parlementaires, même si j’ai personnellement été confronté, lorsque j’étais Premier ministre, à un problème de cet ordre, dans des circonstances difficiles.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Ces faits relèvent du passé, mais dès lors que l’on inscrit, dans un texte de loi de la République française, que certaines professions ou fonctions sont protégées, on envoie un message à des pays étrangers qui peuvent voir quel parti tirer de ces protections. Certains éléments permettent de nourrir des suspicions…
Ce texte, dans son ensemble, est extrêmement protecteur. Cette règle générale connaît deux exceptions importantes, prévues respectivement aux alinéas 47 et 49 : en cas d’« urgence liée à une menace imminente » ou de « raisons sérieuses de croire que la personne visée agit aux ordres d’une puissance étrangère, ou dans le cadre d’un groupe terroriste ou d’une organisation criminelle », il est possible de recourir, à titre exceptionnel, à la procédure d’urgence pour la mise en œuvre de deux techniques de renseignement, à savoir la balise et l’IMSI catcher. Je ne conçois pas que l’on emploie ces dispositifs à l’encontre d’un journaliste, d’un avocat, d’un magistrat ou d’un parlementaire en dehors des deux situations que je viens de rappeler.
Certaines professions doivent certes être protégées, mais nous ne vivons pas dans un monde de bisounours ! Il nous faut signifier clairement que la France est déterminée à se défendre, y compris en recourant à une voie doublement exceptionnelle, sur le plan des procédures et des techniques mises en œuvre, contre les puissances étrangères qui voudraient tirer parti des protections offertes par sa législation pour porter atteinte ses intérêts.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Compte tenu des explications fournies par M. le rapporteur et Mme la garde des sceaux, je retire l’amendement n° 138 rectifié, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 138 rectifié est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’amendement n° 80 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la garde des sceaux, il y a quelque temps, le Sénat a adopté en première lecture un projet de loi relatif à la protection des sources des journalistes. Il me semble que l’Assemblée nationale tarde à débattre de ce texte. Pouvez-vous nous indiquer à quelle date le Gouvernement compte inscrire son examen à l’ordre du jour ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Sueur, le projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes a été présenté en conseil des ministres en avril 2013. Il a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale à la fin de cette même année. Certes, sa discussion tarde, mais c’est l’Assemblée nationale qui a la main, eu égard au principe de la séparation des pouvoirs. Le Gouvernement n’a pas l’initiative.
M. Jean-Pierre Sueur. La Constitution lui donne pourtant quelques pouvoirs en la matière…
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À plusieurs reprises, des députés ont appelé de leurs vœux l’inscription de ce texte à l’ordre du jour. Par ailleurs, sur l’initiative de sénateurs, il a été envisagé d’inclure certaines dispositions de ce projet de loi dans un autre véhicule législatif.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 80 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 196 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 332 |
Pour l’adoption | 155 |
Contre | 177 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 75 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 49
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas où la mise en œuvre de techniques de recueil du renseignement mentionnées au titre V du présent livre concerne un avocat, la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement doit informer et auditionner le bâtonnier du barreau du ressort dans lequel exerce ce dernier et obtenir l’autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Par une tradition plus que séculaire – il ne s’agit pas de ces ordres professionnels qui ont été créés au milieu du siècle dernier –, le bâtonnier est informé des actions judiciaires concernant les avocats de son barreau, jouant ainsi un rôle similaire à celui des bureaux des assemblées pour les parlementaires. Cette pratique est inhérente à la manière dont fonctionne la défense dans notre pays.
Avec ce texte, il s’agit de la mise en œuvre de pratiques beaucoup plus intrusives encore. Il me semble dès lors normal de prévoir une information du bâtonnier, qui en fera ensuite ce qu’il voudra. La Haute Assemblée, dans sa sagesse proverbiale, fera ce qu’elle croira devoir faire !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Comme le président Mézard, je suis très attaché à l’épopée révolutionnaire et à la loi des 16 et 24 août 1790, qui a fondé notre organisation en ce qui concerne le contrôle des décisions de l’État.
La légitimité nationale l’a alors emporté sur le principe dynastique, avant que la légitimité démocratique ne vienne la conforter. Ce fut la fin des parlements d’Ancien Régime, qui pouvaient, par leurs jugements, entraver l’action du pouvoir royal. La loi des 16 et 24 août 1790 a interdit à tout magistrat d’entraver l’action publique, celle-ci étant devenue légitime à la suite de la Révolution française.
Aujourd’hui, plus de deux siècles plus tard, notre Constitution continue à appliquer les principes fondés par la Révolution française. Le Conseil constitutionnel a ainsi reconnu comme un principe fondamental des lois de la République le partage de nos juridictions entre celles qui assurent la protection des libertés publiques par le contrôle des actes de la puissance publique – la juridiction administrative, au faîte de laquelle siège le Conseil d’État – et celles qui tranchent des litiges entre particuliers et sanctionnent les crimes et les délits – la justice judiciaire, avec à son sommet la Cour de cassation.
Le contrôle d’un acte de la puissance publique est exercé non par l’autorité judiciaire, mais par la juridiction administrative et le Conseil d’État, sauf, bien sûr, si cet acte constitue un crime ou un délit.
La politique de renseignement se rattache à la prévention de crimes ou de délits et à la protection des intérêts fondamentaux de la nation. Elle ne relève donc pas de la justice judiciaire. L’État de droit français n’est pas l’État de droit américain, auquel il est selon moi largement supérieur, comme le montrent les errements du Patriot Act aux États-Unis. Pourquoi s’obstiner à vouloir recopier des dispositifs incompatibles avec notre ordre constitutionnel en matière de contrôle indépendant des actes de l’autorité publique ?
Le présent amendement, en tendant à prévoir, notamment, que la mise en œuvre d’une prérogative exécutive serait subordonnée à une autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris, est, simplement mais radicalement, inconstitutionnel ! Son adoption créerait un trouble majeur dans la séparation entre les juridictions de l’ordre administratif, qui contrôlent la puissance publique, et les juridictions judiciaires, qui sanctionnent les crimes et délits, notamment.
C’est la raison pour laquelle la commission a rejeté cet amendement sans qu’un long examen soit nécessaire, tant il lui a paru que ces principes étaient solidement établis depuis la Révolution française.
En outre, l’information du bâtonnier en cas d’actions judiciaires visant à rechercher des éléments permettant de punir un crime ou un délit et d’en déterminer les auteurs n’est pas transposable à une procédure administrative tendant à prévenir la commission d’un crime ou d’un délit, et non à en poursuivre les auteurs.
J’ajoute que, comme chacun le sait, le bâtonnier n’est pas lui-même soumis au secret de la défense nationale. Dès lors, comment pourrait-il valablement donner le moindre avis éclairé sur la mise en œuvre d’une technique de renseignement à l’encontre d’un avocat ?
Tout en étant extrêmement soucieux de la protection des avocats, il me semble que l’adoption d’un tel amendement, outre que celui-ci est inconstitutionnel, créerait un obstacle très important à la réalisation de la finalité de prévention d’actes très graves assignée à ce projet de loi.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Concernant l’obtention de l’autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris, il n’existe pas de passerelle concevable entre les dispositions prises pour cette police administrative, d’une part, et une telle intervention d’un chef de juridiction de l’ordre judiciaire, d’autre part.
Par ailleurs, je sais quelles préoccupations vous conduisent à demander l’information du bâtonnier, monsieur Mézard. Le débat sur la participation d’un ou plusieurs bâtonniers à la CNCTR a été engagé, mais il n’a pas vraiment prospéré. L’idée ne me paraît pas si iconoclaste que cela. Nous avons envisagé avec les représentants des ordres qu’un bâtonnier honoraire puisse siéger au sein de la CNCTR. Cette idée n’est pas non plus choquante en soi, mais elle n’est pas mûre. Aura-t-elle le temps de mûrir avant la commission mixte paritaire ? Je ne sais pas.
Nous avons le souci du parallélisme entre les prérogatives de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif, les secondes ne devant pas être inconsidérément supérieures aux premières. Il n’empêche qu’il s’agit vraiment ici de police administrative ; le Gouvernement considère qu’il n’y a pas lieu d’informer le bâtonnier. Comme vient de l’indiquer le rapporteur, ce dernier n’est pas habilité au secret-défense. En revanche, un bâtonnier honoraire siégeant à la CNCTR pourrait recevoir cette habilitation.
En tout état de cause, les résultats du vote par scrutin public qui vient d’intervenir indiquent que le Sénat est partagé sur les moyens de garantir les protections que nous souhaitons apporter aux professions visées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je rectifie l’amendement, en supprimant le membre de phrase suivant : « et obtenir l’autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris ». Je comprends en effet qu’il puisse poser un problème de constitutionnalité.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 75 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, et ainsi libellé :
Après l'alinéa 49
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas où la mise en œuvre de techniques de recueil du renseignement mentionnées au titre V du présent livre concerne un avocat, la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement doit informer et auditionner le bâtonnier du barreau du ressort dans lequel exerce ce dernier.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. En revanche, je maintiens le reste de l’amendement, par principe. Il est normal, en effet, que nous exprimions ici un certain nombre d’inquiétudes. Il ne s’agit pas pour moi de manifester une suspicion généralisée à l’égard de l’administration et de la police administrative, mais je constate que l’on cède chaque jour un peu plus sur des principes importants. Nous assistons tout de même à la victoire de la police administrative : en la matière, tout sera possible !
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. Jacques Mézard. Si, telle est bien la réalité, malgré toutes les grandes déclarations ! La police administrative peut faire bien plus que la police judiciaire. Disant cela, je n’entends pas faire de procès à ceux qui sont souvent de très hauts fonctionnaires, ayant le sens de l’État, dévoués à la défense de la nation et formés au sein de la même école nationale…
M. Philippe Bas, rapporteur. … républicaine !
M. Jacques Mézard. Paraît-il…
Je mets en garde nos collègues : à force de lâcher sur les principes, point par point, à propos d’un texte d’une importance fondamentale pour les libertés, nous finissons par mettre celles-ci en péril. On ne peut pas tout permettre au nom de la sécurité de nos concitoyens : la défense de leurs libertés fait partie intégrante de leur sécurité !
Va-t-on piétiner allègrement le secret professionnel des avocats, mettre en œuvre, en matière de police administrative, des dispositifs pour enquêter sur les parlementaires, alors que, déjà, le secret de l’instruction s’appauvrit, des atteintes sont portées de toute part au secret professionnel, on écoute par ricochet les avocats, et pas simplement au titre de la police administrative ?…
M. Jean-Jacques Hyest. C’est surtout en matière de police judiciaire !
M. Jacques Mézard. Exactement, monsieur Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de risques dans ce cas.
M. Jacques Mézard. Les risques, à mon avis, sont largement partagés. Le propre d’un limier, c’est de chercher ; telle est sa fonction. Mais l’État doit tout de même prendre garde à ne pas le laisser employer tous les moyens pour arriver à ses fins, car sinon il se permettra tout !
Certaines affaires d’écoutes de magistrats, d’anciens hauts personnages de l’État ont récemment fait une mauvaise publicité à la police judiciaire. Cela ne permet pas de faire n’importe quoi en matière de police administrative. L’arrêt « André et autres contre France » de la Cour européenne des droits de l’homme est venu rappeler que le secret est inhérent à la profession d’avocat.
Par conséquent, que l’on puisse considérer qu’un bâtonnier, parce qu’il n’est pas habilité au secret-défense, n’a pas à être informé de mesures pourtant très graves et intrusives à l’encontre d’un avocat de son barreau me choque ! (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 75 rectifié bis ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis de la commission reste défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis sensible à l’effort de M. Mézard. Néanmoins, comme je l’ai indiqué, l’information du bâtonnier ne nous semble correspondre ni à la lettre ni à l’esprit du texte.
De deux choses l’une : soit le bâtonnier n’est pas informé, soit il l’est utilement, c’est-à-dire qu’il est destinataire de suffisamment d’informations pour être en mesure d’apprécier la nécessité de la mesure prise à l’encontre de l’avocat. Or cette seconde branche de l’alternative suppose qu’il soit habilité au secret-défense. La seule hypothèse envisageable, dans cette perspective, est la présence d’un bâtonnier honoraire au sein de la CNCTR, que j’ai évoquée tout à l’heure.
Par conséquent, l’avis du Gouvernement demeure défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement, on pourrait envisager qu’un bâtonnier honoraire habilité au secret-défense participe aux délibérations de la CNCTR. Il aurait alors accès aux motifs de la mise en œuvre de la technique de renseignement : ce n’est plus seulement de l’information…
Certes, on peut vouloir se faire peur, et peut-être avec raison : après tout, il est arrivé, dans le passé, que l’on écoute des journalistes. Cependant, croyez-vous vraiment que, sans motifs extrêmement sérieux, un ministre de la République signerait une demande d’interception de sécurité concernant un magistrat ou un avocat, que la CNCTR y donnerait un avis favorable, que le Premier ministre l’approuverait ? Cela provoquerait un immense scandale dans les quarante-huit heures ! (M. le rapporteur opine.) Nous sommes tout de même dans une démocratie !
Moi aussi, monsieur Mézard, j’ai toujours défendu la profession d’avocat et le secret professionnel, mais je pense que l’information du bâtonnier n’est pas la solution pour protéger les avocats : la meilleure protection, c’est le contrôle de la CNCTR, à condition bien sûr que l’on y croie, ce qui, apparemment, n’est pas le cas de tout le monde. Pour ma part, je pense que l’exécutif sera assez sage pour suivre les avis de la CNCTR.
M. Jean-Yves Leconte. Si le président en est Paul Bismuth, on ne sait jamais !
M. Jean-Jacques Hyest. À mon vif regret, je ne pourrai voter l’amendement de M. Mézard.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 75 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous indique qu’il reste encore quatre-vingt-quatre amendements à examiner et que, pour le moment, il n’est pas prévu que nous siégions cette nuit…
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 51, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 56
Après les mots :
sous l’autorité
insérer les mots :
de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et
II. – Alinéa 57
1° Avant les mots :
Le Premier ministre
insérer les mots :
La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et
2° Remplacer le mot :
organise
par le mot :
organisent
3° Compléter cet alinéa par les mots :
au sein des locaux de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, a décrit, lors de son audition au Sénat, la future CNCTR comme un colosse aux pieds d’argile, en particulier parce qu’elle ne bénéficiera pas d’un accès direct aux données collectées, contrairement à la CNCIS, qui peut consulter les interceptions de sécurité depuis ses propres locaux.
Pour répondre à ses critiques, la commission des lois a adopté un amendement du rapporteur, qui a récrit les actuels alinéas 57 et 58 de l’article 1er. Au travers du présent amendement, nous proposons d’aller plus loin en précisant que la centralisation des renseignements collectés s’effectuera au sein des locaux de la CNCTR.
Le contrôle par la CNCTR ne sera effectif que si les données sont recueillies en son sein, et non dans des services spécialisés. Un accès libre aux locaux de ces services n’est pas suffisant : la CNCTR doit avoir la maîtrise du logiciel utilisé, pour pouvoir accéder aux données et organiser un véritable contrôle.