M. Philippe Kaltenbach. Cet amendement a trait aux des communes nouvelles.
Nous avons voté, voilà quelques mois, dans une belle unanimité, une carotte financière extrêmement favorable à la création de communes nouvelles. J’ai d'ailleurs lu dans la presse que plus de 260 dossiers avaient été déposés sur le bureau de l’Association des maires de France. La carotte est tellement intéressante que même des agglomérations qui comptent déjà un nombre important d’habitants et qui ne connaissent pas de difficultés financières envisagent de créer des communes nouvelles.
Ce dispositif me paraît extrêmement dangereux financièrement dans la mesure où il a, bien sûr, été pensé à enveloppe constante. Si l’on commence à distribuer des dizaines de millions d’euros à des collectivités qui ne sont pas dans le besoin, l’ensemble des collectivités en pâtiront.
Nous sommes donc confrontés aujourd'hui à une difficulté, qui, à mon sens, n’a pas été appréhendée au moment du vote de cette disposition.
Je rappelle que la loi a été votée pour les petites communes, dont il faut encourager le regroupement et la fusion. En revanche, la carotte financière doit rester raisonnable, puisque cela concerne des communes de taille modeste.
Il est d’autant plus choquant que le dispositif puisse être utilisé par des agglomérations de plus de 300 000 habitants, pour un coût annuel de plus de 30 millions d'euros, qu’il s’agit de collectivités qui ne sont généralement pas en difficulté. Notre collègue Hervé Marseille, qui siège au sein de la communauté d’agglomération Grand Paris Seine Ouest, qui regroupe huit communes, notamment Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux, Meudon et Marne-la-Coquette, sait bien que, dans les Hauts-de-Seine, les collectivités sont rarement dans le besoin.
Nous assistons donc là à un détournement de l’esprit de la loi qui coûtera extrêmement cher à l’État et, indirectement, aux collectivités, puisque le dispositif est prévu à enveloppe constante.
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Surtout aux collectivités !
M. Philippe Kaltenbach. J’ai déposé cet amendement d’appel pour attirer l’attention du Gouvernement et faire en sorte que nous trouvions une solution qui préserve les finances publiques et la répartition de la dotation globale de fonctionnement entre les différentes communes.
Il s’agit donc de limiter l’incitation financière en vigueur aux communes nouvelles regroupant une population inférieure ou égale à 100 000 habitants. Ce seuil me paraît raisonnable, mais je suis bien évidemment ouvert à la discussion sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Quand on donne des carottes, il faut savoir quel baudet va les saisir ! (Rires.)
M. Kaltenbach a parlé de détournement, mais c’est la nature même des carottes fiscales que de constituer un encouragement. D’une part, il me paraît difficile de changer les règles deux mois après que la loi a été promulguée et, d’autre part, cela risque de soulever un problème d’égalité. On ne peut pas priver quelqu’un de carottes au motif qu’il est trop gros.
M. Philippe Dallier. Au contraire !
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Cela me paraît compliqué.
Il est vrai que certains envisagent de créer des grandes communes nouvelles de 300 000 habitants, mais ce n’est pas sans conséquence et les contraintes sont nombreuses. Je connais un maire qui a tout de suite flairé – il l’a toujours fait depuis vingt ans – l’avantage qu’il pouvait tirer de ce nouveau dispositif. Néanmoins, alors que cela concerne une commune nouvelle beaucoup plus petite – on est loin des 300 000 habitants –, cela se passe mal, surtout vis-à-vis de la population. Par conséquent, ce n’est pas si facile et, pour ma part, j’attends de voir.
Monsieur Kaltenbach, on lit tous les gazettes, les vents soufflent où ils veulent… Il faut bien avoir à l’esprit qu’un certain nombre de collectivités se regroupent aussi pour échapper à d’autres contraintes, elles ne le font pas seulement pour des raisons financières.
Cela étant, des détournements peuvent se produire et il faut faire en sorte de les empêcher. Certaines des premières intercommunalités n’avaient d’autre objet, en se constituant, que de profiter de la manne de l’État et il a fallu resserrer petit à petit les dispositifs – Alain Richard le sait bien, lui qui est un expert de ces questions. À l’époque, c’était moins grave parce que les enveloppes normées n’existaient pas et que les autres collectivités n’en pâtissaient pas. Il s’agissait néanmoins d’établissements publics à caractère exclusivement financier.
Pa conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.
M. Hervé Marseille. Ayant été interpellé par mon collègue Kaltenbach, je veux réagir à ses propos.
Tout à l’heure, lorsqu’il a été question du logement social, les intervenants ont été nombreux à nous expliquer que toute modification apportée à la législation était une dérogation ou une échappatoire, qu’il ne fallait toucher à rien, que la loi était la même pour tous…
Pour reprendre l’image de M. Hyest, je fais partie des baudets qui essaient de manger des carottes. (Sourires.) Quand des carottes sont tendues, on essaie de les saisir et rien n’est à exclure ! Tous les jours, les dotations diminuent – 11 milliards d'euros annoncés, 28 milliards d'euros cumulés –, les péréquations et les charges n’en finissent pas de s’alourdir. On doit donc y faire face et ne rien s’interdire.
Les maires des cinq communes de la communauté urbaine de Cherbourg – qui ne se situe pas dans le département des Hauts-de-Seine, sur lequel vous faites une obsession, monsieur Kaltenbach ! – ne sont pas, à ma connaissance, de vilains réactionnaires de droite, contrairement à tous ceux qui vous encerclent à Clamart et qui ont même investi votre ville !
Dans un passé qui n’est pas si lointain, Pierre Mauroy a cru utile d’absorber Hellemmes et Lomme pour des raisons…
M. Philippe Dallier. Électorales ! (Sourires.)
M. Hervé Marseille. … politiquement intéressantes, dirons-nous. Personne ne s’est alors demandé pourquoi il aspirait les communes qui se trouvaient autour de Lille.
Aujourd'hui, on nous reproche de vouloir profiter d’un effet d’aubaine. Il faut pourtant bien que l’on trouve l’argent là où il est puisqu’on nous le prend par ailleurs ! D’un côté, on nous impose des charges, on nous demande de créer du logement, donc des équipements, et, de l’autre, on nous retire les dotations. Par conséquent, nous utilisons les outils que la loi, qui s’applique à tous, met à notre disposition. Qui plus est, quand elle prévoit des carottes, elle devient intéressante !
Nous profitons donc des dispositifs légaux, pour faire face aux temps difficiles que l’on nous prépare. Si j’ai bien compris le message du Premier ministre à la délégation de l’Association des maires de France qu’il a reçue cet après-midi, il n’y a pas grand-chose de nouveau à attendre en matière de dotations. Il nous faut en tenir compte, prendre les décisions qui s’imposent et trouver les meilleures solutions pour que les populations ne pâtissent pas de cette situation.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Il convient de replacer le débat dans un cadre plus large.
Voilà quelques années, l’ancien président de l’Association des maires de France, Jacques Pélissard, a pris l’initiative de relancer ce qui est en réalité un mécanisme de fusion de communes volontaires. Il a adopté une approche telle qu’il a réussi à convaincre l’AMF, ce qui n’était pas facile, puisque, par nature, cette dernière défend l’autonomie de chaque commune.
Dans un premier temps, aucune incitation financière n’a été prévue, et pour cause ! Si le dispositif permet d’améliorer le service public rendu, de mieux étaler les charges, d’accroître la solidarité, il n’y a pas de raison de le rendre « artificiel » en transformant les acteurs en chasseurs de prime.
Dans un second temps, plus récent, qui n’est évidemment pas étranger à la baisse concomitante des ressources communales, on a voulu accélérer ou intensifier le mouvement de création de communes nouvelles, c'est-à-dire, pour parler cru, de fusions : celles qui entreront dans ce mouvement seront traitées différemment s’agissant de la baisse des recettes.
Au moment où ce dispositif a été voté – je me souviens que nous avons, ici, hésité à créer un mécanisme de chasseurs de prime –, nous n’avons pas envisagé des montants de transferts financiers comme ceux dont nous discutons maintenant, lesquels sont, j’en rends justice à M. Marseille, tout aussi réels pour Cherbourg que pour tout autre regroupement de communes.
L’avis de sagesse du Gouvernement sur l’amendement est un bon début, mais il faudrait, me semble-t-il, pousser plus avant la réflexion : voulons-nous laisser se développer un mécanisme qui comporte un risque de surenchère et qui pourrait aboutir, comme cela fut le cas lorsque l’on a commencé à accorder des avantages financiers pour la création des intercommunalités, à des comportements motivés uniquement par la recherche de l’avantage financier ?
La formule proposée par Philippe Kaltenbach est trop brutale, car elle entraîne un effet de seuil direct : une commune de 99 000 habitants a droit à tout, tandis que celle qui en compte 101 000 n’a droit à rien. La proposition ne peut donc rester en l’état. Toutefois, il faut que la courbe de l’avantage financier soit modérée pour ne pas favoriser des comportements artificiels, qui ne reflèteraient pas la volonté première des communes.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. La loi de 2010, qui crée le statut de commune nouvelle, ne prévoyait aucune incitation financière. Il faut reconnaître que c'est un autre texte qui a accordé des avantages financiers assez importants et a « relancé l’affaire ». Néanmoins, si je ne me trompe pas, ces incitations financières ne sont valables que pour les communes nouvelles créées avant le 1er janvier 2016.
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Oui !
M. Michel Mercier. D’ici là, à la vitesse où vont les choses, il serait étonnant qu’un nombre considérable de communes nouvelles soient créées !
Depuis 2013, j’ai participé à de nombreuses réunions sur la question, auxquelles assistaient plusieurs centaines de personnes à chaque fois. Pour l’heure, nous n’avons assisté à la création que de deux douzaines de communes nouvelles.
Créer une commune nouvelle est, en effet, une décision grave et lourde : cela suppose de faire disparaître les communes existantes pour ne créer qu’un seul sujet de droit, ce qui n’est ni si facile ni si rapide. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas sûr que nous devions nourrir des craintes excessives sur cette question.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. J’ai été choqué par les considérations exclusivement financières qui présidaient à la création d’une commune nouvelle, dont l’énorme taille suscite d’ailleurs des inquiétudes fortes tant chez les habitants que chez les élus de l’opposition.
M. Michel Mercier. Elle ne se fera pas !
M. Philippe Kaltenbach. Je l’espère ! Quoi qu’il en soit, le dispositif pose problème : avant de mettre en place des carottes financières, il faut réfléchir aux conséquences.
Il est certainement possible d’améliorer la rédaction de mon amendement pour lisser l’effet de seuil, tenir compte du potentiel fiscal, de la richesse des habitants et de la richesse des collectivités. Toujours est-il que l’on ne peut pas laisser potentiellement des collectivités qui sont déjà très riches ponctionner les autres.
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. C'est toujours ainsi…
M. Philippe Kaltenbach. C'est pourtant bien ce qui va arriver : le Grand Paris Seine Ouest touchera 30 millions d’euros par an, alors que – M. Marseille ne me contredira pas – il ne s’agit pas franchement d’une collectivité dans le besoin. Il est vrai que les temps sont difficiles pour toutes les collectivités, mais encore plus pour certaines…
Que des incitations financières soient prévues pour les petites communautés ou celles qui sont en difficulté, soit ! Mais que les fonds puissent être absorbés par des communautés riches et puissantes me semble constituer un danger.
Je laisse mon amendement en l’état, mais je souhaite que la réflexion se poursuive, peut-être au sein de la commission des lois en lien avec la commission des finances, afin de veiller à ce que l’aspect financier de ces dispositifs ne prenne pas le pas sur l’intérêt des collectivités et de leurs habitants, la qualité du service public et l’association des citoyens à la décision. Il faut faire la balance entre les deux aspects, pour que les collectivités ne soient pas simplement à la recherche d’une carotte financière.
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 168 amendements au cours de la journée ; il en reste 398 à examiner.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 29 mai 2015, à neuf heures trente-cinq, à quatorze heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :
Suite de la deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation territoriale de la République (n° 336, 2014-2015) ;
Rapport de MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois (n° 450 tomes I et II, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 451, 2014-2015) ;
Avis de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 438, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 29 mai 2015, à zéro heure trente-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART